Chapitre V. La paix clunisienne
p. 231-275
Texte intégral
1P. A. X. Ces trois lettres se dessinent dans les chrismes et les monogrammes des chartes clunisiennes originales des Xe et XIe siècles1. « Paix, paix, paix ! », les mains levées vers le ciel, tournés vers Dieu, les évêques et le peuple de l’an mil élevaient cette clameur, rapporte Raoul Glaber2. Pax, caritas, concordia, unitas sont les mots d’ordre lancés par les papes grégoriens aux évêques de la chrétienté3. Grâce et miséricorde divine, intercession des saints apôtres attendent les « serviteurs de la paix » clunisienne, selon les propos d’Urbain II en 10954. « À ceux qui aiment la vérité et la paix », c’est ainsi qu’Albert le Teuton et le prêtre Ébrard, scribes à Cluny au début du XIIe siècle, introduisent les chartes de déguerpissement au profit des moines5.
2La paix est sur toutes les lèvres, dans tous les textes. Et pas seulement à Cluny. Il suffit d’ouvrir n’importe quel cartulaire ou recueil de lettres pontificales de cette période ; de relire, en amont, les traités des Pères de l’Église ou les capitulaires des rois carolingiens ; en aval, les chartes de franchises, les diplômes royaux, les actes des princes territoriaux6. La pax se décline dans la société chrétienne médiévale sur de nombreux modes, mais toujours pour caractériser un état d’harmonie dans une communauté donnée. Une harmonie marquée par l’absence de violence, le respect de règles communes, la jouissance d’un statut considéré comme privilégié (exemption de tonlieux, immunité), l’égalité des membres de la communauté soumis à ce statut commun. Élaboré dans les écrits pauliniens puis théorisé par les Pères de l’Église, se dégage le concept de pax ecclesiæ où pax rime avec caritas, concordia, unitas, religio. C’est l’unité du peuple chrétien qui est en jeu, son sort commun en marche vers le salut, guidé par ceux qui ont la grâce. C’est de cette paix-là dont il est question dans le Cluny de 1100, la paix de l’Église, de l’Église clunisienne. Fondée par l’immunité, elle implique le respect du dominium abbatial et l’unité des hommes soumis à cette condition unique. L’ordre social qui en découle se définit comme la recherche d’une harmonie idéale, d’une harmonie entre les hommes et Dieu, via la médiation des saints dont les reliques sont rassemblées à Cluny, via la médiation des moines qui conservent ces reliques et les manipulent.
3Mais la paix n’existe pas sans la guerre, sans certaines remises en cause de l’ordre social qui produisent des ajustements, parfois des bouleversements fondamentaux, mais qui conduisent le plus souvent à la réaffirmation quasi rituelle de l’ordre. Bafoué pendant un temps, il n’en sera que mieux respecté ensuite. Dans le Clunisois de 1100, les conflits armés et les heurts violents semblent peu nombreux. Ils se multiplieront surtout dès la seconde moitié du XIIe siècle. La paix clunisienne se réalise alors par la conjonction de mesures de dissuasion et de coercition, par la mise en scène régulière de cérémonies d’unification et par le marchandage qui n’hésite pas à employer parfois les moyens les plus triviaux. Le geste, la parole, l’écrit, le visuel, l’auditif, le rituel et le coercitif s’entremêlent pour asseoir la paix clunisienne.
4Jusqu’alors, ces questions ont été abordées sous un angle juridique ou anthropologique. Au milieu du XIXe siècle, Théodore Chavot, juriste de formation, s’est penché sur la « juridiction seigneuriale des abbés de Cluny aux XIIe et XIIIe siècles ». Il a mis en évidence que le « pouvoir judiciaire » de l’abbé de Cluny est une conséquence de son « droit de propriété » et des privilèges d’immunité qui lui sont concédés dès le début du Xe siècle7. À la fin du XIe siècle, ce pouvoir acquiert une acception territoriale (le ban sacré). L’abbé est désormais conduit à juger les hommes de son ressort et ceux qui vivent sur ses terres. Néanmoins, au cours du XIIe et surtout du XIIIe siècle, il est contraint de composer avec les seigneurs des environs puis avec les agents royaux, de telle sorte que cette définition théorique souffre de nombreuses exceptions8. Seule la ville de Cluny échappe aux compositions avec les seigneurs locaux. L’abbé y exerce la pleine justice, haute et basse jusqu’à ce qu’il délègue aux bourgeois l’administration des causes mineures, peut-être dès l’abbatiat d’Hugues et de façon certaine, selon T. Chavot, à la fin du XIIe siècle9.
5S’intéressant à la naissance de la seigneurie rurale en Bourgogne au Xe siècle, André Déléage a insisté sur la corrélation entre la seigneurie foncière et le pouvoir de juger. La possession de nombreuses terres est source de puissance et place les grands propriétaires en position d’exercer sur les hommes dépourvus de la richesse le droit de commander et de faire régner la paix. À partir du Xe siècle, les grandes seigneuries se distinguent ainsi par leur double domination, foncière et judiciaire. Le signe et le siège principal de leur pouvoir est le château10.
6Dans le sillage d’André Déléage, Georges Duby s’est intéressé à l’évolution des institutions judiciaires dans le sud de la Bourgogne aux Xe et XIe siècles. Son article devenu célèbre proposait de combler une lacune entre le « système carolingien simple et cohérent » et le XIIe siècle où s’imposent les « institutions judiciaires de la période féodale classique »11. G. Duby dresse un tableau en quatre époques qui préfigure le plan de sa thèse parue sept ans plus tard. Jusqu’à la fin du Xe siècle, la justice en Mâconnais est dominée par la cour comtale issue du mallus publicus carolingien. Elle juge les causes des grands (causae majorum) alors que les cours subalternes, les vigueries, jugent les causes des petits (causae minorum). Peu avant l’an mil, la cour comtale perd sa force d’attraction pour devenir une cour arbitrale au ressort essentiellement privé, c’est-à-dire pour les parents ou fidèles du comte. Parallèlement, la justice se réorganise autour de nouvelles cours. Les cours ecclésiastiques d’abord - celles de l’évêque de Mâcon et de l’abbé de Cluny - sont nées de l’immunité. « Totalement indépendantes » vers le milieu du XIe siècle, elles deviennent les centres d’une « justice domaniale » sur les exploitants des terres ecclésiastiques, d’une « justice féodale » à laquelle sont conviés les vassaux de l’évêque ou de l’abbé, d’une « justice de paix » sur les violateurs de l’immunité12. Les cours seigneuriales, d’autre part, sont nées d’une « appropriation de certaines fonctions d’origine publique » aux dépens du comte, des vicomtes ou des viguiers. Elles apparaissent au début du XIe siècle et sont très nettes cent ans plus tard. Le siège principal de ces nouvelles justices est le château13. Au tournant du XIIe siècle s’amorce une troisième étape. Les nouvelles juridictions concurrentes s’accordent pour clarifier leurs prérogatives respectives. Cela se marque d’abord par la territorialisation des juridictions : les zones d’asile pour les églises immunistes (le ban sacré de Cluny) et les sauvements pour les châtelains. Mais très vite plusieurs traités entre seigneurs partagent les droits de justice y compris à l’intérieur des sauvements ou des immunités14.
7Dans le même article, Georges Duby amorce une réflexion sur le mode de règlements des conflits. Il brosse d’abord un tableau très classique confirmant le modèle alors dominant de « l’anarchie féodale » : le fossé se creuse au XIe siècle entre le sort des humbles et des puissants face à la justice ; les premiers sont soumis sans échappatoire aux justices seigneuriales ; les seconds échappent à toute contrainte judiciaire. Seuls les efforts de l’Église parviennent à endiguer leur violence et le déferlement des vengeances privées15. Mais Georges Duby amorce également une réflexion sur la violence et la paix au XIe siècle, annonciatrice en bien des points de l’historiographie ultérieure sur la question. Les « sanctions spirituelles » brandies par les ecclésiastiques contre leurs assaillants, les « engagements sacramentels et la participation de la collectivité qui entoure chaque contractant » contribuent à maintenir la paix « dans la haute société de la fin du XIe siècle ». C’est finalement la vision d’une société sans État ni institution judiciaire, mais contrôlée par des « moyens de fortune » et des « contraintes d’ordre moral » qui domine16.
8Depuis Georges Duby, plusieurs pièces du dossier ont été soigneusement réexaminées. À la fin des années soixante aux États-Unis, sous l’influence alors dominante de l’anthropologie, plusieurs historiens ont amorcé une critique radicale du modèle de « l’anarchie féodale » en s’efforçant tout d’abord d’évacuer toute notion a-historique - l’État, la loi, le droit, l’anarchie - pour analyser les rouages des sociétés médiévales. À la suite de Fredric Cheyette, Stephen White et Patrick Geary ont foncièrement déblayé le terrain17. Depuis les années quatre-vingts, leurs travaux ont franchi l’Atlantique et, par l’Angleterre, ont progressivement gagné l’historiographie européenne18. Les deux récentes semaines de Spolète consacrées à la justice au Haut Moyen Age (du Ve au XIe siècle) ont montré la prégnance de cette nouvelle manière d’appréhender le règlement des conflits avant le XIIIe siècle19. C’est dans ce cadre de réflexion que Lester Little et Patrick Geary ont accordé des développements circonstanciés aux cérémonies de clameur consignées dans les coutumiers clunisiens, que Barbara Rosenwein a présenté les transactions foncières entre moines et laïcs comme un moyen de cohésion sociale20. Les ennemis de Cluny sont aussi ses amis. Les querelles avec les moines sur la possession de la terre sont moins des signes de la violence débridée des seigneurs que des éléments d’un processus de solidarité entre les différents membres de l’aristocratie. Braquant le projecteur sur les dernières années du Xe siècle, Dominique Iogna-Prat est récemment revenu sur la naissance de la souveraineté clunisienne. Dans le sillage des historiens anglo-saxons, il ajoute aux conclusions de Georges Duby deux points : la cour de justice des abbés de Cluny est moins un tribunal qu’une instance de conciliation ; les règlements des conflits empruntent au moins en partie des voies spirituelles21. Enfin, c’est en partant des chartes du Vendômois, mais surtout en les comparant à celles de Cluny que Dominique Barthélemy a proposé récemment une nouvelle interprétation de la « paix de Dieu », incitant – même si l’auteur ne l’écrit pas – à reconsidérer la question du règlement des conflits et des conciles de paix dans une réflexion générale sur la notion de pax dans la société médiévale22.
9En effet, « judiciaire » ou « extrajudiciaire », voies temporelles ou spirituelles, mode de règlement public ou privé… encore une fois ces catégories modernes sont inadaptées, étriquées. L’objectif de chaque règlement est la réalisation ou la restauration de la pax ecclesiae, harmonie entre Dieu, les hommes et les saints, via la médiation des ecclésiastiques. Une harmonie tendant à la réalisation de l’unitas et de la concordia entre les frères spirituels nés du baptême, membres d’une communauté cimentée par la caritas, la religio23. Essayons de comprendre comment ces notions s’articulent autour de Cluny aux XIe et XIIe siècles. De nouveau, on n’apercevra clairement qu’un aspect de la question : la manière dont les moines concevaient l’harmonie et se sont efforcés de la réaliser, autrement dit la paix clunisienne et non la paix en Clunisois. Toutes nos sources sont produites par les moines ou leurs principaux alliés, les papes. Les chartes rapportent les transactions foncières en leur donnant une valeur exemplaire, les coutumes prescrivent la conduite à tenir pour les membres de la communauté monastique, les privilèges pontificaux sont vindicatifs, les récits hagiographiques mettent en exergue des comportements exemplaires ou condamnables24. Aussi, il nous faudra, comme dans les pages qui précèdent, tenter de saisir les articulations et les discordances entre le discours prolixe des moines, la mise en œuvre concrète des règlements avec les laïcs et le degré d’acceptation de la paix clunisienne par ceux-ci.
I. DISSUASION ET COERCITION
Injonctions et menaces pontificales
10Depuis le début du Xe siècle, les bulles pontificales adressées à Cluny se terminent par des clauses de garantie. Les bienfaiteurs de Cluny obtiendront l’intercession divine, les malfaiteurs souffriront l’anathème et seront promis aux châtiments infernaux25. Ces clauses tiennent pour une bonne part du formulaire. Elles ne sont pas propres à Cluny, mais révèlent le rôle de la papauté pour sauvegarder l’intégrité des biens d’Église26. En revanche, certains actes contiennent des injonctions plus spécifiques à l’adresse des prélats, des potentats laïques ou des seigneurs laïques en contact avec les moines.
11L’une des plus anciennes est adressée par le pape Jean XIII en 968 aux évêques de Gaule pour leur demander de protéger les monastères confiés à l’abbé Maïeul et excommunier tous ceux qui tenteraient de s’emparer de leurs possessions27. Aux XIe et XIIe siècles, les papes interviennent régulièrement à la demande des abbés clunisiens pour exhorter le zèle des prélats à l’égard de Cluny et menacer leurs opposants par voie épistolaire. L’évêque de Mâcon, en conflit latent avec Cluny au sujet de l’exemption, est fréquemment concerné28. Burchard en 1027, Drogon en 1063, Landric en 1080, Bérard de Châtillon en 1121 sont tour à tour vertement semoncés par les papes pour leurs prises de position contre l’exemption clunisienne ou des actes violents commis à l’encontre des moines29. Parfois tous les prélats du royaume sont incités à bien se conduire envers les clunisiens. En 1046-1047, Clément II enjoint les évêques des Gaules, les princes et magnats d’Aquitaine de protéger avec amour et diligence le « sacré monastère de Cluny, ses biens-fonds, celles et monastères situés dans leurs contrées afin de ne pas molester les moines »30. En novembre 1100, Pascal II accompagne son privilège général pour Cluny d’une lettre adressée aux évêques et archevêques des Gaules exhortant leur caritas pour respecter le statut spécial du monastère31.
12Les laïcs sont également concernés : le roi des Francs d’abord, tel Robert le Pieux, sommé par Jean XIX en 1027 d’apporter une protection particulière à Cluny et de faire en sorte que les privilèges pontificaux soient respectés32. L’essor de la classe des milites au XIe siècle incite les abbés clunisiens et les papes à une plus grande vigilance33. Une première fois vers 1020, Odilon se plaint à Benoît VIII de la cupidité et des exactions de certains laïcs à l’encontre des biens-fonds clunisiens. En guise de réponse, le pape adresse aux évêques de Bourgogne, d’Aquitaine et de Provence une lettre les enjoignant de faire respecter les possessions monastiques et d’excommunier les malfaiteurs s’ils persistent34. Contrairement aux habitudes, la lettre pontificale se fait réquisitoire. Les noms des laïcs incriminés sont cités avec leurs méfaits. Plusieurs comptent parmi les aristocrates des environs de Cluny : Guichard [II] de Beaujeu s’est emparé de l’église de Trades avec ses revenus35 ; Bernard de Riottiers, Hugues de Montpont et son épouse Azeline, parents du comte de Mâcon, ont repris l’obédience de Laizé que leurs parents avaient jadis concédée à Cluny36 ; Warulfe de Brancion et Gautier, son frère, prévôt de Mâcon, sont accusés d’avoir revendiqué deux précaires tenues par leur oncle défunt, l’évêque de Mâcon Liébaud37. Si ces « persécuteurs, déprédateurs, envahisseurs des terres et des revenus » de Cluny restituent les biens usurpés avant la prochaine Saint-Michel, ils obtiendront la grâce, la bénédiction et l’absolution de Dieu, de saint Pierre et du pape. Dans le cas contraire, ils s’exposent aux sanctions divines les plus grandes. S’appuyant sur les formules de l’Écriture, le pape énumère une série de malédictions encourues par les laïcs s’ils ne s’amendent pas et persévèrent dans leur malice :
... que par le fer du jugement ecclésiastique, ils soient séparés du corps du Christ comme des membres putrides. Qu’ils soient expulsés loin des limites de la sainte Église de Dieu, soustraits à la communauté des fidèles et excommuniés. Qu’ils soient maudits reposant et marchant, veillant et dormant, entrant et sortant. Qu’ils soient maudits mangeant et buvant. Que soit maudite leur nourriture et leur boisson. Que soit maudit le fruit de leur ventre et le fruit de leur terre. Qu’ils subissent les châtiments d’Hérode et qu’éclatent leurs entrailles, et avec Dathan et Abiron, disparus de la terre des vivants, qu’ils demeurent avec le diable et ses anges, damnés perpétuellement et souffrant sans fin les peines infernales. Que leurs fils soient orphelins et leurs femmes veuves. Que leurs fils soient vagabonds et qu’ils mendient. Qu’ils soient chassés hors de leurs maisons. Qu’ils soient maudits et anathématisés par toutes les malédictions de l’Ancien et du Nouveau Testament jusqu’à ce qu’ils se repentent et satisfassent convenablement à notre appel et sommation38.
13L’attitude de Benoît VIII dans cette affaire met clairement en évidence l’intérêt nouveau des moines et de la papauté pour les milites. Les Beaujeu, Brancion, et autres fidèles du comte de Mâcon sont les membres de la nouvelle aristocratie locale. Les moines doivent composer avec eux et céder certaines prérogatives. Les malédictions sont terrifiantes, mais en cas d’infraction, il suffit aux laïcs de se repentir convenablement pour obtenir la paix et mieux encore la promesse du salut éternel dans les meilleures conditions, avec le soutien de saint Pierre.
14Les efforts pour normaliser les rapports avec les seigneurs locaux se précisent à la fin du XIe siècle. La charte de Pierre d’Albano en 1080 le montre bien. Venu en Bourgogne pour régler les conflits entre l’abbé de Cluny et l’évêque de Mâcon, le légat pontifical en vient à édicter une zone immuniste explicitement dirigée contre les milites des environs, Brancion, Berzé, La Bussière, Suin, Sigy, Uxelles et Cluny39. Un faux diplôme du roi Raoul, connu par sa seule copie dans les cartulaires A (à la fin du XIe siècle) et C (au début du XIIe) est tout aussi explicite40. L’acte se présente comme un précepte royal ordonnant que les possessions clunisiennes récemment usurpées à Saint-Léger, entre Château et Mazille, soient restituées au monastère. Il confirme par la même occasion l’ensemble des biens-fonds donnés à Cluny par les chrétiens fidèles (a fidelibus christianis) et se clôt sur une notification dans un style déclamatoire à l’adresse des puissants locaux. Les « princes, juges ou régisseurs du comté ou de la région dans laquelle le monastère est installé » sont sommés, à la place du roi (nostra vice), de venir en aide, de protéger et de défendre le monastère (locus) et les moines serviteurs de Dieu41. Comme l’a bien montré Jean Dufour, la fausse attribution à Raoul, la notification introductive, le style et le vocabulaire de l’acte prouvent qu’il s’agit d’un faux, « véritable exercice de rhétorique du XIe siècle ». Cette falsification a sans doute été réalisée lors de la composition des cartulaires. Elle s’inscrit parfaitement dans l’ensemble des mesures prises alors par les moines et les papes pour délimiter des zones inviolables autour de Cluny et normaliser la conduite du populus à leur égard.
La rhétorique des chartes
15Dans les chartes, les déguerpissements et les donations sont enveloppés d’une rhétorique qui prolonge les injonctions pontificales. Promesses de salut et menaces de malédictions s’articulent aux rituels des donations et aux sanctions contre les contrevenants. Vers 1030, deux frères, Frédégaire et Odon, donnent à Cluny la moitié de l’église de Dommartin, en Bresse, avec deux serfs, pour le salut de leur âme et de leurs parents, donateurs de l’autre moitié de l’église. La charte conservée en original débute ainsi :
Il est bien connu par tous ceux qui militent sous la règle de la foi catholique que la miséricorde divine veille tant au salut des hommes qu’il leur est permis d’acquérir l’éternité grâce aux biens qu’ils reçoivent temporairement de lui, s’ils les utilisent correctement. En effet, parmi les nombreux conseils salutaires, le Verbe - qui au commencement était auprès de Dieu et qui, pour la totalité du temps, est fait pour la rédemption du genre humain - a délicatement présenté aux esprits des hommes, pour le salut de tout un chacun, qu’en distribuant convenablement ses biens aux pauvres, il se construit un trésor indéfectible dans les cieux. « Amassez, dit-il, amassez-vous des trésors dans le ciel, où ni les mites ni les vers ne font des ravages, où les voleurs ne percent ni ne dérobent ». Et aussi, dans un autre passage, il rappelle : « Donnez plutôt en aumône et alors tout sera pur pour vous »42.
16De tels préambules forment le lot commun des chartes du XIe siècle43. À grand renfort de citations néo-ou vétéro-testamentaires, ils mettent en valeur la nécessité du don à l’Église, le rôle des moines intercesseurs, la réconciliation assurée avec Dieu et l’éloignement des puissances infernales par le dépouillement de ses biens à l’article de la mort44. La rédaction de la charte scelle cette nouvelle alliance entre Dieu, les moines et le donateur. Certains actes le mentionnent explicitement en soulignant le rôle mémoriel et unificateur de l’écrit. Alors que la mémoire est labile, l’écrit reste et les transactions pour le salut doivent être consignées par écrit45.
17En fin d’acte, les clauses comminatoires énoncent les sanctions encourues par les éventuels contradicteurs46. Il s’agit d’abord de sanctions pécuniaires. Jusqu’au milieu du XIe siècle, elles sont exprimées selon une formule presque toujours identique : toute personne qui ne respecte pas les dispositions contenues dans la charte, « contraint par la puissance judiciaire (judiciaria potestate), devra payer une livre d’or, conformément à la loi universelle à laquelle il s’est opposé »47. Le montant de l’amende est toujours élevé : une livre d’or, mais parfois cinq, dix, cinquante, voire cent livres48. Parfois, la formule précise que la somme sera versée au fisc public (fiscus publicus) ou au trésor public (thesaurus publicus)49. Dès la seconde moitié du XIe siècle, ces termes tendent à disparaître au profit de mentions plus « clunisiennes » : les amendes sont versées aux principaux officiers du monastère. Elles sont généralement beaucoup plus modiques et réalistes50. Les sanctions pécuniaires sont doublées de sanctions sociales. Par l’excommunication ou l’anathème, les violateurs des biens monastiques sont exclus de la communauté des fidèles, empêchés d’accéder aux lieux de culte, d’assister aux offices et d’obtenir une sépulture en terre consacrée51. Les menaces de malédiction se déploient dans les eschatocoles des chartes, prédisant des châtiments spectaculaires. La charte de Frédégaire et Odon présente la version sobre :
Si quelqu’un, ce que nous ne croyons nullement, ose porter atteinte à notre donation et ne se repente pas, il sera exilé du royaume de Dieu, livré aux peines infernales et torturé sans fin...52.
18Lorsque le scribe veut donner plus de détails, il puise dans les malédictions bibliques. Le châtiment de Dathan et Abiron, engloutis dans la terre pour avoir dirigé une révolte contre Moïse, est l’un des plus prisés53. En 910, c’est le sort promis aux contradicteurs du testament de Guillaume d’Aquitaine. Entre 980 et 1050, on le trouve souvent en conclusion des chartes de donation, comme celle de ces gros propriétaires fonciers implantés tout près du monastère, les de Cluniaco, qui donnent en 1013 une serve et ses quatre enfants au monastère :
Et s’il se trouve un homme qui veut contredire [cette donation], qu’il soit maudit par la malédiction que le Seigneur Dieu a affligé à Dathan et Abiron, que la terre a engloutis vivants, et qu’il soit maudit et excommunié jusqu’aux profondeurs de l’enfer par saint Pierre prince des apôtres et par tous les saints de Dieu qui sont dans les cieux et sur la terre54.
19Les clauses comminatoires les plus détaillées égrènent une kyrielle de malédictions et les peines infernales les plus atroces. Peu de temps avant sa mort vers 1023-1026, le comte de Bourgogne et de Mâcon Otte-Guillaume entend se réconcilier avec les moines dont il avait usurpé plusieurs possessions à Jully-lès-Buxy et Ambérieu-en-Dombes, deux lieux stratégiques de la domination clunisienne55. Otte-Guillaume est un membre éminent de l’aristocratie locale56. Son déguerpissement doit être exemplaire. Les clauses comminatoires impressionnantes rappellent la bulle de Benoît VIII fulminée quelque temps auparavant contre les seigneurs laïques :
Si quelqu’un se montre le contradicteur ou le calomniateur de ce règlement, il s’expose en premier lieu à la colère de Dieu comme de sainte Marie mère de Dieu et de notre Seigneur Jésus-Christ et aussi des saints apôtres Pierre et Paul et de tous les saints. Il sera maudit entrant et sortant, maudit assis et couché, maudit éveillé et dormant, maudit immobile et se déplaçant, maudit le fruit de son ventre, maudit vif et mort, maudit sain et infirme, maudit son lit, maudite sa sépulture, maudits ses complices, maudits tous ses compagnons. Le Seigneur le frappera par l’épidémie et la famine, le feu et le frisson. Le Seigneur l’affligera d’une plaie terrible et incurable. Toutes les plaies par lesquelles le Seigneur a frappé l’Égypte s’abattront sur lui jusqu’à ce qu’il soit anéanti de la terre des vivants et conduit avec le diable et ses anges dans le gouffre de l’enfer, si auparavant il ne se repent et ne renonce à ses prétentions injustes57.
20Le fonds commun biblique qui alimente ces malédictions n’est pas l’apanage des clunisiens. On le retrouve de la Catalogne à la Picardie dans les chartriers des différentes communautés religieuses58. L’Église d’Occident justifie son dominium et encourage les dons laïques en puisant dans le Livre et les écrits des Pères. Les chartes sont rédigées par les moines et leurs longs préambules sont autant d’auto-justifications de leur rôle social. La première personne du singulier utilisée dans nombre de documents ne doit pas faire illusion. Les mots ne sont pas ceux des donateurs, mais ceux que les moines leur prêtent. S’ils les ont prononcés, c’est uniquement après la rédaction de la charte, sur la base du document écrit qui présente leur donation comme un acte salutaire et réconciliateur. Pour apprécier l’efficacité de la normalisation clunisienne, il est donc indispensable d’envisager les autres modes de négociation.
II. DÉMONSTRATION
21L’Église chrétienne a diffusé son message et s’est imposée en utilisant conjointement l’écrit, l’oral et la mise en scène rituelle. Les communautés monastiques ont utilisé ces différents modes de communication. Depuis la réforme de Benoît d’Aniane, la vie quotidienne des moines bénédictins est articulée essentiellement autour de l’écriture, de la lecture et du chant. À partir de l’an mil environ, l’ordo clunisien a poussé au paroxysme l’allongement de la durée des offices quotidiens et le nombre des pièces chantées. Hors des moments où le moine assiste à l’office, son temps est partagé entre la lecture méditative et la copie de textes qu’il sera ultérieurement appelé à lire, méditer, chanter, réciter ou diffuser. Les coutumiers du XIe siècle mentionnent avec une grande précision les pièces à chanter quotidiennement dans l’église ou devant rythmer les moments consacrés à des activités a priori profanes (la cuisine, le rasage, le nettoyage du monastère)59. Parfois aussi, les moines chantent, récitent ou proclament non plus pour leur propre compte mais plus explicitement pour le populus qui l’environne. Ils sortent du monastère pour aller à la rencontre des laïcs ou les accueillent à l’intérieur de la clôture pour une fête majeure, résoudre un conflit ou négocier une transaction. Dans ces moments-là, les moines prennent la parole et mettent en scène leur discours dans un but pastoral.
L’acclamation
22L’élection est pour le nouvel abbé la première occasion de se confronter au populus. Il doit obtenir son acclamation. La cérémonie est mentionnée dans la vie de saint Maïeul rédigée par Odilon vers 1030. L’abbé de Cluny rapporte que son prédécesseur a été acclamé par le populus après avoir été élu par les frères et avant d’avoir reçu la bénédiction pontificale60. Peu importe si la cérémonie d’élection de Maïeul, en 954, s’est bel et bien déroulée selon ce rituel61. Sa mise en scène hagiographique vers 1030 indique que la pratique était alors considérée comme normale ou nécessaire. L’acclamation est une manière d’obtenir le consentement des hommes sur lesquels l’autorité du nouvel élu va s’établir. C’est un consentement qui ne passe pas par l’élection proprement dite car l’autorité de l’abbé ne vient pas d’en bas mais d’en haut, de Dieu. L’acclamation est alors un moyen de réaliser l’unanimité qui doit présider à toute élection pour que règne l’entente cordiale entre les membres de la communauté62. En demandant l’acclamation du populus, les clunisiens entendent signifier que leur autorité ne s’étend pas uniquement à l’intérieur de la clôture monastique, mais également sur les hommes de l’extérieur. C’est un autre aspect significatif de la conception organique de la société clunisienne, société composée de différents états qui doivent chacun participer à l’œuvre commune. L’autorité abbatiale s’exerce sur l’ensemble du corps dont le populus est un membre.
Processions, messes et sermons
23Plusieurs fois par an, le convent sort du monastère pour processionner dans le bourg et stationner dans une église périphérique. Prenons le cas du dimanche des Rameaux bien documenté par les trois coutumiers du XIe siècle et suivons le récit de Bernard. Chaque dimanche des Rameaux, les moines processionnent à deux reprises : une première fois dans le cloître après la messe matutinale, une seconde fois après Tierce en direction de l’église Saint-Maïeul63. Les frères, tous vêtus de blanc, portent des feuillages et des rameaux qu’ils ont préalablement bénis devant l’autel en récitant l’oraison Omnipotens sempiterne redemptor qui de coelis ad terram. Ils les distribuent en chantant l’antienne Pueri hebraeorum. Au son de toutes les cloches, la procession sort du monastère. Le long des cinq cents mètres qui séparent le monastère de l’église Saint-Maïeul, les moines entonnent Cum appropinquaret, Cum audisset populus et le répons Contumelias64. En arrivant devant l’église Saint-Maïeul, ils chantent le répons du saint abbé puis s’arrêtant, les genoux fléchis, l’antienne Ave rex noster et le Salvator mundi. Ces chants sont suivis de la récitation des chapitres et des collectes de saint Maïeul, de tous les saints puis de l’oraison prononcée traditionnellement avant les heures. Enfin, un sermon est adressé au populus. Le chemin du retour vers l’église abbatiale pour la célébration de la messe se fait au chant de l’antienne Collegerunt et du verset Unus autem65.
24Les moines processionnent dans le bourg le jour des Rogations et le jour de la Saint-Maïeul, stationnent devant les églises dédiées aux saints abbés66. Ils sortent également du monastère pour des occasions exceptionnelles. Lorsqu’un pape ou un roi est reçu à Cluny, les moines doivent se rendre hors du castellum67. « En cas d’urgente nécessité » (quoties aliqua urgente necessitate), les reliques des saints sont portées en procession hors du monastère et deux chantres vêtus de blanc portent l’eucharistie (sanctum corpus) « jusqu’aux portes du château » (usque ad portas castelli) suivis de près par une procession silencieuse d’eau bénite, d’encens, de croix et de candélabres68. L’urgente nécessité en question désigne bien sûr un danger imminent, une éventuelle attaque. Les moines sont désarmés et ne bénéficient pas encore du soutien militaire des bourgeois, comme on le verra dans la seconde moitié du XIIe siècle. Les saints servent de lance et de bouclier. En les faisant processionner jusqu’aux portes et aux murs extérieurs, on entend renforcer la protection invisible qu’ils constituent, en impressionnant par la mise en scène69.
25Les moines sortent également du monastère pour des raisons plus pacifiques. La veille de l’Ascension, la messe majeure se déroule hors du monastère, sans doute dans l’église Saint-Maïeul. Le sacrifice eucharistique, fondateur de la communauté chrétienne, soude la communauté fusionnelle entre les moines et le populus du bourg. Après le sacrifice, on récite les collectes des saints auxquels l’église est dédiée et l’oraison Ineffabilem misericordiam tuam « pour le peuple qui demeure ici »70. Si ce ne sont pas les moines qui vont vers le peuple, celui-ci est tenu de se rendre régulièrement auprès d’eux. L’église abbatiale n’a jamais fait office d’église paroissiale, mais en certaines occasions une messe est dite pour les laïcs des environs. C’est notamment le cas pour la Saint-Pierre-et-Paul et pour la commémoration de tous les défunts, le 2 novembre71. Ce jour-là, tous les pauvres qui se présentent au monastère sont nourris par le doyen et le cellérier. Les restes du repas des frères sont distribués par l’aumônier72. De même, si les coutumiers restent la plupart du temps muets sur la présence du populus lors des solennités majeures du monastère, la mention de son absence lors des fêtes à douze leçons montre bien qu’il pouvait être présent à d’autres moments73.
26Ces cérémonies pour le populus montrent la volonté d’intégrer les laïcs lors des moments solennels qui structurent la communauté clunisienne. La procession des Rameaux a une valeur éminemment communautaire. Elle rappelle l’entrée du Christ à Jérusalem, point de départ de sa Passion, donnant elle-même naissance à la communauté régénérée des Chrétiens. Elle inscrit une continuité temporelle entre la communauté christique et celle de Cluny. Elle contribue à marquer les pôles de l’espace clunisois, en l’occurrence l’église abbatiale et l’église Saint-Maïeul. Elle rappelle la structure sociale de la communauté clunisoise, dirigée par les moines-anges qui déambulent, tout de blanc vêtus, en mettant en parole et en musique les mots sur lesquels repose leur place à part. Le populus doit écouter et suivre la parole monastique et, chaque année, la fête des Rameaux est l’occasion de le leur rappeler. De même, lors de la Saint-Pierre-et-Paul et le jour de la fête des défunts, ils peuvent participer au sacrifice eucharistique avec les moines, dans l’église abbatiale, et renouer ainsi leurs liens avec les saints apôtres, patrons de Cluny, et leurs ancêtres, pères défunts de la communauté présente.
La clameur
27La plus impressionnante des cérémonies pour rétablir la pax est sans doute la clameur. Elle réunit Dieu, les moines, les saints et le populus dans la défense contre l’ennemi. Elle utilise conjointement l’écrit, les injonctions verbales, le visuel par la mise en scène dramatique des saints, le son des cloches et des malédictions proférées, dans le but de restaurer l’unitas de la société clunisienne et la caritas entre ses membres. Le rituel de la clameur est décrit de trois manières dans les coutumiers clunisiens. Deux versions figurent dans le liber tramitis ; la troisième dans les coutumes de Bernard74. Ces trois versions ne sont pas contradictoires ; elles présentent les différents aspects du rituel. Il est donc possible de les présenter simultanément75.
28La clameur est une plainte destinée à faire cesser les exactions contre le monastère. Dans ce dessein, les moines jouent sur trois tableaux : ils présentent leur plainte à Dieu, sous la forme d’une prière, en l’enjoignant d’intercéder pour eux ; ils mettent les saints de la communauté devant leur responsabilité protectrice ; ils interpellent le peuple pour faire éventuellement pression sur les malfaiteurs et les contraindre à résipiscence. L’appel à Dieu et la mise au travail des saints sont précisément décrits dans le liber tramitis76. Le rituel prend place au cours de la messe dominicale, lorsque les circonstances le nécessitent, entre le Pater noster et le libera nos quaesumus Domine. Devant l’autel, le pavement de l’église est recouvert de tissu grossier (cilicium) sur lequel on dépose le crucifix, le texte des Évangiles et les reliques. Prosternés sur le sol, les clercs chantent à faible voix un psaume adapté à la circonstance, le psaume 74 (73), Ut quid Deus reppulisti in finem77. Pendant ce temps, les moines chargés de l’entretien de l’église (custos ecclesie) sonnent deux cloches. Ensuite, un prêtre (sacerdos), seul, se tient debout devant l’eucharistie nouvellement consacrée et les reliques des saints maintenues sur le sol. Il prononce alors à voix haute la clameur78.
29La clameur est une plainte en forme de prière79. Son texte n’est donc pas laissé à l’improvisation du prêtre. Il est consigné dans le coutumier et se retrouve presque à l’identique dans d’autres manuscrits non clunisiens80. La prière est adressée à Dieu, rédempteur du monde, dans une attitude de prostration. À cause de ses péchés, la communauté monastique a été affligée par les méfaits d’hommes iniques et orgueilleux. Ils se sont emparés des terres et des églises du sanctuaire de Dieu (terras huius sanctuarii tui) ; ils ont affamé et tourmenté les pauvres du Seigneur (pauperes tuos) ; ils ont dérobé les biens des moines, les privant ainsi des moyens de servir Dieu et d’assurer le salut des donateurs. La consolation ne peut donc venir que de Dieu. Lui seul connaît les malfaiteurs, leurs noms, leurs corps et leurs cœurs avant même leur naissance. Les moines implorent sa miséricorde81. À la fin de la clameur, les reliques des saints sont remises à leur place. Le prêtre chante à voix basse la collecte Libera nos quaesumus Domine.
30L’appel à Dieu et le dépôt des saints sur le sol devant l’autel ne constituent que l’aspect « monastique » de la clameur, entre Dieu, les saints et les moines. Cette partie du rituel est indissociable de son aspect « public ». Le liber tramitis et le coutumier de Bernard décrivent précisément son déroulement82. Les jours de clameur, le peuple est convoqué dans la grande église lors de la messe matutinale chantée devant le crucifix. Après la lecture de l’Évangile et la récitation du Credo, un moine (l’armarius selon le liber tramitis) monte en chaire et s’adresse au peuple pour leur annoncer les tribulations subies par le monastère83. À partir de là, les deux versions des coutumiers divergent. Selon le liber tramitis, un moine lit au peuple (plebs) les anathèmes et malédictions de l’Ancien et du Nouveau Testament encourues par les malfaiteurs et annonce les bénédictions des hommes prêts au repentir. Cette lecture terminée, on éteint les chandelles et sonne toutes les cloches. Les moines se prosternent à terre en chantant des psaumes, des chapitres et des collectes. Ils se relèvent ensuite, récitent l’offertoire et terminent la messe84. Bernard s’attarde davantage à l’allocution au peuple (populus). Après avoir énoncé les troubles subis par le monastère, le moine en chaire exhorte les laïcs à faire des aumônes et à prier Dieu pour qu’il contraigne les malfaiteurs à cesser leurs péchés et à transformer leurs méfaits en bienfaits. Le frère ajoute ensuite quelques paroles persuasives : « Vous savez que si nos revenus nous sont enlevés, nous ne pouvons plus vivre. Donc priez Dieu, frères, et adressons lui notre prière et notre clameur (rogatio et proclamatio) »85. Sur ces mots, le chœur entonne les répons Aspice domine et Congregati sunt inimici nostri et toutes les cloches sont sonnées. À la fin des répons, les cloches s’étant tues, les moines récitent trois psaumes adaptés à l’occasion : les psaumes 3 (Domine, quid multiplicatis : « Seigneur, que mes adversaires sont nombreux »), 46 (45) (Deus noster : « Dieu est pour nous un refuge et un fort ») et 123(122) (Ad te levavi : « J’ai levé les yeux vers toi »). Enfin, ils récitent plusieurs versets de l’Écriture relatifs aux troubles86.
31Dieu, les saints, les moines et le peuple. Telles sont les quatre composantes de la société clunisienne du XIe siècle, ici mises en scène dans le rituel de la clameur. À défaut de pouvoir prendre les armes, les moines exercent sur leurs opposants des pressions spirituelles et sociales. Pour les pressions spirituelles, ils sont les mieux placés. Cluny est un trésor de reliques et seuls les moines ont un accès direct aux corps des saints. Les moines eux-mêmes sont les intermédiaires privilégiés entre les saints et les hommes. Ils sont là pour recevoir les dons des hommes aux saints, pour les transformer en prières et en aumônes et ainsi assurer le salut des pécheurs. Dans leur bouche ou sous leur plume, la menace de malédiction ou d’anathème a du poids. La cérémonie de la clameur devait fortement impressionner et la mise en scène est là pour accroître la peur et conduire les hommes à résipiscence. Chaque personne de la communauté clunisienne est concernée, chacun doit faire pénitence pour obtenir le pardon de Dieu. Les saints sont descendus des autels et posés à même le sol, sur un tissu grossier. On considère généralement ce rituel comme une coercition ou une « humiliation des saints ». L’expression est sans doute mal choisie87. Les saints ne sont pas humiliés mais mis en face de leur devoir. La tâche du saint est de protéger et d’intercéder. Si des hommes ont molesté les moines c’est donc en partie parce que les saints n’ont pas fait leur travail. Comme les moines et le peuple, ils doivent s’efforcer de ramener la paix dans la communauté brisée par les infractions des ennemis. À eux maintenant de redescendre de leur piédestal, de se prosterner et de prier Dieu pour qu’il mette un terme aux calamités.
32Les moines font appel à Dieu dans une position d’humilité. Ils reconnaissent leurs péchés et implorent Dieu de leur pardon. Ils se prosternent au sol en chantant les psaumes et les collectes qui manifestent leur soumission à Dieu. Ils doivent, par leurs prières, encourager la réconciliation et l’avènement nouveau de la paix. Le peuple est appelé lui aussi à s’amender. Il doit prier et faire des aumônes. Il doit tout faire pour convaincre les malfaiteurs de cesser leurs exactions. Sa participation est une condition indispensable à la réussite de la clameur. À défaut d’être les responsables des méfaits incriminés, les laïcs présents dans l’église abbatiale sont leurs parents, leurs amis ou leurs fidèles. La dénonciation des maux et l’énonciation des malédictions en public jette une mauvaise fama sur les auteurs des troubles. En plus du terrible châtiment spirituel auquel ils seront soumis, ils encourent une exclusion sociale tout aussi dramatique. L’exhortation faite au peuple d’encourager la paix n’est pas un vain mot. Les hommes sont appelés à pousser leurs parents et amis malfaiteurs dans la voie de la réconciliation s’ils ne veulent pas subir la double exclusion de la communauté sociale et de la communauté des élus.
33Rituel de paix, la clameur est également un rituel de propagande qui contribue à faire croire, fonction essentielle de l’institution ecclésiale médiévale et, au XIe siècle, des moines noirs88. La clameur contribue à asseoir le pouvoir des moines par l’intimidation et la menace. Elle contribue également à renforcer les liens entre la communauté restreinte qui gravite autour de Cluny. Le populus convié à la clameur se compose des hommes (et des femmes ?) du bourg et de ses environs immédiats. Ceux sur qui les moines comptent avant tout sont, sans être nommés, les plus riches et les plus influents de ceux-ci, c’est-à-dire les milites. Ce sont eux qui possèdent des terres, des bâtiments d’exploitation, des hommes et des chevaux. Ce sont eux qui sont susceptibles de s’opposer le plus efficacement aux droits des moines. Ce sont eux également qui peuvent le mieux se dépouiller d’une partie de leurs biens pour racheter une vie dissolue ou une faute grave. Ce sont eux enfin qui peuvent le mieux faire pression les uns sur les autres parce que leurs liens de parenté, charnelle ou spirituelle, sont forts. La différence notable entre le liber tramitis et le coutumier de Bernard quant à l’intérêt porté à ce populus témoigne du poids croissant de ces hommes dans la société clunisoise à la fin du XIe siècle. Les moines doivent compter avec eux. Ils doivent tenter de les intégrer dans leur communauté ecclésiale idéale où chacun, moine, saint, membre du populus, a sa place et son rôle à tenir à l’égard de Dieu.
34D’autres monastères réformés connaissaient le rituel de la clameur (à Tours, Saint-Amand, Langres, Compiègne). Là, des témoignages attestent sa mise en pratique89. Ce n’est pas le cas à Cluny. Faut-il en déduire que la clameur n’est jamais sortie des coutumiers normatifs ? Sans doute pas. L’évolution du rituel entre 1030 et 1080 montre au contraire qu’il a été nécessaire de l’adapter, en fonction peut-être des échecs. Néanmoins, le mode le plus courant pour régler les conflits n’était pas cette gigantesque mise en scène, mais les plaids et leurs négociations préparatoires. Masqués eux aussi derrière la rhétorique des chartes et une mise en scène sinon grandiloquente du moins tout aussi soignée, ces règlements s’avèrent concrètement beaucoup plus triviaux.
III. NÉGOCIATION
Si quelqu’un enfreint sciemment [la loi du ban] en commettant l’un des [méfaits] interdits ci-dessus, et s’il ne s’amende pas par un dédommagement convenable après avoir été ajourné par l’abbé, le prieur, le chambrier ou le doyen du convent de Cluny, alors, quel qu’il soit, qu’il soit soumis à l’excommunication. Aussi, si certains d’entre vous sont appelés par l’abbé ou les frères pour agir contre un tel homme, qu’ils le corrigent et le pressent de s’amender. L’excommunié pour bris de ban sera absous lorsqu’il aura fait amende honorable. La loi du ban n’est pas instituée pour vous seuls qui êtes ici présents mais aussi pour tous les absents, vos fils et vos successeurs90.
35Telle est la norme, instituée par Urbain II le 25 octobre 1095. La pratique est rapportée par les chartes contemporaines. En voici trois, rédigées peu après le séjour du pape à Cluny.
36La première est celle d’Humbert de Sailly avec laquelle on a ouvert cette enquête. On l’a laissée en suspens depuis de nombreuses pages. Il est temps de la relire91. Humbert de Sailly est un miles qui possède des biens-fonds au nord-ouest de Cluny, près du château de Sigy et du village de Salornay, non loin des doyennés de Saint-Hyppolite, La Grange-Sercy et Bézornay. Au tout début du XIIe siècle, se préparant sans doute à partir pour la Terre sainte en compagnie d’autres milites du Mâconnais92, il met en gage auprès des moines de Cluny un manse et plusieurs terres qu’il possède dans la vallée de la Gande, tout près de Bézornay. Il reçoit cinq cents sous pour cela. Les terres en question seront désormais la propriété des moines jusqu’à ce qu’Humbert les rachète. Elles le seront perpétuellement s’il meure avant de les racheter. La transaction est conclue à Cluny, devant l’église Saint-Odilon, dans les mains du chambrier, Bernard Gros93, en présence de trois moines, Bérard Vert, Guillaume de Bézornay, Étienne de Jalogny. Les chartes contemporaines nous apprennent que ces trois moines sont des doyens clunisiens. Bérard Vert officie dans la Dombes, à Chaveyriat. Guillaume et Étienne, comme leur nom l’indique, sont respectivement les doyens de Bézornay et de Jalogny94. C’est un élément important qu’il faudra retenir.
37Trois témoins laïques sont cités. Ils se recrutent parmi les ministériaux et les serviteurs du convent : un prévôt prénommé André, un secrétaire, Jean et un famulus du chambrier, Garnier. Humbert de Sailly s’est également entouré de trois fidéjusseurs pour garantir sa transaction : Gérard le Vert, Pierre Ruils et Joceran de Vitry. Connus parmi les chevaliers aisés du Clunisois, vassaux des sires de Semur ou d’Uxelles, ils sont étroitement liés aux monastères de Cluny et de Marcigny auxquels, comme Humbert, ils aliènent une partie de leurs biens pour partir à la croisade ou, plus radicalement, pour prendre l’habit monastique (carte 37)95. En plus des biens mis en gage, Humbert de Sailly concède aux moines une rente annuelle de trois muids de vin, prélevée à Chérizet, et reçoit trois cents sous du chambrier de Cluny.
38Quelques années plus tard, sentant sa mort prochaine, Humbert de Sailly souhaite prendre l’habit monastique. Pour cela, il se rend à Lourdon en présence de l’abbé Hugues de Semur et donne définitivement aux moines les biens qu’il avait jadis mis en gage. Parmi les témoins, on compte notamment l’armarius de Cluny, le chambrier Bernard Gros et Artaud de Lourdon qui n’est autre que le doyen du lieu96. Les biens donnés par Humbert revenant à l’obédiencier de Bézornay, celui-ci doit promettre de verser chaque année à la chambre abbatiale, pour la Saint-Maïeul, vingt sous pris vraisemblablement sur les revenus des biens concédés.
39Après la mort d’Humbert, son fils, prénommé également Humbert, a voulu contredire la donation. « Pour apaiser la querelle et pour obtenir la paix » (pro pacenda querela et pro obtinenda pace), il a dû se rendre au plaid (placitum) convoqué par Bernard, ancien chambrier, désormais « prieur soucieux de la paix » (prior pacificus). Il a abandonné toute revendication sur les anciens biens paternels et a reçu de l’argent de la main du prieur. Parmi les témoins de cette dernière transaction, quatre moines sont cités : Bernard, frère du prieur, Engilbert des Pagnes, Boson et Fulcon et cinq laïcs, Artaud de la Bussière, le serviteur Humbaud, Étienne de Charolles, Dodon de Saint-Germain et Giraud, pelletier. Artaud de la Bussière est un autre familier des sires d’Uxelles97. Humbaud, Dodon de Saint-Germain, Giraud Pelletier et Etienne de Charolles sont des laïcs de rang inférieur sans doute serviteurs des moines.
40Cette charte résume sur un même parchemin trois transactions distantes de plusieurs années, mais concernant la même famille et les mêmes terres. Le déroulement des transactions est rapporté sous une forme brève qui souligne à chaque fois les mêmes éléments : les personnes présentes, les lieux de la négociation, le désir de conclure la paix, les échanges de terres et d’argent entre moines et laïcs. Ces éléments sont retenus parce qu’ils intéressent particulièrement la mémoire clunisienne. Il est donc important de comprendre leur signification.
41La communauté monastique est représentée par ses officiers. L’abbé bien sûr, mais aussi le prieur, le chambrier et les doyens. Parmi les laïcs, on remarque les pairs du donateur et les principaux auxiliaires des moines, serviteurs et prévôts, à qui ils délèguent une partie de l’administration de leur domaine ou la confection des tâches matérielles pour le besoin du convent.
42Trois négociations, trois lieux, trois lieux clunisiens : l’église Saint-Odilon de Cluny, le château de Lourdon, le monastère de Cluny. Pourquoi un tel choix pour négocier des affaires relatives à des chevaliers de Sailly, au sujet de terres du voisinage de Bézornay ? Et pourquoi de tels déplacements ? Les de Sailly viennent à Cluny et à Lourdon. Le chambrier quitte le convent pour se rendre à Lourdon aux côtés de l’abbé. Les doyens de Chaveyriat, de Jalogny et de Bézornay se rendent devant l’église Saint-Odilon de Cluny. Les milites du Clunisois quittent leur terre pour se rendre dans le monastère et se porter garant des transactions d’Humbert de Sailly (carte 37).
43Les échanges entre les moines et les de Sailly portent sur des terres et des sommes d’argent. Humbert de Sailly père met en gage ses terres et reçoit de l’argent en échange. C’est la logique même de la transaction. En revanche, on est davantage surpris de constater qu’Humbert, le fils, reçoit également de l’argent lorsqu’il abandonne ses revendications sur une donation perpétuelle faite par son père quelque temps plus tôt. Est-ce là le seul moyen d’atteindre la paix tant recherchée par le prior pacificus Bernard Gros ?
44Ces questions en tête, poursuivons l’enquête en examinant deux autres chartes contemporaines, parmi les plus détaillées de celles qui rappellent des règlements de conflits entre moines et laïcs au seuil du XIIe siècle.
45Une charte rédigée au début de l’année 1105 rapporte les différentes étapes du règlement d’un conflit entre les moines et Lambert Deschaux, sire de La Bussière98. Rédigée au style indirect comme celle d’Humbert de Sailly, elle débute par l’invocation du Seigneur et la notification à tous, présents et futurs, des injustices (injuriae, calumniae) commises par Lambert Deschaux et ses fils à l’encontre des « hommes de saint Pierre ». Après de nombreuses tractations orales, le sire de La Bussière a consenti à se rendre à Cluny avec son fils Hugues et plusieurs de ses milites. Là, s’est tenu un plaid au cours duquel il s’est accordé avec le prieur, Bernard Gros, et le doyen de Cluny, Jarente, au sujet de ses injustices.
46Les homines Sancti Petri sur lesquels Lambert Deschaux a injustement exercé son pouvoir (calumpniabatur) sont des hommes, des femmes et des enfants dépendant des obédiences de Berzé-la-Ville, de Péronne, de Saint-Hyppolite, de Lourdon et de Chevignes. Au cours du plaid final (ultimo placito), Deschaux abandonne (werpivit) toutes les injustices (calumniae) qu’il exerçait sur ces hommes. Il renonce de même à tous les droits qu’il détenait ou revendiquait pour les concéder à Dieu et à saint Pierre à Cluny. Il en fait le serment en compagnie de son fils dans les mains de l’abbé Hugues, du prieur et du doyen de Cluny, avant de promettre la confirmation prochaine de sa femme, Gertrude, et de ses fils, Guigues et Guy. Pour renforcer l’accord, Lambert reçoit cent sous du chambrier de Cluny ; l’abbé Hugues reçoit son jeune fils Bernard comme oblat. Tous les descendants de Lambert, présents et futurs, sont mis en garde contre un renouvellement des injustices. Dieu Tout-Puissant éloignera de lui la descendance de celui qui commettra sciemment une telle infraction et saint Pierre, « porte-clefs du royaume des cieux », l’abandonnera jusqu’à ce qu’il vienne s’amender auprès du monastère de Cluny (locus Cluniacensem) et des frères qui servent Dieu en ce lieu. Quatre témoins sont cités : Hugues, miles de Germolles, Achard de Perderia, Guichard de la Roche et Durand, prêtre de Matour99. Ils sont originaires de la région de La Bussière. Sans doute comptent-ils parmi les vassaux de Lambert Deschaux.
47La deuxième étape du plaid se déroule à La Bussière en présence des deux fils du châtelain et de sa femme qui n’étaient pas présents à Cluny. Ils confirment l’accord dans les mains du moine Guillaume, doyen de Mazille, et de Roger, doyen d’Écussoles, tous deux établis non loin du château de La Bussière. Achard de Perderia et Guichard de la Roche, déjà présents à Cluny, comptent de nouveau parmi les témoins. Ils assistent au règlement et en entendent les termes (audientibus et testantibus) en compagnie d’un certain Hugues Geoffroy et de plusieurs autres non nommés.
48La charte a ensuite été dictée et rédigée pour être lue à Lambert Deschaux lors d’une troisième entrevue, à Cluny. Le châtelain l’a confirmée, l’a déposée dans les mains de l’abbé Hugues, en présence de son fils aîné, Hugues, de Bernard de Montagny et Hugues Geoffroy, deux de ses proches, et de son plus jeune fils Bernard, désormais moine. Cela a été fait « l’an de l’incarnation du Seigneur 1105, indiction XIII, Pascal II présidant l’Église romaine, Philippe tenant le royaume des Francs, Bérard gouvernant l’église de Mâcon, soit la cinquante-sixième année de l’ordination de l’abbé Hugues ».
49La négociation s’est faite en plusieurs étapes. De nombreuses discussions (multas ventilationes) ont été nécessaires avant de réunir le « plaid final » qui se tient à Cluny, avant d’être confirmé à La Bussière puis de nouveau à Cluny. On observe des déplacements semblables à ceux du règlement d’Humbert de Sailly et le rôle, toujours essentiel, de l’abbé et de ses officiers : le chambrier et les doyens. Les différents modes de négociation apparaissent plus nettement que dans la précédente charte. On remarque qu’ils sont complexes. Les serments dans les mains des moines et les menaces proférées contre les violateurs font partie de la mise en scène. Ils rendent la transaction plus solennelle et rappellent la soumission nécessaire à Dieu, à saint Pierre et aux moines. Les tractations orales qui précèdent le plaid et le versement de cent sous par le chambrier à Lambert Deschaux montrent la mise en œuvre concrète de l’accord. La rédaction de la charte, sa lecture publique et son approbation officialisent et instituent le traité pour en garantir la durée.
50Deux ans plus tard se déroule un plaid entre des hommes de Laizé et les moines de Cluny100. Contrairement aux deux précédentes, la charte est rédigée au style direct, comme si elle rapportait les propos des laïcs. Les premiers mots du texte soulignent le devoir, « décrété par les Pères », de faire rédiger un « testament authentique » lorsqu’un homme, pour le salut de son âme, fait un don aux lieux saints ou abandonne spontanément une injustice à l’encontre d’une église. Ce devoir justifie la volonté de Bernard Benoît, de ses deux fils, Jean et Gauthier, d’Achard et du clerc Girbaud d’avoir « fait écrire et transmettre pour la mémoire » les étapes du règlement qu’ils ont conclu avec les moines.
51En discorde (discordia) avec eux à cause de terres et d’autres biens qu’ils leur avaient injustement enlevés, ils se sont rendus au plaid (placitum) à Laizé en présence du cellérier et du doyen de ce lieu. Là, ils ont abandonné leur injustice (calumpnia). Quelque temps plus tard, ils ont confirmé leur déguerpissement (werpitio) dans le chapitre de Cluny. Mais la concorde (concordia) n’a pas duré. « Comme le chien retourne à son vomi », Benoît et les autres sont retombés dans leur péché (peccatum) en s’emparant notamment d’un moulin et de vaches appartenant aux moines. Demandant qu’on leur rende justice, les religieux se sont tournés vers l’évêque de Mâcon. Les deux parties se sont alors rendues dans la cité épiscopale, chacune avec un groupe de personnes prêtes à se tenir otages pour se soumettre au jugement (judicium) d’un agent de l’évêque, Archambaud Nigel. Les otages présentés par les moines ont été relâchés tandis que ceux présentés par les laïcs ont été remis entre les mains des moines jusqu’à ce que Bernard Benoît et les siens se soumettent à leur jugement (judicium) et abandonnent leur injustice (calumnia).
52Les laïcs ont donc de nouveau pris le chemin de Laizé pour se réunir avec plusieurs officiers monastiques : dom Léger, troisième prieur de Cluny (prior tercius)101, Jarente, cellérier, Artaud, doyen de Beaumont, Hugues, doyen de Péronne, Hugues, doyen de Laizé et Bérard Vert, doyen de Chaveyriat. Des milites amis des calomniateurs étaient également présents comme Geoffroy de Clessé, Bernard de Blany et ses frères, Ulrich et Hugues102. Bernard Benoît et ses amis ont promis d’abandonner les injustices. Ils ont confirmé leur déguerpissement (vuerpitio) en prêtant serment sur l’autel Saint-Sulpice dans l’église de Laizé, chef-lieu du doyenné. Pour rendre plus fort et durable l’accord (concordia et placitum) et le serment (sacramentum), ils ont donné des fidéjusseurs. Tous comptent parmi leurs pairs et sont originaires des environs de Laizé : Geoffroy de Clessé, Bernard de Blany et ses deux frères, Gaubert de Verchizeuil, Durand de Verzé et son fils Garin.
53La cinquième et dernière étape du règlement s’est déroulée à Cluny le 22 février, jour de la Chaire de saint Pierre. Bernard Benoît et les siens se sont présentés dans la salle du chapitre au moment de la réunion conventuelle présidée par le prieur Léger. Là, en présence de tous les frères, ils ont confirmé leur déguerpissement et les termes de l’accord conclu à Laizé. En échange, le prieur a absous les laïcs et leur a concédé la participation aux bienfaits spirituels de la communauté monastique. Tous ceux qui enfreindront la concorde devront payer aux moines une livre d’or et seront privés du règne éternel.
54La charte a été rédigée au moment où le pape Pascal II était à Cluny, en février 1107, l’abbé Hugues dirigeant l’abbaye, le roi Philippe régnant en Francie et Bérard administrant l’église de Mâcon.
55La répétition des négociations est frappante. Il ne faut pas moins de trois plaids et deux confirmations pour que l’accord soit définitivement conclu entre les moines et les hommes de Laizé. Les mêmes cérémonies, les mêmes promesses et les mêmes mots sont prononcés lors de chaque étape. La charte qui scelle le règlement final les répète de nombreuses fois : calumpnia, placitum, werpitio, concordia. Comme les deux chartes précédentes, elle insiste sur les lieux de la négociation (Laizé, le chapitre de Cluny, Mâcon puis de nouveau Laizé et le chapitre de Cluny) et sur les hommes qui se déplacent de lieu en lieu : les cinq laïcs calomniateurs, le prieur et les doyens, les amis des laïcs, témoins, otages ou fidéjusseurs. Le temps aussi est important. La durée qui sépare chaque négociation de la précédente est signifiée par un adverbe (deinde, postea) et la date de la dernière étape est clairement soulignée, sans doute parce qu’elle correspond à une fête clunisienne importante. Enfin, le ton du discours ne laisse pas indifférent. Si le style direct semble faire parler les laïcs, on voit bien que les mots ne sont pas les leurs, mais ceux qu’on leur prête ou qu’on leur a fait prononcer. La justification du recours à l’écrit par le décret des Pères et la comparaison entre le chien qui retourne à son vomi et les laïcs qui retombent dans le péché est la rhétorique de l’Église, non celle des voleurs de vaches et des pilleurs de moulin.
56La lecture de ces trois chartes présente un faisceau d’éléments qu’il importe d’analyser conjointement avec les documents contemporains de même nature. Il s’agit d’étudier l’organisation des rapports sociaux dans les cercles de la domination clunisienne et autour des « lieux clunisiens », en observant notamment les articulations entre les documents normatifs et les règlements concrets avec les laïcs. C’est une question difficile tant - encore une fois - la société que l’on tente d’appréhender n’est perceptible que par le biais du prisme monastique. Les chartes, seules sources sur lesquelles on peut s’appuyer pour tenter de saisir les « applications concrètes » des normes sont rédigées par les moines. Elles codifient les règlements des conflits plus qu’elles n’en dressent un rapport « objectif ». Elles les noient derrière une rhétorique qui tient de la propagande et de la mise en scène.
57On se concentrera essentiellement sur la période 1050-1120, soit les abbatiats d’Hugues de Semur et de Pons de Melgueil. Le début de l’abbatiat d’Hugues est choisi pour plusieurs raisons. L’étude approfondie de Barbara Rosenwein sur les werpitiones s’arrête en 1049. Georges Duby a envisagé la période comprise entre le milieu du Xe et le début du XIIe siècle, mais il n’a pas pris Cluny comme objet d’étude principal et il a négligé le rôle des doyens et des doyennés au cours des négociations103. Le terme de 1120 est aisé à définir. Après cette date, les chartes de déguerpissements relatifs à la proche banlieue du monastère sont en quantité négligeable104. Un renouveau se fait jour à partir des années 1220-1230, mais les conflits sont alors conclus devant des juridictions gracieuses. C’est un tout autre système.
58Parmi l’ensemble des chartes de la période considérée, j’ai effectué un double choix. Ont d’abord été écartés tous les documents qui ne concernent pas la région de Cluny, c’est-à-dire approximativement l’espace délimité par les zones sans château et sans péage. D’autre part, je n’ai sélectionné que les chartes qui mentionnent explicitement une négociation faisant suite à une transgression. Ce choix est quelque peu arbitraire dans la mesure où de nombreuses donations masquent une ancienne usurpation. Elles peuvent donc presque toutes être considérées comme des témoignages des règlements de la paix entre moines et laïcs. Cependant, en se limitant aux actes où la werpitio est explicitement mentionnée et à ceux où la donation est clairement une emendatio, on saisit mieux la conception monastique de la paix et les moyens mis en œuvre pour l’obtenir parce que dans ces documents-là, on insiste sur les termes, les temps et les acteurs des négociations. Ces restrictions faites, quatre-vingt-cinq chartes ont été retenues105. La sélection n’est sans doute pas exhaustive et souffre d’un problème majeur déjà souligné : les datations. Si les chartes de l’abbatiat de Pons sont généralement bien datées, très peu le sont pour l’abbatiat d’Hugues. Un très grand nombre d’actes ne comporte aucune indication chronologique et seuls les noms de personnes permettent de poser des hypothèses. Les fourchettes chronologiques proposées par les éditeurs du Recueil des chartes de Cluny ne sont pas exemptes d’erreurs. Les rectifications du chanoine Chaume s’arrêtent vers 1060. Ce tableau méritera donc d’être précisé lors de la publication des index et des nouvelles datations des chartes de l’abbatiat d’Hugues106.
Les mots de la transgression et de la réconciliation
59Les conflits rapportés dans les chartes concernent l’appropriation d’un bien clunisien (terre, serf, moulin, église) par un tiers, la levée de « mauvaises coutumes » comme le droit de gîte ou un péage sur les hommes se rendant à Cluny107. Le vocabulaire employé pour qualifier ces mauvaises actions est très varié : calumpnia, depredatio, discordia, exactio, forfactura, infestatio, iniquitas, injuria, invasio, malefactum, peccatum, querela, querimonia, tortura. Ces termes placent le délit sur quatre registres.
60Depredatio, exactio et invasio insistent sur le vol ou la prise violente des biens qui appartiennent aux moines. Ce sont des termes assez rarement employés108. Beaucoup plus fréquents en revanche sont les termes qui insistent sur l’injuste revendication d’un bien ou d’un droit. S’en prendre aux moulins, aux vaches ou aux hommes de la terre clunisienne est commettre une injustice, caractérisée par les termes calumpnia, forfactura, injuria, iniquitas, malefactum, querimonia et tortura109. Ces termes placent les méfaits dans le domaine du délit et non du crime. Le mot crimen est absent des chartes de l’époque considérée, y compris lorsqu’un meurtre a été commis. On parle alors d’une « personne qui a été tuée » et si l’on veut caractériser son « crime », on utilise les termes maleficium ou homicidium110.
61La transgression du jus de Cluny est aussi et surtout une atteinte à l’unité rêvée et sans brèche de l’Église clunisienne. Le terme querela, le plus fréquemment employé, l’indique, et plus encore le mot discordia qui insiste sur l’entente brisée entre les membres de la communauté idéale111. Enfin, le dernier registre est celui du péché, caractérisé par les termes peccatum et infestatio dont on a déjà vu l’importance dans les privilèges pontificaux ou dans la charte de Pierre d’Albano112. S’en prendre aux propriétés et aux droits des moines est une offense à Dieu et à saint Pierre, véritable propriétaire des terres. Il ne s’agit donc pas simplement d’un vol ou d’un délit, mais d’une transgression de la loi divine qui institue l’inviolabilité des biens d’Église. Aussi, est-il moins important de distinguer chacun de ces termes et de rechercher leur sens particulier que de comprendre leurs liens dans une société où la justicia est tout autant la justice terrestre que la justice divine qui se manifestera le jour du Jugement. Les deux notions sont étroitement liées et les deux mondes se compénètrent.
62Les mots employés pour qualifier les négociations sont les suivants : werpitio, placitum, convenientia, conventio, concordia, pactum, sacramentum et pax113.
63Werpitio indique le dessaisissement volontaire d’un bien au profit de Cluny, que le bien en question ait été anciennement possédé par les moines (il s’agit alors d’une restitution) ou non (la werpitio est alors semblable à une donation). Les mots pax et concordia mettent en évidence le but attendu de la négociation : la restauration de la concorde. Ces deux termes sont courants dans le vocabulaire monastique des XIe et XIIe siècles. Souvent employés conjointement aux mots religio ou unitas, ils qualifient l’unité idéale de l’Église et par conséquent de la société terrestre, son prolongement114. Au péché, à l’injustice et à la discorde apportés par la transgression doit succéder la paix établie par la négociation.
64Placitum, conventio, convenientia, pactum et sacramentum indiquent le mode de règlement. Le mot placitum (ou placitus), issu du vocabulaire carolingien, désigne une assemblée d’hommes libres présidée par une ou plusieurs personnes recrutées parmi les puissants de la contrée. Le terme n’est pas réservé à la seule cour judiciaire du roi ou de ses principaux agents. Il qualifie toute assemblée de conciliation115. L’étymologie (placitus : il a plu) témoigne de son aspect volontaire et non contraignant. La négociation et le compromis qui caractérisent les plaids sont exprimés par les mots conventio, convenientia et pactum. Sauf cas exceptionnel, les assemblées judiciaires ne prononcent pas des sentences ou des jugements116. Elles débouchent sur un pacte entre les deux parties qui tend à ménager les intérêts de chacun et à renforcer leur amitié. La paix est assurée par le serment des contractants (sacramentum). Ils s’engagent mutuellement et envers Dieu à respecter les termes de l’accord.
65S’il peut être utile de discerner le sens particulier de chaque terme, leur utilisation conjointe est d’autant plus riche d’enseignement. Dans une même charte, la négociation est qualifiée de plusieurs manières différentes. Les mots sont parfois employés l’un pour l’autre et fréquemment associés dans des expressions telles que pax et concordia, placiti convenientia, concordia et placitum, werpitio sive concordia117. En effet, tous ces éléments vont de pair. Les conflits sont réglés par des assemblées auxquelles se rendent volontairement les parties en litige (placitum). Le but des conventions est moins d’émettre une sentence définitive que de restaurer la paix brisée par l’usurpation d’un bien d’Église (pax, concordia). Par conséquent, la restitution (werpitio) s’impose. Elle doit déboucher sur un pacte (pactum, convenientia) entre les deux parties dont le serment (sacramentum) garantit l’exécution.
Déroulement
66Les plaids se déroulent généralement en plusieurs étapes présentées dans les chartes les plus détaillées, vers 1100118. La première étape est la plainte (clamor, proclamatio). Elle est portée par un représentant de la communauté monastique auprès de l’abbé ou d’un puissant de la région personnellement impliqué ou lié au malfaiteur. Les moines chargés de veiller sur le temporel (les doyens, le chambrier ou le cellérier) sont particulièrement bien placés pour connaître les délits et en faire part aux autorités compétentes. Ce sont eux qui portent généralement les plaintes119. La personne incriminée est avertie que son attitude est contraire aux prérogatives des moines et doit être changée.
67S’ensuivent alors des discussions et des tractations qui peuvent être longues et animées. Elles visent à préparer le compromis. Lorsqu’elles sont achevées, les deux parties consentent à se soumettre au plaid et à ses cérémonies120. Les chartes insistent surtout sur la soumission de l’usurpateur qui, après les plaintes, les admonestations des moines et les discussions, consent à reconnaître ses péchés et à se soumettre à l’arbitrage de ses pairs121. Le placitum s’ouvre alors. L’usurpateur abandonne ses mauvaises actions et fait le serment de ne plus molester les moines. Il reçoit généralement des contreparties matérielles et spirituelles. Il doit ensuite promettre de respecter les termes du compromis, confirmer son déguerpissement et souvent le faire confirmer par ses proches122.
68À la suite de quoi la charte est dictée et rédigée. Les moines comme les laïcs en sont fort soucieux. Le document écrit constitue un gage important pour assurer la bonne exécution de l’accord, même si l’équilibre ainsi établi est souvent provisoire123. Une fois rédigée, la charte est lue à voix haute, approuvée par les deux parties et posée sur l’autel ou dans les mains de l’abbé124. Enfin, elle est conservée dans le chartrier abbatial et généralement copiée dans le cartulaire. Cette dernière étape peut intervenir longtemps après la transaction, mais elle fait partie intégrante du processus de paix125.
Arbitres
69Au XIe et XIIe siècles, il n’existe pas de juge attitré pour régler les différends des moines avec les briseurs de la paix ou les usurpateurs de la propriété clunisienne. Il n’existe d’ailleurs pas de juge du tout, mais uniquement des arbitres chargés d’entendre les deux parties en litige, d’administrer éventuellement une amende et de régler les termes du compromis de manière à satisfaire les deux parties pour mieux sauvegarder la paix future. L’arbitrage est rarement le fait d’une seule personne, mais d’un groupe représentatif de la communauté monastique et/ou de l’aristocratie locale appelée ainsi à veiller au bon exercice de la paix conclue.
70Dans les limites du ban sacré, la lex banni enjoint l’abbé, le prieur, le chambrier et le doyen de Cluny de porter les plaintes, d’entendre les malfaiteurs et de les contraindre à résipiscence. Quelques chartes rappellent cette norme et plusieurs règlements montrent leur application réelle126. Hors de la zone délimitée par Urbain II, ce sont majoritairement les doyens qui négocient avec les malfaiteurs127. Ils peuvent agir seuls, mais assez fréquemment ils dirigent les plaids en compagnie du prieur, de l’abbé ou du chambrier de Cluny. Des groupes de doyens se déplacent pour présider ensemble une assemblée judiciaire. Ainsi, vers 1090, Geoffroy de Cluny, miles établi dans le bourg abbatial, abandonne ses revendications sur deux serfs dans le jardin adjacent à l’église de Jalogny, en présence des quatre doyens les plus proches, ceux de Cluny, de Jalogny, de Lourdon et de Mazille128. En 1104, des chevaliers de Brancion et de Sennecey cessent de revendiquer comme leurs serfs des hommes jadis donnés à Cluny. Le plaid est réuni alternativement dans les châteaux de Brancion et de Sennecey, en présence des doyens de Cluny, de Lourdon et de Jalogny qui reçoivent dans leurs mains les serments des chevaliers usurpateurs129. Le second plaid de Laizé évoqué tout à l’heure est présidé par le doyen du lieu et le cellérier de Cluny. De même, le déguerpissement de Lambert Deschaux est prononcé dans le monastère devant le chambrier et le doyen de Cluny, puis confirmé dans le château de La Bussière en présence des deux doyens voisins de Mazille et d’Écussoles130.
71On pourrait multiplier les exemples. Ils concordent pour distinguer l’abbé, le prieur, le chambrier et les doyens comme responsables du règlement des conflits. Ils portent les plaintes, convoquent les parties, négocient avec eux131, reçoivent leur serment dans leurs mains132, dans le monastère ou dans les chefs-lieux des doyennés répartis autour de Cluny. En de rares occasions, ils peuvent mandater un messager pour porter plainte ou convoquer le plaid133, mais leur présence est toujours indispensable lors de la négociation.
72Les litiges peuvent être arbitrés par une personne extérieure à la communauté monastique si elle est liée personnellement aux malfaiteurs ou si le bien contesté est placé sous sa sauvegarde. Les comtes de Mâcon ou de Chalon sont ainsi parfois sollicités134. Dans des cas litigieux, les moines se tournent également vers les autorités ecclésiastiques susceptibles de faire pression sur les malfaiteurs. C’est le cas de l’évêque de Mâcon sollicité en 1107 pour contraindre les hommes de Laizé à se présenter de nouveau devant le plaid abbatial après être « retombés dans leur péché comme un chien retourne à son vomi »135. La voie conciliaire en présence des évêques de la région ou la sollicitation d’un légat pontifical sont d’autres moyens plus spectaculaires auxquels les moines ont recours lorsque leurs droits fondamentaux sont menacés. Ce fut le cas en 1063 et en 1080 lorsque l’évêque de Mâcon s’en est pris à l’exemption des moines. Pierre Damien puis Pierre d’Albano sont venus régler le conflit. Ce fut de nouveau le cas en 1102 lorsque le sire de Semur Geoffroy IV a enfreint l’immunité du monastère de Marcigny. Le cardinal Milon de Préneste, légat de Pascal II, est alors en France. L’abbé Hugues sollicite son intervention pour présider le plaid qui se tient à Montmain136. L’année suivante, toujours sous la présidence de Milon de Préneste, un plaid est réuni à Mazille avec l’évêque d’Autun accusé de prendre les revenus de certaines églises clunisiennes établies dans son diocèse137. Cinq ans plus tard, en février 1108, l’abbé Hugues profite du passage dans la région du légat Richard d’Albano pour réunir en sa présence un plaid dans le château de Lourdon. Là, après de longues concertations (post longam concertationem), les moines de Cluny restaurent enfin la pax et concordia avec les moines de Tournus, brisée depuis plus de dix ans pour des contestations de terres situées entre les deux abbayes (Péronne, Laizé, Donzy-le-Pertuis, Prayes, Lys, Domange, etc.)138.
73La communauté monastique n’est donc pas toujours apte à régler elle-même les conflits difficiles. Les menaces et les négociations ne suffisent pas et le recours à une autorité extérieure est un secours utile. On note cependant que ces interventions ne se font qu’à l’appel des moines et ne se tournent qu’exceptionnellement vers des autorités laïques, les comtes en l’occurrence, et jamais vers les rois. Cluny est bien loin du domaine royal de Philippe Ier et de Louis VI. C’est un élément essentiel de sa situation particulière qui lui permet, encore pour quelques décennies, d’échapper à l’invasion progressive des chevauchées, de l’arbitrage et de la justice royale.
Lieux
74Pas plus qu’il n’existe de juge unique, il n’existe de lieu unique pour la tenue des plaids. La nature du bien en litige, le lieu de résidence des accusés et la qualité des arbitres sont des facteurs déterminants pour définir l’endroit de la négociation. Les assemblées peuvent se tenir en plein air, sur la terre en litige ou à l’ombre d’une église, comme à Jalogny où l’on se réunit dans le jardin adjacent où reposent vraisemblablement des morts139. Les résidences des seigneurs en conflit avec Cluny peuvent accueillir un plaid ou la confirmation d’un déguerpissement conclu quelque temps plus tôt dans le monastère. Le cas est attesté, on l’a vu, pour les châteaux de La Bussière, Brancion et Sennecey140. La maison d’un des protagonistes peut également accueillir la première étape d’un plaid qui se termine ensuite dans le monastère141. Lorsque, dans de rares cas, le comte ou l’évêque de Mâcon est sollicité pour arbitrer le litige, l’assemblée se tient dans leur cour de justice142. Cependant, au regard de l’ensemble des négociations, de tels cas demeurent marginaux et les plaids se déroulent avant tout dans des lieux clunisiens.
75Le premier, bien sûr, est le monastère, lieu central vers lequel les hommes convergent pour restaurer la pax et concordia. S’il est impossible de localiser avec exactitude les négociations conclues « à Cluny » (apud Cluniacum), l’absence de précision indique vraisemblablement qu’elles se sont tenues dans le monastère143. L’église abbatiale, le cimetière et la celle des novices sont attestés chacun une fois comme lieu de négociation. Rien n’est dit malheureusement de la nature du cimetière : monastique ou « cimetière des laïcs »144.
76Le lieu le plus fréquemment cité est la salle du chapitre, lieu par excellence où les conflits se terminent145. La négociation est notamment confirmée dans le chapitre si l’affaire est grave ou si l’accusé est un membre éminent de l’aristocratie locale tel un Bernard Gros d’Uxelles ou un Humbert de Bourbon. La présence de tous les frères est parfois soulignée. Les hommes de Laizé doivent par exemple se présenter lors de la réunion conventuelle, le jour de la Chaire de saint Pierre, pour terminer le conflit qui les oppose depuis si longtemps aux moines.
77Un autre lieu mérite d’être signalé même s’il n’est cité qu’une seule fois. En 1093, le prévôt de Berzé-la-Ville vient prêter serment à l’abbé après avoir commis de nombreuses exactions contre des dépendants de Cluny146. La cérémonie se déroule dans une tour du monastère. Son emplacement n’est pas précisé. Peut-être s’agit-il d’une des deux tours qui flanquaient la façade de l’église abbatiale (Cluny II) ou de celle qui se trouvait à l’extrémité du bras nord du transept147. On sait qu’à la fin du Moyen Age, le siège de la justice abbatiale se trouvait dans la tour sud qui flanquait le portail principal de l’église abbatiale (Cluny III), tour plus connue sous son surnom de « baraban sud ». Peut-être a-t-on là dès la fin du XIe siècle une trace de cette pratique de rendre la justice de saint Pierre en hauteur, entre terre et ciel, dans un lieu situé à l’entrée du monastère, entre-deux où se mêlent le monde des moines et celui des laïcs.
78Hors de la clôture, les moines rencontrent leurs adversaires dans le chef-lieu d’un doyenné, un ermitage, ou l’une de leurs églises. Les doyennés de Berzé, Jalogny, Laizé, Lourdon et Mazille et l’ermitage de Montmain accueillent ainsi des assemblées judiciaires sous les abbatiats d’Hugues et de Pons148. Les raisons d’un tel choix sont parfois les mêmes qui motivent la tenue des assemblées dans un château laïque : la proximité du bien en litige ou la situation à mi-chemin entre les lieux de résidence des deux parties. Mais ce n’est pas le cas général. En 1102, l’abbé Hugues et le sire de Semur, Geoffroy IV, s’accordent sur le respect de l’immunité du monastère de Marcigny à Montmain149. Montmain n’est pas situé entre Cluny et Semur et les sires du Brionnais ne possèdent aucun bien sur ce col. L’année suivante, l’abbé résout son différend avec Norgaud, évêque d’Autun, à Mazille, tout près de Cluny et loin des églises contestées par l’évêque150. Vers 1103, Humbert de Châtillon-sur-Chalaronne, en Dombes, se rend à Berzé-la-Ville, entre Cluny et Mâcon, pour résoudre avec l’abbé Hugues ses différends au sujet des biens dépendant de Chaveyriat, en Dombes également151. Vers 1105, on a vu que la mise en gage d’Humbert de Sailly était conclue devant l’église Saint-Odilon de Cluny, pour des terres situées à Bézornay. En 1108, Geoffroy de Bonant se rend à Jalogny pour régler le partage de ses droits avec Cluny sur l’obédience d’Ouilly, située à proximité du doyenné d’Écussoles et non loin de celui de Mazille152.
79Pour expliquer le choix de ces lieux, il est possible d’avancer deux hypothèses. D’une part, il s’agit simplement de se rendre auprès de l’abbé, là où il se trouve. Les exemples mentionnés se situent tous dans les premières années du XIIe siècle, c’est-à-dire à la fin de l’abbatiat d’Hugues lorsque le vieil abbé, âgé de plus de soixante-dix ans, ne se déplace plus guère que dans un périmètre fort restreint. Il ne visite plus les monastères de la congrégation comme il en avait l’habitude, mais se déplace régulièrement vers des lieux proches pour se reposer ou se recueillir. Berzé est bien connu pour cela. Montmain l’est moins, mais le cas est attesté153. Mazille, Lourdon et Jalogny, les trois doyennés les plus proches de Cluny, ont peut-être aussi joué ce rôle. D’autre part, les plaids contribuent à valoriser les centres des doyennés comme des lieux de pouvoir et de réconciliation qui sont autant de relais de la domination clunisienne sur la région. Vers ces lieux, les hommes convergent pour verser une part de leur récolte, pour servir les moines, éventuellement pour le culte lorsque l’église du doyenné est paroissiale et occasionnellement pour recevoir l’hospitalité. Ils viennent également négocier la paix. Les déplacements réguliers des hommes de la terre clunisienne vers les doyennés contribuent fortement à faire de ces lieux les pôles de la région et les points essentiels du pouvoir, concurrençant les châteaux des seigneurs laïques dont ils prennent, pour certains, les mêmes apparences (les doyennés fortifiés).
80Les hommes soumis à la domination abbatiale ne sont pas les seuls à se déplacer régulièrement vers les doyennés. L’abbé lui-même séjourne régulièrement dans ces loca périphériques. Là, il peut recevoir une donation, un déguerpissement ou la conversion à la vie monastique d’un laïc154. Les officiers monastiques chargés du temporel se déplacent également beaucoup. Le prieur, le chambrier, le cellérier et le doyen de Cluny qui résident habituellement dans le monastère se rendent dans les doyennés lors des plaids ; les doyens eux-mêmes quittent leur lieu de résidence habituelle pour se rendre dans un doyenné voisin ou parfois très éloigné. Le doyen de Chaveyriat est à Cluny vers 1105 pour la mise en gage d’Humbert de Sailly. Il est à Laizé deux ans plus tard pour le plaid de Bernard Benoît et de ses amis. À ses côtés se trouvent les doyens de Laizé et de Péronne, des voisins, mais aussi celui de Beaumont-sur-Grosne, lieu situé à plus de trente kilomètres au nord (cartes 37 et 39). Ces déplacements des officiers monastiques contribuent à renforcer la cohésion du système seigneurial clunisien. Les loca ne sont pas des centres isolés à partir desquels quelques moines administrent les terres, mais les points d’un vaste réseau sur lequel s’appuie la domination centrifuge de Cluny.
81Un autre type de déplacement témoigne également de l’organisation de cette structure. Il s’agit de la pratique, plusieurs fois remarquée, de conclure un plaid d’abord à l’emplacement du bien contesté, dans un château ou dans un doyenné puis de le terminer à Cluny, notamment dans la salle du chapitre ou sur l’autel de saint Pierre155. C’est une manière de rappeler la hiérarchie entre les lieux extérieurs et les lieux clunisiens et, parmi les lieux clunisiens, entre la périphérie et le centre. C’est également un moyen de renforcer la cohésion du corps social en marquant par ces stations les pôles de son espace de référence.
82En outre, il semble que certains doyens soient respectivement chargés de l’administration d’un doyenné puis d’un autre, voire de plusieurs en même temps. Les données pour soutenir cette hypothèse sont ténues et ne pourront être précisées qu’à la suite d’une révision complète des datations des chartes de l’abbatiat d’Hugues et d’une enquête prosopographique sur les noms des moines cités dans ces chartes. Pour l’heure, on peut déjà constater des similitudes troublantes entre les prénoms des doyens. Le doyen de Lourdon se prénomme Artaud dans les dernières années du XIe siècle ; en 1107, le doyen de Beaumont porte le même prénom156. Entre 1080 et 1105, on trouve un Guillaume (Willelmus) doyen à Lourdon, à Cluny, à Mazille et à Bézornay. Serait-ce le même personnage157 ? En 1107, le doyen de Bézornay se prénomme Robert. Entre 1109 et 1118, un (autre ?) Robert administre le doyenné de Laizé158. Le doyen de Cluny se prénomme Louis en 1103-1104, comme celui de Chevignes l’année suivante159. Entre 1090 et 1105 environ, on trouve un Stephanus decanus à Chevignes, à Jalogny et à Cluny160. Ces coïncidences laissent présager l’existence d’un mouvement interne au sein du groupe des doyens clunisiens, mouvement qui fait de ces moines les spécialistes de l’administration domaniale clunisienne, dévoués davantage à la cause générale, la défense de la paix clunisienne, qu’à celle des intérêts particuliers du seul doyenné dont ils ont la charge.
Temps
83De nombreux actes montrent que la négociation se déroule en plusieurs étapes, mais peu comportent des renseignements chronologiques précis. On ignore toujours le laps de temps écoulé entre un premier plaid et sa confirmation ultérieure. Les expressions postea, sequenti tempore, deinde suffisent généralement à indiquer le temps écoulé161. La date précise de la négociation n’est indiquée, semble-t-il, que si elle revêt une importance certaine. Parmi les quatre-vingt-cinq chartes sélectionnées, seules sept mentionnent une date comportant l’année, le mois et le quantième, précédée de la mention actum est ou factum est. Elle désigne le jour où la dernière étape de la transaction a été conclue.
84Dans ce maigre corpus, les coïncidences sont frappantes entre les principales fêtes du calendrier clunisien et le moment choisi pour conclure la paix. Parmi les sept dates, six coïncident avec des fêtes clunisiennes importantes : la Saint-Marcel, la Saint-Pierre-aux-liens, la Chaire de saint Pierre, la Sainte-Scholastique, la Vigile de la Saint-Jean-Baptiste et la Vigile de la Nativité de la Vierge162. La septième est le jour des Ides de juin. Le choix de la date comme le choix des lieux est donc important. La tenue des plaids est l’occasion de rappeler les coordonnées spatio-temporelles du petit monde clunisien163. Les fêtes importantes sont celles au cours desquelles la puissance du saint est manifestée et, par la même occasion, la domination des moines. Rappelons, dans le même ordre d’idée, la venue de Pierre d’Albano à Cluny et la proclamation de la zone sans péage par Pascal II le jour de la Purification de la Vierge.
Modes
85Par la négociation, les moines entendent réaffirmer la hiérarchie qui structure la société, ou du moins celle qu’ils considèrent comme telle. La promesse du déguerpissement est faite dans les mains de l’abbé, du prieur ou du doyen. L’expression per manum ou in manu caractérise la cérémonie. Elle rappelle la prestation du serment de fidélité du vassal à son seigneur lorsque les mains du plus puissant enserrent les mains du plus faible. Par la prestation du serment dans les mains des moines, le pécheur repentant reconnaît sa soumission à leur dominium164. Il doit également se réconcilier avec les saints, et tout d’abord avec saint Pierre. Le serment sur les reliques, le dépôt de la charte sur l’autel et la célébration de la paix le jour d’une fête solennelle permettent de prendre les saints à témoin en rappelant leur rôle de gardien suprême de la cohésion sociale165.
86Des garanties sont prises pour assurer la durée du règlement. Les plaids sont des cérémonies publiques. En plus des représentants des deux parties en litige sont présents de nombreux témoins recrutés parmi les amis, parents ou fidèles des contractants166. Leur nom figure au bas des chartes. Ils sont répartis en fonction de leur groupe social défini plus distinctement à mesure que l’on avance dans le XIe siècle167. Les ecclésiastiques viennent en premier, les moines d’abord, les séculiers ensuite. La plupart occupent un office au sein de leur communauté. Parmi les moines, on retrouve le prieur, le chambrier ou les doyens lorsqu’ils ne sont pas arbitres et parfois l’armarius, le cellérier ou le sacristain168. Parmi les séculiers, on voit apparaître à la fin du XIe siècle les archiprêtres et archidiacres du diocèse de Mâcon à qui l’évêque délègue une partie de son administration169. Lorsque les plaids sont arbitrés par le légat pontifical ou lorsque le litige met en scène un prélat important, le témoignage d’autres prélats de son rang est nécessaire. Ainsi apparaissent les évêques de Nevers, Autun, Auxerre ou Lyon170. La première catégorie de laïcs est celle des milites, seigneurs-châtelains ou principaux possesseurs fonciers de la région. Leur lien familial ou vassalique avec le négociateur détermine leur présence. Viennent ensuite, plus rarement, les sergents ou serviteurs (servientes), parmi lesquels comptent notamment les prévôts laïcs, les chapelains attachés aux chapelles des doyennés ou aux églises non paroissiales et les prêtres des paroisses incorporées par Cluny171. Enfin, en 1108, on voit apparaître les bourgeois172.
87Les témoins assistent au plaid (adstantes, interfuerunt), voient le déroulement des cérémonies (videntes) et entendent les paroles prononcées (audientes)173. On compte très vraisemblablement sur eux pour garantir l’exécution future du règlement qu’on leur demande parfois de confirmer (laudatores)174. Mais il est impossible de dire s’ils participent plus activement en témoignant par exemple de l’antériorité d’un droit ou d’une possession foncière en faveur de l’un ou de l’autre. La nomination de fidéjusseurs (fidejussores) se développe fortement dans la seconde moitié du XIe siècle. Les fidéjusseurs engagent personnellement leurs biens ou leur personne dans le respect du compromis. Dans tous les cas, ils sont des parents ou des amis proches du négociateur175. La pratique de l’otage, bien analysée par Georges Duby, est particulièrement fréquente aux environs de 1100. Les fidéjusseurs s’engagent à se tenir prisonniers dans l’abbaye ou dans le château du seigneur duquel ils dépendent si le règlement est bafoué et si dans un délai de quatorze jours, le malfaiteur ne prononce pas son repentir auprès des officiers monastiques176.
88Outre les garanties personnelles, on use de pressions morales. Là encore, les détails nous manquent. On ignore si une mise en scène semblable à celle de la clameur était déployée pour faire peur aux éventuels contrevenants. Mais on sait au moins que des menaces étaient proférées à l’intention de tous les auditeurs pour les mettre en garde contre les dangers d’une rupture de serment : amendes pécuniaires exorbitantes, sanctions ecclésiastiques, menace de mise au ban du corps social. Elles sont consignées au bas des chartes qui, à la fin de la négociation, sont lues à voix haute177. Elles contribuent ainsi à faire pression sur tout un groupe.
89Cependant, les garanties, la mise en scène et la propagande ne suffisent pas. La paix se négocie aussi plus trivialement. Les plaids débouchent sur des compromis qui prennent soin de ménager les intérêts des deux parties en présence. Le monastère obtient la restitution du bien contesté, mais, en contrepartie, l’accusé se voit très fréquemment dédommagé par une somme d’argent, une tête de bétail ou un cadeau précieux178. Afin de mieux garantir le respect de l’accord, son épouse, l’un de ses proches ou les fidéjusseurs peuvent également bénéficier de la générosité monastique179. Les versements sont effectués par les moines qui tiennent les cordons de la bourse : le prieur, le chambrier et surtout, les doyens180. Le prix est d’autant plus élevé que le bénéficiaire est haut placé et donc potentiellement plus dangereux.
90Depuis Patrick Geary, Stephen White et Barbara Rosenwein, on a coutume d’analyser ces compensations comme le signe d’une nouvelle solidarité entre moines et laïcs181. À regarder de près, cela ressemble beaucoup à du marchandage. Le terme est d’ailleurs utilisé dans une charte : la négociation est un mercatum182. Les moines en étaient bien conscients. Par le paiement d’une somme substantielle, ils entendaient faire cesser les revendications de leurs voisins. En d’autre termes, ils achetaient leur paix ou leur promesse de paix. Il est d’ailleurs assez étonnant de constater une recrudescence croissante de ce type de paiement à partir de la seconde moitié du XIe siècle. Avant l’abbatiat d’Hugues, les moines paient peu les malfaiteurs183. Au fur et à mesure que l’on avance dans le siècle, ils paient davantage et plus cher. On voit là l’écart considérable entre la propagande qui menace les contrevenants d’une amende de vingt ou cinquante livres d’or et les règlements concrets où les moines ouvrent leur bourse pour maintenir la paix.
91La simultanéité de ces pratiques avec les rappels à l’ordre répétés à l’adresse des milites est frappante. Tout se passe comme si les moines avaient peur et déployaient tous les moyens possibles pour calmer les prétentions de leurs turbulents voisins. L’acceptation des anciens malfaiteurs dans la fraternité monastique me semble aller dans ce sens. Plusieurs plaids en font mention. Pour sceller la paix nouvelle, les anciens usurpateurs, devenus bienfaiteurs, sollicitent l’intégration dans la communauté spirituelle des moines (societas beneficii), le bénéfice de leurs prières pour le salut, voire la sépulture dans le monastère en compagnie de leur femme, de leur mère ou de leur fils184. Le marchandage emprunte les mêmes voies que la propagande : le matériel et le spirituel.
***
92En dissimulant ces marchandages dans un discours qui fait du renoncement aux injustices un don à Dieu mû par la volonté de se concilier ses grâces, les chartes présentent les règlements entre moines et laïcs d’une manière abstraite. Les moines déploient tous leurs efforts pour impressionner les hommes de leur entourage. Les sermons qu’ils leur adressent ou leur font adresser par leurs éminents alliés, la mise en scène qui accompagne les cérémonies de clameur ou la conclusion d’un déguerpissement participent de cette propagande pour faire respecter le pouvoir des saints moines et régner la paix clunisienne. Mais on ne doit pas oublier que d’autres moyens sont mis en œuvre, ceux qui relèvent du marchandage économique. En donnant plusieurs centaines de sous ou un manteau de vair à l’épouse du malfaiteur pour le simple fait qu’il renonce à revendiquer un bien donné auparavant, les moines montrent au grand jour les failles de leur paix idéale. Les injonctions des pontifes, les menaces de malédiction, la contrainte imposée aux calomniateurs de se rendre dans le chapitre de Cluny pour dénoncer publiquement leurs injustices le jour de la fête du saint patron ne suffisent pas pour garantir la paix. Il faut payer et accepter des concessions, comme accueillir au nom des bienfaiteurs ceux que l’on considérait la veille encore comme les malfaiteurs ou recevoir leur fils dans le convent. La paix clunisienne procède d’un compromis entre la conception ecclésiastique du monde et les exigences des hommes auxquels les moines se confrontent.
93Cela étant, même en portant l’attention sur ces marchandages, on ne saisit guère que l’aspect monastique de la paix. La manière dont les hommes ressentent et acceptent la domination abbatiale nous échappe à peu près complètement. Et, parmi les laïcs dont les noms sont consignés dans les chartes, on ne voit guère que la frange aisée de la population du Clunisois, celle qui possède suffisamment de terres pour les donner aux moines ou celle qui est suffisamment puissante pour oser exercer des droits et prélever des rentes appartenant à Cluny. Châtelains, milites, gros propriétaires fonciers, tels sont les hommes de la paix clunisienne des abbatiats d’Hugues de Semur et de Pons de Melgueil. Les autres restent dans l’ombre. Les paysans sont présents en filigrane. On mentionne çà et là leur existence. On dit qu’il faut les protéger mais que sait-on d’eux si ce n’est qu’ils sont des rustici ? Ils cultivent la terre des moines et en acheminent une partie vers les doyennés mais selon quelles modalités ? Or c’est là un aspect essentiel de l’organisation des rapports sociaux que la documentation n’éclaire pas avant le milieu du XIIe siècle.
94D’autre part, on a vu que la définition de la paix clunisienne envisage l’existence de trois groupes sociaux : les moines, les évêques et le populus chargé de défendre les biens des moines et de leur obéir fidèlement. Les chartes de l’abbatiat d’Hugues montre un populus composé avant tout des milites et des rustici. Mais sous celui de Pons, on voit apparaître quelques burgenses parmi les témoins ou les souscripteurs. Ils constituent un élément perturbateur dans la paix clunisienne et les moines vont devoir composer avec eux.
Notes de bas de page
1 MPMA, II, no 50 (= C 1715), juin 985 ; BnF, lat. 17715, no 58 (= C 2840), v. 1030. S. Barret, « Éléments d’institutionnalité », p. 584-585, 587, 592-593.
2 Rodulfi Glabri, IV. 16, p. 196.
3 Voir à titre d’exemple, l’index du registre de Grégoire VII dressé par E. Caspar, Das Register Gregor VII., p. 675-707. On retiendra notamment une lettre de Grégoire VII adressée le 20 avril 1079 aux évêques de Rouen, Tours et Sens, dont le préambule reprend une lettre de Grégoire le Grand définissant une société bien ordonnée, Das Register Gregor VII., VI, 35, p. 451 : Hinc etenim pax et caritas mutua se vice complectuntur et manet firma concordie in alterna et Deo placita dilectione sinceritas, quia igitur unumquodque tunc salubriter completur officium, cum fuerit unus, ad quem possit recurri, prepositus. Voir H. Cowdrey, Pope Gregory VII., p. 576-582. Dans un contexte clunisien, un retiendra notamment les bulles d’Honorius II adressées aux moines de Saint-Bertin et San Benedetto Po en lutte contre Pierre le Vénérable en avril 1125. Elles commencent par ces mots : Pax ecclesiae, fratrum concordia, Religionis unitas ima supernis et terrenis sociare cœlestia consuevit, éd. PL 166, col. 1229, no IX-X (= Bull. p. 41).
4 Annexe 3, l. 72-76.
5 C 3862, 3864, 3869, 3872, 3873, 3874, 3879, 3881, 3887, 3896, 3913, 3966, chartes comprises entre 1107 et 1123. Albertus Teutonicus est le scribe de C 3862, 3869, 3872, 3873, 3874. Ebrardus presbiter, est le scribe de C 3881. Les autres chartes ne sont pas signées, mais émanent peut-être de l’un de ces deux scribes. Sur Albert le Teuton, M. Hillebrandt, « Albertus Teutonicus ».
6 Les références des dictionnaires de latin médiéval au mot pax fournissent un bon point de départ, notamment : Du Cange, Glossarium, VI, p. 228-231 ; J. F. Niermeyer, Mediæ Latinitatis, p. 777-779 ; A. Blaise, Dictionnaire latin-français, p. 602-603.
7 T. Chavot, « De la juridiction », p. 164-169.
8 Ibid., p. 170-178. L’un des mérites principaux de l’article de T. Chavot est de citer en détail, parfois de traduire, les chartes sur lesquelles il s’appuie, à une époque où ces documents n’étaient ni publiés, ni classés, mais entassés dans les greniers de la mairie de Cluny. T. Chavot est le premier à s’être intéressé aux archives de Cluny avant leur transfert à la BnF. Il a dressé un inventaire des pièces conservées alors à Cluny : BnF, nouv. acq. lat. 2264, fol. 1-19. Certaines pièces inventoriées sont aujourd’hui introuvables (ni à la BnF, ni aux AD71, ni aux AMCl.). T. Chavot cite les sources à partir de leur numéro dans les cartulaires. Il n’est pas toujours facile de les retrouver dans l’édition du Recueil des chartes de Cluny car les éditeurs ont donné des numéros différents aux pièces des cartulaires !
9 Ibid., p. 178-179, reprenant les conclusions d’un article précédent : T. Chavot, « Des franchises et coutumes », p. 85-87.
10 A. Déléage, La vie rurale, p. 422-431, 522-536, 622-630. A. Déléage n’opère pas la distinction imposée quelques années plus tard par G. Duby entre « seigneurie foncière » et « seigneurie banale ». Il cherche au contraire à comprendre les différents rouages du pouvoir seigneurial. La possession de la terre et des hommes est mise au premier plan. À ce titre, l’ouvrage d’A. Déléage est plus que salutaire et permet de subsumer l’opposition souvent bloquante entre les deux « seigneuries » comme l’ont imposée toutes les grandes thèses sur la société seigneuriale dans l’ancienne France depuis G. Duby. Je renvoie à ce propos à l’ouvrage d’A. Guerreau, Le féodalisme, notamment chap. VI, et à son article « Seigneurie » paru dans le DEMA.
11 G. Duby, « Recherches », p. 7. Je cite les pages de cet article en fonction de sa publication dans le volume Hommes et structures du Moyen Age et non en fonction de son édition originale dans Le Moyen Age.
12 G. Duby, « Recherches », p. 15-24, notamment p. 23.
13 Ibid., p. 24-31.
14 Ibid., p. 19-20, 29-30, 32-34.
15 Ibid., p. 31 (« À la fin du XIe siècle, il n’existe plus d’institution judiciaire qui soit capable de maintenir la paix à l’intérieur de la classe chevaleresque »), p. 36-38.
16 Ibid., p. 37-43 ; citations p. 38, 42 et 43.
17 L’article fondateur est celui de F. Cheyette, « Suum cuique tribuere », mais ce sont surtout S. White et P. Geary qui ont été les fers de lance de la Legal Anthropology appliquée à l’étude du règlement des conflits dans la « France » des Xe et XIe s. : S. White, « Pactum... Legem Vincit » ; Id., « Feuding and Peace-Making », et dernièrement Id., « From Peace to Power » ; P. Geary, « Vivre en conflit ». Cette nouvelle historiographie a inspiré plusieurs travaux sur le mode de règlements des conflits dans les sociétés sans État : I. Miller, Bloodtaking and Peacemaking ; W. Davies, Small Worlds (sur les communautés rurales autour du monastère de Redon aux IXe-Xe s., avec un remarquable chapitre sur le règlement des conflits, p. 134-160) ; G. Koziol, Begging Pardon.
18 Le volume collectif dirigé par W. Davies et P. Fouracre, The Settlement of Disputes (1986) en témoigne, bien qu’il regroupe exclusivement des historiens anglais ou américains.
19 La giustizia nell’alto medio evo, Spoleto XLII et XLIV (1994 et 1996), notamment les articles de P. Geary, « Extra-judicial Means of Conflict Resolution » (1994), C. Wickham, « Justice in the Kingdom of Italy » (1996), J. Nelson, « Kings with Justice, Kings without Justice » (1996), G. Sergi, « L’esercizio del potere giudiziario dei signori territoriali » (1996). En 1990, les médiévistes réunis à Spolète s’étaient déjà penchés sur le problème de la violence et du règlement des conflits en braquant le projecteur sur le prétendu « siècle de fer », le Xe siècle : Il secolo di ferro, Spoleto XXXVIII.
20 L. Little, Benedictine Maledictions, p. 21-29 ; P. Geary, « L’humiliation des saints », p. 29-32 ; B. Rosenwein, To be the Neighbor, notamment p. 49-77 ; B. Rosenwein, T. Head, S. Farmer, « Monks and their Ennemies », notamment p. 772-775 (article comparatif entre la situation de Cluny, de Fleury-sur-Loire et de Marmoutier).
21 D. Iogna-Prat, « Cluny à la mort de Maïeul », p. 18-19.
22 D. Barthélemy, « La paix de Dieu dans son contexte » ; Id., L’an mil et la paix de Dieu, notamment le premier chapitre.
23 Une contribution essentielle sur cette notion : A. Guerreau-Jalabert, « Spiritus et caritas ».
24 À titre comparatif, deux belles études d’histoire sociale fondées sur des sources hagiographiques : H. Platelle, « Crime et châtiment à Marchiennes » (à partir des miracles de sainte Rictrude) ; S. Farmer, Communities of Saint Martin (à partir des sources narratives et hagiographiques de Marmoutier et de Saint-Martin de Tours).
25 Voir les exemples rassemblés dans le chapitre 1.
26 Il suffit pour s’en rendre compte de comparer les différentes privilèges pontificaux des Xe-XIe s. publiés dans Papsturkunden. Sur les formulaires des actes pontificaux A. Giry, Manuel de diplomatique, p. 661-681 ; O. Guyotjeannin et al., Diplomatique médiévale, p. 115-116 (avec bibliographie).
27 Papsturkunden 189.
28 Les privilèges d’exemption de Grégoire V (998) et Jean XIX (1024) ont créé une rupture dans les relations plutôt cordiales entre l’abbé de Cluny et l’évêque de Mâcon. Le conflit est toujours latent aux XIe et XIIe s., même si les deux prélats continuent d’avoir des relations « diplomatiques » et d’être liés par des confraternités : U. Winzer, « Zum Einzugsbereich Clunys » ; Id., « Cluny und Mâcon ».
29 Papsturkunden 573 (mars 1027), PL 145, col. 859 (août 1063), Ep. Vagantes Greg. VII, no 38 (mars 1080), Bull. Cal. II, no 450 (1121). Sur ces épisodes, G. Letonnelier, L’abbaye exempte de Cluny, p. 88-95 ; H. Cowdrey, The Cluniacs, p. 33-40.
30 H. Cowdrey, The Cluniacs, Appendix, p. 270 : Obsecro vos confratres et dilectissimi filii per misericordiam domini dei nostri, ut illud sacrum cenobium Cluniacum et praedia eius cellas vel monasteria in vestris partibus posita cum tali amore et diligentia custodiatis, ut senioribus et fratribus nulla molestia inseratur.
31 PL 163, col. 53-54 (19 nov. 1100) : Ea propter charitatem vestram monemus, monentes rogamus atque praecipimus ne tot tantorum pontificum privilegiis obviare tentetis, ne per eorum violationem apostolicae sedis, quod absit, indignationem inveniatis.
32 Papsturkunden 572.
33 Sur l’ascension de la classe des milites en Mâconnais : G. Duby, La société, p. 191-201, dont plusieurs éléments sont corrigés dans Id., « Lignage, noblesse et chevalerie » et C. Bouchard, « The Origins of the French Nobility » ; D. Barthélemy, La mutation de l’an mil, p. 176-191, 286-296. B. Rosenwein a envisagé la volonté des clunisiens de « rationaliser » la conduite des milites en s’appuyant sur d’autres textes : la Vie de Géraud d’Aurillac composée par l’abbé Odon vers 940, qui dresse le portrait du miles chrétien modèle ; le rôle des clunisiens dans la paix de Dieu manifestée par le concile d’Anse en 994 et une lettre d’Odilon pour vanter les mérites de la treuga Dei en Italie du nord. Reprenant le concept webérien de Rationalisierung, l’historienne américaine conclut au rôle important des moines de Cluny dans la fixation de l’éthique chevaleresque qui s’impose au XIIIe s. : B. Rosenwein, « Reformmönchtum », p. 292-297 ; Id., Rhinoceros Bound, p. 57-83.
34 Papsturkunden 530.
35 Trades, Rhône, can. Monsols.
36 Sur les liens de ces trois personnages avec le comte de Mâcon et les circonstances de la fondation de l’obédience de Laizé par cette famille, B. Rosenwein, To be the Neighbor, p. 122-125. Voir également B. Rosenwein et al., « Monks and their Ennemies », p. 769-777 (sur la lettre de Benoît VIII, p. 771).
37 Gautier de Brancion, prévôt de Mâcon, est ensuite évêque de Mâcon de 1031 à 1061. Sur la famille de Brancion aux Xe et XIe siècles : C. Bouchard, Sword, p. 296-298.
38 Papsturkunden 530, p. 1010 : Si autem infra prefixum a nobis terminum monitioni et vocationi nostre non adsenserint, sed contentores et inoboedientes extiterint in sua malitia perseverantes, cauterio aecclesiastici examinis quasi putrida membra a corpore Christi precidantur. Sintque a liminibus sanctae Dei aecclesie procul repulsi et a consortio fidelium alienati et excommunicati. Sint maledicti stantes et ambulantes, vigilantes et dormientes, ingredientes et egredientes. Sint maledicti manducantes et bibentes. Sit maledictus cybus eorum et potus. Sit maledictus fructus ventris eorum fructusque terre eorum [Dt 28,18]. Sustineantque plagas Herodianas [Ac 12,23], quosque disrumpantur viscera eorum, et cum Dathan et Abiron de terra viventium perditi [Nb 16,31-34 ; Dt 11,6] cum diabolo et angelis eius perpetualiter dampnati maneant in poenis infernalibus sine fine crutiandi. Fiant etiam filii eorum orphani et uxores eorum vidue. Nutantes transferantur filii eorum et mendicent. Eiciantur de habitationibus suis [Ps 109(108) 9-10]. Omnibusque maledictionibus, que in veteri vel novo testamento continere videntur, maledicti et anathematizati subiaceant, quousque resipiscant et nostrae vocationi et monitioni congrue satisfaciant.
39 CPA. Voir supra chapitre 3, p. 141-142.
40 Robert/Raoul 36, p. 133-136 (= C 2270). Diplôme cité et déjà suspecté dans Rudolfinger XII, p. 359. Argumentation de J. Dufour en faveur de la falsification : Robert/Raoul, p. 133-134.
41 Robert/Raoul 36, p. 135 : Vos quoque, o principes, judices sive rectores comitatus illius vel regionis in qua idem monasterium consistit, quicumque in presentia mea estis aut quicumque futuri estis, obsecrando jubemus et jubendo obsecramus, quatinus pro premio vite eterne et pro amore ipsorum apostolorum, sitis in adjutorium et in protectionem atque in defensionem, nostra vice, loci illius sive monachorum ibidem consistentium Christoque servientium...
42 C 2820 (original, BnF, coll. Bourgogne 77, no 81) : Cunctis sub chatolice norma fidei militantibus satis est notum, quod Domini pietas in tantum consulit saluti hominum, ut etiam ex his quas temporaliter ab eo percipiunt rebus aeterna valeant mercari, si eis bene utantur. Inter cetera namque salutifera monita que Verbum quod in principio erat apud Deum, et in temporis plenitudine caro pro humani redemptione generis est factum, mentibus suaviter propinavit hominum, hoc quoque uniuscujusque saluti providit remedium, ut sua recte distribuendo pauperibus, thesaurum hinc indeficientem faciat in celestibus : « Thesaurizate, inquit, vobis thesauros in celo, ubi nec tinea demolitur, nec erugo, et ubi fures non effodiunt nec furantur » [Mt 6,20]. Alio quoque in loco, ammonens : « Date, ait, helemosinam et ecce munda sunt vobis omnia » [Lc. 11,41].
43 Sur les préambules des chartes médiévales, A. Giry, Manuel de diplomatique, p. 537-546 et O. Guyotjeannin et al., Diplomatique médiévale, p. 76-79. Études des préambules dans un contexte d’histoire sociale : M. Zimmermann, « Protocoles et préambules » (1975) ; L. Morelle, « Un grégorien au miroir de ses chartes », p. 187-188, 195-196 ; D. Barthélemy, La société dans le comté de Vendôme, p. 91-101 ; S. Gouguenheim, Les fausses terreurs, p. 40-41. Pour Cluny, quelques éléments dans B. Rosenwein et al., « Monks and their Ennemies », p. 770 et H. Atsma, J Vezin, « Autour des actes privés ».
44 Le devoir de se dépouiller des biens terrestres au profit de l’Église est souvent présenté sous une forme abrégée du préambule de la charte de Frédégaire et Odon, ne retenant que les citations de Mt 6,20 et Lc 4,11 précédées d’une brève notification. Pour la seule période 1030-1040 : C 2835, 2843, 2856, 2861, 2867, 2877, 2884, 2886, 2887, 2895, 2909, 2911, 2912, 2914, 2917, 2920. Parmi les préambules les plus développés : C 2815 (1029), C 2866 (1031-1048), C 2882 (1031-1060), C 2887 (1031-1032), C 2890 (1032), C 2907 (1035-1036), C 2919 (1037), C 2932 (1039), C 2938 (1040), C 2953 (1040-1041), C 2978 (1049), C 3052 (1049-1109).
45 Entre autres : C 2896 (1035), C 2918 (1037), C 2920 (1037), C 2927 (1039), C 2939 (v. 1040), C 3060 (Chaume, « Obs. » : v. 1090), C 3082 (Notes Duby : v. 1090-1100), C 3868 (1107).
46 Un aperçu général sur ce type de clauses est présenté par A. Giry, Manuel de diplomatique, p. 562-568 ; O. Guyotjeannin et al., Diplomatique médiévale, p. 82-83. Étude détaillée à partir des chartes catalanes des Xe-XIIe s. : M. Zimmermann, « Protocoles et préambules » (1974), p. 50-76.
47 Je traduis ici la formule de C 1843 (Chaume, « Obs. » : v. 992-997) d’après la version du cartulaire B :... sed cogente potestate judiciaria, auri libram juxta mundanam legem cui litem intulerit coactus persolvat.
48 1 £ : C 1844, 2556, 2907, 2909, 2911, 2919, 2923, 2931, 2935, 2936, 2939, 2946, 2960. 5 £ : C 2917, 2932, 2944, 2945. 10 £ : C 2920, 2993. 20 £ : C 385, 2811. 50 £ : C 2831. 100 £ : C 2983. Quelques sommes marginales : C 1788 (3 £), C 1834 (6 £), C 1944 (4 onces), C 1964 (10 onces), C 2044 (1 £ d’argent). Cette liste n’est bien sûr pas exhaustive.
49 Fiscus publicus : C 2811, 2917, 2919, 2920, 2923, 2960. Thesaurus publicus : C 2946.
50 Voir G. Duby, « Recherches sur l’évolution des institutions judiciaires », p. 19-20. Rares exemples de sanctions pécuniaires importantes après 1050 : C 2844 (daté 1030 env. par les éditeurs, 1050 env. par Chaume, « Obs. », 1090 par « Notes Duby ») ; C 3868.
51 Analyse détaillée des clauses d’anathème et d’excommunication dans les chartes des Xe-XIe s. et de la mise en œuvre de ces sanctions dans L. Little, Benedictine Maledictions, p. 30-44.
52 C 2820 : Si quis autem, quod minime fore credimus, huic nostre donationi calumpniam inferre fuerit ausus, hic talis, nisi resipuerit, a regno Dei exul effectus, tartareis tradatur poenis sine fine cruciandus...
53 Nb 16,12-34. L’évocation du châtiment de Dathan et Abiron n’est pas propre aux chartes clunisiennes. C’est, après celui de Judas, le châtiment le plus fréquemment évoqué dans les malédictions monastiques des Xe-XIIe s. : M. Zimmermann, « Protocoles et préambules » (1974), p. 70-71 ; L. Little, Benedictine Maledictions, p. 65-68.
54 C 2686 (avril 1013) : Et si ullus homo est, qui contradixere voluerit, de illa maledictione, quam Dominus Deus maledixit Datan et Abiron, quos vivos terra transglutivit, sit ille maledictus, et de sancto Petro principe apostolorum et de omnium sanctorum Dei qui sunt in coelis et in terra sit ille maledictus et excommunicatus usque in profundum inferni.
55 Jully devient le chef-lieu d’une decania à la fin du XIe siècle et Ambérieu est intégré dans celle de Montberthoud, cf. annexes 1, 2.
56 G. Duby, La société, p. 136-139 ; C. Bouchard, « Laymen and Church Reform » ; Id., Sword, p. 265-270.
57 C 2736 (Chaume, « Obs. » : v. 1023-1026) : Si quis vero huic nostre constitutioni contradictor aut calumpniator extiterit, primitus iram Dei incurrere se noverit, sancte quoque Marie genitricis Dei et Domini nostri Jesu Chriti offense subjacebit, necnon sanctorum apostolorum Petri et Pauli simulque omnium sanctorum ; erit enim maledictus ingrediens et egrediens, maledictus sedens et jacens, maledictus vigilans et dormiens, maledictus stans et ambulans, maledictus fructus ventris ejus ; maledictus vivus ac mortuus, maledictus sanus et infirmus, maledictus lectus ejus, maledicta sepultura ejus, maledicti consentanei ejus, maledicti omnes socii ejus ; percutiat eum Dominus peste et fame, aestu et frigore ; percutiat eum Dominus ulcere pessimo et insanabili ; veniant super eum omnes plage quibus percussit Dominus Egiptum, quousque conteratur de terra viventium, et tradatur cum diabolo et angelis ejus in inferni baratrum, nisi ante resipuerit, et ab iniqua presumptione cessaverit. La bulle de Benoît VIII, datée <1020-1023> (Papsturkunden 530), précède sans doute de peu cette charte. Otte-Guillaume avait également usurpé des possessions clunisiennes à Beaumontsur-Grosne qu’il restitue, dans le même temps : C 2277 (Chaume, « Obs. » : v. 1023-1026) ; sur cette charte voir B. Rosenwein, To be the Neighbor, p. 152.
58 Voir supra p. 240, n. 43.
59 Il n’existe aucune étude satisfaisante de la vie quotidienne à Cluny malgré la richesse exceptionnelle des coutumiers et statuts des Xe -XIIe s. Les chapitres de G. De Valous, Le monachisme, t. I, sur la vie quotidienne et la liturgie clunisiennes sont a-historiques ; ceux de J. Evans, Monastic Life at Cluny, p. 78-125 et N. Hunt, Cluny under Saint Hugh, p. 46-123, constituent davantage un catalogue qu’une réflexion historique. Quant aux articles de J. Leclercq, « Cluny fut-il ennemi de la culture ? », « Spiritualité et culture », « Pour une histoire de la vie » et « Priait-on à Cluny ? », orientés dans une perspective polémique anti-Hallinger (à propos de Gorze-Kluny où les moines clunisiens sont qualifiés d’ennemis de la culture en opposition aux moines germaniques) puis anti-Rosenwein (à propos de son article d’étudiante « Feudal War and Monastic Peace »), ils sont surtout remarquables par leurs anachronismes et leur aspect foncièrement apologétique. L’édition critique accompagnée d’une traduction (française et anglaise) du coutumier de Bernard, en préparation par Isabelle Cochelin et Susan Boynton, suscitera sans doute des travaux.
60 Postremo a fratribus eligitur, a populo acclamatur, a pontificibus benedicitur..., éd. PL 142, col. 951A (= BC, col. 284A). Sur la date de cette Vita et sa place dans l’hagiographie de Maïeul : D. Iogna-Prat, « Panorama », p. 88. Sur l’acclamation du populus : Id., « Cluny à la mort de Maïeul », p. 18, n. 52.
61 La notification de l’élection de Maïeul en 954 après la démission d’Aymard du fait de sa cécité ne mentionne pas l’acclamation du populus (C 883), ni même celle d’Odilon en 993 (C 1957).
62 Sur la notion de « pouvoir ascendant » ou « descendant » : W. Ullmann, Principles of Government, p. 19-26. Sur la fonction de l’acclamation des abbés ou des évêques par le peuple : Y. Congar, « Quod omnes tangit », p. 222-230. Sur le principe de l’unanimité dans les élections monastiques et épiscopales : L. Moulin, « Sanior et maior pars », p. 370-375.
63 L’itinéraire de la procession n’est pas précisé dans les coutumiers. L’hypothèse la plus probable est que le cortège suivait la rue qui reliait le portail principal du monastère à l’église Saint-Maïeul (voir cartes 36, 42 et 45).
64 Le liber tramitis fournit plusieurs détails sur l’organisation de la procession que Bernard ne reprend pas. En particulier, il mentionne le transport par les famuli des fanions, par les conversi de quatre croix, de deux encensoirs dorés, de l’eau bénite, de quatre candélabres et, par des moines-prêtres (sacerdotes), du bras reliquaire de saint Maur, de l’imago de saint Pierre avec ses reliques à l’intérieur, du corps de saint Marcel pape et de la chasse de saint Grégoire pape : LT 54.2, p. 68, l. 12-29.
65 Bernard, II. 14, p. 307 : Ipsa die duae fiunt processiones, prior per claustrum post matutinalem missam, sicut mos est in omnibus dominicis, nec aliud ad ipsam cantatur quam in praecedentium dominicarum processionibus ; posterior vero post Tertiam cum frondibus et palmis ante majus altare sacratis, usque ad B. Maioli ecclesiam : utraeque tamen aguntur fratribus omnibus albis indutis ; ipsae autem frondes ac palmae ita benedicuntur : Oremus, Omnipotens sempiterne redemptor, qui de coelis ad terram : quando distribuuntur, incipitur antiph. Pueri haebraeorum, tollentes altius. Ant. Pueri hebraeorum vestim. Exeunte processione, pulsantur omnia signa, et cantatur Ant. Cum appropinquaret. Alia : Cum audisset populus ; deinde resp. Contumelias, et alia hujusmodi, si opus fuerit. Ad introitum ecclesiae ad quam itur, cantatur responsorium de sancto cujus ibi memoria est : ad stationem, ant. Ave rex nostrer, cum venia ; deinde antiphona de omnibus sanctis, Salvator mundi ; postea dicuntur capitula et collectae de ipso sancto et de omnibus sanctis, deinde fit oratio, sicut solet fieri ante horas, et ante et retro ab omnibus ; habetur quoque sermo ad populum. In redeundo cantatur ant. Collegerunt. Versus, Unus autem ; et si opus fuerit, cantatur de responsoriis ejusdem diei. (Quelques divergences dans Ulrich, I.54, col. 698).
66 Voir supra chapitre 4.
67 Bernard, I. 33, p. 218. Cinquante ans plus tôt, le Liber tramitis décrit l’ordo d’accueil du souverain, sans mentionner le castellum : LT 169, p. 242. Sur cet ordo : D. Iogna-Prat, « L’accueil du souverain à Cluny », dans Autour de Gerbert d’Aurillac, p. 184-187.
68 Ulrich, III. 15, col. 758-759 et Bernard, I.56, p. 251-252. Ces processions pro timore praedarum et rapinarum sont également mentionnées dans Ulrich, I.29, col. 675 et Bernard, II.25, p. 336. Cérémonie semblable évoquée dans LT 168, p. 240-242, où il n’est pas question du castellum, mais des reliques que l’on porte extra portas murorum quibus circumdatum est monasterium.
69 J. Wollasch, « Heiligenbilder in der Liturgie Clunys », p. 453 et Id., Cluny. « Licht der Welt », p. 84, interprète le castellum comme le château de Lourdon, dans lequel les moines auraient mis les reliques à l’abri « en cas d’urgente nécessité ». N’est-ce pas là une contradiction totale avec la cérémonie décrite dans le coutumier ? Oter les reliques pour les mettre « à l’abri » aurait consisté à vider Cluny de sa puissance et, par là même, l’offrir aux assaillants.
70 LT 71, p. 106, l. 11-15 : Maiorem sacram agant ad ecclesiam ubi processuri sunt cum processione de Domini Ascensione adiungentes tantum collaectas sanctorum in quorum honore basilica consecrata fuerit et alia pro populo degente ibi Ineffabilem misericordiam tuam.
71 Saint-Pierre-et-Paul : LT 85.4, p. 131, l. 18-19 : Missa matutinalis alia non agitur nisi illa quam sacerdotes populo decantant per altaria. Pour le Jour des défunts, j’interprète ainsi l’expression missa publica : LT 138, p. 199, l. 15-16 : Priuatim et publice missas caelebrent pro requie ominum animarum fidelium et duodecim pauperes reficiantur.
72 LT 138, p. 199, l. 8-11. Point étudié par J. Wollasch, « Les obituaires ».
73 LT 154, p. 224, l. 17 : In duodecim lectionibus, quibus populus non celebrant, possunt fratres...
74 LT 174-175, p. 244-248 : Pro aduersa preces faciendam et Item de eadem in alia diffinitione. Bernard, I. 40, p. 230-232 : Quomodo fiat clamor pro tribulatione, ad populum, sive ad Deum.
75 Le rituel clunisien de la clameur a été présenté par P. Geary, « L’humiliation des saints », p. 29-32 ; D. Iogna-Prat, « Hagiographie, théologie », p. 256-257 ; B. Rosenwein et al., « Monks and their Ennemies », p. 771, et surtout L. Little, Benedictine Maledictions, p. 20-21, 26-29, 262-265, avec transcription et traduction partielles des chapitres du liber tramitis et de Bernard.
76 LT 174, p. 244-247.
77 Les deux premiers vers du psaume sont les suivants : « Pourquoi, Dieu, ce rejet sans fin, cette colère qui fume contre le troupeau de ton pâturage » (trad. TOB, éd. 1975).
78 LT 174, p. 244-245.
79 Les deux chapitres du liber tramitis consacrés à la clameur sont inclus dans le livre sur les prières (XXVIII. De precibus), juste après le chapitre sur les prières pour faire cesser ou tomber la pluie.
80 P. Geary, « L’humiliation des saints », p. 30-31, a analysé en détail cette formule. Il a noté (p. 41, n. 8) la présence d’une formule très proche dans plusieurs manuscrits datés du XIe au XVe s. provenant de la France actuelle : Tours, Saint-Amand, Langres, Valenciennes, Compiègne, Riermont. La formule du liber tramitis semble la plus ancienne connue : L. Little, Benedictine Maledictions, p. 28-30.
81 La formule complète de la clameur consignée dans le liber tramitis (LT 174, p. 245-247) est la suivante : In spiritu humilitatis et animo contrito ante sanctum altare tuum et sacratissimum corpus et sanguinem tuum, domine Ihesu redemptor mundi, accedimus et de peccatis nostris pro quibus iuste affligimur culpabiles contra te nos reddimus. Ad te domine Ihesu uenimus, ad te prostrati clamamus, quia uiri iniqui et superbi suisque uiribus confisi undique super nos insurgunt, terras huius sanctuarii tui caeterarumque sibi subiectarum aecclesiarum inuadunt, depraedantur et uastant. Pauperes tuos cultores earum in dolore et fame atque nuditate uiuere faciunt, tormentis etiam et gladiis occidunt. Nostras etiam res, unde uiuere debemus in tuo sancto seruitio et quas beatae animae huic loco pro salute sua reliquerunt, diripiunt, nobis etiam uiolenter auferunt. Aecclesia tua haec domine quam priscis temporibus fundasti et sublimasti in honore beatae et gloriosae semper uirginis Mariae sedet in tristitia. Non est qui consoletur et liberet eam nisi tu Deus noster. Exurge igitur domine Ihesu in adiutorium nostrum, conforta nos et auxiliare nobis, expugna inpugnantes nos, frange etiam superbiam illorum qui tuum locum et nos affligunt. Tu scis domine qui sunt illi et nomina illorum, corpora quoque eorum et corda antequam nascerentur tibi soli sunt cognita. Quapropter eos domine sicut scis iustifica in uirtute tua. Fac eos recognoscere prout tibi placet sua malefacta et libera nos in misericordia tua. Ne despicias uos domine clamantes ad te in afflictione, sed propter gloriam nominis tui et misericordiam qua locum istum fundasti et in honore genitricis tuae sublimasti uisita nos in pace et erue nos a praesenti angustia. Amen.
82 LT 175, p. 247-248 ; Bernard, I.40, p. 231.
83 LT 175, p. 247, l. 6-11 ; Bernard, I.40, p. 231. Bernard place le sermon du moine après la lecture de l’Évangile, du Credo et de l’Offertoire. Le LT le situe avant l’Offertoire.
84 LT 175, p. 247, l. 10, p. 248, l. 7.
85 Bernard, I.40, p. 231 : adjungit quoque quaedam humilia peruasoria, dicens : « Scitis, quia si aufertur nobis nostra substantia, non possumus vivere : rogate ergo fratres Deum, et nos faciemus ad eum rogationem et proclamationem ».
86 Bernard, I.40, p. 231.
87 Par exemple, H. Fichtenau, « Zum Reliquienwesen », p. 68 ; P. Geary, « L’humiliation », p. 37-39. Mise au point par D. Iogna-Prat, « Hagiographie », p. 256, n. 62.
88 Voir, entre autres, le volume collectif Faire croire (surtout pour la fin du Moyen Age) ; plus récemment : La parole du prédicateur. Pour Cluny au temps de Pierre le Vénérable, D. Iogna-Prat, Ordonner et exclure.
89 P. Geary, « L’humiliation », p. 34-36 ; L. Little, Benedictine Maledictions, p. 146-149.
90 Annexe 3, l. 61-69.
91 C 3950, traduite et transcrite en introduction de la première partie, supra p. 39-40.
92 Un « second contingent de milites du Mâconnais », selon l’expression de G. Duby, prend le chemin de Jérusalem vers 1106 : G. Duby, La société, p. 284.
93 La charte ne précise pas son cognomen, mais ce personnage est une « vedette » du convent clunisien dans les années 1080-1125. Issu de la famille des sires d’Uxelles, il est entré dans le monastère vers 1075. Il a été chambrier vers 1080-1105, grand-prieur de 1105 à 1114, abbé de Saint-Martial de Limoges en 1114, puis de nouveau grand-prieur de Cluny de 1114 à 1126 environ : M. Chaume, « Les grands prieurs », p. 151-152, à corriger avec C. Bouchard, Sword, p. 303-304 ; W. Teske, « Bernardus und Jocerannus Grossus », p. 14-16, G. M. Cantarella, « Due note cluniacensi », p. 763-770 et J. Wollasch, Cluny, « Licht der Welt », p. 212-214.
94 Bérard Vert, doyen de Chaveyriat, C 3868 ; Guillaume, doyen de Bézornay, C 3734, C 3850, C 4001 ; Etienne, doyen de Jalogny, C 3799, C 3800, C 3822. Dans les chartes des années 1050-1120, les doyens sont fréquemment cités uniquement avec leur prénom et le nom de la localité dans laquelle ils officient, sans que le titre decanus ou obedienciarius ne soit précisé : M. Hillebrandt, « Berzé-la-Ville », p. 202, 216, n. 32.
95 Gérard le Vert, miles, entre en religion à Cluny à l’âge adulte entre 1100 et 1105, en même temps que sa femme Laurentia/Ruffina à Marcigny. Il devient ensuite prieur à Villeneuve puis associé (socius) du prieur de Marcigny : C 3067, MAR 148, MAR 170, C 3868, MAR 253. Il ne doit pas être confondu avec le moine Gérard, son contemporain, qui occcupe également sous Pons et Pierre le Vénérable des fonctions importantes dans le monachisme clunisien avant de se retirer à la fin de sa vie dans l’ermitage d’Ajoux (cf. supra, p. 120-122). Mise au point sur ces deux personnages : E. M. Wischermann, Marcigny-sur-Loire, p. 106-108. Pierre Ruils (C 3784, C 3806, C 3896, C 3913) est un miles étroitement lié aux Gros d’Uxelles. Joceran de Vitry (Vitry-lès-Cluny, S.-et-L., can. Cluny, non loin de Bézornay) fait partie du second contingent de milites du Mâconnais qui part en croisade en 1106 : C 3850 et G. Duby, La société, p. 284.
96 Artaud, doyen de Lourdon vers 1080-1100 : C 3017, C 3027, C 3607 (1085), C 3712, C 3713, C 3714, C 3715, C 3716 (entre autres).
97 Artaud de La Bussière, familier des sires d’Uxelles pour lesquels il se porte garant, voire otage, C 3440, C 3754, C 3784, C 3806, C 3896, C 3913, C 3926, C 3929.
98 C 3829.
99 La Roche, S.-et-L., can. Tramayes, com. Saint-Point. Matour, S.-et-L., chef-lieu de canton.
100 C 3868.
101 Ce qualificatif apparaît très rarement dans les chartes de cette période. Comme le prior secundus, il désigne un auxiliaire du prior major qui semble pouvoir le remplacer.
102 Clessé, S.-et-L., can. Lugny. Blany, S.-et-L., can. Mâcon-nord, com. Laizé. Verchizeuil, S.-et-L., can. Mâcon-nord, com. Verzé.
103 B. Rosenwein, To be the Neighbor. G. Duby, « Recherches sur l’évolution des institutions judiciaires ». G. Duby (p. 18) a mentionné le rôle judiciaire des doyens, mais il ne l’a pas développé, mettant essentiellement en valeur le rôle du prieur.
104 Voir chapitre 1, supra, p. 54-55.
105 Abbatiat d’Hugues : C 2833, 2844, 2908, 2943, 2975, 2985, 2992, 2997, 2998, 3017, 3027, 3062, 3072, 3073, 3085, 3087, 3115, 3203, 3254, 3262, 3278, 3286, 3324, 3325, 3333, 3334, 3338, 3340, 3342, 3367, 3400, 3440, 3473, 3474, 3502, 3503, 3577, 3592, 3651, 3654, 3666, 3677, 3685, 3716, 3726, 3743, 3754, 3758, 3760, 3781, 3797, 3806, 3809, 3819, 3820, 3821, 3822, 3824, 3828 (= MAR 170), 3829, 3841, 3864, 3868, 3869, 3872, 3874, MAR 288. Abbatiat de Pons : 3881, 3887, 3896, 3926, 3929, 3950, 3951. Non datées : C 3037, 3086, 3097, 3110, 3150, 3161, 3163, 3224, 3226, 3295, 3303.
106 On attend notamment avec impatience la publication de la thèse de Maria Hillebrandt sur les nouvelles datations des chartes de Cluny. Les chartes que j’attribue aux abbatiats d’Hugues et de Pons le sont sur la base d’une indication chronologique dans l’acte, de la mention d’un personnage dont les dates sont connues (comte, évêque, abbé, prieur de Cluny...), des rapprochements entre chartes non datées et chartes datées qui mentionnent les mêmes personnes (notamment les milites), des rectifications de Chaume, « Obs. », de B. Rosenwein, To be the Neighbor, p. 231, d’A. Kohnle, Abt Hugo, p. 288-336 (Das Itinerar des Abtes Hugo) et des « Notes Duby ».
107 Appropriation d’une terre ou de serfs (la quasi totalité des chartes), d’un moulin (C 2844, 2975, 3150, 3806), d’une pêcherie (C 3726), d’une église ou de ses revenus (C 2998, 3262, 3473, 3806, 3819, 3824, 3887), de malas consuetudines (C 2833, 3085, 3115, 3262, 3340, 3367, 3809, 3821), d’un receptum (2833, 3085, 3592), d’un péage (C 3440).
108 Depredatio : C 3821 ; exactio : C 3440, 3929 ; invasio : C 3726.
109 Calumpnia : C 2908, 3027, 3161, 3666, 3677, 3758, 3868 ; forfactura ou forfactum : C 3334, 3809, 3864, 3872 ; iniquitas : C 3278 ; injuria ou injusticia : C 3685, 3754, 3809, 3819, 3829, 3881 ; malefactum : C 3474 ; querimonia : C 2997, 3203, 3324, 3333, 3342, 3819 ; tortura : C 3651, 3743, 3809, 3821, 3872.
110 C 669 (945) : interfectit servum Sancti Petri et Pauli ; C 2254 (994) : in emendatione pro uno servo quem occidi ; C 2784 (1023-1024) : de quodam milite Arenberto nomine, qui interfectus est apud Cluniacum ; C 2848 (1026-1030) : ante Cluniacensis coenobii januam ausu temerario homicidium perpetraverunt [...] quod sexcentos solidos pro maleficio infra salvitatem perpetrato, juxta consuetudinem emendare debuit... ; C 2849 (v. 1030) : pro alio servo, nomine Martino, quem Dohonus occidit. On note que toutes ces chartes sont antérieures à la deuxième moitié du XIe siècle. Les meurtres disparaissent des chartes ensuite.
111 Querela : terme le plus fréquent, quasiment dans tous les actes ; discordia : C 3868.
112 Peccatum : C 2975, 3115, 3278, 3440 et toutes les chartes qui présentent en préambule le déguerpissement comme un désir de racheter ses péchés ; infestatio : C 3654, 3809.
113 Werpitio apparaît dans presque tous les actes ; placitum est ensuite le terme de loin le plus fréquent : C 2975, 2980, 3027, 3262, 3278, 3333, 3400, 3577, 3651, 3654, 3685, 3726, 3797, 3819, 3822 (generali placito), 3824, 3829, 3829 (ultimo placito), 3868, 3874, 3950. Puis viennent convenientia : C 2985, 3150, 3262, 3286, 3324, 3809, 3822, 3829 ; conventio : C 2943, 3278, 3474, 3651, 3806, 3869, 3896 ; pax : C 3161, 3760, 3809, 3819, 3869, 3950 ; concordia : C 3161, 3334, 3819, 3868, 3869, 3872 ; pactum : C 3161, 3824 ; sacramentum : C 2980, 3896.
114 Une fine analyse de ces termes dans le champ sémantique de la vita Sancti Maioli est donnée par A. Guerreau, « Le champ sémantique », p. 407-409.
115 Les 26 occurences du terme énumérées par J. F. Niermeyer, Mediae Latinitatis, p. 801-804, témoignent bien de cette polysémie. Voir également la judicieuse mise au point sur le placitum et les convenientiae par P. Geary, « Extra-judicial Means », p. 571-585.
116 Le terme judicium apparaît deux fois : vers 1094, pour qualifier la sentence appliquée par le prieur au prévôt de Cluny en conséquence de ses injuriae à l’encontre de saint Pierre : C 3685. En 1107, pour qualifier l’arbitrage d’Archambaud Nigel, délégué de l’évêque de Mâcon, pour libérer les otages des moines et renvoyer le jugement des hommes de Laizé devant le plaid clunisien : C 3868.
117 Concordia placiti : C 3821 ; placiti convenientia : C 3829 ; concordia et placitum C 3868 ; werpitio sive concordia : C 3868 ; pax et concordia : C 3161, 3334, 3819, 3869 ; placitum et sacramentum : C 2980.
118 Par exemple : C 3278 (Notes Duby : 1090/1100), 3829, 3868.
119 La clamor decani : C 3666 ; plainte du chambrier : C 3440, du cellérier auprès du comte de Mâcon : C 3726, du doyen de Lourdon et du chambrier réunis : C 3754, du doyen de Jalogny auprès de l’abbé : C 3822, d’Étienne de Viscurson, moine et nuncius de l’abbé, sans doute chargé du domaine de Saint-Martin-des-Vignes à Mâcon : C 3841, de l’obédiencier d’Ouilly : C 3872. Le plaid se déroule postquam ventum est ad aures domni Odilonis abbatis : C 3278.
120 Le plaid se tient post multa placita longasque contentiones : C 3027 ; post multa jurgia et dispendia : C 3400 ; post multas et diversas conlocutiones : C 3577 ; post multas vocationes multasque commonitiones : C 3809 ; post multas ventilationes : C 3829 ; post longam concertationem : C 3869. Le jugement du prévôt de Cluny par le prieur, sous l’ordre de l’abbé, se déroule après des débats visiblement animés (C 3685). Le prévôt est en effet jugé pour l’appropriation de plusieurs biens de saint Pierre mais aussi de contumeliosis verbis et inhonestis responsis que contra fratres nostros, dominos suos, habuerat.
121 Par exemple, C 2985, 3086, 3278, 3473.
122 Confirmation par les frères du négociateur : C 2992, 3864, par sa femme : C 3874, par ses fils : C 3754, 3806, par sa mère et ses frères : C 3828, par sa femme et ses fils : C 3072, 3829. Promesse de confirmation par les deux fils mineurs du négociateur lorsqu’ils auront atteint l’âge de raison (ad intellegibilem etatem pervenerint) : C 3324.
123 Charte dictée et rédigée après la résolution du compromis : C 3829, 3869, 3874. Certains préambules soulignent bien l’intérêt des moines pour la rédaction de l’acte écrit : C 3072, 3087, 3150, 3333, 3654, 3754. Parfois, les chartes mentionnent explicitement le désir des laïcs de voir consigner par écrit les termes de la négociation : C 2985, 3334, 3473, 3868, 3872. Un plaid entre Cluny et Landric Gros d’Uxelles a été rendu nécessaire par la négligence passée des moines qui n’avaient pas fait rédiger de charte lors de la donation de serfs par le père de Landric : C 3754 (ipsi monachi de hoc dono cartam se habere nesciebant).
124 Lecture de la charte : C 3829, 3869 ; confirmation de la charte : C 2833, 2844, 2943, 3997, 3062, 3325, 3502 (confirmation par l’imposition des mains sur le document), 3592, 3874 ; dépôt sur l’autel : C 3017, 3473 ; dépôt dans les mains de l’abbé : C 3829.
125 Soixante-treize des chartes étudiées (soit 85 %) ont été copiées dans le cartulaire B entre 1060 et 1100 environ. Les chartes du début de l’abbatiat d’Hugues ont donc pu être copiées entre dix et cinquante ans après leur rédaction. 30 chartes (soit 35 %) étaient conservées en original, parmi lesquels 13 n’étaient conservées qu’en original et 17 étaient également copiées dans le cartulaire. Sur ces 30 chartes, il n’en subsiste aujourd’hui que 7 (les autres sont connues par les copies de L. de Barive). Parmi ces 7 chartes, 2 n’étaient sans doute pas conservées dans le chartrier abbatial (AD 21, carton 184 = C 3809 : partage des droits de justice à Gevrey-Chambertin entre Cluny et le duc de Bourgogne ; BNF, nouv. acq. lat. 2588, no 3 = MAR 288 : plaid de Montmain au sujet de l’immunité de Marcigny). Reste 5 chartes sur lesquelles il faudrait s’interroger pour connaître leur mode de conservation. Une seule est un chirographe (BnF, coll. Bourgogne 79, no 167 = C 3806). Les autres semblent n’avoir été conservées que dans le chartrier abbatial.
126 C 3809, 3822, 3864, 3896.
127 Plaid présidé par le doyen de Chevignes : C 2844, 2943, 3760 ; de Lourdon : C 3826.
128 C 3027.
129 C 3822.
130 C 3868, 3829.
131 En plus des exemples précédents : plaid présidé par l’abbé, C 2985, 3150, 3324, 3333, 3400, 3440, 3872. Plaid présidé par le prieur : C 2833, 2975, 2992, 3115, 3203, 3226, 3262, 3303, 3324, 3342 (avec le comte de Mâcon), 3473, 3474, 3578, 3651 (avec le comte de Chalon), 3685, 3809, 3868 (le prior tertius). Par le prieur, le chambrier, les doyens de Cluny et de Gevrey-Chambertin : C 3809.
132 Serment de fidélité reçu par l’abbé : C 2998, 3150, 3440, 3503, 3754, 3820, 3821, 3864, 3869, 3872, 3874, 3926, 3929 ; par l’abbé et le doyen d’Écussoles : C 2998 ; par l’abbé et quatre doyens dont celui de Cluny : C 3666 ; par le prieur : C 2992, 3685 ; par le prieur et le chambrier : C 3806 ; par le prieur et le doyen de Cluny en lieu et place de l’abbé : C 3809 ; par le chambrier : C 3017, 3824, 3828, 3950 ; par le doyen de Jalogny : C 3677, de Chevignes : C 3743 ; par le chambrier, les doyens de Chevignes et de Saint-Victor (Ajoux) : C 3828.
133 La convocation au plaid peut-être faite par un nuncius mandaté par l’abbé : C 3809, 3864. C’est en cette qualité qu’Étienne de Viscurson porte plainte contre le comte de Mâcon qui usurpe les biens clunisiens dans le « bourg d’Auxerre » à Mâcon : C 3841.
134 Plaid concernant des intérêts clunisiens arbitré par le comte de Mâcon ou en sa présence : C 2992, 3342, 3592, 3726 ; par le comte de Chalon : C 3651. Il faudrait ajouter à ces chartes celles où le comtes sont témoins.
135 C 3868.
136 MAR 288.
137 C 3819.
138 C 3869. Déjà en 1097, Urbain II prévoyait d’envoyer un légat si le conflit entre Cluny et Tournus au sujet des pêcheries de la Seille ne se résolvait pas rapidement : C 3726. Parmi les interventions des légats au profit de Cluny, il faut également signaler le traité entre Cluny et le duc de Bourgogne sur la justice de Gevrey-Chambertin (C 3809, 1101). Il ne s’est résolu qu’après l’excommunication du duc lors du concile de Valence présidé par deux cardinaux romains, le 30 septembre 1100.
139 Plaid dans le curtil contesté : C 3760 ; in saltu sive foresta proche de Péronne : C 3726 ; dans le jardin de l’église de Jalogny : C 3027.
140 Château de Brancion et de Sennecey : C 3822 ; château de La Bussière : C 3829. Également, à Saint-Romain, près d’Anse, à proximité du château de Montmerle : C 3333.
141 Maison d’Étienne de Charolles (sans doute à Cluny) : C 3758.
142 La curia du comte de Mâcon : C 3841. Le siège du pouvoir épiscopal : C 3868 (Mâcon), 3887 (Nevers).
143 C 3097, 3110, 3578, 3819, 3824, 3828, 3829, 3874, 3926, 3929.
144 Église abbatiale : C 3087 ; cimetière : C 3503 ; celle des novices : C 2998.
145 C 3072, 3324, 3400, 3440, 3473, 3474, 3502, 3754, 3806, 3819, 3821, 3868, 3869, 3881.
146 C 3666 : Ipse autem Durannus cum filiis suis sacramentum fecit et juravit super sanctum altare in turri bene voluntatis, quod istud pactum custodiat inviolatum...
147 Voir K. J. Conant, Cluny, pl. XXVI ; C. Sapin, « L’abbatiale de Cluny II » ; A. Baud, « Les fouilles archéologiques du transept », p. 11.
148 Berzé (C 3821, 3864), Jalogny (C 3027, 3872), Laizé (C 3868), Lourdon (C 3758, 3869, 3950), Mazille (C 3819) ; Montmain (MAR 288).
149 MAR 288.
150 C 3819.
151 C 3821.
152 Ouilly, S.-et-L., can. Matour, com. Montagny-sur-Grosne.
153 Parmi les trente-et-une stations connues de l’abbé Hugues entre 1102 et 1109, une seule est éloignée de Cluny, La Charité-sur-Loire, en mars 1107. A. Kohnle, Abt Hugo, p. 328-332. Station d’Hugues à Montmain : Gilo, Vita sancti Hugonis abbatis, cap. XXXIX, éd. H. Cowdrey, Two Studies, p. 81.
154 Cela est surtout manifeste sous l’abbé Hugues, cf. A. Kohnle, Abt Hugo, p. 314, 319-321, 326, 328-333. Hugues est présent à Chaveyriat : Gilo, Vita Sancti Hugonis abbatis, I.49, p. 87 ; à Malay : C 3621 ; à Chazelle : C 3624 ; à Mazille : MAR 15, C 3819 ; à Berzé : C 3666, 3821, 3827, 3840, 3862, 3864, 3867, 3873 ; à Chevignes : C 3565 ; à Lourdon : C 3150, 3305, 3715, 3850, 3869, 3950, MAR 103 ; à Saint-Mamert : C 3820, 3827 ; à Laizé : C 3827 ; à Jalogny : C 3872 ; à Saint-Hyppolite : C 3029.
155 En plus des exemples cités précédemment : C 2848 (à Bézornay puis à Cluny) ; C 3577 (Port-d’Arciat et Cluny) ; C 3758 (dans la maison d’Etienne de Charolles [à Cluny ?] puis à Lourdon) ; C 3726 (d’abord dans un lieu inconnu, puis à Mâcon et enfin à Péronne) ; C 3819 (à Mazille puis dans le chapitre de Cluny) ; C 3827 (à Berzé, à St-Mamert puis à Laizé ; Saint-Mamert, Rhône, can. Monsols. La domus de Saint-Mamert était à la collation directe du sacristain de Cluny : BC, col. 1710. Quelques moines y résidaient comme dans les doyennés) ; C 3828 (à Charlieu, à Villerest - emplacement de la terre contestée - puis à Cluny) ; C 3864 (à Berzé puis à Cluny).
156 Artaldus decanus de Lourdon (C 3712, 3713, 3714, 3715...), de Beaumont (C 3868).
157 Willelmus decanus de Lourdon (C 3027, 3159, 3286, 3636...), de Cluny (C 3796), de Mazille (C 3869), de Bézornay (C 3734, 3850).
158 Robertus decanus de Bézornay (C 3850), de Laizé (C 3881).
159 Ludovicus decanus de Marcigny ou Cluny (MAR 118), de Cluny (C 3822), de Chevignes (C 3828).
160 Stephanus decanus de Chevignes (C 3278, 3565, 3700), de Jalogny (C 3677, 3798, 3799, 3800, 3822), de Cluny (C 3824).
161 Par exemple dans C 3440, 3651, 3726, 3754, 3758, 3821, 3868, 3950.
162 Saint-Marcel : C 3087, Saint-Pierre-aux-liens : C 3400, Chaire de saint Pierre : C 3868, Sainte-Scholastique : C 3666, Vigile de la Saint Jean-Baptiste : C 3896, Vigile de la Nativité de la Vierge : C 3929. Ides de juin 1082 : C 3592. Sur le calendrier clunisien : K. Hallinger, « Das Sanktorale » ; R. Hausmann, Das Martyrologium. La charte C 3577 (v. 1080) mentionne la tenue d’un plaid à Cluny ad quandam solempnitatem. Cette absence de précision est toutefois significative. Elle légitime l’hypothèse selon laquelle les moines s’efforçaient de faire coïncider la date de la négociation à Cluny avec une fête solennelle.
163 Cela n’est pas propre à Cluny : P. Geary, « Vivre en conflit », p. 1122 ; S. White, « Feuding and Peace Making ».
164 J. Le Goff, « Le rituel symbolique de la vassalité », notamment p. 367-369. Parmi toutes les chartes qui mentionnent la prestation du serment dans les mains de l’abbé ou d’un officier abbatial, trois décrivent bien le rituel : C 3017, 3324, 3874.
165 Serment devant l’autel ou sur les reliques : C 3324 (Gautier de Berzé qui prête serment devient fidelis sancti Petri), 3651, 3666, 3809 (super sacrum altare à Gevrey), 3864 (sur les saintes reliques à Berzé), 3868 (sur l’autel Saint-Sulpice à Laizé).
166 G. Duby, « Recherches », p. 22, énumère quelques cas pour montrer l’aspect « féodal » de la justice clunisienne car l’abbé fait appel à ses vassaux et à ses fieffés pour témoigner.
167 monachi, milites : C 3017 ; monachi, laici : C 3503 ; monachi, clerici, milites, servientes : C 3869 ; monachi, milites, servientes : C 3872, 3874. G. Constable, « Three Studies », p. 282-283, 292-295, 301-302, fait un point sur l’apparition des groupes sociaux dans les chartes des XIe et XIIe s.
168 Prieur : C 3017, 3334, 3503, 3819 (prieur clautral), 3821, 3864, 3926. Chambrier : C 2998, 3819, 3821, 3864, 3950. Doyen de Berzé : 3824 ; de Cluny : C 3760, 3824 ; de Lourdon : C 3017, 3950 ; de Montberthoud (prior) : C 3821 ; de Romans : C 3821 ; de Cluny et Péronne : C 3726 ; de Chaveyriat, Berzé et Jalogny : C 3950 : de Péronne, Beaumont, Laizé et Chaveyriat : C 3868 ; quatre doyens non localisés dont sans doute celui de Mazille : C 3262. Armarius : C 3950. Cellérier : C 3017, 3726, 3821. Sacristain : C 3929.
169 C 2985, 3869, 3926.
170 C 3333, 3819, 3887, MAR 288.
171 Les prévôts : C 3086, 3087, 3278, 3592, 3666, 3677, 3716, 3758, 3806, 3869, 3926. Les chapelains : C 3017, 3758, 3881, MAR 288. Les prêtres : C 3110, 3278, 3806, 3881. Toutes ces chartes ne mentionnent pas explicitement le qualificatif servientes.
172 C 3874. Voir infra chapitre 6.
173 Testes et auditores : C 3027, 3829 ; testes qui affuerunt : C 3262 ; interfuerunt : C 3726, 3797 ; videntes : C 3760, 3781, 3828 ; presentes et audientes : C 3821.
174 Laudatores et firmatores : C 2844 ; testes et laudatores : C 2998, 3473, 3821 ; testes et (con)firmatores : C 3017, 3760 ; auditores et laudatores : C 3400, 3743.
175 C 3685, 3868, 3950. Sur le développement des fidejussores et leur rôle : P. Geary, « Vivre en conflit », p. 1121-1122.
176 C 3666, 3809 (délai de 40 jours), 3868, 3896. G. Duby, « Recherches », p. 41-42.
177 Si les menaces de sanctions pécuniaires deviennent rares après 1050 (cf. supra p. 241), les malédictions et menaces d’anathème sont toujours présentes même si elles sont souvent moins développées que vers 1020-1050. Par exemple : C 2833, 2943, 3097, 3367, 3440, 3743, 3829. Menace de supprimer tout héritage à celui qui violerait l’accord : C 3592. Lecture de la sentence et des menaces : C 3758, 3797. Sur la lecture des sentences avant ou pendant le déroulement du plaid : L. Morelle, « Les chartes dans la gestion des conflits », p. 290-293.
178 Paiement en argent : C 2844, 2943, 3072, 3087, 3097, 3150, 3324, 3342, 3440, 3577, 3651, 3654, 3666, 3716, 3754, 3760, 3781, 3822, 3829, 3864, 3881, 3950. En nature : C 3115 (une mule), 3333 (un cheval et une mule de 100 sous chacun), 3872 (un anneau d’or en signe de concordia et benivolentia). En argent et en nature : C 3278, 3400, 3592, 3758, 3806, 3828, 3874.
179 Paiement pour des amis ou parents du négociateur : C 3278, 3654 (épouse), 3806 (Humbert de Bourbon reçoit 500 sous pour son déguerpissement, sa femme 100 sous, son fils 100 sous et une tunique rouge), 3822, 3874 (Hugues de Chaumont reçoit 500 sous, son conseiller 100 sous, sa femme un manteau de vair) ; paiement de 50 sous à Humbert de Beaujeu pour obtenir sa confirmation du déguerpissement d’une terre dont il était le seigneur : C 3577.
180 Paiement par le prieur : C 3115, 3950. Par le chambrier : C 3828, 3829. Par le doyen de Berzé : C 3666 ; de Chevignes : C 2844,, 2943, 3278, 3760 ; de Laizé : C 3821 ; de Lourdon : C 3150, 3716, 3754 ; de Saint-Hyppolite : C 3072. Par Etienne de Viscurson (doyen de Saint-Martin-des-Vignes ?) : C 3781. Par un prêtre nommé Vincent (chapelain de Saint-Maïeul ?) : C 3758.
181 P. Geary, « Vivre en conflit », p. 1123-1125 ; S. White, « Feuding and Peace-Making », p. 246-257 ; B. Rosenwein et al., « Monks and their Enemies », p. 772-777.
182 C 2844 (Chaume, « Obs. » : v. 1050) : Hoc mercatum a domno Stephano monacho est pactum, qui obedientiam de Chiviniis regebat.
183 Parmi les chartes de déguerpissements et les notices de plaid comprises entre 1000 et 1050 (environ 80 actes), seules 7 mentionnent des paiements par les moines : C 2527, 2567, 2670, 2678, 2844, 2870, 2879.
184 Demande de sépulture : C 2844, 3161, 3203, 3224, 3278, 3286, 3295, 3806 (comme un moine), 3822, 3864. Demande de participer aux bienfaits spirituels de la communauté monastique : C 3097, 3262, 3278, 3295, 3743, 3806, 3864, 3868. Prise d’habit d’un membre de la famille pour mieux sceller la paix : C 3828 (la mère des négociateurs, à Marcigny), 3829 (le fils benjamin, à Cluny).
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Paix et communautés autour de l'abbaye de Cluny
Ce livre est cité par
- Baud, Anne. (2013) Architecture, décor, organisation de l'espace. DOI: 10.4000/books.alpara.3710
Paix et communautés autour de l'abbaye de Cluny
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