Sciences naturelles et médecine dans La Sorcière de Michelet
p. 203-224
Texte intégral
1Plus encore peut-être que les œuvres non-historiques de Michelet (L'Oiseau, L'Insecte, La Mer...), où l’écriture littéraire borne à peu près ses prétentions à interpréter en termes de valeurs les êtres et les cléments naturels dont s’occupent d'ordinaire les naturalistes, La Sorcière (1 862) s’attache à instituer un rapport de la littérature au savoir scientifique – dès lors, bien sûr, qu’on entend le mot de littérature au sens large, comme incluant l’histoire et même l’ensemble des démarches de connaissance à présent rationalisées et institutionnalisées par et dans les sciences humaines et sociales. Mais le moins qu’on puisse dire est qu’elle le pose dans des termes d’une certaine complexité.
2À travers la biographie imaginaire d’un personnage-type de plusieurs siècles, puis par l’évocation d’actes judiciaires, l’historien en effet entreprend non seulement de restituer à grands traits l’histoire de la médecine depuis le Moyen Âge jusqu’à l’aube des Lumières, mais aussi et surtout de révéler aux gens de science le principe moteur de leur activité, de leur faire, littéralement, une leçon d’histoire. Ce faisant, il affirme la capacité hégémonique de la « science nouvelle » (i. e. l’histoire, selon le mot de Vico par lui repris et claironné) à maîtriser l'évolution des autres domaines du savoir, y compris les sciences naturelles.
3De surcroît, sous le Second Empire, une pareille réhabilitation des sorcières, en pleine période d’essor du positivisme, d’un côté, et de culte marial, de l’autre, constitue le plus ambigu des paradoxes, la pire des provocations. Michelet aurait-il voulu se mettre à dos à la lois les libres penseurs et les bien-pensants, qu’il ne s’y serait pas pris autrement. Ce fut d’ailleurs le résultat. Transformer les filles du diable en martyres de la science et, à l’inverse, ériger les plus sombres représentantes de l'état théologique (pour reprendre la terminologie de Comte) en modèle pour l’état scientifique à venir, c'est, d'un même mouvement, défier l'Église catholique et romaine ainsi que son bras temporel : l’Empire, et prendre en bloc à rebrousse-poil bon nombre de leurs opposants communs : savants et intellectuels positifs, libéraux, républicains et socialistes.
4Manœuvre rhétorique qui renvoie à l’adversaire l’accusation dont il vous accable, recherche du scandale qui attire l’attention d’un public saturé, procédé de brouillage typique de l’esprit littéraire qui attend davantage du mélange que de l’analyse, autant de sortilèges qui entrent dans la recette et contre lesquels il convient de se prémunir.
5Il n’empêche, une évidence a été oubliée : La Sorcière traite bel et bien des sciences et de la science. Elle n’est pas qu’une protestation sociale romantique, ne parle pas seulement de la femme et en faveur de la femme, ne se réduit pas à une intuition géniale de « la sociologie historique, de l’ethnologie et de la psychologie sociale1 ». Qu’on veuille bien relire l’introduction de Michelet. Le sujet, écrit-il sans équivoque, c'est le « simple et touchant commencement des religions et des sciences ». Pour lui, la sorcière n’est autre que « la prêtresse de la nature », « l'unique médecin du peuple ». Comprendre les origines des sciences naturelles, le processus historique d'autonomisation et de laïcisation des savoirs, la fondation par évolution et le fondement en raison de l’esprit scientifique moderne, tout en levant des préjugés ancestraux et en démystifiant les apparences de surnaturel pour récupérer un patrimoine de connaissances moins occultes qu’occultées, voilà bien l’un des centres d’intérêt du livre, qui ne s’intitule ni Le Banquet (1854) ni La Femme (1859), mais prend place dans l’architecture de l’œuvre après le propos socialiste comme après le propos féministe.
6Je propose donc l’expérience de lire La Sorcière comme un essai d’épistémologie et d’histoire des sciences, de lui demander quelle histoire des sciences Michelet entend fonder sur elle, mais aussi de quel sens il veut par elle charger la science dans l’Histoire et dans son histoire, dans sa vision d’historien et dans son projet d’écrivain.
7Il importe, en bonne méthode, de chercher à savoir ce que sait Michelet. À défaut de pouvoir ici reconstituer l’ensemble de sa culture et de sa bibliothèque scientifiques, il faut au moins faire un relevé de ce que ce texte-ci avoue ou exhibe en matière de savoir scientifique. En restreignant ainsi l'objectif au fonctionnement interne du texte de La Sorcière, on peut établir, parmi les références avouées, celles dont il se sert véritablement et de quelle manière il en fait œuvre.
8Ce n’est pas innocemment que Michelet, en indiquant et en listant in fine « ses sources principales2 », concentre l’attention de son lecteur sur sa bibliographie d’histoire et, dans une moindre mesure, d’histoire des sciences. Ce faisant, il situe la source de la vérité, du moins de celle qui l’intéresse, du côté de l’Histoire, bien plus que de celui de la Nature. Ou plutôt il la désigne dans l’histoire des historiens, soit dans l’existence des documents écrits d’époque et dans l’autorité de l'historiographie. Le même geste qui soumet les preuves historiques à la critique historique écarte a priori de l’examen le savoir que l’historien emprunte aux sciences contemporaines de la nature, comme si ce savoir-là n’entrait pas en jeu dans l’argumentation, n’avait pas à être discuté, ne conditionnait pas la validité du discours historique sur sa propre histoire. Au demeurant, l’« avis de la seconde édition », lequel, en réaction orgueilleuse à un tollé notoire, déclare ce livre-ci « le plus inattaquable » de tous ceux de l’auteur, s’en tient plus strictement encore à la preuve par les archives et par l’autorité des philologues3.
9Mais au Livre premier, consacré à la genèse, médiévale, du phénomène des sorcières, trois notes infrapaginales consécutives, qu’on dirait concentrées à dessein, font néanmoins comparaître le savoir scientifique et lui décernent une autorité d’autant plus forte qu’elle s’exprime en un lieu frontalier du texte, dans une sorte d’intérieur-extérieur. En l’espace de quelques pages et afin d’imaginer et de valider à titre posthume la pharmacopée des sorcières médiévales, le chapitre « Satan médecin » renvoie à plusieurs articles du dictionnaire d’histoire naturelle dirigé par Charles d’Orbigny, aux travaux de botanique du docteur Félix Pouchet et, plus accessoirement, à telle planche anatomique du cours d'Auzoux4 sur le sein. Par la suite, au Livre deuxième, consacré, lui, à la « décadence » du phénomène, à sa perversion et à sa destruction par l’Église, l’autorité de Pouchet, à nouveau invoquée dans une note de bas de page, se trouve renforcée par celle du dictionnaire de médecine de Nysten, dans son édition remaniée la plus récente, celle de Littré et Robin, avec le poids de positivisme que connote le nom de Littré5. Enfin, parmi les « Notes et éclaircissements » de fin de volume, où Michelet se commente, se justifie, rouvre les fenêtres fermées par l’enchaînement serré du récit, la note qui revient sur le chapitre « Satan médecin » mentionne le traité d’embryogénie de Coste6. Sans doute les pratiques littéraires et savantes de l’annotation et de la bibliographie n’étaient-elles pas aussi codifiées dans les années 1860 qu’elles le sont devenues par la suite7. Mais en tout état de cause, Michelet manifeste ainsi un souci assez singulier d’introduire des références allogènes dans le domaine propre de l'histoire tout en maintenant ses distances disciplinaires par leur rejet aux marges, au bas, en fin, parmi les appendices à fonction défensive donnés en quelque sorte par-dessus le marché.
10Or, à se reporter attentivement à cet intertexte autorisé, comme le texte y invite si on le prend au mot contrairement à l’usage paresseux qui s’est plus ou moins institué de le croire sur parole, il apparaît que loin d’être de pieux ornements, des précautions contre la critique ou une exhibition pédante, ces notes expriment un rapport familier, usuel, de Michelet aux livres mentionnés, leur font une sorte de publicité et engageraient presque le lecteur à les avoir lui aussi à portée de main, pour pouvoir à tout moment refaire, après l'écrivain et en sens inverse, le chemin de la genèse de l’œuvre. À supposer que Michelet n’ait pas, pour La Sorcière, fait les frais de nouvelles recherches historiques et se soit contenté, comme le conjecture Lucien Refort, d’exploiter d’anciennes notes8, force est de constater que son effort d’enquête, son souci de renouvellement, ont porté notamment sur son information scientifique. Son inspiration, pour le prendre et le dire autrement, s’est, cette fois, nourrie non d’archives, mais de sources naturalistes.
11Cette observation générale ne s’appuie pas sur la consultation du dictionnaire médical de Nysten, dont « l’article Datura », expressément mentionné9, est pour le moins lapidaire (trois petites lignes), même si on lit à sa suite immédiate l’article « Daturine », à peine plus développé (le double), qui tente de préciser la composition de l’alcaloïde de cette plante.
12Le dictionnaire de d’Orbigny a fait plus d’usage. Sans doute l’article « Molène », dont les notes de La Sorcière s’abstiennent de faire état, commence-t-il par mettre en doute l’appartenance de ce sous-groupe à la famille des Solanées, alors même que le roman de cet apparentement revêt pour Michelet une valeur liée à la racine latine du mot savant, qui lui en fait inventer une belle traduction vernaculaire : « les Consolantes10 ». Peut-être l’imagination de l’historien a-t-elle été frappée par les indications de la hauteur de tige (un à deux mètres), de la pilosité surabondante et de la couleur «jaunâtre ou blanchâtre » du « bouillon-blanc », une variété commune et européenne de molènes signalée par le texte : une partie de ces traits se retrouve, par fantaisie semble-t-il, dans la description qu’il donne de sa cousine, la jusquiame, « une vilaine herbe », par lui présentée comme étant « d'un jaune pâle de malade », avec une « tige [...] velue comme un homme », couverte « de longs poils noirs et collants11 ». Empruntés à la vox populi et ironiquement assumés par le narrateur dans une ambiguïté qu’on hésite à qualifier de savante ou d’artiste, l’épithète négative (« vilaine »), le génitif caractérisant (« de malade ») et la comparaison (« comme un homme »), ne figurent évidemment pas dans le texte scientifique.
13Le plus instructif est cependant l’article « Morelle », auquel La Sorcière renvoie explicitement au moment même où le sujet des Solanées en général va être abordé12. Duchartre, le signataire, est en effet le seul, avant Michelet, à faire état de l'étymologie du mot créé par Jussieu, dans une intention, paraît-il, de réhabilitation, en lieu et place de la sinistre appellation générique précédemment imposée par Linné de Luvidae ou Livides : « Solanum (de Solari, consoler, a-t-on dit, à cause des propriétés narcotiques de diverses espèces) ». Le même est aussi le seul à employer le mot d’« énergie », suivi en cela aussi par Michelet, qui, on le sait, n’aime rien tant que l’énergie, et qui réinvente toute la classification des Solanées à partir de ce critère, non sans inverser l’ordre de Duchartre – lequel terminait, lui, par les aubergines (prises, précisément, par Michelet pour point de départ). Mais le scientifique se soucie peu de la légende noire de la famille. Il en met en vedette la bonne fée, la pomme de terre, par laquelle il débute et sur laquelle il s’étend à plaisir. Puis, comme s’il voulait dédiaboliser la morelle noire, Duchartre fait observer que « les usages de cette plante sont limités à cause de son peu d’énergie », à telle enseigne qu’« on l’emploie, écrit-il, comme narcotique léger, comme sédatif, surtout en cataplasme ». Michelet, au contraire, se garde d’évoquer Parmentier et renvoie en enfer la morelle noire. Cela ne l’empêche pas de continuer à suivre Duchartre de prés. De même que l’article du dictionnaire passe sans transition des morelles noires à la douce-amère (ou Vigne de Judée, ou Vigne Vierge), de même Michelet saute-t-il directement de celle-ci à celle-là, mais dans l’ordre inverse – l’ordre terrifiant d’une énergie croissante, qui masque sous une apparence de classification scientifique la réalité d’une gradation rhétorique. L’hommage rendu à Duchartre par la note salue la structure simple d’un exposé qu’il a suffi de réécrire à rebours (mode satanique par excellence, insiste par ailleurs le texte13) et d’interpréter à contresens, de retourner en somme, d’infernale manière, pour obtenir une composition dramatique allant crescendo aux pires sorcelleries.
14Mais c’est en vérité une hypothèse de l'essai de Ferdinand Denis sur « les sciences occultes » au Moyen Âge, et le sort, mi-scientifique mi-littéraire, opportunément fait par Pouchet à ce que Michelet nomme du coup la « grande famille », « immense et populaire »,des Solanées, qui ont dû le déterminer à construire son interprétation sur le postulat que les sorcières y recouraient « beaucoup » pour soigner autrui14.
15Comme il va de soi que ces dernières ne pouvaient au Moyen Âge connaître par anticipation la classification de Linné ni l’appellation de Jussieu, on peut estimer que Michelet bluffe lorsqu’il assure, avec un pluriel de majesté qui suggère la compromission unanime de la corporation historienne, que l’emploi des Solanées est « ce que nous savons le mieux de leur médecine15 ». Sans doute Pouchet donne-t-il à l’égard de ses plantes favorites l’exemple d’une démarche de réhabilitation, déclarant ainsi que l’on a « calomni[éj ces précieux végétaux, qui rivalisent presque en bienfaits avec les céréales et offrent à la médecine les plus héroïques médicaments16 ». Aussi en bonne rhétorique, choisit-il d’ailleurs, dans l’introduction de son premier ouvrage, comme le fera Michelet, de mentionner en tête de liste les Solanées potagères (pomme de terre, tomate, aubergine, piment...) avant les médicamenteuses17. Mais le corps de son exposé obéit, lui, à la logique classificatoire des sciences naturelles. Et le savant rouennais se garde bien d’associer à la sorcellerie une quelconque Solanée. La mandragore, indique-t-il par exemple, était employée comme narcotique par Hippocrate, Galien et Avicennes, dont « les thérapeutistes de nos jours » continuent à suivre les recommandations. Si elle entrait dans la composition des philtres de Circé, elle servait aussi, note encore Pouchet, à « épouvant[er] les sorciers et conjur[er] leurs maléfices18 ». Autant dire qu’elle était au contraire plutôt un antidote contre les sorciers. Quant à la belladone, dont Michelet, à la suite de Pouchet, fait autant de cas que de la mandragore, ce dernier signale bien qu’elle est « une des plantes les plus vénéneuses de la famille des Solanées », mais, s’il insiste – ce que répercute Michelet, noms des mêmes expérimentateurs à l’appui – sur son usage moderne en obstétrique19, il omet, intentionnellement ou non, d’évoquer à son propos des pratiques condamnables. Tout au plus met-il en garde contre son ingestion. Le tableau, ou plutôt le portrait romantique qu’il en brosse, est en revanche fait pour exciter l'imagination et susciter une émulation littéraire :
C’est particulièrement dans les lieux déserts, au milieu des décombres abandonnés, qu’on rencontre ses hautes tiges herbacées, portant des fleurs pendantes et solitaires d’un rouge sombre et ferrugineux, auxquelles succèdent bientôt des baies noires et luisantes, que ces solitudes ne dérobent pas assez à l’homme ; car ces fruits ayant une ressemblance malheureuse et trop funeste avec certaines cerises, leur jus vermeil et leur goût douçâtre et sucré ont souvent engagé le pâtre altéré, ou l’enfant trop avide, à se saisir, comme d’un mets succulent, de ces baies gonflées de poisons terribles20.
16L’examen du détail des notices de Pouchet achève de prouver qu’il a fait rêver à Michelet ces scènes de consultation où une « jolie fille » vient confier à la sorcière ses disgrâces cutanées, bientôt suivie d’une femme souffrant d’un engorgement du sein. Si la première est traitée par la douce-amère et la seconde par la morelle noire avant que ne soit essayée la jusquiame, c’est bien grâce au Traité élémentaire de botanique appliquée de 1829, et non pas du fait du déchiffrement de grimoires qu’aurait retrouvés l'historien. Pouchet en effet mentionne l’emploi sédatif ancien de la douce-amère contre « les dartres vives et rongeantes », mais aussi contre « les engorgemens des mamelles », dès le xve siècle et « encore dans nos campagnes méridionales, où les paysans lui prêtent de grandes vertus21 ». De même ne doit-on pas croire arrachée par l’historien à la poussière des archives l’anecdote du bourreau d’Aix et de sa femme drogués à la pomme épineuse et dansant tout nus toute une nuit dans un cimetière : mieux vaut se reporter à l’article Datant, qui décrit le délire produit par « l'Herbe aux sorciers ». Mais on serait tenté de le croire, car Michelet, dans la note même où il renvoie à sa source, a la malice de ne pas préciser que cette information d'ordre historique provient de sa lecture scientifique22.
17Au-delà même d’informations historiques et scientifiques factuelles, c’est bien davantage des commentaires métascientifiques et paradoxaux de Pouchet que Michelet fait son miel. Le naturaliste, qu’il n’a pas seulement lu, mais visité en ses laboratoires, et avec qui il a eu de longues conversations23, explique en effet que le fin du fin de son savoir le conduit à « n’admettre les généralités de la science qu’avec la plus scrupuleuse réserve, et plutôt comme d’ingénieuses hypothèses que comme des bases rigoureuses ». Selon lui, beaucoup de ses collègues ont tendance à prendre leurs classifications pour des absolus, alors qu’elles seraient des représentations humaines très imparfaites de réalités autrement plus subtiles :
Les naturalistes rassemblent et groupent les êtres de l’univers par leurs similitudes et leurs caractères analogues, pour en tirer des corollaires généraux d’organisation et de propriétés. Mais la nature, souvent lente et graduée dans ses transitions, dont toutes les phases se succèdent et s’enchaînent avec la plus grande harmonie, se trouve aussi quelquefois brusque et rapide dans ses divers changemens.
18De là viendrait que « les esprits se sont un peu égarés sur les plantes Solanées » en leur attribuant à toutes les « propriétés vraiment délétères » de quelques-unes et en ne « balanç[ant] point à signaler tout leur groupe comme dangereux et malfaisant ». Et d’appeler à prendre le contre-pied des croyances fondées sur les « apparences » :
Souvenons-nous que si la nature souffre quelquefois le mal dans ses ouvrages, elle sait aussitôt l'utiliser, et qu’elle nous découvre souvent un bienfait caché sous les plus nuisibles apparences. Tel est, en effet, le sort des Solanées, dont les plus terribles deviennent les plus efficaces dans l’art de guérir, et qui voient souvent leurs homicides poisons transformés en médicamens bienfaiteurs de l’humanité24.
19Semblable posture d’hérétique consacré de sa discipline n’était pas faite pour déplaire à un professeur d’histoire dont la séduction ne tenait pas seulement à l’ampleur de ses connaissances, mais bien à une originalité d'interprétation cultivée et revendiquée. La thèse par antithèses de Pouchet est en tout cas exactement la thèse adoptée par Michelet, à ceci près qu’il la lie et l’adapte à la cause des sorcières.
20Mais la thèse du Michelet de La Sorcière n’est pas la thèse du Michelet de l'Histoire de France. Dans le grand œuvre en effet, au tome VII, consacré à la Renaissance et paru en 1855, « le Moyen Âge scientifique », loin d’être l’affaire des sorcières ou même des sorciers, est porté au compte des « ennemis » de la chrétienté, soit « les Arabes et les Juifs ». En dehors des traditions juives et arabes, maintenues par les « médecins juifs » de papes par ailleurs foncièrement obscurantistes, le Moyen Âge occidental serait « pis que le néant [... ] une honteuse reculade ». En son sein, la sorcellerie aurait encore « épaissi |l]es fantastiques ténèbres » de l’alchimie. Sauf les « sanctuaires de la science » préservés à Salerne et à Montpellier, l'Orient musulman aurait alors été le seul lieu du progrès médical (« la distillation, les sirops, les onguents, les premiers instruments de chirurgie, l’idée de la lithotritie »). Quant à la Renaissance, sa capacité à « quitter l’ancienne médecine, grecque et arabe » pour traiter des maux nouvellement apparus et tous plus ou moins liés à l'« abus des plaisirs » (surtout, bien sûr, la syphilis) se serait développée à partir de la médecine de cour, en raison même de l’état de maladie de François Ier et de Charles-Quint. À la charnière des deux époques, les seuls vrais producteurs de science auraient bien été la poignée de mathématiciens, chimistes et astronomes qui passent pour des « sorciers », mais la masse bien plus nombreuse des femmes réduites à la marginalité par une fécondité incontrôlable, et en particulier les avorteuses, ne se voient créditées d'aucun savoir spécifique. Si la figure générique de « la sorcière », au singulier, fait son apparition textuelle, la critique du fameux Marteau des sorcières de Sprenger ne va pas jusqu’à lui supposer une quelconque positivité. A Rabelais, le dénonciateur de l’« Antiphysis » catholique, reviendrait exclusivement le mérite d’avoir pris la défense de « la nature25 ».
21Les éléments de bibliographie d'histoire des sciences fournis à la fin de La Sorcière rendent en partie compte de l’évolution accomplie entre 1855 et 1862.
22Outre l'attestation qu’ils constituent de la naissance d’une sous-discipline de l’histoire et d'un créneau du marché de la librairie mal connu (car caché sous la production vulgarisatrice ultérieure), les livres mentionnés par Michelet ont ouvert un débat visant à rien moins qu’à une réintégration dans le mouvement scientifique des religions officielles et des parareligions, autrement dit de la magie.
23Cette perspective inaugurée sous la Révolution en l'an III par l’ouvrage fondamental de Charles-François Dupuis, Origine de tous les cultes, ou Religion universelle avait été rappelée au début des années 1840 par le républicain Eusèbe Salverte, dans un essai sur « les sciences occultes » qui avait retenu l’attention de son camp politique, notamment d’Arago et de Littré. L'auteur ravivait l’argument subversif de Dupuis, selon lequel les prétendus prodiges ou miracles des religions auraient initialement été des manipulations mises au point par les sciences et les techniques laïques, puis habilement accaparées par les clercs successifs des religions successives qui, pour asseoir leur propre pouvoir en se réservant le monopole du savoir, les auraient présentées comme des manifestations surnaturelles tout en s’en transmettant le secret. C'est Salverte, semble-t-il, qui répand l'explication des récits d'envols de sorcière par un délire artificiel des intéressées sous l’effet d’un onguent à base de Solanées26. Mais c’est le principal de ses émules de l’époque, Alfred Maury, qui a conféré les lettres de noblesse de la science des religions aux hypothèses des historiens relatives aux sciences. Celui-ci avait été l’élève de Guigniaut – l'adaptateur en France du livre de Creuzer sur les Religions de l'Antiquité –, et il s’était d’abord fait connaître en réhabilitant les fées comme étant à l'origine les déesses et les prêtresses de l’antique religion gauloise, que le christianisme triomphant aurait peu à peu réduites au statut de sorcières. Le coup d’État de 1851 en avait fait le successeur de Michelet, destitué, au Collège de France. Dans un autre essai, paru en 1860, où le christianisme avait, on le devine aisément en songeant à la conjoncture bonapartiste, un meilleur rôle face, cette fois, aux « superstitions païennes » de l’Antiquité gréco-romaine, le même philologue avait révisé et étendu son schéma à l’ensemble du phénomène de la magie en supposant que c’était là, à toutes les époques, un phénomène résiduel des religions vaincues et des savoirs dont elles avaient été les porteuses au plus fort de leur pouvoir27. De même Michelet pose-t-il pour commencer, en escamotant lui aussi l’étape gauloise, qu’« une religion forte et vivace, comme fut le paganisme grec, commence par la sibylle, finit par la sorcière28 ».
24Il revient cependant à Pouchet encore, probablement, d’avoir, plus que quiconque, confirmé Michelet dans sa conviction d'un cheminement du progrès scientifique au temps de l’alchimie et des sorcières. Publiée en 1853, son Histoire des sciences naturelles au Moyen Âge ou Albert le Grand et son époque considérés comme point de départ de l'école expérimentale ose lever l’opprobre qui pèse sur la science médiévale et ces barrières quasi sacrées qui, aux yeux des Lumières aussi bien que de l’Église, séparent la science de ses contraires, la magie et la superstition. C’est ainsi que, contre la réputation bien établie de « symbole des sortilèges et des maléfices » qui s’est attachée à Albert le Grand, il veut voir en lui une sorte d’encyclopédiste du xiiie siècle, un précurseur de la classification des espèces, de la botanique moderne, mais aussi de la physiognomonie de Gall – bref, un champion de « la philosophie naturelle ». De même, souligne-t-il, Paracelse, malgré ses prétentions à l’alchimie et sa fascination pour l’astrologie, fut celui qui, au xvie siècle, révolutionna la thérapeutique en renversant la théorie des humeurs, la polypharmacie arabe, et en introduisant l’usage du mercure et de l’opium29. Michelet décrit la même révolution scientifique dans sa Renaissance et apporte un peu plus tard sa contribution à la réhabilitation de Paracelse30.
25Il n’empêche. Lorsque, dans La Sorcière, il confesse à son tour, de manière répétitive et par conséquent emblématisante, son admiration pour « le grand médecin de la Renaissance », sa plume mord le trait bien au-delà de celle de Pouchet : Paracelse, écrit-il, « à Bâle, en 1527, brûla toute la médecine, il déclara ne savoir rien que ce qu'il apprit des sorcières31 ». Difficile d’être plus violent contre la science institutionnelle, même rétrospectivement. Difficile aussi, de relégitimer davantage, rétrospectivement aussi, la science extra-institutionnelle des sorcières, « loin de l’École et des lettrés ». La rupture se situe en ceci que l'historien, à la différence de tous ses contemporains, conjecture l’existence d’un savoir spontané et neuf des sorcières, admet sans réserves et leur impute exclusivement l’initiative des « mauvaises sciences, [de] la pharmacie défendue des Poisons, et [de] l’exécrable anatomie ». Quoiqu'il fût selon lui à leurs côtés, ce n’est pas Paracelse, mais bien elles, en première instance, qui, malgré l’interdiction d’étudier faite aux femmes et aux laïcs, auraient su transformer en un savoir l’empirisme vétérinaire du berger et les procédés chirurgicaux du bourreau32. C’est aux sorcières, assure Michelet, que revient le mérite d’avoir opéré « la grande révolution [...] contre l’esprit du moyen âge », soit « ce qu’on pourrait appeler la réhabilitation du ventre et des fonctions digestives33 ».
26À ce degré de systématicité, l’apologie des sorcières ne saurait être motivée que par l'idéologie. De fait, en l’absence d’une philosophie des sciences avouée par les intéressées et consignée par leurs questionneurs, Michelet torture les témoignages pour faire dire aux sorcières ce qu’elles ne disaient pas et qu’il veut qu’elles disent : la prétendue réhabilitation de ce que Bakhtine, dans ses analyses de la culture populaire carnavalesque, aurait quant à lui nommé le bas, en général. Non content de leur prêter un aphorisme sibyllin inventé de toutes pièces, il élève même leur parole reconstituée au statut ambigu, mi-religieux et mi-professoral, mi-médiéval et mi-contemporain, de propos professé :
Elles professèrent hardiment : « Rien d’impur et rien d'immonde ». L’étude de la matière fut dès lors illimitée, affranchie. La médecine fut possible34.
27Ainsi donc les filles de Satan seraient-elles à l’origine du principal postulat de la philosophie matérialiste, au sens le plus populaire, pour ne pas dire le plus vulgaire du mot, celui-là même qui, dans une démarche quasi criticiste, constituerait la condition de possibilité sine qua non de la médecine scientifique. Par le miracle du discours indirect libre, leur parole se glisse même dans le propre discours du narrateur et l’habite, le hante, au point qu’il faudrait un exorciste pour déterminer si c’est à Michelet ou à ses héroïnes par lui ressuscitées que revient la responsabilité de la synthèse résolvant le vieux débat des membres et de l’estomac, du maître et de l’esclave :
Si le ventre est le serviteur du cerveau et le nourrit, le cerveau, aidant sans cesse à lui préparer le sucre de digestion, ne travaille pas moins pour lui.
28Or c’est ici môme, par un appel de note accolé au mot « digestion », qu'une note étrangement tournée rétablit les droits de Claude Bernard tout en sous-entendant que les sorcières, déjà, pensaient de même et lui avaient préparé le terrain, ne serait-ce qu’en se sacrifiant pour assumer les premières les « injures » promises à quiconque, dans la civilisation judéo-chrétienne, réclame en faveur de « la nature » : « C’est la découverte qui immortalise Claude Bernard35. »
29Ainsi énoncée dans le fil du propos conjoint de l’historien et de ses sujets féminins, puis, dans un second temps seulement, réattribuée en bas de page à son véritable auteur, une assertion scientifique qui aurait pu et dû apparaître comme une citation entre guillemets, est présentée comme la confirmation d’une prescience au mérite de laquelle auraient légitimement part l'intellectuel collectif des sorcières et leur exégète autorisé. Bien plus, dans un contexte où le narrateur s’abstient de dresser un discours explicitement anticlérical contre le discours clérical qu’il rapporte et discrédite de l’intérieur, la note, en accordant la qualité d'immortel au savant vivant qui est évoqué, entretient l’équivoque entre les plans religieux et laïque, entre l’immortalité métaphorique et lexicale dévolue aux hommes reçus à l’Académie, et celle qui fait l’objet d’une foi. La mention en note de Claude Bernard l’inscrit dans la lignée de ses prétendues devancières et le solidarise avec elles. D’une certaine manière, elle modernise les sorcières et transporte rétrospectivement le savant au temps des bûchers, tout en esquivant les reproches d’exagération et d’irrationalité que n’aurait pas manqué de soulever une mention dans le corps du texte.
30En fin de compte, Michelet renverse et dépasse le schéma rationaliste de ses contemporains qui fait du savoir de la sorcière le reliquat dégradé du savoir du prêtre des religions finissantes ou finies, et par conséquent de la sorcière elle-même une prêtresse déchue. L’hypothèse omniprésente de son propos, qu’explicitait d’entrée de jeu l’introduction et que réalise textuellement le texte, c’est qu’elle est au contraire la prophétesse d'une nouvelle science, autrement dit la possible prêtresse d’une nouvelle religion : vue à « l’aube anticipée du jour », rétroprojetée sur l’écran du futur, elle s'avère être « la prêtresse de la Nature », celle dont « le prêtre » (i. e. le prêtre catholique) redoute le triomphe36.
31Contrairement à ce qu’on pourrait croire, cette opération idéologique qui relance l'histoire des religions, loin d'être une utopie à ce point en avant du réel qu’elle en serait détachée, prend appui sur des théories et des pratiques scientifiques et thérapeutiques dûment attestées et calcule ses chances en spéculant sur une dynamique sociale. C’est bien pourquoi d’ailleurs l'excipit diabolise le présent autant que le passé a précédemment été dédiabolisé. Écrites sur le mode poétique et empreintes d’un optimisme lyrique, ces dernières pages ont en vérité la fonction argumentative non seulement de prouver le futur, « l’avenir de la science » plus tard prophétisé par Renan, mais de prouver rétrospectivement le passé : de traduire la laïcité du présent en termes religieux. Une bibliothèque médicale contemporaine y prend l’aspect d'un « grimoire » du Diable, la mise au point par Jackson de l’anesthésie générale à l'éther sulfurique y apparaît comme une « diablerie » réalisant « l'insensibilité que cherchaient les sorcières », et les montgolfières y remplacent leurs balais pour les promenades dans les airs37. Réciproquement, le Moyen Âge est, le plus possible, rapproché du présent. L’anachronisme est double.
32C’est ainsi que Michelet qualifie les médications à base de Solanées des sorcières de « premier essai d’[une] homœopathie hardie, qui, peu à peu, s’éleva aux plus dangereux poisons ». De même reprend-il aussitôt en note ce mot d’« essai », au pluriel, le faisant glisser vers un sens expérimental et conjecturant, outre l’« échelle » déjà évoquée, toute une chronologie dans la maîtrise des toxiques, depuis « les plus faibles » plantes jusqu’aux « plus fortes », « peu à peu38 ». Voilà, pour peu qu’on entende ces sous-entendus, de quoi enfin justifier par la découverte d’un principe curatif l'affirmation de l’invention par les sorcières de la science médicale moderne.
33Qualifier d’homéopathie leur méthode consistant à utiliser, pour calmer des irritations cutanées, des plantes elles-mêmes irritantes au contact, c’est en effet, en clair, suggérer qu’elles ont tenu avant la lettre et sans concept le raisonnement du fondateur de cette médecine, l’Allemand Hahnemann : soigner le même par le même, le mal par le mal, en utilisant des doses infinitésimales. Les polémiques publiques des premiers homéopathes français avec leurs confrères fidèles à l’orthodoxie allopathique avaient été suffisamment retentissantes, au milieu des années 1830, pour que Michelet y ait prêté la plus grande attention, d’autant que la nouvelle doctrine médicale s’avançait auréolée des prestiges de la philosophie de Schelling de l'identité absolue, et portée par des médecins qui ne cachaient pas leur volonté de soigner en priorité le peuple et les femmes. Rejetant dos à dos le « matérialisme physiologique » de Broussais et le prétendu spiritualisme de ses adversaires, les militants de la révolution médicale entendaient bannir de la science cette controverse récurrente, convaincre l’Académie par des expériences contrôlées et obtenir de l’État l’autorisation de fonder des dispensaires et des hôpitaux. Dans ses consultations gratuites, Léon Simon, le principal propagateur de l’homéopathie en France, soignait surtout, paraît-il, des gales et des syphilis. Mais il employait aussi la belladone contre les cancers de l’utérus à titre palliatif, et estimait que la méthode d’Hahnemann était particulièrement indiquée contre les maladies épidémiques39.
34Ce dernier point, est-il besoin de le rappeler, est pareillement capital chez Michelet. Il est à la fois frappé par l'impuissance des médecins scolastiques s’agissant des grandes épidémies du Moyen Âge et de la Renaissance, et par l’étonnante résorption de ces dernières, inexplicable, selon lui, sans « un autre remède, dont on ne voulut pas parler » : outre la danse de Saint-Guy – une épilepsie contagieuse, croit-il –, « les maladies de la peau », telles la lèpre et les ulcérations, à l’origine, répète-t-il après Paracelse, de la syphilis, puis la syphilis elle-même, auraient eu pour panacée « l’immense emploi des Solanées, surtout de la belladone [...] le médicament qui combat ces affections40 ». De même les homéopathes soulignent-ils l’« immense » importance accordée par Hahnemann au phénomène de la gale, et l’un d’entre eux recommande-t-il la belladone pour les douleurs d’accouchement trop fortes et, en règle générale, pour les douleurs spasmodiques41. Il n’est bien sûr pas jusqu'à la défiance envers le conservatisme scientifique et social de la corporation médicale qui ne soit commune à Michelet et à l’hérésie homéopathique. Auteur, en 1851, d’un manuel intitulé Le Médecin du peuple et destiné à vulgariser les pratiques d'Hahnemann, le docteur Benoît Mure, qui a pris le relais de Simon, ne craint pas de déclarer qu’« à l’heure qu'il est, la lumière a déserté les sommités officielles », que « le peuple seul a le sentiment de l’avenir et l'intuition du vrai42 ». Ne dirait-on pas que Michelet a transporté au Moyen Âge une querelle de son temps ? que le contre-procès de La Sorcière contre la médecine du Moyen Âge, le plaidoyer au futur dans le passé pour une autre médecine, appellent, à mots couverts, les praticiens du xixe siècle à s’interroger sur la rationalité de leur raison, à la révolutionner ?
35Le peuple en place des doctes, le corps en place de l’esprit, la femme en place de l’homme. De recentrement en recentrement, Michelet en arrive à ce lieu que Courbet peint sans périphrase, l'origine du monde. Le « petit secret » extorqué aux femmes par la sorcière réside dans « ce ventre adoré, trois fois saint, d'où le dieu homme naît, renaît éternellement43 ». Les mystères des confidences entre femmes, discours de femmes sur les femmes, seule gynéco-logie des temps anciens, sont validés par la discrète référence à une synthèse magistrale de Coste, professeur d’anatomie comparée au Collège de France, l'Histoire générale et particulière du développement des corps organisés (1847). Convaincu que l’embryogénie saisit sur le vif la loi du progrès, ce scientifique voit dans sa discipline toute neuve « le terrain sur lequel la science et la philosophie viennent se confondre dans l’étroite union d'une indissoluble alliance ». C’est dans ce traité que Michelet trouve une confirmation à vrai dire marginale et mal démontrée de l’intuition médiévale selon laquelle la « semence vitale » perd sa « puissance formative » dès lors qu'elle perd sa chaleur44. Coste y rapporte en effet l’observation par ouï-dire d’un de ses collègues, à qui une patiente, accoutumée « par mesure de propreté et peut-être aussi par prudence » (sic) à « se faire une injection d’eau froide après chaque rapprochement des sexes », aurait révélé être tombée enceinte du jour même où, faute d’eau froide, elle s’était résolue à de l'eau tiède45. Doutant apparemment, avec un certain bon sens et une certaine connaissance de la contraception empirique traditionnelle, que l’embryogénie ait inventé l'eau froide, Michelet se sert néanmoins, à l’ancienne et non sans ruse perverse, de ce texte et de cette autorité scientifiques pour multiplier les allusions à sa pratique et doter les sorcières d’un savoir extra-médical, incluant ccs « maladies des femmes » identifiées, rappelle-t-il, par le sulfureux Paracelse46. Immoral s’il est employé par les hommes au sabbat pour assouvir sans conséquences leur lubricité sur la femme de leur prochain, le lavabo qui « glac[e] le plaisir » pour le rendre infécond est justifié lorsqu’il vient au secours de la femme médiévale, déflorée par son seigneur, violée par les gens du château, « accablée » en somme de grossesses non désirées – ce que démontrent à dessein et disposent à admettre les huit chapitres qui assurent la préparation rhétorique du chapitre « Satan médecin47 ».
36Relues sous l’angle et dans l’intérêt de l'histoire des sciences, les observations intimes du Journal qui ont tant choqué, sortent de la scatologie et du fétichisme voluptueux pour participer d’une réflexion, voire d’une pratique quotidienne, de caractère quasi scientifique, fondée sur l’observation et une authentique culture naturaliste en même temps, cela va sans dire, qu’étroitement liée à la vie privée et affective. Dans ces années, c’est, en quelque sorte, le carnet de laboratoire du couple Michelet. C’est ainsi que dans la période de rédaction de La Sorcière, on y voit Michelet prêter une sérieuse attention aux selles et aux règles de sa femme, et – pour autant que le caractère elliptique et crypté de ses notes le laisse comprendre – établir des relations à tout le moins de consécution et d’ordre symptomatique entre une constipation d’Athénaïs et la non-venue redoutée de ses règles : inquiet d’avoir été « imprudent », il fait venir un praticien des plus distingués, Béraud, le coauteur d’une Physiologie, « qui propose hydrothérapie ». Quelques jours après avoir été rassuré, il consigne l’achat de datura, sans préciser le mal à soigner, pensant peut-être apaiser l’une de ces irritations intestinales qu’il lui arrive d’imputer à la consommation « du mauvais café mêlé de chocolat48 », autrement dit, si l’on suit l'Histoire de France49, d’excitants de l'intellect et des sens. Plus tard encore, le même Béraud prescrit de la belladone contre un zona, non sans avoir vainement essayé au préalable des frictions avec « une peau de chat50 ». Nous mesurons par la même occasion la distance qui, du xxie siècle au xixe, pourrait nous faire juger plus mal que de raison la tentative de Michelet, usager d’une pharmacopée non moléculaire, à base de plantes, palliative plus que curative, de reconstituer, par voie d'archéologie textuelle, un hypothétique savoir empirique des sorcières, beaucoup plus proche, il n’est pas inutile de le rappeler, de l'état des connaissances de son temps que de celui du nôtre.
37En prenant et en assumant en effet le risque de sortir des voies de la raison aux yeux de ses contemporains eux-mêmes, il s'efforce de combler des solutions de continuité historiques insupportables. Celle notamment que met en évidence, délibérément, en violation des règles les plus élémentaires du pacte de lecture historien, la rupture de point de vue entre les deux livres de La Sorcière, la violente dissymétrie qui, à un récit empathique, suivant de l'intérieur la lutte émancipatrice de « la » sorcière, comme sujet collectif d’histoire des sciences, pour former un savoir médical féminin, oppose un récit sympathique, présentant de l'extérieur « les » sorcières dispersées, dépossédées des connaissances de leurs devancières, réduites au statut d’objets de plaisir et de torture, de boucs émissaires, pour de mauvais prêtres et une société frustrée. Du versant ascendant du texte à son versant de la « décadence51 », les Solanées passent ainsi d’un usage thérapeutique et émancipateur entre les mains des sorcières à l’usage diabolique de drogues aliénantes entre les mains des ecclésiastiques. Pour autant, l’explication scientifique demeure. Belladone et datura, si opposées que puissent être les fins de leur emploi, s’avèrent toujours, en dernière instance – Michelet a soin de le dire et redire – les instruments des faits constatés52. Et à la causalité sexuelle dans la lignée de La Religieuse de Diderot (les effets du célibat monacal et ecclésiastique, des groupes de femmes soumises à un pouvoir masculin) s’ajoute une insistance sur les données organiques. Vapeurs de mère, suffocation de matrice ou contagion nerveuse, l’énergie utérine (hystérique) qui implose chez les religieuses de Michelet est la même qui fait marcher ses sorcières : de « l’électricité féminine53 ».
38Au fond cependant, l’étiologie qui fonctionne dans le texte fait moins appel à la médecine qu’à la sociologie de la médecine, et moins à celle-ci qu’à la sociologie de la science dans son ensemble. Évoquant le « simple cl touchant commencement des religions et des sciences », l’état initial du récit décrit le mythe d’un tout social ressemblant fort à une matrice :
Plus tard, tout se divisera ; on verra commencer l’homme spécial, jongleur, astrologue ou prophète, nécromancien, prêtre, médecin. Mais au début, la Femme est tout54.
39Si, dans l'« épilogue », se profile le retour de la Fée, c’est-à-dire de la Femme encore, enfin dépouillée de sa chrysalide de sorcière et accomplie « sous cette forme qui est immortelle55 », c’est qu’entre-temps s’est développée jusqu’à son terme une dialectique concrète opposant les agents de l’Église et ceux de la Nature, de Dieu et de Satan. À travers les grandeurs et les misères de la sorcière en lutte avec la médecine officielle se lisent, selon Michelet, les efforts de l’Église pour assurer son règne en divisant « le royaume de Satan56 ». Accorder aux médecins, aux hommes, le monopole de la médecine, et, d’autre part, l’interdire aux femmes, en faire des sorcières, telle aurait été la ruse. Mais avant même son écrasante victoire sur les femmes, l’alliance contre nature formée au Moyen Âge entre le prêtre et le médecin sc voit menacée par la mutation du bourreau en chirurgien, en manœuvre de la science, à même, lui, du fait de ses fonctions infamantes, d’accéder aux secrets du corps en le disséquant. Figure emblématique de la dissidence au sein des « docteurs », Paracelse l’aurait le premier distingué57. Aussi bien, lorsque, après le grand désastre de la chasse aux sorcières déclenchée par le pape Jean XXII, « dès 1300 », la lutte manichéenne se fut réduite au « beau duel du médecin contre le Diable, de la science et de la lumière contre le ténébreux mensonge », faut-il attendre, pour reprendre espoir, du moins dans la chronologie du texte, l'apparition discrète d’un jeune chirurgien au détour de l’affaire des « possédées de Loudun ». Chargé de « visiter les filles », il constate qu’elles ne sont « point possédées, ni folles, ni malades », mais seulement « fourbes ». Réapparaissant quelques pages plus loin dans l’affaire des « possédées de Louviers », le même chirurgien, désormais nommé et affublé d’une épithète héroïque, « l’intrépide Yvelin », est celui qui, « avec une verve voltairienne » (dans la première moitié du xviie siècle...), démonte les artifices et la mise en scène ecclésiastiques de la possession. À « ce chirurgien, ce barbier, ce frater » que les médecins « traitaient de haut en bas », revient le mérite d’avoir, « dans une brochure qui restera », publiquement dénoncé l’imposture et posé en principe « que le vrai juge en ces choses n'est pas le prêtre, mais l'homme de science » (citation de Michelet citant Yvelin). Ses descendants ne sont autres que « ces jeunes chirurgiens » qui, à Toulon, puisent dans leur propre poche pour entretenir la bibliothèque de médecine de leur ville58.
40La promotion sociale des ouvriers de la science à l'intérieur de la corporation médicale n’est cependant pas le seul ni le principal moteur de la révolution scientifique en marche : il y faut encore la restauration de la femme dans le rôle spécifique qui lui a été nié « aux derniers siècles », « celui de la médication, de la consolation, celui de la Fée qui guérit59 ». Sans doute le texte maintient-il Athénaïs dans l'ombre, et la multiplicité des références à Pouchet ne va-t-elle pas jusqu'à inclure – c’est chose faite dans La Femme (1859), en note – une évocation du modèle de couple que le naturaliste forme avec sa « jeune femme », en même temps « son principal disciple » et « son éminent auxiliaire », qui, selon Michelet, n’aurait pas été étrangère à la découverte de « la loi de l’Ovologie », donc à « la révélation du mariage60 ». C’est ici donc que s’articulent les sciences naturelles, détentrices du secret de l'union des sexes, d’une part, et, d'autre part, la philosophie de l’histoire, qui pense les corsi et ricorsi de la division du travail et du retour à la communion primitive, de la séparation des sciences et de leur réunification. Un signe aussi précieux que discret de la (re)formation du couple Médecin-Fée est donné par la description finale de Toulon, « pays de la lumière » (comprenons : digne du xviiie siècle), dont les « trois bibliothèques » et « les cours qu’on [y] fait sur les sciences » ajoutent au charme de « jolie femme » d’une ville enserrée entre mer et montagne61. Mais dans ces pages finales, c’est plus encore la description de la villégiature toulonnaise de l’écrivain-historien, qui achève le cycle historique du retour aux origines indivises évoquées dans les pages initiales, à la structure heureuse où sciences et religion ne font qu’un dans un tout matriciel. Michelet ne se dépeint-il pas guettant au loin sur la mer ces « Îles d'or, où le grand Rabelais aurait voulu mourir », écrivant La Sorcière dans le propre « ermitage » d’un médecin assez sorcier lui-même (c’est moi qui le suggère) pour avoir créé un jardin tout enclos et « fort solitaire », orné de marbres gravés de caractères arabes, planté de mystérieuses « plantes étrangères62 »? Ainsi l’utopie du règne de la science, de sa resacralisation, a-t-elle non seulement déchiffré et retrouvé ses origines dans l’histoire, mais trouvé au présent un corps (symbolique) et un lieu (d’énonciation) à habiter.
41Arrivé à la fin de l’histoire, au sens narratif et au sens philosophique de l’expression, je devrais sans doute seulement m’émerveiller, au choix, du talent de l’artiste (vocabulaire de la critique littéraire) ou de la complexité du texte (vocabulaire de la science des textes). Force est en effet de constater les risques pris par l'historien pour transgresser la frontière de l’histoire savante et accéder à la littérature littéraire, si l'on peut dire, d’une part. Et, d’autre part, de confirmer la compacité, la cohérence, la puissance d’une machine textuelle réglée de manière que la moindre pièce y coopère à la production du sens, au point même que des références scientifiques diverses, déracinées de leurs contextes, y servent ensemble une seule et même intention idéologique. Décrypter cette intention est une autre tâche, qui n’est pas en dehors des missions de l’histoire littéraire, mais qu’il serait trop long de tenter ici63.
42Reste qu’une fois qu’elle aura complètement consenti l’effort de réappropriation de tous les contextes, indispensable, hic et nunc, pour remettre la machine en marche à plein régime, la lecture littéraire de La Sorcière n’aura pas résolu deux autres au moins des questions qu’elle a trouvées sur le bord de sa route en regardant du côté des textes de science et sur les sciences.
43La première est celle du caractère romantique du discours de Michelet sur les sciences. Mais il est loisible de l’apprécier dans sa singularité en rapprochant la présente étude monographique de synthèses comme celles, bien connues, de G. Gusdorf.
44La seconde en revanche manque de points de comparaison. Si l’on voit bien que Michelet mobilise toute sa science d’historien et tout son art d’écrivain pour imprimer sa marque personnelle à l’histoire et à la philosophie des sciences, populaire, féministe, subversive, comme il l’a fait à l’histoire sociale de la France, il est en effet bien difficile de situer et d'évaluer sa position dans ce champ bien particulier, en voie de constitution à l'intersection du champ scientifique et du champ littéraire. Lui, pourtant, prend explicitement position par rapport à une littérature qu'il lit, assidûment, et qu'il identifie : « ces très beaux ouvrages qu'on a faits de nos jours sur l'histoire des sciences64. » Or il y a tout lieu de se demander si, en tentant de faire la leçon aux scientifiques assez hardis pour se mêler d’écrire leur propre histoire, Michelet n'aurait pas du même coup tenté de prendre rang parmi les historiens (Ferdinand Denis...) dans la compétition ouverte pour fonder et autonomiser une discipline alors soit réservée aux scientifiques d'assez grand renom pour empiéter sur la littérature (Cuvier, Pouchet...), soit reléguée dans la philologie en ce qui concerne l’Antiquité, le Moyen Âge et l’Orient (Maury...), soit encore abandonnée aux vulgarisateurs (Figuier...) – et s’il n’aurait pas aussi et enfin, plus matériellement, tenté de prendre pied sur le marché alors en expansion du livre d'histoire des sciences. Répondre à une telle question supposerait des investigations spécifiques et exhaustives, qui n’existent pas du côté littéraire, dans ce qu’il faudrait appeler, sans en faire une antinomie, la littérature scientifique du dix-neuvième siècle.
Notes de bas de page
1 Paul Viallaneix, préface à son édition de La Sorcière, Paris, Garnier-Flammarion, 1966, p. 20 (édition de référence dans les notes qui suivent). Lucien Refort n’isole pas davantage cet intérêt du texte (introduction à son édition critique de La Sorcière, Paris, Marcel Didier, 1952).
2 Op. cit., p. 307-308.
3 Ibid., p. 309.
4 Notes 3 p. 108, 1 et 2 p. 109 et 1 p. 110, outre l’observation sur l’instabilité historique des modes botaniques fondée sur un article du philologue Langlois, n. 2 p. 108. Je complète les indications bibliographiques très sommaires de Michelet : Charles d’Orbigny, Dictionnaire universel d’histoire naturelle, Paris, 1841-1849, 13 vol. et 3 atlas in-8° ; Félix Pouchet, Histoire naturelle et médicale de la famille des Solanées, Rouen, 1829. et Traité élémentaire de botanique appliquée, Rouen, 1835-1836, 2 vol. in-8°. En 1861, Pouchet est, contre Pasteur, le champion de la théorie de la génération spontanée. Il soutient contre Coste des positions pareillement dépassées en matière d’embryogénie.
5 Op. cit., n. 2, p. 148. La seconde édition Robin et Littré de Pierre-Hubert Nysten, Dictionnaire de médecine, de chirurgie, de pharmacie, des sciences accessoires et de l’art vétérinaire, Paris, 1858, 2 vol., est la onzième de cet ouvrage. Charles Robin est connu pour avoir mis en évidence le champignon responsable du muguet. Avec Claude Bernard, il est l'un des responsables de la très active Société de biologie, fondée après 1848 dans un esprit positiviste.
6 Victor Coste, Histoire générale et particulière du développement des corps organisés, Paris, 1847.
7 Comparée à la précision d'Alfred Maury dans La Magie et l'Astrologie dans l’Antiquité et au Moyen Âge (Paris, 1860), par exemple, l’approximation des notes de La Sorcière la classerait dans un genre intermédiaire entre l’histoire savante et la vulgarisation à but lucratif, si l'Histoire de France et l'Histoire de la Révolution étaient plus et mieux annotées.
8 Introduction au t. II de son édition de La Sorcière, p. v-vi.
9 La Sorcière, n. 2, p. 148.
10 Ibid., p. 33.
11 Ibid., p. 109-110.
12 Ibid., n. 3, p. 108. L'article « Morelle » figure au t. VIII, p. 344 et suiv., du Dictionnaire universel d’histoire naturelle dirigé par d'Orbigny.
13 Op. cit., p. 11 (deux fois) et 112.
14 La Sorcière, p. 108. C’est dans un livre dirigé par Paul Lacroix et mentionné par Michelet dans ses « sources principales ». que F. Denis, de son métier conservateur à la bibliothèque Sainte-Geneviève, avait inauguré l’explication matérialiste de la sorcellerie, dans les termes que voici : « Sans aucun doute, les onctions magiques agissent alors d’une manière déplorable sur ces imaginations déjà troublées, et ce n’est pas sans raison que la belladone prend dès le seizième siècle le nom d'herbe aux sorciers. Un habile praticien l’a déjà tait remarquer : “L’huile qu'on extrait de la graine de stramoine, lorsqu’elle est appliquée sur les tempes, enfante des visions féeriques ;” et une sorte de démence, ajoute-t-il, peut être excitée chez certains individus par le principe narcotique du datura, de la jusquiame, de l’aconit maculé, de la ciguë vireuse ; elle l’est encore par certaines substances opiacées, introduites dans l’estomac. Il n’en faut pas davantage pour expliquer la sincérité aussi bien que la persistance des aveux les plus effrayants » (Le Moyen Age et la Renaissance, histoire et description des mœurs et usages, du commerce et de l'industrie, des sciences, des arts, des littératures et des beaux-arts en Europe, Paris, 1851, t. IV, fol. xxxi). Au t. XI de l'Histoire de France (Henri IV et Richelieu, 1857, p. 162), Michelet lui avait déjà emboîté le pas, mais en s’en tenant alors, pareillement, à l’idée d’un usage hallucinogène, sans identifier non plus la famille des Solanées, et en prêtant aussi « certainement » que gratuitement un rôle plus important encore au « roi du vertige », le chanvre.
15 La Sorcière, p. 108. Jean Wier, médecin de la fin de la Renaissance, avait déjà évoqué les Solanées pour expliquer les hallucinations des sorcières concernant l'envol vers le sabbat dans son ouvrage publié en 1569, Cinq livres de l'imposture des diables, des enchantements et sorcelleries.
16 Histoire naturelle et médicale..., p. 10-11.
17 Ibid.
18 Histoire naturelle et médicale..., p. 69.
19 Ibid., p. 64, à comparer avec La Sorcière, η. 1, p. 110. Même indication déjà donnée par Pouchet dans le Traité élémentaire de botanique appliquée, article « Belladone », p. 431.
20 Histoire naturelle et médicale..., p. 56.
21 Traité élémentaire..., articles « Morelle » et « Jusquiame », p. 438-440 et 423-425, (cf. La Sorcière, p. 109-110).
22 Ibid., article « Datura », p. 426 (cf. La Sorcière, n. 2, p. 148).
23 Les premières lectures avec prise de notes sont mentionnées dans le Journal à partir de mai 1858, et la visite capitale du musée et du laboratoire l’est à la date du 8 juin 1860 (t. II, éd. Paul Viallaneix, Paris, Gallimard, 1962, p. 410, 461, 463, 497, 524, 526-527).
24 Histoire naturelle et médicale..., p. 9-11.
25 Op. cit., dans Michelet, Œuvres complètes, éd. P. Viallaneix, Paris, Flammarion, 1978, t. VII, p. 54, 64-65, 70-71.89-90, 106, 141,433-434. Lucien Febvre, il n'est guère besoin de le rappeler, a bien montré les ressorts idéologiques de l’invention de la Renaissance par Michelet, et de sa dépréciation, inversement proportionnelle, du Moyen Âge (Michelet et la Renaissance, Paris, Flammarion, 1992).
26 Des sciences occultes, ou Essai sur la magie, les prodiges et les miracles, Paris, 1829 (trois rééditions, en 1842 et 1843 avec le discours d’Arago à l’enterrement de Fauteur, puis en 1856 avec une introduction de Littré). Avant F. Denis (voir supra n. 14), Salverte mentionne même le recours au Solanum somniferum et à la jusquiame. Il se réfère explicitement à Dupuis (éd. 1842, η. 1, n. A, p. 471).
27 Les Fées du Moyen Âge, recherches sur leur origine, leur histoire et leurs attributs, pour servir à la connaissance de la mythologie gauloise, Paris, 1843, et La Magie et l'Astrologie dans l'Antiquité et au Moyen Âge ou Étude sur les superstitions païennes qui se sont perpétuées jusqu'à nos jours, Paris, 1860 [rééd. 1860, 1861 et 1877]. Maury évoque lui aussi l'utilisation d'« une foule de Solanées », mais il ne se borne pas, à la différence de Michelet, à cette famille de plantes (éd. or., p. 419). Surtout, il met son point d’honneur à expliquer scientifiquement des phénomènes d’ordre psychologique identifiés et étudiés par la médecine contemporaine (somnambulisme, hypnose, catalepsie...), que Michelet pour sa part ne retient pas.
28 La Sorcière, p. 31.
29 Op. cit., p. 226 et 228-229. Pour une synthèse actuelle sur Paracelse, voir la notice à son nom de Robert Halleux dans Michel Blay et Robert Halleux dirs., La Science classique. xvie-xviiie siècles. Dictionnaire critique, Flammarion, 1998.
30 Voir le chapitre « Des sciences avant la Saint-Barthélemy » dans La Ligue et Henri IV, où Michelet invoque l'autorité de Cuvier en faveur de Paracelse et souligne déjà la prise en compte par le maître alchimiste de la spécificité des maladies féminines (Histoire de France, dans OC. t. VIII, p. 293-294).
31 Op. cit., p. 33, 39, 108, 111.
32 Série de citations, ibid., p. 39.
33 Ibid., p. 112.
34 Ibid.
35 Ibid.
36 Op. cit., p. 32.
37 Ibid., p. 306.
38 Ibid., p. 109 et η. 1 ibid. Cette généalogie de l’homéopathie peut avoir été inspirée par la lecture des homéopathes eux-mêmes : Robert Halleux rappelle que Hahnemann se réclamait de Paracelse, le seul allié, selon Michelet, des sorcières contre la médecine scolastique (voir réf. supra n. 28, p. 367).
39 Journal de la médecine homœopathique, 1er décembre 1833, p. 3-4 ; Léon Simon, Lettre à M. le ministre de l'instruction publique en réponse au jugement de l'Académie royale de médecine, sur la Doctrine médicale homœopathique, au nom de l'institut homœopathique de Paris, Paris, 1835 ; du même, Leçons de médecine homœopathique, Paris, 1835, p. 148-149,275-277, 124, 129 et 121.
40 Op. cit., p. 112.
41 Archives et journal de la médecine homœopathique, 1835-1836 (cote BnF 8-T41-2), p. 330 et p. 252.
42 Le Médecin du peuple, enseignement mettant à la portée des hommes de conscience et de bon vouloir les procédés les plus parfaits et les récentes découvertes de l'art de guérir Paris, 1851.
43 La Sorcière, p. 113.
44 Armand Danet trad. et éd., Henry Institoris et Jacques Sprenger, Le Marteau des sorcières [Maliens maleficorum, éd. or. 1486], Grenoble, Éditions Jérôme Millon, 1997, p. 150. Le sperme des démons était réputé froid (voir Jean-Michel Sallmann, Les Sorcières, fiancées de Satan, Paris, Découvertes Gallimard, 1989, p. 54).
45 Op. cit., t. 2, p. 55.
46 La Sorcière, p. 108.
47 Ibid., p. 74, 84 (« inondée d’un flot de glace »), 116 (« apprend à glacer le plaisir »), 174-175 et n. 1. mêmes pages (sur la pratique et l’instrument du lavabo – le mot ayant encore son sens latin : « je laverai », et le sens d’évier n’apparaissant, selon le Grand Robert, qu’en 1805).
48 Michelet, Journal, éd. Claude Digeon, Paris, Gallimard, 1976, t. III, p. 17 (mai 1861 – cf. p. 98, février 1862), p. 58 (septembre 1861).
49 Voir le chapitre consacré à « l’avènement du café », un peu plus tard, en 1863, dans La Régence (ch. VIII du tome XV de l'Histoire de France).
50 Journal, t. III, p. 158 (octobre et décembre 1862). Béraud fait partie, avec Robin et Berthelot, de la sociabilité rapprochée de Michelet (voir Journal, par ex. t. II, p. 497 et 518).
51 Op. cit., p. 143.
52 La Sorcière, p. 129. 148, 175, 210, 272.
53 Ibid., p. 214, 232, 262, 214, 36.
54 Ibid., p. 31.
55 Ibid., p. 285.
56 Ibid., p. 40.
57 Ibid., p. 39.
58 Ibid., p. 126, 203, 213-215, 306. Du Moyen Âge à l’âge classique inclus, le chirurgien, on le sait, est situé, à l’inverse de ce que nous connaissons aujourd'hui, à un échelon très inférieur de la hiérarchie médicale, à peine au-dessus du barbier.
59 Ibid., p. 285.
60 Op. cit., dans Michelet, Œuvres complètes, éd. P. Viallaneix, Paris, 1985, Flammarion t. XVIII, n. 7, p. 524.
61 Lu Sorcière, p. 304-305.
62 Ibid. De même que Rabelais, l’ancien propriétaire éponyme de la villa louée par Michelet (la « villa Lauvergne »), Hubert Lauvergne (1797-1859) est un médecin, d’ailleurs plutôt chirurgien. Mais il est aussi un historien de la Révolution dans le Var et de la conquête d’Alger, qui s'est intéressé à la « géographie botanique du port de Toulon et des îles d’Hyères » pour acclimater des végétaux exotiques utiles. Un philanthrope aussi, qui s'est penché sur le sort des bagnards, et l’auteur d’un poème sur le jugement dernier (voir ses œuvres répertoriées à la Bibliothèque nationale de France et sa notice dans le Dictionnaire de biographie française, qui cite un rapport d’inspection critiquant sa « nature poétique » encline « à se laisser aller à voir les choses au travers d’un prisme qui les exagère »). Autant de traits qui facilitent l'identification de l’historien-écrivain au médecin-écrivain sous le signe de la Révolution et d’une science sorcière.
63 Pour un tel décodage idéologique, voir mon article « Chaudron idéologique de La Sorcière : féminisme, homéopathie et saint-simonisme », dans un recueil sur La Sorcière dirigé par Paule Petitier, à paraître chez Champion.
64 La Sorcière, p. 297.
Auteur
Directeur de recherche au CNRS, directeur du LIRE. Spécialité : le saint-simonisme. A publié notamment Les Saint-Simoniens en Égypte, Le Caire, éd. BUE-Amin F. Abdelnour, 1989. Éditeur du Livre nouveau des saint-simoniens, Tusson, du Lérot, 1992, il a récemment dirigé un volume d’Études saint-simoniennes, coll. « Littérature et idéologies », Presses universitaires de Lyon, 2002.
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Biographie & Politique
Vie publique, vie privée, de l'Ancien Régime à la Restauration
Olivier Ferret et Anne-Marie Mercier-Faivre (dir.)
2014