Les traités médicaux sur les bains d’Acqui Terme, entre XIVe et XVIe siècles
p. 31-61
Texte intégral
1Les travaux sont désormais nombreux qui nous renseignent sur le véritable renouveau, entre le XIVe et le XVIe siècle, dans l’Occident latin, de l’hydrothérapie antique. Cette renaissance s’accompagne, en Italie notamment1, de l’évolution progressive d’un genre littéraire relevant de la médecine pratique et entièrement consacré à l’exposition des propriétés et des possibles usages médicaux des eaux thermales2. Ces recherches inscrivent plus largement ce phénomène dans le cadre d’une progressive « médicalisation » du thermalisme3.
2La pratique du bain thermal s’enrichit donc d’une pluralité de valeurs qui ne se limitent donc plus seulement à une recreatio corporis, mais en font aussi un instrument thérapeutique indispensable à la preservatio et à la curatio sanitatis, une pratique que seul le médecin pourra « discipliner4 ». Aussi les propriétés curatives des différentes sources thermales deviennent-elles l’objet, de la part des médecins, d’une analyse attentive de leurs origines minérales. En outre, comme l’a bien montré Katharine Park, les praticiens, qui furent auteurs de traités consacrés aux De balneis, ont été parmi les premiers à développer de nouvelles méthodes empiriques d’enquête et des types d’explications physiques des phénomènes naturels, fondés sur l’étude des particularia, ici les propriétés des eaux thermales. Ce faisant, ils réhabilitaient les merveilles de la nature en tant que phénomènes utiles, adaptés à une réflexion de type philosophico-scientifique, et marquaient ainsi l’apparition d’une tradition littéraire centrée sur l’analyse causale de phénomènes individuels, fondés sur la perception d’expériences répétées5.
3Cette intervention se propose d’illustrer les différentes modalités d’approches que certains médecins de l’Université et des milieux de cour, protagonistes de cette « médicalisation » du thermalisme dont nous avons parlé, ont choisi d’adopter à travers l’analyse comparée de traités dédiés au cas particulier des bains d’Acqui dans le Montferrat, entre XIVe et XVIe siècles.
4Les mots avec lesquels, en 1513, Mengo Bianchello Faventino (1440-ca. 1520), l’un des médecins qui choisit de discuter des propriété des thermes d’Acqui, débute son Tractatus de balneis ne constituent que l’un des très nombreux exemples susceptibles de nous faire mieux comprendre l’importance, le rôle et l’évolution de la balnéothérapie dans la pensée et dans les pratiques médicales de la fin du Moyen Âge :
«Cum magnos mirabilesque balneorum effectus considerare, quibus a Philosopho sacerrima dicta sunt, videremque Italiam quam plurimis thermis ornatam esse, immo ex omni genere thermarum superabundare, non parum miratus sum medicos latinos tam breviter, diminuteque de balneis scripsisse, eo maxime quod balnea ultima medicorum refugia sunt. Nam eum aegritudines suis medicaminibus curare nequeant, mox de balneis consultatio fit, ut aegros ad balnea pro ultimo remedio mittant6.»
5Le ton, consciemment rhétorique du passage, entend souligner comment, à l’abondance des sources thermales de la péninsule, qui furent, dès l’Antiquité, considérées comme dotées de propriétés curatives tellement admirables qu’elles furent qualifiées de sacrées, correspond, y compris encore au début du XVIe siècle, un manque de littérature médicale spécialisée, susceptible de cartographier, délimiter et doter d’un outillage explicatif un phénomène devenu, pour les « professionnels » de l’époque, un instrument thérapeutique désormais incontournable, d’autant que sa puissance, considérée comme supérieure à la pharmacopée traditionnelle, apparaît l’ultime refuge et remède des praticiens. Ce n’est pas un hasard si Antonio Guaineri († 1458), se référant justement aux thermes d’Acqui, dans son De balneis Aquae civitatis (1435), en compare les modalités d’actions à celles de la thériaque, composé complexe, considéré depuis l’Antiquité comme un antidote universel contre tout type de venin et décrit par les médecins médiévaux comme une médecine dotée de merveilleuses propriétés, aussi bien préventives que thérapeutiques : « Sed his balneis non aliter quam tyriace magne accidit, in qua corruptis componentium formis in ea resultat complexio quedam per quam venenum omne necat7. »
6Quoique les auteurs du XVIe siècle, plus informés sur le thème, à l’image d’Andrea Bacci (1524-1600) dans son monumental De thermis (1571), aient considéré Antonio Guaineri, en raison de sa déclaration8, comme le précurseur de la tradition médiévale sur cette source antique9, deux manuscrits composites regroupant des De balneis, contiennent aussi un consilium ou tractatus pro balneis de Acquis composé par Pietro da Tossignano († 1403), dans le dernier quart du XIVe siècle10. Avant tout, il est important de souligner comment, même la tradition écrite sur les thermes d’Acqui reflète ce lien entre écriture et milieux de cour, dont on a déjà souligné qu’il était caractéristique de l’intérêt que les médecins universitaires portaient, surtout à partir du XVe siècle, aux eaux thermales11 : Pietro da Tossignano est alors le médecin personnel de Gian Galeazzo Visconti et professeur à Pavie ; Antonio Guaineri, lui, non seulement enseigne à Pavie puis à Chieri, mais fut aussi un temps au service de la cour du duc de Savoie Amédée VIII, à partir de 142712 ; il adresse également certaines de ses œuvres au duc de Milan, Filippo Maria Visconti. Nous savons en outre qu’il accompagna personnellement à Acqui le marquis du Montferrat en 1435 et, dans son traité, il s’empresse de dresser une brève liste des hommes illustres qui tirèrent profit de ces eaux :
«quod aliqui illustres viri magnifici quoque nonnulli varijs oppressi languoribus veniunt. Inter quos fuit Hestensis, Marchio quoque Mantue, quorum gratia cum meo illustrissimo domino, domino Montiferrati Marchione, prefate civitatis domino naturali illuc accessi13.»
7Dans le troisième chapitre, Guaineri décrit dans le détail l’issue positive et presque immédiate de la cure thermale qu’y fit le marquis de Mantoue qui, depuis sept mois, était affligé d’une douleur incessante, causée par la goutte, et qu’aucune médecine, aussi forte fut-elle, n’avait été capable de soulager14.
8Michele Savonarola (1385-1466), lui, adresse son volumineux De balneis (1448), dont nous analyserons les passages dédiés à la station thermale d’Acqui, à Borso d’Este15. Ce médecin aussi se partage entre l’enseignement académique (à Padoue d’abord, puis ensuite à Ferrare) et l’exercice professionnel, auprès de la rayonnante cour des Este, d’abord au service de Niccolò III dès 1440, puis de Leonello et enfin de Borso. Dans le bref paragraphe consacré aux De balneis civitatis Aquensis, Michele se souvient du séjour à Acqui du défunt marquis Niccolò, qui souffrait lui aussi de la goutte : « Ad haec autem profectus est pro cura podagrarum suarum recolendae memoriae illustris Nicolaus Marchio Estensis genitor tuus16. »
9Les liens de Mengo Bianchello de Faenza avec les milieux de cours ne sont pas tant attestés par le rapide paragraphe consacré aux eaux d’Acqui de son De balneis tractatus17 (1513) (qui, du reste, comme nous le verrons brièvement, n’est rien d’autre qu’un commentaire des conclusions auxquelles était arrivé Savonarola à propos de ces mêmes eaux), que par le consilium très détaillé consacré au bain de Villa, en territoire lucquois. Ce médecin le compose en effet pour la Seigneurie de Lucques, dans le but affiché de dissiper sans tarder tout doute quant aux possibilités et à l’utilité d’une exploitation médicale de ces eaux thermales, y compris en boisson comme en attestait déjà Gentile da Foligno († 1348) dans deux de ses conseils (« teste Gentili Fulgineo in duobus suis consilijs »), un autre médecin célèbre qui s’était précédemment penché sur ce bain toscan18.
10Relevant aussi de la tradition médicale des consilia19, le conseil De balneis Aquensibus que trois médecins de l’Université de Pavie composèrent en 1551 pour Ferdinand Gonzaga « Mediolanensis provinciae praefectus, et Caesariani exercitus imperator20 », mérite au moins d’être cité. Troisième fils d’Isabelle d’Este et de Francesco II Gonzaga, condottiere célèbre et gouverneur de Milan pour le compte de l’Espagnol Charles Quint, Ferdinand était affligé d’une forme particulièrement sévère de sciatique, accompagnée d’une tuméfaction de la jambe qui le rendait pratiquement boiteux. Les trois praticiens préconisaient l’utilité ou, du moins, l’usage des eaux boueuses d’Acqui, en tenant compte de la complexion et de la genèse de la maladie du patient. Ils affirmaient, évidemment, que seul un groupe de médecins experts serait en mesure d’établir les modalités et la durée de la cure nécessaire dans un cas aussi complexe.
11Le traité, sans aucun doute le plus étendu et le plus précis sur les thermes d’Acqui, fut rédigé par Bartolomeo Viotti da Clivolo († 1568), au milieu du XVIe siècle. Ce professeur de logique et médecin turinois, fils d’un chirurgien renommé, dédia à cette source les deux premiers livres de son De balneorum naturalium viribus libri quatuor (édité à Lyon en 1552) qui furent publiés à nouveau dans le De balneis omnia quae extant l’année suivante à Venise21. Dans le prologue de l’œuvre, datée de 1550, et que ne réédite pas le De balneis omnia quae extant, nous apprenons que le traité fut destiné à Renato Birago, président du Parlement de Turin, une institution voulue par le roi François Ier durant l’occupation française du Piémont et de la Savoie. La composition de ce texte s’explique par la nécessité pressante de mettre par écrit, « adversus oblivionem », et pour des collègues, les nouveaux savoirs sur ces thermes prodigieux, recueillis par Bartolomeo lors d’un fructueux et long séjour « ad Aquensia balnea », en compagnie du gouverneur piémontais précédent et de son médecin personnel22.
12Ce bref panorama sur les médecins qui se sont occupés d’Acqui se termine avec Andrea Bacci, déjà cité, qui fut médecin pontifical. Dans son De thermis (1571), il regroupe les sources thermales alors connues en fonction de la présence de soufre, d’autres minéraux comme le sel, le nitre, l’alun ou encore de différents métaux. Je n’analyserai pas plus avant ce traité ; il suffit d’en dire qu’avec l’aide des informations repérées dans les textes de Savonarola et surtout d’Antonio Guaineri, les paragraphes consacrés aux Balnea ad aquas in Liguria23 et le suivant sur Aquae eadem ad flumen Burmidam, respectivement dédiés aux bains thermaux d’Acqui et à la source qui jaillit au-delà de la rivière Bormida, sont insérés sans délai dans le livre V que Bacci destine aux Historie aquarum mineralium, plus particulièrement dans le paragraphe IX consacré aux eaux naturelles composées d’alun24.
13Au total, tous les médecins évoqués précédemment ont suivi une formation universitaire ; s’ils enseignent ou ont enseigné à l’université, ce sont surtout, comme on a pu le voir des professionnels très recherchés, souvent au service de princes mécènes, de gouverneurs ou encore de souverains pontifes. Nonobstant les finalités proprement scientifiques et les caractéristiques typiquement scolastiques de ces traités sur les bains – aspects sur lesquels nous reviendrons –, il est évident que ces auteurs ont trouvé aussi, auprès des dédicataires illustres et dans le cadre de l’intérêt que les milieux de cour portaient au merveilleux, une légitimation à leurs œuvres. Ils entreprennent alors d’analyser les propriétés de chaque source thermale, en recherchant, lorsque cela s’avère possible, des explications à caractère philosophico-scientifique.
14On peut souligner comment, au-delà de la connexion de ces œuvres avec les milieux de cour, la tradition sur Acqui reflète une autre évolution importante, caractéristique, et pour ainsi dire « physiologique », du nouveau genre du de balneis (lié à la découverte de nouveaux sites ou à la redécouverte de sources antiques et à la volonté d’en définir les propriétés, en se fondant sur des données de l’expérience, susceptibles, jusqu’à un certain point seulement, de s’appuyer sur les autorités antérieures) : Pietro da Tossignano et Antonio Guaineri, en dédiant des œuvres à l’analyse d’une seule source minérale, s’inscrivent, en compagnie d’autres médecins, dans ce qui a été défini comme une « approche régionale », voire « locale » du thermalisme médical25. Les œuvres de leurs collègues, Michele Savonarola, Mengo Bianchello de Faenza, Bartolomeo Viotti (qui, toutefois, comme on le verra, constitue une exception) et Andrea Bacci, dessinent en revanche une carte de l’Italie, constellée d’une multitude de sources thermales diverses, qui correspondrait à une approche plus générale, du thermalisme, inaugurée par Ugolino da Montecatini (1348-1425), au début du XVe siècle26, conférant ainsi à cette littérature médicale émergente, des caractéristiques très originales, par ailleurs déjà mises en évidence pour les textes médicaux du XIVe siècle : l’étude des sources thermales sera nécessairement empirique et fondée sur la collaboration des médecins et l’accumulation de leurs expériences.
Les traités de Pietro da Tossignano et Antonio Guaineri sur Acqui Terme
15Pietro da Tossignano n’est pas tant connu pour son traité inédit sur les bains d’Acqui, que pour une autre œuvre, très brève, consacrée aux bains de Bormio, en Valtelline, conservée dans deux compilations manuscrites déjà citées27, et éditées dans le recueil De balneis omnia quae extant paru en 155328. Le primat de Pietro, dans le domaine thermal, s’étend donc aussi à la station de Bormio et son ouvrage sur Acqui précède d’environ quarante ans le travail d’Antonio Guaineri. Il est difficile de dire si Guaineri a fondé son discours consacré à Acqui sur le traité de Tossignano. Les différences observées dans les deux ouvrages à propos, par exemple, de la composition minérale des eaux mais aussi dans la forme de l’exposition et dans la méthodologie, évidentes à la lecture comparée des deux œuvres, me font plutôt pencher pour un développement indépendant des deux textes. Il est certain, toutefois, que les deux auteurs firent personnellement l’expérience directe de cette source. Nous avons enfin noté que Guaineri justifiait la composition de son traité par le silence des auteurs modernes, c’est-à-dire de ses prédécesseurs ou contemporains (« apud modernos nulla scriptura reperitur29 »). On trouve la même raison citée quelques années plus tôt par Pietro dans le prologue de son opuscule qu’il divise en quatre chapitres consacrés respectivement à la composition minérale de la source (ou plutôt des sources, l’une captée au centre de la cité, l’autre à l’extérieur de l’enceinte, au-delà du fleuve Bormida), aux maladies que ces eaux aux vertus « sublimes » soignent, aux dommages qu’elles pourraient procurer, et enfin aux saisons de la cure et aux modalités d’utilisation :
« Multi ex auctoribus nostris de Acquis termaticis in Italia existentibus late et subtiliter mineram utilitatem et nocumenta scripserunt, termas omnes particulariter connumerantes que in Tussia, que in Romandiola, que in regno Neapolitano, in Campanea, in Marchia Travisana et ceteris Italie partibus existunt. Neminemque hucusque legi qui traderet eruditionem aquarum termarum civitatis de Acquis in comitatu seu marchionatu Montiferrati. Satisque non desino admirari quod de tali et tam admirabili fonte virtuti que multum familiari et morbis pluribus summe proficuo nulla nisi inutili facta sit mentio. Quamobrem, ne virtus illius sublimis fontis amplius lateat, decrevi iuxta posse breviter quatuor per ordinem pertractare : primo que minera in aqua dominetur ; secundum quibus morbis competat ; tertium que nocumenta ex illo sequantur ; quartum quo tempore et quo modo uti debeat30. »
16Parallèlement à une volonté de mieux connaître et contrôler ces mirabilia de la nature à des fins thérapeutiques, se développe donc l’intérêt des médecins pour l’analyse des composantes minérales des eaux thermales. Le caractère unique de chaque source n’est pas sans d’importantes conséquences épistémologiques : si chacune d’entre elles a bien des caractéristiques uniques et singulières, ses propriétés ne pourront pas être déduites de principes universels, mais devront dériver de l’expérience individuelle. À partir de l’analyse sensorielle de l’eau de chaque source, grâce à la vue, l’odeur, au goût et au toucher, Pietro révèle la présence de quatre minéraux dominants : dans l’ordre décroissant, s’y trouvent le nitre « quod manifestatur ex vaporibus grossis ascendentibus cuperture fontis qui ibidem ingrossati et indurati nitrum constituunt in multa quantitate31 », le sel « licet non gustui manifeste percipiatur », visible par les incrustations sur les pierres exposées au soleil et qui affleurent de l’eau, l’alun, reconnaissable à la forme d’étincelles blanches en suspension, présentes dans la boue de la source, et dont la consistance ressemble à un onguent qu’on pourrait confondre avec des grains de sable (mais le toucher permet d’exclure cette hypothèse32), et pour finir le soufre.
17Quoiqu’elle soit modique, la présence de soufre est démontrée par Pietro da Tossignano de deux façons : l’une se fonde sur l’autorité d’Aristote qui soutient la présence automatique de soufre dans toutes les sources naturellement chaudes, et l’autre sur l’expérience, et, plus particulièrement, sur l’odeur33. Pietro indique également la possibilité d’extraire du sel de très bonne qualité de la source, si on s’y emploie avec des instruments adéquats34.
18Ces caractéristiques importantes, contenues dans l’opuscule de Pietro da Tossignano, apparaissent fortement contradictoires avec le texte d’Antonio Guaineri, comme l’est plus largement l’ensemble du traité et ce sur différents aspects :
- du fait du recours fréquent aux autorités canoniques arabes (essentiellement le Canon d’Avicenne, livre I, fen 2a, doct. 1a, chap. XV, le Liber ad Almansorem de Rhazès, tract. III, le Liber continens du même Rhazès, tract. XXIII35), citées à la lettre, où sont définies les propriétés curatives des eaux thermales, pour tenter d’expliquer les caractéristiques spécifiques de chaque bain ;
- en raison de l’absence d’anecdotes de nature médicale sur Acqui ou, plus exactement, d’histoire de cas cliniques et de guérisons connues par l’expérience personnelle ou par connaissance indirecte du médecin, quoiqu’on trouve fréquemment les formules du type ego vidi, iuditio meo, ut referunt habitantes ;
- du fait d’un refus (« pro nunc agitare non intendo ») de se lancer dans des tentatives d’explication des vertus curatives et des causes justifiant la chaleur de la source qui remontent à une tradition aristotélicienne, comme nous avons pu le constater pour ce qui concerne la démonstration a priori d’une présence de soufre, reposant sur la seule autorité d’Aristote. Voici comment le médecin de Pavie choisit de conclure son chapitre de mineris :
«Ex quibus infero compositione hanc quod aqua illa est calefactiva et exicativa potentialiter quamvis etiam sit actualiter intense caliditatis. Patet istud ex eo quia virtutem illam acquirit a mineris super quas transit, ut voluit Aristoteles in libro De proprietatibus ellementorum et 24a Problematum problemate 18° et 19°, dum assignat causas caliditatis termarum, quamvis philosophorum plurimum alia fuerit sententia, ut recitat Aristoteles in libro De proprietatibus ellementorum et etiam Johannes de Dondis patavi, quas pro nunc agitare non intendo36.»
19Pietro connaît donc le De fontibus calidis agri patavini consideratio que Giovanni Dondi (ca. 1330-1388), médecin et astronome qui travailla à Padoue, Florence et Pavie, et qui fut aussi le médecin de l’empereur Charles IV, composa en 1372, développant l’œuvre de son père Giacomo et l’enrichissant de ses propres observations empiriques37. Dans ce traité, qui se caractérise par une attitude d’indépendance à l’égard des autorités, par un fréquent recours à l’expérience personnelle et par un style fortement autobiographique38, Giovanni ne met pas seulement en question la paternité aristotélicienne du De proprietatibus elementorum, mais s’oppose aussi à l’explication traditionnelle de la chaleur des sources thermales qui résulterait d’un écoulement souterrain des eaux sur des veines de soufre et de chaux, explications que soutiennent par exemple Aristote dans Meteor. II 8, 368a 14-24 et Albert le Grand dans son De mineralibus et dans le De natura locorum 39. Le médecin padouan retient plutôt l’idée que l’eau se réchauffe en raison de gaz et de feux souterrains. Quoique la terre soit par essence un élément froid, l’action des rayons célestes et les influences astrales réchauffent en fait en profondeur notre planète, produisant des exhalaisons de différents types, responsables du réchauffement et des particularités de ces eaux. Pietro, en revanche, ne discute pas de l’attribution au philosophe du texte pseudo-aristotélicien De proprietatibus elementorum40, ni de l’autre texte apocryphe des Problemata41, pas plus qu’il ne s’empresse de préciser quelles sont les « nombreuses autres opinions » des philosophes sur les causes de chaleur des sources thermales ; il ne semble pas non plus s’intéresser à l’ancien débat, repris par des médecins contemporains comme Ugolino da Montecatini, sur le rôle et la présence de soufre dans la composition de ces eaux. Le soufre, en fait, était considéré par de nombreux auteurs comme le principal agent du réchauffement et le responsable de la transformation de la complexion naturelle de l’eau qui, de froide et humide, deviendrait, par son effet, chaude et sèche. Cette explication ne convainquait toutefois pas tout le monde, ne serait-ce que parce que dans de nombreuses sources analysées, on ne trouvait pas de soufre42.
20L’opuscule sur les eaux, écrit par Tossignano, a surtout pour but de fournir aux collègues (auquel il s’adresse directement ave des formules du type « canonque hic sit semper in mente tua, et tibi sempre sit menti optimam curam habere hepatis ac etiam renum », etc.) un vademecum de règles pour une utilisation pratique du bain thermal, à propos de la fréquence et des modalités de la cure, et ce n’est pas un hasard si le chapitre IV, qui traite de ces usages, est le plus développé43. Pietro vise à proposer un ensemble de moyens de contrôle et de normalisation des nouvelles habitudes (comme celle de prendre l’eau « intra per potu », que Pietro définit comme « non valde in usu44 »), mais aussi d’anciens usages comme par exemple celui que suivent les habitants du lieu qui, d’évidence, s’obstinent à se baigner sans prendre conseil auprès du médecin professionnel, unique expert, capable d’individualiser les nocumenta causés par un mauvais recours au bain. Ainsi, c’est à cause d’une utilisation incorrecte de la source que beaucoup sont atteints de la gale. C’est aussi parce que l’eau thermale est d’abord considérée comme un instrument thérapeutique45 qu’en cas d’administration erronée, elle est susceptible de causer, comme le font les autres médecines, des dommages, comme le rappelle Pietro da Tossignano au début du chapitre III : « Et quia nulla fere est medicina que in se aliquali nocumento non participet, quemquem sit de numero benedictarum, idcircho restat tertium declarandum que nocumenta ex usu huius balnei sequantur46 ». Seul le professionnel de la santé saura expliquer, en des termes médicaux et rationnels, ce que confirme l’expérience fondée sur l’observation des habitants du lieu, à savoir pourquoi ces derniers sont atteints de gale : « Quintum nocumentum est scabies et proprie quando corpora non sunt bene purgata, et etiam ipso balneo indebite utuntur. Nam balneum est causa atrahendi humiditatem salsam et adhustam a centro ad circonferentiam, que maxime scabiem generat, habeturque etiam hoc nocumentum experientia horum qui in his locis habitant que ut plurimum sunt scabiosi47. »
21Le De balneis Aquae civitatis d’Antonio Guaineri est aussi un traité thermal de type monographique, que nous pourrions qualifier de standard : comme celui de son prédécesseur, il contient la définition de la nature minérale de ces eaux, l’énumération de leurs vertus thérapeutiques et donc des pathologies qui peuvent, grâce à elles, être soignées ou prévenues, la liste des accidents qu’elles provoquent, ainsi que les canons qui devraient en réguler l’usage. Mais ce texte présente aussi d’intéressantes caractéristiques sur lesquelles nous nous étendrons plus longuement, et qui le différencient de l’opuscule de Pietro da Tossignano : 1. une attitude plus indépendante à l’égard des autorités antiques, du reste jamais citées, doublée d’une confiance dans le savoir de ceux qui résident près des bains et qui en ont donc une meilleure connaissance, qu’ils soient médecins, femmes, ou simples habitants ; 2. la présence massive de comptes rendus de cas cliniques qui proviennent de l’expérience directe du médecin ou médiatisée, qui semblent souligner la composante merveilleuse ou « quasi miraculeuse » des guérisons, et qui sont utilisés comme critère d’organisation du chapitre qui traite des maladies soignées par cette eau (sans oublier le récit de véritables miracles qui ne concernent pas la guérison d’individus mais la source thermale elle-même48) ; 3. une plus grande application dans la recherche des modalités d’analyse de la composition minérale des eaux ; 4. une tentative différente d’explication rationnelle de l’action des eaux qui fait abstraction des qualités de la complexion spécifique de chaque minerai qui le composent ; 5. une attention particulière pour les fastes passés de la ville et de sa source qui, non seulement semble anticiper l’intérêt historique pour la période romaine du thermalisme qui caractérisera les érudits du XVIe siècle, mais aussi vouloir satisfaire la curiosité d’un public non exclusivement composé de médecins49.
22Après la justification déjà citée par Antonio à propos de l’absence d’écrits modernes sur ces eaux thermales, en raison des guerres continues et des épidémies de peste, le traité se prolonge avec l’histoire mythique et quasi sacrée de l’antique citée d’Acqui50. Depuis les temps anciens, jusqu’à la domination séculaire de la famille des Alerami et à la résurrection finale de la cité « sous ses seigneurs naturels », les marquis du Montferrat, Acqui a toujours été une destination de pèlerinage pour les malades de toutes sortes, dont la guérison suscitait tant d’émerveillements qu’elle était considérée comme causée par des pouvoirs bien plus divins que naturels ; et c’est justement pour enquêter sur l’extraordinaire nature de ces bains qu’Antonio a soumis l’eau thermale au procédé de la sublimation, pour en déduire la composition minérale suivante : trois quarts de sel, un quart de nitre, un tout petit peu d’alun et une concentration plus modeste encore de soufre, quoique la forte odeur de soufre puisse induire en erreur51 :
«Tunc enim pluries diversis egritudinibus infecti illic aderant, de quorum convalescentia admirabantur omnes, sic ut effectus illos divinitus potius provenire quam naturaliter arbitrarentur. Quam ob causam ut virtutes eorum potius investigarem pluries ex aqua fontium balneorum sublimatione facta feces conspexi, quarum ut quantititatis comparationem faciam tres partes salis continent, nitri unam, aluminis parum, sulfuris vero quo ad apparentiam52 (…).»
23Même le rapport entre quantité de sel et de nitre peut sembler trompeur : les citadins du lieu, « loquentes sensualiter », sont convaincus que c’est le nitre qui domine, parce qu’ils peuvent facilement observer les incrustations sur les parois de la source. Mais le médecin expert sait bien que c’est le sel qui apparaît en plus grande quantité dans les résidus du processus de sublimation. En outre, Antonio affirme que cette petite dispute n’a aucune conséquence sur la pratique médicale des soins thermaux (il lui dénie donc toute raison d’être ou utilité), parce que les vertus curatives des deux minéraux se ressemblent beaucoup :
«Cives autem illi loquentes sensualiter nitrosam mineram istam a praedominio esse aiunt: et hoc ex nitro esse arguunt, quod in fontis balnei parietibus adheret. Sed materiam illam conspexi in qua salis portio notabilis erat plus tamen nitri est: quia ubi cetera sint paria quam sal nitrum facilius sublimatur. Cum ergo fons ille circum lapidibus involvatur, vapores ab Acquis illis elevati qui parietibus adherent pro maiori parti a nitro quam a sale resolvuntur. Nil itaque mirum si nitri quam salis quantitas sit maior: sed in fecibus per sublimationem derelicti maior salis erat quantitas. At quantum ad virtutes parum de hac diversitate curarem, cum omnes nitri speciem conversi secundum magis et minus in virtute tamen salis satis propinquat53 (…).»
24Si selon Antonio, pour expliquer l’action des eaux, il ne suffit pas d’additionner les propriétés de chaque minerai qu’elles contiennent, il est toutefois nécessaire d’avoir recours à la doctrine (bien enracinée dans la médecine académique et dans la philosophie naturelle de la fin du Moyen Âge) des propriétés occultes et de la forme spécifique. Le concept de « forme substantielle », de « forme spécifique » ou d’action per tota substantia, clairement défini par exemple par Avicenne dans le Canon (I. 2.15), fait référence à la propriété d’une substance qui ne se déduit pas du mélange des qualités premières et manifestes (comme le sec, le froid, l’humide, et le chaud) mais vient définie par ses effets, perceptibles justement grâce à l’expérience54. L’expérience du médecin, qui s’est rendu en personne pour analyser les propriétés thérapeutiques et les particularités de chaque source thermale, devient ainsi le critère d’authentification et de véracité des indications et des conseils médecins prodigués :
«Sed his balneis non aliter quam tyriace magne accidit in qua corruptis componentium formis in ea resultat complexio quedam per quam venenum omne necat, quod tamen simplex nullum per se faceret. Sic ex sale, nitro, alumine et que in Acquis istis reperiuntur quedam fit commixtio per quam complexio unam resultat, virtute cuius balnea illa sic virtuosa fiunt. Ad quod supercelestis etiam influxus adiuvat, quo mediante ex virtute miscibilium in Acquis illic virtus sic preciosa manet: quia quantumcumque salis, nitri, aluminis ac sulfuris quoque minere, que in his balneis reperitur, pondus scire et cum quibus vis Acquis ea commisceres, in his tamen virtutem talem qualis ea est – que dictis in balneis virtute supercelestium principaliter refluente reperitur – tribuere posses55.»
25Tandis que la vertu thérapeutique bien prouvée de la thériaque est considérée comme dérivant non tant des complexions particulières de ses ingrédients mais bien plutôt de leur combinaison (qui donne naissance à une forme nouvelle), le problème posé par la difficile explication causale des modalités d’action thérapeutique des sources, considérées par de nombreux médecins comme dotées de vertus occultes56 (bien que naturelles, et comme agissantes par tota substantia, ou grâce à leur particulière forma specifica) est résolu par Antonio grâce au postulat de la création d’une nouvelle forme, résultat du mélange unique et non répété des composantes minérales présentes dans les sources d’Acqui57. Le passage cité cidessus est pour le moins éclairant à propos de ce qu’on pourrait considérer comme une ambivalence de la réflexion médicale de Guaineri : d’un côté, le parallèle entre la thériaque, objet de nombreux débats savants (bien étudiés par Michael R. McVaugh), centré sur la détermination de son efficacité, de son dosage et des propriétés spécifiques des médecines composées, et l’eau thermale considérée elle aussi comme un composé, objet dans un certain sens « nouveau » de la réflexion médico-scientifique à l’époque médiévale, met en évidence la volonté de fournir une explication médicale, aussi rationnelle que possible, à l’efficacité des cures thermales ; de l’autre, l’origine particulière du pouvoir curatif des eaux, attribuable soit à ce qu’Avicenne avait appelé l’action « ex tota sui substantia », et donc à une propriété occulte, soit aux influences astrales, symbolise, pour reprendre les mots de Michael R. McVaugh, « the strictly empirical element of natural phenomena58 ». Une telle ambivalence, entre le rationalisme médical et la recherche d’explications d’une autre nature, qu’elle soit magique, astrologique ou encore « faisant fides philosophes59 », à caractère religieux et miraculeux, définit toute l’œuvre de Guaineri. Comme le notait Danielle Jacquart, en fait, le médecin n’hésite pas à intégrer à sa pratique médicale, des usages et des explications empruntés à des domaines étrangers à sa propre discipline, sans jamais pour autant s’empêcher de critiquer et de condamner les pratiques magiques et astrologiques au nom de la rationalité de son art60. Toutefois, Guaineri n’y a recours que lorsque la science médicale se révèle impuissante. Il n’est alors pas étonnant qu’il emprunte aussi la notion de forme spécifique et les explications astrologiques lorsqu’il discute de peste61, d’empoisonnement62, d’épilepsie63, de folie64 ou encore de tous ces événements qu’il considère comme causés par un venin et donc par une forme substantielle occulte qui altère l’organisme humain de manière imprévue65. « O bone Deus quot virtutes a tota substantia provenientes in rebus sigillasti que nobis existunt incognite66 ! » –, affirme le médecin dans son De venenis, avant la longue liste des substances vénéneuses contenues dans différents minéraux, métaux, végétaux, animaux ou dans des parties de ces espèces. Même l’eau thermale opère selon Guaineri d’après ce même principe occulte, soit en agissant de manière opposée (à la maladie) et donc en procurant un bénéfice, soit comme anti-venin pour l’organisme humain, comme le fait la thériaque.
26Les causes, pour partie inconnues, de l’action des eaux transforment le chapitre consacré par Guaineri aux maladies que soignent les thermes d’Acqui en une liste des cas cliniques résolus avec succès ; ils prennent la physionomie de véritables guérisons miraculeuses67. Et ce n’est donc pas par hasard que dans le recueil publié par Tommaso Giunta sur les De balneis, ce chapitre apparaisse dans une section spéciale avec le titre de miracolose curationes. Après la cure déjà évoquée du marquis de Mantoue souffrant de goutte68, et une mention rapide des bienfaits apportées par ces mêmes eaux au marquis d’Este, Niccolò III qui était atteint du même mal69, Antonio Guaineri évoque le cas d’un citadin de Casale qui boitait : en un temps très bref, il n’eut plus besoin de bâton pour marcher. Il cite aussi l’exemple d’un Parmesan estropié à la suite d’une chute de cheval, ou encore d’un habitant de Pavie affecté par une maladie chronique aux jambes et qui, en seulement douze jours de cure, fut complètement guéri grâce aux bains de boue et d’eau70. Après ces cas cliniques relatifs aux jambes et aux pieds, sont cités deux exempla de guérisons des membres supérieurs (celui d’un homme d’armes qui ne pouvait plus plier la main à cause des innombrables coups reçus, et celui d’un autre soldat dont la main et le bras étaient paralysés et qui, sur le conseil explicite de Guaineri, se soumet à la technique de la douche, appliquée à la nuque, et retrouve l’usage du membre en huit jours71). Passant ensuite aux maladies de la tête, du tronc et du ventre, Antonio raconte la guérison immédiate d’un homme affligé d’un tonitum auris, d’un asthmatique soigné par la douche et par la consommation d’eau, et d’un patient qui, en raison de calculs à la vessie, « usque coelum lamentabiles voces mittebat » et qui, immédiatement après avoir bu de grandes quantités d’eau, expulsa le calcul72. Est encore mentionné le cas d’un homme considéré comme lépreux (« a vulgaribus leprosus reputatus ») qui fut guéri grâce à vingt jours de bains73. Cette longue liste se termine par des exemples de rémission de maladies des membres de la génération : celui du cardinal Giacomo de Insula, rendu impotent et paralysé par des crises d’arthrite, qui se fit porter à Acqui en litière et qui revint quelques jours plus tard dans sa cité, « galiarditer » et capable de marcher74. Les trois exemples de pathologies de nature gynécologique sont intéressantes parce qu’elles nous informent sur le degré de confiance du médecin à l’égard des savoirs « populaires » détenus notamment par des femmes et, plus largement, par ceux qui résident auprès des bains et qui, de fait, en ont une meilleure connaissance75 ; ils fournissent souvent des conseils qui se révèlent plus efficaces que ceux prodigués par Guaineri lui-même. La liste de ces guérisons pourrait s’allonger démesurément et elle ne s’interrompt que du fait de la volonté explicite du médecin de ne pas ennuyer le lecteur et de passer immédiatement aux instructions pratiques sur les usages corrects du bain :
«De his nostris balneis miranda recensere possem, quorum partem ipse vidi, et partem a fide dignis accepi, que si omnia describere vellem tedio nimio legentes afficerem, qui hoc tempore verbis omissis ad actum practicum immediate devenire cupiunt76.»
27Cette caractéristique particulière de la structure du traité, à savoir que les guérisons individuelles viennent utilisées comme grille de référence pour le chapitre traditionnel consacré aux affections que soignent ces eaux thermales, est très importante d’un point de vue également épistémologique : ce sont en effet ces anecdotes, fruit de l’expérience en partie personnelle, en partie indirecte (« quorum partem ipse vidi, et partem a fide dignis accepi »), qui organisent le texte. La double fonction, didactique et épistémologique, du récit de l’expérience se révèle en fait décisive, d’un côté pour instituer le savoir thermal et lui garantir la possibilité d’être enseigné, de l’autre, pour légitimer et anoblir, en quelque sorte, l’apport auquel on ne saurait renoncer et qui provient « du bas », à savoir d’informations, de faits particuliers, d’observations empiriques. Ils sont indispensables pour persuader le lecteur d’accepter (ou simplement l’informer de l’existence) de procédés thérapeutiques nouveaux ou, du moins, alternatifs aux traditionnels : par exemple, la pratique qui consiste à boire l’eau et que nous avons vu définie par Pietro da Tossignano comme « non valde in usu77 », est devenue dans le texte de Guaineri, une habitude acquise78. Au total, ces faits de l’expérience, plus ou moins miraculeux, ont pour finalité de conserver la mémoire des phénomènes et d’en rendre possible la circulation au sein de la communauté médicale79.
Acqui terme dans les textes de Michele Savonarola, Mengo Bianchello et Bartolomeo Viotti
28Dans le bref paragraphe de son volumineux De balneis consacré aux bains d’Acqui, Michele Savonarola admet ne s’être jamais personnellement rendu dans cette station et n’en avoir donc aucune expérience directe. Le médecin se limite à répéter les informations qu’il est parvenu à retrouver. Malgré certaines évidentes convergences thématiques entre le traité de Guaineri et le passage de Savonarola sur ces eaux, d’importantes différences me font penser qu’il n’y a pas d’influence directe du premier sur le second : 1-d’abord, dans le texte de Savonarola, il n’y a pas de description des sources qui surgissent près de la ville, au-delà du fleuve Bormida ; n’y sont en outre décrits que deux bains qui se situent sur la place principale d’Acqui80 ; 2-surtout, Savonarola déclare ne rien savoir de la composition minérale de ces eaux (il ignore donc manifestement l’analyse conduite par le médecin de Pavie) ; aussi, déduit-il leur composition à partir des seules indications sensorielles fournies par ceux qui se sont rendus en ville et qui y ont bu l’eau, sur la base des maladies que ces dernières soignent et enfin grâce à l’opinion des médecins locaux. On note enfin que Savonarola, comme le faisait Pietro da Tossignano, mais à la différence de Guaineri, définit l’usage de boire les eaux d’Acqui comme une pratique peu commune :
«Fontis autem minerae notitiam non habeo. Nam qui ibi fuerunt, et aquam biberunt, dixerunt mihi aquam illam primis in duobus diebus clarissimam ac limpidam esse, ut in fundus parvulus obolus videatur, deinde post biduum fit viridis (...). Neque communis est consuetudo eam potandi. Sed quoniam in passionibus iuncturarum potenter valet et haec sibi laus a suis attribuitur super alia balnea omnia, et in omnibus doloribus articulorum, cum tante sit caliditatis, verisimile est quod alumine participat, et quod a predominio talis sit, cum aluminosae sic sapore sint remissae. Nam sulfuree gustu et odore percipiuntur et visu; salsae vero saltem gustu, et nullum talium in aqua hac sentitur. Verum ex medicis illius patriae quidam dixerunt eam sulfuream, aluminosam ac nitrosam esse, cuius veritas ex ultimo capitulo haberi poterit81.»
293-Pour finir, l’immédiateté de l’efficacité des eaux thermales, que rapporte Antonio Guaineri et qui confine au miracle, contraste fortement avec le passage terminal de Savonarola qui souligne, au contraire, que les vertus curatives des eaux n’imprègnent l’organisme du malade que longtemps après le début du traitement, en tous cas pas avant deux mois dans le meilleur des cas ; au pire, en revanche, les bains d’Acqui ne seraient selon lui d’aucun bienfait et ne guériraient alors aucune maladie82 : une conclusion que Guaineri, assurément, n’aurait pas approuvée.
30Au XVIe siècle, la tradition médicale sur les eaux thermales d’Acqui nous conduit au prologue déjà cité du De balneis tractatus composé en 1513 par Mengo Bianchelli de Faenza83, dans lequel est soulignée l’insuffisance de littérature médicale sur ce sujet. Ce passage révèle, à bien y regarder, une polémique (quoi qu’encore voilée en raison de l’absence de cible explicite), à l’encontre de certains aspects superflus d’une bonne partie du traité monumental de Michele Savonarola, coupable, aux yeux du médecin de Faenza, d’avoir écrit un texte trop discursif et donc d’avoir inséré dans cette œuvre, certes complète, des informations superfétatoires qui distraient le médecin désireux de disposer d’une « perfectam notitiam de balneis » :
«Quam ob rem de balneis perfectam notitiam tradere necessarium esse videtur, ut et medici recte consulere valeant, et aegroti optatum finem consequi possint. Forsitan dices novissime temporibus nostris iam de balneis satis competenter tractatum esse ab eo qui per omnia Italiae balnea discurrit. Recte quidem dixisti, ‘ discurrit’: quia de ijs satis leviter enuntiavit, ut infra patebit. Propterea ingenium nostrum movit ad sufficienter ordinateque scribendum que de ijs necessaria sunt superflua resecando. Ut autem haec a nobis recte fieri possint, proponemus dividendo singula quae tractanda sunt ut omnia quae necessaria sunt manifeste appareant; dehinc circa unumquodque dubitando veritate investigabimus, iuxta regulam Philosophi primo Topicorum. Dubitantes ad utramque partem in singulis speculabimur verum et falsum, et tertio Metaphysice. Querentes veritatem sine dubitatione similes sunt, quo ire oportet, ignorantibus (…). In 6 cap. de omnibus balneis Italiae tangendo prius breviter que ab alijs dicuntur, deinde ventilando dicta eorum84.»
31Mises à part les citations aristotéliciennes à usage rhétorique, le traité de Mengo est pour le moins débiteur à l’encontre du De balneis de Savonarola, premier auteur, on le sait, à avoir rédigé une œuvre à caractère vraiment « général ». Cette dépendance est telle qu’on pourrait considérer l’ouvrage de Mengo comme un commentaire littéral du livre de Savonarola85. Cela apparaît avec force dans le cas d’Acqui, station dans laquelle le praticien de Faenza ne s’est lui-même jamais rendu. Après avoir repris à la lettre une bonne partie du paragraphe de Savonarola, l’auteur du De balneis tractatus se perd dans des éclaircissements ponctuels et approfondit le développement proposé par le Padouan, afin de déterminer la composition minérale des eaux, en les considérant d’abord selon leurs effets (« quantum ad effectus »), c’est-à-dire selon les maladies qu’elles soignent, et ensuite selon les sens (« ex accidentibus sensuum ») : ainsi, il explicite dans le détail toutes les considérations rapportées indirectement par Savonarola sur la température, la couleur et le goût de l’eau :
«Dicemus ergo prius quis de ijs sentiat Savonarola (…). Nos vero dicimus quod si consideretur haec aqua quantum ad effectus, cum maxime conferat in egritudinibus iuncturarum et nervorum, quod est proprium sulfuris, quod magis participat sulfure; cum etiam conferat in membris naturalibus excepto hepate, quia nocet ei, videtur participare alumine; sed ex accidentibus communibus si consideretur, cum ex tactu magna percipiatur caliditas, ita ut a principio tolerari non possit, non est dubitandum quod illa provenit ex sulfure, cum sulfur sit calidum usque ad quartum gradum, et nulla alia minera sit tante caliditatis nisi calx non extincta, sed cum extinguitur non est tante caliditatis, quare aqua illa ita calida non potest provenire nisi ex sulfure (…). Et si diceres: cum hic nullum signum aluminis appareat, quare dicis eam partecipare alumine? Dicitur quod non caret omnino signis aluminis, quia tanta luciditas aquae significat alumen, propter ergo luciditate aquae, et propter conferentiam ad stomachum frigidum, iudico participare de alumine; de sale vero participare absurdum est, cum in gustu non appareat salsedo. Tertio dicimus remittendo verificationem minere ad elambicationem commode faciendam86.»
32Il importe ici de souligner d’abord l’attention toujours plus forte portée dans ces textes à l’analyse de la composition minérale des eaux ainsi que les modalités particulières de constitution du savoir dans cette littérature naissante, fondées sur la collaboration de médecins et le rassemblement de leurs expériences : un tel phénomène, pour le moins important dans le processus de normalisation, de valorisation et de reconnaissance du thermalisme à l’intérieur du discours médical, est encore plus évident à la lecture du dernier traité ici considéré, le De balneorum naturalium viribus libri quatuor (1552), rédigé par le médecin turinois Bartolomeo Viotti da Clivolo († 1568).
33Nous avons déjà évoqué le prologue de ce texte qui figure dans l’édition lyonnaise de 1552 mais non dans le De balneis omnia quae extant paru l’année suivante ; ce prologue contient la dédicace et la justification de rédaction de l’œuvre qui rassemble les fruits d’un long déplacement du médecin ad Aquensia balnea87. La spécificité de l’œuvre de Bartolomeo consiste dans sa nature hybride, qui rassemble les deux approches du thermalisme, à savoir régionale ou locale, et « générale » dont nous avons parlé plus haut : les deux premiers livres du De balneorum naturalium viribus constituent en fait un long et très détaillé traité monographique sur les thermes d’Acqui, qui présente des caractéristiques très originales et qui se sert des précédents traités d’Antonio Guaineri et de Michele Savonarola ; la partie restante de l’œuvre (livres III et IV) porte, en revanche, sur les « totius orbis balneorum vires » ; elle est précédée par une sorte d’excusatio à propos de la fidélité des faits rapportés, qui n’est que présumée puisque le médecin n’a pu faire l’expérience directe de ces sources thermales88. La nécessité de devoir s’appuyer sur le travail intellectuel des autres, ici reconnue, loin d’invalider la valeur de l’œuvre, lui confère même une certaine noblesse : en effet, que resterait-il, se demande l’auteur, des œuvres historiques de Valère Maxime, de Tite Live, de Pline ou encore de l’immense travail d’Avicenne si on leur ôtait l’apport de leurs sources respectives ?
«At si haec excusatio non plene satisfacit, vitio vertatur Valerio Maximo, Tito Livio, Platinae, et similibus historiographis quod infinita scripserint ex aliorum narratione. Quid quaeso Avicennae, quid Aetio, quid Paulo, quid Plinio reliquum erit, si aliorum scripta ab illis subtraxeris89?»
34Dans la premier partie de son travail, Bartolomeo Viotti enrichit beaucoup notre connaissance du site thermal et du territoire environnant, en en fournissant une description quasi photographique : d’une unique source dans la cité, d’où l’eau sort à très haute température, partent différents tubes qui peuvent être ouverts ou fermés selon les exigences ; ces tubes portent l’eau dans différentes vasques aux noms évocateurs (bains de San Giorgio, della Republica, dei Francescani, etc.). Au milieu du XVIe siècle, l’édifice principal des bains est doté d’une partie destinée aux bains de vapeur, appelée laconicum seu hypocaustum aut sudatorium, mais dénommée plus communément par le vulgaire stupha ; elle est pourvue de niches appropriées, saturées de vapeur, où le patient peut faire passer seulement la tête ou les membres. Cet édifice est aussi pourvu d’un lavacrum, ou piscine thermale, ornée d’un pavement et de parois en briques, dotée également de petites rigoles pour une immersion partielle du corps. On y trouve encore une annexe pour la douche, appelée Gutturnio, qui dispense des douches au débit plus ou moins fort. Il existe encore d’autres petits locaux contigus où les baigneurs peuvent se reposer et suer, allongés sur des lits. Les parois du Gutturnio sont incrustées d’une substance lisse et blanche comme l’albâtre et qui, recueillie et réduite en poudre, aurait, selon les gardiens du lieu, des vertus hautement thérapeutiques.
35Les femmes de la ville utilisent en outre l’eau thermale non seulement pour déplumer les poulets et les chapons, ou pour nettoyer toute sorte d’animaux comestibles, mais aussi pour confectionner un très bon pain. À quelques 500 pas d’Acqui, au-delà du fleuve Bormida, il existe aussi une autre source, qui sent le soufre et qui déverse dans le marécage une boue bénéfique. Dans ce lieu est construit un très bel édifice, où les usagers des bains se soignent également, en mettant leurs mains, pieds, bras et jambes dans des caissons en bois pleins de boue chaude. Avec l’œil clinique du médecin, Bartolomeo Viotti s’appesantit aussi sur la description des « fangaroli », c’est-à-dire des préposés à la tâche ingrate d’extraire la boue brûlante du fonds du marécage ; ces hommes ont la peau recouverte d’une couche de boue et boivent une potion qui a pour fonction de protéger les voies respiratoires de la chaleur et de l’exposition continue aux exhalaisons provenant des marais90.
36L’attention scrupuleuse portée par Viotti à la description des eaux et à leur classification est perceptible tout au long de son traité et le conduit parfois à s’autocensurer : parlant ainsi des qualités et des avantages et inconvénients des différentes canalisations et des matériaux qui revêtent les vasques, l’auteur achève son discours en reconnaissant qu’il n’écrit pas pour instruire les architectes mais bien les médecins91. Dans la partie sur les facultates des bains, il renonce à compléter la description des effets particuliers des différents types de soins thermaux parce qu’ils sont tellement nombreux qu’ils en sont infinis, et parce que, souvent contradictoires entre eux, ils en sont trompeurs. Galien lui-même, dans le De simplicibus farmaciis, reprocha à Dioscoride son désir d’exhaustivité dans l’énumération des innombrables effets des plantes qu’il décrivait dans son œuvre. Qui, par ailleurs, ne trouverait pas ridicule d’affirmer que le bain en même temps réchauffe et refroidit, qu’il engraisse et amaigrit à la fois92 ?
37La réponse de Bartolomeo à ces apparentes contradictions consiste dans le fait de préciser que le bain fortifie ou rend chétif, non pas per se mais per accidens : un tel phénomène dépend en effet de la concomitance de différents facteurs, tels par exemple l’abus de bain, la constitution individuelle du patient ou encore le type de maladie dont il souffre. En outre, il est tout aussi difficile et infini d’énumérer avec précision les affections que ces bains soignent : Bartolomeo, suivant encore l’exemple de Galien (selon lequel la méthode est difficile à expliquer en peu de mots au medico exercitato et impossible à comprendre pour le medico inexercitato93), classifie les affections en froides, humides, froides et humides, froides avec présence d’une humeur pituiteuse, humide avec présence d’humeur, froide et humide avec présence d’humeur. Ce classement pathologique se différencie et se complique tour à tour ultérieurement, « veluti ex vigintiquatuor literarum mutua connexione vocum numerus nobis infinitus gignitur, ita infinitus ex tali differentiarum connexione morborum numerus resultabit94 ». Pour éviter d’inutiles confusions, le médecin choisit de discuter dans le détail d’un seul cas d’affection froide et humide avec présence d’humeurs, celui d’un hypothétique individu souffrant de goutte, et d’utiliser cet exemple tout au long de son propos comme un élément auquel le lecteur-médecin pourra se reporter pour la cure d’autres parties du corps et pour d’autres maladies moins complexes :
«Si quae tamen a partium diversitate, aut aliorum humorum mistione, aut ab alijs erunt sumendae indicationes, illae non omittentur, frigidam et humidam cum humore, proposito in exemplum alicuius partis affectu ita examinemus, ut curationis aliarum partium et aliorum affectuum veluti index esse possit. Proponatur aliquis podagrico dolore vexatus, qui in utroque pede oedematodes tumor adsit95 (…).»
38Pour ce qui concerne en revanche les exempla sur les bains d’Acqui, entendus comme anecdotes de cas cliniques résolus avec succès, le médecin turinois se limite à certifier la validité des exemples rapportés par Guaineri dans son traité (« Praeterea ea omnia quae Guainerium vere narrasse censeo96 ») et à ajouter qu’il a été lui même témoin de nombreux cas semblables pour lesquels la cure thermale s’est démontrée efficace et sûre97.
39Même le De balneis de Michele Savonarola est souvent utilisé par Bartolomeo, par exemple lorsqu’il s’agit de la quantité d’eau thermale qui peut être bue quotidiennement sans risque98. Sur ce sujet, à propos du débat sur la convenance ou pas d’un transport et d’un usage thérapeutique des eaux loin de leur lieu d’origine99, Viotti précise qu’il vaudrait mieux boire l’eau in loco, non seulement parce que, comme le disent certains, l’eau transportée se corrompt, mais aussi, plus simplement parce qu’elle se refroidit, perdant ainsi sa chaleur innée qui a partie liée avec ses qualités thérapeutiques100.
40Bartolomeo prend aussi part, d’une manière très enflammée, à un autre débat théorique, celui sur les causes de l’efficacité thérapeutique des eaux minérales et sur la modalité de leur action. Dans ce cas aussi, le médecin prend d’abord en considération la composition minérale des bains : après avoir résumé les résultats obtenus par Guanieri101, il affirme que l’eau, lorsqu’elle est bouillie, restitue de résidus salins. De semblables résidus sont visibles dans la cuvette en bronze d’où l’on a fait évaporer l’eau. Tous les autres sont d’accord pour constater la présence de nitre dans les dépôts qui s’incrustent sur les parois du Gutturnio. En tous cas, puisque le sel fossile est considéré par les autorités comme une espèce de nitre, et comme les facultés des deux minéraux ne se différencient guère, Bartolomeo considère inutile de se fatiguer à la subdiviser pour en déterminer les quantités respectives102. Selon Viotti, il est aussi facile de déduire de l’analyse sensorielle de l’eau la présence d’alun et de soufre, même s’il est difficile d’en déterminer avec précision les proportions. De même, il est plus dur encore d’établir avec certitude la composition de l’eau thermale, et par conséquence, d’en déchiffrer dans le détail les modalités d’action. Ici Bartolomeo se laisse aller à une sorte de profession de foi d’ignorance quant aux causes de l’efficacité thérapeutique de l’eau thermale (il ne remet pas en cause l’idée de tota substantia, et donc la théorie médiévale de la forme spécifique comme explication de tout phénomène occulte) qui, certes, dépend des minéraux qu’elle contient, mais pas seulement : une telle efficacité s’explique aussi par la chaleur bénéfique du soleil, et par la conjoncture astrale dans des propositions qu’on ne peut calculer. S’il est en fait possible de connaître, comme l’explique Viotti, les causes universelles des choses, il ne nous est pas permis d’avoir une connaissance parfaite des lois particulières qui régulent la transmutation et la mixtion de toutes les choses : « Dicamus igitur et nostra imperfectionem cognoscamus nobis datum esse universales rerum causas cognoscere, at particularem omnium rerum generationis trasformationem et mistionis modum omnem non perfecte conceditur103. » C’est dans ce contexte que l’auteur du De balneorum naturalium viribus déclenche une attaque soutenue contre le Alchymistarum turba qui s’illusionne non seulement de pouvoir déterminer, à partir d’un procédé distillatoire, l’exacte composition de l’eau thermale (comme cela est par exemple rapporté par un médecin du lieu, Battista, dans le cas des bains d’Acqui104), mais, en général, de pouvoir reproduire artificiellement cette chaleur naturelle innée, responsable du processus de transmutation que seule la nature est capable d’accomplir. Dans les viscères de la terre, une telle chaleur est responsable de la composition non reproductible des eaux bienfaitrices d’Acqui : la même chaleur créé l’or que les alchimistes, en mêlant artificiellement des métaux variés, n’ont jamais réussi à produire, et aussi les diverses parties des organismes vivants que les partisans de Raymond Lulle prétendent reproduire à partir de pain, de laitue, de vin et d’autres choses semblables. Il paraît nécessaire ici de citer cette condamnation alerte de l’alchimie, plutôt que d’en proposer une paraphrase qui la dénaturerait :
«Id ego persuasum habeo in horum quantitate cognoscenda nos frustra laboraturos, cum eam perspectam et cuicunque aquae mixtam certo teneam longo intervallo ab huius facultate et vi distare. Praeter materiam etenim perfectissimam et eo perfectionis numero dotatam, qualem alibi non est invenire, concurrit solis benignus calor et astrorum aspectus eam mirabilem vim illi aquae tribuens, quam qui ex arte sequitur, nunquam assequetur. Non minus quam alchymistarum turba aurum ex varia metallorum mistione nunquam generabit, sed semper in fumum omnes illorum conatus evanescent. Et tandem cum praeceptore Raymundo Lulio per ignorantiae et miseriae silvas errantes delirabunt. Nec habebunt qui tali in caligine constitutos solentur, nisi forte qualem habuit Lulius eius deliramenti Monachum aliquem ut similes nanciscantur labra lactucas. Quis quaeso est calor ille? Quae est illa ars, aut industria, quae ad imitationem caloris naturalis et innatae hominis facultatis ex pane, carnibus, lactuca, vino et similibus, chylum, sanguinem, deinde carnem, ossa et eius generis alia poterit generare? Ita in illis terrae visceribus contentum esse quendam calorem innatam quandam facultatem iudico, in hac parte huius rei generandae, in illa illius, quam nulla ars, nullus labor, nulla industria assequi potest. Sed ulterius quam par sit sermo noster veluti equus effrenis verborum consecutione deductus est. Ad rem redeuntes concludimus non modo difficile, sed fere impossibile esse arte illius aquae perfectionem assequi misti partes exacte seiungere ab effectu omnia quae compositum constituunt ad unguem cognoscere105.»
***
41Cette tradition médicale sur les thermes d’Acqui, entre XIVe et XVIe siècles, reflète pleinement les caractéristiques déjà individualisées comme communes à toute la littérature thermale italienne des époques médiévale et renaissante : 1. une connexion de cette littérature avec les milieux de cour ; 2. une progressive « médicalisation » du thermalisme qui induit un processus de normalisation et de valorisation de cette thérapie à l’intérieur du discours médical ; 3. une attention toujours plus forte pour l’analyse de la composition minérale des eaux, avec le recours instrumental à de nouvelles techniques pour en déterminer la nature composite (distillation, sublimation… etc.), et pour en déchiffrer la mystérieuse modalité d’action ; 4. une accentuation du caractère cumulatif de ce « nouveau » savoir médical sur les thermes ; 5. une importance centrale dévolue à l’expérience du médecin (qui s’est rendu en personne sur les lieux pour analyser les propriétés thérapeutiques et les spécificités d’une source thermale particulière, ou qui rapporte et discute les données de l’expérience recueillies par des collègues) ; elle devient le critère principal d’authentification de la vérité des informations et des conseils dispensés par les médecins.
Notes de bas de page
1 Sur la nature, les limites et les motivations d’une référence à la seule péninsule italienne (et à l’aire allemande à partir du XVe siècle), NICOUD, 2007b, p. 322.
2 García Ballester, 1998, p. 38-45.
3 Sur cet aspect, voir surtout les contributions du numéro 43 de Médiévales (Boisseuil, 2002) et ceux du volume récent de Guérin-Beauvois-Martin, 2007. En particulier, sur la définition d’un « thermalisme médical » Nicoud, 2002 et Nicoud, 2007b.
4 C’est la conclusion à laquelle parvient M. Nicoud dans les articles cités ci-dessus. Sur la redécouverte médiévale des thermes comme lieux de plaisir, de jeu et de rencontre, et sur la qualification de cette attitude des élites, comme recreatio corporis, Paravicini Bagliani, 1994, spec. p. 267-278, où sont rappelées les fréquentations thermales (à Viterbe) d’Innocent III et Grégoire IX.
5 Park, 1999 : « I shall argue that later fourteenth in fact saw the appearance of a sustained tradition of inquiry and a coherent body of literature devoted to casual analysis of individual phenomena based on a meticulous and repeated sense experience », p. 348. Pour l’histoire et le rôle des merveilles naturelles dans l’évolution de la pensée scientifique et philosophique médiévale, Daston-park, 2000, part. cap. 3 et 4, p. 89-115, 117-148.
6 Bianchelli, 1553, fol. 58r-86v (cit. fol. 58r).
7 Antonio Guaineri, 1517, fol. 281vb. J’ai utilisé le texte de l’édition des opera omnia du médecin, intitulé Practica, parues à Lyon en 1517 (fol. 281r-284r). Une version à peu près identique est copiée dans le recueil de textes cités à la note 10, dans les très nombreux exemplaires incunables et les éditions du XVIe qui proposent l’édition complète des œuvres de Guaineri (il en paraît environ une douzaine entre 1481 et 1534) et dans le recueil bien connu du De balneis de 1553 cit. n. 5, aux fol. 43r-45v. Nous reviendrons plus loin sur cet intéressant parallèle entre thériaque et eau thermale qui permet d’approfondir l’épineux thème de l’explication causale des modalités d’action thérapeutique des sources, considérées par les médecins comme dotées de vertus occultes, quoique naturelles, et comme agissant per tota substantia, à savoir grâce à leur forma specifica particulière.
8 Quoiqu’elles aient été connues déjà dans l’Antiquité, Guaineri justifie l’absence d’études modernes sur Acqui terme (en contradiction criante avec la renommée dont jouissent à la même époque d’autres sources, pourtant elles-aussi situées dans des lieux isolés et cachés) par les guerres et les épidémies chroniques qui sévirent dans le territoire tout au long des siècles : « Quia nonnulli viri doctissimi balneorum quorundam in Italia existentium virtutes descripserunt propter mirabiles ipsorum effectus adeo famosa habita sunt, ut a remotissimis etiam partibus ad ea caterva languentium confluat. Sunt autem alia de quibus tum propter guerras, tum propter evenientes tam frequenter pestes apud modernos nulla scriptura reperitur. Et nisi superexcellentis virtutis essent, de eis amplius nulla mentio fieret. Hec que dixi virtuosa balnea in marchionatu Montiferrati in nobilissimo olim ‘aque sane’ comitatu insimulatio unius civitatis que ab ipsis Acquis calidis nomen retinuit sita sunt », Antonio Guaineri, 1517, fol. 281r.
9 « Antonius vero Guainerius, qui primus de his Acquis conscripsit historiam […] », Bacci, 1588, lib. V, fol. 175r. Même Bartolomeo Viotti, comme on le verra plus loin, se nourrit exclusivement des informations rapportées par Guaineri et Savonarola en plus de son expérience personnelle, pour compléter son ouvrage sur les thermes d’Acqui.
10 Dans le manuscrit de Paris, BnF, nouvelles acquisitions latines 211 (dont la description est fournie par Nicoud, 2002, p. 37-39), le texte de Pietro, intitulé Tractatus pro balneis de Acquis, occupe les fol. 79r-81v. La comparaison entre les deux manuscrits qui contiennent des textes majoritairement rassemblés à la suite dans l’important recueil De balneis publié par Giunta à Venise en 1553, permet d’en déduire une identité substantielle et un ordre identique dans la copie des traités. L’unique différence : dans le manuscrit du fond Aldini (à la dernière place, fol. 78v), apparaît en plus, par rapport au manuscrit de Paris, un texte intitulé : De balneo aquae Porretae (inc. : « <V> olens de aqua Porrete investigare quatuor videntur michi considerando » ; expl. : « Tertius est magister Ugo de Senis qui de aqua Porrete solum aliqua breviter scripsit. » Pour la description codicologique du manuscrit de Pavie, BU, ms Aldini 488 (128), Casagrande-Casagrande Mazzoli-Vecchio, 1993, p. 107-272 (no 79. Miscellanea De Balneis, p. 251-254).
11 Les relations entre écriture thermale et milieu de cour ont été soulignées par exemple par Park, 1999 ; Chambers, 1992, p. 3-27 ; Nicoud, 2002, spec. p. 20-21.
12 Nous ne savons pas cependant quand s’achève son service. Wickersheimer, 1979, vol. 1, p. 34-35 ; et Jacquart, 1979, vol. 3, p. 23.
13 Antonio Guaineri, 1517, fol. 281va.
14 « Illustrem Mantuanum Marchionem menses septem podagricus dolor sine interpolatione molestaverat, et adeo crudeliter, vt coacti medici, non solum domesticis stupefactivis usi sunt, sed interdum opij drac. ij cum camomillino oleo concutientes, pedem non solum semel sed pluries embrocaverunt, remittebatur dolor, sed in totum potuit amoveri nunquam. Miror cur ex embrocatione illa tam continua pes vitam non perdiderit. Prefatus dominus terna vice balneatus dolorem ex toto perdidit, ut tamen membrum ulterius confortaret et omnem malam qualitatem, si qua derelicta fuisset, amoveret, pluribus se item vicibus infrascriptum observans ordinem balneavit. Nam sero tibias in ceno estrinseci balnei per mediam amplius hore partem ad genu usque tenebat. Mane vero balnea civitatis intrabat. Isto itaque observato regimine infra dies xx dolor eum ex toto derelinquit, et isto tempore fuit ultra solitum impinguatus », ibid., fol. 282va.
15 Savonarola, 1553, fol. 1r-36v. Sur ce traité, qui occupe la première place dans le recueil de 1553, Thorndike, 1934, IV, p. 183-214 ; Montagnani, 2004 et Gualdo, 2004, part. p. 175-188 et 189-206. Dans l’article de Montagnani, l’importante et immédiate fortune manuscrite et imprimée de ce texte au XVe siècle (qui nous est transmis par au moins huit manuscrits et quatre incunables) est reconstituée. Enfin, sur les contenus et les spécificités épistémologiques qui différencient ce traité de la tradition textuelle précédente sur les bains, voir surtout la contribution de Nicoud, sous presse.
16 Savonarola, 1553, fol. 26rb-va. Ce n’est pas un hasard si Savonarola dédie aussi à Nicolò III un traité allégorique en vulgaire, le De gotta, transmis par une édition du XVIe siècle (Pavie, Jacopo da Borgofranco, 1505), qui contient le cadre clinique détaillé du tempérament et de la constitution physique du marquis et qui s’organise dans la dernière partie comme un consilium médical traditionnel. Sur le De gotta, et en général, sur le croisement de domaines d’intervention et de compétences qui caractérisent ce médecin, je renvoie à Crisciani, 2003, et à la bibliographique qui y figure.
17 Bianchelli, 1553, fol. 70r : De balneo de Acquis, quod est in civitate Aquensi […].
18 Bianchelli, 1553, Ad dominos Lucenses consilium de Balneo Villae, fol. 86v-89v. Gentile da Foligno († 1348), professeur à Sienne et Pérouse, à juste titre considéré comme un des chefs de file de la littérature médicale sur les bains (il est en effet l’auteur de textes brefs sur les eaux minérales) et de ce fait souvent cité par les auteurs successifs, s’occupe de la station thermale de Bagno della Villa, non seulement dans le De balneis paru dans l’édition de 1553 au folio 182, mais en parle aussi ses consilia. Sur les traités thermaux de Gentile, voir la contribution de Joël Chandelier dans ce volume. Sur les bains toscans et l’intérêt médical pour ce phénomène dans la région, voir Boisseuil, 2002.
19 Sur les caractéristiques spécifiques et l’évolution de ce genre littéraire, typique de la médecine pratique médiévale, voir Agrimi-Crisciani, 1994 ; Agrimi-Crisciani, 1996.
20 Giulio Delfino, Giovanni Andrea Cellanova, Bernardo Paterno, 1553, fol. 303r-v.
21 Bartolomeo Viotti da Clivolo, 1552, fol. 247r-272v, rééd. De balneis omnia, 1553. J’ai utilisé l’editio princeps.
22 « Illustrissimo ac amplissimo senatus Taurinensis praesidi Renato Birago, cum haec sit omnibus mortalibus innata cupiditas, Praeses ornatissime, indefesso quodam studio conari alia alijs quotidie addere, atque animum suum novarum rerum inventione exornare, ea potissimum eorum animum infigi, et perpetuo haerere deberet, quorum intellectus et ob exiguam rerum experientiam, quae etati immature non conceditur, et ob iudicij imbecillitatem quasi nudus adhuc et nondum suis numeris absolutus est, in quorum albo cum me conscribendum semper censuerim, cum Praeses senatus Allobrogum excellentissimus Raimondus Pelisson ad Aquensia balnea iter faceret, eximiae et rarae eruditionis Domino Iohannes Ramsay Scoti medici praestantissimi, quem secum eo deduxit, comitatui me adiunxi : ut horum balneorum cognitionem medico summe necessariam mihi pararem. Quo in loco cum utriusque auspicijs aliquot dierum spatio mihi agendum vidissem, ne frustra illud tempus contereretur, iterum atque iterum civitatis et balneorum anfractus ac meandros omnes nunc isto, nunc illo ductore et doctore perlustravi. Atque quo magis magisque haec aut illa spectabam, magis divinae benignitatis admiratione capiebar, ars divinam benignitatem imitabatur in his aut illis locis mortalium usui accomodandis, cumque mecum cogitarem huiusce nostri animi imbecillitatem tantarum, et quasi numero infinitarum rerum cognitione ad sui perfectionem egere : vix tamen paucas posse cognoscere, cognitas quam exiguo tempore memoriae thesauro reconditas posse servare, meis studijs meoque eo in itinere suscepto labori pulchre consultum iri putavi, si eorum omnium, quae ibi videram, ac fidorum virorum relatione compertum habueram, mihi velut commentariolum adversus oblivionem reponerem », Ibid., Prologue.
23 Bacci écrit à une époque où les confins géographiques entre les différentes régions n’étaient pas les mêmes que de nos jours. Il situe les thermes d’Acqui en Ligurie, bien que le Montferrat fasse aujourd’hui partie du Piémont.
24 Bacci, 1588, V, fol. 175rv.
25 Nicoud, 2002, p. 25. Cette tendance est caractéristique du XIVe siècle. En voici quelques exemples : Tura di Giacomo da Castello, professeur de médecine à Bologne, écrit en 1351 un traité sur les eaux de Porretta (Recepta aquae Balnei de Porretta, dans De Balneis omnia, 1553, fol. 46) ; Giovanni Dondi compose un ouvrage sur les eaux de Padoue, vers 1372 (sur ce texte, voir plus loin, note 37). Francesco da Siena est, quant à lui, l’auteur de consilia et de traités sur les bains de Petriolo et des alentours de Sienne (le recueil de 1553 propose un consilium de Francesco da Siena, De balneo Petrioli consilium, dans De Balneis omnia, 1553, fol. 182v). Sur les traités de cet auteur, Thorndike, 1934, III, p. 537-538.
26 En 1417, Ugolino da Montecatini compose son Tractatus de balneis, le retouche et l’amplifie trois ans plus tard afin de prendre en compte toutes les eaux thermales connues alors en Italie. Ugolino aussi souligne à plusieurs reprises ses liens avec le milieu de cour, en particulier avec Pietro Gambacorta, seigneur de Pise et avec Malatesta de’Malatesta, seigneur de Pesaro, comme source de légitimation intellectuelle et sociale de son œuvre. Ainsi, l’auteur souligne que c’est Malatesta qui l’a poussé à examiner l’eau de Bagno ad Acqua, près de Pise, afin d’y vérifier les informations que le seigneur lui-même avait recueillies sur la base d’analyses préliminaires. Sur le traité d’Ugolino, voir les informations fournies à la note 56. Non dans les faits (parce qu’il s’occupe surtout des bains toscans, comme on l’a dit et ensuite de ceux du Latium et de la région de Naples), mais au moins dans les intentions, on peut en réalité attribuer à Francesco da Siena le rôle de chef de file de l’approche « générale » du thermalisme médical, lorsqu’il éprouve le besoin de justifier son désir de s’occuper seulement des sources qu’il connaît de manière directe, à savoir des thermes toscans et siennois en particulier : « quia michi prius cognitis, dilectis atque probatis » – et donc de négliger les sources thermales de Lombardie et celles extra Italiam parce qu’il n’a pu en faire une expérience directe. Voir à nouveau Nicoud, 2002, p. 26, note 60.
27 Cf. note 10.
28 Pietro da Tossignano, De balneis Burmi, dans De Balneis omnia, 1553, fol. 193r-v.
29 Voir ici note 8.
30 Pietro da Tossignano, Balneis de Acquis, Pavie, BU, ms Aldini 488 (128), fol. 68v. La première partie de la citation, reprise du manuscrit de Paris, BnF, nal 211, est citée par Nicoud, 2002, p. 25, note 59.
31 Pavie, BU, ms Aldini 488 (128), fol. 68v.
32 « Tertia est alumen, quod apparet in luto scaturiente simul cum aqua apparent sintille infinite albe in luto illo subtilissimo ac si esset unguentum, et maxime in fonte quod est extra civitatem, que sintille iuditio meo sunt alumen. Nec potest dici quod sintille ille sint partes arene : si enim essent partes arenose maxime per tactum sentirentur ut patet manifeste modo nulla penitus resistentia percipitur amplius quam si oleum manibus pertractaretur », ibid., fol. 68v.
33 « Quarta est sulfur, quod dupliciter ostendo : Primo per Aristoteles, qui vult quod forte nullum balneum calidum naturaliter absolvitur a minera sulfuris. Secondo ex odore illarum aquarum, quia odore sulfuris participant. Et quia multum remisse sentitur sulfur, de eo ibidem modicam esse sulfuris mineram », ibid., fol. 68v.
34 « Ex quo ellectio quod si essent aliqui ingeniosi leviter cum instrumentis aptis optimum sal conficerent et valde pulchrum », ibid., fol. 68v.
35 Voici les sources citées à plusieurs reprises par Pietro et rapportées dans cet ordre à la fin du deuxième chapitre Quibus morbis competat : « Horum superscriptorum sententiam habemus ab Avicenna 2a primi, doctrina prima, capitulo de dispositionibus aquarum et in 15° capitulo quidam ornate loquentium. Ea<n> dem voluit Rasis 23° Continentis capitulo proprio de aqua, et 3° Almansoris capitulo de proprietatibus aquarum saporose », Pietro da Tossignano, Balneis de Acquis… cit., fol. 69r. Sur la transmission dans l’Occident latin et l’intégration rapide des traités de Rhazès et Avicenne (traduits au XIIe siècle par Gérard de Crémone) dans le curriculum des études médicales, voir notamment Jacquart-Micheau, 1990.
36 Pavie, BU, ms Aldini 488 (128), fol. 68v.
37 Giovanni Dondi, De fontibus calidis agri Patavini consideratio, dans De Balneis omnia, 1553, fol. 94r-108r. Pour un rapide résumé de ce traité, Thorndike, 1934, III, p. 392-396.
38 À titre d’exemple, je mentionne l’intéressant commentaire de Giovanni à l’interprétation aristotélicienne du monde naturel comme « ensemble de merveilles », proposé dans le premier livre du De partibus animalium qui démontre bien l’abandon progressif de cette attitude hostile dans la comparaison des mirabilia et des étrangetés naturelles qui avait caractérisé les œuvres des philosophes scolastiques de la fin du Moyen Âge (le passage est cité par Daston-Park, 2000, p. 117) : « Ita et ego a principio videns has aquas et considerans prescripta accidentia quae apparent in eis, quae videntur extra naturam aliarum aquarum et aliorum fontium, non mediocriter admiratus sum et, non occorrentibus causis illorum quae apparent quae plene satisfacerent, longo tempore in multis dubitavi. Sed iam docentibus annis didici et experientia longa collegi nihil non esse mirabile verumque esse dictum Aristotelis primo De partibus animalium scribentis quod in unoquoque naturali inest aliquid mirabile immo vero mirabilia multa. Sic profecto, frater, est : inter mirabilia nati et positi sumus et undequaque circundati adeo ut ad quodqunque primum oculos vertimus id mirabile sit et mirabilius plenum, si parumper profundimus intuitum ; sed plurimarum rerum aeque mirabilium familiaritas et quotidianus usus et copia admirationem aut tollit aut minuit. Propter hoc ergo non sicut antea miror, sed omnia mirabilia cernens et cogitans, mihimet imperavi de nullo valde mirari », Giovanni Dondi, De fontibus calidis… cit., dans De Balneis omnia, 1553, fol. 95v.
39 Pour Aristote, les eaux thermales devaient ainsi leurs caractères non reproductibles à la disposition souterraine particulière des dépôts minéraux propres à chaque lieu de la terre : « il convient donc de retenir que les eaux des rivières et des sources salées ont été un temps essentiellement chaudes ; que, par la suite, le principe du feu s’est éteint mais que la terre par laquelle elles étaient filtrées agissait comme la chaux et les cendres. Partout il y a des sources qui ont des saveurs variées, dont la cause vient de la puissance du feu encore présent ou passé ; en effet, la terre brûlée dans une plus ou moins grande mesure prend les couleurs ou les saveurs les plus variées. Parce que la terre est pleine d’alun, de chaux et d’autres corps du même genre, en filtrant les eaux, elle modifie leurs traits », Aristote, 2003, p. 85, 87 ; Albert le Grand, 2003, De Mineralibus, 1.1.7-8, p. 70-73 ; Albert le Grand, 1980, De Natura locorum, 1. 4-5, p. 6a-9b. Pour une exposition détaillée de cette théorie, Park, 1997, p. 140-142.
40 Sur ce texte, probablement d’origine arabe (IXe siècle) et traduit par Gérard de Crémone en 1187, Vodroska, 1969 ; Schmitt-Knox, 1985, p. 20. Sur la conscience au haut Moyen Âge de la plus ou moins grande authenticité des œuvres qui composaient le corpus aristotélicien, voir Williams, 1995, p. 29-51.
41 Voici les passages de la section XXIV des Problemata cités par Pietro da Tossignano dans le passage rapporté ci-dessus : 18. « Perché tutte le acque calde sono salate ? Forse perché la maggior parte di esse filtra attraverso una terra che contiene allume, come rivela il loro odore, e che è stata bruciata ? Ora, la cenere di ogni sostanza è salata e sa di zolfo, e perciò brucia come brucia il fulmine. Molte acque calde sgorgano quindi dove il fulmine ha lasciato il suo segno » ; 19. « Perché le sorgenti calde sono sacre ? Forse perché hanno origine dalle cose più sacre, lo zolfo e il fulmine ? », Pseudo-Aristote, 2002, p. 367. Sur la tradition de ce texte, traduit du grec pour la première fois par Bartolomeo da Messina et sur la confusion avec d’autres Problemata définis comme pseudo-aristotéliciens ou d’autres auteurs, parmi lesquels les pseudo Alexandre d’Aphrodise, Plutarque, Cassius), Lawn, 1963 ; Blair, 1999a ; Blair, 1999b ; Monfasani, 1999, p. 205-247.
42 Sur l’importance de ce débat repris par les médecins (et la citation de l’opinion d’Ugolino da Montecatini à ce propos, tirée du Tractatus de balneis), voir Nicoud, 2007b, p. 329, note 35. Sur la classification des eaux selon la prédominance des différents minerais, d’après les auteurs antiques (Vitruve, Sénèque, Pline l’Ancien, Galien, Oribase et Isidore de Séville), voir l’article de Guerin-Beauvois, 2007, spec. p. 97-101 et table 1, p. 100).
43 Le dévelopement du IVe chapitre, qui à lui seul occupe pratiquement la moitié de ce bref traité Balneis de Acquis, IV (Quo tempore et quo modo uti debeamus, fol. 69v-70v), est très linéaire : la saison à laquelle il est plus indiqué de se baigner est le printemps, la durée nécessaire à la cure de chaque patient varie selon la force individuelle et l’indisposition dont il souffre, tandis que les modalités pratiques sont divisées entre ce qu’il convient de faire ante balneum (évacuation ou purification du corps, grâce à la phlébotomie et une ventris solution) et durant le bain (in balneum). L’eau peut aussi être utilisée intra, en boisson, ou extra, avec le bain classique ; ab alto avec la douche, per stupha sine aqua, c’est-à-dire en utilisant la vapeur d’eau, et enfin grâce à l’application ou à l’immersion dans les boues. Certains types de thérapies sont accompagnés de l’application d’onguents médicamenteux (dont les recettes sont fournies en détail, comme par exemple pour protéger de la trop forte « virtus impressionem balnei » le foie et les reins, ou bien en association avec l’absorbtion d’électuaires et de boissons pour apaiser la soif induite par les bains.
44 Ibid., fol. 69v.
45 Sur la différence entre l’usage médical des eaux minérales (à des fins thérapeutiques) et des eaux douces (à des fins hygiéniques et diététiques, et donc aussi curatives, surtout si elles sont utilisées avec des plantes médicales, mais d’une manière différente et dans une moindre mesure) et sur la différence sous-entendue entre prévention, conservation de la santé et action thérapeutique, voir au moins M. Nicoud, 2007b, spec. p. 331-333. Sur la distinction déjà perçue dans l’Antiquité (aussi bien d’un point de vue conceptuel que topographique et architectonique), entre bains hygiéniques et bains curatifs, qui soutend toute l’organisation du volume récent sur les bains curatifs et bains hygiéniques, voir l’introduction méthodologique de Guerin-Beauvois-Martin, 2007, p. 1-19.
46 Pietro da Tossignano, Balneis de Acquis, III, Que nocumenta ex illo sequantur, fol. 69r.
47 Ibid., fol. 69v.
48 Cf. note 59.
49 Sur l’intérêt des médecins à la fin du Moyen Âge et à la Renaissance pour l’histoire et sur les différents sens conférés à ces termes par les médecins humanistes, Siraisi, 2000 ; Siraisi, 2007.
50 La partie initiale du traité est citée à la note 8. Fondée par Sylvius, le premier roi des Latins, peuplée de très fidèles chrétiens et jamais entâchée d’hérésie depuis la venue du Christ, Acqui devient pour ce motif un siège épiscopal à l’époque du pape Sylvestre. Malgré les nombreuses destructions et les différents dépeuplements qui se sont succédés au cours des siècles, la renommée de la ville, dont les somptueuses ruines sont visibles, est manifestement due à ses eaux salutaires. Pour un long excursus de nature mythique et historique, Antonio Guaineri, 1517, fol. 281rb-va.
51 Par sublimation (en réalité le processus qui permet le passage de l’état solide à l’état gazeux sans passer par l’état liquide), Antonio entend un procédé d’ébullition des eaux et l’analyse des résidus solides, résultats du processus.
52 Ibid., fol. 281va-b.
53 Ibid., fol. 281vb.
54 Sur l’idée d’une tota substantia et la théorie médiévale de la forme spécifique comme explication des causes occultes, Deer Richardson, 1985 ; Blum, 1992 ; Draelants, 2003 ; Federici Vescovini, 2006.
55 Antonio Guaineri, 1517, fol. 281vb.
56 Déjà Ugolino da Montecatini avait clairement exprimé l’exigence de classer comme naturelles les propriétés curatives des sources thermales en général, conscient dans le même temps des difficultés intrinsèques de cette classification, étant donné la nature merveilleuse, et par là-même sacrée, de l’action des eaux minérales : « … noluerunt enim nondum experti medici in mineris aquarum adeo effectus mirabiles quos possunt facere naturales merito nominari. Propter quod multi antiqui medici balnea sacra vocant. Et de quibus vidi balneorum multorum effectibus mirabilibus », Nardi, 1950, p. 87. Le passage est cité par Nicoud, 2002, p. 21, note 41 (cf. aussi Ugolino da Montecatini, Tractatus de balneis, dans De balneis omnia, 1553, fol. 47r-57v).
57 Sur la vertu de la thériaque en particulier, voir notamment l’article récent de Nockels Fabbri, 2007 ; McVaugh, 1972 ; McVaugh, 1985, introduction.
58 McVaugh, 1972, p. 114.
59 « Sed philosophantium pace de his balneis miraculum quoddam mihi a fide dignis enarratum describam (…) », De balneis Aquae civitatis, fol. 282rb. C’est justement l’expression utilisée par Guaineri pour introduire la narration d’un miracle survenu à Acqui, lorsque, à la suite de l’interdiction faite aux lépreux de se baigner dans la source, l’eau perdit toutes ses propriétés curatives, à l’exception de sa grande chaleur ; ce n’est qu’après une procession de contrition, menée par les citadins à la suite de l’évêque, et la promesse solennelle de permettre également aux lépreux d’accéder aux bains, que la source récupéra ses admirables vertus perdues. Ce récit est suivi de la narration de deux autres miracles relatifs aux bains d’Abano, cités par Cassiodore (l’un à propos d’une source destinée aux seuls hommes qui, en revanche, brûlait comme de l’huile bouillante les malheureuses femmes qui s’y baignaient, forme d’avertissement divin contre l’impudeur des unions charnelles dans les bains ; l’autre à propos d’un bain que rendent inutilisable les animaux qui y sont conduits pour y être déplumés ou écorchés s’ils ont été dérobés), fol. 282rb-va. De tels miracles sont cités par Guaineri dans le but déclaré de persuader le lecteur de ne pas s’émerveiller trop, ni penser que seule la source d’Acqui est miraculeuse, parce dans tous ces bains thermaux se manifestent des miracles ; c’est justement pour cette raison – ou bien parce que ces sources sont dotées de vertus si admirables – qu’Aristote a défini comme « sacrés » les bains naturels.
60 Jacquart, 1990. L’auteur analyse l’attitude de Michele Savonarola, de Jacques Despars et d’Antonio Guaineri par rapport à la magie, à l’astrologie et à l’alchimie, en se concentrant sur les traités que ces médecins consacrèrent à la peste et à la pleurésie. Jacquart, 1988.
61 Antonio Guaineri, De peste 1.1 : « … Potest enim humana complexio duobus infici venenose. Primo mixti alicuius alteratione a qualitate seu tota substantia vel forma specifica hunc inducendi effectum virtutem habentis (…). Secundo ab aeris seu nutrimentorum venenorum infectione. Et hoc potest duplici evenire. Uno modo a constellatione seu radiorum stellarum commistione vel aerem vel nutrimenta naturaliter ad venenosam infectionem disponentem (…) », cité par Jacquart, 1990, p. 145, n. 17.
62 Déjà L. Thorndike avait mis en évidence combien l’existence de vertus occultes étaient une caractéristique saillante de l’œuvre de Guaineri et avait souligné que cette action occulte était pour le médecin à la base de sa définition même du venin et par conséquent le poussait à rejeter la théorie des distinctions entre les venins qui agissent grâce à des qualités manifestes et des venins qui opèrent grâce à leur vertu occulte : pour Antonio, tous les venins, par définition, entrent dans cette deuxième catégorie : « Etsi venenum multipliciter accipi potest hic per venenum illud solum intelligo quod qualitercumque humano generi (corpori) aproximatum sive a materia operatum fuerit sive non est sue complexionis quadam mediante oculta proprietate corruptivum ». Thorndike, 1934, IV, p. 215-231 (cit. n. 49).
63 Dans son traité sur l’épilepsie contenu dans le De egritudinibus capitis 1.7, Guaineri assimile la maladie à une sorte d’empoisonnement et fait l’hypothèse d’une origine astrologique de la maladie, contractée parfois déjà dans l’utérus de la mère. Dans le chapitre 4 du traité, ensuite, à propos de la cure du paroxysme épileptique, le médecin souligne l’efficacité de certaines « médecines sacrées » qui contiennent un anti-venin dont les propriétés ne sont pas encore connues. Pour cette raison, il n’est pas en mesure d’expliquer comment la vésicule d’une grenouille, le sang d’un chien ou l’urine humaine peuvent guérir l’épilepsie et il doit se contenter d’en affirmer l’efficacité. Lennox, 1940.
64 C’est encore L. Thorndike qui cite les considérations astrologiques que le médecin déploie dans la description du traitement d’une femme folle originaire de Savoie. Thorndike, 1934, IV, p. 227.
65 Jacquart, 1990, p. 151.
66 Thorndike, 1934, vol. 4, p. 215-231 (cit. n. 50).
67 « Miraculose curationes aliquot et beneficio et vi balneorum effectae », dans De balneis omnia, 1553, fol. 12v-14v. Les miracles des bains, provenant du texte de Guaineri – ou plus exactement de la transcription du chapitre III (Quae sunt balneorum praescriptorum proprietates ac quibus particularibus egritudinibus conveniant) sont rapportés au fol. 13r-v.
68 Voir n. 13.
69 « Hestensis marchio podagrico dolore sepe detentus ex balneis ipsis proficuum grande suscepit », Guaineri, 1517, fol. 282va.
70 « Quidam Casalensis ex dolore genu iam annis aliquot transactis, sine baculo ire haud quaquam poteria, magna item cum poena, qui in civitatis balneo mane intrans cum fero tibias in extrinseco caeno tenens, in die decima baculum deservit, et dehinc sine pena, quo voluit prolibito ivit. Parmensis quidam, propter casum equi super pedem, iam elapso uno anno claudicabat, pedem illum indignatum habebat, nec magno sine dolore incedere poterat. Et tam in caeno quam balneo pluries intrans, fuit sanitati restitutus etc. Ibi quoque quidam concivis meus aderat qui propter quadam chronicam egritudinem iam decem annis tibiarum dolore poterat perire, quae persaepe etiam tumescebant, cum tam in caeno quam in balneo, inscriptum ordinem per xij solum dies observans, Papiam liber accessit », ibid., fol. 282va-b.
71 « Armigerum item, qui propter varias percussiones manus flectere nequibat, post tertiam balneationem liberum motum manibus pro libito dabat. Erat et alius qui sub castro quodam velut Stephanus lapidatus tam brachium quam manum paralyticum habebat, his consilio meo usus nucham embrochavit : et in octo diebus liber factus est », ibid., fol. 282vb.
72 « Alter antiquum tinnitum aurium patiens, super caput embrocham recepit in totum ille tinnitus recessit. Erat alter propter antiquum catarrhi descensum asthmaticus et adeo in anhelitu difficultat, ut vix ire posset, is interdum balneum ingressus est et aliquando cervicem embrochavit, quandoque vero summo mane aquae fontis pintam unam et ultra bibebat, sed mane illo balneum non intrabat, qui in xv dierum spatio anhelitum cum Dei auxilio recuperavit et curatus est. Calculosus alter de aqua illa copiose bibens, arenularum copiam ad extra mandavit. Quidam colicus ex aqua fontis clysteria cum oleo et benedicta aliquot vicibus recepit, que muccosae materiae quantitatem magnam eduxerunt, et statim bonus colicus liberatus est. Alius defectu lapidis mingere non valens ad tertium usque coelum lamentabiles voces mittebat, qui de aqua illa copiose bibens die eadem lapidem ad extra per frusta mandavit », ibid., fol. 282vb.
73 « Alius a vulgaribus leprosus reputatus, per dies xx se quaque die balneavit et mundus factus est », ibid., fol. 282vb.
74 « Quidam dominus Iacopus de Insula Virborianae cardinalis etc. fere omnibus in membris ab artetico tenebatur, cuius causa suae personae impotens nec equitare, nec suis pedibus ambulare poterat ; qui de nostrorum balneorum virtutibus audiens illuc super lectica deportari se fecit, et ordinate se balneans paucos infra dies sanitati restitutus Ianuam galiarditer accessit », ibid., fol. 282vb-283ra.
75 « Ego autem dum in Heriensi studio legerem ad hec balnea nobilem quadam mulierem mandavi que antiquum vulvae casum adeo periculosum interdum patiebatur, ut suffocari persaepe crederet, haec semel in die cervicem embrochabat, vice vero alia se balneans libera domum rediit. Cuidam vero ascliticae ut ea se solum balnearet iniunxi. Sed civis quidam qui balneorum illorum experientia didicerat ut mane pintam unam illius aquae biberet consuluit, et die alia in vesperis solum balneum intraret, hec sanitatis recuperandae cupida, tres interdum aquae pintas mane una bibebat, et per dies xl hoc continuans scilicet se interdum balneando interdum vero aquam bibendo libera facta est. Alia, ut vulgarium mulierum verbum utar, propter antiquum menstruorum alborum fluxum nunquam conceperat, et erat interdum materia illa adeo fetens ut ipsamet odio seipsam haberet, purgata ad balnea haec ivit, quae non iussu meo sed sponte sua persaepe de fontis aqua bibebat, et illis albis menstruis expurgatis cum domi fuit, pregnans facta, puellum enixa est », ibid., fol. 283ra. Cette même attitude vis à vis de l’usage du savoir des vetule et docte mulieres est soulignée par Rodnite Lemay, 1985, spec. p. 326-327.
76 Guaineri, 1517, fol. 283ra.
77 Vedi supra, n. 48.
78 Voir les exemples mentionnés dans les notes précédentes (spéc. notes 72 et 75). Dans le chapitre quatre du texte (Qualiter tam balneis, quam caeno, quam stuffa uti debeamus, et de modo fontis aquam bibendi, fol. 283va-b), Guaineri confirme l’utilité d’un usage médical de l’eau comme boisson pour les asthmatiques, les hydropiques, les personnes souffrant de calculs et de maladies de l’estomac, et délègue aux médecins assistants les décisions à prendre quant à la quantité et aux modalités de consommation de l’eau.
79 Pour une classification typologique de l’expérience, déclinée dans le cas spécifique du thermalisme médical, je renvoie une nouvelle fois à Nicoud, sous presse, qui, en se concentrant sur le De balneis de Savonarola individualise trois types d’expériences aux bains : paradigmatique, indirecte, personnelle, et à Park, 1999. Sur l’importance accordée aux particularia et à l’individu dans le discours médical, sur les modalités de leur narration et, en général, sur le thème complexe de ce qu’on peut entendre par experientia, fait, inventio, experimentum, observation, événement merveilleux ou miraculeux dans la science de la nature à l’époque médiévale, voir au moins Jacquart, 1996 ; Agrimi, 1998 ; Agrimi-Crisciani, 1990 ; Crisciani, 1990 ; Crisciani, 2001 ainsi que les contributions du volume Cardini-Regoliosi, 1996, Daston, 1991 et Daston-Park, 2000, part. chap. 3-4.
80 « Acquis civitas est apud montem Ferratum, ab Alexandria della Paia xvi milliaribus distans. In qua civitate super plateam duo sunt balnea ex eodem fonte descendentia, qui fons ab ipsis distat semi iactu lapidis, et est arcu lapideo tectus, ne pueris bestijsque alijs offendiculum fiat. Cuis aqua calidissima existit. Primum balneum magnum est lapidibus circuncirca ornatum. Secundum vero iuxta positum ab eo exiens balneum dominarum vocabatur. Nunc vero constructa est domus apud istam in qua civis quidam ordinavit aestuarium siccum, ex fumo balnei transeuntis factum, ad quod homines vadunt. Et ex hac aqua elevatur fumus sic per domum transiens, qui construit balneum unum parum coopertum, quod modo ad honestatem balneum dominarum nuncupatur », Savonarola, 1553, cap. XX, De balneis civitatis Aquensis, fol. 26rb.
81 Ibid., fol. 26rb-va.
82 « Postremo dicunt quod virtutes horum balneorum non imprimuntur in corpus nisi postquam homo in eis steterit per magnum tempus, ut duorum mensium ad minus. Unde quidam steterunt hac ex causa per annum. Et relatum est mihi ab his qui longo tempore steterunt se non fuisse sanatos, neque effectus grandes et notabiles in socijs vidisse », ibid., fol. 26va.
83 Cf. ici introduction, n. 6.
84 Bianchelli, 1553, De balneis tractatus, fol. 58r.
85 D’un point de vue également structurel, les deux écrits De balneis se ressemblent beaucoup : comme Michele Savonarola, Mengo s’occupe en premier lieu des bains simples (à savoir d’eau froide, chaude, ou d’eau mêlée d’huile, de vin et de lait), puis des bains compositis naturalibus (avec une attention particulière à la composition minérale de ces eaux thermales), des sites italiens où se trouvent ces sources, du régime à suivre quand on se baigne et des différentes typologies thérapeutiques de la cure (douche, bains de vapeur, etc.).
86 Bianchelli, 1553, De balneis tractatus, tract. II, De balneo Aquis, cap. 6, fol. 70r.
87 Cf. ici notes 21-22.
88 « Naturae secreta omnia rimari est impossibile, sensuum cognitionem trascendere citra exactam methodum perdifficile, aliorum relationi semota probatione credere, dubium, et erroris plenum, experientiae quae alij scripsere ad examen reducere non conceditur. Quidnum ob id res tanta, tam utilis, a tam multis expetita intermitetur ? Minime. Quinimmo aliorum etiam mendacia recensuisse non erit inutile : sic enim medici eruditi qui illis praesunt balneis, aut aliquando eo accedunt, mortalium miserati conditionem, aut ipsi aliquid verioris scribent, aut nostris scriptis id addent. Nobis omnia balnea visendi facultas denegatur. Sed cum Aquensia viderimus et descripserimus, visum nobis est tertiam hanc partem subnectere, quae omnium aliorum naturam, fodinam et usum aperiat », Viotti, 1552, p. 70-71.
89 Ibid., p. 71.
90 « Homines tamen illi luto fodiendo destinati (mirabile dictu) se toto corpore immersos continent, donec ligone maximum vas ligneum luto implerint. Deinde natando e medio profundissimae lacunae decem cubitorum aut circiter altitudinem superantis ligneum vas luto plenum nonnunquam duo, et ligonem ad littus deserunt, cui deinde a littore in proximam domum deferendo duo insudant. Horum vultum et universi corporis cutem si contempleris, coctorum cancrorum rufescentem illam crustam conspicere existimabis. Haec cutis siccitas ab adustione contracta calidae contactum minus noxium reddit. Quam egregie hi potent, fabris ferrarijs iudicandum relinquo : hi enim ad siccitatem et calorem ab ore ad pulmones protensa inhibendis, potione egent (…) », ibid., p. 8-9.
91 « Alia multa dici possent, praesertim circa loci et tubulorum structuram (…), et similia multa quae omnia praetereunda iudico. Non enim architectum, sed medicum instituendum suscepi », ibid., p. 24.
92 « Absurdum iudico huic narrationi hoc loco particulares balnei effectus inserere, siquidem et numero infiniti et fallaces sunt, adeo ut sine limitatione talia pronunciantes non errare sit impossibile ; unde Galenus VI Sim. in plantarum historia enarranda summum et gravem virum Dioscoridem reprehendit, quod simplicium aliquot particulares effectus aliquando stylo sit prosecutus. Quis enim non irridebit si audierit balneum idem calefacere, refrigerare, impinguare et idem corpus gracile reddere ? Cum tamen haec vera sint (…) », ibid., p. 29.
93 Ibid., p. 31.
94 Ibid., p 32.
95 Ibid., p. 32. Les italiques sont miennes.
96 Ibid., p. 19.
97 Par exemple : « Sic vidi plurimos quibus ob acceptum in genu, aut in cubito vulnus materiae copia in eam partem defluxerat, quae oedematosum tumorem excitaverat, a quo aut brachium, aut crus adeo rigida detinebantur, ut earum partium motum perdiderint, pristinum motum omnino recuperasse », ibid., p. 19.
98 « Sed quibus dictum est eam (aquam) usui esse, ij debent eam in aurora sumere a minori quantitate ad maiorem progredientes, ut ab uncijs quatuor ad octo, aut secundum Savonarolam a libra media ad libras tres », ibid., p. 61.
99 La possibilité de bénéficier de l’eau thermale, même loin de la source, est à l’origine d’un processus de mise en bouteille, d’un transport et de la naissance d’un commerce de ces eaux qui deviendra bientôt florissant et suscitera un débat docte, dont Bartolomeo Viotti se fait le porte-parole, non éloigné des intérêts économiques sur l’éventualité que l’eau des sources mise en bouteille et transportée, perdent leurs vertus. À titre d’exemple de ce commerce, je renvoie en particulier à une lettre adressée par Borso d’Este à Bianca Maria Visconti, qui avait exprimé le désir de se baigner dans les eaux thermales d’Aquaria, dans le voisinage de Modène, sans se déplacer. Le texte de la lettre est transcrit par Nicoud, 2000, n. 25, p. 367.
100 Galien faisait le même discours à propos du lait avec lequel on soigne les phtisiques, et qui serait plus efficace s’il était sucé directement au sein : « Hic non omittendum est eam ad longinquas regiones asportatam in ligneis vasis, aut aliter, suarum virium maiorem partem amittere, quod ratione a simili meo iudicio probari posset. Nemo est qui inficias eat recte Gal. Meth. scriptum esse lac phthisicos debere ab ubere, si fieri posset, suggere, aut illico a mulctione sumere, prius quam refrigescat : non quia vereatur corruptionem id fit, saepenumero etenim uno die servatum lac videmus prius qum acescat : non itaque ob corruptionem pro maximo praecepto id habet Galenus, sed ne evaporet innatus ille calor, non modo quod ille naturam adaugeat, sed etiam quod omnes lactis operationes foeliciores reddat. Sic in aquarum, que e fodinis suis calidae exeunt, calore ipso quis negabit congenitam esse facultatem non modo contrarietatis ratione frigidis morbis accomodatam, sed etiam ipsius caloris ratione vim illi inesse aptissimam ad deducendas, distribuendas ac augendas aquae illius vires ; at si hic evanuerit simul et sulfuris vis evanescet et aliorum omnium a quibus vim accepit operandi efficacia languescet », ibid., p. 61.
101 « Guainerius in sedimine factae ab eo destillationis triplo sal, nitrum superasse affirmat. Alumen (ut inquit) superabatur, minima portio sulfuri relinquebatur », ibid., p. 10.
102 « Vidi ego ex decoctione praedictae aquae plurimum salis relinqui (…). Praesertim cum si ea aqua in aeneo lebete ad consumptionem usque deserveat, liquido caernatur in fundo relictum sal, cum ego ipse expertus sum. Nitrum praeter dicta arguit paries Gutturnij, de cuius suprema crusta depurata nitrum haberi omnes uno ore affirmant. Praeterea cum sal fossile inter nitri species a scriptoribus enumeretur atque inter se facultate non multum dissideant, quinimotanta inter eos sit affinitas, ut vicissitudinalem transmutationem facile suscipiant, non in eis seiungendis diu laborandum est », ibid., p. 10-11.
103 Ibid., p. 14.
104 Je signale par ailleurs que les résultats des analyses faites par distillation sont contraires à ce que signale toute la littérature précédente : « Eius urbis peritissimus medicus Dominus Baptista asserit eam aquam eo imperante ab alchymistis destillatam, ratione qua elementa a rebus solent seiungere, liquido sulfuris maiorem quantitatem demonstrasse, deinde salis, postea nitri ; inter haec minima horum quantitas alumini relinquebatur », ibid., p. 12.
105 Ibid., p. 12-13.
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