Introduction
p. 11-13
Texte intégral
1L’importance sociale du thermalisme en Italie, à la fin du Moyen Âge, n’est plus à démontrer. Dès la fin des années 1960, Federigo Melis soulignait l’engouement des habitants des villes de Toscane pour les pratiques thermales1. Quelques années plus tard, David Chambers insistait sur la place qu’elles occupaient dans les cours princières de la vallée du Pô2 et Philippe Braunstein montrait combien elles révélaient les formes nouvelles de pratiques corporelles à la Renaissance3. Le phénomène n’est pas propre au nord de la péninsule. Il embrasse les parties les plus méridionales de l’Italie – la Campanie notamment4 – et plus largement de très nombreuses régions européennes (en Angleterre, en France, en Espagne, en Allemagne tout particulièrement, en Bohême, en Hongrie, en Suisse etc.), même si son rôle demeure encore bien souvent largement minoré voire ignoré.
2Partout, l’essor thermal passe par l’utilisation de sources chaudes et minérales – principalement, à l’exception tardive de quelques eaux froides ou tièdes, faiblement minéralisées. On réutilise alors des sites parfois anciennement connus (attestés, pour certains, dès l’époque romaine au moins comme à Pouzzoles, près de Naples, Viterbe, Acqui, Abano, Bath ou Caldes de Montbui pour ne citer que les établissements les plus célèbres) mais surtout des « nouveaux » qui paraîssent – en l’absence de témoignages archéologiques ou textuels probants – n’avoir été fréquentés de façon régulière et intense qu’à partir du Moyen Âge. Car ce qui singularise le thermalisme médiéval, c’est bien la mise en valeur et l’usage organisé et raisonné des eaux bienfaisantes par le biais d’infrastructures adaptées – les bains proprement dits – et l’aménagement de sites balnéaires, de façon à accueillir régulièrement et durablement les curistes. Dans certaines régions – notamment en Toscane5, mais aussi dans les mondes germaniques –, ces efforts ont suscité l’apparition de véritables stations thermales : des habitats groupés plus ou moins amples, dont la naissance et la croissance sont essentiellement liées à la fréquentation thermale.
3L’essor du thermalisme s’accompagne aussi très tôt d’une conception thérapeutique du séjour aux bains et se caractérise par une importante production intellectuelle qui constitue les prémisses d’une véritable hydrothérapie. Issus pour une large part du monde académique italien, ces traités s’inscrivent plus largement dans un vaste mouvement d’enquête sur les merveilles, les particularia, ou plus globalement les phénomènes inexpliqués que la nature donne à voir et qui ont suscité l’intérêt aussi bien des philosophes que des médecins6. Poussés par la curiosité intellectuelle mais, dans certains cas aussi, par des autorités publiques préoccupées par des questions de santé publique et désireuses de faire fructifier un patrimoine minéral bénéfique, ces médecins ont livré, par leurs écrits, un premier témoignage sur des savoirs et sur des pratiques thermales. Diffusés plus ou moins largement grâce aux copies manuscrites et aux éditions imprimées, ces traités, intitulés le plus souvent De balneis, ont suscité de premiers travaux7. Quoiqu’encore peu nombreux, ces derniers nous invitent toutefois à poursuivre l’étude sur l’émergence, aux derniers siècles du Moyen Âge, d’un nouvel instrument thérapeutique au sein des medicinalia. Surtout, ils nous poussent à réfléchir de manière plus approfondie sur ce domaine où se rejoignent, d’un côté le monde inanimé, le minéral et les modalités d’explication de la chaleur de l’eau, de l’autre le monde animé, le corps, le patient en quête de soins. L’enquête, ici menée à la fois sur les traités médicaux, la documentation d’archives et sur d’autres formes littéraires, offre plusieurs perspectives : par son approche géographique, elle permet d’appréhender deux espaces privilégiés du développement thermal : l’Italie centro-septentrionale et le monde germanique ; par sa démarche historique, elle vise à replacer la production intellectuelle et les débats épistémologiques sur les sources thermales dans leur contexte universitaire, politique, culturel ou encore économique.
4À la confluence de motivations intellectuelles et d’intérêts économiques, le thermalisme médiéval réaffirme ici fortement la double dimension, scientifique et sociale, des savoirs et des pratiques médicales.
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5Cet ouvrage a été réalisé à la suite d’une table ronde qui s’est déroulée à l’université d’Avignon le 2 décembre 2005 et à laquelle ont participé Didier Boisseuil, Antònia Carré, Joël Chandelier, Lluís Cifuentes, Chiara Crisciani, Allen Grieco, Stephanie Hanke, Danielle Jacquart, Marilyn Nicoud, Giuseppe Palmero, Odile Redon, Federica Tamarozzi, Gabriella Zuccolin et Laurence Moulinier-Brogi, qui a collaboré à son organisation. Franck Fürbeth et Birgit Studt, toutefois, n’avaient pu nous rejoindre.
6Cette rencontre s’inscrivait dans le cadre du programme de recherche Action Incitative Jeunes Chercheurs ACI « Histoire des Savoirs » portant sur Structure de la matière animée face au monde inanimé : histoire d’un savoir scientifique et de ses enjeux intellectuels et sociaux (Occident, XIIe-XVe siècle) dirigé par Nicolas Weill-Parot.
7Elle a bénéficié du soutien financier du laboratoire d’histoire de l’Université d’Avignon (EA 3152), du CIHAM (UMR 5648), de l’École Pratique des Hautes Études (EA 4116) et de l’ACI « Histoire des Savoirs ». Nous sommes gré à ces institutions partenaires de leur appui et de leur générosité, tout comme nous souhaitons remercier le CIHAM et son directeur Denis Menjot pour avoir bien voulu publier dans sa collection « Histoire et Archéologie » l’ensemble des communications rassemblées et Karyn Mercier qui s’est chargée de la réalisation des cartes et de la mise en page des contributions.
8Enfin, nous souhaitons dédier cet ouvrage à la mémoire d’Odile Redon, récemment disparue, qui avait suivi avec bienveillance et intérêt l’organisation et le déroulement de cette rencontre et qui avait accepté d’en faire les conclusions.
Notes de bas de page
1 Melis, 1963b, 1989 ; Melis, 1963a. Il convient d’y ajouter Palmer, 1990.
2 Chambers, 1984 ; Chambers, 1992, 1998.
3 Braunstein, 1986.
4 Pontieri, 1977 ; Russo Mailler, 1988.
5 Boisseuil, 2002 ; Cherubini, 1986, 1991.
6 Daston-park, 1998.
7 García Ballester, 1998, 2004 ; Park, 1999 ; Fürberth, 1999 ; Nicoud, 2002.
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