Des grands hommes pour former la jeunesse
Les valeurs politiques de la biographie dans les manuels d’éducation des années 1780
p. 119-130
Texte intégral
1En montrant comment le concours d’éloquence de l’Académie française avait favorisé, à partir de 1758, l’essor des éloges vantant des figures méritantes de la nation, Jean-Claude Bonnet a mis en lumière le développement du culte des grands hommes dans les dernières années de la monarchie française1. Le biographique prenait l’ascendant sur la dissertation morale et contribuait à redessiner la représentation politique de la France en délaissant les rois et les princes au profit des compatriotes vertueux. Même si David A. Bell a nuancé cette interprétation historique des faits, rappelant que des biographies d’illustres Français circulent depuis plus d’un siècle dans le royaume2, il est certain que l’Académie a stimulé une mode littéraire dont les prolongements vont bien au-delà de la Révolution française.
2Est-il nécessaire de rappeler que le genre biographique se tourne vers les héros nationaux à un moment où l’on tente de redonner du sens au « vieux mot de patrie3 » et où l’on s’apprête à expulser les jésuites, accusés notamment de dispenser dans les collèges une éducation ultramontaine et contraire à la monarchie française4 ? Plus largement, la seconde moitié du xviiie siècle s’en prend aux humanités entièrement vouées à l’étude de cette étrangeté lointaine et disparue que sont les Grecs et les Latins5, et fixe pour objectif la formation d’un citoyen utile ayant une bonne connaissance de ses droits et devoirs contemporains. Or les années passent, les jésuites sont bannis de France, les collèges démantelés, mais l’éducation reste dans un état de semi-déshérence auquel il est de plus en plus urgent de remédier : en l’absence d’une politique royale d’envergure en matière de formation de la jeunesse, des initiatives individuelles s’efforcent, ici et là, de fonder une éducation moderne.
3C’est dans ce double contexte de naissance (ou renaissance ?) du sentiment patriotique et d’urgence pédagogique qu’il convient de replacer les ouvrages dont il sera ici question. S’appuyant à la fois sur la vogue des Vies des hommes illustres et sur la demande pressante de livres pour former la jeunesse, des auteurs reconnus comme le poète Laurent-Pierre Bérenger6 ou l’essayiste Louis-Pierre Manuel7 se lancent dans la publication d’ouvrages faits pour être lus dans les collèges afin d’y produire une émulation patriotique. Mus par l’amour de la patrie et de la vertu, les écrivains n’ont d’autre ambition que d’offrir des modèles aux écoliers. Dans la préface de son Manuel de la jeunesse française, ou Modèles de patriotisme et de vertus tirés de l’histoire de France, dont la première édition est datée de 17878, Bérenger n’oublie pas de définir son lectorat et d’assigner une utilité morale et politique à son livre :
Puisse cet ouvrage passer de bonne heure entre les mains des jeunes gens ! Les grands noms de l’Antiquité frappaient inutilement leurs oreilles ; ils apprendront que leur patrie a été aussi une terre fertile en héros, et ils trembleront de dégénérer9.
4L’on ne doute pas que tout parent soucieux de sa progéniture et tout éducateur zélé n’aient été convaincus par un tel argument de se précipiter sur un ouvrage désigné comme le « manuel de tout bon Français10 », mais l’on retiendra plutôt de cette présentation un peu emphatique le désir d’être lu par le grand public et la conviction de faire une œuvre attendue et efficace. L’appareil préfaciel de L’Année française ou Vies des hommes qui ont honoré la France11 de Manuel, paru en 1789, repose sur les mêmes dispositifs : valorisation de la nouveauté, affichage d’une volonté de toucher un public large et peu fortuné, dédicace aux « nouvelles générations ».
5Bien entendu, il n’échappe à personne que des impératifs d’ordre commercial justifient ces préfaces, et que le libraire a tout intérêt à inciter les auteurs à promouvoir le caractère neuf d’ouvrages qui, dans le flux éditorial des biographies d’hommes et de femmes illustres inondant le marché des années 1780, auraient pu passer inaperçus si la dimension pédagogique – qui en fait la particularité notoire – n’en avait été soulignée. S’adressant à son libraire, Manuel parle d’une « nouvelle école d’histoire et de morale » (vol. 1, p. XV) dans laquelle s’instruiront les enfants des villes. Dans un « Post-scriptum » placé à la fin du dernier volume, il explique également pourquoi son livre est vierge d’illustrations : c’est que ceux « qui lisent le plus, ce ne sont point les riches qui achètent des images » (vol. 4, p. 463), mais les représentants d’une population obscure avide de connaissances et de plaisir moral. Cependant, si l’on accepte la justification de Manuel, refusant le livre d’art, trop luxueux, pour diffuser un ouvrage de classe pouvant presque devenir le livre du peuple, il convient de noter que la concurrence éditoriale a sans doute eu des conséquences sur la forme du recueil. En effet, Manuel et Bérenger sont entrés en compétition directe, le second coupant en quelque sorte l’herbe sous le pied du premier et l’obligeant sans doute à précipiter la parution de ses volumes. Manuel n’en garde qu’une rancœur mesurée, mais ne s’en adresse pas moins à Bérenger dans une lettre placée en tête du second volume :
Mon plan vous a donc plu, Monsieur. Je vous l’avais confié ; c’était vous demander des conseils, et vous vous êtes empressé de me fournir un modèle. Votre ouvrage est un encouragement, et je n’en ferai que mieux les Vies des hommes estimables de la France. (vol. 2, p. V)
6Manuel insiste : le précurseur, c’est lui. Si on l’en croit, il aurait formé le projet de son ouvrage à la Bastille, donc entre le 3 février et le 7 avril 1786. Or le Manuel de la jeunesse française de Bérenger paraît pour la première fois en 1787, de même que Le Peuple instruit par ses propres vertus12, ouvrage du même auteur généralement désigné sous le titre Les Vertus du peuple. Plagiat ? Vol intellectuel ? Les talents et le dévouement de Bérenger à la cause éducative et patriotique n’écartent pas les soupçons et Manuel, qui reconnaît les mérites du poète, aurait sans doute nourri quelque amertume s’il avait pu constater le succès, jamais démenti pendant plusieurs décennies, de la Morale en action13, devenue un grand classique de la littérature scolaire jusqu’au milieu du xixe siècle.
QUEL SYSTÈME D’ÉCRITURE POUR DES « BIOGRAPHIES PÉDAGOGIQUES » ?
7Le genre pédagogique induit-il des choix d’écriture stéréotypés et des techniques narratives reprises comme des systèmes d’un auteur à l’autre ? Apparemment, rien de tel ; et c’est l’intérêt de nos deux ouvrages que de proposer des écritures biographiques très différentes. Ni la concurrence entre les auteurs, ni le plagiat suspecté, ni même le recopiage par les deux écrivains des éloges prononcés à l’Académie, ou d’extraits tirés d’autres volumes auxquels ils empruntent sans toujours le dire14 – car c’est là pratique courante en leur siècle –, n’aboutissent à des manuels de même format et de même disposition. La construction des ouvrages cherche à favoriser une lecture progressive et suivie : les élèves sont ainsi incités à la découverte des modèles patriotiques au travers de textes courts permettant rapidement analyse et discussion. Mais la disposition de ces textes, qui cherche toujours à tromper l’ennui par la variété des personnages et de leurs vertus, répond à des conceptions différentes de la relation du texte à son élève lecteur. Bérenger, pour qui l’ennui de l’enfant est le pire ennemi de l’étude, prétend ne pas avoir fait de plan, s’étant laissé guider par le seul principe de la variété. En réalité, les leçons des Modèles de patriotisme s’organisent en fragments parfois très brefs qui dessinent, au fil des pages, une forme de biographie anecdotique et disséminée. Dans la version augmentée de 1789, les récits sont numérotés, ce qui facilite le repérage et, pourrait-on dire, l’utilisation pédagogique du livre. À titre d’exemple, la vie de Turenne prend peu à peu consistance, dans les récits no 44, 45, 46, 72, 74, 82, puis 125, 194, 226, 342 et 346. D’un bout à l’autre des trois cent soixante et onze narrations brèves qui composent les quatre cent trente-deux pages du corps de l’ouvrage15, l’on rencontre une douzaine de fois le grand homme, ce qui peut contribuer à créer le sentiment d’une familiarité. Ce procédé se répète pour la plupart des acteurs de l’histoire évoqués par Bérenger. Chaque fois, l’auteur isole le trait de vertu illustré par le grand homme (qui est rarement une femme) et focalise l’attention des jeunes lecteurs sur le fait marquant et l’acte vertueux. Plus que fragmentée et éclatée, la biographie se fait donc parcellaire et partielle. Elle diffuse des « arrêts sur image » de la vie des grands hommes ; au lecteur ensuite de recomposer le portrait esquissé par l’ensemble des anecdotes rapportées, et de tenter de restituer une chronologie absente pour imbriquer les récits les uns dans les autres, afin de reconstituer, s’il le souhaite, la chaîne continue de la vie. Bérenger semble ainsi malmener la biographie pour produire un imaginaire patriotique ouvert, c’est-à-dire non clos par les limites d’une vie cernée par la naissance et la mort. Sans doute une telle déstructuration du récit biographique conduit-elle à une appréhension sensible du matériau textuel par le lecteur : l’émotion, le coup de cœur, la reconnaissance du familier fonctionnent dès lors à plein dans le processus de lecture. Ce n’est pas pour rien que Bérenger est poète.
8Le recueil de Manuel n’a pas les mêmes qualités sensibles et propose à son lecteur une forme plus raisonnée d’assimilation des exemples : l’écriture biographique s’inspire sans doute plus directement du modèle canonique laissé par Plutarque, en narrant l’itinéraire des hommes choisis (des hommes, jamais des femmes) depuis leur naissance jusqu’à leur mort, sans oublier leur éducation ni leurs belles actions, et sans épargner leurs défauts. Manuel sent bien que sa plume manque souvent de vigueur et de précision ; il s’en excuse en fin d’ouvrage, avouant qu’il aurait pu « mieux dessiner [ses] figures, prononcer mieux [ses] caractères » (vol. 4, p. 449), mais il cherche dans ses narrations à rendre accessible au jeune élève l’essentiel de chacune de ces vies remarquables, et à ordonner dans son esprit une représentation historique de l’héritage patriotique. Le recueil biographique se construit comme un calendrier annuel complet (d’où son titre, L’Année française) qui situe les grands hommes dans un temps national se déployant dans deux dimensions : le passé des actions et le présent de la commémoration. À chaque jour de l’année correspond un homme célèbre, citoyen vertueux dont c’est la date de naissance ou de décès, sans autre souci de la chronologie puisque l’on passera sans cesse d’un siècle à l’autre. L’élève, confronté à ce temps patriotique double, est invité à se projeter dans un avenir où il jouera lui-même le rôle du grand homme : le cycle du calendrier, s’il est une fois bouclé au terme de l’année de lecture, est amené à se poursuivre au-delà du livre. La liste des trois cent soixante-cinq héros nationaux successivement présentés par Manuel se complétera donc au fil des ans, et la trentaine de « citoyens consacrés » cités nommément par l’auteur en conclusion du dernier volume donne une idée de ce qui du passé reste encore à écrire, laissant imaginer la réserve de héros patriotiques que l’éducation prépare désormais pour l’avenir. Chez Manuel, chaque récit biographique se ferme donc sur lui-même, marquant sa place dans un imaginaire du temps national, mais la somme des récits organisés de la sorte incite le lecteur à adopter individuellement le temps collectif afin d’inscrire son nom dans le calendrier des hommes illustres, nouvelle façon d’affirmer son appartenance à l’espace politique national.
9La dimension proprement politique de la biographie est bien plus perceptible dans L’Année française que dans le recueil de Bérenger. Manuel, en donnant pour titre à chaque récit le seul nom d’un grand homme, et en développant chaque « jour » le fil d’une vie, insiste sur l’incarnation des positions politiques : chaque personnage tient lieu de modèle, proposant d’imiter la constance d’un comportement placé à la fois sur la scène publique et sur la scène privée. « La vie privée est le plus sûr témoignage de la vie publique », déclare-t-il dans la préface (vol. 1, p. VI). Bérenger, d’accord avec Manuel pour « montrer des citoyens », n’en oriente pas moins son recueil vers la démonstration morale : ce sont les traits de vertu qui sont mis en évidence dans le titre, les personnages devenant par là des exemples d’humanité, de courage ou de désintéressement. La biographie prend chez lui davantage une valeur d’illustration ponctuelle et anecdotique d’un modèle abstrait, tandis que chez Manuel elle configure plus méthodiquement la place des individus dans les relations sociopolitiques. Il faut également signaler que Bérenger, par un découpage du récit biographique, opère une série d’occultations qui efface les aspérités de l’histoire politique, produisant ainsi une édulcoration du recueil. Ses narrations, beaucoup plus détaillées que celles de Manuel, attirent l’attention sur des cas particuliers dont la portée politique n’est pas toujours immédiatement perceptible : distrait par le détail, l’élève pourra d’autant plus oublier le politique que sa lecture sera guidée par son maître vers l’identification de principes moraux. Ce détournement scolaire n’est pas à craindre chez Manuel, parce que l’auteur rappelle constamment les valeurs idéologiques qui sous-tendent son écriture, affirmant dès la préface vouloir écarter « tous ces rois qui n’ont fait aucun bien » et ces « oppresseur[s] bardé[s] de fer » (vol. 1, p. XV).
LA NATURE DU POLITIQUE DANS LA BIOGRAPHIE À VISÉE PÉDAGOGIQUE
10Quels sont les hommes retenus par ces biographies à visée pédagogique ? Comment le politique s’inscrit-il dans la vie de ces personnages ? Pour Manuel, les choses sont simples : les plus grands modèles de vertu politique sont à chercher parmi les gens de lettres, qui donnent le ton d’un véritable comportement citoyen. Les biographies d’écrivains abondent dans le recueil, et l’auteur n’envisage pas un gouvernement qui ne mette pas à l’honneur les arts et les sciences, prenant pour exemple Charles V, « le plus sage des rois », dont la maxime était « tant que sapience sera honorée en ce royaume, il continuera à prospérité ; mais quand déboutée y sera, il décherra » (vol. 3, p. 362). La présence des philosophes, dont Voltaire, Diderot, Rousseau, signale assez de quel côté se situe L’Année française, et indique le rôle que les écrivains jouent dans cette éducation politique utilisant le vecteur de la biographie. De tels échos se rencontrent également chez Bérenger dont les admirations ne sont généralement guère éloignées de celles de Manuel. Que les deux auteurs prennent également la peine de raconter les vies de vertueux inconnus, voire de citoyens anonymes, prouve aussi leur volonté de modifier la représentation que les jeunes élèves se font de l’ordre sociopolitique : la naissance n’est plus un gage de qualité, l’action prime sur le patrimoine, les rangs les plus obscurs ont droit à la reconnaissance et à l’estime de la cité. Tout homme de mérite peut prendre la tête des armées et administrer le royaume, tout individu peut devenir un grand homme (un maître ?) s’il agit en citoyen, c’est-à-dire dans l’intérêt commun, en dépassant l’attachement à l’intérêt privé. Dans ces recueils, tout nouveau récit peut être interprété comme une prise de position idéologique, et ce même si l’activité politique semble absente chez l’homme dont on raconte la vie. Il nous a cependant paru nécessaire, afin de mieux cerner l’articulation du biographique et du politique dans l’écriture de ces recueils, de nous arrêter davantage sur les personnages ayant exercé des activités directement liées au gouvernement du royaume, rois, ministres et maréchaux de France.
11Manuel prétend avoir voulu saisir, à la manière de Plutarque, ses héros dans les situations simples du quotidien : ce n’est pourtant pas toujours le cas. La part réservée à la vie publique est bien plus grande que ce qu’annonce la préface : c’est dans le cœur des batailles et des campagnes militaires que les généraux sont le plus souvent montrés, de même que les rois sont représentés dans leurs conseils de guerre ou dans leurs déclarations publiques. La vie privée est le plus souvent réduite à l’allusion, comme c’est le cas pour la biographie de Louis XII, dont Manuel nous dit qu’il « était un de ces bons pères de famille qui se laissent gouverner par leurs femmes, leurs enfants ou leurs domestiques et ne s’en doutent point » (vol. 1, p. 3). De même pour Charlemagne, dont on apprend que « magnifique quand il représentait la nation, [il] avait dans sa vie privée la simplicité des héros » (vol. 1, p. 124), si ce n’est qu’étant « né avec des passions impérieuses, il [...] alarma la pudeur des vierges » (vol. 1, p. 127). L’allusion peut devenir anecdote, générant un récit plus consistant. La vie de Henri IV est l’occasion d’entrer dans les appartements d’un roi familier et sans façons, dont la spontanéité attire la sympathie :
Quel plus beau spectacle que de voir le vainqueur de Jarnac, de Mont-contour, de Coutras, d’Arques, d’Yssi, marcher à quatre pattes, portant sur son dos son fils qui le frappait d’une main caressante. Un ambassadeur le surprend à ce jeu paternel. — Monsieur l’ambassadeur, avez-vous des enfants ? — Oui, sire. — En ce cas, je vais achever le tour de la chambre16. (vol. 2, p. 210)
12Cette simplicité de comportement explique que le roi soit resté dans la mémoire du peuple comme un roi généreux, et le recueil biographique accroît la célébrité d’une image idéalisée de Henri IV, garantie d’un gouvernement qui, fondé sur la vertu familiale, respectera cette règle non écrite selon laquelle un bon roi se comporte avec ses sujets en père attentif. L’anecdote amuse et éclaire : les véritables héros de la nation restent accessibles à tous, se mettant à la portée des gens simples, enfants, soldats, domestiques. Turenne avait du sang-froid dans la guerre, mais aussi dans les situations les plus dérisoires de la vie privée. L’Année française emprunte ainsi à Jean-Jacques Rousseau17 un récit fort plaisant : un jour d’été, Turenne prenait le frais à sa fenêtre quand un domestique, qui l’avait pris pour un autre, lui infligea une mémorable claque sur les fesses : « Monseigneur, j’ai cru que c’était George [s’explique le valet tout tremblant] : Et quand ç’eût été George, s’écrie Turenne en se frottant le derrière, il ne fallait pas frapper si fort. » (vol. 3, p. 119) Voilà un homme qui ne se croyait pas humilié par l’erreur d’un valet, et qui savait se mettre à la place des autres : si Turenne est au-dessus du commun des hommes par ses victoires et son intelligence stratégique, il ne s’est pourtant jamais cru fait d’une autre matière que les hommes. Tout en divertissant le lecteur – et l’on pense bien que la fessée de Turenne est d’un genre à faire rire les collégiens –, le récit de vie privée dévoile le grand homme tel qu’en lui-même et au naturel. La vie privée est le miroir grossissant des vertus publiques. Mais en ce qui concerne les hommes d’État et les gens de guerre, il faut bien avouer que nos recueils n’abusent pas de ce procédé, et les récits ne font que peu d’intrusions dans la chambre du grand homme, préférant saisir dans le cours de la vie publique quelques saillies mémorables.
13Si les biographies, aussi courtes soient-elles, rapportent toujours quelque grande ou belle action, il n’est pas un récit qui ne mette en valeur un trait d’esprit. Semblable aux modèles antiques, le héros moderne sait toujours décocher l’expression qui fait mouche, maxime ou sentence, ou, plus simplement, réplique sans appel faisant la démonstration d’un sens aigu de la répartie. C’est le duc de Luxembourg riant du duc d’Orange, lequel se désespère de jamais battre « ce bossu-là », et répondant à ceux qui lui rapportent ce propos : « Comment sait-il que je suis bossu ? il ne m’a jamais vu par derrière » (vol. 1, p. 29). Le grand homme sait mettre les rieurs de son côté, pour le plus grand plaisir du lecteur qui prend sa part de la vivacité d’esprit du personnage18. Dans un autre style, style « sublime », commente Manuel, c’est le duc de Guise affrontant le fanatique venu le tuer : « Si ta religion te porte à m’assassiner, la mienne veut que je te pardonne. » (vol. 1, p. 243) La réplique est d’exception, digne de la plus haute vertu morale et sera, rappelle le narrateur, reprise par Voltaire tragédien19. La beauté du discours élève ici l’épisode vécu au rang de l’art : le langage du héros devient un modèle esthétique. Les vies patriotiques nourrissent donc une conception du beau : pertinence et sobriété de l’expression s’allient à une haute estime de soi et à la noblesse de caractère pour produire l’admiration du public. Le grand homme ne se perd pas en bavardages : quand les narrateurs lui donnent la parole, c’est toujours pour marquer l’auditoire et laisser une trace tangible de la supériorité de son esprit et de la profondeur de ses vues. Ainsi, le duc de Bourgogne, élève fameux de Fénelon, déclare que « le prince est fait pour le peuple, et non pas le peuple pour le prince » (vol. 1, p. 232), donnant de la sorte une véritable leçon politique : la tournure, qui renverse les préjugés, est faite pour être retenue. Dans cette écriture biographique, forcément limitée dans ses développements textuels (les récits n’occupent que quelques pages), le bon mot, trait saillant du langage, est chargé de condenser tout le caractère du grand homme et de justifier la place qu’il occupe dans le panthéon national : dans l’expression forte se résume une puissance de résistance à toute dégradation morale et à toute tentation de corruption. Le langage du héros, placé au cœur d’une écriture synthétique, apparaît comme un idéal esthétique porté au degré de rempart politique.
CONSTRUCTION ESTHÉTIQUE, FORMATION IDÉOLOGIQUE
14En mémorisant les mots des grands hommes, l’élève apprend une histoire « éloquente » qui ne se réduit pas à la simple accumulation d’anecdotes remarquables : dans les recueils biographiques s’opère la transformation des faits (les événements) en signes (les expressions) qui s’organisent en un imaginaire du politique où la parole soumet l’action. Entrer dans l’histoire, c’est se montrer à la hauteur de la rhétorique des héros, avoir la même fermeté de discours pour se rendre capable d’une semblable fermeté d’âme. Mais si, au travers de la densité du signe, l’élève s’inscrit dans une continuité historique avec son modèle, il faut bien remarquer que les recueils de Vies rompent la continuité de l’histoire événementielle, déstructurée par l’omniprésence du beau langage et la quête des maximes révélatrices. Ce qui s’impose comme une formule mémorable mène à une révision de l’histoire, reléguant au second plan les plus grandes figures du pouvoir absolu. Louis XIII n’est mentionné que dans l’ombre d’un Richelieu lui-même honni. Louis XIV est présenté comme la victime d’une adulation excessive qui n’a pas même permis à la postérité de savoir « s’il [avait] été bon » (vol. 3, p. 347). Jamais contrarié, toujours applaudi, Louis le Grand paraît bien pâle dans cette galerie de l’histoire : aucun mot vrai, aucune parole authentique à inscrire dans les mémoires. Manuel occulte totalement le règne de Louis XVI, roi absent et quasi transparent (ce qu’il n’est pas chez Bérenger, plus prudent sans doute, et pour qui Louis XVI est louable par ses actes de bienfaisance20). Dans la hiérarchie des valeurs mise en place par L’Année française, sans aller jusqu’à dire qu’un bon roi est un roi mort, l’on peut tout de même remarquer qu’un roi n’est jamais meilleur que quand il n’est pas monté sur le trône. Le Dauphin, fils de Louis XV, restera dans l’histoire parce que tout occupé à l’éducation de ses enfants, il savait dire : « Je veux qu’ils apprennent à pleurer. » (vol. 4, p. 237) Le duc de Bourgogne est digne de la mémoire collective pour des raisons semblables, lui qui s’interrogeait en ces termes : « Qu’importe qu’on publie qu’[un roi] a fait la loi à l’univers, si l’on ne dit pas encore qu’il a fait le bonheur de ses sujets ? » (vol. 1, p. 232) Ainsi l’écriture biographique est l’occasion de pleurer les rois qui ne furent jamais rois, de sublimer leur discours pour vanter un idéal monarchique faisant du souverain l’égal de ses compatriotes : un « roi citoyen » comme ce déjà lointain Louis XII, mort le 1er janvier 1515, loué comme « le père du peuple » faisant à peine sentir son empire, tant « servir un roi qu’on aime, ce n’est point obéir » (vol. 1, p. 2). Très symboliquement, c’est sur cette figure royale que Manuel ouvre L’Année française. Les Vies se livreraient-elles à un exercice d’idéalisation rétrospective et sélective, la narration biographique tournant à l’hagiographie et mettant en péril l’authenticité des modèles ?
15Si l’on note en effet une tendance à surévaluer certaines figures de l’histoire et à passer sous silence, ou à décrier, celles qui sont généralement vantées pour avoir le plus assuré le prestige de la France et son empire sur le monde, il n’en demeure pas moins que chez Manuel, l’écriture conserve toujours une dimension critique qui garantit en même temps la crédibilité des récits et la liberté de jugement du rédacteur comme de son public. Cela n’est pas vrai pour Bérenger, qui se garde des critiques et suspend ses narrations avant qu’elles n’abordent les épisodes biographiques les plus épineux. Fidèle à Plutarque, Manuel est moins circonspect et suit la règle de dire, aussi, les mauvaises actions, les fautes et les crimes de ses personnages. Louis XII lui-même n’est pas sans tache : il a trop fait la guerre, comme plus tard Louis XIV, et il a vendu des offices, petite vénalité qui peut lui être reprochée. Saint Louis (Louis IX, mort en 1270), dont les lois et les vertus forment une véritable « école des chrétiens », a sur la conscience le tribunal de l’Inquisition (vol. 1, p. 252). Colbert fut un ministre honnête, mais il ne comprit pas qu’il fallait libéraliser le commerce des grains ; Fleury gouverna modestement la France, mais délaissa la marine et entraîna finalement le royaume au désastre. Les erreurs politiques côtoient les crimes les plus atroces, tels les massacres des vaudois ou des protestants. L’Année française ambitionnerait ainsi de former ce que nous appelons aujourd’hui l’esprit critique des jeunes gens : même les grands hommes souffrent de faiblesses, et nulle bonne action n’autorise à l’oublier. Alors qu’elle semblait relever d’une pédagogie très dirigiste, enfermant l’enfant dans la reproduction des modèles, la biographie telle que la pratique sans concessions Manuel pourrait apparaître comme une formation à la liberté de penser.
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16Sous le couvert de la tradition (à l’antique), les recueils de Vies d’hommes illustres donnés en lecture scolaire aux enfants diffusent des idées politiques qui peuvent avoir de lourdes conséquences pour l’ordre monarchique. L’histoire est remaniée, transformée en maximes mémorables et efficaces qui n’attendent que le moment de leur expression dans les actes. Les vies du passé sont tournées vers l’avenir, avec une projection de la notion de citoyenneté sur des catégories de plus en plus populaires de la nation. Les ouvrages de Bérenger et de Manuel, malgré les protestations affichées dans leurs préfaces, ne s’adressent cependant pas au peuple entier : la jeunesse des collèges à laquelle les auteurs destinent leurs biographies synthétiques ou fragmentaires appartient à la catégorie du verbe, celle pour qui compte encore l’éclat de la parole. Quand Bérenger, dans Les Vertus du peuple, s’adresse aux classes inférieures, son discours vante le geste. Quelques années plus tard, pendant l’épisode révolutionnaire, Léonard Bourdon écrivant pour le peuple français privilégie aussi le geste au verbe21.
17Les manuels de lecture pour la jeunesse, compilations de biographies abrégées, ne sont pas aussi anodins qu’une lecture rapide le laisserait penser. Certes, le style n’en est pas toujours parfait, et l’on sent un relâchement de plume dans la rédaction de certains passages. La qualité de la narration est parfois affectée par la nécessité de faire vite et utile. Mais l’on perçoit néanmoins que les auteurs de ce type d’ouvrages participent à l’élaboration d’une esthétique différente selon qu’ils s’adressent aux élites ou au peuple. La « beauté citoyenne » des élites emprunte le chemin du verbe, signe de pouvoir sur soi et sur les choses. Pour les basses classes, Bérenger ou Bourdon développent une esthétique du geste, tant il reste difficile aux rédacteurs de concevoir la belle parole, et donc la grandeur d’esprit, du peuple. D’ailleurs se profile une question subsidiaire : est-il possible d’écrire « les vies » des gens du peuple ? Peut-on faire davantage que narrer la belle action, ponctuelle, illustrant la vertu civique ? Bref, que faire du peuple dans l’ordre politique, même rénové par l’humanisme citoyen ? De telles questions justifient d’autant plus l’étude esthétique des biographies comme moyen d’appréhender avec justesse les conceptions politiques diffusées à la fin du xviiie siècle.
Bibliographie
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Douay-Soublin Françoise, « Les recueils de discours français pour la classe de rhétorique (xviiie-xixe siècles) », Histoire de l’éducation, no 74, « Les humanités classiques », Marie-Madeleine Compère & André Chervel (dir.), mai 1997, p. 151-186.
Notes de bas de page
1 Voir Jean-Claude Bonnet, Naissance du Panthéon : essai sur le culte des grands hommes, Paris, Fayard, coll. « L’esprit de la cité », 1998 ; et « Le culte des grands hommes en France au xviiie siècle ou la défaite de la monarchie », MLN, vol. 116, no 4, septembre 2001, p. 689-704.
2 Voir David A. Bell, « Canon Wars in Eighteenth-Century France : The Monarchy, the Revolution and the “Grands Hommes de la Patrie” », MLN, vol. 116, no 4, septembre 2001, p. 705-738.
3 Gabriel-François Coyer, Dissertations pour être lues : la première sur le vieux mot de patrie, la seconde sur la nature du peuple, La Haye, Gosse, 1755.
4 Voir notamment les ouvrages très offensifs de Louis-René de Caradeuc de La Chalotais, Compte rendu des constitutions des jésuites, s.l., s.n., 1762 ; et Essai d’éducation nationale ou Plan d’études pour la jeunesse [1763], Robert Granderoute (éd.), Paris/Saint-Étienne, CNRS éditions/Publications de l’Université de Saint-Étienne, 1996.
5 L’article « Collège » rédigé par d’Alembert est un modèle de cette critique : Encyclopédie, ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers, par une société de gens de lettres, 35 vol., Paris, Briasson, 1751-1780, vol. 3, p. 634b-637b.
6 Laurent-Pierre Bérenger (1749-1822), poète célèbre pour ses Soirées provençales (1786).
7 Louis-Pierre Manuel (1751-1793) doit sa notoriété à un pamphlet l’ayant conduit à la Bastille en 1786.
8 Elle fut remaniée et augmentée en 1789.
9 L.-P. Bérenger, Manuel de la jeunesse française, ou Modèles de patriotisme et de vertus tirés de l’histoire de France, dans La Morale en action, ou Élite de faits mémorables et d’anecdotes instructives, propres à faire aimer la vertu et à former les jeunes gens dans l’art de la narration. Ouvrage utile à Messieurs les élèves des écoles militaires et des collèges [1787], Lyon / Paris, Périsse, 1789, p. VII.
10 Ibid., p. VIII.
11 L.-P. Manuel, L’Année française ou Vies des hommes qui ont honoré la France, ou par leurs talents, ou par leurs services, et surtout par leurs vertus, pour tous les jours de l’année, 4 vol., Paris, Nyon l’aîné et fils, 1789. Pour les citations suivantes de cet ouvrage, la référence sera donnée dans le texte.
12 L.-P. Bérenger, Le Peuple instruit par ses propres vertus, ou Cours complet d’instruction et d’anecdotes, Paris, Nyon l’aîné, 1787.
13 Une édition de La Morale en action daterait de 1783 (Lyon, Périsse) : elle est recensée dans le catalogue de la BnF mais le nom de Bérenger n’y est pas associé. L’ouvrage, publié anonymement, serait du père Eustache Guibaud, oratorien. Françoise Douay-Soublin évoque une réédition en 1785, puis en 1787 et en 1789, enfin huit rééditions entre 1811 et 1861, toujours chez Périsse, auxquelles s’ajoutent les quelque cent soixante réimpressions du xixe siècle chez d’autres éditeurs : voir « Les recueils de discours français pour la classe de rhétorique (xviiie-xixe siècles) », Histoire de l’éducation, no 74, « Les humanités classiques », Marie-Madeleine Compère & André Chervel (dir.), mai 1997, p. 159. Dans la littérature critique, La Morale en action attribuée au père Guibaud est parfois distinguée de celle de Bérenger, comme s’il s’agissait d’un ouvrage réellement différent. Cependant les hésitations et les hypothèses sont nombreuses et contradictoires : tantôt l’on suggère que les deux auteurs auraient collaboré, tantôt que Bérenger aurait continué l’ouvrage de Guibaud, quand ce n’est pas l’inverse. Nous n’avons pas à ce jour mené l’enquête bibliographique permettant d’élucider cette confusion.
14 Manuel reconnaît que « ces quatre volumes ne sont pas entièrement de [lui] » (L’Année française, op. cit., vol. 1, p. XI) et cite les auteurs des éloges de l’Académie (Fontenelle, d’Alembert, Condorcet, Vicq d’Azir). Dans la conclusion qu’il donne au volume 4, il mentionne également des sources ponctuelles, comme M. de Vigneul-Marville, qui a si bien su mettre en valeur les qualités domestiques de l’académicien Pierre du Ryer. Il renvoie surtout aux « registres de la nation » (vol. 4, p. 458). Les sources de Bérenger sont extrêmement nombreuses, si l’on en croit la longue liste figurant dans la préface des Vertus du peuple : bien qu’il s’agisse d’un autre ouvrage, l’on peut supposer qu’une partie des lectures a pu servir également ici, Les Vertus du peuple ayant été publiées la même année que le Manuel de la jeunesse française. Dans la préface de ce dernier recueil, Bérenger avoue simplement avoir parfois retranscrit sans changement certains récits collectés au gré de ses lectures.
15 La version de 1787 contient cent quatorze anecdotes (pour cent trente-cinq pages, mais la typographie n’est pas la même en 1789).
16 Voir supra dans le cahier d’images la représentation de cette scène par Pierre-Henri Révoil (ill. 2).
17 Jean-Jacques Rousseau, Émile ou De l’éducation [1762], Tanguy L’Aminot, Pierre Richard & François Richard (éd.), Paris, Bordas, coll. « Classiques Garnier », 1992, livre IV, p. 287.
18 Si le mot peut être interprété avec innocence par les jeunes élèves qui voudront y reconnaître la valeur d’un guerrier ne battant jamais retraite, les lecteurs moins naïfs, connaissant l’homosexualité du duc d’Orange, riront ici plus grassement. Le livre scolaire est aussi le vecteur de stéréotypes qui se glissent dans les doubles sens du langage, et les propos les plus graveleux se fondent dans les paroles vertueuses des grands hommes.
19 Il s’agit de la réplique de Gusman à Zamore dans Alzire, ou les Américains (acte V, scène 7), pièce que Voltaire fit jouer en 1736 : « Des dieux, que nous servons, connais la différence : / Les tiens t’ont commandé le meurtre et la vengeance ; / Et le mien, quand ton bras vient de m’assassiner, / M’ordonne de te plaindre et de te pardonner. » (T.E.D. Braun (éd.), Les Œuvres complètes de Voltaire, Oxford, Voltaire Foundation, 1989, t. 14, p. 202)
20 Voir L.-P. Bérenger, Manuel de la jeunesse française, op. cit., récit no 80.
21 Léonard Bourdon, Recueil des actions héroïques et civiques des républicains français, Paris, Impr. nationale, an II [1793].
Auteur
Maître de conférences en littérature française à l’Université Bordeaux Montaigne. Ses recherches portent notamment sur la littérature d’éducation du xviiie siècle. Elle a dirigé un volume collectif sur l’héroïsme du peuple : Le Héros populaire, un héros politique ? (Presses universitaires de Bordeaux, 2012).
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Biographie & Politique
Vie publique, vie privée, de l'Ancien Régime à la Restauration
Olivier Ferret et Anne-Marie Mercier-Faivre (dir.)
2014