La diffusion du savoir dans le Magasin pittoresque (1833-1872) : l’astronomie, une science pour tous
p. 243-265
Texte intégral
1Si, au xviiie siècle et jusqu’en 1830, le spectacle de la Terre a passionné les hommes, c’est l’observation du ciel qui devient, au cours du xixe siècle, l’objet de la curiosité générale. Alors que les ouvrages de l’abbé Pluche, de Bernardin de Saint-Pierre ou de Buffon avaient popularisé l'histoire naturelle1 un siècle plus tard les conférences publiques à l'Observatoire et les Astronomies populaires d'Auguste Comte et de François Arago2, et, par la suite, les revues et les collections de vulgarisation scientifique, en particulier l’œuvre de Camille Flammarion, donnèrent la première place à l’astronomie. Le Magasin pittoresque, recueil encyclopédique d’actualité, reflète parfaitement le phénomène. Ses premières livraisons, en 1833, ont dû leur succès aux gravures d’histoire naturelle figurant à « la une » des numéros, mais dans les volumes suivants la botanique et la zoologie cèdent rapidement la place à l’astronomie : entre les années 1833-1852 et les années 1853-1872, le nombre des articles consacrés à la découverte du ciel a triplé et celui des illustrations a quadruplé3 (ill. 1). Laissant aux spécialistes le soin de juger de la qualité scientifique du contenu de tous ces articles4, je crois intéressant de considérer les pratiques rédactionnelles des auteurs du recueil, afin de définir le rôle que le Magasin pittoresque a joué dans l’histoire de la diffusion du savoir au xixe siècle5.

III. 1 : L’astronomie dans le Magasin pitoresque (1830-1870)
2Les jeunes gens qui, en février 1833, ont lancé le Magasin pittoresque à deux sous, périodique hebdomadaire dont les numéros furent ensuite réunis chaque année en un recueil, avaient le projet commun d’instruire et d'éduquer les classes populaires. Parmi eux, nous retiendrons les noms du rédacteur en chef, Édouard Charton, et des rédacteurs qui ont traité de l'astronomie dans le recueil, Jean Reynaud et Abel Transon. Ils sont tous les trois de la même génération et se sont rencontrés à Paris lors de leurs études supérieures à la fin de la Restauration. Si Édouard Charton est devenu avocat, Jean Reynaud et Abel Transon, issus de l’École polytechnique, sont ingénieurs des Mines, comme Michel Chevalier et Euryale Cazeaux. Mais ce qui les a rapprochés et unis, c’est leur engagement dans le saint-simonisme : convertis par l'enseignement de Bazard donné dans la salle de la rue Taranne en 1829, ils sont devenus des apôtres, des prédicateurs de la doctrine et ils se sont séparés d’Enfantin lors du schisme de novembre 1831. Après des débuts journalistiques communs à la Revue encyclopédique en 1831, ils participent en 1833 à la fondation du Magasin pittoresque à deux sous et de l'Encyclopédie pittoresque/nouvelle où Reynaud et Transon signent ensemble l’article sur l’astronomie. Édouard Charton, grâce à son expérience de rédacteur en chef acquise dans les journaux des sociétés philanthropiques, à ses compétences en matière artistique et à sa volonté d’être utile aux classes populaires, devient le rédacteur en chef du Magasin pittoresque, le « petit journal à gravures », qu’il dirigera pendant toute sa vie6.
3L’anonymat étant la règle au Magasin, il est difficile d’identifier les auteurs des articles du recueil. Même si Abel Transon figure au titre de rédacteur dans les tables décennales de 1842, 1852 et 1872, on ne peut guère lui attribuer de façon certaine que des articles concernant les aérostats et l’astronomie dans les premiers volumes, ainsi que l'éclairage dans le volume de 1837 où ses convictions fouriéristes apparaissent nettement7. En revanche, la participation de Jean Reynaud, régulière et indéfectible jusqu’à sa mort en 18638, ne s’est pas limitée aux seuls sujets scientifiques :
Il prévenait presque toujours mon désir, en m’envoyant non seulement des pages d’astronomie, de géologie et d’histoire naturelle, mais aussi des réflexions, des extraits de ses notes de voyage, ou des fragments empruntés à ses lectures9.
4Du fait de leur formation d’ingénieurs des Mines, Abel Transon et Jean Reynaud sont, d’après la terminologie du Magasin, des « écrivains spéciaux », c'est-à-dire des spécialistes des questions qu’ils traitent. À la manière de François Arago, ils sont des savants-philanthropes, qui diffusent leurs propres connaissances auprès d’un public de non-spécialistes qu’ils veulent élever intellectuellement10.
5Par suite de l’abandon ou de la mort de nombreux collaborateurs-fondateurs du recueil, une nouvelle génération de rédacteurs scientifiques est apparue dans les années 1860. En ce qui concerne l’astronomie, deux noms sont à retenir, ceux de Camille Flammarion et de Gaston Tissandier. Tous deux autodidactes, entrés à vingt ans au Magasin pittoresque, ils ont appris leur métier auprès d’Édouard Charton, avant de devenir les auteurs célèbres de la Bibliothèque des merveilles11. À leur arrivée au Magasin, les deux jeunes collaborateurs ont déjà acquis une expérience pratique, l’un à l’Observatoire auprès de l’astronome Le Verrier, l’autre dans le laboratoire du chimiste Dehérain, au Conservatoire des arts et métiers. De plus, tous deux ont une passion, l’un celle de l’astronomie, l’autre celle de la navigation aérienne.
6C’est dire qu’à la différence des collaborateurs de la première génération, ils n’ont pas reçu une formation théorique d’ingénieurs, n'ont pas un profil de professeur, de philosophe ou de savant, mais sont davantage des hommes de terrain. Ils vont d’ailleurs bientôt effectuer leurs propres expériences astronomiques, météorologiques et astronautiques12. La ligne rédactionnelle établie en 1833 par Charton avec les « écrivains spéciaux » de sa génération n’a pourtant pas été modifiée trente ans plus tard pour les collaborateurs de la nouvelle génération, que Charton considérait – non pas comme des journalistes, vulgarisateurs d’un savoir qui ne leur appartenait pas –, mais comme des spécialistes qui faisaient part de leurs connaissances non plus théoriques, mais pratiques, en livrant les résultats de leurs propres découvertes ou inventions.
7Si on considère le contenu du Magasin, on découvre qu’il n’est ni alphabétique ni méthodique. Sa composition est fondée sur le « principe de variété », établi par les rédacteurs. Il faut instruire en amusant13. Mais comment enseigner une science aussi mystérieuse que celle des astres à des lecteurs ignorants ou remplis d’erreurs et de préjugés ? Pour surmonter cet obstacle, les rédacteurs font avant tout preuve de sens pédagogique. En tête de leurs leçons d’astronomie historique ou descriptive, ils placent des titres relativement développés et souvent accompagnés de sous-titres, comme dans un manuel divisé en chapitres. Dans les volumes de 1833 et 1834, on trouve ainsi des articles intitulés « Astronomie. Coup d’œil sur le ciel », « Astronomie. Nébuleuses », « Astronomie. Systèmes de Ptolémée, de Copernic, et de Tycho Braché14 » et, dans le volume de 1865, « L’analyse spectrale de la lumière et la composition chimique des astres15 ». Enfin, soucieux d’éveiller la curiosité en proposant des titres énigmatiques, les rédacteurs recourent assez souvent à la forme interrogative : « La lune mange-t-elle les nuages16 ? » ou « Quelles preuves positives a-t-on que la terre est ronde, qu’elle tourne sur elle-même et autour du soleil17 ? », ou encore « Si les planètes sont habités par des être intelligents18 ».
8Dans les articles eux-mêmes, les rédacteurs s’adressent directement au lecteur, sur le ton du pédagogue. Dans les premiers volumes, ils utilisent non pas la première personne du singulier trop subjective, mais la première personne du pluriel, traditionnelle dans le cours magistral : « Nous voulons conduire le lecteur à la connaissance des vérités fondamentales qu’on désigne sous le nom de lois de Képler19 ». Quant à l’interlocuteur, il est désigné, à la troisième personne, dans la posture explicite du lecteur : « Cette manière d’envisager la question a d’ailleurs cet avantage, qu'elle nous permettra de présenter aux lecteurs du Magasin, un tableau succinct des grandes transformations que la doctrine astronomique a subies20 ». Dans un autre article de 1835, où le lecteur apprend à lire une carte du ciel, il devient un observateur, et les différentes opérations qu’il doit effectuer sont indiquées par l’emploi du pronom impersonnel et du verbe au conditionnel, puis au futur d'injonction : « Pour bien lire sur la carte, il faudrait la supposer au dessus de la tête et convenablement dirigée vers les points cardinaux. On commencera, je suppose, par se tourner vers le nord, et l’on y verra toutes les constellations du demi-cercle compris entre est, nord, ouest21 [...] ».
9Les rédacteurs de la seconde génération établissent avec leur lecteur un contact encore plus direct et familier dans des entretiens fictifs intitulés « causeries astronomiques22 ». Dans ces « causeries », des rédacteurs comme Camille Flammarion recourent abondamment au dialogue et à l’interpellation des lecteurs :
Vous prenez souvent le soleil à témoin de la vérité de vos assertions. Vous dites : « je suis sûr de telle chose, je puis affirmer l’avoir vue aussi bien que j’affirme que le soleil est là ».
En parlant ainsi, vous ne mettez pas en doute l’évidence de votre dernière affirmation, sur laquelle vous faites reposer la première ; vous croyez avec certitude que le soleil est incontestablement là où vous le voyez. Pourtant il n’en n’est rien. L’astre éclatant n’est pas là où vous le voyez23.
10Et à son lecteur, devenu astronome, qui croit avoir observé « la nébuleuse du chien de chasse », il donne des conseils précis :
Si vous dirigez une bonne lunette vers la dernière étoile de la queue de la Grande-Ourse, vous trouverez, un peu au dessous, l’une des nébuleuses les plus remarquables du ciel. Cette nébuleuse n’appartient pas, en réalité, à la constellation de la Grande-Ourse, mais à celle des Lévriers24.

III. 2. « Observation faite à Paris, par ML Flammarion, du passage de Mercure sur le Soleil, le 5 novembre 1868 » ( MP, 1869, p. 192).
11Certes, on trouve également dans le recueil des démonstrations qui ne mettent en scène ni l'auteur, ni le lecteur, mais elles sont peu nombreuses et peu représentatives de la pédagogie des rédacteurs du Magasin, toujours soucieux de conserver l’attention de leurs lecteurs.
12Le recours aux illustrations, qui a constitué la nouveauté du recueil à sa parution, ajoute à la pédagogie du discours scientifique. Les croquis, exécutés par les rédacteurs eux-mêmes, éclairent le contenu des développements théoriques, aussi bien dans les premiers volumes, où des figures représentent le système de Ptolémée25, le Dessin de la route que suivra dans te ciel la comète de 183526 ou les planètes· Mars et Jupiter vus de la Terre27, que trente ans plus tard, avec l'Observation faite à Paris, par M. Flammarion, du Passage de Mercure sur le Soleil, le 5 novembre 186828 (ill. 2). Le perfectionnement des appareils d'optique autorisera bientôt des observations plus spectaculaires : la vision de Diverses Nébuleuses et amas d'Étoiles29 est rendue possible grâce à un télescope « porté à des dimensions gigantesques ».
13Plus encore que les croquis techniques, les gravures donnant à voir les phénomènes astronomiques sont recommandées à l’attention du lecteur. L'une des premières donne « une idée exacte de l'apparence qu’offrait la comète vers sept heures et demi du soir, le dimanche 19 mars, sur l'horizon de Paris » (ill. 3). Le texte indique précisément la situation de la comète :
La lettre S indique sur notre figure l’étoile Sirius ; la lettre R, Rigel, qui fait partie de la belle constellation d'Orion, dont on voit trois autres étoiles, les trois Rois, dans la partie supérieure30.
14Quant aux premières photographies, elles sont introduites avec les précautions nécessaires dès le mois de juin 1864 dans le Magasin :
La figure que nous reproduisons est la représentation exacte du passage de Mercure sur le disque du soleil, aperçu à travers une branche d’arbre, objet terrestre qui était venu se placer dans le champ de la lunette. Ce dessin ayant été pris sur une épreuve photographique et les lunettes des astronomes ne redressant pas les objets, il faut renverser l’image pour voir les choses telles qu'elles étaient réellement dans le ciel31.

III. 3. « Comète de 1843 » (MP, 1843, p. 164),
15Les illustrations deviendront de plus en plus nombreuses à mesure que leur exécution sera plus facile : entre les années 1833-1852 et 1853-1872, leur nombre passe de 30 à 120.
16Pour rendre plus étroite encore la relation entre les rédacteurs et les lecteurs, le recueil publie à l’occasion un courrier fictif des lecteurs, destiné à approfondir, rectifier, ou illustrer de remarques nouvelles des sujets déjà traités. Ces lettres imaginaires, adressées à « M. le rédacteur en chef du Magasin pittoresque », et écrites en réalité par Jean Reynaud, s’interrogent sur l’efficacité des démonstrations astronomiques proposées par le Magasin. Ainsi, commentant l'article « Sur la possibilité d’une correspondance entre la lune et la terre » où la démonstration du carré de l’hypoténuse avait paru trop abstraite, le correspondant anonyme propose une explication sous forme de « récréation mathématique32 ». Dans une autre lettre venant apporter des éclaircissements propres à « servir ainsi à l’enseignement de cette belle science de l’astronomie, à laquelle il serait désirable de voir prendre le caractère élémentaire », le correspondant fictif se veut plus pédagogue encore que les rédacteurs :
Voilà, monsieur, aussi succinctement que possible, ce que je désirais porter à la connaissance de vos lecteurs, et j’y joins, pour plus de facilité, un croquis indiquant les quatre zones à distinguer dans notre système planétaire, ainsi que la position qu’y occupent respectivement les huit planètes33.
17Cette tentative pédagogique – où l'on reconnaît bien la manière du directeur de l'Encyclopédie nouvelle –, n'a pourtant pas abouti à la création d’un véritable « Courrier des lecteurs », mais l’idée était déjà en germe.
18Enfin, comme la succession des volumes pouvait entraîner pour les lecteurs le risque de se perdre dans le labyrinthe du recueil, les rédacteurs ont mis en place, dès les premières années, la pratique des renvois, afin de permettre une lecture non pas isolée, mais complémentaire des articles : ainsi, en 1838, en tête du premier article d’une nouvelle « série » sur l’astronomie, figurent les références de tous les articles traitant de la matière dans les volumes précédents34. De plus, grâce à la pagination continue des volumes, les articles répartis sur plusieurs livraisons apparaissent comme de véritables livres composés par chapitres : par exemple, le volume de 1834, contient quatre articles historiques sur les anciens systèmes astronomiques ; celui de 1843, quatre encore sur les comètes ; celui de 1863, douze sur les cartes célestes. Enfin, pour rendre évidente au lecteur la cohérence d’ensemble de la collection, les tables décennales lui permettent, comme l’index d’une encyclopédie, de retrouver les références des articles parus. Ainsi que le rappelle l’auteur d’une « Lettre adressée à M. le Rédacteur du Magasin pittoresque » :
En parcourant dernièrement l'ensemble de votre recueil à l’aide de l’excellente Table que vous avez publiée, et qui permet d’embrasser si facilement dans un même coup d’œil tout ce qui appartient à un même sujet, j’ai fait sur vos divers articles relatifs à la constitution de la lune, et notamment sur ceux qui sont contenus dans le troisième et le dix-neuvième volumes, quelques observations critiques que j’ose prendre la liberté de vous adresser35.
19Au fil des articles et des volumes, le Magasin devient donc, en quelque sorte, une encyclopédie élémentaire sans cesse enrichie et remise à jour. Il annonce, avec quelques décennies d’avance, la collection de la Bibliothèque des Merveilles, créée par Charton pour Louis Hachette en 1864, dont le premier volume traite précisément de l’astronomie36.
20Cependant, le but des rédacteurs du Magasin n’est pas seulement d'offrir un enseignement abstrait, mais de passer de la théorie à la pratique. Pour ce qui est de l’astronomie en particulier, il s’agit de persuader le lecteur que la connaissance du ciel n’est pas réservée aux spécialistes : dans la mesure où elle est une science d’observation, elle doit être accessible à tous. Le Magasin se propose donc de révéler au plus grand nombre le plaisir, l’agrément, le délassement procurés par l’observation du ciel, en lui offrant une représentation matérielle de l’univers planétaire et en lui apprenant à utiliser les cartes célestes et le télescope.
21Dès 1834, un article fait partager au lecteur l’expérience réalisée par M. Herschell dans son Traité d'astronomie, qui offre « une représentation simple et familière de la figure générale du système planétaire, parce qu’elle laisse dans notre mémoire des traces bien plus lumineuses et plus profondes que tous les enseignements de chiffres et de relations mathématiques37 » : dans une vaste prairie qui représente le plan de l'écliptique, une grosse boule de la taille d'une citrouille placée au centre figure le Soleil, et d’autres boules symbolisent les diverses planètes du système solaire, à raison de leur distance par rapport au Soleil ; quant aux comètes, elles seraient comme des plumes légères ou la fumée d'un feu de bois. En 1846, l'auteur d'une « Lettre à M. le Rédacteur du Magasin pittoresque » reprend l’expérience de l’astronome, toujours dans un but pédagogique :
Je m’enhardis à vous en envoyer la description, espérant que vous voudrez bien lui donner place dans vos colonnes, et provoquer par là, soit des pères de famille, soit des instituteurs, à la répéter, ne fût-ce que pour amuser quelques heures de leur loisir38.
22L’auteur indique alors – avec des mesures précises –, les matériaux, les dimensions, les emplacements et les orbites des différentes boules fixées sur des piquets. Il montre l'intérêt de ce dispositif par rapport à « des appareils mécaniques, fort dispendieux que l’on ne voit que dans les cabinets de physique : chacun, pour peu qu’il en ait la fantaisie, peut se donner lui-même, pour ainsi dire sans dépense, l’appareil instructif et fidèle dont je viens de parler ». Enfin, l’auteur propose d'installer cette maquette « à la porte de chacune de nos écoles de village, tout au moins dans les cours de récréation de nos collèges ».
23Mais il importe aussi d’initier le lecteur à l'observation du ciel à l'aide d’une carte, en prenant l’exemple du ciel de Paris à une date donnée :
Pour faciliter aujourd’hui l'étude des constellations, nous ajoutons à cet article une carte du ciel tel qu’il doit être vu le 21 juin à dix heures du soir par un habitant de Paris. Pour bien lire sur la carte, il faudrait la supposer élevée au dessus de la tête et convenablement dirigée vers les points cardinaux. On commencera, je suppose, par se tourner vers le nord, et l’on y verra toutes les constellations du demi-cercle comprises entre est, nord, ouest, ; puis on se tournera vers le sud, on orientera de nouveau sa carte, et on verra toutes les constellations du demi-cercle compris entre est, sud, ouest39.
24Le souci d’offrir au lecteur des cartes susceptibles de lui permettre d’examiner le ciel réapparaît en 1849 dans un article expliquant précisément au lecteur comment utiliser deux cartes jointes à l’article, qui montrent « une idée parfaitement nette des mouvements apparents des principaux corps célestes pendant l’année 184940 ». Plus particulièrement encore, il faut souligner la publication, en 1863, d’une série de cartes « dessinées par un habile observateur, M. Bullart », pour accompagner les articles d'un savant de l’Institut, M. Babinet : « Au moyen de douze planches, nous donnerons un tableau du ciel qui facilitera la recherche des astres et mettra tout lecteur un peu attentif à même de lire au firmament, pour ainsi dire, comme dans un livre41 ».
25Mais pour observer le ciel à l’aide de ces cartes, le lecteur doit apprendre à se servir d’un télescope. Un premier article décrit l’appareil récemment construit par un monsieur Soleil (sic !), sur les indications du savant Babinet, et disponible dans le commerce sous le nom de lunette ou télescope. Celui-ci va permettre à l’amateur « de faire sur la terre et dans le ciel toutes les observations utiles, curieuses ou amusantes ». Un dessin de l’appareil et de toutes les pièces qui le composent permet à chacun de se familiariser avec les termes d’optique utilisés (oculaire, objectif, chercheur, etc.42.) Le recueil avait, l’année précédente, proposé à l'astronome-amateur de construire lui-même son observatoire : « En quelques heures, on achètera chez un fabricant d’instruments, tout ce qui est nécessaire aux observations. » On procédera ensuite à l’installation des instruments, soit une simple lunette méridienne (500 fr.) « transit ou instrument de passage » qui permet l’observation du ciel, soit une « lunette équatoriale » qui permet de suivre le mouvement des astres, « qui ne peut guère coûter moins de deux à trois mille francs, avec les frais d’installation compris », sans oublier une pendule et « une chaise à observer avec un dossier qui se lève et se renverse au besoin selon la hauteur de l’étoile qu’on observe, car pour observer, il faut être à son aise et tranquille de corps et d’esprit, sans quoi on n’arrive à rien de bien43 ». Comme on le voit par ces indications pratiques, l’astronomie est mise à la portée de tous... De plus, des gravures familiarisent le lecteur avec le maniement de ces instruments, en montrant soit des astronomes professionnels en train d’examiner le ciel à l’Observatoire de Paris, ou attendant le passage de Mercure au-dessus de Jupiter le 17 février 186844, soit des astronomes amateurs s’exerçant à l’utilisation d’un télescope ou d’une lunette45 (ill. 4).
26Enfin, pour rendre compte des découvertes des astronomes, le recueil ne manque pas de résumer ou de citer certains de leurs ouvrages : c'est le cas du chap. vi du Traité d’astronomie d’Herschel pour sa description de la Lune46 ou de l'Astronomie populaire d’Arago, pour la représentation de la constellation de la Grande-Ourse ou la comparaison de la Terre et du Soleil47. De larges extraits des entretiens de Fontenelle sur La Pluralité des mondes sont précédés d'une reproduction du frontispice qui illustrait une édition du xviiie siècle48 (ill. 5). Quant aux publications contemporaines, elles ne sont pas oubliées : une note tirée du Cosmos49, un article de Babinet dans la Revue des deux mondes50, un article inédit de Jean Reynaud51, l’extrait d’une conférence sur l’astronomie, par M. Delaunay, de l’Institut52, et bien sûr La Pluralité des mondes habités de C. Flammarion, pour indiquer les distances entre les astres53. Des documents les plus anciens aux écrits les plus récents, le Magasin fait ainsi flèche de tout bois pour écrire l’histoire de l’astronomie.

III. 4. « Observation d’amateurs » (MP, 1857, p. 140).
27Mais comme le montrent déjà les références précédentes, le Magasin est avant tout une « revue contemporaine » et joue aussi le rôle d’un journal d’information. Il annonce au lecteur les principaux phénomènes astronomiques, les passages de la comète de Halley, de la comète de 184354 (ill. 3), et de Mercure devant le Soleil55, l’éclipse de Soleil du 31 décembre 186156 et du 17 mai 186357. Seule celle du 18 août 1868 est, au contraire, longuement décrite après coup, grâce au compte rendu de l’expédition française partie l’observer aux Indes58. Des articles parus sous des titres divers « Observations astronomiques du mois de... » ou « Positions des planètes en... » ou encore « Phénomènes astronomiques en... » apparaissent dans les volumes des années 1845, 1849, 1857 (ill. 6), 1859, puis systématiquement à partir de 1860 et permettent au lecteur d’observer scientifiquement le ciel tous les jours de l’année. Enfin, dans un feuilleton scientifique, intitulé « La Science en... », qui est publié dès 1858 et s’inspire d'une publication annuelle de Louis Figuier, sont évoquées les plus récentes découvertes des astronomes et en particulier les travaux de Flammarion sur le Soleil, dans le dernier feuilleton paru en 1864. Ainsi, sans être à proprement parler une revue de vulgarisation scientifique, comme Cosmos fondé en 1856 par l’abbé Moigno, ou La Nature lancée en 1872 par Tissandier, le Magasin pittoresque initie, par petites touches, son lecteur à l'actualité scientifique, en vue de le faire accéder ensuite à des revues ou ouvrages plus spécialisés.

III. 5. « Frontispice de la Pluralité des mondes, gravé par Bernard Picard. – Édition de Hollande. 1756 » ( MP, 1844. p. 177).

III. 6. « Marche apparente des planètes Vénus, Mars et Jupiter pendant les mois de février, mars avril et mai 1857 » (MP, 1857, p. 103).
28Le recueil ne s’en tient pas à cette approche à la fois théorique et pratique de la science astronomique. Il offre en outre à son lecteur une vision historique de la question, en présentant les progrès successifs de cette science dans le passé, l’état des découvertes contemporaines et les promesses à venir, grâce à des anecdotes littéraires et biographiques associant le divertissement et l’instruction selon le grand principe de tout discours de vulgarisation. Une anecdote intitulée « Le gnomon » révèle ainsi dans un style très vivant, recourant fréquemment à la forme dialoguée, le génie précoce de Newton : au lieu d’être un écolier attentif et assidu, le jeune Isaac, « au front grave et pâle », soucieux de réaliser un objet qui donnera « l’heure juste, l’heure vraie », fabrique dans son jardin, avec des piquets et une planche de bois, un cadran solaire de grandes dimensions. Le pharmacien de village a aussitôt reconnu l’intelligence du jeune garçon :
Eh bien, foi d’honnête homme ! la pensée d’orienter un gnomon sur l’étoile polaire ne me serait jamais venue. Isaac a des idées, et je ne serais pas étonné qu'il fît parler de lui un jour. Je veux que son ouvrage porte son nom ; son cadran solaire s'appellera le cadran d'Isaac Newton59.
29Une note n'oublie pas d’indiquer au lecteur les références des ouvrages où il pourra apprendre à réaliser un cadran solaire et lui explique comment il peut tracer lui-même un cadran solaire portatif à l’aide d'une boussole.
30Cette manière de présenter les savants dans un cadre familier et, dans le cas de Newton, d’inscrire la découverte scientifique dans le contexte d’un récit d’enfance, a aussi pour but de montrer aux lecteurs qu'il n’existe pas de véritable frontière entre les doctes et les non doctes. Dans un article qui entend démontrer que les vocations d’astronomes « peuvent naître malgré l'absence soit de la fortune, soit des premiers bienfaits de l’instruction », sont cités des paysans, des bergers et des artisans autodidactes qui ont pu, aux xviie et xviiie siècles, se livrer à des travaux astronomiques – reconnus ou non – par les savants officiels. Parmi eux, on peut retenir le nom d'un certain Jean-Georges Palitzsch, d’origine saxonne, qui, à l’aide d’une lunette d’amateur, a observé le passage de la comète de Halley avant les savants de l’Europe entière. En dépit de son extrême modestie, Georges Palitzsch devint correspondant de la Société royale de Londres et de l’Académie de Saint-Pétersbourg60. Un autre exemple est celui de François Arago, auteur fétiche du Magasin, dont le premier tome des mémoires, Histoire de ma jeunesse, paraît dans son intégralité dans le Magasin en 1854, l’année même de sa publication en librairie, précédé de la reproduction, en première page de la livraison, du buste du grand savant, exécuté par David d’Angers61. Pas moins de sept livraisons présentent l’histoire de sa vocation, depuis l’école de son village du Roussillon jusqu’à son admission triomphale à l’École polytechnique, après qu’il avait préparé tout seul le concours. Arago est l'exemple même du grand homme tel que le rêvent les rédacteurs du Magasin pittoresque, à la fois brillant pédagogue et autodidacte de génie. Peut-être faut-il d’ailleurs considérer que la figure de l’autodidacte trace, de manière emblématique et comme en miroir, le portrait en creux des lecteurs du Magasin.
31Le journal oppose en outre les astronomes qui, parvenus à la célébrité, dissimulent leurs origines modestes à ceux qui s'en font, au contraire, une fierté. Ainsi à l’occasion de l’exposition de la statue de Laplace au Salon de 1844, le Magasin célèbre-t-il la carrière et les travaux scientifiques du mathématicien, mais lui reproche son ambition et ses prétentions sociales :
Ses biographes [...] nous le montrent d’une discrétion ridicule sur le chapitre de sa naissance ; comme si le fils d’un pauvre cultivateur de la vallée d'Auge n’avait pas eu plus de mérite, n'avait pas acquis plus de gloire en devenant l'auteur de la Mécanique céleste que dans la supposition où la fortune lui aurait souri dès l'enfance62.
32Par ailleurs le recueil donne leur place à des textes scientifiques qui se rapprochent de plus en plus de la littérature. En effet, dans les années 1860, devant les progrès spectaculaires accomplis par les savants en astronomie, en physique et en météorologie, les spécialistes et le grand public, les ingénieurs et les poètes, tous se mettent à rêver des possibilités bientôt offertes aux hommes pour conquérir le ciel. Dans le Magasin, paraissent à cette époque des récits de voyages dans l’espace ou dans le temps qui appartiennent à la littérature d’imagination, ou même de science-fiction. Je me contenterai de quelques exemples montrant qu’à la date où paraissent les premiers « romans scientifiques », le Magasin propose à ses lecteurs des textes qui participent du même imaginaire.
33Prenons par exemple un récit intitulé « Voyage au-dessus de l'Atlantique63 » qui fut publié dans le Magasin en 1863. Ce texte est précédé d'une introduction qui crée le suspense : « Le hasard a tait tomber la correspondance suivante entre nos mains. Est-elle réelle ? Est-elle imaginaire ? » Les premières lettres de cette correspondance mettent en scène un jeune aventurier qui se place sous la bannière de Colomb et décide de traverser l’Atlantique en ballon. Elles expriment son émotion à l’idée de voler, comme l’hirondelle, au gré des vents alizés. Une fois dans l’espace, le navigateur tient son journal de bord, en faisant le point plusieurs fois par jour, pour chanter la beauté du spectacle qui l’entoure, mais avec le sentiment qu’il remplit une mission utile aux hommes. Le troisième jour, un cyclone provoque le naufrage des navires dans la mer des Antilles, mais le ballon échappe au tourbillon en remontant dans les sphères supérieures, et son pilote parvient à atterrir sur la petite île de Saint-Vincent, où il est accueilli en héros. Après avoir adressé son journal à son ami, il repart aussitôt en direction de l’Europe sans qu’on sache s’il est jamais arrivé au but. À la fin du récit, une note montre les limites du possible à cette date :
La correspondance s’arrête là. Faut-il en conclure que l’accident prévu et bravé se sera réalisé, et que l’aventureux jeune homme aura disparu dans les solitudes de l'Océan ? Nous n'avons rien de certain à dire à nos lecteurs.
34Or le roman de Jules Verne, Cinq semaines en ballon. Voyage de découverte en Afrique par trois Anglais, avait paru quatre mois plus tôt, en décembre 1862, chez Hetzel. Le Magasin pittoresque, sans faire référence à l’énorme succès de l’ouvrage, s’en est donc inspiré aussitôt dans ce « Voyage au-dessus de l'Atlantique » resté anonyme. L'auteur en est peut-être l’aéronaute Gaston Tissandier mais c’est seulement en 1868 que ce dernier s’aventurera au-dessus de l'Océan, et en 1870 qu'il entreprendra trois voyages pour sortir de Paris assiégé.
35Si ce poétique voyage dans l’espace a dû faire rêver les lecteurs, que dire de l’« Histoire d'une comète » paru en 1865, fabuleux voyage dans le temps qui appartient déjà à la littérature de science-fiction ? Il est introduit en ces termes par son auteur – vraisemblablement Camille Flammarion
Le récit qui va suivre n’est pas un roman de pure fantaisie, éclos spontanément dans les champs trop fertiles de l'imagination ; il appartient pour le fond et par droit de naissance aux études positives : il est né sur le sol scientifique64.
36Le récit relativement long (34 col.) s’étend sur 12 livraisons dans les volumes de 1865 et 1866. Les sous-titres indiquent les étapes de son parcours : « I. Où la comète remarque pour la première fois l’existence de la terre » ; « II. Où la comète fait des comparaisons avantageuses entre les autres mondes et le nôtre » etc. C’est le récit sur le mode fantastique d’une histoire de la Terre dans laquelle les temps antédiluviens sont décrits avec beaucoup d'imagination. Dans ces textes abondamment illustrés, des gravures montrent des animaux de l'époque antédiluvienne, une Ammonite, mollusque céphalopode antédiluvien (restaure) et un Labyrinthodon (restauré) ; puis des animaux fabuleux, Ptérodactyle et Ramphorhynchus, et des espèces de crocodiles, Habitants de la terre pendant la période secondaire65. À partir de l’apparition de l'homme en Égypte, « vers 13514 avant notre ère », le récit s’accélère et l’espace se réduit, en se limitant d'abord à l’Orient, puis à l’Europe. La comète – il s’agit de celle de 1811 – retrouve finalement une autre comète plus jeune, celle de Halley, avec laquelle elle devise et retrace l’histoire de l’Europe.
37Quant à la traduction d’« Un voyage imaginaire de Sir Humphrey Davy dans les planètes », elle livre « la vision que le savant anglais a eue – ou plutôt sans doute imaginée –, au Colisée de Rome, par une belle nuit étoilée66 ». Le récit présente les thèses de Flammarion sur l’habitabilité des mondes et la transmigration des êtres : il décrit d’abord la vie sur Saturne où des êtres aux pouvoirs bien supérieurs à ceux des hommes se nourrissent non pas d’aliments grossiers mais de fluides, se déplacent sur des chars aériens, et se consacrent à des activités intellectuelles, puis le monde cométaire dans lequel évoluent des êtres ayant appartenu à la Terre et devenus « corps glorieux qui n’ont conservé que l’amour du savoir et qui vivent dans l’union avec Dieu ». Il s’agit de démontrer que l’œuvre du créateur ne se limite pas à la Terre, prétendument placée au centre du monde et à son humanité prétendument unique. Il existe d’autres mondes habités et d’autres humanités, la Terre se situant entre les mondes inférieurs où règnent le mal et la souffrance, et le monde supérieur de l’Intelligence infinie. Il semblerait que l’auteur veuille concilier ici la science et la religion : l’existence d’un au-delà où les êtres sont comme des « Séraphins » est une vision du paradis chrétien dont la place est désormais reconnue dans l’univers.
38Au terme de ce parcours astronomique qui prend en compte les quarante premiers volumes du Magasin, la question se pose de savoir à quels lecteurs s’adresse une telle variété d’articles. Si l’article liminaire paru dans la première livraison du recueil est intitulé « À tout le monde », c’est pour affirmer que les rédacteurs ne s’adressent pas aux spécialistes, mais à tous ceux qui n’ont pas reçu d’instruction ou qui ont oublié les leçons entendues au collège. Trente ans plus tard, dans le contrat qu’il signe avec Louis Hachette en 1864 pour créer la Bibliothèque des merveilles, Charton précise là encore que les volumes devront traiter « des merveilles qui peuvent être comprises de toutes les classes67 », alors que l’éditeur annonce, lui, que la collection s’adresse « aux gens du monde et à la jeunesse ». C’est dire que le public visé par Édouard Charton est resté le même depuis 1833, c’est-à-dire le plus large possible, sans distinction d’âge, de niveau intellectuel ou de catégorie sociale.
39Mais derrière ces formulations vagues désignant « tout le monde » ou « toutes les classes68 », que faut-il entendre ? Dans la préface – non signée – du premier volume, les objectifs moralisants du recueil sont explicités par une formule soulignée dans le texte, qui revient à deux reprises : il s’agit d’« enrichir de distractions pures et instructives les loisirs de la vie intérieure, et du foyer domestique, riche ou pauvre69 ». Mais les rédacteurs se sont vite aperçus que le recueil ne pouvait toucher directement les classes les plus populaires70. On peut lire ainsi, dans un article de 1846 écrit par Jean Reynaud, un point de vue particulièrement intéressant sur l’astronomie, que l’on peut facilement généraliser à l’ensemble du recueil. Dans ce texte, le savant philosophe s’adresse aux pères de famille et aux maîtres d’école pour leur conseiller de préférer « aux sujets d’étude les plus abstraits et les plus complexes », l’éducation des yeux par les sciences naturelles « qui leur apprennent à voir, eux qui aiment tant à regarder », c’est-à-dire l’astronomie, la géologie, la chimie et la géométrie. Il insiste particulièrement sur la place de l'astronomie dans cette éducation destinée aux filles comme aux garçons, parce qu’elle est une manière privilégiée de s’ouvrir au monde et de se connaître soi-même :
La jeune fille [l'une des deux élèves du savant], dont le caractère, comme celui de beaucoup d’enfants de son sexe, s’annonçait mélancolique et rêveur, a puisé dans ces études sérieuses une vie morale et une force intérieure qui influeront sans doute sur toute sa vie future71.
40Ne visant ni les spécialistes, ni même les gens du monde, ne se limitant ni aux femmes ni aux enfants, mais recherchant dans toutes les classes sociales le public le plus large possible, le Magasin pittoresque a effectivement touché la petite bourgeoisie provinciale qui était le milieu d’origine d’Édouard Charton, mais beaucoup moins sûrement les milieux populaires, comme le prouve la création de l'Almanach du Magasin pittoresque, après l’échec de la révolution de 184872, qui, lui, s’adresse au public des campagnes et lui donne, sous forme de « digest », le résumé annuel des articles parus. En fait, l’exemple de l’astronomie montre que l’évolution des lecteurs du recueil de 1833 à 1870, n’est pas d’ordre sociologique, mais plutôt d’ordre intellectuel : dans un premier temps, des lecteurs ignorants ont acquis des connaissances scientifiques et historiques élémentaires, puis des amateurs curieux ont commencé à suivre l’actualité scientifique et à observer le ciel, grâce à des télescopes disponibles dans le commerce, enfin tout un public est devenu capable de lire les cartes astronomiques et de se passionner pour les progrès réalisés dans la conquête du ciel. S’agit-il des mêmes lecteurs qui se sont peu à peu instruits dans les collèges et grâce aux ouvrages de vulgarisation ? Ou bien d’une génération à l’autre, le niveau intellectuel du grand public a-t-il progressé73 ? Sans qu’il soit possible de le préciser par des chiffres, l’étude des articles consacrés à l’astronomie montre que, de 1830 à 1870, leur contenu scientifique est devenu de plus en plus complexe.
41En dépit de la distance qui sépare les rédacteurs de la première génération de ceux qui leur ont succédé – et de Camille Flammarion en particulier –, les pratiques rédactionnelles qui avaient fait le succès initial du Magasin, sont demeurées les mêmes jusqu’à la retraite de Charton, en 1882 : refus de toute érudition au profit d’un langage simple et clair ; recours à l’image, qui est d’un accès plus immédiat et plus facile que le texte ; relation individuelle de maître à élève, établie entre le rédacteur et le lecteur pour maintenir son attention ; moyens matériels pour comprendre la cohérence et la continuité du recueil. Ces pratiques pédagogiques, indispensables à l’enseignement des matières scientifiques et techniques, moins accessibles à la plupart des lecteurs que les sujets littéraires ou artistiques, se sont révélées particulièrement efficaces à propos de l’astronomie. Cependant, comme le Magasin n’est pas un recueil spécialisé, mais bien une encyclopédie traitant de toutes sortes de sujets, le recours à l’histoire, à la littérature et à l'art vient ajouter aux articles savants tantôt le caractère moral, tantôt la part de fantaisie ou de rêve qui sont restés la marque propre du recueil pendant les cinquante ans où Charton est resté son maître d’œuvre. Si le Magasin a ouvert la voie de la vulgarisation scientifique, c’est dans la Bibliothèque des merveilles que Charton lui donnera toute son ampleur.
Notes de bas de page
1 Abbé Pluche, Spectacle de la nature ou Entretiens sur l'histoire naturelle ou les sciences, 1732 ; Buffon, Histoire naturelle générale et particulière, avec la description du Cabinet du roi, 1749 ; Bernardin de Saint-Pierre. Études de la nature, 1784.
2 Auguste Comte, Traité philosophique d'astronomie populaire, Paris, Carilian-Gœury et Dalmont, 1845, et François Arago, Astronomie populaire, Paris, Gide, 1854.
3 Le nombre des articles passe de 50 à 160 et celui des illustrations de 30 à 120. Le pic des articles d'astronomie dans les années 1863-1864 s’explique par la publication de 12 cartes célestes dans le volume de 1863 et par l'arrivée de Camille Flammarion au Magasin l'année suivante. Le développement des sciences en général et des études astronomiques en particulier sera également à l'origine de la Bibliothèque des merveilles, lancée par Édouard Charton chez Hachette ; le premier volume de la collection, en 1864, est celui de Camille Flammarion, Les Merveilles Célestes.
4 Voir la contribution de Gilles Adam, chercheur à l’observatoire de Saint-Genis-Laval (Rhône) dans la partie « documents ».
5 Les rédacteurs du Magasin ne se définissent jamais comme des « vulgarisateurs », mais comme des savants soucieux de répandre leur savoir auprès du plus grand nombre. Sur le caractère péjoratif du terme « vulgarisation », voir « Introduction », dans La Science populaire dans la presse et l'édition, dirigé par Bernadette Bensaude-Vincent et Anne Rasmussen, CNRS histoire, 1997, p. 13-14.
6 Sur la fondation du recueil, voir M.-L. Aurenche, Édouard Charton et l'invention du Magasin pittoresque. Champion, 2002, chap. iv. Dorénavant, les références au Magasin pittoresque seront données par l’abréviation MP, l'indication de l’année et de la page du volume.
7 En 1841, il devient répétiteur à l’École polytechnique ; en 1848, il fait partie de la commission des Hautes Études scientifiques et littéraires créée le 29 février et devient examinateur à l’École d’administration. Il se consacrera après 1851 à des travaux mathématiques.
8 Voir dans l’édition de la Correspondance générale d'Édouard Charton, à paraître chez Champion, en 2003, toutes les lettres échangées entre les deux amis et le témoignage du rédacteur en chef du recueil dans la préface du volume de 1837 : Jean Reynaud est « l’auteur de plus de la sixième partie du volume que nous offrons au public ».
9 MP. 1865, p. 166 : Charton consacre un long article nécrologique à la mémoire de son collaborateur et ami.
10 Jean Reynaud a publié dès 1835 Une minéralogie à l'usage des gens du monde, qui sera rééditée dans la Bibliothèque des merveilles, trente ans plus tard.
11 Sur la nouvelle génération des rédacteurs du Magasin, voir M.-L. Aurenche, op. cit., chap. xii.
12 Par la suite, les multiples activités que Flammarion déploiera dans le journalisme (collaboration au Magasin pittoresque, à Cosmos, au Siècle), dans l’enseignement (cours à l'Association polytechnique et conférences mondaines), dans la création d’associations (Cercle parisien de la ligue de l’enseignement et Société aérostatique) ne l’empêcheront pas de créer son propre observatoire et d'écrire des ouvrages de vulgarisation, en particulier l'Astronomie populaire en 1880. Pour sa part, Gaston Tissandier publiera cinq volumes dans la Bibliothèque des merveilles : L'Eau en 1867, La Houille en 1869, Les Merveilles de la photographie en 1874, Les Fossiles en 1875 et La Navigation aérienne en 1886. La revue qu'il fondera en 1873, La Nature, deviendra la plus grande revue de vulgarisation scientifique française, et les cours et conférences qu’il donnera sans compter montrent son dévouement à la science.
13 Voir M.-L. Aurenche, op. cit., chap. vi.
14 MP. 1833, p. 234-235 et 290-291 ; 1834, p. 306-307, 338-340, 362-363 et 394-395.
15 MP. 1865, p. 94-96 et 99-100.
16 MP. 1863, p. 299.
17 MP. 1865, p. 106-107 et 117-119.
18 MP. 1855, p. 179.
19 MP. « Astronomie. Système de Ptolémée, de Copernic et de Tycho-Brahé » 1834 p. 306.
20 Ibid.
21 MP. « Étude du ciel », 1835, p. 188.
22 C'est la manière de Flammarion, annoncée par Henri Martin à Édouard Charton, dans sa lettre du 22 mars 1864 (CARAN 281 AP1).
23 MP. « Le soleil n’est pas où il paraît être », 1864, p. 3.
24 MP. « La nébuleuse du Chien de chasse », 1864, p. 404.
25 MP. 1834, p. 362.
26 MP. « Comète de Halley, qui paraîtra en 1835 », 1835, p. 88.
27 MP. 1838, p. 173.
28 MP. 1869, p. 172.
29 MP. 1858, p. 213.
30 MP. 1843, p. 163.
31 MP. 1864, p. 208.
32 MP. « Sur la correspondance avec la lune », 1843, p. 103.
33 MP. « Sur la disposition des planètes », 1858, p. 47. Une note du rédacteur du recueil souligne l'intérêt de la communication : « Nous nous empressons d'insérer cette lettre, en remerciant l'auteur. Nos lecteurs apprécieront sans peine la nouveauté et l'importance de la communication qu'il veut bien nous faire. »
34 MP. 1838, p. 306.
35 MP. « Sur la constitution physique de la lune », 1855, p. 317.
36 Camille Flammarion, Les Merveilles célestes, Hachette, 1864.
37 MP. « Idée familière du système solaire », 1834, p. 266-267.
38 MP. « Sur une récréation astronomique d'un nouveau genre », 1846, p. 354-355.
39 MP. « Étude du ciel », 1835. p. 188.
40 MP. « Phénomènes astronomiques de l’année 1849 », 1849, p. 59-62.
41 MP. « Cartes célestes », 1863. p. 18. Déjà, en 1858, p. 310, le recueil affirmait que les cartes sont aussi utiles à l’astronome qu’au géographe : « En général, les cartes célestes n’ont pas été appréciées à leur vraie importance dans l’astronomie élémentaire que j’appelle astronomie descriptive. Connaître le ciel sans leur secours, c'est comme si on voulait faire de la géographie sans les atlas qui représentent les diverses parties de la surface terrestre : aussi nous avons en préparation un ensemble de cartes célestes qui, entre les mains de tout élève ou de tout instituteur, leur fera connaître le ciel étoilé, et qui serviront ensuite à indiquer la place du Soleil et des astres mobiles au milieu du ciel. »
42 MP. « Le télescope entre les mains d'un amateur », 1854, p. 191-192 et 222-223.
43 MP. « Un observatoire astronomique d’amateur », 1857, p. 139-141.
44 MP. « Salle des observations astronomiques, à l’Observatoire de Paris », 1849, p. 61.
« Le ciel occidental de Paris, le 17 lévrier 1868 », 1868, p. 301.
45 MP. « Observatoires d'amateurs. – Vues intérieures », 1857, p. 140 et 3 figures, 1858, p. 312 ; « Télescope ; lunette terrestre et céleste », 1854, p. 192.
46 MP. 1835, p. 10.
47 MP. 1855, p. 104 et 1857, p. 392.
48 MP. « Frontispice de la Pluralité des mondes », gravé par Bernard Picard pour l'édition de Hollande, 1756, 1844, p. 177.
49 MP. 1853, p. 344.
50 MP. 1855, p. 179.
51 MP. 1863, p. 359-360.
52 MP. 1867, p. 19-20.
53 MP. 1865, p. 158.
54 MP. « Comète de Halley, qui paraîtra en 1835 », 1835, p. 88, el « Comète de 1843 », 1843, p. 163-165.
55 MP. « Passage de Mercure sur le disque du soleil », 1864, p. 208.
56 MP. 1861. p. 379-380.
57 MP. 1863, p. 130.
58 MP. « Résultats des observations de l’éclipse totale de soleil de l’année dernière », 1869, p. 206-208 et 267-268.
59 MP. 1848, p. 370-371 et 381-383.
60 MP. « Artisans et paysans astronomes par vocation », 1852, p. 225-226, 254-256, 308-310. Le personnage de l’autodidacte est issu d'une longue tradition : dans les almanachs et les livres populaires, il incarne dès le xviiie siècle l’homme exemplaire qui, grâce à son courage et à son intelligence, réussit à devenir, non pas un notable, mais un clerc. Les vertus de l’instruction (acquise en dehors des normes) ne conduisent pas à l'élévation sociale, mais à une vie monacale, presque entièrement dévouée au savoir.
61 MP. 1854. p. 225-227, 261-263, 338-340 ; 1855, p. 254-255, 314-315, 378-380 et 386-387.
62 MP. « Laplace », 1844, p. 266.
63 MP. 1863, p. 138-139, 146-148, 158-159 et 166-168.
64 MP. 1865, p. 310-312, 335-336, 374-376, 387-388 ; 1866, p. 38-39,94-96, 123-124, 187-188, 214-215, 222-223, 247-248, 274-276.
65 MP. 1865, p. 335, 336, 375 et 376.
66 MP. 1870, 154-156 et 173-174. Une note précise que « ces Entretiens de l’illustre Sir Humphrey Davy viennent d’être traduits par M. Camille Flammarion et publiés sous le titre Derniers jours d'un philosophe », chez Didier, à Paris, en 1870.
67 Archives Hachette, t. II, f° 322.
68 Dans son ouvrage justement intitulé La Science pour tous (1850-1914), Bruno Béguet sous-titre le chapitre consacré aux revues de vulgarisation, p. 81-83, « Plaire à tous, être compris de tous ».
69 MP, « Préface », 1833.
70 Voir M.-L. Aurenche, op. cit., chap. v.
71 MP, 1846, p. 406-407. Et le savant philosophe ajoute plus généralement que la connaissance du ciel permet à l'homme de « marquer sa place dans l’univers en lui montrant la place de la terre dans le ciel, [de] l'arracher à ce globe où il semble attaché en le mettant en rapport avec les autres mondes, [de] l’installer dans l'infini ».
72 Voir M.-L. Aurenche. op. cit., chap. ix.
73 Dans « L’astronomie pour tous. Analyse d'une constellation éditoriale », p. 74-75, article publié dans Anne Rasmussen et Bernadette Bensaude-Vincent éds, La Science populaire dans la presse et l'édition, 19e-20e siècles, CNRS Histoire, 1997, Yves Jeannneret considère, lui aussi, qu'à l’époque d'Arago (avant 1850), les lecteurs connaissent mal l’astronomie et qu'en 1860, leur science a progressé.
Auteur
Professeur agrégée à l'université Lyon 2, membre du LIRE. Spécialité : la presse illustrée populaire au xixe siècle. A publié Édouard Charton et l’invention du Magasin pittoresque (1833-1870), Paris, Champion, 2002. Travaille à la publication de la correspondance générale de Charton.
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Biographie & Politique
Vie publique, vie privée, de l'Ancien Régime à la Restauration
Olivier Ferret et Anne-Marie Mercier-Faivre (dir.)
2014