Chapitre VII. La nouvelle paix clunisienne (vers 1125-1230)
p. 315-364
Texte intégral
1En 1126, Cluny connaît un choc terrible : le schisme et la révolte. L’ancien abbé Pons de Melgueil, démissionnaire quatre ans plus tôt, se réinstalle à la tête de l’abbaye pendant quelques mois avant d’être excommunié, jugé par le pape puis emprisonné à Rome. Une partie de la communauté monastique avait suivi son parti. Parmi les révoltés, on compte également des chevaliers, des paysans et des bourgeois. Il faut s’adapter. Pierre le Vénérable, successeur de Pons, s’y emploie. Particulièrement ardent lorsque l’unité de l’Église est en jeu, il jette les bases d’une nouvelle paix dans laquelle chaque composante sociale doit avoir sa place. Les habitants du bourg doivent trouver la leur au sein de l’Église clunisienne.
1. Le schisme pontien
LES SOURCES
2Il est peu de questions de l’histoire clunisienne qui ont suscité autant de débats que la chute de l’abbé Pons en 1122 et le schisme tragique qui éclate en 1126. En quarante ans, sept historiens ont donné leur version des faits en des termes parfois radicalement opposés1. L’origine de ces différends tient à la nature de la documentation et au manque de précaution pris trop souvent à son égard. Il n’est donc pas inutile de refaire le point sur elle.
3La démission de l’abbé Pons en 1122 et les épisodes mouvementés de 1126 sont connus d’abord par des documents d’origine pontificale. Par deux bulles adressées le 21 octobre 1122 à Pierre, nouvel abbé, et aux moines de Cluny, Calixte II félicite le nouvel élu et ordonne aux moines de ne pas susciter de discorde (scandalum) au sujet de l’ancien abbé, Pons (olim abbas), parce que celui-ci a renoncé définitivement à sa charge (absque ulla recuperationis spe) dans les mains du pape. Un an plus tard, Calixte II renouvèle ses recommandations auprès des moines et de Pons lui-même, lui rappelant l’impossibilité de revenir sur sa démission2. En décembre 1124, Honorius II succède à Calixte II. Au mois de mars suivant, Pierre le Vénérable se rend à Rome pour obtenir son soutien et repart avec cinq bulles. L’une est adressée aux moines de Cluny. Elle leur interdit de quitter leur monastère sans le consentement de Pierre pour se rendre auprès de Pons qui a fondé un petit monastère en Italie du nord3. La révolte de Pons a lieu au printemps 1126. Plusieurs sentences de condamnation la rapportent. Le 24 avril 1126, Honorius II demande aux prélats des Gaules, aux moines de Cluny et à l’archevêque de Lyon de faire appliquer l’excommunication contre Pons et ses partisans. À cet effet, un concile se tient à Lyon le 26 mai suivant. Le 20 octobre, Honorius II adresse à Pierre le Vénérable une bulle réaffirmant son autorité sur l’ecclesia Cluniacensis et confirmant les sentences prononcées contre l’abbé schismatique et ses partisans4.
4Plusieurs sources narratives rapportent les événements a posteriori. La version la plus longue se trouve dans un texte de Pierre le Vénérable : la Vita de Matthieu, ancien prieur de Saint-Martin-des-Champs et brièvement de Cluny (1122-1124), avant d’être élevé à la dignité épiscopale et cardinalice sur le siège d’Albano par Honorius II5. Dans ces lignes, Pons apparaît comme l’exact contrepoint de Matthieu, fidèle serviteur de l’Église et fervent défenseur de Pierre le Vénérable lors des troubles de 1126. La Vita de Matthieu d’Albano a été rédigée vers 1136-1144 par Pierre le Vénérable comme une œuvre en tant que telle, avant d’être intégrée dans le second livre du De miraculis. Dans l’édition de Denise Bouthillier, le schisme de Pons et le rétablissement de la paix grâce à Matthieu d’Albano constituent les chapitres XII et XIII6. Contrairement à tous les autres, ces deux chapitres ne sont connus que par un seul manuscrit composé vers 1200, conservé aujourd’hui à Neuchâtel7. Comme l’a remarquée Denise Bouthillier, ils ont volontairement été ôtés de l’autre manuscrit qui contient la version longue de la Vita Matthei, le manuscrit latin 17716 de la Bibliothèque nationale de France, composé à la demande de l’abbé de Cluny, Guillaume II, vers 1215. Là, seules quelques lignes reprises librement des chapitres XII et XIII rapportent brièvement le schisme, occultant le nom de Pons pour ne retenir que le rôle valeureux de Matthieu dans la défense de l’Église8. Sur la seule base du manuscrit de Neuchâtel, on ne peut donc affirmer que les deux chapitres sont de la plume de Pierre le Vénérable. Ils proviennent de l’historiographie clunisienne élaborée entre le milieu du XIIe et le début du XIIIe siècle.
5C’est précisément vers 1200 que le récit du schisme de Pons a été inséré dans les Annales de Cluny (Chronologia abbatum). Les deux versions manuscrites, celle du cartulaire A et celle du manuscrit latin 17716 de la Bibliothèque nationale ne présentent pas de variante notable. Placées sous l’année 1122, elles résument le récit des bulles d’Honorius II rédigées en avril et octobre 11269.
6Le manuscrit le plus ancien du Chronicon Cluniacense (fin XVe siècle) reprend le résumé des Annales et l’ajoute au récit du De miraculis. L’ensemble est placé sous l’année 1122. C’est ce même montage que l’on retrouvera dans la version définitive du Chronicon, publiée en 1614 dans la Bibliotheca Cluniacensis10.
7Hors du monastère de Cluny, les épisodes ont été rapportés dans trois histoires ou chroniques11. Au douzième livre de son Histoire ecclésiastique, Orderic Vital entreprend le récit du schisme qu’il lie d’emblée au concile de Reims dont il a donné un très long compte-rendu quelques pages plus haut. Les démêlés entre les évêques et l’abbé de Cluny, tranchés dans le tumulte par le légat pontifical à Reims en 1119, sont présentés comme la source des dissensions entre les moines clunisiens. Son récit concorde en de nombreux points avec le De miraculis12. Il a peut-être été composé à partir de renseignements de première main. En 1132, Orderic était présent aux côtés des prieurs et abbés clunisiens lors du premier chapitre général convoqué par Pierre le Vénérable. Il a composé l’Histoire ecclésiastique quelques années plus tard (v. 1135-1140)13.
8Une version brève des événements se trouve dans la chronique de Geoffroy de Vigeois, moine de Saint-Martial de Limoges au milieu du XIIe siècle puis prieur de l’abbaye Saint-Pierre de Vigeois en 117814. Sa chronique composée vers 1180 accorde une large place aux épisodes et aux personnages locaux et c’est dans ce cadre que se situe le schisme de Pons. Geoffroy de Vigeois souligne en effet la participation active de certaines personnes de sa région : Bernard Gros, abbé de Saint-Martial-de-Limoges pendant quelques mois en 1114 avant de retourner dans sa charge de grand-prieur à Cluny, était du parti de Pierre le Vénérable. Il a pris l’initiative de fermer les portes du monastère à l’arrivée de Pons. Dans l’autre camp se trouvaient l’abbé de Saint-Martial, Amblard de Solignac, et l’abbé de Vigeois, Adémar. Ils ont accompagné Pons à Rome pour son procès15.
9La chronique de Robert de Torigny, abbé du Mont-Saint-Michel, présente sous l’année 1117 un résumé du schisme de Pons. Sa version composée vers 1135-1140 concorde avec les autres à l’exception d’un point : Robert attribue les dissensions dans la communauté monastique clunisienne à la volonté de Pons de réformer les usages alimentaires et vestimentaires pour en corriger les excès16. Argument de poids pour Adriaan Bredero qui voit en Pons un adepte du monachisme nouveau de type cistercien17 ; à moins qu’il ne s’agisse d’un contresens sur le texte d’Orderic Vital - dont Robert de Torigny s’est largement inspiré - qui rapporte les excès de Pons en matière de dépense et non sa volonté de les corriger18.
10Enfin, une lettre adressée par Pons de Melgueil aux moines de Cluny fournit un témoignage supplémentaire. Pons leur demande de ne pas verser dans le schisme et de respecter l’autorité du nouvel abbé, Pierre. Cette lettre a été rédigée au début de l’année 1125 lorsque Pons résidait dans le petit monastère qu’il avait fondé à Campo Sion, en Vénétie, près de Vicence19.
11Tous les historiens qui se sont penchés sur le schisme de Pons se sont efforcés d’en chercher les causes en décryptant par le menu ces discours complémentaires ou contradictoires et en accordant plus ou moins de probité à l’un ou l’autre des récits20. On s’est beaucoup moins intéressé au discours en tant que tel et à la façon dont les personnages sont mis en scène par chacun des auteurs. Or, chacun poursuit son propre but et, par conséquent, sélectionne les événements et les personnages en les présentant d’une manière démonstrative. Dans les bulles pontificales comme dans les sources narratives, les actes ou les paroles sont mis en scène parce qu’ils justifient le cours de l’histoire (la condamnation de Pons et de ses partisans par le pape) ou parce qu’ils apportent de l’eau au moulin à une conception ecclésiologique (ou cosmologique) dont l’Histoire est la révélation.
12Le schisme de Pons a constitué un « électrochoc » dans la communauté clunisienne. La « barque du Christ » prenait l’eau et il a fallu boucher les trous. Le pape, son légat et l’abbé de Cluny, Pierre, se sont efforcés d’aller dans ce sens, par la sanction et par le discours. Les narrations du schisme de Pons, particulièrement les versions clunisiennes stricto sensu (De miraculis et les Annales) montrent ce que doit être la communauté idéale de Cluny et comment ses membres doivent se comporter. En ce sens, elles constituent un moyen privilégié pour comprendre la sociologie clunisienne et la place faite en son sein aux laïcs, notamment aux bourgeois. Il est donc important de se demander comment les actes de Pons et de ses partisans sont présentés et qualifiés, en quoi leur attitude s’est montrée contraire à leur conduite idéale. Mais auparavant, pour plus de clarté, il est nécessaire de rappeler le fil des événements qui ont marqué l’histoire de Cluny depuis la démission de Pons jusqu’à sa mort à Rome21.
De la démission au schisme
13Dans un premier temps (1109-1119), Pons de Melgueil parvient à conduire sans grand heurt la barque clunisienne. Il obtient des papes Pascal II, Gélase II puis Calixte II la confirmation de tous les privilèges clunisiens et des distinctions honorifiques qu’aucun abbé avant lui, y compris Hugues de Semur, n’avait obtenu22. D’abord latentes, les oppositions s’affirment au bout de dix ans. Le concile de Reims, en octobre 1119, montre au grand jour les ressentiments des évêques contre l’exception clunisienne. La prise de position du cardinal-légat Jean de Crème en faveur de Cluny impose la soumission des évêques, mais, dès lors, la lutte est ouverte. En 1120, l’évêque de Mâcon, Bérard de Châtillon, place sous interdit l’église Saint-Odon et fait chasser des moines de Cluny résidant dans les ermitages sylvestres ; l’archevêque de Lyon le soutient. Fort de l’appui pontifical, Pons se montre d’une arrogance sans pareille. Dans une lettre ouverte, il enjoint tous les moines et clercs de la province de Lyon à ne pas suivre les propos indicibles de l’archevêque (nefanda scripta) afin d’éviter la contagion de tels écrits sacrilèges (ne illius sacrilegi scripti contagione ledantur)23. L’incapacité de Pons à résoudre calmement le conflit suscite d’autres dissensions, à Cluny même, et dans plusieurs monastères de l’ecclesia qui manifestent une volonté d’indépendance à l’égard de l’abbaye-mère. L’écart se creuse entre les partisans et adversaires de Pons. En avril 1122, se rendant à Rome peut-être pour obtenir le soutien pontifical, Pons de Melgueil se démet de sa fonction abbatiale dans les mains de Calixte II24. Il se rend ensuite à Jérusalem où il séjourne environ un an et demi puis regagne l’Europe. À la fin de 1123 ou au début de 1124, il fonde un petit monastère (monasteriolum) près de Vicence qui suit une via media alors fort prisée dans les montagnes italiennes, à mi-chemin entre érémitisme et cénobitisme. Pons semble alors jouer un rôle actif dans la promotion de ce nouvel ordo. En juillet 1124, on le trouve aux côtés de l’empereur Henri V à la Diète de Worms au cours de laquelle le souverain délivre un privi-lège en faveur des Camaldules. Le mois suivant, il est à Bövingen (Luxembourg) pour l’octroi d’un privilège semblable pour Vallombreuse25. Il n’en conserve pas moins des liens étroits avec l’ecclesia Cluniacensis. En Italie, il est rejoint par des moines de Cluny. Aux yeux de la règle, ils sont des fugitifs (fugitivi) et Pons leur conseille de regagner leur monastère pour ne pas encourager le schisme26.
14À Cluny, dans les semaines qui suivent la démission de Pons, un vieillard est élu pour le remplacer, Hugues, prieur de Marcigny, qui prend le nom d’Hugues II. Il meurt quelques mois plus tard. Un jeune lui succède, Pierre de Montboissier, prieur de Domène27. Il rencontre des difficultés importantes pour s’imposer. Dès 1122-1123, le pape Calixte II doit intervenir pour exhorter les moines à respecter son autorité, mais ses recommandations restent lettre morte28. Au sein du convent de Cluny plane un parfum de schisme. Au terme d’un cheminement dont il est impossible de préciser les étapes, Pons devient le chef du groupe hostile à Pierre le Vénérable et à ses hommes. Au cours de l’année 1125, il revient en Bourgogne, mais se tient éloigné de Cluny. Au Carême de l’année suivante, profitant de l’absence de Pierre parti visiter les maisons clunisiennes de Poitou et de Saintonge29, il s’empare de force de l’abbaye de Cluny avec une troupe de partisans composée aussi bien de moines que de laïcs. Pons tient le monastère pendant six ou sept mois. Il expulse les moines hostiles qui se répartissent dans les doyennés ou prieurés tenus par certains des leurs. À l’inverse, Pons place les siens à la tête de certaines obédiences : Mazille, Laizé, Péronne et l’important prieuré de Souvigny sont gagnés à sa cause30.
15D’Aquitaine, Pierre se rend directement à Rome, en évitant soigneusement Cluny. Il organise avec le pape Honorius II la riposte et la condamnation des « pontiens ». En avril 1126, Honorius II charge Pierre, cardinal de Sancta Maria in via lata, de se rendre sur place et d’excommunier Pons avec tous ceux qui l’accompagnent dans le schisme. Le 24 avril, il adresse aux évêques et princes de Francie, d’Aquitaine et de Bourgogne, aux moines de Cluny et à l’archevêque de Lyon, Humbaud, une lettre leur demandant de respecter l’autorité et les sentences prononcées par le légat pontifical et de se tenir à l’écart de tous les schismatiques31. Les sentences sont prononcées à Lyon le 26 mai au cours d’un concile présidé par le légat pontifical. Anathèmes et interdits sont prononcés contre Pons et ses partisans (fautores). Sont excommuniés et anathématisés tous les moines ou bourgeois qui l’ont soutenu, ceux qui ont bénéficié des produits du trésor de l’Église et ceux qui ont payé les bourgeois avec des victuailles ou des armes pour assurer leur soutien actif. L’interdit est porté sur les églises du bourg ou de ses dépendances, sur le prieuré de Souvigny et les doyennés de Mazille, Laizé et Péronne. Il est désormais interdit d’y sonner les cloches, de célébrer les offices divins ou de réunir une assemblée (capitulum facere) jusqu’à ce que Pons cesse ses attaques (infestatio). Seuls les baptêmes des enfants et le sacrement des mourants voulant se repentir de leur participation à cette débauche (nequitia) sont autorisés32.
16Pour pacifier le conflit, les représentants des deux partis sont convoqués par le pape à Rome. Pierre le Vénérable s’y trouve déjà. Pons arrive à Rome au début du mois d’octobre 1126 en compagnie de ses plus ardents partisans, parmi lesquels des moines, mais aussi des bourgeois. Chaque partie doit remettre des otages. Pons et les siens étant excommuniés, ils doivent faire pénitence avant de comparaître, mais l’ancien abbé refuse de se soumettre devant le pape, revendiquant la seule autorité de saint Pierre. En revanche, ses partisans acceptent. Au terme de la comparution, Pons est maintenu dans les liens de l’anathème. Le jugement de ses hommes est remis à l’appréciation de Pierre le Vénérable, ainsi confirmé dans ses fonctions abbatiales. Les termes de la négociation sont consignés par écrit dans une bulle que le pape adresse à l’abbé de Cluny33. Pons est emprisonné à Rome où il meurt trois mois plus tard, emporté par la malaria34.
Une unité brisée
La sainte Église romaine et apostolique dépose à perpétuité Pons, usurpateur, sacrilège, schismatique, excommunié de tout honneur ou office ecclésiastique et restitue à l’abbé en charge à qui ils ont été injustement soustraits, Cluny, ses moines et tous les biens appartenant à ce même monastère ». La sentence prononcée, ceux qui étaient divisés s’unissent à nouveau ; le corps clunisien est réunifié presque instantanément et cette si grande et si longue tourmente de malheurs s’apaise35.
17Le De miraculis présente en ces termes la conclusion du schisme. L’unité brisée du corps clunisien a été rétablie par l’exclusion de Pons. Le corps a été purgé de l’élément perturbateur qui l’empêchait de bien fonctionner. Purifié, il connaît de nouveau la paix. Le thème de l’unité brisée est présent dans tous les autres documents. L’attitude des moines qui prêtent allégeance à l’ancien abbé et refusent de reconnaître l’autorité du nouveau est considérée dès 1122 comme une source de scandalum et de scismus36. À ce risque de rupture, les papes opposent le nécessaire maintien de la concordia et de la religio clunisiennes. Ces termes jouent sur un registre strictement opposé : d’une part l’unité de la robe sans couture de l’Église, d’autre part le désordre et la déchirure. Au scandalum et au scismus s’opposent la pax, la religio, la concordia, l’unitas, la fides37. L’enjeu du conflit n’est donc pas une simple question d’autorité ou de personne. L’opposition scandalum, scismus/ concordia, pax, religio est structurelle. Elle fonde l’Église chrétienne occidentale depuis saint Augustin. Le schisme de Pons menace l’Église clunisienne tout entière et, par elle, l’Église universelle, car le désordre dans une partie du corps met en péril l’unité de l’ensemble.
18En 1120, l’Église clunisienne est depuis peu pensée comme un corps dont l’abbaye de Cluny est la tête, les abbayes, prieurés et celles, les membres38. L’abbé de Cluny doit assurer son regimen. L’Église romaine suit parallèlement le même processus. La notion de corps mystique prend au milieu du XIIe siècle une signification nouvelle. Désignant d’abord l’hostie consacrée, corps mystique du Seigneur, elle en vient à désigner l’Église, corps mystique englobant l’ensemble des chrétiens39. Cette conceptualisation implique de définir plus précisément la notion de « chrétien » ou de membre de l’Église et, par conséquent, celle de l’exclu40. Pons et les siens font partie de cette dernière catégorie. Leur attitude tend à saper les fondements du corps ecclésial. Ils sont d’abord coupables de désobéissance car l’ancien abbé s’est démis de sa charge dans les mains du pape, vicaire du Christ et tête de l’Église terrestre. Les moines ont élu un remplaçant dont l’autorité a été confirmée par le pape. En refusant de le reconnaître, les pontiens contestent donc son rôle de pasteur, indispensable au maintien et à la reproduction de la structure.
19D’autre part, ils ont enfreint l’immunité du sanctuaire en enfonçant violemment les portes. À l’intérieur du monastère, les laïcs se sont infiltrés dans les lieux auxquels ils n’avaient généralement pas accès. Là, rapporte Orderic Vital, ils se sont adonnés au meurtre et à la débauche. Des prostituées étaient parmi eux, images inverses des moines vierges qui résident habituellement dans le cloître41. Les pontiens sont coupables de sacrilège. Ils ont volé des sacra. Une partie du trésor amassé par les moines grâce aux donations, ventes et mises en gages a été distribuée aux partisans de Pons pour gagner leur fidélité42. Les moines sont les détenteurs provisoires de ces biens qui n’appartiennent qu’à Dieu. Ils doivent les transformer en prières et en aumônes. En les volant, les révoltés ont rompu la cohésion sociale garantie par le transfert des biens terrestres entre les riches et les pauvres grâce à la médiation des moines.
20De tels agissements marquent la contestation radicale de l’ordre par une remise en cause de ses fondements : l’obéissance aux pasteurs légitimes, la vénération des lieux saints, le respect des sacra. Dans cette perspective, l’attitude finale de Pons devant le pape prend toute sa signification. L’ancien abbé refuse de reconnaître la sentence d’anathème prononcée par le pape, n’acceptant une telle condamnation que de saint Pierre43. La contestation sent fortement l’hérésie. Qu’elle ait ou non été prononcée par Pons importe peu, de même que les crimes imputés à ses partisans. En revanche la rhétorique du discours apparaît très clairement. Les hommes qui refusent les fondements de l’Église sont nécessairement ses ennemis, tous peu ou prou la proie du seul vrai Ennemi, le Diable. C’est lui le véritable instigateur du schisme44. Pons et les siens sont sous son emprise, dominés par les mêmes péchés que tous ceux de leur espèce. L’esprit de Pons est enflé d’orgueil. Il dissimule, nie et persiste dans ses erreurs malgré les admonestations. Il réunit en lui toutes les caractéristiques de l’Ennemi45. Par conséquent, il faut l’expulser.
les pontiens
21« Pontien » était le qualificatif que les partisans de Pons se donnaient eux-mêmes46. En relevant cette mention, l’auteur du De miraculis entend bien marquer l’unité dans la révolte entre l’ancien abbé et de tous ceux qui l’ont suivi, quelle que soit leur qualité. Mais au dire de tous les chroniqueurs et des bulles pontificales, le camp des pontiens est composite. Pons est le chef. Derrière lui, se trouvent un certain nombre de moines. Geoffroy de Vigeois fournit le nom de quelques-uns : l’abbé de Saint-Martial de Limoges et celui de Saint-Pierre de Vigeois. La contestation ne s’est donc pas cantonnée à Cluny. Cependant, c’est là et dans les environs immédiats que Pons recrute ses plus ardents partisans. Joachim Wollasch a tenté d’en identifier certains. On compte parmi eux le prévôt de Cluny et les doyens de Mazille, Laizé et Péronne47. La condamnation qui s’abat sur ces lieux en témoigne. Les autres restent anonymes. On ne retient d’eux que leur groupe social. Orderic Vital voit des milites, des burgenses et des rustici, mais aussi des vauriens et des prostituées (scurrae et meretrices)48. Honorius II retient uniquement les moines (monachi) et les bourgeois (burgenses) dont certains accompagnent Pons à Rome pour le jugement49. Le De miraculis mentionne des moines fugitifs (fugitiui), des milites et tout une troupe populaire (vulgares) armée par Pons parmi laquelle on remarque des femmes50.
22Les dissensions au sein de la communauté monastique ont commencé bien avant le retour de Pons à Cluny. Les bulles pontificales l’attestent dès 1122 et, si l’on suit Joachim Wollasch, le schisme pourrait avoir débuté vers 111451. En revanche, il n’est jamais question avant 1126 d’une participation des laïcs dans un camp ou dans l’autre. Leur entrée dans la révolte semble être l’affaire des derniers mois, lorsque Pons est en Bourgogne et prépare peut-être son retour. Toutes les sources concordent pour mentionner l’enrôlement des laïcs par l’appât du gain52. Des bourgeois et des milites ont été payés par l’argent traditionnellement dévolu aux pauvres. Selon le De miraculis, Pons sème la désolation « avec ses chevaliers et ses gens à pied, engagés au prix de l’or sacré »53. Certes, il est possible que certains laïcs aient été d’emblée favorables à Pons. C’est ce que laisse entendre Orderic Vital en soulignant la joie du peuple à l’annonce de son retour et la grande popularité de l’ancien abbé due à son affabilité et sa munificence54. Mais le fait est sûr qu’ils n’ont pas été les meneurs de la révolte. Ils ont agi comme le bras armé des moines soucieux de reprendre la tête de l’abbaye. Ils ont été payés pour cela et peut-être des places de prévôts ont-elles été promises aux plus ardents.
23Leurs agissements violents dans le monastère ne sont donc pas assimilables à une conjuration ou à une commune. Si tel était le cas, le pape ou les chroniqueurs monastiques n’auraient pas manqué de souligner la « nouveauté détestable » et le parjure55. Or, le seul serment dont il est question est celui que les moines - et non les laïcs - ont prêté à Pons56. La participation de la troupe vulgaire et bigarrée dont parlent les chroniqueurs semble davantage résulter de l’engrenage observable dans de nombreuses révoltes. Les hommes du bourg et des villages voisins se sont engouffrés dans la brèche ouverte par la dissension des moines.
24Certains paysans et bourgeois avaient peut-être de solides rancunes contre les moines, leur richesse ostentatoire et leur système de domination. Vers 1125, un seuil de rupture était sans doute atteint. Le schisme des moines est alors l’occasion de manifester les colères latentes qui se déchaînent, entraînant pillages et violences. Les mois pendant lesquels Pons et les siens tiennent le monastère de Cluny ressemblent à un gigantesque carnaval qui dure pendant toute la belle saison, du Carême aux calendes d’octobre. Traditionnellement réservé aux moines vierges, le lieu saint est ouvert à tous, y compris aux femmes pécheresses. Les sacra sont destinés à la guerre et c’est l’abbé qui mène la bataille, la rapine et le meurtre. Les bons moines sont exclus, contraints de se réfugier hors de Cluny. Les orgueilleux, les sacrilèges et les gueux tiennent le monastère et le domaine abbatial57. Mais c’est un carnaval incontrôlé tant dans ses conséquences que dans sa durée. Il impose une mise en ordre à laquelle vont se consacrer les successeurs de Pons, à commencer par le premier concerné, Pierre le Vénérable.
2. L’inclusion des laïcs dans la société idéale clunisienne
25L’œuvre tout entière de Pierre le Vénérable est consacrée à la défense de l’Église. Apôtre du discours, il ne peut se taire et prend la plume constamment pour dénoncer les déviances chez ses frères et conduire les ennemis de l’Église dans le droit chemin58. Plus clairement que pour ses prédécesseurs, l’Église est un corps organique où chacun doit suivre son ordo. Lorsqu’il en a la possibilité - et c’est le cas avec les habitants du bourg - il s’efforce de mettre en ordre concrètement les rapports sociaux pour les rendre conformes à sa conception idéale de la société chrétienne.
L’église clunisienne, une res publica
Du schisme clunisien suscité par Pons qui fut abbé.
Deux années entières ne s’étaient pas encore écoulées, à ce qu’il me semble, que s’éleva contre la barque du Christ, c’est-à-dire l’Église de Cluny, cette célèbre tempête effroyable qui s’enflamma partout au sein de notre république comme une guerre civile59.
26C’est par ces mots que commence la narration du schisme pontien dans le De miraculis. L’Église de Cluny est comparée à la barque du Christ, c’est-à-dire l’Église universelle. Comme elle, c’est une res publica, un corps organique dans lequel chacun doit avoir sa place.
27Au milieu du XIIe siècle, le concept de res publica n’est pas neuf. Dans l’empire romain, il désigne ce qui appartient en commun aux citoyens et sousentend une notion d’utilité commune60. Dès le très haut Moyen Age, il prend une acception chrétienne et désigne le corps civil ou ecclésial, dirigé par une tête chargée d’assurer la paix et de conduire les membres vers le salut. On rencontre l’expression chez les clercs carolingiens pour qualifier la mission du souverain mais aussi l’Église (res publica christiana). Rien d’étonnant à cela dans un monde où il n’existe ni État ni Église définis comme des institutions séparées, mais une notion du corps civil qui est aussi un corps ecclésial. La res publica médiévale ne désigne ni l’Église, ni le royaume, mais une certaine conception de l’ordre du monde, marquée par l’inclusion de tous les hommes dans un corps organique où chacun a un devoir. Pour les clercs de l’entourage impérial carolingien, la res publica s’identifie à l’Empire. Pour un abbé de Cluny du Xe siècle, elle s’identifie à l’Église universelle, pour un roi capétien, elle s’identifie au royaume61. À partir du XIe siècle, la réflexion ecclésiale sur le corps mystique du Christ donne sa consistance à la notion chrétienne de corps civil (ou ecclésial). L’Église est désormais conçue comme un corps mystique éternel. Au XIIe siècle, le royaume, l’Empire puis toute forme de collectivité fondée sur le bien commun vient à se penser comme une res publica dont les membres peuvent faillir et disparaître, mais dont le corps mystique ne meurt jamais62.
28L’adoption par Pierre le Vénérable du terme res publica se situe dans ce contexte. Comme ses prédécesseurs63, il l’utilise pour qualifier l’Église universelle, en même temps que d’autres expressions : ecclesia, corpus, Christi nauicula, domus Dei, sponsa Christi, congregatio fidelium64. Mais la nouveauté essentielle, sous sa plume, est l’utilisation du terme pour désigner l’Église clunisienne (res publica nostra)65. La respublica nostra est le corps formé par les moines clunisiens dont l’abbé de Cluny est chargé d’assurer le regimen66. Les hommes qui demeurent sur les terres clunisiennes et qui les cultivent, qui servent dans le monastère ou travaillent dans ses ateliers sont nécessairement impliqués. Les hommes du ban sacré sont non seulement les résidants de la « terre sainte » clunisienne mais les hommes de la res publica dirigée par l’abbé. Leur conduite doit être adaptée aux besoins de ce corps « politico-ecclésial ».
L’Image du bourgeois dans la res publica clunisienne67
29Pierre le Vénérable s’intéresse d’abord à la conduite des puissants parce qu’ils sont des pasteurs potentiels et doivent l’aider dans son regimen68. Les moines et les évêques d’abord ; leur conduite doit être irréprochable. Les seigneurs laïques ensuite ; ils doivent combattre pour le Christ, en Orient ou, mieux encore, aux portes de l’abbaye de Cluny69. Le premier livre de miraculis est en bien des aspects une galerie de portraits édifiants de moines, d’évêques et de chevaliers. Les fidèles, conservateurs des privilèges clunisiens, défenseurs de la justice, pourfendeurs du schisme s’opposent aux fautifs dont la vie a été exclusivement ou trop longtemps tournée vers des affaires terrestres, vers la guerre injuste, ou pire, vers le péché70.
30Vers 1150, Pierre le Vénérable s’adresse au pape Eugène III pour se plaindre de la conduite de l’évêque de Clermont, Aymeric, qui revendique depuis plusieurs années des revenus ecclésiastiques appartenant à des monastères clunisiens et qui, condamné pour son attitude, a esquivé le jugement71. Sous la plume de l’abbé de Cluny, Aymeric de Clermont devient l’image du mauvais pasteur. Il ne protège pas son troupeau, laisse chaque jour des hommes périr et descendre aux enfers et soulève la contestation. « Les laïcs de toute condition, seigneurs châtelains, chevaliers, bourgeois, habitants des campagnes » se plaignent de lui72. Telle est la composition typologique de la société selon Pierre le Vénérable : seigneurs châtelains, chevaliers, bourgeois, habitants des campagnes. On note la présence des bourgeois. À Cluny comme ailleurs, ils apparaissent parmi les membres du tertius ordo, des mediocres, à mi-chemin entre les milites et les rustici, inclus dans le « peuple de Dieu »73. Dans l’Auvergne d’Aymeric de Clermont, poursuit Pierre le Vénérable, ce populus Dei, « déjà sans roi et sans prince à l’image des juifs de l’exil, se retrouve sans loi et sans guide spirituel » (sine sacerdote)74. Il importe de prendre des mesures pour que cela cesse. L’abbé de Cluny s’en charge, prend la plume et s’adresse au pape.
31Dans le même temps, il s’efforce de régler un autre problème. Le sire de Beaujeu, Humbert III, s’est croisé en 1147. En Terre sainte, il est entré dans l’ordre des Templiers. Pour des raisons qui demeurent obscures, il revient dans ses domaines après quelques années sans se faire relever de ses vœux par le pape. Pierre intervient auprès d’Ébrard, maître des Templiers, puis du pape Eugène III pour conserver dans la région ce seigneur qu’il tient pour un modèle de laïc converti : Humbert sera tout aussi utile en Bourgogne où de mauvais chrétiens s’en prennent aux fidèles de l’Église qu’en Orient à combattre des païens75. De nouveau, l’abbé dresse un tableau dualiste de la société, opposant le « peuple de Dieu » aux malfaiteurs divers, l’Église à ses ennemis. Comme l’Auvergne d’Aymeric, le Beaujolais d’Humbert est « sans roi, sans duc et sans prince », mais l’argument rhétorique utilisé contre l’évêque de Clermont sert ici à justifier la présence du sire de Beaujeu en Bourgogne76. Le peuple de Dieu qui se lamentait du mauvais évêque se réjouit du retour du bon chevalier :
Les clercs se réjouissaient, les moines étaient heureux, les bourgeois exultaient, et ceux qui d’habitude étaient le butin des voleurs et la proie des loups, les ruraux, paysans, pauvres, veuves, orphelins et toutes les petites gens, se félicitaient77.
32Heureux, ils chantent la louange du Seigneur, formant un gigantesque chœur ecclésial :
Les clercs se réjouissaient, les moines se félicitaient, les ruraux applaudissaient, et toutes les églises qui nous entourent semblaient ne former qu’un seul chœur, pour faire retentir un cantique nouveau78.
33Le corps ecclésiastique (moines et clercs), les bourgeois et tous les gens du peuple chantent la louange du seigneur vertueux, éloignant ainsi les ennemis. Ils sont le peuple de Dieu. Leur destin est d’être conduit par de bons pasteurs et de bons seigneurs mus par la défense des intérêts de l’Église, en l’occurrence de l’Église clunisienne. Tel est leur seul destin et la seule condition de leur joie.
34L’image du bourgeois laissée par Pierre le Vénérable est dans ces deux lettres. Les bourgeois ne comptent pas parmi les meneurs et Pierre ne leur accorde pas une place privilégiée. Aucun miracle, ni aucune lettre ne concerne exclusivement la conduite d’un burgensis. Il est un membre anonyme du peuple de Dieu et de la res publica clunisienne, soucieux de la paix, en position intermédiaire entre les chevaliers et les démunis. Sa conduite va devoir se conformer à ce statut.
3. L’intégration « concrète » des bourgeois dans la res publica clunisienne
35S’il discourt peu sur les bourgeois, Pierre le Vénérable négocie avec eux, requiert leur soutien financier et leur participation à la guerre. Comme dans toute structure seigneuriale, les rapports entre seigneur et dominés reposent sur une idéologie de la dette. Les bourgeois sont redevables envers l’abbé qui est leur protecteur et leur médiateur pour le salut. Le moyen le plus simple d’honorer sa dette envers le seigneur-abbé est de verser régulièrement au monastère une partie de ses revenus. Les redevances banales sont là pour ça. Pour les plus riches ou les plus zélés, il existe d’autres moyens. Aider les moines lorsqu’ils connaissent des difficultés financières, se dépouiller de tous ses biens à leur profit ou prendre les armes pour les défendre. Différents niveaux, différentes manières qui signent la reconnaissance du dominium abbatial et marquent l’inclusion des bourgeois dans la communauté clunisienne. Du plus humble au plus riche, chacun doit être concerné en donnant une part de soi, qu’il s’agisse de quelques deniers, de sa maison ou de sa vie79.
Des marchands et des marchés
36On a souligné l’absence des marchands parmi les habitants de Cluny « visibles » au seuil du XIIe siècle. Cinquante ans plus tard, la situation n’est plus la même. En 1149, parmi vingt-et-un bourgeois témoins d’un prêt de l’évêque de Winchester à Pierre le Vénérable, deux sont mercatores80. Les marchands entrent dans la mémoire clunisienne, montrant au grand jour ce que plusieurs indices laissaient deviner depuis la fin du XIe siècle : le bourg de Cluny est un centre occasionnel de commerce81.
37Vers 1075-1080, les coutumes de Bernard signalent l’existence de marchés et de foires dans la villa de Cluny, précisant que le connétable et l’hôtelier ne doivent en aucun cas recevoir les personnes qui se rendent là pour de telles occasions82. Au tournant du XIIe siècle, les conflits sur les péages pointent les nouveaux enjeux. Des marchands sillonnent les routes du Mâconnais, venant parfois d’assez loin pour se rendre aux foires de Cluny. De son château d’Uxelles, Landric Gros tente de contrôler le passage des marchands de Langres, et de les taxer. On connaît le résultat : l’abbé de Cluny obtient du pape une exemption de péage83. En 1140, l’accord entre Pierre le Vénérable et Hugues de Berzé au sujet du péage sur la route de Mâcon fait état de quatre foires dans le bourg de Cluny84. Leur date n’est pas précisée. Seuls quelques témoignages beaucoup plus tardifs fournissent des indices. En 1303, il existe cinq foires à Cluny sur lesquelles le prévôt de la ville prélève des droits de leydes (droits d’étal). Un siècle plus tard, la coutume est obsolète, comme si les foires avaient disparu entre temps85. Au début du XVIe siècle, les bourgeois de Cluny s’efforcent d’obtenir la création de trois nouvelles foires ; il n’en existait alors plus que deux. En 1541, François Ier répond favorablement à leurs requêtes. Trois nouvelles foires sont créées. Elles se tiennent pour les Rameaux, la Pentecôte, la Saint Pierre-et-Paul (29 juin), la Saint Pierre-aux-liens (1er août), la Saint Martin d’hiver (11 novembre). Chacune dure trois jours « ouvrables ». Deux d’entre elles ont accoustume estre danciennete, celles de la Pentecôte et de la Saint-Pierre-aux-liens86. La foire de la Pentecôte s’ouvre le vendredi précédant la fête, continue le samedi et se termine le lundi suivant. La foire de Saint-Pierre-aux-liens, appellée vulgairement de Saint Pierre d’aoust, se tient la veille, le jour et le lendemain de la fête, soit du 31 juillet au 2 août87.
38Du début du printemps au seuil de l’hiver, les cinq foires clunisiennes font habilement coïncider le calendrier agricole et le calendrier clunisien. Le profit en est évident. Les jours de fête sont les moments où la communauté clunisienne se régénère. La paix est renouvelée par les processions des moines, la tenue des plaids avec les ennemis d’hier, la célébration du saint tutélaire. La venue massive des marchands permet d’approvisionner le convent. La stimulation du commerce enrichit le bourgeois et contribue à faire de Cluny un pôle d’attraction. Les circulations de biens et de personnes à Cluny sont, comme ailleurs, pour des motifs « économiques » et « religieux », si tant est que ces deux aspects peuvent être distingués. Landric Gros d’Uxelles l’avait bien compris en prélevant une taxe sur les personnes qui se rendaient à Cluny seu causa negotiationis, seu orationis88.
39Le développement du commerce entre 1050 et 1150 s’accompagne d’un usage plus intensif de la monnaie et d’une multiplication des deniers seigneuriaux, à usage essentiellement local89. L’origine du denier de Cluny n’est absolument pas claire. Un diplôme du roi Raoul daté de 923 et trois privilèges pontificaux accordent à l’abbé le droit de battre monnaie : Jean XI en 931, Étienne IX en 1058 et Calixte II en 1120. Le diplôme royal est considéré par Jean Dufour comme un faux ; les trois privilèges pontificaux peuvent être suspectés d’interpolation90. Les premières transactions en deniers clunisiens n’apparaissent pas avant 1100, et ne deviennent courantes qu’à partir de 112591. C’est donc vraisemblablement de Calixte II que les moines ont obtenu le droit de battre monnaie. Toujours est-il que l’essor des échanges monétaires modifie sensiblement le rapport entre les moines et les bourgeois.
Les bourgeois dans le circuit de la dette monastique
40Jusqu’au milieu du XIIe siècle, il est impossible de connaître les redevances des habitants de Cluny dont les modalités étaient sans doute conservées par tradition orale et n’ont pas fait l’objet de contestations violentes. Elles apparaissent en revanche dans l’enquête consignée sur l’ordre de Pierre le Vénérable par Henri de Winchester vers 1150-115592. L’enquête prend en compte douze doyennés dont le doyenné de Cluny (decania Cluniacensis). Ses revenus annuels sont les suivants :
Dans les jardins près de l’eau, 4 livres et 10 sous. Des bordelages, 60 sous. Du cens à la Saint Jean, 10 livres. Des foires, 30 sous. Du banvin, 6 livres. Du cens des maisons et des bans, 6 livres. De Varennes, 30 sous. De Ruffey, 4 livres. De la vigne de Ruffey, 4 sous. De l’avoine de Ruffey, 7 setiers. Du moulin de Vernei, 20 setiers de blé et 5 sous. De la vente du sel, 3 sous. De la carrière de la Cras, 6 sous. Du foin des prés, 4 livres. Du vin des vignes, 8 livres et 5 sous. La somme de tout cela est : 49 livres et 14 sous, 20 setiers de blé et 7 setiers d’avoine, sans compter les plaids et les jugements qui chaque année rapportent 40 livres93.
41La nature des revenus inventoriés et les lieux dont ils proviennent montrent que la decania Cluniacensis s’étend dans les mêmes limites que la villa de Cluny et la parrochia de l’abbé, c’est-à-dire la zone définie en 1080 et 1120 par Pierre d’Albano et Calixte II, comprenant le bourg, ses abords immédiats jusqu’au ruisseau de Saunat, au sud, jusqu’à l’église Saint-Germain de Ruffey, à l’ouest, la colline de la Cras jusqu’au « chemin des mulets », au nord, et l’ensemble du bois de Bourcier jusqu’aux Varennes et au « chemin faîtral des moines », à l’est94. On note également que la plupart des revenus ont été convertis en argent, signe de la pratique quasiment généralisée des échanges monétaires dans la villa de Cluny95.
42De toutes les taxes, les plus lucratives sont les amendes de justice. Leur montant est à peu près équivalent à la somme des autres redevances. Il s’agit vraisemblablement des taxes perçues pour les injures, coups et blessures dont le montant sera fixé par écrit quelques années plus tard dans les coutumes de la villa96. On note des revenus proprement « urbains », témoins du développement commercial. La vente du vin dans le bourg est une source de revenus non négligeable. Les Clunisois ont racheté le droit de banvin de l’abbé et versent pour cela six livres par an. La location des bancs lors des foires annuelles rapporte trente sous au doyen. C’est peu, surtout si l’on considère les quatre foires annuelles. Leur fréquentation n’était peut-être pas très importante. La vente du sel, encore peu taxée et vraisemblablement peu courante, rapporte trois sous.
43Le « cens des maisons et les bans » désigne sans doute une taxe de mutation sur les ventes et locations des immeubles97. Comme dans la plupart des villes médiévales, on constate la pratique de la propriété dissociée entre le sol et l’immeuble : le sol appartient au seigneur, la terre est concédée pour construire un édifice selon des contrats de durée variable, fréquemment sur trois générations (99 ans), voire perpétuelle. Les habitants doivent verser au seigneur un cens annuel, généralement modique, pour l’occupation du sol. Ils peuvent aliéner leurs immeubles moyennant des droits de mutation (lods et ventes). L’entrée d’un nouvel occupant dans une maison nécessite le paiement d’un droit d’entrage98. Dans le bourg de Cluny, les transactions foncières et immobilières doivent requérir le consentement de l’abbé ou du doyen99. Il est difficile de dire si l’ensemble des terres et des maisons du bourg étaient concernées par ce système. Lorsque, avant de partir pour Jérusalem, Bernard Guerdon cède sa maison et le jardin attenant à sa sœur et à son beau-frère, aucun délégué du convent n’est présent. La transaction est négociée entre les seuls laïcs, fait alors rarissime. La charte originale était néanmoins conservée dans le chartrier de l’abbaye100.
44Le cens récognitif du dominium abbatial se paye chaque année au début de l’été, à la Saint Jean. Puis s’ajoutent des redevances justifiant l’exploitation des prés, vignes, jardins, moulins ou carrière, possédés par les moines sur les collines de la Cras, Ruffey et des Varennes101. Le cens prélevé pour la carrière de la Cras témoigne sans doute de son exploitation pour la construction des maisons du bourg102. Les redevances pèsent aussi sur des hommes résidant hors du bourg, tels ces possesseurs de fermes appelées bordes situées dans la partie rurale du doyenné et soumises au droit de bordelage103. Leurs redevances sont réunies dans les caisses du doyen avec celles des bourgeois.
45Quelques années avant l’enquête d’Henri de Winchester, Pierre le Vénérable publie une série de mesures destinées à réorganiser l’approvisionnement quotidien du convent et le circuit des échanges entre les membres de la communauté clunisienne104. Les bourgeois sont tenus de participer activement à l’entretien quotidien et aux charges du convent. Pierre le Vénérable impose au doyen de Cluny de fournir le pain, les fèves et la graisse consommés chaque jour au réfectoire, du premier octobre au quinze novembre105. Pour cela, le doyen utilisera vraisemblablement le produit des redevances en argent prélevées sur les hommes du doyenné. Le pain, les fèves et la graisse ne sont donc pas fournis en nature. Le doyen verse l’argent nécessaire aux moines pour pouvoir se les procurer pendant un mois et demi. Les bourgeois contribuent également à l’approvisionnement pour les repas extraordinaires appelés générales. Ces plats supplémentaires composés d’œufs, de fromage et de poisson sont distribués occasionnellement à tous les moines, après le traditionnel plat de fèves. Théoriquement réservés aux jours de fête, ils tendent à devenir la norme du repas clunisien à partir du XIIe siècle et coûtent cher106. Pour honorer ces dépenses, Pierre le Vénérable utilise les cens des monastères de Poitiers, les vingt mille harengs en provenance de Boulogne-sur-Mer et les fromages fabriqués à partir du cheptel de l’abbaye ou donnés en redevance. Il crée en plus un impôt annuel de cent livres et cinq cents sous en deniers de Cluny que le chambrier se chargera de percevoir sur le bourg107.
46Non contents de nourrir les moines de leur vivant, les bourgeois doivent participer à leur service funéraire. Les commémorations des frères défunts donnent lieu à des distributions d’aumônes aux pauvres. Pierre le Vénérable rappelle une mesure prise sous l’abbé Hugues prévoyant de verser les revenus des fours de la villa à l’aumônier qui se chargera ensuite de les redistribuer. Auparavant ils étaient dévolus au chambrier qui les transformait en générales pour les pauvres108. Une innovation importante dans le domaine marque l’abbatiat d’Étienne Ier (1163-1173). Avant de mourir, il prend soin de prélever sur le bourg un cens exceptionnel pour assurer son propre service funéraire. Le montant est de dix livres. Elles seront converties en repas pour l’ensemble du convent le jour de sa mort. Son successeur, Raoul de Sully, prélève de nouveau neuf livres sur les habitants pour continuer cette célébration109. Les prédécesseurs d’Étienne n’étaient pas commémorés aux frais des bourgeois. Hugues de Semur avait fondé son anniversaire sur les revenus de Saint-Hyppolite puis sur ceux de Berzé-la-Ville110. Pour Pons, la question ne s’est pas posée étant donné sa mort tragique. Pierre le Vénérable a fondé son anniversaire sur les revenus des prieurés de Sauxillanges et de Baume-les-Messieurs et la situation n’est pas claire pour ses successeurs immédiats, Robert Ier et Hugues III111. L’abbé Étienne est le seul à imposer aux bourgeois une participation active dans sa propre commémoration. Il est aussi l’abbé qui a pris l’initiative de faire rédiger par écrit les coutumes du bourg112. Étienne est en quelque sorte le père de la communauté d’habitants naissante. Ses membres doivent s’en souvenir.
47Le système des redevances ne suffit pas à couvrir les dépenses du monastère. Dès le début du XIIe siècle, l’abbaye de Cluny connaît des problèmes financiers croissants que les mesures restrictives de Pierre le Vénérable ne parviennent pas à endiguer. Les besoins d’argent rendent l’emprunt inévitable et les bourgeois les plus riches sont mis à contribution.
48En 1149, l’évêque de Winchester, Henri de Blois, séjourne à Cluny. Il revient d’un voyage à Rome où il s’est entremis dans les négociations entre le pape et le roi d’Angleterre, son frère. L’abbaye dans laquelle il a jadis été moine est alors couverte de dettes. Leur montant est estimé à deux mille marcs d’argent. Soucieux de « libérer et de délivrer » Cluny des griffes de la dette et de l’usure, l’évêque de Winchester prête à Pierre le Vénérable mille onces d’or en lui laissant notamment les biens précieux qu’il transportait avec lui113. Les moines devront rembourser chaque année cent onces jusqu’au recouvrement complet de la somme. Il prête également cinq cents onces d’or destinées à redorer la grande croix et sa peinture (imago eius) qu’il avait jadis donnée au monastère, mais qui a été récemment dépouillée de son or pour honorer quelque créance. Chaque année, les moines devront consacrer soixante onces à sa restauration. Les remboursements seront versés intégralement entre le début du Carême et l’octave de Pâques et ce dès le Carême suivant114. Pour en assurer l’exécution, on fait appel aux bourgeois de Cluny. Vingt-et-un d’entre eux jurent de se porter otages dans l’enceinte abbatiale si les remboursements ne sont pas effectués dans les termes et selon les modalités prescrits. En revanche, si l’évêque de Winchester meurt avant le remboursement total, la dette sera remise et les moines posséderont les biens précieux qu’il leur a confiés. L’accord est conclu dans le chapitre en présence des serviteurs de l’évêque qui l’accompagnaient dans son voyage, des principaux officiers monastiques de Cluny (prieur, sous-prieur, chambrier, sacristain, aumônier) et des vingt-et-un bourgeois. Les bourgeois étaient peut-être eux-mêmes engagés dans le circuit des créances du monastère. L’abbé de Cluny comptait vraisemblablement sur eux pour honorer sa dette dans les termes fixés au cas où lui-même se trouverait dans l’impossibilité de payer. Otages dans le monastère, leurs parents et amis se voyaient contraints d’ouvrir leur bourse pour les délivrer et libérer ainsi l’abbé de sa dette.
49Dans les mêmes années, Pierre le Vénérable contracte un emprunt auprès d’un dénommé Pierre de Montmain. L’abbé reçoit de lui cent dix onces d’or et s’engage à rembourser dans l’année suivante trente-six sous en deniers clunisiens pour chaque once. En garantie, il met en gage auprès de Pierre de Montmain plusieurs objets d’or et d’argent qu’il récupérera une fois le remboursement accompli. Huit officiers monastiques et dix-huit laici figurent parmi les témoins115. Près de la moitié sont également cités dans l’acte d’Henri de Winchester. Les deux textes sont contemporains et même s’ils ne sont pas qualifiés comme tels, ces laici sont des bourgeois de Cluny116.
Prêt d’Henri de Winchester (C 4142) | Prêt de Pierre de Montmain (C 4012) |
Rodulfus de Charolos, | R. de Kar., |
50Encore une fois, il est bien difficile de préciser leur qualité et leur fonction. Seuls deux d’entre eux sont qualifiés de marchands. Des autres, on ne connaît que le prénom et parfois le nom. C’est plus par intuition que sur les résultats d’une prosopographie précise que l’on peut affirmer qu’ils comptent parmi les plus riches de la localité. Les du Bois, Colongier, Burdin, Cadot, Courdiou, d’Avenas, de Beaumont ou de Charolles sont mentionnés dans plusieurs chartes du XIIe ou du XIIIe siècle. Sont-ils tous parents, issus de la même famille ? Il est impossible de l’affirmer. Seuls deux ou trois apparaissent dans l’entourage des chevaliers ou des comtes de la région, mais on ne peut guère aller plus loin117. Pierre de Montmain lui-même reste dans l’ombre. Georges Duby, toujours très intuitif, en a fait un bourgeois de Cluny118. C’est une hypothèse probable bien qu’aucune charte ne l’atteste. Ses nombreux bienfaits le rendent « fidèle et cher » à Pierre le Vénérable (fidelis et dilectus noster)119. C’est ce qui compte par-dessus tout. Qu’il réside dans le bourg ou sur la colline de Montmain, aux limites du ban sacré, il est comme tous les autres, tantôt laicus, tantôt burgensis, retenu dans la mémoire abbatiale en fonction de ses bonnes œuvres.
51Qu’elles soient versées au doyen, à l’aumônier, au chambrier ou directement à l’abbé, les redevances des habitants du bourg marquent leur inclusion dans la communauté clunisienne. Parce qu’ils résident aux portes du monastère, ils doivent nécessairement participer au circuit des échanges matériels et spirituels dont les moines sont les intermédiaires obligés. S’ils ne le font pas individuellement en donnant leurs biens in articulo mortis, ils participent tout au long de leur vie par des donations modestes mais significatives. Au milieu du XIIe siècle, les bourgeois ne prélèvent aucun impôt pour leur propre compte. Même la charité des pauvres du bourg leur échappe puisqu’elle doit nécessairement passer par la médiation de l’aumônier. En demandant leur prêt ou leur garantie, Pierre le Vénérable gagne le soutien des bourgeois les plus riches et leur permet de gagner leur salut, ou tout du moins d’être sur une meilleure voie que si leur activité marchande, voire usurière, était destinée à de seules fins lucratives. Par là même, il réaffirme la médiation nécessaire des moines dans les échanges avec Dieu. La charte d’Henri de Winchester ne mentionne pas si les vingt-et-un se sont portés de bon gré comme otages potentiels des moines ou s’il a fallu user de moyens de pression. Mais le don volontaire est fort plausible. En se montrant généreux, les bourgeois se rapprochent des aristocrates qui jusqu’alors fournissaient l’essentiel des revenus du convent. Au XIe siècle, seuls les chevaliers se portent otages pour garantir l’exécution des traités négociés par leurs seigneurs ou amis. La captivité volontaire et la prodigalité sont affaires de nobles. Les bourgeois le savent et le manifestent, comme certains revendiquent dans le même temps leur parenté avec les nobles en se faisant construire des maisons de pierre reproduisant les schémas des demeures seigneuriales. Et comme ils le manifesteront bientôt en prenant les armes pour défendre le monastère.
Le don de soi : Girbert et éTienne, bourgeois modèles
52Un autre moyen, plus efficace encore, permet d’intégrer la communauté clunisienne et de gagner l’intercession monastique : se dépouiller de tous ses biens et entrer dans le cloître. Le cas n’est pas fréquent, mais lorsqu’il se produit, il fait figure de modèle. Les noms de deux bourgeois convertis ont été conservés par la mémoire clunisienne : Girbert et Étienne. Les notices qui en gardent le souvenir constituent une propagande éclatante.
53Girbert, bourgeois de Cluny, quitte le siècle et les affaires pour prendre l’habit monastique vers 1136. Il entraîne avec lui son fils et laisse son épouse, Marie, « veuve dans le siècle ». Il lui lègue cependant la maison dans laquelle ils vivaient, juste devant les portes du monastère. Lors de sa conversion, il donne au monastère un certain nombre de biens avec lesquels l’abbé pourra nourrir deux moines chaque année. Autrement dit, Girbert fournit les biens nécessaires à sa subsistance et à celle de son fils désormais moine. Mais, inquiet de n’avoir pas assez donné, il s’accorde quelque temps plus tard avec sa femme pour qu’elle cède, après sa mort, la maison au convent. L’aumônier et l’infirmier en seront les bénéficiaires. Si toutefois Martin, serviteur de l’aumônier, désire habiter dans cette maison, et si ses finances le lui permettent, il pourra l’obtenir moyennant l’autorisation de l’abbé et du convent et le versement de cent sous à l’aumônier et à l’infirmier.
54La charte qui rapporte cette transaction ne s’embarrasse pas de longs préambules sur la fonction salvatrice du don ou la nécessité de se réconcilier avec les moines à l’article de la mort. L’acte est bref, mais la renonciation du bourgeois est présentée en tels termes qu’elle constitue tout un programme. Girbert est un Valdès avant l’heure. Dans le siècle il était riche. Sa conversion n’est pas motivée autrement que par le désir de pauvreté et, pour lui, la meilleure façon de devenir pauvre était de se soumettre à la discipline monastique. Par sa donation et sa conversion, il fait d’une pierre deux coups. Il se réconcilie avec Dieu en abandonnant une richesse ostentatoire qui le présentait mal pour le jour du Jugement, a fortiori si elle avait été gagnée par le négoce, ou pire, l’usure. Il nourrit les pauvres, les « vrais pauvres » que sont les moines, dont toutes les richesses n’ont de justification que parce qu’elles sont transformées pour Dieu, et les vrais indigents qui vivent de l’aumône et qui bénéficieront d’une partie des biens de Girbert, via la médiation de l’aumônier. Une telle action est nécessairement l’ouvre de Dieu. C’est « touché par la clémence divine » (divina tactus clementia) que Girbert s’est dépouillé de ses lourdes attaches matérielles. Laissant sa femme « veuve dans le siècle » (relicta in seculo), Girbert a changé d’alliance. Il abandonne celle à laquelle il était lié par la copulation pour rejoindre ses frères spirituels120. Il a véritablement changé d’ordo. Pour entériner ses nouveaux liens, Girbert se recommande dans les mains du prieur. L’abbé est présent, assisté par les officiers qui régleront le bon déroulement de la transaction : Jarente l’aumônier, Hugues l’infirmier et Martin le serviteur de l’aumônier qui prendra vraisemblablement la place de Girbert dans sa maison.
55Au chapitre consacré à l’abbatiat de Thibaud Ier (1179-1180), le Chronicon Cluniacense cite en exemple un bourgeois de Cluny nommé Étienne. Toute sa vie durant, il a aimé particulièrement la communauté monastique et s’est toujours montré fidèle à l’Église. Ses richesses et son temps n’ont pas été consacrés à des activités futiles ou néfastes, mais à la fabrication d’objets précieux qu’il a donnés aux moines. Il a façonné la couronne dorée ornée de pierres précieuses qui surplombe l’autel, il a racheté une coupe et une croix d’or surmontée de pierres que les moines avaient mises en gages pour se procurer des revenus. Il a fabriqué des candélabres d’or et d’argent, le calice de l’autel matutinal et des ampoules argentées. Et pour couronner une vie jalonnée de bonnes actions, il a revêtu l’habit monastique, « délaissant les pompes du siècle et les richesses » en donnant quatre-vingts marcs d’argent pour la célébration de son anniversaire121.
56Les moines ne pouvaient rêver meilleur exemple. Étienne est le seul bourgeois nommément cité dans la chronique ; les autres n’intéressent pas la mémoire clunisienne. Étienne a permis aux moines de se dégager des créanciers auprès desquels ils mettaient en gage leurs biens précieux. Pour peu que les créanciers fussent des juifs et Étienne apparaît comme un véritable libérateur de l’Église clunisienne. En tant que tel, il est le paradigme du bourgeois clunisien, fidèle et rempli d’amour pour l’Église clunisienne. À la fin de sa vie, il ne se tourne pas vers une église paroissiale, mais vers le monastère. Ce sont les moines qui célébreront son anniversaire moyennant une somme d’argent plus que confortable qui préfigure les donations testamentaires extravagantes de la fin du Moyen Age.
57Dans la communauté clunisienne dont la chronique se propose de raconter l’histoire, le bourgeois Étienne est commémoré comme un modèle, non comme un individu. C’est sur son action que l’on insiste davantage que sur sa personne. Sa profession n’est pas mentionnée. Son cognomen n’est pas précisé. Ou plus exactement, il n’a pas été retenu dans la version définitive de la chronique, publiée par les moines au XVIIe siècle dans la Bibliotheca Cluniacensis. Une version manuscrite rédigée au début du XVIe siècle fournit une version légèrement plus détaillée de la vie d’Étienne et donne son nom : c’est Étienne du Bois (Stephanus de Bosco)122. Les du Bois de Cluny comptent parmi les bourgeois les plus riches du bourg abbatial dans la deuxième moitié du XIIe et au XIIIe siècle. Certains sont liés aux puissants seigneurs des environs tels les Gros de Brancion-Uxelles. Ils possèdent des biens-fonds et des maisons dans le bourg ou dans ses environs immédiats123. Étienne du Bois lui-même apparaît à deux reprises dans les années 1170-1180 parmi les témoins d’une transaction avec les moines de Cluny. En 1173, il est le premier d’une liste de neuf bourgeois témoins du traité entre l’abbé Hugues IV et Hugues Deschaux, châtelain de La Bussière, au sujet de Clermain, Mazille et du Mont Avout124. Deux de ses frères sont cités à ses côtés, Hugues et Garnier, puis d’autres bourgeois ou serviteurs du monastère. Peu avant 1180, il est de nouveau cité parmi les six témoins d’un autre traité important conclu cette fois avec le châtelain de Berzé au sujet d’une terre controversée125. Il est ici en tête d’un groupe de trois bourgeois où l’on compte un autre de ses frères, Geoffroy du Bois126. On ignore les origines de cette famille. Ils n’ont vraisemblablement aucun lien avec Durand de Bois-Sainte-Marie. Leur cognomen est de Bosco, celui de Durand était de Sancta Maria. Mais, ils occupent la même place privilégiée parmi les habitants du bourg que celle de ce serviteur des années 1100. Étienne, par sa conduite modèle, leur sert de guide.
Mourir pour l’Église clunisienne
58En conciliant le don de biens précieux et celui de leur vie par la conversion, Girbert et Étienne ont accompli l’un des plus vénérables sacrifices que l’Église clunisienne pouvait attendre d’eux. Mais elle peut encore exiger mieux. Girbert et Étienne ont donné leur vie sur le tard. Ils ont été, en quelque sorte, « admis au rattrapage ». Combien plus noble sera le sacrifice total du jeune, plein de vie, qui accepte non seulement de mourir au siècle mais de mourir pour les autres. Au terme d’un traité conclu en 1145, Pierre le Vénérable parvient à imposer aux habitants du bourg ce sacrifice-là. Mourir pour l’Église clunisienne devient le devoir du bourgeois et la meilleure manière de montrer son amour pour l’abbé et son Église127.
59Le traité est conservé en original via les archives de l’abbaye128. Il s’agit d’un chirographe. La partie destinée aux contractants laïques a sans doute été conservée un temps par les meliores burgenses de Cluny. Mais peut-être pas très longtemps. Au moment où les bourgeois dressent le premier inventaire de leurs archives, au début du XVIIe siècle, le traité n’est pas mentionné129. Sans doute était-il devenu fort gênant pour une communauté dont le souci premier était de s’émanciper par tous les moyens de la tutelle abbatiale. Au milieu du XIIe siècle, on est encore loin d’une telle situation. L’accord est bipartite et consensuel. Il portera ses fruits pendant plusieurs décennies130.
60Il est conclu le 29 janvier 1145131 à l’initiative de Pierre le Vénérable (ex precepto domini Petri). Sont concernés les bourgeois de Cluny et tous les « hommes des doyennés » âgés de plus de quinze ans. Comme tous les contrats contemporains, le traité est aussi une alliance devant Dieu, un serment ou plus exactement un sacrement (sacramentum) : Iste est modus sacramenti vel paccionum132. Toute rupture du pacte serait donc un parjure.
61La première clause donne le ton de toutes les autres : par-dessus tout, les bourgeois et les hommes des doyennés doivent fidélité à l’abbé et à l’Église133. La suite du texte précise comment le fidèle doit se conduire lorsque l’abbé et l’Église sont en danger.
62Les hommes tenus par le serment doivent s’abstenir de tout contact avec ceux qui sont notoirement connus (publice denunciatus) comme les ennemis de l’Église (hostes ecclesiae). Sous peine d’une amende de vingt sous, ils ne doivent leur accorder aucune hospitalité, ne pas les recevoir sous leur toit, ne rien leur donner ni contracter avec eux, ni leur apporter aide ou conseil en quoi que ce soit. Seuls sont autorisés les contacts pour honorer un contrat ancien, c’est-à-dire récupérer ou restituer un bien, ou pour exhorter les ennemis de l’Église à cesser leurs méfaits134. Cette mise à l’écart doit s’accompagner d’un combat actif à l’encontre des ennemis. Chaque fois qu’un messager de l’abbé le leur demandera, tous les bourgeois et hommes des doyennés devront prendre les armes, sauf s’ils sont malades (infirmus)135. Un conseil tenu par l’abbé et les bourgeois les plus riches (meliores burgenses) choisira ceux qui resteront sur place pour la défense de la ville. Seront également dispensés de partir ceux qui se feront remplacer par des hommes mieux armés, ceux dont on craint une attitude peu vaillante et les personnes peu aptes au combat, entendons sans doute les plus faibles136. La mort au combat pour la défense de l’Église (propter defensionem ecclesiae) vaudra à la victime d’être ramenée à Cluny pour recevoir les honneurs réservés aux plus grands bienfaiteurs. Les moines l’enseveliront gratuitement, sauf si la personne avait émis auparavant la volonté de faire un don. Dans le chapitre, elle verra ses péchés pardonnés. L’office quotidien et la messe conventuelle seront célébrés pour le salut de son âme et de ses parents et tous bénéficieront des bienfaits spirituels de la communauté monastique137.
63À l’inverse, si un bourgeois ou quiconque tenu par le serment tue, capture ou violente un ennemi de l’Église, le meurtre ne restera pas impuni, mais on appliquera les traditionnelles compensations financières selon un mode particulier. Ni l’agresseur, ni le monastère ne devra verser quoi que ce soit à l’agressé ou à son héritier tant que la paix n’aura pas été conclue138. Pendant cet intervalle, le monastère s’engage à protéger ses hommes et leurs biens. Chacun pourra trouver refuge chez le doyen dont il dépend. Si, même en ce lieu, il ne peut demeurer en sécurité, inquiété par les désirs de vengeance de ceux qu’il a blessés, il sera conduit à Cluny par son doyen et placé sous la protection du doyen de Cluny et du chambrier jusqu’à la conclusion du compromis139. Les victimes de la milice abbatiale obtiendront des dédommagements différents si la cause appartient à l’Église, aux bourgeois ou aux « hommes de l’extérieur » (c’est-à-dire des doyennés). Autrement dit, le lieu du combat, le statut et le lieu de résidence des agresseurs détermineront les responsables du dédommagement. Le monastère paiera si la cause est ecclésiale, les bourgeois si elle leur appartient, les bourgeois et les hommes des doyennés si les responsabilités sont partagées, et ainsi de suite140.
64Dans deux autres cas, le monastère participera au dédommagement pécuniaire des adversaires pour obtenir la paix : si à l’intérieur du « ban apostolique », c’est-à-dire le ban sacré de 1095, un homme se rendant à Cluny est molesté ou capturé et si un bourgeois ou l’un des « hommes de l’extérieur » subit un dommage corporel, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du ban. Le partage des amendes se fera au tiers : un tiers payé par l’église, deux tiers par les bourgeois et ceux de l’extérieur141. L’attaque d’un homme se rendant aux marchés ou aux foires de Cluny, même en dehors des limites du ban, devra susciter l’action conjointe des laïcs et des moines. Les premiers porteront secours aux marchands molestés, les seconds frapperont les agresseurs par des peines ecclésiastiques142. Pragmatique, l’abbé promet aux bourgeois l’exemption totale des redevances pendant la durée des combats et le bénéfice d’une partie des amendes de vingt sous levées sur tous ceux qui, bravant l’interdit, se montreraient hospitaliers à l’égard des ennemis143. Et, comme toutes les autres mesures, ces quelques récompenses destinées à stimuler l’ardeur des bourgeois sont justifiées par « le bien de la paix et l’utilité commune » (pro bono pacis et communi utilitate), c’est-à-dire celle de l’Église dont les bourgeois fidèles sont les membres et l’abbé la tête144. Les engagements mutuels prendront effet aux prochaines Pâques, c’est-à-dire au commencement de la saison militaire. Leur durée est limitée, excepté pour la première clause : la fidélité au seigneur-abbé et à l’Église a une vigueur perpétuelle145.
65La conjoncture du milieu du XIIe siècle explique en partie la conclusion du traité. Les menaces des seigneurs laïques de la région connaissent une recrudescence et Pierre le Vénérable s’emploie depuis vingt ans à panser les plaies du schisme pontien, réorganisant le système domanial et les structures de l’ecclesia146. Pour éviter à l’avenir que les bourgeois ou les serviteurs des doyennés ne se rebellent, on leur impose le serment de fidélité et une participation active dans la lutte contre les ennemis. Mais plus encore, les motifs du serment de 1145 sont structurels, même si sa durée théorique est limitée. C’est le premier traité mis par écrit entre les bourgeois et l’abbé de Cluny. Il fixe le statut des habitants du bourg en tant que fidèles de l’Église et de l’abbé, comme les serviteurs des doyennés. Dans les archives de l’abbaye, l’acte de 1145 constitue le document fondateur des relations entre les moines et les bourgeois, classé au début de la layette Droits et hauteurs de l’abbé de Cluny contre les habitants dudit Cluny. Les documents suivants sont les serments de fidélité des bourgeois prêtés à l’abbé entre le XIVe et le XVIe siècle puis les nombreux traités et procès ayant mis en cause les laïcs et les religieux dès le XIIIe siècle147. D’autre part, la fidélité des bourgeois, condition sine qua non de l’appartenance à la res publica clunisienne, doit se manifester par leur dévouement à l’utilité commune plutôt qu’à leurs intérêts privés. Plus le bourgeois manifeste sa fidélité envers l’Église, plus il est digne de son nom. Tel était Étienne du Bois ; tels seront les sacrifiés pour l’Église clunisienne.
66Burgenses et homines de decaniis : telles sont les personnes impliquées par le serment. Le qualificatif homines indique qu’il s’agit des dépendants du monastère. Ils peuvent prendre les armes. Ce sont des laïcs, c’est-à-dire ceux que les doyens emploient pour administrer le domaine dont ils ont la charge, prélever les rentes de la terre et les revenus des églises. Prévôts, cellériers, connétables, on en a déjà rencontré quelques-uns parmi les témoins des chartes. Ils font partie de cette « aristocratie servile » au service du monastère, tenant leur fonction et quelques biens fonciers en fief de l’abbaye. Leur loyauté n’est pas toujours irréprochable et il importe de contrôler leurs agissements au plus près. Le serment de 1145 s’y emploie. Burgenses : ils sont les habitants du bourg ou plus exactement des habitants du bourg, ceux qui peuvent acheter des armes et peut-être un minimum de protection pour ne pas offrir leur poitrine nue aux assaillants ; ceux qui peuvent payer un homme pour partir au combat à sa place. Il ne faut pas imaginer l’ensemble des habitants du bourg prêts à partir, la fleur à l’épée, pour combattre les ennemis de l’Église. Seuls les burgenses sont concernés et parmi eux, un petit groupe se dégage déjà, la ploutocratie clunisoise : les meliores burgenses. Avec ceux-ci, il est possible de traiter et de négocier.
67Pierre le Vénérable exalte la defensio ecclesiae. Il incite ses bourgeois et ses serviteurs à manifester leur amour pour la patrie clunisienne en se sacrifiant pour elle148. Si le sacrifice est accompli complètement, c’est-à-dire jusqu’à la mort, le fidèle devient un martyr. Son nom sera commémoré parmi les bienfaiteurs de l’Église, son corps reposera parmi les moines vierges et les saints, sa mémoire sera lavée des péchés qu’il a pu commettre. Le corps ecclésial réuni par la defensio ecclesiae et l’utilitas communis se construit par l’inclusion et l’exclusion. L’inclusion est celle du bourgeois qui, transformé en fidèle, devient un membre à part entière de la communauté ecclésiale. L’exclusion est celle de tous ceux qui ne se conforment pas aux règles de conduite du corps ou les combattent ouvertement. Ils sont les ennemis : hostes ecclesiae. On note que le terme hostis est le qualificatif souvent attribué au diable, l’Ennemi de l’Église par excellence149. Mais à la différence de celui-ci, les hostes ecclesiae ne sont pas condamnés à tout jamais. Ils sont mis au ban du corps social puisque tout commerce avec eux est interdit, mais les bourgeois sont autorisés, voire exhortés, à entretenir des contacts avec eux pour les conduire à changer d’attitude. La pastorale prime encore sur la condamnation150.
68De même, si le combat armé est encouragé par l’abbé de Cluny, son but est moins d’éliminer les ennemis que de montrer la vaillance du corps ecclésial. Le meurtre d’un ennemi de l’Église n’est pas encouragé. Il apparaît d’ailleurs bien moins louable que la mort des hommes de l’Église qui ouvre largement les portes de la communauté céleste. Toute atteinte corporelle portée par un homme sous serment contre un ennemi de Cluny sera réparée par des compensations financières. Les responsables paieront. Et si les moines doivent protéger leurs ressortissants contre les vengeances privées, c’est surtout pour préparer la paix entre chacune des parties dans les meilleures conditions. Cette attitude fait écho aux positions de Pierre le Vénérable à l’égard des juifs et des pétrobrusiens. Ceux-ci sapent les fondements de l’Église universelle en refusant les lieux de culte, le symbole de la croix, l’intercession des prêtres, le baptême des enfants et les prières pour les morts, mais il importe d’argumenter pour les convaincre et non de les vouer au bûcher. Ceux-là volent, recèlent et profanent les biens sacrés, mais il convient davantage de les taxer que de les mettre à mort pour que l’argent qu’ils ont volé soit redistribué pour une cause chrétienne : la défense de la terre sainte151.
69Le traité s’inscrit dans un cadre dont les fondements ont été posés au siècle précédent. Ainsi en est-il de l’organisation spatiale. Le ban apostolique dont les limites sont connues de tous depuis le sermon d’Urbain II en 1095 est un espace de référence pour la communauté clunisienne. Les moines comme les laïcs doivent garantir son inviolabilité. Ils sont solidaires dans la réparation des méfaits commis à l’intérieur du ban à l’encontre des étrangers. Mais l’intervention des hommes de Cluny ne se limite pas à ce territoire. Son rôle est bien plus défensif qu’offensif152. Tous les hommes liés par le serment sont tenus de combattre pour l’Église, là où on leur demandera (alicubi), à l’intérieur ou à l’extérieur du ban. Dans les deux cas, ils seront protégés par les moines et bénéficieront du même traitement en cas de dommage corporel. Il en va sensiblement de même pour les marchands qui se rendent aux foires et marchés clunisois. Tout au long du chemin qui les conduit dans la ville du sanctuaire, ils bénéficient de la même protection que s’ils étaient dans le ban sacré. Leur mission les rend inviolables car elle participe à l’utilité commune. Porter atteinte aux foires ou aux marchés revient à ébranler un pilier de la paix clunisienne. Il est logique que chacun s’emploie à l’éviter. Et dans la lutte pour cette sauvegarde, les moines ne doivent pas être moins actifs que les bourgeois. Les uns apportent leur bras pour éloigner les ennemis ; les autres leurs sentences en liant ou déliant de la communauté des fidèles ceux qui ne respectent pas la paix commerciale.
70En 1153, pendant trois jours, à l’appel de Pierre le Vénérable et du cardinal de Saint-Nicolas in carcere, Odon, légat pontifical, l’archevêque de Lyon, Héracle de Montboissier, frère de Pierre le Vénérable, ses suffragants les évêques d’Autun, de Mâcon et de Chalon, les comtes de Bourgogne et de Chalon, les sires de Beaujeu, Brancion, Berzé, La Bussière et d’autres nobles dont les noms ne sont pas cités sont réunis dans la cathédrale Saint-Vincent de Mâcon pour statuer sur le rétablissement de la paix clunisienne (de pace ecclesiae Cluniacensis reformanda). Les décrets sont promulgués en présence d’une délégation représentative des habitants de Mâcon, clercs et laïcs. Les prélats réunis renouvèlent l’interdiction de construire un château dans les environs de Cluny, en élargissant considérablement la zone protégée à tout l’espace compris entre la Saône, la Loire et le Rhône153. Outre cette mesure archaïque, le concile participe au renouvellement de la paix clunisienne, en incluant les bourgeois de Cluny conformément au serment de 1145. Les seigneurs (domini) défendront les personnes et les biens, combattront les malfaiteurs (malefacientes) et les poursuivront jusque dans les châteaux où ils se retrancheraient. Les « habitants de la cité de Cluny » (habitatores civitatis Cluniacensis) prendront les armes lorsqu’ils en seront requis en compagnie de ces seigneurs. Les prélats exerceront leurs armes ecclésiastiques. À chacun son rôle pour la restauration de la paix.
71Pendant quelques années au moins, le concile de Mâcon réussit à contenir les tensions dans le sud de la Bourgogne. Pierre le Vénérable meurt en décembre 1156 en ayant pu éviter le conflit armé, mais la succession difficile à la tête de l’abbaye de Cluny et le schisme pontifical de Victor IV à partir de 1159 causent de nouveaux troubles auxquels les clunisiens et tous les potentats de la région sont mêlés. Les années immédiatement postérieures à la mort de Pierre le Vénérable sont parmi les plus troubles de l’histoire clunisienne. Il faut attendre quatre mois pour qu’un nouvel abbé soit élu en la personne de Robert Gros, le 14 avril 1157. Son élection est tumultueuse et divise immédiatement la communauté clunisienne. Il est déposé au bout de quelques mois et meurt le 12 novembre 1157 dans des circonstances jamais éclaircies lors d’un voyage à Rome où il était peut-être parti chercher l’appui pontifical154. L’un de ses plus farouches opposants, le prieur claustral Hugues de Frazans, est élu dans l’hiver 1157-1158 (Hugues III). Les deux premières années de son abbatiat semblent se dérouler sans dommage particulier, mais la double élection pontificale en septembre 1159 change la situation. Traditionnellement porté à soutenir tout autant les pontifes romains que les empereurs, Cluny est dans le plus grand embarras. Hugues III opte finalement pour l’« anti-pape » Victor IV. En avril 1161, Alexandre III excommunie Hugues et enjoint Henri, évêque de Beauvais, de le déposer et de faire élire un nouvel abbé. C’est chose faite en la personne d’Étienne de Boulogne (Étienne Ier) au cours de l’année 1161. Pendant deux ans environ, Hugues parvient à se maintenir à Cluny, mais, sa position devenue intenable, il se réfugie en Franche-Comté où, grâce au soutien de Frédéric Barberousse, il conserve son autorité sur les monastères clunisiens d’Empire au moins jusqu’en 1177. Cluny connaît de nouveau le schisme et cette fois pendant de longues années avec un abbé « romain » et un anti-abbé « impérial »155.
72Le schisme pontifical a de forts retentissements en Lyonnais et dans le sud de la Bourgogne. Les princes et les prélats sont partagés entre les deux obédiences. Girard de Vienne, comte de Mâcon et l’archevêque de Lyon, Héracle de Montboissier, sont d’ardents défenseurs de Victor IV. Les châtelains de Brancion et de Beaujeu sont indécis. Alexandre III déploie tous ses efforts pour se gagner des partisans dans la région156. Le départ d’Hugues III en terre impériale au début de l’année 1163 permet de rallier Cluny à sa cause. Le pape en profite. Brandissant le vieil argument de la paix clunisienne, il adresse le 18 juillet 1163 une lettre au sire de Beaujeu, au comte du Forez, au vicomte de Mâcon, à Joceran Gros de Brancion-Uxelles, à Hugues de Berzé et à Hugues Deschaux de La Bussière pour leur demander d’honorer leurs anciennes promesses à l’égard de Cluny. Bien sûr, il fait référence au concile de Mâcon de 1153. Après un long préambule sur les mérites apportés aux défenseurs de la paix et protecteurs des « églises sacrées » (sacris ecclesiis), le pape exhorte la charité des seigneurs (charitas) pour renouveler leur serment de paix à l’égard de l’Église clunisienne. Ils y gagneront la rémission de leurs péchés et une année d’indulgences (poenitentiae) comme ceux qui se rendent à Jérusalem157.
73Déjà en 1132, le pape Innocent II avait accordé quarante jours d’indulgences à ceux qui visiteraient Cluny le jour anniversaire de la dédicace de l’église (le 25 octobre)158. En 1163, l’assimilation entre Cluny et la Terre sainte est encore plus manifeste. Se rendre à Cluny ou combattre pour son Église est faire un geste pour la défense de la communauté ecclésiale dans son ensemble. La caritas doit unir tous les membres et les inciter à l’action défensive, tant pour les moines que pour eux-mêmes. Mourir sur le champ de bataille à Jérusalem ou servir la paix clunisienne en Bourgogne apporte les mêmes bienfaits : l’absolution des péchés et des gains substantiels sur la route du Paradis. Au moment où l’on commence à comptabiliser les années de Purgatoire, les promesses du pape ont un caractère fort engageant. Georg Schreiber a jadis émis des doutes sur l’authenticité de la bulle d’Alexandre III, arguant du caractère inhabituel de la clause d’indulgence159. Si l’acte est un faux clunisien ou si la clause d’indulgence a été interpolée (le document est conservé par sa copie dans le cartulaire E), l’acte en est d’autant plus intéressant. Il montrerait la volonté des clunisiens d’associer eux-mêmes Cluny à la Terre sainte en promettant les mêmes bienfaits aux combattants pour l’Église clunisienne qu’aux croisés.
74Par le serment de 1145, le concile de Mâcon et la promesse d’indulgences, les abbés clunisiens ont jeté les bases du contrat. La paix clunisienne doit être respectée par tous les puissants, clercs, seigneurs-châtelains, chevaliers, serviteurs laïques et bourgeois qui vivent aux côtés des moines. Les intérêts privés doivent être délaissés au profit de l’utilité commune. Au nom de la caritas qui unit les membres de l’Église, pour la défense du bien commun et la lutte contre les ennemis, il faut accepter de sacrifier sa vie. Les récompenses seront les plus hautes. Les moines se chargeront de commémorer le nom des victimes, de les enterrer avec les plus grands honneurs et d’intercéder auprès des puissances célestes pour que leur séjour dans l’au-delà soit le plus confortable possible. Toutefois, pour les seigneurs-châtelains du Mâconnais, les injonctions pontificales et les sollicitations de Pierre le Vénérable sont davantage des recommandations de bon voisinage que des règles contraignantes ; règles que l’abbé de Cluny serait d’ailleurs bien en peine de pouvoir leur imposer. Il n’en va pas de même pour les habitants du bourg. Eux sont directement et exclusivement soumis à la domination abbatiale et la défense de l’Église clunisienne est leur premier devoir. Leur attitude sera déterminante pour le maintien de la paix clunisienne et l’application du projet social des abbés de Cluny.
4. Les bourgeois en action
75La Bourgogne du sud connaît dans les années 1160-1170 un déferlement de violence suscité en grande partie par le schisme pontifical et les affrontements entre « romains » et « impériaux ». Les seigneurs et les prélats se partagent entre les deux camps. Bien souvent, les églises sont victimes des affrontements. La milice bourgeoise a donc plusieurs occasions d’honorer ses serments de 1145 et 1153.
Le massacre de 1166
76L’épisode le plus célèbre et le plus tragique se situe en 1166. À cette date, le conflit entre le pape Alexandre III et l’empereur Frédéric Barberousse atteint son paroxysme dans la région de Cluny. Le comte de Mâcon est toujours un fidèle de l’empereur et le comte de Chalon, Guillaume II, a récemment rejoint son camp. Les églises « alexandrines » sont la cible privilégiée de leurs attaques. Des troupes de mercenaires soldés combattent pour eux. On les appelle les « Teutons » ou les « Brabançons », davantage semble-t-il parce qu’ils combattent pour la cause impériale que parce qu’ils viennent tous de Germanie ou de Flandre160. En 1165 et 1166, l’abbé Étienne de Cluny envoie des messagers et plusieurs lettres au roi Louis VII pour lui demander d’intervenir. L’évêque et les chanoines de Mâcon, molestés par le comte de Mâcon, joignent leurs prières aux siennes, mais le roi réagit trop tard161. Au cours de l’été 1166, les Brabançons et les hommes du comte de Chalon sont aux portes de l’abbaye de Cluny et s’emparent du château de Lourdon. Des habitants du bourg vont à leur rencontre et se font tailler en pièce en grand nombre ; le chroniqueur royal en dénombre cinq cents.
77L’épisode cause une grande émotion et décide finalement Louis VII à mener une chevauchée en Mâconnais. C’est le début d’une nouvelle histoire où il faudra désormais compter avec le roi et ses agents installés sur place. Mais pour l’heure examinons d’un peu plus près l’expédition tragique de 1166 à partir des narrations contemporaines. Le massacre est rapporté dans deux chroniques, l’une royale, l’autre clunisienne, ou plutôt vézelienne : l’histoire anonyme du roi Louis VII et la chronique de l’abbaye de Vézelay rédigée par Hugues de Poitiers162.
78La chronique d’Hugues de Poitiers a été rédigée sur l’ordre de l’abbé Pons de Montboissier, frère de Pierre le Vénérable (1138-1161), entre 1155 et 1167. L’auteur, prénommé Hugues, était originaire du Poitou, d’où son surnom. Il était moine à Vézelay sous Pons et secrétaire de son successeur Guillaume de Mello (1161-1171). La chronique est connue par un manuscrit unique composé à Vézelay entre 1167 et 1170. C’est un « véritable dossier de la liberté vézelienne »163. Il contient les Annales de Vézelay, une brève histoire des comtes de Nevers, un cartulaire composé en grande partie des diplômes royaux et bulles pontificales fondant les privilèges de l’abbaye et la chronique d’Hugues de Poitiers. Ces monumenta constituent une manifestation scripturaire de la puissance vézelienne et une réponse aux différentes attaques subies par l’abbaye au milieu du XIIe siècle. Dans les mêmes années, les sermons du moine Julien de Vézelay, la construction de l’abbatiale et l’élaboration de son programme sculpté assurent une propagande orale, monumentale et iconographique orientée dans le même sens164.
79Au milieu du XIIe siècle, se déroulent à Vézelay des conflits qui mettent aux prises sept personnes ou communautés : l’abbaye, l’évêque d’Autun, le comte de Nevers, les bourgeois de Vézelay, l’abbaye de Cluny, le pape et le roi de France. Pour faire bref, Vézelay est aux prises avec les comtes au sujet de l’immunité. Le comte revendique des droits de garde et de justice sur les terres de l’abbaye. L’évêque d’Autun conteste les prétentions vézeliennes à l’exemption. Les bourgeois de Vézelay se rebellent contre l’autorité abbatiale et forment une commune à deux reprises : entre 1152 et 1155 et en 1167 ; ils sont largement soutenus dans leurs luttes par le comte de Nevers. L’abbé de Cluny s’évertue à conserver l’abbaye de Vézelay dans l’ecclesia Cluniacensis, à laquelle elle est agrégée depuis 1102, malgré les volontés marquées de retour à l’indépendance des abbés vézeliens. Le pape est le protecteur de l’abbaye depuis sa donation aux saints apôtres Pierre et Paul. On le sollicite pour arbitrer les conflits, mais dès 1155, il trouve sur ce terrain un concurrent de poids en la personne du roi Louis VII, intervenu efficacement pour mater la commune bourgeoise. Les décennies 1150-1160 sont décisives pour la résolution des conflits. En 1154, l’évêque d’Autun promet de respecter l’exemption ; elle est reconnue définitivement par la bulle d’Urbain III en 1181. La lutte contre Cluny se termine en 1162 avec la nouvelle indépendance de Vézelay. Les conflits avec le comte sont résolus en 1166 notamment grâce à Louis VII reçu triomphalement sur la « colline éternelle ». La deu-xième et dernière commune est rapidement éteinte en 1168165. Les Annales, la chronique, l’histoire des comtes de Nevers et le cartulaire sont réunis en un volumen vers 1170, manifestant le nouveau pouvoir triomphant des abbés de Vézelay.
80La chronique d’Hugues de Poitiers est divisée en quatre livres chronologiques qui mettent en scène les moines et leurs différents ennemis. Le massacre des bourgeois de Cluny est raconté à la fin du quatrième livre, consacré en grande partie aux démêlés de Vézelay avec le comte de Nevers166. Depuis 1161, le conflit est dans une phase aiguë. En plus de ses revendications anciennes sur les droits de garde et de justice, Guillaume IV, comte de Nevers, et sa mère, Ida, contestent la légitimité de Guillaume de Mello à la tête de l’abbaye parce qu’il a refusé son investiture. Le comte est parvenu à se gagner des partisans au sein du convent. Il attaque le monastère en novembre 1165 et contraint l’abbé et plusieurs moines à l’exil. Certains vont trouver le roi à Paris pour le convaincre d’intervenir. Le 6 janvier 1166, Louis VII se rend à Vézelay pour réinstaller Guillaume de Mello dans son siège. Les mois suivants, il n’a de cesse de convoquer le comte de Nevers et ses partisans pour répondre de leurs griefs à l’encontre des moines. Le 10 novembre 1166, le comte Guillaume IV et l’abbé Guillaume de Mello comparaissent à Vézelay devant le roi et mettent fin à près de cent ans de conflits en concluant un traité garanti par l’autorité royale.
81Hugues de Poitiers interrompt alors son récit pour parler des luttes entre l’abbaye de Cluny et le comte de Chalon. Son but n’est pas de s’étendre sur la question mais de montrer que Vézelay a été le cadre, en novembre 1166, de deux règlements de paix importants. En effet, en représailles de son attaque à Cluny, le roi a privé le comte de Chalon de ses terres pour les confier au duc de Bourgogne et au comte de Nevers dont il est le vassal. Profitant de son séjour à Vézelay pour arbitrer le conflit entre Guillaume de Mello et le comte de Nevers, le roi convoque dans le monastère de la Madeleine l’abbé de Cluny, Étienne, et le comte de Chalon, Guillaume167, pour arbitrer leurs différends168. Le bref paragraphe sur le massacre de Cluny est le suivant :
Le roi Louis conduisit son armée contre Guillaume, comte de Chalon, à cause de l’horrible carnage que son fils Guillaume avait fait des clunisiens. En effet, alors qu’il s’était emparé du château de Lourdon qui dépendait du monastère de Cluny, des hommes de haute naissance et des jeunes sont sortis du bourg (vicus) de Cluny. La main experte des chevaliers du comte agressa rapidement ces imprudents se conduisant comme une foule ignorante, les força à prendre la fuite et les massacra presque tous. Le roi donc, conduisant son armée, s’empara de ses châteaux et fortifications et de sa ville de Chalon et, l’ayant dévastée, il remit toute sa terre jusqu’à la Saône dans les mains d’Hugues, duc de Bourgogne, et de Guillaume, comte de Nevers, jusqu’à ce que l’enfant qui était la cause de ces maux vienne avec sa mère à Vézelay devant la personne du roi (faciem regis) et, dans la mesure du possible, se justifie devant lui169.
82Selon Hugues de Poitiers, le déclencheur de l’expédition clunisienne est la prise du château de Lourdon, lieu stratégique essentiel et place forte symbolique du monastère. En réponse, des « hommes de haute naissance et des jeunes » (maiores natu cum iuvenibus) sont sortis du bourg de Cluny170. Maiores natu et iuvenes sont des termes traditionnellement utilisés pour qualifier la frange dominante de la population laïque, milites ou seigneurs châtelains, plus versée dans le maniement des armes que les marchands ou artisans du bourg, dont le souci premier est la paix pour garantir la circulation commerciale et la bonne marche des affaires. Toutefois, le chroniqueur est loin de les présenter comme des guerriers professionnels. Au contraire, ils agissent comme une troupe inexpérimentée se présentant imprudemment devant les militaires du comte qui, eux, connaissent la science de la guerre. Le récit d’Hugues de Poitiers donne donc une vision peu glorieuse de la milice clunisienne, noble, mais peu experte. Voyons l’autre version.
83Elle est intégrée dans la vie du roi Louis VII, connue généralement sous le titre Historia gloriosi regis Ludovici, commencée par Suger vers 1140 et poursuivie vers 1170-1172 par un moine de Saint-Germain-des-Prés, peut-être originaire de Vézelay. L’Historia ne se conçoit pas comme un texte isolé, mais comme un fragment de la geste des rois de France à laquelle Suger a donné une tournure décisive au milieu du XIIe siècle. Elle a fourni la base des Grandes chroniques de France pour le règne de Louis VII. Elle fut également intégrée dans la continuation d’Aimoin vers les années 1180171.
84Dans sa version définitive des environs de 1170, l’Historia gloriosi regis est divisée en vingt-cinq chapitres narrant les faits et gestes du roi de 1137 à 1166172. Louis VII est présenté comme un souverain luttant contre les ennemis de la majesté royale et de la Couronne en combattant les mauvais châtelains et les bourgeois révoltés indûment contre leur seigneur173. Il se préoccupe de l’intégrité des royaumes voisins et soutient ardemment l’Église, prend la croix pour Jérusalem, opte pour le pape romain lors du schisme de Victor IV174. Il connaît aussi des déboires par ses mariages avec Aliénor d’Aquitaine et Constance de Castille, la naissance de filles, et la perte de la Normandie, mais, grâce à sa lutte acharnée pour le bien de l’Église et du royaume, il obtient un héritier mâle en 1166175. Tout le récit conduit à cet événement glorieux. C’est là précisément que s’insère le récit du massacre des bourgeois de Cluny. Le roi, fortifié par son adhésion à Alexandre III et son combat contre les schismatiques [chap. XXI] entreprend de mener un combat vaillant contre tous les tyrans qui menacent les églises et oppriment les pauvres. Il intervient d’abord victorieusement contre le comte de Clermont [chap. XXII] puis se tourne contre le comte de Chalon auteur d’un « fait exécrable » [chap. XXIII].
85Guillaume, comte de Chalon, suivant les traces du diable (diaboli vestigia sequens), a atrocement persécuté l’Église de Cluny. Il s’est entouré de pillards et de scélérats (sceleratis satellitibus fretus), vulgairement appelés Brabançons, ennemis de Dieu et de la vérité. Mus par l’appât du gain, ils ont cruellement attaqué Cluny. Les moines, sans glaive ni bouclier, mais revêtus de leurs vêtements ecclésiastiques, protégés par les armes divines, les reliques et les croix ont processionné contre le tyran en compagnie de nombreux hommes du peuple176. Les Brabançons ont dépouillé les moines de leurs vêtements sacrés, en ont tué plusieurs par le fer et ont atrocement sacrifié, comme des moutons, plus de cinq cents bourgeois de Cluny177. La rumeur du crime est parvenue à la connaissance du très pieux roi Louis. Animé par le Saint-Esprit, il est parti châtier ce fléau indicible qui portait l’infamie dans la sainte Église178. Il convoque des phalanges de combattants francs contre le tyran, mais celui-ci quitte ses terres et refuse l’affrontement. Le roi traverse alors les contrées clunisiennes et voit les veuves, les vierges, et les orphelins processionner vers lui. On voit des vierges éplorées, des enfants pendant au sein de leur mère. Tous se jettent à ses pieds, pleurant et se lamentant, lui proclamant leurs peines en une lugubre clameur, suppliant par de très pieuses prières la majesté royale, pour que le très pieux roi leur procure aide et conseil et éloigne les différentes calamités179. Pour faire cesser ces plaintes, le roi traverse les terres du mauvais comte (terram nefandi comitis), conquiert sa cité et le Mont-Saint-Vincent, le vainc par les armes et partage sa terre entre le duc de Bourgogne et le comte de Nevers180. Il fait capturer et pendre aux fourches de l’Église de Dieu les Brabançons et leurs alliés. Un seul d’entre eux est épargné parce qu’il souhaitait racheter sa faute contre une grosse somme. Ayant puni à sa juste mesure l’abominable massacre et la persécution commise à l’encontre de la sainte Église de Cluny, le roi, paré du trophée, s’en retourne avec joie181.
86Le récit se poursuit au chapitre XXIV par le combat victorieux du roi, « toujours prompt pour protéger les églises », contre le comte de Nevers et les bourgeois de Vézelay182. Le chapitre XXV clôt le récit en une apothéose. Il s’ouvre sur ces mots :
C’est pourquoi, grâce à cela et aux nombreuses autres œuvres de justice que le très pieux roi Louis a accomplies en hommage à la majesté divine pour la susdite église [Vézelay] et plusieurs autres, mais aussi grâce au châtiment qu’il a souvent infligé aux ennemis de l’église de Cluny et de plusieurs autres églises, la bonté divine l’a honoré d’une récompense digne de tant de bonnes œuvres. En effet, le roi, par la grâce de la libéralité divine, a engendré un fils de la très noble reine Adèle183.
87Le chapitre XXIII de l’Historia gloriosi regis Ludovici condense l’ensemble des points développés ailleurs dans le récit. Le roi « très pieux » lutte contre les tyrans et les personnes néfastes, alliés du diable, ennemis tant de l’Église que du peuple désarmé et de la majesté royale. Chaque épisode est un argument pour construire la majesté royale par ce qui lui porte atteinte184. Le massacre de Cluny offre à cet égard un terrain de choix. On note une opposition très intéressante dans le déroulement des événements. Lorsque les mercenaires du comte de Chalon attaquent l’abbaye de Cluny, les moines revêtus de leurs vêtements liturgiques, portant croix et reliques, processionnent contre les ennemis en présence du peuple. Ils se font massacrer. Quelque temps plus tard, lorsque le roi intervient dans la région, le peuple processionne de nouveau ; cette fois il n’implore plus la clémence divine, mais la magnanimité et la majesté royale. La procession est efficace et les résultats ne se font pas attendre. Le roi intervient rapidement185.
88Les termes utilisés dans la narration (clamor, processio, sanctorum reliquiae) font écho aux cérémonies rituelles monastiques. L’expédition de 1166 ressemble davantage à la clameur du liber tramitis qu’à une bataille de milites. Hugues de Poitiers mentionnait l’imprudence de la troupe en l’opposant à l’expérience militaire des chevaliers du comte. On a peut-être là l’explication. Les hommes vertueux qui prêtent le serment de prendre les armes en 1145 n’apparaissent pas clairement. S’ils se font tuer en grand nombre, cinq cents selon le chroniqueur royal, c’est parce qu’ils n’étaient protégés autrement que par les chants, les croix et les reliques. Le qualificatif burgensis employé dans l’Historia gloriosi regis ne désigne pas nécessairement que les habitants du bourg puisqu’il est synonyme du terme populus utilisé quelques lignes plus haut. Les « hommes des doyennés » du serment de 1145 et tous les hommes de Cluny désireux de participer à la procession étaient peut-être de la partie. Quoi qu’il en soit, le nombre avancé par le chroniqueur est sans aucun doute une énorme exagération destinée à montrer l’horreur du drame. On n’a aucune idée du nombre des habitants de Cluny au milieu du XIIe siècle, mais si cinq cents bourgeois avaient été tués, il ne serait plus resté grand monde186. En insistant sur l’inefficacité de la procession clunisienne, le chroniqueur royal montre avant tout son caractère obsolète. Il ne le dit pas explicitement, mais il construit son récit de telle sorte que le massacre des moines et des « bourgeois » apparaît comme une conséquence malheureuse de leur mauvaise stratégie à laquelle seule la procession devant le roi et les « prières très pieuses » adressées à la majesté royale pouvaient mettre fin. Le roi a remplacé les saints dans la lutte efficace contre les tyrans et la défense de l’Église.
89Ce triomphe de la paix du roi sur la paix de l’Église clunisienne explique peut-être l’absence de l’événement dans les chroniques clunisiennes stricto sensu. En effet, la première version des Annales de Cluny, achevée vers 1215, ne mentionne rien entre 1164 et 1170187. Une version de la fin du XVe siècle, largement augmentée, ajoute une notice pour l’année 1166, mais pour mentionner la naissance de Philippe, roi des Francs188 ! Quant au chapitre consacré à l’abbatiat d’Étienne Ier dans le Chronicon Cluniacense, il est tout aussi muet sur les événements tragiques de 1166189. La mémoire clunisienne est ailleurs. À la date du 14 juillet, on peut lire dans le nécrologe de Saint-Martin-des-Champs la mention de Petrus et des « autres nombreux qui, pour la protection de la liberté et la fidélité à l’Église clunisienne, ont été tués par les Brabançons »190. Les quelques historiens qui connaissaient cette mention l’ont assimilée à la mort des prétendus cinq cents bourgeois191. Mais la synopse des nécrologes clunisiens apporte une précision qui laisse planer un doute. Petrus est cité dans la colonne des monachi et non des familiares. De deux choses l’une. Ou Petrus est l’un des moines tués dont parle le chroniqueur royal ; ou il est un des nombreux laïcs morts ad defensionem ecclesiae et commémoré comme un moine. Les termes du serment de 1145 rendent plausible, mais non certaine, cette seconde hypothèse.
les bourgeois dans les conflits (v. 1150-1230)
90Au XIIe siècle comme au XIe, les motifs des conflits entre Cluny et les seigneurs des environs sont les mêmes : la possession de la terre, des hommes et la perception des rentes. La paix alterne avec les querelles et mêle pendant des générations les mêmes familles aux moines. Les règlements qui nous sont connus grâce aux cartulaires D et E et quelques originaux sont consensuels, même si le conflit connaît parfois une phase militaire. Les représentants des deux parties se rencontrent et composent la paix par des compensations financières, l’échange de serments dans le chapitre de Cluny et la rédaction d’une charte. Les principaux changements tiennent dans les modes de validation des négociations. Les témoins et les fidéjusseurs font lentement place aux spécialistes de l’arbitrage. On les appelle probi homines ou boni viri puis de plus en plus à partir de 1200, arbitri. Certains sont honorés du titre de « maître » (magister), signe que leur capacité à rendre le droit n’est plus simplement fondée sur leur réseau de relations mais aussi sur leur formation propre192. Le nom des témoins notés en bas des actes en fonction de leur groupe social fait progressivement place au sceau pour valider la charte. Les premiers à s’en doter sont les abbés de Cluny au tout début du XIIe siècle, puis viennent un demi-siècle plus tard les comtes et les évêques de Mâcon et de Chalon, puis les sires de Beaujeu, de Brancion et de Berzé193. Pendant encore quelques décennies, le recours aux témoins se maintient à côté du scellement des actes puis vers le deuxième tiers du XIIIe siècle, les témoins disparaissent totalement de la version écrite des règlements. Le temps des juridictions gracieuses est alors venu194.
91Tant que ce changement n’est pas achevé, il est possible de connaître la place des bourgeois dans le règlement des conflits. Comme au début du XIIe siècle, leur présence est parfois requise lors des négociations concernant le temporel clunisien. Entre 1170 et 1180, on les voit notamment lors de cinq règlements importants. Vers 1170, ils sont dans la salle du chapitre pour assister à la donation de Joceran Gros d’un énorme alleu sis entre la Grosne, Chazelle, Lys et Bray, à partir duquel les moines organisent les obédiences de Saint-Jean-du-Bois et de Chazelle. En 1173, l’affaire du Mont Avout qui opposait Cluny aux sires de La Bussière est définitivement résolue par un nouveau traité entre Hugues Deschaux et l’abbé Raoul de Sully. Un groupe de bourgeois est présent. Sept ans plus tard, ils sont près d’une trentaine, requis pour assister à la renonciation de Guy Deschaux, fils d’Hugues, sur les coutumes des villages de Saint-Point et La Chapelle-du-Mont-de-France. La même année, trois d’entre eux sont signalés parmi les membres de la familia abbatis qui assistent au traité entre Cluny et le comte de Chalon sur l’avouerie du prieuré de Paray et au règlement des droits de justice avec le comte de Mâcon sur les villages de Laizé, Domange et Chevignes195. Trois autres sont cités aux côtés des officiers abbatiaux parmi les témoins d’un traité avec Bernard de Mailly au sujet d’une terre litigieuse de Tramayes196. D’autres assistent à une donation de terres par le duc de Bourgogne, à une mise en gage d’un chevalier de Château ou à l’exemption de péages du sire de Beaujeu sur le pont de Belleville-sur-Saône pour les hommes se rendant à Cluny197. Au début du XIIIe siècle encore, quelques bourgeois sont cités parmi les témoins des déguerpissements d’Humbert de Beaujeu et de Guy Bestiaux, sire de La Bussière, sur des terres de la basse vallée de la Grosne198. Ces règlements contribuent à rééquilibrer les pouvoirs autour de l’abbaye de Cluny en définissant notamment les prérogatives de chaque seigneur en matière judiciaire. La présence des bourgeois lors de ces règlements constitue en quelque sorte le versant pacifique de leur participation à la défense de l’Église clunisienne.
92Parmi les personnes citées, une famille se détache entre toutes : les du Bois de Cluny. Ils sont de tous les règlements, souvent nommés les premiers par groupes de deux ou trois. On reconnaît Étienne, le donateur modèle de la chronique, avec ses frères Hugues et Geoffroy et d’autres plus difficiles à situer dans la généalogie tels Garnier, Durand, Henri, Arnaud, un autre Hugues, Guillaume ou Achard199. Des serviteurs laïques du monastère sont cités à leurs côtés, tels Jean de Mâcon, serviteur du prieur, Bonitus cuisinier de l’hospice, Pierre et Silvestre, portiers, Durand, vannier au service de l’abbaye ou Durand cellérier de Lourdon200. En 1180 comme en 1100, bourgeois et serviteurs sont les membres du même groupe social, égaux dans la dépendance et la nécessaire participation à l’œuvre commune.
93Les rares personnes dont le nom émerge dans les chartes de cette période constituent, comme en 1100, une frange extrêmement restreinte de la population du bourg. Ce sont les meliores du serment de 1145. Certains sont liés aux seigneurs-châtelains de la région. Geoffroy du Bois tient une terre du sire de Brancion. Son frère ou son cousin, Guillaume du Bois, est l’un des hommes qui devront se tenir otages à Cluny si Joceran Gros remet en cause ses donations de Saint-Hyppolite201. Les Deschaux de La Bussière ont des amis ou des fidèles dans le bourg, tels Hugues Charbonnier ou Jean Galet. En 1232, Hugues Deschaux vient d’ailleurs mourir dans la maison de celui-ci avant de se faire ensevelir dans l’église paroissiale Sainte-Marie202. Ces liens personnels expliquent en partie la présence de tel ou tel bourgeois lors des négociations. Là encore, des recherches prosopographiques précises permettraient sans doute d’affiner ce tableau sommaire. L’image provisoire que l’on peut donner est celle d’une alliance étroite entre toutes les couches dominantes de la société laïque et ecclésiastique pour administrer le temporel abbatial et le bourg. L’aristocratie laïque tient les terres, les hommes, les rentes. Il est logique qu’elle ait voulu prendre en main la ville. Dans le bourg comme dans les villages des environs, ce sont des alliés ou des parents qui tiennent le pouvoir. Les moines qui sont eux-mêmes leurs parents et leurs alliés s’efforcent de contenir leurs ardeurs en les associant à la gestion du temporel et en les incluant dans la société clunisienne. Tel est le sort des bourgeois, en tout cas de ceux que les chartes laissent entrevoir.
94Les conflits prennent parfois des tournures plus violentes, donnant l’occasion à la milice clunisienne d’honorer son office. Depuis la construction du château d’Uxelles au milieu du XIe siècle, il ne se passe pas une décennie sans qu’un membre de la famille Gros ne donne, vende, dispute ou restitue aux moines une terre, des hommes, des coutumes. À plusieurs reprises, les tensions ont été vives, mais, selon le témoignage des chartes, les conflits armés ont toujours été évités grâce aux compensations financières, aux sentences ecclésiastiques et aux pénitences infligées203. Ce statu quo est brisé vers 1205-1210. Un conflit armé éclate entre Cluny et Brancion204. Ce n’est pas une guerre de seigneurs mais une guerre de « petits ». La seigneurie de Brancion est alors tenue par Alix, fille du comte de Chalon, veuve de Joceran IV et épouse en secondes noces d’Ulric de Bagé205. Aucun des deux n’est impliqué directement dans le conflit. Guillaume et Bernard Gros, les deux fils d’Alix, semblent avoir mené la bataille avec les chevaliers de Sennecey, La Salle, Lugny et Nanton. Du côté clunisien, les bourgeois mènent la troupe. Ils combattent pour leur propre compte, mais aussi pour la défense des biens monastiques. En effet, les injurias multas commises par les hommes de Brancion ont affecté « l’Église de Cluny, ses membres et les bourgeois »206. En représailles, les bourgeois ont attaqué les châteaux de Brancion et Nanton et le village de Chassigneules. Des hommes, des chevaux et des armes ont été pris de chaque côté, mais personne ne semble avoir trouvé la mort. Pour restaurer la paix, la médiation de l’évêque et de la comtesse de Chalon est nécessaire. Les représentants des deux parties se présentent devant eux et promettent sous serment de cesser les combats et les litiges. Tous les biens pris sont restitués. La comtesse de Chalon s’engage à réparer elle-même les torts commis contre Cluny si jamais la Dame de Brancion ne respecte pas la paix. L’évêque de Chalon et l’archevêque de Lyon se portent garants de l’engagement en jurant de placer sous interdit la personne et les terres de la comtesse si elle faillit à sa promesse. Du côté clunisien, deux bourgeois choisis conjointement par le monastère et la ville jurent la paix au nom de tous les leurs207.
95Pendant près de trente ans, les conflits resurgissent périodiquement entre les chevaliers de Brancion et les bourgeois de Cluny. En 1214, lorsque Joceran V Gros, petit-fils d’Alix et de Joceran IV, abandonne définitivement toute prétention sur Saint-Hyppolite et la Grange-Sercy, une clause spéciale mentionne les querelles anciennes non terminées :
Si l’Église ou la ville de Cluny ou quiconque de l’Église ou de la ville a commis avant ce jour des dommages ou des injures contre Joceran, ses frères ou ses auxiliaires, que tout soit suspendu, et personne ne pourra exiger à cette occasion quoi que ce soit de l’Église ou de la ville de Cluny, comme de leurs hommes et auxiliaires ; de même l’Église et la ville de Cluny ne pourront rien exiger de Joceran ou des siens208.
96En 1220, un conflit s’est élevé entre Landric, chevalier de Brancion, et un prévôt de Mâcon, d’une part, et des hommes de Cluny résidant dans le village de Donzy-le-Pertuis, d’autre part. La paix est résolue par un plaid arbitré par le comte de Mâcon au cours duquel la cause des clunisiens est plaidée par l’abbé209. Mais il semble bien que les griefs n’aient pas été complètement apaisés. Dix ans plus tard, Landric Gros est capturé par des hommes de l’ecclesia et de la villa Cluniacensis. Les raisons restent obscures comme bien souvent, noyées dans la rhétorique de la charte qui énumère les causae, controversiae, contentiones et querelae. Mais le sire de Brancion, Joceran V, est contraint de renouveler la paix avec Cluny pour obtenir la libération de Landric en promettant de nouveau de ne pas porter atteinte à l’Église, à la ville et à toutes ses dépendances. Le médiateur est encore le comte de Chalon. Il promet de mener parallèlement une enquête (inquisitio) pour déterminer les responsabilités qui ont conduit à la capture210. L’enquête prouve vraisemblablement la culpabilité de Landric. Trois mois plus tard, il doit jurer devant le comte de Chalon et de nombreux prud’hommes (probi viri) de ne plus molester l’Église de Cluny, les hommes de sa ville ni leurs biens211. Comme quinze ans plus tôt, le comte de Chalon se porte garant et responsable (fidejussor ac responsalis) du maintien de la paix et authentifie la charte de son sceau.
97Dans les mêmes années, des bourgeois de Cluny sont mêlés à un conflit contre les chevaliers de Neublans, cousins des châtelains de Brancion212. Pour répondre aux exactions de Jean de Neublans sur des terres de Blanot, Donzy-le-Pertuis et Varanges qui dépendent de l’abbaye, une troupe menée par Guillaume du Bois de Cluny et le prévôt de Blanot, Durand, attaque le chevalier, le fait prisonnier et le moleste sévèrement à l’intérieur du ban sacré (infra treucas). La paix est conclue grâce à la médiation de l’évêque de Chalon et de quelques prud’hommes, sous l’arbitrage de la duchesse de Bourgogne, Alix de Vergy. Jean de Neublans promet de garantir la paix aux hommes et aux biens de l’Église et de la ville de Cluny213. Pour mieux garantir la sûreté des clunisiens contre les représailles éventuelles des Neublans, le comte de Chalon prend sous sa garde Durand de Blanot avec toutes les terres et tous les hommes de son village, de Donzy et de Varanges214.
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98Ces affaires du XIIIe siècle semblent de prime abord assez conformes au canevas proposé par le serment de 1145. Des bourgeois de Cluny prennent parfois les armes avec les ministériaux laïques pour défendre les terres et les droits de l’ecclesia Cluniacensis. Ils se montrent parfois violents et audacieux, n’hésitant pas à s’attaquer aux puissants chevaliers de Brancion ou de Neublans, au risque de déclencher contre eux une coalition de tous leurs hommes. La paix est ensuite réglée par des plaids sous l’arbitrage des comtes ou des évêques de la région devant lesquels des représentants des deux parties présentent leurs griefs. À deux reprises au moins, la partie clunisienne est représentée par des bourgeois215. Il semble donc régner une entente cordiale entre l’Église de Cluny et ses hommes dans la défense du bien commun.
99Mais à regarder de plus près, les conflits du XIIIe siècle sont assez éloignés du schéma idéal du siècle précédent. Le serment de 1145 justifie l’action armée des bourgeois par la défense de l’Église clunisienne et précise que le combat doit être engagé sous l’ordre de l’abbé ou de son mandataire. Aucun de ces deux principes n’est pleinement réalisé dans les conflits du XIIIe siècle. Les notices des plaids ne mentionnent jamais le preceptum abbatis. Or, c’est un élément crucial pour montrer la soumission docile des homines Cluniacenses au seigneur abbé. L’initiative des conflits semble en grande partie échapper aux moines. Les captures de Landric de Brancion ou de Jean de Neublans ont de forts accents de vengeances privées au cours desquelles les prévôts et les plus puissants habitants du bourg exercent leurs armes contre leurs voisins. Quant à la défense de l’Église clunisienne, elle est toujours mentionnée dans les notices des plaids, mais rarement comme le seul motif du combat. Les bourgeois prennent les armes pour remédier aux injures portées contre l’ecclesiaet la villa Cluniacensis. Ils défendent les biens et les hommes de l’ecclesia et de la villa. Autrement dit, le bien commun qui motive leurs expéditions, si tant est qu’il ne s’agit pas que de vengeances privées, est tout autant celui de la ville que de l’Église clunisienne.
100De l’Église ou de l’église ? Dès lors que l’ecclesia Cluniacensis fait place à ses côtés à la villa Cluniacensis comme référent communautaire pour les habitants du bourg, peut-on encore parler d’Église de Cluny ? La situation révélée par les notices des plaids des années 1220-1230 apparaît nouvelle. Tentons de rassembler d’autres indices pour apprécier la nature de ce changement.
Notes de bas de page
1 H. White, « Pontius of Cluny » met en relation la chute de Pons avec le tournant dans la politique pontificale à la fin de la « réforme grégorienne », au bénéfice des séculiers et au détriment des réguliers de type ancien. G. Tellenbach, « Der Sturz des Abtes Pontius » résumé dans Id., « La chute de l’abbé Pons » place au cœur de l’événement les démêlés de Pons avec les évêques, exacerbés depuis le concile de Reims en 1119 ; P. Zerbi, « Intorno allo scisma » voit deux raisons essentielles dans la chute et le schisme de Pons : ses démêlés avec les évêques et sa gestion dispendieuse qui lui aurait acquis des inimitiés parmi les moines dans un temps où l’abbaye commençait à connaître des problèmes financiers et des amitiés parmi les laïcs qui profitaient de l’argent monastique. A. Bredero, « Cluny et Cîteaux : les origines » renverse radicalement le point de vue traditionnel en faisant de Pons un apôtre du monachisme nouveau qui s’est heurté aux résistances des conservateurs de l’ecclesia Cluniacensis. S’ouvre alors une controverse avec P. Zerbi dont les positions sont rapportées dans A. Bredero, J. Leclercq, P. Zerbi, « Encore sur Pons » et A. Bredero, « Une controverse ». Les points de vue des deux auteurs sont affinés, mais les oppositions majeures demeurent. N. Fresco, L’« affaire » Pons, dans une thèse restée inédite, examine en détail la vie et la carrière de Pons avant de donner une interprétation du schisme très proche de celle de P. Zerbi et en insistant sur le rôle des bourgeois, étroitement liés à Pons du fait de sa gestion de l’économie clunisienne. L’étude de H. Cowdrey, « Abbot Pontius of Cluny » est la plus complète. L’auteur fait un point critique sur les différentes sources qui mentionnent les événements. Dans le sillage de G. Tellenbach et de P. Zerbi, il accorde une grande place aux démêlés de Pons avec les évêques et au changement de la politique pontificale, tout en insistant sur la personnalité fragile de Pons, incapable, selon lui, de faire face avec aplomb aux controverses qui ont marqué son abbatiat. A. bredero, « Le rôle de l’agriculture », revient sur ses positions anciennes en insistant sur la volonté de Pons d’appliquer ses idées réformatrices dans l’exploitation du domaine monastique. P. zerbi, « Ancora intorno a Ponzio », revient à son tour sur la controverse, en mettant en exergue deux textes qui montrent deux aspects de la personnalité de Pons : sa fidélité à la tradition clunisienne version Hugues de Semur et son attirance pour les formes de via media teintées d’érémitisme pour lesquelles il opte après 1122. J. wollasch, « Das Schisma », repris dans Id., Cluny. « Licht der Welt », p. 198-224, tente de cerner les meneurs des deux partis qui créent le schisme. Il met notamment en valeur le rôle du grand-prieur de Cluny, Bernard Gros, ennemi personnel de Pons, et présente un tableau détaillé des principales personnalités des deux camps.
2 Bull. Cal. II, 318, 319, 478, 479. Les deux dernières lettres ne sont connues que par leur extrait dans la bulle du 20 oct. 1126 adressée à Pierre le Vénérable, dans laquelle Honorius II résume les étapes du schisme et confirme les sentences prononcées contre Pons et ses partisans : PL 166, col. 1267. Leur date (1123-1124, selon U. Robert) se situe sans doute à la fin de l’année 1123 : N. Fresco, L’« affaire Pons », p. 145.
3 PL 166, col. 1227-1228.
4 PL 166, col. 1258-1261, 1265-1268 = Mansi XXI, col. 336-342 = Sauxillanges 926-929.
5 Sur Matthieu d’Albano : U. Berlière, « Le cardinal Matthieu d’Albano » ; A. Bredero, « Cluny et Cîteaux. Les origines », p. 40-73.
6 DM, p. 72*-76*, 117-123.
7 Neuchâtel, Bibl. Publ. de la ville, Armoire de fer A 25, f° 132-145. Sur ce manuscrit, D. Bouthillier, « Un nouveau témoin » et DM, p. 42*-44*.
8 BnF, lat. 17716, f° 62r. DM, p. 73*, 81*-82*.
9 BnF, nouv. acq. lat. 1497, f° 3r (cart. A) ; BnF, lat. 17716, f° 98v-99r. Sur la chronologia abbatum, voir supra, p. 24-26.
10 BnF, nouv. acq. lat. 2483, f° 10r-11v. ; BC, col. 1645-1646.
11 Sous réserve d’autres dont je n’ai pas connaissance.
12 O. Vital, Historia ecclesiastica, XII. 30, p. 310-316.
13 O. Vital, Historia ecclesiastica, t. I, p. 92-93 et Stat. PV, p. 22-23. Le chapitre général de Cluny en 1132 est décrit par O. Vital, t. VI, XIII. 13.
14 Dictionnaire des Lettres françaises, p. 505.
15 Ex chronico Gaufredi coenobitate, cap. 38 et 42, RHGF, XII, p. 431-432. Sur les relations complexes entre Bernard Gros, Pons de Melgueil, les moines de Saint-Martial, leur abbé Amblard et l’abbé Adémard de Vigeois : A. Sohn, Der Abbatiat Ademar, p. 302-303 ; J. Wollasch, « Das Schisma », p. 39 et Id., Cluny. « Licht der Welt », p. 212-213.
16 Roberti de Monte cronica, éd. M. G. H. Scriptores, VI, p. 485.
17 A. Bredero, « Cluny et Cîteaux : les origines », p. 45-46 et 68-69, n. 118-119.
18 O. Vital, Historia ecclesiastica, XII. 30, p. 310. Sur la chronique de Robert de Torigny, Dictionnaire des Lettres françaises, p. 1293-1294 ; A. Bredero, « Cluny et Cîteaux : les origines », p. 69, n. 119, fait le point sur la date de la rédaction.
19 Lettre connue par un seul manuscrit fortement mutilé. Une première restitution du texte a été proposée par A. Wilmart, « Deux pièces relatives », p. 352-353, puis, beaucoup plus précisément, par P. Zerbi, « Ancora intorno a Ponzio », p. 1084-1085. Outre ces deux articles, on consultera au sujet du petit monastère fondé par Pons : H. Cowdrey, « Abbot Pontius », p. 234, n. 26 ; P. Lamma, « Su alcuni temi di storiografia cluniacense », dans Spiritualità Cluniacense, p. 271-273.
20 G. Tellenbach, « Der Sturz », privilégie Orderic Vital. P. Zerbi, « Intorno allo scisma », se concentre sur Orderic Vital et le DM. A. Bredero, « Cluny et Cîteaux : les origines » accorde une place importante à Robert de Torigny. J. Wollasch, « Das Schisma », exploite beaucoup le récit de Geoffroy de Vigeois.
21 Sur le cursus honorum de Pons, N. Fresco, L’« affaire » Pons. Sur la période comprise entre sa démission et sa mort, voir avant tout H. Cowdrey, « Abbot Pontius », p. 229-243 et J. Wollasch, « Das Schisma ».
22 D’abord pour le port des ornements épiscopaux, puis en 1120, la dignité cardinalice : voir supra chapitre 1, p. 82, n. 166 et chapitre 3, p. 166.
23 C 3952, v. 1120.
24 Bull. Cal. II, 319, 478, 479 ; PL 166, col. 1267.
25 N. Fresco, L’« affaire » Pons, p. 145 ; H. Cowdrey, « Abbot Pontius », p. 234, n. 24-25.
26 Lettre de Pons aux moines de Cluny, début 1125, éd. P. Zerbi, « Ancora intorno a Ponzio », p. 1084.
27 DM II. 12, p. 118-119 ; Chronologia abbatum, anno 1122, éd. BC, col. 1623. Hugues II meurt le 7 juillet 1122 : Obituaires, I, p. 344 (obituaire de Nantua).
28 Bull. Cal. II, 319, 478, 479.
29 D. Van den Eynde, « Les principaux voyages », p. 104-105.
30 O. Vital, Historia ecclesiastica, XII. 30, p. 312-314 ; DM II. 12, p. 119-120 ; PL 166, col. 1260, 1266-1268.
31 PL 166, col. 1258-1259.
32 PL 166, col. 1260-1261 (= Mansi XXI, col. 338 ; Sauxillanges 929).
33 Bulle d’Honorius II du 20 octobre 1126, PL 166, col. 1265-1267 = Mansi XXI, col. 338-342 = Bull. p. 43-44.
34 DM II. 12, p. 122 ; O. Vital, Historia ecclesiastica, XII. 30, p. 314. Pons est emporté par le « mal romain » (morbus romanus) qui a également frappé Pierre le Vénérable et d’autres personnes qui l’accompagnaient : cf. G. Constable, « The Health of Peter the Venerable », dans LPV, II, p. 247-251.
35 DM II. 13, p. 122, l. 36-43 : « Pontium inquit inuasorem, sacrilegum, scismaticum, excommunicatum, ab omni ecclesiastico honore uel officio, sancta Romana et apostolica ecclesia in perpetuum deponit, et Cluniacum, monachos, uel cuncta ad idem monasterium pertinentia, abbati qui in presentiarum est cui iniuste subtracta fuerant, restituit ». Data sententia, uniuntur qui diuisi fuerant, et uelut in momento redintegrato Cluniacensi corpore, tantus tamque diutinus malorum turbo sedatur.
36 Les moines ne doivent pas créer de scandalum dans la congregatio au sujet de Pons : Bull. Cal. II, 319. Ils doivent faire allégeance à Pierre le Vénérable et se tenir abjectis omnino schismatibus : Bull. Cal. II, 478. Pons est l’homme par qui le scandalum arrive : PL 166, col. 1259B. DM II. 12 est intitulé De scismate Cluniacensi per Pontium qui abbas fuerat concitato ; DM II. 13 : De fine scandali Cluniacensis et sapiencia domni Mathei.
37 Les moines ne doivent pas violer la religionis integritas (Bull. Cal. II, 318). Pons a divisé la concordem unitatem vestram (Bull. Cal. II, 478). Il a perturbé la paix et s’est montré ennemi de la foi : vis enim et audacia militis in bello cognoscitur, et fidei religiosae constantia in adversis comprobatur (PL 166, col. 1259C). Il a tenté de perturber la religio des frères : religionem Cluniacensem Pontius temere perturbavit (PL 166, col. 1259D) ; à l’opposé, l’archevêque est religionis amator (PL 166, col. 1259D). Il a apporté periculum tamtamque religionis stragem Cluniacensi monasterio (PL 166, col. 1266B).
38 D. Poeck, Cluniacensis Ecclesia.
39 H. De Lubac, Corpus mysticum, notamment p. 95-96. Y. Congar, L’Église de saint Augustin à l’époque moderne, p. 107-112.
40 L’une des études pionnières sur le sujet est celle de R. Moore, La persécution. Parmi les dernières, D. Iogna-Prat, Ordonner et exclure ; le volume collectif Inventer l’hérésie.
41 O. Vital, Historia ecclesiastica, XII. 30, p. 312 ; DM II. 12, p. 119-120.
42 PL 166, col. 1266B.
43 DM II. 13, p. 121, l. 17-19.
44 O. Vital, Historia ecclesiastica, XII. 30, p. 312 : Tunc instinctu Sathanae feda dissensio inter fratres exorta est. DM II. 12, p. 120, l. 92-93 : Sic in sancta illa et famosissima Cluniacensi domo, occulto sed iusto Dei iudicio, Sathan ad tempus laxatus furebat. Lettre d’Honorius II aux princes et prélats des Gaules, PL 166, col. 1258D, 24 avril 1126 : Universae bonitatis inimicus diabolus ut religionem fratrum Cluniacensium cribraret sicut triticum, expetivit.
45 Pons a l’esprit agité par le Diable : Pontius, diabolico agitatus spiritu, visus est ausu temerario perturbare (PL 166, col. 1259B). Il en porte toutes les caractéristiques : Pontius siquidem B. Benedicti inimicus, praeceptionibus et monastici ordinis malleus [...] Cluniacense monasterium superba obstinatione et praesumtione sacrilega occupavit. [...] Quia igitur in tanta pertinacia induratus, nequaquam resipiscere voluit [...] (PL 166, col. 1266). Requis de s’amender, son esprit enflé d’orgueil, Pons méprisa de satisfaire l’Église romaine : Ipse vero spiritu elationis tumidus in inficiationes et verborum involucra assueto more linguam extendens, satisfacere nobis et ecclesiae Romanae contempsit. (Ibid.).
46 DM II. 13, p. 121, l. 4-5 :... Pontium et pontianos qui tunc sic uocabantur omnes...
47 J. Wollasch, « Das Schisma », p. 41-42, 45 ; Id., Cluny. « Licht der Welt », p. 219-221.
48 Milites autem et comprouinciales tam rustici quam burgenses [...] nunc uiris et mulieribus non solum honestis sed etiam scurris ac meretricibus patuerunt. O Vital, Historia ecclesiastica, p. 312.
49 PL 166, col. 1260C ; PL 166, col. 1266D.
50 DM II. 12, p. 119-120.
51 J. Wollasch, « Das Schisma », p. 39. Wollasch s’appuie sur une phrase du De miraculis selon laquelle dix ans avant la révolte, Pons avait commencé de s’attirer des inimitiés au sein de la communauté monastique (DM II. 12, p. 117, l. 22-23). Il met cela en relation avec le retour de Bernard Gros à Cluny après son bref passage à Saint-Martial de Limoges.
52 PL 166, col. 1261A : eodem vinculo ligamus eos qui victualia vel arma burgensibus Cluniaci pretio, vel dono in defensione huius sceleris portant. PL 166, col. 1666B ; Ibid. col. 1267D : Burgenses etiam de thesauro Cluniacensi monasterio restituendo. O. Vital, Historia ecclesiastica, XII. 30, p. 312 : Proh dolor fiuribundi monastica septa irruperunt, et uelut urbe armis capta hostium uiribus ad predam cucurrerunt, ed suppellectilem et ustensilia seruorum Dei nequiter diripuerunt. Ces pillages ont vraisemblablement été autorisés par Pons et les siens en « remerciement » de l’aide active des laïcs. Pierre le Vénérable précise la fonction des pillages : Conuertit statim manum ad sacra, et aureas cruces, aureas tabulas, aurea candelabra... Conflat ex his et similibus, auri pondus inmensum, et eo circumpositos milites, et quoslibet auri cupidos, ad bellum raptores, inuitat (DM II. 12, p. 120).
53 DM II. 12, p. 120, l. 84-86 : Abstinet a nulla bellorum specie, rapinis rerum, cedibus hominum, per conductos sacro auro milites, peditesque, ubique deseuit.
54 O. Vital, Historia ecclesiastica, XII. 30, p. 312 : Milites autem et comprouinciales tam rustici quam burgenses illo veniente gauisi sunt quem pro affabilitate sua et dapsilitate oppido dilexerunt.
55 Selon l’expression célèbre de Guibert de Nogent s’employant à définir la commune de Laon : Communio autem - novum ac pessimum nomen, Guibert de Nogent, Autobiographie, p. 320.
56 DM II. 12, p. 120, l. 71-73 : Ingressus, occupat statim omnia, et eos quos repperit, minis, terroribus, ac tormentis, in sue fidelitatis cogit sacramenta jurare.
57 Ces calamités (malorum calamitas) sont décrites en détail par Pierre le Vénérable, DM II. 12, p. 119-120 et plus brièvement mais de manière tout aussi imagée par O. Vital, Historia ecclesiastica, XII. 30, p. 312.
58 D. Iogna-Prat, Ordonner et exclure, p. 124-152. J. Wollasch, Cluny. « Licht der Welt », p. 232-250.
59 DM II. 12, p. 117, l. 1-4 : De scismate Cluniacensi per Pontium qui abbas fuerat concitato. Dehinc non plenis ut michi uidetur duobus annis transactis, insurrexit nota illa contra Christi nauiculam, hoc est Cluniacensem ecclesiam, horrenda tempestas, et uelut civile bellum in republica nostra, ubique terrarum exarsit.
60 H. E. mager, art. « Republik » dans Geschichtliche Grundbegriffe, V, p. 549-651, résumé dans Id., « Res publica chez les juristes », p. 230-231.
61 Y. Sassier, « L’utilisation d’un concept romain » et Id., « L’utilisation du concept de res publica », p. 83-86. Y. Sassier distingue trop nettement les catégories du politique et de l’ecclésial, ce qui n’a pas grand sens pour la période considérée. Il note néanmoins l’acception double du concept de res publica (deuxième article, p. 90).
62 H. De Lubac, Corpus mysticum ; E. Kantorowicz, Les deux corps du roi, p. 145-172 ; B. Tierney, Religion et droit, p. 19-44 ; W. Ullmann, Principles of Government.
63 Quelques exemples d’utilisation du concept de res publica dans des sources clunisiennes : Odon, Collationes, col. 565, 628 (res publica christiana). Odilon, Epitaphium domine Adelheide, p. 27 ; Rodulfi Glabri Historiarum, I.23, p. 38.
64 J.-P. Torrell, « L’Église », p. 361-382, 583-585. Aperçu général des termes utilisés pour qualifier l’Église depuis le Ve s. : Y. Congar, L’Église de saint Augustin à l’époque moderne.
65 DM II. 12, p. 117, l. 1-4, cité supra p. 326, n. 59 ; LPV 138, lettre de Pierre à l’abbé de Saint-Augustin de Limoges (v. 1137-1156) le remerciant de son opposition aux rei publicae nostrae impugnatoribus ; LPV 178, lettre de Pierre à l’archevêque de Rouen, Hugues d’Amiens (v. 1130-1156), ancien moine de Cluny, soulignant son appartenance aux antiquos illos rei publicae nostrae senatores. Voir également P. Lamma, Momenti di storiografia, p. 86-92.
66 Sur la notion médiévale du regimen : M. Sénellart, Les arts de gouverner, p. 22-31.
67 Je reprends dans les pages qui suivent certains éléments évoqués dans D. Méhu, « La communauté d’habitants » et Id., « Rapports concrets et idéal social ».
68 Déjà aux Xe et XIe s., la pastorale clunisienne s’adressait à eux : R. Heath, Crux imperatorum philosophia ; D. Iogna-Prat, Agni immaculati, p. 357-376 et Id., « La croix, le moine et l’empereur » ; B. Rosenwein, « Reformönchtum ».
69 Sur l’attitude des clunisiens à l’égard de la croisade, voir en dernier lieu : A. Piazzoni, « Militia Christi e Cluniacensi » ; G. Constable, « Cluny and the First Crusade » ; D. Iogna-Prat, Ordonner et exclure, p. 324-337.
70 Tels sont les portraits d’Étienne le Blanc, vicomte de Mâcon, DM I. 10 ; de Bernard Gros, seigneur d’Uxelles, DM I. 11 ; du chevalier Guy de Moras, DM I. 23 ; de Guy, évêque de Genève : DM I. 24 ; de Geoffroy III, sire de Semur, DM I. 26 ; d’Humbert de Beaujeu, DM I. 27 ; de Guillaume, comte de Mâcon, DM II. 1. Le portrait du moine modèle est en filigrane dans la plupart des chapitres du DM. Plus spécifiquement, deux moines sont érigés comme des modèles à suivre : Gérard le Vert : DM I. 9 et Matthieu d’Albano, DM II. 4-11 et 13-23.
71 LPV 171. Sur les démêlés de Pierre avec l’évêque de Clermont, J.-H. Pignot, L’Ordre de Cluny, III, p. 354-357.
72 LPV 171, p. 406 : […] castrorum domini, inferioris nominis milites, burgenses, rustici populi, laicorum omne genus, de illo clamant, quod propheta dei olim pessimo regi Israel locutus est : Vidi uniuersum Israel dispersum in montibus quasi oues non habentes pastorem.
73 Parmi une bibliographie abondante : G. Constable, « The Orders of Society », dans Three Studies, p. 251-360 ; Y. Congar, « Les laïcs et l’ecclésiologie des ordines », p. 98-104 ; G. Duby, Les trois ordres, p. 258-264, 387-389 ; J. Le Goff, « Les trois fonctions », p. 1210 ; O. G. Oexle, « Deutungsschemata », p. 105-109.
74 LPV 171, p. 405 : At nunc per uiginti fere annos populus ille dei tantus, tam numerosus, iuxta scipturae sanctae uerbum de Iudaeis olim dictum, mansit sine rege, sine principe, et quod solum ei supererat, sine lege, quod peius est, et sacerdote.
75 LPV 172 et 173. Sur le contexte de ces deux lettres, J.-H. Pignot, L’Ordre de Cluny, III, p. 361-365. Sur Humbert III de Beaujeu : Cartulaire de l’église collégiale de Beaujeu, p. 58 ; G. Duby, La société, p. 350. Pierre a consacré un miracle à Humbert de Beaujeu où il montre sa conversion motivée par les mises en garde d’un revenant, son ancien compagnon d’armes, mort à ses côtés au cours d’un combat inutile : DM I. 27.
76 LPV 172, p. 408 : Talis est enim ut nosse uos credimus, Cluniaco adiens terra uestra, ut quia sine rege, sine duce, sine principe est, ualde gaudeat, quando aliquam pacis materiam inuenisse se sperat. Pierre s’approprie ici une phrase du livre d’Osée dans laquelle le prophète annonce que pendant de longs jours les enfants d’Israël resteront sans roi, sans chef, sans sacrifice (Osée 3.4). La phrase de l’abbé de Cluny a parfois été interprétée au sens littéral pour montrer l’absence d’autorité en Bourgogne et en Auvergne : G. Duby, La société, p. 401-402. En fait, elle n’est qu’un argument rhétorique emprunté à la Bible permettant à Pierre d’insister sur la nécessité d’avoir de bons pasteurs à ses côtés. Bonne mise au point sur la question : LPV II, p. 110, 213 ; G. Melville, « Cluny und das französische Königtum », p. 422, n. 58.
77 LPV 173, p. 410 : Gaudebant clerici, laetabantur monachi, exultabant burgenses, ipsique qui praeda raptorum, immo qui cibus luporum esse solebant, rustici, agricolae, pauperes, uiduae, orphani, omneque uulgi genus, ita ut uix se caperent, gratulabantur.
78 LPV 172, p. 408 : Gaudebant clerici, gratulabantur monachi, plaudebant rustici, totusque adiacentium nobis aecclesiarum chorus uelut quoddam nouum canticum resonabat. (trad. P. Lorain, Histoire de l’abbaye de Cluny, p. 346).
79 S’offrir se et sua, c’est sur ce mode que se décline l’essentiel des relations entre moines et laïcs à l’âge seigneurial : C. de Miramon, « Embrasser l’état monastique », p. 833-840 ; Id., Les « donnés » au Moyen Âge, p. 30-45. Quelques remarques stimulantes sur « l’idéologie de la dette » sous-jacente à toute forme de seigneurie dans D. Barthélemy, « Qu’est-ce que le servage ? », p. 265.
80 C 4142.
81 Sur l’essor commercial en Mâconnais : G. Duby, La société, p. 263-286.
82 Bernard, I. 12, p. 157 : Illis vero qui propter mercatum iter faciunt, nullum datur ; nec etiam hospitarius, suscipit eos hospitio, nec quemquam cum pro feriis sive placitis, seu quovis mercato, venerit in villam.
83 C 3440 ; Bull. p. 34. Sur la date de la charte C 3440 et les exemptions de péage, voir supra chap. 3, p. 171-172 (n. 117).
84 C 4069, voir supra, chap. 3, p. 180.
85 Mentions fournies par une enquête sur les droits et devoirs du prévôt de Cluny en 1408 qui rappelle quels étaient ces droits et devoirs en 1303 : AD71, H suppl. Cluny 16.1, éd. partielle par L. Lex, « Un office laïque », ici p. 422.
86 AMCl., HH 2.1, no 3 = AN, JJ 255, no 20 : Lettres patentes de François Ier du 26 nov. 1541.
87 Ces précisions figurent dans une requête des habitants de Cluny pour conserver la libre circulation des marchands contre les prétentions du fermier général des aides du Mâconnais, le 15 fév. 1621 : AMCl., HH 2.4, no 10.
88 C 3440.
89 G. Duby, La société, p. 275-285 ; Id., « Le budget de l’abbaye de Cluny ».
90 Robert/Raoul 33, p. 120-121 ; Papsturkunden 64 ; Bull. p. 15-16 (= PL 143, col. 879-884) ; Bull. Cal. II, no 143. Sur la forme et l’usage du denier de Cluny : G. Lafay, « Le monnayage de Cluny » ; A. Dieudonné, Manuel de numismatique française, IV, p. 110-111 ; Monnaies de Mâcon et ses environs, p. 36-38 ; Cluny III. La maior ecclesia, p. 120.
91 Parmi les premières mentions : M 585 (1096-1118), M 570 (1112-1139), C 4002 (1128-1134), C 4012 (v. 1130), C 4053 (1136), C 4132 (1147-1148). G. Duby, La société, p. 281, n. 70, atteste l’apparition du denier clunisien vers 1080 en citant une charte : C 3575. Dans cet acte, il est question de la monnaie de Souvigny, de Chalon et des solidos quos ob raritatem fortes vocant. Ces derniers sont peut-être des deniers de Cluny mais n’en portent pas encore le nom.
92 C 4143.
93 C 4143, p. 495-496 : Decania Cluniacensis. In ortis juxta aquam IIII libre et x sol. De bordalariis lx sol. De censu, ad festivitatem S. Johannis, x libre. De feriis xxx sol. De banno vini vi libre. De censu domorum et de bannis vi libre. De Varennes xxx sol. De Rufiano iiii libre. De vinea Rufiaci iiii sol. De avena Rufiaci vii sext. De molendino de Vernei xx sext. frum. et v sol. De vendicione salis iii sol. De la perrera de Crai vi sol. De feno pratorum IIII libre. De vino vinearum viii libre et v sol. Summa omnium hec est : xlviiii libre et xiiii sol. et xx sext. frum. et vii sext. avene, exceptis placitis et laudacionibus suis, que per annum conputantur pro xl libris. Cet article a été étudié par T. Chavot, « Des franchises et coutumes », p. 69-72, mais je suis en désaccord avec plusieurs de ses interprétations.
94 Voir chapitre 3, carte 23.
95 On note la même caractéristique pour le doyenné de Laizé : A. Guerreau, « Douze doyennés », p. 96.
96 C 4205 : voir infra chap. 8.
97 T. Chavot, « Des franchises et coutumes », p. 70, traduit bannis par « amendes judiciaires » et placitis et laudacionibus par « lods et ventes » (p. 71, n. 22). Il me semble que c’est l’interprétation inverse qui doit être privilégiée.
98 Bon ensemble d’études dans Le sol et l’immeuble et l’étude sur la Rome médiévale d’É. Hubert, Espace urbain et habitat à Rome.
99 Nécessité de la laudatio de l’abbé pour les constructions et les achats de terre dans le bourg : C 3685 (1094). La laudatio du doyen : C 4903 (1248).
100 C 3755 (v. 1100).
101 Le moulin de Vernei, sans doute un moulin à eau, se situe peut-être En Verneau (com. Cluny, au bord du ruisseau de Saunat). Également possible : Le Vergne, com. Cluny ; A. Guerreau, « Douze doyennés », p. 122, n. 42, propose Le Vernay, com. Château. Ces deux dernières localités supposeraient presque sûrement un moulin à vent.
102 La carrière de la Cras, dite « carrière des moines », a été utilisée pour la construction de Cluny III et des maisons « romanes » de Cluny : A. Blanc, C. Lorenz, J.-D. Salvêque, « Les différentes carrières » ; P. Garrigou-Grandchamp et al., La ville de Cluny, p. 112.
103 L’expression bordelage (bordelaria) pour désigner une redevance pesant sur des fermes (les bordes) tenues par des hommes libres semble s’être surtout développée en Bourgogne : R. DE LESPINASSE, « Notice sur les redevances roturières » ; T. Chavot, « Des franchises et coutumes », p. 69, n. 11.
104 C 4132. Sur ce texte, voir supra, chap. 2, p. 90, n. 16, et p. 107-108.
105 C 4132, p. 476 : Decanus Cluniacensis, totum Octobrem et dimidium Novembrem.
106 Pierre le Vénérable parle en effet des refectiones generales vel debite vel gratuite : C 4132, p. 477-478. Sur la nourriture des clunisiens : G. De Valous, Le monachisme, I, p. 250-287.
107 C 4132, p. 480-481.
108 C 4132, p. 478 : sed pro generali talis recompensatio a sancto patre nostro Hugone facta est, ut quosdam ville Cluniacensis furnos et eorum redditus, qui ad cameram antea pertinebant, Cluniacensis elemosinarius obtineret. Cette mesure n’est pas connue par ailleurs. Peut-être n’avaitelle pas fait l’objet d’une consignation par écrit au temps de l’abbé Hugues.
109 BC, col. 1661 : Tandem acquisivit decem libras censuales in hac villa Cluniaci ad refectionem fratrum in die sui obitus. [….] In hac villa novem libras censuales acquisivit, quae ad anniversarium domni et venerabilis Stephani abbatis deputatae sunt.
110 Hugues fonde son anniversaire dans son « testament » : Imprecatio beati Hugonis abbatis, éd. H. Cowdrey, Two Studies, p. 172-175, ici. p. 174. Sur l’anniversaire d’Hugues, J. Wollasch, « Hugues 1er et la mémoire des morts », p. 81-82.
111 Sauxillanges 932, cf. G. Constable, « Commemoration and Confraternity », p. 265-266. Sur Baume : J. Ramackers, « Analekten zur Geschichte », no XVIII, p. 51 ; cf. en dernier lieu J. Wollasch, « Sterben und Tod », p. 118-120. Robert Ier et Hugues III ont « mal fini » et n’ont vraisemblablement pas été commémorés selon tous les honneurs à Cluny. Hugues III est néanmoins commémoré dans l’obituaire de Nantua : Obituaires, I, p. 343.
112 Voir infra chapitre 8.
113 C 4142. Document conservé en original, BnF, coll. Bourgogne 80, no 244. Ce texte est étudié par G. Duby, « Le budget », p. 76-77, pour montrer l’enlisement des clunisiens dans l’économie monétaire et le circuit de la dette à partir du XIIe s. Sur Henri de Winchester : Lexikon des Mittelalters, t. IV, col. 2082 ; R. Foreville, L’Église et la royauté en Angleterre, p. 5-7, 82. Sur ses liens avec Cluny : LPV 49, 55-57, 59-61, 88, 107 ; D. Van den Eynde, « Les principaux voyages », p. 89-94 ; M. Arnoux, G. Brunel, « Réflexions sur les sources médiévales », p. 28-33.
114 C 4142 : prima vero Quadragesima sequenti incipient pecuniam reddere, sicut prescriptum est. VdE, p. 251-252 s’appuie sur cette mention pour dater la charte de janvier-février 1149 (le Carême de cette année-là commençant le 16 février), mais le premier Carême peut être celui de 1150. Le texte donne d’ailleurs prima Quadragesima et non proxima Quadragesima comme l’écrit Van den Eynde.
115 C 4012.
116 L’acte est daté « environ 1130 » par Bernard et Bruel, sans preuve. VdE, p. 225-227, propose 1149-1150 à partir du nom des témoins cités.
117 D’Avenas (Rhône, can. Beaujeu) : Philippus de Avinnai (C 4142) ; Letaldus de Avenato (C 4012) est sans doute le même que Letaldus de C 4142 ; Raymundus de Avenato (C 4012) est sans doute Raimmundus de C 4142. De Beaumont (Beaumont-sur-Grosne, S.-et-L., can. Sennecey-le-Grand) : Petrus de Bellomonte (C 4054, 4142). Du Bois : Arnaldus de Bosco (C 4012) sans doute le même qu’Arnaldus de C 4142. Deux de ses fils, Henricus et Hugo sont bourgeois de Cluny en 1180 (C 4280). David de Bosco (C 4142) n’est pas mentionné par ailleurs, mais de très nombreux membres de la famille de Bosco sont cités dans les chartes des XIIe et XIIIe s. parmi les bourgeois de Cluny : voir infra, p. 341. Burdin : Petrus Burdinum (C 4142) est peut-être le même que Petrus Bordelinus, bourgeois de Cluny en 1180 (C 4280). Cadot (Cadot/Quailot/Calioz) : Stephanus Quailot (C 4142) est sans doute le même que Stephanus Cadot de C 4012. Thomas Cadot (C 4012) ne réapparaît pas ailleurs. En revanche Willermus Calioz bourgeois de Cluny en 1173 (C 4244) est peut-être de la même famille. De Charolles : Rodulfus de Charolos (C 4142) est sans doute le même que R. de Kar. de C 4012. Je ne peux affirmer qu’il ait un lien de parenté avec Stephanus de Cadrella possesseur d’une maison à Cluny vers 1100 (C 3758, 3950). Colongier : Bernardus Colungerius (C 4142) est peut-être apparenté à Stephanus Colungius de C 4012. Vers 1160-1180, Guillermus Colungerius est moine à Cluny, chapelain de l’abbé, aumônier puis chambrier (C 4200, C 4280, P 221, C 4440). Courdiou (Couredius/Conredus/Conrei) : Johannes Conredus (C 4012) ou Couredius (C 4142), cité comme miles en 1136 (C 4053), laicus la même année (C 4054). Il semble lié au comte de Mâcon et de Bourgogne (C 4053, 4122). Il a un fils prénommé Bertrannus, également bourgeois de Cluny (C 4012). Bernardus et Petrus Conrei, bourgeois de Cluny en 1180 (C 4280) sont peut-être de la même famille. D’autres noms cités dans l’une des deux chartes se retrouvent dans les actes contemporains mais il est encore plus délicat de savoir s’ils sont de la même famille car ces noms peuvent désigner une qualité ou une profession. Callidus (le rusé ?) : Durannus Callidus (C 4012) est sans doute Durannus mercator de C 4142 ; telle est l’opinion de VdE, p. 227. Un Pontius Callidus est connu dans l’entourage du comte de Mâcon vers 1180-1190 (C 4279, 4342, 4353). Cheverus (Chevrier, gardien de chèvres ?) : Gaufridus Cheverus (C 4142) n’apparaît pas ailleurs, mais Durannus Chevrers (C 4270) est cité parmi des bourgeois et serviteurs vers 1180 ; Hugo Caprarius, serviteur laïc de Cluny en 1180 (C 4279) a deux fils bourgeois de Cluny cités la même année (C 4280).
118 G. Duby, « Le budget », p. 76 ; Id., La société, p. 310, 496. G. Duby traduit Petrus de Montemedio par Pierre de Montmin (et non Montmain). Je ne vois pas à quelle localité il fait allusion. Montemedio peut désigner plusieurs localités : Montmain au-dessus de Cluny, com. Igé, Montmain, com. Serrières, voire Montmelard, can. Matour, ou d’autres « Mont main » ou « Mont moyen » de la région. Je privilégie Montmain, com. Igé, mais sans argument probant.
119 C 4012.
120 C 4056 (VdE : v. 1136-1139).
121 BC, col. 1662D. La chronique a été composée à la fin du XVe s. à partir des Annales de Cluny et de sources contemporaines des événements qu’elle reproduit parfois in extenso. Il est possible que la notice sur le bourgeois Étienne soit inspirée d’une charte aujourd’hui perdue.
122 BnF, nouv. acq. lat. 1916, f° 60v : Stephanus de Bosco burgensis clun. in tota vita sua congregationem huius loci valde dilexit et plusquam omnes burgenses semper ecclesie fidelis extitit. Multaque bona nobis fecit et plurima beneficia in auro et in argento vel etiam ornamentis obtulit nobis f ecit enim coronam de auratam cum lapidibus que est super altare et cu p pam auream que perdita erat nobis reddit. Crucem auream cum lapidibus qu em in vadimonium erat penitus soluit. Candelabra bene operata auro et argento fecit et calicem de altari matutinali cum ampulis argenteis. Postmodum vero relictis seculi pompis et divitiis habitum apud nos religionis susc i pit, et 80. marchas argenti ad faciendum eius anniversarium dedit. Les passages en gras sont ceux qui diffèrent de la version publiée dans la BC. Le manuscrit BnF, nouv. acq. lat. 1916 a été présenté par H. Omont, « Deux nouveaux cartulaires », p. 130-138. La chronique occupe les f° 1 à 83 et, contrairement à ce que dit Omont, la version n’est pas exactement identique à celle publiée dans la BC.
123 À titre indicatif et non exhaustif, on rencontre des membres de la famille de Bosco dans les actes suivants (hormis Stephanus) : C 3163 (Bernardus, Wichardus), 3362 (Gaufredus), 4012 (Arnaldus), 4142 (David), 4152, 4244 (Hugo, Warnerius), 4280 (Arnaldus, Gaufredus, Guillermus, Henricus, Hugo), 4313 (Berardus), 4332, 4406 (Durannus, Willelmus), 4426 (Odo), 4440 (Gaufredus), 4481 (Willelmus), 4497 (Bernardus), 4544 (Gaufridus), 4551 (Willermus), 4742 (Jofridus, Petrus), 4903 (Bernardus, Gaufridus, Margarita), 5050 (Jacobus), 5142, 5148, 5205, 5293, 5297 (Bartholomeus), 5322 (Johannes) ; P 160, 161, MAR 186, M 535 (Durannus, presbiter), P 161, P 201, MAR 300 (Petrus), P 208 (Jacobinus) ; MAR 3, 219 (Durannus), MAR 190 (Hugo, miles de Bois) ; BC, col. 1497-1498 (Guillelmus) ; Gallia Christiana IV, Instr. 255 (Bartholomeus). G. DUBY, La société, p. 277, 311, 314-315, 343, 394, a évoqué certains membres de la famille, notamment Guillerme du Bois, l’un des plus puissants dans les dernières années du XIIe s.
124 C 4244 (27 octobre 1173).
125 C 4440, charte non datée. Les éditeurs ont situé l’acte entre 1207 et 1215, dates connues pour l’abbatiat de Guillaume II à Cluny (l’acte mentionne domnus Willelmus abbas), mais il se situe sans aucun doute sous l’abbatiat de Guillaume Ier (1177-1179). Parmi les six témoins, cinq sont mentionnés dans des actes compris entre 1160 et 1181 : Guillelmus Colungerius : C 4200, 4280, BC, col. 1441-1443 = P 221 ; magister Herbertus : C 4247, 4260 ; Stephanus de Bosco : C 4244 ; Gaufredus de Bosco : C 4280 ; Stephanus Garcinus : C 4280. Trois d’entre eux apparaissent d’ailleurs dans le même document (Guillelmus Colungerius, Gaufredus de Bosco et Stephanus Garcinus, C 4280) : les deux derniers sont des bourgeois de Cluny. Le seigneur de Berzé est Hugues II (v. 1130-1180) ou Hugues III (v. 1180-1200) : M. Chaume, « Les premiers seigneurs », p. 172.
126 Il existe d’autres Stephanus de Bosco dans les chartes mâconnaises des XIe-XIIIe s., mais il ne s’agit pas du même personnage : M 598 (v. 1096-1120), M 604 (1144) et M 610 (v. 1121-1143) - sur celui-ci, un doute subsiste ; c’est un proche du chevalier Gilbert de Cluniaco ; M 605 (1144-1166) ; C 4423 = P 225 (1205).
127 Ce traité a fait l’objet de commentaires sommaires par H. Fechter, Cluny. Adel und Volk, p. 101 ; H. Hoffmann, Gottesfriede und Treuga Dei, p. 137 ; plus détaillés par G. Duby, La société, p. 314-315 (G. Chachuat, « Des rapports... XIe-XIIIe », reprend à peu près mot pour mot G. Duby) ; G. Constable, « The Abbot and Townsmen », p. 161-162 ; J. Wollasch, « Das Schisma », p. 49-50, élargi dans Id., Cluny. « Licht der Welt », p. 231-234.
128 BnF, nouv. acq. lat. 2265, no 7. La note dorsale indique que le document était conservé dans les archives abbatiales lors de l’inventaire de 1682 : AD 71, H 22, f° 35r (éd. A. Benet, J.-L. Bazin, Inventaire général, p. 84, no 610).
129 AMCl., II 5 (inventaire des archives du bourg, dressé entre 1627 et 1635).
130 Le traité est publié dans C 4098 bis (en annexe du t. VI, parmi les errata à l’édition du t. V, p. 958-960). J. Leclercq, Pierre le Vénérable, p. 371-374, qui ignorait cette édition, l’a publié en annexe de son ouvrage, mais son édition est moins bonne que la première (plusieurs erreurs de lecture). L’acte a été traduit à partir de l’édition de J. Leclercq dans Sources d’histoire médiévale, dir. G. Brunel, É. Lalou, p. 119-120. Cette traduction doit être utilisée avec précaution : elle comprend quatre contresens, des omissions et quelques passages assez librement interprétés.
131 L’acte porte Actum est hoc anno ab incarnatione Domini millesimo centesimo quadragesimo VI, anno primo donni Lucii pape secundi, iiii° kalendas febroarii. Le pontificat de Lucius II a duré de mars 1144 à février 1145. La date du 29 janvier 1145 est donc plus plausible que 1146, comme indiqué.
132 C 4098 bis, p. 958 : Iste est modus sacramenti vel paccionum quas ex precepto domini Petri, Cluniacensis abbatis, tam burgenses Cluniacenses quam cuncti homines de decaniis fecerunt. Sacramenti forma talis fuit. Universi a quinto decimo anno etatis et supra ista juraverunt.
133 Ibid., p. 958-959 : In primis domino abbati et ecclesie fidelitatem.
134 Ibid., p. 959 : Item si quando aliquis publice denunciatus fuerit hostis ecclesie, deinceps eum nec hospicio suscipiant, nec sub tecto, neque ei sua donent vel cum eo contrahant, vel aliquo modo auxilium vel consilium scienter prebeant vel per se vel per alium. Si tamen ei aliquid debent vel ipse eis, hoc ei reddere vel ab eo accipere liceat vel persuadere ut a male facto ecclesie desistat.
135 Ibid. : Item si per nuncium domini abbatis commoniti fuerint alicubi armati exire, ut omnes exeant, nisi aliquis adeo infirmus sit quod nullo modo egredi valeat.
136 Ibid. : Postea consilio domini abbatis et meliorum burgensium poterunt remanere qui electi fuerint ad custodiendam villam vel qui alios pro se ydoneos miserint ideo vel quod de eis magis timeatur vel quod ipsi minus ydonei sint.
137 Ibid. : Quod si aliquis in congressu illo vel alibi propter defensionem ecclesie mortuus Cluniacum delatus fuerit, a toto conventu dignissime susceptus gratis sepelietur nisi sponte sua aliquid dare voluerit. Postea in capitulo absolutus, tam pro ejus anima quam pro requie parentum suorum officium et missa in conventu celebrabitur eruntque exinde participes tocius benefacti ecclesie.
138 Ibid. : Si quis vero tam de burgensibus quam de aliis hominibus qui de sacramento sunt, hostes ecclesie occiderit, ceperit, vulnaverit, percusserit, seu aliquid damnum intulerit quo sine dacione pecunie pacificari non possit, ista erit racio. Ipse siquidem qui hoc fecit nichil dabit, nec ecclesia sine illo vel herede ejus, si ille interim mortuus fuerit, pacem cum adversario faciet.
139 Ibid. : Quod si his interim in suo loco securus manere non potuerit, tunc decanus ad cujus obedientiam pertinet, eum ad se deductum viriliter manuteneat et que ejus sunt pro posse integre custodiat. Quod si nec ibi securus fuerit, tunc decanus suus ducat eum Cluniacum et ibi tam decanus Cluniacensis quam camerarius et alii eum constanter manuteneant quousque pace facta ad propria redire et ibi secure manere valeat.
140 Ibid., p. 959-960 : Si causa illa pro qua pecuniam dari oportebit speciali fuerit Cluniacensis ecclesie, eam solummodo ecclesia persolvat. Si vero burgensium, ipsi eam tantummodo solvant. Quod si eorum qui deforis sunt, et ipsi similiter per se ipsos tantum persolvant. Sed si causa burgensium fuerit et aliquis eorum qui deforis juraverunt ulcionem fecerit, communiter utique solvent quod prestandum fuerit. E converso si causa eorum qui deforis sunt fuerit, et hoc burgenses ulti fuerint, pari modo communiter solvent quod dandum fuerit. Force est de reconnaître l’obscurité de cette clause à défaut de précision sur la nature de la « cause abbatiale », « cause des bourgeois », « cause des hommes de l’extérieur ». Quatre éléments entrent sans doute en jeu : le lieu du délit, le statut de l’agresseur, le statut de l’agressé, l’importance du délit (crime de sang...).
141 Ibid., p. 960 : Preter hec si quis infra apostolicum bannum aliquem Cluniacum venientem ceperit, vel ei aliquod damnum intulerit, si hoc aliquis burgensium vel eorum qui deforis sunt infra eundem bannum vel extra ultus fuerit pro quo pecunia danda sit, terciam partem ejusdem pecunie ecclesia, duas tam burgenses quam illi qui deforis sunt prestabunt.
142 Ibid. : Si autem extra metas banni ad mercata sive ad nundinas venientes aliquis depredatus fuerit vel aliquid eis mali fecerit, quicumque supradictorum tunc adcurrere potuerit, eis totis viribus auxiliabitur et contra invasores illos a domino abbate et a fratribus Cluniacensibus ecclesiastica ultio studiosissime requiretur.
143 Ibid. : His abditur quod si quis eorum qui Cluniaci morantur denunciatum hostem ecclesie contra suprascriptum modum hospicio susceperit vel in aliquo consilium ei vel auxilium prebuerit, xx solidorum pena damnetur. Que tamen pecunia ad supra nominatas secundum jam dictam distinctionem burgensium expensas servabitur.
144 Ibid. : Et quia supradicta omnia pro bono pacis et communi utilitate constituta sunt, concessit dominus abbas burgensibus, ut ex his paccionibus prefixo tempore transacto nulla consuetudo possit ab eis exigi vel eis imponi seu ad lesionem ipsorum vel heredum suorum aliquo modo retorqueri.
145 Ibid. : Sacramenta suprascripta ab hoc instante Pascha usque ad sextum vin [sic.] suam plenissime obtinebunt, salvo sacramento fidelitatis erga dominum abbatem et ecclesiam, quod non usque ad sextum Pascha tantum, sed semper in suam conservabit. Je n’ai pas su interpréter l’expression usque ad sextum qui exprime la durée pendant laquelle le serment est en vigueur. J. Wollasch, Cluny. « Licht der Welt », p. 233, propose une durée de six ans, mais cela me paraît peu probable étant donné que la milice urbaine fonctionne efficacement au moins jusque vers 1230 sans que le traité n’ait jamais été renouvelé. Peut-être s’agit-il de la durée de la saison militaire, de telle sorte que les serments ne sont valables que pendant ce temps, chaque année. Mais qu’en est-il alors des clauses relatives à la circulation commerciale ? Les marchés et foires ne sont pas limités à la saison militaire.
146 J. Wollasch, « Das Schisma », p. 49-52 ; Id., Cluny. « Licht der Welt », p. 233-252.
147 Inventaire des archives abbatiales de 1682 : AD71, H 22, f° 35r (éd. A. Benet, J.-L. Bazin, Inventaire général, p. 84-96, no 610 à 706).
148 Les liens entre la naissance de l’État comme corps mystique, l’exaltation de la defensio patriae, la notion d’utilitas communis / publica et l’exaltation du pro patria mori comme forme ultime de l’amor patriae ont bien été montrés par E. Kantorowicz, « Pro patria mori », p. 117-135. Notions reprises et développées dans Id., Les deux corps du roi, p. 145-199.
149 C’est notamment le cas dans l’œuvre de Pierre le Vénérable : J.-P. Torrell, D. Bouthillier, Pierre le Vénérable et sa vision du monde, p. 242-243.
150 C’est ce que D. Iogna-Prat appelle « l’argumentation défensive » de Pierre le Vénérable : D. Iogna-Prat, « L’argumentation défensive » dont les conclusions sont intégrées dans Id., Ordonner et exclure, p. 124-152.
151 Je fais référence au Contra Petrobrusianos de Pierre le Vénérable et à sa lettre au roi Louis VII demandant de lever un impôt sur les juifs pour financer la deuxième croisade : LPV 56. L’argumentation de Pierre dans les deux cas est analysée par D. Iogna-Prat, Ordonner et exclure, p. 103-323.
152 Voir à ce sujet les remarques d’A. Chédeville, « La guerre des bourgs », p. 508, sur le service militaire uniquement défensif demandé généralement aux habitants des bourgs monastiques.
153 M, p. cclviii-cclix (= BC, col. 592, 1650-1651). Voir supra chapitre 3, carte 32.
154 Robert Gros est apparenté par son père à la famille des sires d’Uxelles et de Brancion et par sa mère aux comtes de Flandre. Oblat à Cluny dans les années 1120, il devient prieur de SaintPierre-et-Paul d’Abbeville vers 1145. L’histoire complexe et mal éclairée par les sources de l’abbatiat de Robert a été présentée par N. Huyghebaert, « Une crise à Cluny en 1157 », à corriger avec G. Constable, « Abbots and Anti-abbot », p. 378-382. Sur la famille de Robert Gros, C. Bouchard, Sword, p. 305, 411.
155 Tous les détails sur cette affaire sont dans G. Constable, « Abbots and Anti-abbot ». Voir également J. Wollasch, Cluny. « Licht der Welt », p. 319-321.
156 C. Perrat, L’autel d’Avenas, p. 40-49 ; G. Duby, La société, p. 405-406.
157 PL 200, col. 249-250. Cf. H. Hoffmann, Gottesfriede, p. 139-140.
158 PL 179, col. 127 ; voir supra, chap. 3, p. 186-188.
159 G. Schreiber, Kurie und Kloster, II, p. 230-231
160 Je ne m’étends pas sur les conflits déjà étudiés par C. Perrat, L’autel d’Avenas, p. 46-54 et G. Duby, La société, p. 405-409. Voir également J. Richard, Les ducs de Bourgogne, p. 161-162 ; G. Constable, « The Abbot and Townsmen », p. 163-164. Sur les Brabançons et le début du mercenariat dans l’Europe médiévale : H. Grundmann, « Rotten und Branbanzonen » (p. 445 sur l’expédition de 1166, où Grundmann voit la première mention du terme brabantiones) ; P. Contamine, La guerre au Moyen Age, p. 192-207, 397-402 ; W-D. Heim, « Afr. bedel - bidaux », p. 229-231 (étude précise du vocabulaire utilisé pour désigner les soldats).
161 Lettres d’Étienne Ier à Louis VII, fin 1165-déb. 1166, éd. RHGF, XVI, p. 120, 129-133, no CCCLXVIII, CCCXCVII à CDI, CDIII, CDV.
162 Historia gloriosi regis Ludovici, éd. A. Molinier, XXIII, p. 172-174 : Vindicta quam fecit Cluniacensibus. Hugues de Poitiers, Chronique, IV, dans MV, p. 589, l. 3025-3031.
163 Auxerre, Bibl. mun., ms. 227. La chronique couvre les folios 64-187v. ; éd. MV, p. XIII-XLI ; citation : MV, p. XXVII.
164 C’est le mérite de Kristin Sazama d’avoir montré la cohérence du programme sculpté de l’avant-nef de l’abbatiale avec les monuments de parchemin que constituent le manuscrit 227 d’Auxerre et les sermons de Julien de Vézelay : K. Sazama, The Assertion of Monastic Spiritual and Temporal Authority.
165 Ce schéma sommaire ne saurait rendre compte de la complexité de la situation. Pour plus de précision, je renvoie à l’étude d’A.-A. Chérest, « Vézelay, étude historique », dans MV, p. 1-194. Et plus récemment : V. Saxer, « Le statut juridique de Vézelay » ; Y. Sassier, Recherches sur le pouvoir comtal en Auxerrois ; G. Süssmann, « Konflikt und Konsens », p. 41-71.
166 Hugues de Poitiers, Chronique, livre IV, dans MV, p. 512-607. A.-A. Chérest, « Vézelay, étude historique », dans MV, p. 164-186.
167 Il s’agit de Guillaume II comte de Chalon, fils de Guillaume Ier. Il est encore jeune en 1166 d’où le qualificatif puer que lui attribue le chroniqueur de Vézelay. Sur les comtes de Chalon : C. Bouchard, Sword, p. 307-314.
168 La narration de ces deux règlements fait l’objet des dernières lignes de la chronique : MV, p. 604-607. Commentaires dans A.-A. Chérest, « Vézelay, étude historique », dans MV, p. 159-161.
169 MV, p. 589, l. 3025-3037 : Rex vero Ludovicus movit exercitum adversus Guilelmum comitem Cabillonensem propter pessimam stragem, quam Guilelmus filius eius exercuerat super Cluniacenses. Cum enim occupasset castrum Lordonis, quod extat de iure Cluniacensis cenobii, egressi sunt maiores natu cum iuvenibus de vico Cluniacensi. Quos incautos sicut indoctum vulgus docta manus militum comitis protinus aggressa, fugam inire compulit et fere omnes ad internitionem delevit. Movens ergo rex exercitum, occupavit castella et munitiones eius et ipsam urbem Cabillonensium omnemque terram illius usque ad fluvium Ararim, quam devastatam tradidit in manu Hugonis ducis Burgundie et Guilelmi comitis Nivernis, quousque puer ipse, qui causa malorum extiterat, venit Vizeliacum ante faciem regis cum matre sua et prout potuit regi satisfecit.
170 La chronique a été partiellement traduite par F. Guizot, Histoire du monastère de Vézelai, à partir de l’édition dans les Mémoires relatifs à l’Histoire de France, Paris, 1835, p. 99-337. La traduction de Guizot a été réimprimée par F. Vogade, Chronique de l’abbaye de Vézelay (c’est cette version que je cite). La traduction des lignes rapportant comment les habitants quittent le bourg pour se rendre au devant du comte de Chalon me paraît incorrecte : « En effet, après qu’il se fût emparé du château de Lourdon, qui appartient de droit au couvent de Cluny, les plus âgés et les jeunes gens sortirent imprudemment du bourg de Cluny... » (éd. F. Vogade, p. 196). Il ne s’agit pas des « plus âgés » mais des plus « nobles ».
171 Sur la tradition manuscrite de l’Historia gloriosi regis Ludovici, voir l’introduction d’A. Molinier, Vie de Louis VI le Gros, p. XXXI-XL et celle de F. Gasparri dans Suger, Œuvres, t. I, p. LVI-LVIII, LXII-LXIV. Sur l’élaboration de l’historiographie royale et notamment la continuation d’Aimoin et les Grandes chroniques de France, on peut se repérer avec Dictionnaire des lettres françaises, p. 26-27, 296-298 et B. Guenée, « Les Grandes Chroniques de France ».
172 Pour les sept premiers chapitres, composés par Suger, on se reportera à l’édition de F. Gasparri, suger, Œuvres, I, p. 156-176 et pour les suivants à l’édition d’A. Molinier, Vie de Louis VI, p. 156-178. La réédition de F. Gasparri de la seule partie composée par Suger est tout à fait dommageable pour la compréhension d’ensemble de l’Historia gloriosi regis Ludovici.
173 Lutte contre les mauvais châtelains poussés par la malice, le diable et la cupidité : chap. VII, IX, XVI, XIX, XXII, XXIII. Lutte contre les communes qui portent atteinte à la majesté royale ou à l’unité de l’Église à Orléans, Poitiers, Sens, Vézelay : chap. I, VI, XII, XXIV.
174 Préoccupations sur la bonne tenue de l’Empire et du royaume d’Angleterre : chap. II, III. Soutien et départ pour la croisade : chap. X, XI, XIII. Soutien d’Alexandre III dans le schisme pontifical : chap. XX, XXI.
175 Mariage puis divorce avec Aliénor : chap. VIII, XV. Mort de Constance de Castille sans héritier mâle : chap. XVII. Remariage avec Adèle de Champagne : chap. XVIII. Perte de la Normandie : chap. XIV. Naissance de Philippe : chap. XXV.
176 Historia gloriosi regis Ludovici, XXIII, p. 172 : Monachi vero in eadem ecclesia Deo servientes, non ferro aut clipeo protecti, sed solum divinis armis et ecclesiasticis vestimentis induti, cum sanctorum reliquiis et crucibus tiranno obviam cum magna multitudine populi processerunt.
177 Ibid., p. 172-173 : Illa autem satellitum predictorum pessima turba monachos sacris vestimentis spoliaverunt et more ferarum que fame urgente ad cadavera concurrunt, quingentos et eo amplius burgensium Cluniacensium atrociter sicut oves mactaverunt.
178 Ibid., p. 173 : Fama vero illius inauditi sceleris diversas regiones circumlustrans, ad noticiam piissimi regis Ludovici pervenit, qui tantum flagitium in sanctam Ecclesiam gravissime perferens, ad ultionem nefandissime cladis exuberanti fervore sancti Spiritus animatus est.
179 Ibid. : Dum vero rex, gressu concito, per partes Cluniacensis provincie transmearet, mulieres viris suis viduate, virgines et nati patribus orbati obviam ei processerunt. Cujus pedibus provoluti, flentes et ejulantes, lugubri clamore erumnas suas ei ostenderunt et piissimis precibus regiam majestatem exorantes, ut eis manum consilii et auxilii misericorditer porrigeret, piissimum regem totumque exercitum eorum calamitatibus fere usque ad lacrimas compacientes, magis ac magis ad perditionem scelerate gentis animaverunt. Nec mirum, videres enim ibi pupillos adhuc pendentes ad ubera matrum, virginiculas plorantes et paterno solatio se destitutas miserabiliter clamantes, audires totum aerem vagitibus infancium resonantem.
180 Ibid., p. 173-174. Voir à ce sujet, J. Richard, Les ducs de Bourgogne, p. 161-162 et G. Duby, La société, p. 420.
181 Ibid., p. 174 : Peracta denique condigna ultione nefandissime stragis et persecutionis que sancte Dei ecclesie Cluniacensi inferebatur, rex tanto potitus tropheo, cum gaudio remeavit.
182 Ibid., p. 174-176. Le récit résume les événements compris entre 1152 et 1167, depuis la naissance de la première commune de Vézelay jusqu’à la soumission définitive du comte et des bourgeois grâce à l’intervention de Louis VII à Vézelay en novembre 1166. Les événements sont donc en grande partie antérieurs à ceux rapportés dans le chapitre XXIII, mais ils servent à construire la personne du roi victorieux qui, à Vézelay en novembre 1166, célèbre ses triomphes sur les mauvais comtes et bourgeois. Sur ces événements, A.-A. Chérest, « Vézelay. Étude historique », dans MV, p. 112-114 (trad. du chap. XXIV de l’Historia gloriosi regis Ludovici) et p. 159-161.
183 Historia gloriosi regis Ludovici, XXV, éd. A. Molinier, p. 176 : Igitur propter hec et alia multa opera justicie, que piissimus rex Ludovicus predicte ecclesie et pluribus aliis intuitu divine majestatis exhibuit, necnon propter ultionem quam in hostes Cluniacensis ecclesie et plurium aliarum ecclesiarum multociens exercuit, divina bonitas tot bonorum operum remunerationem condignam ei contulit. Rex etenim divine gratia largitatis ex Ala, nobilissima regina, unum filium genuit.
184 Sur la majesté qui « ne se définit vraiment en toute rigueur que de façon négative, par ce qui l’atteint, la lèse, par le crime qui la met en cause, qui risque de la faire disparaître », J. Chiffoleau, « Sur le crime de majesté », notamment p. 183-206 (ici p. 183).
185 Telle est bien sûr la version royale des événements. On note un contraste étonnant avec les lettres de l’abbé de Cluny, Étienne Ier. Il a été obligé d’adresser sept lettres au souverain, toutes plus pressantes les unes que les autres, de lui envoyer des messagers et de s’adjoindre le concours du chapitre cathédral de Mâcon et des sires de Beaujeu, Brancion et Berzé pour le décider à envoyer des messagers puis des troupes : RHGF, XVI, p. 120, 129-133.
186 G. Duby, La société, p. 308-309, n. 80, propose un nombre d’environ 2000 personnes d’après la liste des 500 bourgeois mâles qui prêtent serment à l’abbé Henri Ier en 1309, BnF, coll. Bourgogne no 380-381. Ces hypothèses sont discutées par M. Jones dans P. Garrigou-Grandchamp et al., La ville de Cluny, p. 105-106, pour parvenir à une estimation d’environ 2500-3000 habitants au XIVe s., date la plus ancienne à laquelle il est possible de donner une estimation pas trop fantai
187 BC, col. 1624. Les deux manuscrits concordent : BnF, nouv. acq. lat. 1497, f° 3v ; BnF, lat. 17716, f° 100.
188 BnF, nouv. acq. lat. 2483, f° 12v : m. c. lxvi. hoc anno natus est Philippus rex francorum.
189 BC, col. 1660-1661. Les extraits de la chronique universelle de Richard de Poitiers publiés dans M. G. H., Scriptores, XXVI, p. 74-86 ne mentionnent pas non plus l’expédition de 1166.
190 J. Wollasch et al., Synopse, p. 391 : Obiit P. [Petrus dans la colonne] et multi alii, qui pro tuicione libertatis et pro fidelitate Cluniacensis ecclesie a Brabantionibus perempti sunt. Officium fiat, capa in choro.
191 Obituaires de la Province de Sens, t. 1, p. 447 ; A. Molinier, Les obituaires français, p. 41, n. 7 ; G. Constable, « The Abbot and Townsmen », p. 165.
192 Quelques exemples : les probi viri ou boni viri, C 4440 (v. 1177-1179), 4500 (1216), 4551 (1227), 4556 (1228), 4593 (1230). Les arbitri : C 4406 (1202), 4517 (1219), 4523 (1220), 4657 (1234). Les magistri : C 4247 (1173), 4279 (1180-1181), 4517 (1219), 4559 (1228), 4618 (1232).
193 Quelques références parmi les plus anciennes : Sceau de l’abbé de Cluny : C 3869 (1108), 4002 (1128-1134), 4146 (v. 1150), 4183 (1155-1156), 4225 (v. 1166), 4233 (v. 1170), 4244 (1173). Convent de Cluny : C 4244 (1173), 4329 (1188). Prieur de Cluny : C 4240 (1171). Comte de Mâcon : C 4122, 4127 (1147), 4233 (v. 1170). Évêque de Mâcon : C 4069 (1140), 4233 (v. 1170), 4240 (1171), 4244 (1173). Évêque de Chalon : C 4069 (1140). Les seigneurs de Brancion : C 4235 (v. 1170) ; de Berzé : C 4240 (1171), 4346 (v. 1190) ; de Beaujeu : C 4404 (1201). Sur la diffusion de l’usage du sceau au XIIe s. : M. Pastoureau, Les sceaux, p. 27-29 ; R.-H. Bautier, Chartes, sceaux et chancelleries. Sur la pratique du sceau par les clunisiens au XIIIe s. : G. Melville, « Verwendung, Schutz und Missbrauch » ; J. Oberste, « Ut domorum status certior habeatur », p. 66-70.
194 Cette évolution du règlement des conflits entre ca. 1150 et 1240 est bien analysée par G. Duby, La société, p. 427-433.
195 C 4235 (donation de J. Gros), 4244 (règlement de l’affaire du Mont Avout), 4279 (traité avec le comte de Mâcon), 4280 (traité avec Guy Deschaux), P 221 = BC, col. 1441-1143 (traité avec le comte de Chalon).
196 C 4440 (v. 1177-1179).
197 C 4269 (1179), 4270 (1179-1183), C 4332 (1188).
198 Werpitio d’Humbert de Beaujeu : C 4406 ; de Guy Bestiaux : C 4404, BC, col. 1497-1498.
199 C 4244 (Étienne du Bois et son frère Hugues), 4280 (Geoffroy et son frère Hugues, Guillaume, Henri et Hugues, fils d’Arnaud), 4332 (Durand), 4406 (Durand, Guillaume), 4440 (Étienne et Geoffroy, son frère), BC, col. 1497-1498 (Guillaume, Achard).
200 Johannes, famulus prioris Cluniacensis, de Mascone : C 4244. Bonitus, cocus de Hospitio, Durannus cellarius de Lurduno : C 4280. Petrus portarius : C 4269. Silvester portarius domni abbatis, Durannus corbellangus domni abbatis : C 4270.
201 C 4481 (1214), C 4544 (1224).
202 Hugo Charbonellus, fidèle de Guy Bestiaux, sire de La Bussière : C 4404. Hugues Deschaux vient mourir à Cluny dans la maison de Johannes Galeti : C 4618.
203 J.-L. Bazin, Brancion ; G. Duby, La société, p. 336-346. M. Rebouillat, « La lutte entre les seigneurs de Brancion et Cluny » n’apporte rien qui ne soit pas dans Bazin ou Duby. Voir également supra, p. 177-180.
204 C 4410 - document conservé en original : BnF, coll. Bourgogne 81, no 281. Cet acte est daté ca. 1203-1215 par les éditeurs. J.-L. Bazin, Brancion, p. 59, le date vers 1204. Au dos de l’original, une note d’inventaire du XVIIIe s. indique « sans date, environ l’an 1210 ». L’acte se situe probablement après 1206, date de la mort d’Henri Gros, fils aîné de Joceran IV et d’Alix de Chalon. En effet, Henri n’est pas mentionné dans l’acte alors que ses deux frères puînés, Guillaume et Bernard, le sont.
205 Le prénom de la Dame de Brancion n’est pas mentionné. Elle est généralement appelée Alix, bien que ce prénom ne soit pas attesté dans les sources : cf. en dernier lieu, C. Bouchard, Sword, p. 314.
206 C 4410, p. 786 : Contigit itaque quod burgenses Cluniacenses propter injurias multas et immensas a filiis prefate domine et hominibus suis atque coadjutoribus ecclesie Cluniacensi et membris ejus atque burgensibus irrogatas...
207 Ibid., p. 787 : Ecclesia quoque Cluniacensis, ex parte sua et suorum, ad pacem super eisdem venit cum sepedicta domina et cum suis, et de communi consilio ecclesie et ville juraverunt duo burgenses Cluniacenses hanc pacem ab omnibus suis esse firmiter observandam.
208 C 4482 : Si qua vero dampna vel injurias ecclesia vel villa Cluniacensis vel aliquis de ecclesia vel villa Joceranno, vel fratribus, vel auxiliatoribus suis, usque hodie intulerant, omnia quittaverunt nec ab ecclesia vel villa Cluniacensi vel hominibus vel auxiliatoribus eorum hac occasione aliquid poterunt exigere, nec ecclesia vel villa Cluniacensis ab Joceranno vel suis. Cet abandon de Joceran Gros sur Saint-Hyppolite met fin à 150 ans de conflits dans ce lieu entre Cluny et les Gros. Deux autres actes l’accompagnent : C 4478 (confirmation de la donation par le comte de Mâcon) ; C 4481 (nomination d’otages par Joceran Gros pour garantir sa donation).
209 C 4526 : Notum fieri volumus, quod cum inter dominum Landricum, militem, et praepositum Matisconensem W. de Breisse, et socios eorum, ex una parte, et homines Cluniacensis ecclesiae de Donziaco, ex altera, orta esset contentio, et in nos compromisissent Cluniacensis abbas pro suis hominibus...
210 C 4589 (13 février 1230).
211 C 4593 (mai 1230) :... proprio juramento eclesiae Cluniacensi et hominibus ejusdem villae remisit et quitavit, promitens sub eodem juramento, quod per se nec per alium, Cluniacensem ecclesiam nec homines ejusdem villae, nec res eorum de cetero inquietabit nec inquietari sustinebit.
212 Au milieu du XIIe s., les Neublans ont tenu un temps le château de Brancion avant que la famille Gros ne s’en empare. Leurs terres sont situées entre Tournus et Cluny. Sur cette famille, G. Duby, La société, p. 339-341 ; C. Bouchard, Sword, p. 295-299.
213 C 4551 (mars 1227) : quod dictus Johannes praemissas querelas et omnes alias versus ecclesiam Cluniacensem vel ejus homines motas eidem ecclesie quitavit et remisit, et proinde ecclesiae et villae Cluniacensis hominibus et rebus eorum, et praecipue Duranno de Blanusco et omnibus aliis, qui ejus captioni interfuerunt, de se et de omnibus suis pacem in perpetuum tenendam in presentia nostra juravit, salvo fundo terrae et jure suo. La qualité de prévôt est attribuée à Durand de Blanot dans C 4584 (1229). Il est le père du célèbre juriste Jean de Blanot formé à Bologne. Ses descendants achètent le château d’Uxelles aux Gros en 1248 : G. Duby, La société, p. 436-437 ; G. Jeanton, J. Martin, « Le château d’Uxelles », p. 213-231 ; G. Jeanton, « Les deux Jean de Blanot ».
214 C 4553 (octobre 1227).
215 C 4410, 4551.
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