Chapitre III. Les cercles de la domination clunisienne
p. 133-193
Texte intégral
1Parmi les lieux dont ils proclament l’inviolabilité, le diplôme de Lothaire III (955) et le mémorandum du concile d’Anse (vers 994) accordent une attention particulière à Cluny, lieu fortifié (le castrum monasterii) et « lieu très saint » (sanctissimus locus). Le monastère est une forteresse rassurante, protectrice et protégée. Sa force réside dans les saints qui reposent dans l’autel majeur et les autres autels de l’église, dans les saints moines qui ont renoncé au monde et intercèdent pour les hommes et dans les morts au-dessus desquels ils ont construit leur cloître et leurs églises. De là, du pôle central, la sainteté rayonne vers l’extérieur. Entre 955 et 994 elle a déjà conquis un premier cercle. Du « château du monastère », elle s’est étendue au « bourg du saint lieu » (burgus sancti loci) qui bénéficie lui-même de la sainteté du lieu principal et de sa force (castrum vel burgus). La fin du XIe et le début du XIIe siècle marquent un tournant décisif. Alors même que se met en place le système domanial clunisien par la multiplication des loca monastiques, les privilèges d’immunité et d’exemption se spatialisent pour dessiner des zones délimitées par des termini et placées sous la juridiction exclusive de l’abbé de Cluny. Dans le même temps, les anciennes interdictions de construire des forteresses dans les environs du monastère ou de lever des péages sur les hommes se rendant au saint lieu ou en revenant prennent également une acception territoriale1.
I. DE LA CARTOGRAPHIE DE L’IMMUNITÉ
2Jusqu’à une période récente, la spatialisation de l’immunité et de l’exemption clunisiennes a suscité fort peu d’intérêts. Nombre de synthèses sur le monde seigneurial ou l’Église au Moyen Age mentionnent le « ban sacré » de Cluny, sorte de paradigme de la seigneurie ecclésiastique2, mais paradoxalement personne ne s’est sérieusement penché sur les termini de la zone délimitée par le pape Urbain II en octobre 1095, ni sur ses rapports avec la zone immuniste délimitée quinze ans plus tôt (février 1080) par Pierre Ignée, cardinal d’Albano, légat de Grégoire VII. L’état des connaissances en la matière peut se résumer en quelques points.
1. Chronologie
3Deux zones d’immunité ont été définies autour de l’abbaye de Cluny : la première le 2 février 1080 par le légat Pierre d’Albano venu dans la région pour résoudre les différends entre l’abbé de Cluny, Hugues de Semur, et les évêques de Mâcon et de Lyon ; la seconde par le pape Urbain II, le 25 octobre 1095, consécutivement à la consécration des cinq premiers autels de la nouvelle église abbatiale alors en construction. Cette seconde zone est plus étendue que la première. Le pape la qualifie de « ban sacré » (sacer bannus).
2. Localisation
4Nombre de termini cités dans les deux délimitations ne sont pas des toponymes importants. Il convient par conséquent de les identifier. La seule tentative en la matière a été effectuée par l’érudit clunisois Théodore Chavot au milieu du XIXe siècle3. Ses identifications sont fondées sur une bonne connaissance de la région, mais plusieurs hypothèses sont perfectibles, sans compter quelques méprises. En outre, Théodore Chavot a commis deux erreurs de date. Il place la délimitation de Pierre d’Albano en 1079 et non en 1080 ; il ignore la narration du sermon prononcé par Urbain II en octobre 1095 dans laquelle figure la délimitation du « ban sacré » et attribue celle-ci au pape Lucius II, le 22 mai 1144. En réalité, Lucius II n’a fait que confirmer terme à terme la délimitation de 1095 dans un privilège adressé à l’abbé de Cluny, Pierre le Vénérable.
3. Cartographie
5Dans sa thèse sur la société seigneuriale en Mâconnais parue en 1953, Georges Duby a dressé une carte des « châtellenies dans la région mâconnaise au milieu du XIIe siècle » (carte 15). S’inspirant vraisemblablement des localisations de Théodore Chavot, il y fait figurer le « sacré ban de Cluny » sous la forme d’un hexagone irrégulier dont Cluny est le centre, étiré vers le nord-est et le sudouest et couvrant un espace compris entre trois et six kilomètres autour de l’abbaye. Dans le corps du texte, Georges Duby insiste sur l’inconstance et l’imbrication des droits seigneuriaux, mais cet aspect dynamique se fige sur la carte. Le « sacré ban » apparaît ainsi comme un territoire délimité par des lignes droites qui se superpose à la seigneurie de l’abbaye de Cluny, elle-même voisine des châtellenies et seigneuries ecclésiastiques de la région cartographiées comme des circonscriptions4.
6Plus récemment, deux érudits mâconnais, Joseph Réthoré et Émile Magnien, ont fourni chacun une carte schématique des deux zones immunistes de Cluny (cartes 16 et 17)5. Ils reprennent sans les critiquer les erreurs de Théodore Chavot et les imprécisions de Georges Duby. Le « ban sacré de 1079 » est cartographié là pour la première fois, sans doute à partir des identifications hypothétiques de Théodore Chavot, mais ses limites ne sont pas justifiées et diffèrent selon les deux auteurs. On note en outre une erreur de formulation : l’expression sacer bannus ne se trouve pas dans le texte du légat pontifical. Leur « ban sacré de 1144 » (i.e. celui de 1095) reprend le schéma dressé par Georges Duby.
7En rouvrant le dossier de l’immunité clunisienne, Barbara Rosenwein s’est efforcée d’en préciser les étapes et les modes de localisation. Elle a fourni deux cartes de l’immunité de 1080. La première (carte 18) présente une zone de forme carrée ne s’étendant guère au-delà d’un kilomètre et demi autour de Cluny6. La seconde (carte 19) présente une zone de surface sensiblement identique mais de forme elliptique7. Les variantes entre ces deux cartes proviennent d’hypothèses différentes dans la localisation des termini et d’un changement dans la manière de les relier les uns aux autres. C’est là un double problème puisque Barbara Rosenwein ne justifie ni ses localisations ni le fait de les relier par des lignes, droites ou courbes.
8Parallèlement, Barbara Rosenwein a présenté une nouvelle carte du « ban sacré » de 1095, insistant moins sur son inscription territoriale que sur son expression symbolique (carte 20)8. Le ban sacré est délimité par des termini disposés tout autour (circum circa ubique) du monastère et situés sur des chemins qui partent de Cluny. Il dessine ainsi une aire circulaire théorique exprimant le rayonnement de la sainteté clunisienne à partir de son centre, l’église abbatiale. En privilégiant cet aspect - au demeurant essentiel - Barbara Rosenwein cartographie l’immunité comme une projection de l’idéal monastique sur la société qui environne le monastère, mais néglige l’aspect concret de l’interminatio pontificale, ses articulations éventuelles avec les éléments du relief, l’organisation des rapports sociaux et des communautés vivant sur place.
9Un bon nombre de points reste donc à éclaircir et plusieurs questions se posent.
101. Comme l’a récemment souligné Patrick Boucheron, la carte de Georges Duby soulève le problème de la délimitation des seigneuries et, plus largement, celui de la cartographie de la période seigneuriale9. L’historien peut-il et doit-il dessiner les seigneuries sous la forme de zones aux contours définis dès lors que les seigneurs possèdent des droits sur des hommes et des terres en des lieux dispersés, droits qui sont eux-mêmes souvent partagés entre plusieurs seigneurs et fréquemment remis en cause ? Est-il légitime de cartographier l’immunité sous la forme d’un territoire clos par des lignes dès lors que les textes qui la proclament ne mentionnent pas de telles « frontières » mais des points, les termini ? L’immunité n’est-elle pas avant tout un concept formulé par les clercs pour qualifier la sainteté rayonnante de leur locus ? Ce concept est-il cartographiable et si oui, sous quelle forme ?
112. D’autre part, plusieurs aspects n’ont jamais été abordés. Personne ne s’est intéressé au devenir de la zone délimitée en 1080 après la proclamation du ban sacré en 1095. Les deux zones coexistent-elles ? La seconde annule-t-elle la première ? On considère généralement que l’immunité de 1080 n’est qu’une étape dans la délimitation du « ban sacré ». Or, il suffit d’examiner les privilèges pontificaux adressés à Cluny à partir du pontificat de Lucius II pour observer que très fréquemment les deux zones sont confirmées simultanément. Que signifie cette juxtaposition et quelles sont les fonctions de ces espaces ?
123. Les études sur la spatialisation de l’immunité clunisienne ont toutes négligé la spatialisation de l’exemption et son corrélat, la juridiction ecclésiastique de l’abbé de Cluny sur quelques paroisses proches. Un texte essentiel, le privilège de Calixte II du 22 février 1120 adressé à l’abbé Pons de Melgueil, énonce pourtant la délimitation précise de la zone d’exemption de l’abbé de Cluny, délimitation qui ne laisse pas de surprendre lorsqu’on la compare à celle de l’immunité.
134. Depuis Théodore Chavot, personne n’a repris l’examen précis des toponymes cités dans les deux délimitations. Les cartes dressées privilégient, à la suite de Georges Duby, le dessin d’un territoire sans se demander quelles étaient ses limites ou, comme celles de Barbara Rosenwein, ne mettent en valeur que l’aspect idéologique de la délimitation (le cercle idéal). Ces deux niveaux d’analyse méritent d’être confrontés. La spatialisation de l’immunité et de l’exemption doit être considérée dans le processus général de l’encellulement, en se demandant comment les nouvelles cellules s’articulent aux éléments du relief et participent à l’organisation d’un espace social marqué par des points centraux, des limites, des chemins, les déplacements des hommes d’un lieu vers un autre et les échanges de toute nature qui s’y pratiquent. À ce point de la réflexion, on devra se demander comment les « cercles » de la domination clunisienne s’articulent avec les « lieux » de la domination clunisienne (doyennés, ermitages, églises, forteresses), avec les autres pôles de domination seigneuriale et les réseaux de circulation.
14L’identification des termini passe nécessairement par une étude fine de la toponymie et de la microtoponymie du Clunisois. Ce type d’étude nécessite un croisement de sources diverses, d’un maniement malaisé. Les chartes contemporaines des différentes délimitations présentent un premier ensemble documentaire, gigantesque. Les cartulaires de Cluny et de Saint-Vincent de Mâcon fournissent près de quatre mille chartes antérieures à 1150. Les toponymes cités sont majoritairement des microtoponymes qu’aucun instrument de travail ne permet de retrouver facilement. Les travaux de Théodore Chavot, Maurice Chaume et André Déléage et ceux, très précieux, de Gérard Taverdet, permettent de sensiblement débroussailler le terrain10. Il est ensuite nécessaire de rechercher dans les anciens terriers et cadastres les mentions éventuelles des microtoponymes que l’on croit trop rapidement « disparus » parce qu’ils ne figurent plus sur les cartes contemporaines au 1/25000e11. Ont été utilisés pour cette étude les terriers de la chambre abbatiale de Cluny dressés vers 1690, d’une part, entre 1775 et 1780, d’autre part12, et les cadastres napoléoniens dont les « États des sections » énumèrent de très nombreux microtoponymes13. Une fois les identifications effectuées, reste le problème de les transposer sur des cartes étant bien conscient qu’un tel exercice est un outil pour l’historien contemporain et non la transposition de la réalité du XIe siècle.
15Les pages suivantes tentent d’apporter quelques réponses à ce faisceau de questions et de remarques. On procédera en trois temps, en étudiant d’abord les deux délimitations de l’immunité (1080 et 1095), celle de l’exemption (Calixte II, 1120) puis celles des zones sans château et sans péage. Dans chaque cas, on s’efforcera de présenter de concert les motifs qui président à la proclamation des zones, les fondements structurels qui les sous-tendent et leur mise en place concrète dans le paysage clunisois.
II. L’IMMUNITÉ SUR LE TERRAIN
1. L’aire de pureté : La carta de immunitate Cluniaci de Pierre d’Albano, février 1080
16En février 1080 l’abbé Hugues de Semur se plaint à Grégoire VII de l’interdit porté par les évêques de Mâcon et de Lyon contre des églises clunisiennes au mépris des privilèges pontificaux qu’ils disaient méconnaître. Pierre Ignée, évêque d’Albano, est envoyé en Bourgogne pour résoudre le différend. La charte qu’il rédige à l’issue de sa légation rapporte les différentes étapes du règlement14.
Un monument de l’histoire clunisienne
17Le texte n’est pas conservé en original, mais sous la forme de quatre copies dressées entre la fin du XIe et la fin du XIIIe siècle par les clunisiens ; quatre copies qui montrent que le texte a été considéré très vite comme un « monument » de l’histoire clunisienne.
18La plus ancienne se trouve dans le cartulaire C (vers 1100), à la fin du premier cahier groupant neuf actes des Xe et XIe siècles insistant sur l’inviolabilité de Cluny et le respect nécessaire des privilèges pontificaux15. La seconde se trouve dans un manuscrit composé à Cluny dans les premières années du XIIIe siècle, sans doute à la demande de l’abbé Guillaume II souhaitant rassembler pour son propre usage les pièces essentielles de l’histoire clunisienne avant de quitter le monastère. La charte de Pierre d’Albano s’y trouve en bonne place parmi quatre autres pièces diplomatiques fondatrices de la libertas clunisienne : le testament de Guillaume d’Aquitaine, le mémorandum d’un concile dirigé par Pierre Damien à Chalon-sur-Saône en 1063 pour juger l’évêque de Mâcon accusé d’avoir violé l’exemption de Cluny, le sermon d’Urbain II instituant le ban sacré en 1095 et le privilège de Lucius II en mai 114416. Dans ces deux copies manuscrites, la charte de Pierre d’Albano est introduite par une rubrique en minuscule indiquant la substance du texte. Deux autres copies se trouvent dans les cartulaires D et E de Cluny datant, l’un du milieu, l’autre du dernier quart du XIIIe siècle17. Dans ce dernier manuscrit, le texte est introduit par une rubrique : De immunitate Cluniaci Petri Albanensis episcopi et cardinalis Romani dont Herbert Cowdrey s’est inspiré pour intituler la charte dans son édition de 197318.
19Le texte est rédigé au style direct. Pierre d’Albano rappelle d’abord les circonstances de son séjour en Bourgogne. L’évêque de Mâcon, Landric, et l’archevêque de Lyon, Gébuin, ont commis des infestationes à l’encontre du monastère et de ses dépendances. Le grand-prieur de Cluny, Eudes, en a rendu compte à Grégoire VII qui a répondu par l’envoi d’un légat. Pierre d’Albano, en cette qualité, est à Cluny le jour de la Purification de la Vierge (2 février). Il prononce un sermon, confirme publiquement les privilèges pontificaux du monastère, lève les sanctions portées par les évêques contre certaines de ses chapelles. Il délimite ensuite une zone inviolable où tout homicide, vol ou pillage sera puni par l’anathème. Sont ainsi protégés les moines, les habitants de la zone et tous ceux qui s’y réfugient (confugientibus)19. La mise en garde s’adresse aux milites de la région, ceux des châteaux de Brancion, Berzé, La Bussière, Suin, Sigy et Uxelles20. Ils sont sommés de respecter les cultivateurs (ruricolis seu rusticis) des villae voisines et de s’abstenir des mauvaises coutumes revendiquées jusqu’alors21. Les milites de la villa de Cluny sont particulièrement concernés. Parce qu’ils demeurent plus près du sanctuaire, ils devront d’autant plus éviter les outrages à l’encontre des serviteurs de Dieu. Ils s’abstiendront notamment d’exciter les autres milites aux mauvaises actions22.
20Pierre d’Albano rapporte ensuite les débats d’un colloquium réuni quatre jours plus tard (6 février) dans l’église Saint-Bernard, près d’Anse, en présence des archevêques de Vienne et de Lyon, de l’abbé de Cluny, des évêques d’Autun et de Mâcon. L’archevêque de Vienne prend le premier la parole pour rappeler les origines du conflit. Revenant de Cluny où il avait consacré des prêtres à la demande de l’abbé Hugues, il a été sévèrement molesté par des chanoines de Mâcon. S’en plaignant à l’évêque, il n’a rencontré qu’une fin de non-recevoir. Il s’en remet alors à l’arbitrage du légat pontifical. Devant les participants du colloque, celui-ci lit une bulle de Grégoire VII confirmant l’exemption de Cluny. L’évêque de Mâcon nie en avoir eu connaissance. L’abbé Hugues proteste avec véhémence, lui rappelant d’anciennes mises en garde au cas où il tenterait de jeter l’interdit sur des chapelles clunisiennes. Constatant l’obstination de l’évêque, Pierre d’Albano le suspend de ses fonctions et l’enjoint de faire pénitence devant le pape. Les chanoines protestent. Ils sont excommuniés pour les violences portées contre l’archevêque de Vienne. Le colloque se poursuit avec l’archevêque de Lyon, sommé de reconnaître le privilège de Grégoire VII. Il s’obstine également. Pierre d’Albano lève alors toutes les sanctions lancées par l’archevêque, tant contre des chapelles que contre le prieuré de Pouilly-lès-Feurs dont les moniales clunisiennes avaient été expulsées pour être remplacées par des chanoines23.
L’immunité et la pureté de Cluny
21Les termes employés dans la narration pour dénoncer les actions des évêques mettent clairement en évidence les fondements sur lesquels repose l’inviolabilité du lieu. En s’en prenant au monastère (le locus principalis) et à ses dépendances (cellae et adiacentiae), les évêques de Mâcon et de Lyon ont commis des infestationes, des souillures24. Le terme est lourd de sens. Il renvoie à la notion de pureté, incarnée dans la société médiévale par les hommes d’Église ayant renoncé à la chair et localisée dans les lieux consacrés (autels, reliques, églises, cimetières). Porter atteinte à ces hommes et à ces lieux est une transgression fondamentale de l’ordre social qui nécessite des rituels de purification25. L’envoi du légat Pierre d’Albano est de ceux-là. Il passe alors pour l’un des plus ardents promoteurs de la pureté de l’Église par sa lutte contre les prélats simoniaques. Douze ans avant son intervention à Cluny, il s’est notamment illustré contre l’évêque de Florence Pietro Mazzabarba, accusé de simonie, en sortant victorieux d’une ordalie par les flammes à laquelle il s’était soumis pour prouver le bien fondé de ses accusations. Il en a gardé son surnom, Pierre Ignée26.
22Si le choix du légat n’est pas le fruit du hasard, la date de son intervention ne l’est pas davantage. Pierre d’Albano arrive à Cluny le 2 février, jour de la Purification de la Vierge. Cette fête compte parmi les solennités majeures de l’abbaye de Cluny. Le liber tramitis, coutumier de Cluny rédigé vers 1030, lui accorde d’amples développements ; Odilon lui a consacré un sermon qui met en valeur les vertus de Marie, en particulier la pureté et la virginité27.
23En rappelant solennellement les privilèges pontificaux de Cluny le jour de la Purification de la Vierge, le légat pontifical entend rappeler les liens étroits entre la sainteté du lieu, la pureté des moines et leur domination exclusive sur la terre et les hommes au voisinage du monastère. La dénonciation des infestationes constitue une démonstration par l’absurde de l’exceptionnalité du lieu. Elle conduit logiquement à la proclamation des règles de conduite à tenir à l’égard des lieux saints, à savoir les mises en garde adressées aux milites et la délimitation précise d’un territoire inviolable.
Une inviolabilité théorique dans un territoire bien réel
Moi, Pierre, par la grâce de Dieu évêque d’Albano et légat du Siège apostolique, interdis par Dieu Tout-Puissant et par le bienheureux Pierre, prince des apôtres, et aussi par mon seigneur pape Grégoire, à tout homme, quelle que soit sa puissance ou sa dignité, de commettre contre ce lieu (locus) de Cluny à l’intérieur des limites (termini) notées ci-dessous, des homicides, des vols, des pillages ou de quelconques usurpations. Voici les limites : depuis le ruisseau de Saunat et depuis l’église de la villa de Ruffey et la croix de Lournand ; de même depuis le moulin de Tornesac, par la villa appelée Varennes, par la limite qui conduit per Ios au ruisseau de Saunat28.
24Si Ruffey et Lournand s’identifient sans peine et le ruisseau de Saunat assez rapidement, l’église de Ruffey et la croix de Lournand ont disparu. Le moulin de Tornesac et « la limite qui conduit per Ios au ruisseau de Saunat » ne figurent sur aucune carte, même précise, des environs de Cluny. La villa appelée Varennes peut correspondre à plusieurs localités. La carta de Pierre d’Albano dans une main, les chartes contemporaines, les anciens terriers, les États de section des cadastres dans une autre, partons sur les chemins du Clunisois pour tenter d’identifier les termini cités.
Le ruisseau de Saunat
25Le ruisseau de Saunat coule d’ouest en est au sud de Cluny. Il prend sa source en contrebas du hameau des Granges, sur l’actuelle commune de Château, au lieu-dit Saint-Laurent. Il rejoint la Grosne en amont de Cluny, tout près d’un ancien gué, le « gué Marion » (carte 21).
L’église de la villa de Ruffey
26Ruffey est aujourd’hui un lieu-dit presque inhabité de la commune de Cluny, mais c’était au Xe siècle un chef-lieu de villa et d’ager29. Une seule église (ecclesia) est connue dans cette circonscription. Elle est sous le vocable de saint Germain30. Concédée à Cluny à la fin du Xe siècle31, elle figure parmi les possessions inviolables énumérées dans le privilège de Grégoire V en avril 99832. L’église semble avoir été paroissiale dans la seconde moitié du XIe siècle33. À la fin du Moyen Age, elle avait été rétrocédée à l’évêque de Mâcon et figurait parmi les églises de l’archiprêtré du Rousset qui lui appartenaient de plein droit34. Aujourd’hui disparue, l’église Saint-Germain de Ruffey a laissé son nom à un écart, le « pré Saint-Germain », à moins d’un kilomètre à l’ouest de Cluny. Un tertre surélevé de forme triangulaire, recouvert d’arbres, se remarque là au milieu des prés. Les terriers du XVIIIe siècle le situent précisément à l’embranchement de deux chemins, l’un venant de Jalogny et Montillet, au sud, et menant vers Lournand, au nord, l’autre venant du bourg abbatial, à l’est, et montant vers l’ouest sur la colline de Montaudon (carte 21). C’est vraisemblablement là que se situait l’église Saint-Germain35.
La croix de Lournand
27La croix de Lournand n’a pas laissé de trace dans la toponymie actuelle. Le village de Lournand est situé à deux kilomètres au nord de Cluny en contrebas du château de Lourdon. Jusqu’au XIXe siècle, le chemin principal de Cluny à Lournand partait de la porte Saint-Maïeul et se dirigeait plein nord, franchissant la colline de la Cras et redescendant rapidement sur le village de Lournand situé de l’autre côté de la colline (carte 21)36. La croix dite de Lournand se trouvait sans doute sur ce chemin, peut-être sur l’esplanade sommitale. Là, le chemin de Lournand croise un chemin faîtral37 (chemin de faîte) : le « chemin des mulets » qui relie, d’est en ouest, la Grosne et le grand chemin de Cluny à Sigy.
Le moulin de Tornesac
28Ni la microtoponymie actuelle ni les anciens terriers ou cadastres ne portent de trace du moulin de Tornesac, mais un acte de la fin du XVe siècle permet de le localiser. En 1481, le doyen de Cluny se voit confirmer contre les prétentions du doyen de Lourdon la juridiction temporelle « au lieu de la Cras, tant au dessus qu’au dessous jusques au chemin de Chardon, comme aussy depuis le moulin de Cornesac [sic], estant sous la chaussé de l’estand-vieux, et de là indifféremment jusques à Cluny »38. L’« étang-vieux » s’étendait au nord de la ville. Il était alimenté par la Grosne et retenu par une digue au nord, située tout près de l’embranchement du chemin des mulets qui monte sur la Cras39 (carte 21). La digue est encore bien visible dans la topographie actuelle. Le creusement de l’étang est généralement daté de la fin du XIIe siècle, mais la présence du moulin de Tornesac dès 1080 semble indiquer que l’étang était déjà aménagé à cette date40.
La villa appelée Varennes
29La villa quae dicitur Varenna est un point épineux41. Le toponyme est très fréquent dans la région et désigne généralement des terres maigres, souvent situées près d’un cours d’eau42. La forme Varenna présente plusieurs variantes. Les privilèges pontificaux qui confirment l’immunité de Pierre d’Albano aux XIIe et XIIIe siècles l’orthographient Varenna, Varennia, Varenga ou Varengia43. Deux hameaux situés près de Cluny peuvent correspondre à ces toponymes : Les Varennes à cinq kilomètres au sud-ouest de Cluny, sur l’actuelle commune de Mazille ; Varanges, à quatre kilomètres au nord-est du bourg abbatial, sur la commune de Cortambert. Toutefois, les points précédents montrent que la délimitation de Pierre d’Albano suit un parcours sud-ouest-nord-est ; Varenna doit donc se situer à l’est ou au nord-est de Cluny ; le lieu-dit Les Varennes sur la commune de Mazille est exclu. Varanges est plus probable, mais on verra que plusieurs éléments incitent à écarter cette hypothèse. Le hameau du Vergne, situé un kilomètre à l’est du bourg abbatial, est une autre possibilité, géographiquement plausible (carte 22). Mais le toponyme semble plutôt dériver de « verne » que de « varenne » et ne peut s’identifier avec Varenna, même avec les formes Varenga ou Varengia44. La villa Vareniacus in Montelio (Monthiou) mentionnée dans une charte de 992 est une quatrième possibilité45. Le « bois de Monthiou » situé entre Varanges et Donzy-le-Pertuis conserve le toponyme et permet de localiser cette ancienne villa à environ quatre kilomètres au nord-est de Cluny, sur la colline couverte par le bois de Bourcier et dominée par le mont de Mandé (carte 22). Au nord du mont de Mandé se situe le toponyme Les Varennes (aujourd’hui les Grandes Varennes et les Petites Varennes). Si c’est là l’ancienne Varenna citée par Pierre d’Albano, il faut admettre que la zone délimitée couvre l’ensemble du flanc ouest de la colline dominant le bourg abbatial, à l’est ; qu’elle englobe le bois de Bourcier et s’arrête vraisemblablement au chemin faîtral (le « chemin des moines ») qui sillonne sur la crête de la colline.
30Les confirmations pontificales de la charte de 1080 incitent à privilégier cette hypothèse. Le terminus est ainsi qualifié : per villam quae dicitur Varenna cum nemore Burserio46. Le terminus qui passe par la villa de Varenna et englobe le bois de Bourcier semble alors clairement s’identifier avec le chemin faîtral dit « des moines », au sommet de la colline, et la villa quae dicitur Varenna avec le lieu-dit les Grandes Varennes (carte 22). C’est l’hypothèse que je privilégie, conforté également par le dernier terminus cité, per Ios.
La limite qui conduit per Ios au ruisseau de Saunat
31Les deux plus anciennes versions manuscrites de la carta de Pierre d’Albano (cartulaire C et manuscrit BnF latin 17716), présentent le dernier terminus ainsi : per terminum qui dirigitur perios47. Les cartulaires D et E présentent une légère variante : a termino etiam qui dirigitur perios48. Cette formule (a termino) est retenue dans toutes les confirmations ultérieures de la délimitation, avec deux variantes supplémentaires : le verbe dirigitur devient dicitur, le terminus perios devient Perois, Perrois ou Peroys49. Dans son édition de la carta, Herbert Cowdrey a transcrit le terminus sous la forme per Ios. Aucun toponyme ne correspond à Ios dans les environs de Cluny. En revanche, la forme Perois est bien plus acceptable. Elle peut désigner le hameau Le Perret ou le Mont Perret, sur la commune de Berzé-la-Ville50. Le Perret est situé sur l’ancien chemin de Cluny à Berzé (ou Mâcon), dit « chemin de la Mutte » (carte 22). Ce chemin rejoint la vallée de la Grosne en amont de Cluny, au gué Marion, c’est-à-dire précisément où le ruisseau de Saunat se jette dans la rivière.
32Le terminus qui dirigitur perios [Perois] ad riuum de Salnane désigne donc le chemin qui conduit du Perret au ruisseau de Saunat, c’est-à-dire le chemin de la Mutte. Au lieu-dit « champ des Margottons » ou « Les Gottiales »51, soit au sommet de la colline, ce chemin croise le chemin faîtral des moines qui vient du nord et continue vers le sud en direction d’un ancien moulin des sires de Berzé. C’est là, sans nul doute, la limite de la zone immuniste : au sommet de la colline, à la croisée de deux chemins.
33Le verbe dicitur employé dans les confirmations pontificales de la carta ne pose pas de problème majeur étant donné que le lieu-dit « les Gottiales » se trouve tout près du Perret. La formule terminus qui dicitur Perois désigne le point limite de la zone, au sud-est (c’est-à-dire Le Perret ou Les Gottiales) alors que la formule terminus qui dirigitur Perios désigne le chemin qui conduit vers ce lieu, le chemin de la Mutte.
34Récapitulons. Selon mes hypothèses, les termini fixés par Pierre d’Albano délimitent une zone étendue sur environ un kilomètre au sud, à l’ouest et au nord du monastère. À l’est, elle est beaucoup plus vaste et comprend l’ensemble du versant ouest de la colline couverte par le bois de Bourcier jusqu’au chemin sommital, le « chemin des moines » situé à près de cinq kilomètres de Cluny. Mise à plat sur une carte, la zone immuniste prend la forme d’un quadrilatère irrégulier dont le monastère est le centre de gravité à défaut d’en être le centre géographique (carte 23).
35Un problème essentiel reste cependant posé, celui de la délimitation. On l’a vu, le texte de Pierre d’Albano ne mentionne pas des lignes, des chemins ou des frontières, mais des termini, autrement dit des points déterminés. Seuls le début et la fin de l’interminatio laissent clairement entendre que les termini en question sont des lignes, tangibles : le ruisseau de Saunat, le terminus qui passe par la villa appelée Varennes et la « limite qui conduit perios (Le Perret/Les Gottiales) au ruisseau de Saunat », autrement dit un chemin (le chemin de la Mutte). Cela étant, est-il légitime d’étendre cette caractéristique à l’ensemble de la délimitation dès lors que le texte ne le mentionne pas ? C’est là sans doute que l’outil cartographique et la recherche sur le terrain s’avèrent les plus fructueux. Le choix des termini montre en effet un souci très présent des contingences topographiques et des voies de circulation.
36La croix de Lournand, l’église Saint-Germain, les Varennes et les Gottiales sont situées à des croisées de chemins. Plusieurs sont des chemins de crête, ceux que l’on appelle en Mâconnais les chemins faîtraux parce qu’ils courent sur le faîte des collines. Le chemin des mulets, au nord, sépare le vallon de Cluny de celui de Lournand. Le chemin des moines, à l’est, sépare le Clunisois du Mâconnais. Le chemin de la Mutte, au sud-est, est la voie principale vers Mâcon. Il croise le chemin des moines en surplomb du château de Berzé. Passé les cols des Gottiales, de Montmain, et des Varennes, les hommes sont en pays clunisien. De là, on domine le monastère, on le voit et l’on est sous son emprise.
37Outre les cols et les chemins, l’aire d’immunité est délimitée par des édifices marquant la domination clunisienne sur le territoire. Ce sont l’église Saint-Germain de Ruffey, à l’ouest, qui relève de la juridiction ecclésiastique de l’abbé de Cluny ; la croix de Lournand, au nord-ouest ; le moulin de Tornesac et la digue de l’étang, au nord, qui manifestent le dominium monastique sur la terre, les cours d’eaux et les hommes.
38À l’est, la très large extension de la zone par rapport à son emprise dans les trois autres directions n’a d’autre but que d’englober le bois de Bourcier, forêt domaniale et source de richesses considérable pour les moines. Le bois est « clunisien » jusqu’au sommet de la colline marqué par le chemin des moines. Sur le versant oriental, on est en pays mâconnais. Le châtelain de Berzé et le comte de Mâcon s’y partagent les droits.
39Avec la charte de Pierre d’Albano, l’aire d’immunité autour du monastère n’est plus abstraite. C’est un territoire très clairement délimité que chacun connaît et doit respecter dans sa spécificité. Bien sûr, l’interminatio du légat pontifical n’a vraisemblablement pas créé la spécificité de cette zone. Elle l’a sanctionnée et proclamée par voie orale avant d’en consigner les termes par écrit. C’est dans ce cadre-là, où le concept élaboré par les moines et les papes est clairement spatialisé, que la communauté d’habitants de Cluny va se développer, sous le joug exclusif de l’abbé et au nom de la loi clunisienne. La villa, le doyenné et la parrochia de Cluny auront pour limites cette « aire de pureté » délimitée en 1080.
40Le grand-prieur de Cluny, Eudes, qui s’était rendu auprès de Grégoire VII pour solliciter l’envoi d’un légat pontifical en 1080 est devenu pape en 1088 sous le nom d’Urbain II52. En octobre 1095, quinze ans après Pierre d’Albano, il revient à Cluny. Comme lui, il prononce un sermon, confirme l’immunité de l’abbaye et définit l’aire de son exercice.
2. Le ban sacré : Urbain II, 25 octobre 1095
41Le voyage en Gaule d’Urbain II, d’août 1095 à août 1096, compte parmi les épisodes les plus fameux de son pontificat. Deux points forts en sont généralement retenus : l’appel à la croisade et la consécration de nombreux lieux (églises, cimetières, autels) tout au long du périple53. La station à Cluny à la fin du mois d’octobre 1095 est une étape essentielle dont la durée et le déroulement ne sont guère connus que par la version écrite du sermon prononcé par le pape dans l’église abbatiale en construction, le 25 octobre 1095. Plus encore que la charte de Pierre d’Albano, ce texte est un manifeste pour la défense de Cluny et de l’Église romaine54.
Un autre monument
42Comme le mémorandum du concile d’Anse ou la charte de Pierre d’Albano, le sermon est connu par le seul canal clunisien. Il n’existe pas d’original. Une copie à peu près contemporaine de l’événement (fin XIe - début XIIe siècle) figure dans le cartulaire des privilèges de Cluny (cartulaire C)55. Une autre, postérieure d’un siècle environ, figure dans le manuscrit latin 17716 de la Bibliothèque nationale de France, entre la charte de Pierre d’Albano et la bulle de Lucius II du 22 mai 114456. Ces deux manuscrits sont des monumenta à la gloire de l’abbaye de Cluny. Dans chacun d’eux, le sermon d’Urbain II occupe une place de choix parmi les privilèges fondateurs de sa libertas57. On ne dispose d’aucune édition critique du texte. À défaut, on doit se reporter aux deux éditions fournies par les clunisiens eux-mêmes au XVIIe siècle, la première dans la Bibliotheca Cluniacensis, reprise ensuite dans la Patrologie latine et le Recueil des Historiens des Gaules et de la France, la seconde dans le Bullarium Cluniacense58. Ces deux éditions et leurs copies plus ou moins fidèles comportent plusieurs erreurs. On trouvera en annexe une nouvelle édition du texte collationnée sur les deux versions manuscrites et présentant les erreurs des éditions précédentes59.
43Le texte est introduit par un bref préambule qui rapporte au style indirect les actes du pontife et de ses acolytes avant la prononciation du sermon. Le huit des calendes de novembre 1095, Urbain II a consacré (sacravit) l’autel majeur du nouveau monastère et l’autel matutinal. Ce même jour, les archevêques Hugues de Lyon, Daimbert de Pise et Bruno de Segni ont consacré (sacrarunt) les autels des trois premières chapelles de l’église. Après ces cérémonies et plusieurs exhortations au salut et avant de célébrer la messe, le pape a prononcé un sermon ad populum en présence d’évêques, de cardinaux et de nombreuses personnes60.
44Le texte prend alors une tournure personnelle et semble rapporter les propres propos du pontife. Urbain rappelle le statut particulier du monastère depuis sa fondation et la protection spéciale que ses prédécesseurs ont accordé au lieu (locus), à ses dirigeants (rectores) et à ses habitants (habitatores). Il souligne notamment le rôle du fondateur, le « pieux Guillaume » (pius ille Willelmus), qui avait pris soin de ne confier la garde et la protection du monastère à aucun avoué, aucun patron, aucun roi ou prince, si ce n’est Dieu, saint Pierre et ses vicaires, les pontifes romains. Urbain expose ensuite sa propre participation à la défense de Cluny. Son séjour dans le monastère bourguignon où il fut moine et grand-prieur est une première. Avant lui, aucun pape n’a jamais visité le monastère. Aussi, estce pour être utile à Cluny et à sa congrégation avec laquelle il avoue avoir une parenté particulière (specialis cognatio) qu’il s’est personnellement rendu sur place, a consacré les premiers autels déjà pourvus (qui parata sunt) et encourage maintenant la construction du nouveau monastère61.
45Pour cette même raison et pour plaire à Cluny, il fixe tout autour (circumcirca) du monastère les limites précises de l’immunité et de la sécurité qu’il appelle « les limites du ban sacré » (limites sacri banni)62. En deçà de ces limites, nul homme, quelle que soit sa condition ou sa puissance, n’osera, à l’encontre de l’autorité sacrée (sacra auctoritate arcente), commettre une quelconque violence, un incendie, un vol ou un pillage, prendre un homme, le frapper, le tuer ou lui amputer un membre. Les limites de ce « ban consacré » (terminos sacrati banni) sont fixées pour le monastère (monasterium), la villa et le burgus de Cluny63. Au nom de Dieu tout-puissant et de l’autorité des bienheureux apôtres Pierre et Paul, le pape recommande à tous les hommes présents et à tous ceux qui liront ou entendront son sermon de ne pas enfreindre le ban et d’observer sa loi (ejus legem)64. Si quelqu’un enfreint sciemment le ban et si, ajourné par l’abbé, le prieur, le chambrier ou le doyen du convent de Cluny, il ne s’amende pas convenablement, qu’il soit excommunié. Quiconque sera chargé par l’abbé ou ses moines d’agir contre un tel homme devra le corriger et le contraindre à résipiscence. L’excommunié pour infraction au ban (pro banno fracto) ne sera pas absous avant le paiement d’une amende convenable. La lex banni est établie pour les personnes présentes comme pour tous leurs descendants et pour tous les absents65.
46Le sermon se clôt sur deux formules de malédiction et de bénédiction. Ceux qui agissent de manière inique contre le monastère de Cluny et sa congrégation (ista congregatio) seront châtiés par l’anathème et le glaive de saint Pierre jusqu’à résipiscence. Ceux qui servent la paix (pacem servantes) et agissent droitement à l’égard du monastère et de la congrégation obtiendront la grâce et la miséricorde perpétuelle du Christ ; les bienheureux apôtres Pierre et Paul seront leurs auxiliaires particuliers (primos et praecipuos adjutores) auprès de Dieu66.
Les structures de la domination clunisienne en 1095
47Les actions effectuées par Urbain II et la manière dont elles sont rapportées par le texte ne sont pas le fait du hasard. Elles ont un sens et ne se comprennent que les unes par rapport aux autres. Toute utilisation partielle du sermon d’Urbain II67 tend à masquer la structure du texte, elle-même révélatrice des structures sociales, des desseins des moines de Cluny et de la papauté vers 1100. Tentons de les mettre en évidence.
48Le sermon est précédé par la consécration de l’autel majeur, de l’autel matutinal et de trois autres autels « préparés » (altare primum et majus cum caeteris quae parata sunt). L’expression indique que les autels sont « prêts à l’emploi » parce qu’ils ont reçu des reliques, dessus, dessous ou plus vraisemblablement dedans. On ignore quels saints ont été ainsi placés dans les cinq autels. Saint Pierre et saint Paul, sans doute, puisque le monastère leur est dédié et l’autel majeur de la précédente église abbatiale accueillait déjà une portion de leurs reliques depuis la fin du Xe siècle68. Mais ce qui importe est moins leur nom que la cérémonie de consécration et la transformation qui en résulte. Grâce à son autorité apostolique, le pape transforme des agrégats de pierres, d’eau et de chaux en autels, supports quotidiens du sacrifice régénérateur (l’eucharistie) qui, lui aussi, procède à une transformation d’espèces69. Les rituels présidés par le pape et les propos qu’il prononce suivent un déroulement bien huilé depuis leur codification dans le pontifical romano-germanique au Xe siècle. La consécration d’une église nécessite le rassemblement du clergé et du populus sur les lieux où vont désormais reposer les reliques. Les onctions, lustrations et processions sont suivies de lectures, d’oraisons et de la célébration eucharistique qui clôt nécessairement la cérémonie70. La consécration institue une nouvelle organisation sociale et spatiale polarisée autour du lieu consacré et des hommes qui le desservent. Les articulations de cette nouvelle société, à Cluny en 1095, sont très claires.
49L’autel majeur de la nouvelle église abbatiale est le pôle central de l’Église clunisienne. Nouvellement consacré, il est le support de la régénération constante de la société grâce aux célébrations eucharistiques répétées. Il détermine une hiérarchie sociale et spatiale dont le pape s’applique à définir les termes. Autour du pôle sacré, toute violence est interdite et il convient de tout faire pour favoriser, défendre et soutenir l’Église (la communauté), à commencer par poursuivre la construction de l’église (le bâtiment), défendre les droits de l’abbé, combattre les oppresseurs. Tous ceux qui respecteront la lex banni, garantie par les officiers principaux du monastère (chambrier, doyen, prieur) seront promis à une paix perpétuelle grâce à l’intercession bienfaitrice des saints apôtres. En revanche, les malfaiteurs encourront l’excommunication. Ils seront exclus de la communauté des croyants et voués à un châtiment perpétuel s’ils ne se réconcilient pas avec les gardiens de son unité : l’abbé et ses auxiliaires.
50La paix promise aux bienfaiteurs de Cluny est la paix de l’Église. Comme dans tous les textes contemporains produits par une plume d’ecclésiastique, pax rime avec concordia, unitas, religio et ce depuis que saint Augustin a posé les fondements du système71. La société est l’Église. La paix est l’harmonie entre Dieu, les saints et les hommes, via la médiation des ecclésiastiques. La paix clunisienne définie en octobre 1095 vise à conserver cette harmonie où les moines tiennent le rôle clé entre Dieu et les saints, d’une part, et les hommes, de l’autre.
51L’espace d’exercice de la paix clunisienne est qualifié par le pape « ban sacré » (sacer bannus) ou « ban consacré » (sacratus bannus). L’expression mérite que l’on s’y attarde. Les deux mots sacer et bannus font partie du vocabulaire courant aux XIe et XIIe siècles, mais leur association à Cluny semble un cas unique. Avec dominium, dominatio, jurisdictio et potestas, le mot bannus est un des principaux termes utilisés pour désigner le rapport de domination féodal, qu’il s’agisse de l’exercice de cette domination, de ses répercussions concrètes (sentence judiciaire prononcée par le détenteur du bannus, impôt levé par ses soins), ou de son aire d’exercice72. Sacer compte avec sanctus, religiosus et venerabilis, au nombre des termes maniés par l’Église pour désigner les biens et les personnes consacrés à Dieu et soustraits au monde ordinaire. Au XIe siècle, le sacer désigne plus particulièrement ce qui a été consacré par un évêque lors d’une cérémonie de consécration ou dédicace : les autels, les églises, les cimetières73. Un lieu ou un espace consacré est désormais considéré comme un lieu privilégié pour les échanges entre les hommes et Dieu.
52Les expressions « ban sacré » et « ban consacré » employées par Urbain II désignent donc à la fois la domination temporelle de l’abbé et l’espace de son exercice, consacrés par la cérémonie du 25 octobre 1095. Leur sacralité procède de la consécration des autels et particulièrement de l’autel majeur. Lors de la cérémonie comme dans sa narration, la proclamation du ban sacré suit immédiatement la consécration des autels parce qu’elle découle de celle-ci, comme en découle la proclamation des règles de conduite à tenir. En employant l’expression « ban sacré », le pape souligne les articulations entre la sacralité du pôle central, l’inviolabilité des lieux consacrés, la domination des hommes qui desservent ces lieux et l’inscription territoriale de leur domination. Ceci au tournant du XIIe siècle alors que les juridictions, les paroisses, les communautés villageoises deviennent des réalités sociales et spatiales.
53L’unicité de l’expression « ban sacré » prend tout son sens à Cluny, « laboratoire idéologique »74 fondamental pour définir le rôle de l’Église, la libertas ecclesiae et la nature du pouvoir théocratique. Est-ce une création d’Urbain II, cet ancien clunisien demeuré le frère spirituel des moines qu’il a quittés pour prendre les rênes de l’Église, ou bien est-ce une création des moines clunisiens qui ont vraisemblablement composé la narration du sermon pontifical ? C’est difficile à dire tant les deux institutions travaillent de concert en cette fin du XIe siècle75. Et, comme les moines de Cluny le sont pour le monachisme noir, leur « ban sacré » est le paradigme du dominium ecclésiastique au tournant du XIIe siècle. Sa proclamation résonne comme un programme de gouvernement.
54Reste à savoir si ce programme d’idéologues a les moyens de s’appliquer sur la terre et les hommes du Clunisois et si, aussi concrètement que l’immunité de Pierre d’Albano, on a cherché à l’inscrire précisément dans le territoire. L’examen attentif des termini permet de s’en rendre compte.
L’espace du ban sacré de 1095
Il nous plaît également [...] d’assigner tout autour et de toutes parts les limites précises de l’immunité et de la sécurité et d’appeler ces limites les limites du ban sacré. [...] Ainsi, les limites du ban sacré sont les suivantes. Vers Berzé, la limite est à l’embranchement de deux chemins vers la Salare ; un chemin conduit vers Cluny, l’autre vers Mazille. Sur la voie en direction de Beaujeu, la limite est près du carrefour qui est au-dessus du moulin du cellérier de Cluny, près de Vinges. Au-delà de Cluny, vers Mazille, la limite est à l’embranchement de deux chemins, l’un conduit vers Mazille, l’autre vers Bois-Sainte-Marie. Au-dessus de Ruffey, la limite est au sommet de la colline, à l’embranchement de deux chemins, l’un conduit à Bézornay, l’autre à Charolles. Vers Sigy, la limite est au carrefour près du lieu appelé la Dent-Turge. Sur la voie vers le comté de Chalon, la limite est à la Grosse Chassagne au-dessus de Merzé. Vers Brancion, la limite est sur la voie au-dessus du bois de Banan. Vers Tournus, la limite est au-dessus du ruisseau que l’on appelle Longue-Eau, entre Blanot et Donzy. Vers Péronne ou Laizé, la limite est « aux trois hêtres », là où se partagent notre bois de Cluny et le bois du comte. Vers Igé, la limite est « aux charmes », au-dessus de Montmain76.
55Les termini du sacer bannus se trouvent sur des chemins qui partent de Cluny et la plupart d’entre eux sont situés à des croisées de chemins. L’emplacement exact de chaque point révèle d’autres similitudes avec l’immunité de Pierre d’Albano. Examinons de nouveau chaque terminus dans l’ordre du texte.
« Vers Berzé, la limite est à l’embranchement de deux chemins vers la Salare ; un chemin conduit vers Cluny, l’autre vers Mazille »
56L’ancien grand chemin de Cluny à Berzé, puis Mâcon, abandonné au XIXe siècle au profit de la route par le Bois Clair, plus au sud, est le chemin dit de la Mutte. On a vu tout à l’heure qu’il délimitait, au sud-est, l’immunité de Pierre d’Albano jusqu’au hameau des Gottiales où il croise le chemin faîtral des moines. C’est de là également que partait jusqu’au XIXe siècle, en direction de l’ouest, un chemin conduisant vers Mazille et Sainte-Cécile. La Salare, mentionnée dans le texte d’Urbain II, est un petit ruisseau qui part de ce lieu-dit et descend sur Berzéle-Châtel77. Le terminus vers Berzé est donc le même que le point extrême, au sud-est, de la zone délimitée en 1080. Il se trouve au sommet de la colline qui sépare le Clunisois du Mâconnais, juste au-dessus du château de Berzé, à une croisée de trois chemins (carte 25).
« Sur la voie en direction de Beaujeu, la limite est près du carrefour qui est au-dessus du moulin du cellérier de Cluny, près de Vinges »
57La voie (strata) qui conduit de Cluny à Beaujeu est une ancienne voie romaine conduisant de Belleville à Autun. L’actuelle D 22 suit approximativement son tracé à partir de La Valouze, en passant par Bourgvilain, Saint-Point et Tramayes78. Un petit affluent de la Grosne, le Valouzin, coule du sud vers le nord presque parallèlement à cette voie (carte 24). Le moulin du cellérier se situait vraisemblablement sur ce cours d’eau, dans une zone comprise entre Champ Loup et La Valouze. Peut-être est-ce le moulin de Champ Loup, encore conservé au XVIIIe siècle79. Le percement des routes modernes a profondément bouleversé la topographie ancienne de cette zone. Mais on suit encore nettement le tracé de l’ancien grand chemin de Mâcon à Charolles qui franchissait le Bois Clair, passait près du hameau des Vachets avant de poursuivre à l’ouest vers Sainte-Cécile, Mazille et Bergesserin80. À La Valouze, ce grand chemin croise la voie de Beaujeu à Cluny. Sans trop de risque, on peut identifier cette croisée de quatre chemins avec le quadruvium cité par Urbain II, au-dessus du moulin du cellérier, près de Vinges81.
« Vers Mazille, la limite est à l’embranchement de deux chemins, l’un conduit vers Mazille, l’autre vers Bois-Sainte-Marie »
58Le terminus vers Mazille est facilement identifiable. Il se situe à l’embranchement du chemin de Cluny à Mazille, par Jalogny, et du chemin de Cluny à Bois-Sainte-Marie par Saint-Léger, Bergesserin, La Chapelle-du-Montde-France, Meulin et Dompierre-les-Ormes. Les deux chemins sont aujourd’hui des routes communales. L’embranchement est à la limite des communes de Jalogny et Château, au pied du lieu-dit les Crays (carte 24).
« Au-dessus de Ruffey, la limite est au sommet de la colline, à l’embranchement de deux chemins, l’un conduit à Bézornay, l’autre à Charolles »
59Le « sommet de la colline » (summitas defensi) au-dessus de Ruffey d’où partent les chemins vers Bézornay et vers Charolles est le col de la Croix-Micaud82. Il sépare aujourd’hui les communes de Cluny et de la Vineuse. Le chemin qui conduit à Bézornay ou à Charolles, aujourd’hui inusité au profit de routes nouvelles, figure sur les terriers de Cluny de la fin du XVIIIe siècle. Il partait de la porte du Merle ou de la porte Saint-Maïeul, à l’ouest du bourg abbatial, et se dirigeait vers la Croix-Micaud en passant par l’église Saint-Germain de Ruffey et Montaudon. Sur le col, le chemin se partage en deux. Vers le nord-ouest, il conduit à Bézornay en passant par Dombine, Sandon, Nogle et Le Pèlerin ; vers l’ouest, il conduit vers Charolles par Le Martray puis Buffières (carte 24)83.
« Vers Sigy, la limite est au carrefour près du lieu appelé la Dent-Turge »
60Le chemin de Cluny à Sigy[-le-Châtel] correspond à l’actuelle route départementale D 980 qui conduit de Cluny à Montceau-les-Mines en passant par Salornay, Sailly, Sigy et Mont-Saint-Vincent. Au lieu-dit la Dent-Turge (adturgum), situé à 4,5 kilomètres au nord-ouest de Cluny, la route croise deux autres voies : l’une se dirige à l’est vers Lournand et Lourdon, l’autre vers l’ouest permet d’atteindre Donzy et La Vineuse. La Dent-Turge est aujourd’hui communément appelée le col du Loup (carte 24).
« Sur la voie vers le pagus de Chalon, la limite est à la Grosse Chassagne au-dessus de Merzé »
61La voie (strata) qui conduit vers le Chalonais est la prolongation vers le nord de celle qui provient de Beaujeu. Au nord de Cluny, elle longe la rive gauche de la Grosne jusque vers Malay où elle se partage en deux pour continuer en direction de Chalon par Jully-lès-Buxy ou en direction d’Autun en passant par Saint-Gengoux, Culles-lès-Roches, Fley et Villeneuve-en-Montagne84.
62La Grosse Chassagne au-dessus de Merzé correspond sans doute à l’emplacement d’une ancienne châtaigneraie. Quelques chartes du Xe siècle mentionnent la villa Cassanias dans l’ager de Merzé85. Le bois de Chassagne, le long de la Grosne, à cheval sur les actuelles communes de Lournand et Massilly, permet de situer le lieu-dit (carte 24)86. Le point précis du terminus vers le comté de Chalon se situe sans doute à la croisée de la voie Cluny - Chalon avec le « chemin de Belle-Pierre » qui permet de rejoindre la Dent-Turge, par Chevagny et la Chaume.
« Vers Brancion, la limite est sur la voie au-dessus du bois de Banan »
63La voie vers Brancion partait au nord-est de Cluny à travers le bois de Cotte, passait par Varanges, Cortambert, Bray et Chissey-lès-Mâcon. C’est aujourd’hui une route communale. Le bois de Banan est situé entre la rive droite de la Grosne et cette voie, dans un quadrilatère dont les angles sont les villages ou hameaux de Massilly, Merzé, Varanges et Cortambert. Un acte du XIIIe siècle permet de préciser la localisation du terminus. Le 10 mars 1237, Joceran Gros, sire de Brancion, vend à Cluny le château de Boutavant et tout ce qu’il possède entre la Grosne, le bannum de Cluniaco quod est prope Verenges, les villages de Chazelle, Lys et Blanot87. La limite du ban se trouve donc près de Varanges. Compte tenu de la position du terminus précédent, à la Grosse Chassagne près de Merzé, il est tentant de le situer au point précis où la voie vers Brancion croise le chemin qui vient de Merzé et de la Grosse Chassagne, soit juste en dessous de Varanges (carte 25).
« Vers Tournus, la limite est au-dessus du ruisseau que l’on appelle Longue-Eau, entre Blanot et Donzy »
64Le chemin de Cluny à Tournus partait à l’est du bourg, traversait le bois de Bourcier pour parvenir à Donzy-le-Pertuis par le col des Quatre-vents, passait par Blanot et franchissait les monts du Mâconnais pour rejoindre la plaine de la Saône (carte 25). Le « ruisseau que l’on appelle Longue-Eau » est sans doute la Mouge88, seule rivière entre Blanot et Donzy. Elle prend sa source au sud du village de Donzy, coule ensuite vers l’est en direction de la Saône, parallèlement au chemin qui permet de rejoindre Azé, Péronne et Lugny. Au-dessus de la source se trouve le col des Bachasses. Le terminus était ici, encore marqué au début du siècle par une borne aux armes de l’abbaye de Cluny89.
« Vers Péronne ou Laizé, la limite est “aux trois hêtres”, là où se partagent notre bois de Cluny et le bois du comte »
65Jusqu’au col de la Croix des brigands dans le bois de Bourcier, le chemin vers Péronne ou Laizé était le même que le chemin de Tournus. Là, il se partageait en deux. Au nord, il rejoignait Donzy et Blanot ; à l’est, il passait au pied du mont de Mandé et permettait, en continuant à l’est, de rejoindre Laizé par Saint-Maurice-de-Satonnay ou, en bifurquant vers le nord, de rejoindre Péronne, par Azé et Rizerolles (carte 25). Je n’ai pas trouvé de trace du toponyme « aux trois hêtres ». En revanche, la limite qui sépare les bois communaux de Cluny de ceux des communes d’Azé et d’Igé est la ligne de crête marquée par le « chemin faîtral des moines » qui conduit de Donzy à Berzé-le-Châtel. C’est aujourd’hui encore une limite de communes et de cantons. Les terriers du XVIIIe siècle le mentionnent comme limite des bois de Cluny90. Le boscus de Cluniaco est le bois de Bourcier, sur le flan ouest de la colline, en Clunisois ; le boscus comitalis couvre le flan est, en Mâconnais91. Par conséquent, le terminus « aux trois hêtres » se trouvait sans doute au sommet de la colline, à la croisée du chemin faîtral et du chemin qui rejoint Laizé et Péronne.
« Vers Igé, la limite est “aux charmes”, au-dessus de Montmain »
66L’ancien chemin de Cluny à Igé partait à l’est du bourg abbatial et montait tout droit sur la colline de Bourcier par le lieu-dit la Gremoule. Il parvenait au col de Montmain (le « mont moyen ») puis redescendait sur le versant est, en direction d’Igé (carte 25)92. Au sommet du « mont moyen », le chemin de la Gremoule, croise le « chemin des moines », laissant à l’est le lieu dit « aux charmes »93. Le terminus vers Igé était à la croisée de ces deux chemins, tout près d’une chapelle dédiée à Sainte-Radegonde utilisée comme lieu d’ermitage par les moines de Cluny au moins dès le XIIe siècle.
67Au terme de cette promenade, il est temps de tirer quelques conclusions. La délimitation du ban sacré est faite en fonction de dix points tous situés sur des chemins ou des voies importantes qui partent du même centre, le monastère de Cluny. On ne saurait mieux exprimer le rayonnement du pôle central consacré par le pape Urbain II. La sacralité du locus se diffuse dans toutes les directions. Chaque chemin indique une direction dont les points d’aboutissement sont d’autres pôles de référence, à savoir les châteaux des seigneurs laïcs (Beaujeu, Sigy, Brancion, Berzé), les lieux clunisiens (Berzé, Mazille, Ruffey, Bois-Sainte-Marie, Bézornay, Charolles, Péronne, Laizé, Igé), un pôle religieux important (Tournus), une cité épiscopale et comtale (Chalon). Cette manière de délimiter le ban indique que l’espace est moins conçu comme une juxtaposition de circonscriptions que comme un ensemble de points reliés les uns aux autres par des voies de communication et par les déplacements des hommes.
68Sur les lignes qui partent du monastère, les termini forment une couronne de points distants d’environ trois à six kilomètres du centre. Comme l’a souligné Barbara Rosenwein (carte 20), ils se placent assez bien sur un espace circulaire ou plutôt elliptique. Mais ce qui importe est moins la forme réelle de ce « cercle » que le symbole qu’il représente. Le ban sacré de Cluny est un espace clos par des points situés tout autour (circumcirca) du centre qui forment une couronne fermée. Le cercle théorique dans lequel il s’insère manifeste sa perfection, sa totalité, son caractère insécable et inviolable. La manière dont la délimitation est proclamée par le pape renforce cet aspect circulaire : du sud-est pour aller vers le sud puis l’ouest, le nord, l’est pour revenir au sud-est. Le sens de la délimitation était le même en 1080. Dans les deux cas, la délimitation s’apparente à une circumambulation autour du pôle sacré dont émerge la puissance.
69Ni Pierre d’Albano, ni Urbain II n’ont réellement parcouru les chemins qui bordent les zones qu’ils délimitent et consacrent. Pourtant, ils auraient pu le faire (carte 26). Chaque terminus du ban sacré est lié à ses deux voisins immédiats par un chemin ou par une ligne du relief. À l’est, le « chemin faîtral des moines » passe par Les Bachasses, les « trois hêtres », Montmain et Les Gottiales. De là, en descendant la colline vers l’ouest, on rejoint la vallée de la Grosne et du Valouzin. Il est ensuite aisé de rejoindre Les Crays en traversant Sainte-Cécile, Les Varennes puis en longeant la colline de Chaumont. De là, on peut rejoindre le col de la Dent Turge, au nord-ouest du ban, par Château et Les Granges puis par le chemin faîtral du bois de Mimont qui passe par La Croix-Micaud, autre terminus. Au nord, de La Dent Turge à Varanges, le déplacement est tout aussi aisé par le « chemin de Belle-Pierre » qui traverse La Chaume, Chevagny et Merzé. Enfin, un chemin escarpé permet de monter de Varanges aux Bachasses. Ces chemins permettent de faire le tour de la zone et marquent ses limites. Tous n’existaient peut-être pas en 1095. Il n’en demeure pas moins que la délimitation tient compte des éléments naturels comme les cols (Les Bachasses, Montmain, les « trois hêtres », La Croix-Micaud, La Dent Turge) ou les lignes de crête (à l’est et à l’ouest). Ils contribuent à rendre perceptible l’emprise du ban clunisien. Les collines limitrophes sont celles que l’on voit de Cluny au-delà desquelles une autre contrée commence. Les cols sont ceux à partir desquels les voyageurs commençaient d’apercevoir les clochers du monastère.
70C’est par une telle délimitation que la construction avant tout fictive de l’immunité s’enracine, comme celle de Pierre d’Albano quinze ans plus tôt, également délimitée par des crêtes de colline, un ruisseau, la digue d’un étang. Le marquage des points limites par des éléments tangibles a dû suivre de près la proclamation orale. L’existence de bornes aux extrémités de la zone circonscrite en 1095 est attestée dès la première moitié du XIIe siècle94. Au début du XXe siècle, une borne aux armes de l’abbaye de Cluny se trouvait toujours aux Bachasses et à La Croix-Micaud. Elles figuraient deux clefs en sautoir, traversées par un poignard en pal : les symboles de saint Pierre et de saint Paul95.
71Outre les bornes, les limites du ban clunisien ont été marquées par des croix. La Croix-Montmain et La Croix-Micaud, à défaut d’avoir conservé des croix, ont conservé le toponyme. L’implantation d’un moulin ou d’une église sur un point limite (ou la fixation d’une limite à l’emplacement d’un moulin ou d’une église) a fortement contribué à marquer les limites du territoire et à assurer sa cohérence. L’exemple le plus remarquable est Montmain : terminus du ban sacré, ermitage, lieu de pèlerinage, limite entre deux contrées, croisée de chemins, lieu de paix où Geoffroy de Semur s’est rendu pour renoncer à ses violences à l’encontre de Cluny et de Marcigny et où l’abbé Hugues est venu se reposer à l’article de la mort96.
72Si l’on veut cartographier le ban sacré, il est donc important de faire apparaître aussi bien son aspect dynamique et rayonnant à partir du centre, le monastère, sa circularité théorique, marquée par la circumambulation discursive du pape et sa délimitation concrète par les chemins et les points de repères de la société clunisoise du XIe siècle.
L’aire de la justice abbatiale
73Une question essentielle reste posée. À quoi servait le ban sacré ? La fin du sermon d’Urbain II s’applique à le préciser. À l’intérieur de ses limites, les hommes vivent sous la loi du ban (lex banni). Toute infraction (infractio) est soumise à la correction de l’abbé ou d’un de ses principaux officiers, le prieur, le chambrier ou le doyen de Cluny. Ils frapperont les malfaiteurs par l’excommunication jusqu’à ce qu’ils se repentent et réparent convenablement leur « bris de ban » (fractum banni).
74Le ban sacré est donc la circonscription de référence de la justice abbatiale. On note que les responsables en sont des moines. Pour l’exécution des peines, on envisage le secours éventuel de tierces personnes, sans doute des laïcs. Ceux-ci devront exercer diligemment leur office et s’efforcer d’obtenir des malfaiteurs des règlements rapides97.
75La justice abbatiale s’applique-t-elle à tous les hommes qui résident dans le ban sacré ? Urbain II précise que les termes du ban sont définis pour le monastère, le bourg et la villa de Cluny. Or, d’autres villae sont incluses dans le ban. Au sudouest, le village de Jalogny avec son église paroissiale est tout entier intégré. Non loin, au sud, le hameau de Vaux avec sa chapelle, l’est également. Au nord, c’est tout le finage de Lournand, autre village, qui se trouve compris dans le ban et au nord-est, les termini longent Varanges et Donzy-le-Pertuis (carte 26). Malgré sa délimitation soignée et soucieuse des contingences géographiques et sociales, le ban sacré apparaît ainsi comme une zone inadaptée aux circonscriptions villageoises et paroissiales qui se mettent en place dans le même temps. C’est un élément fort important que l’on aura soin de conserver à l’esprit dans la suite de cette étude. Car l’efficacité du ban sacré semble avoir été bien moindre que celle de la zone plus restreinte mais plus conforme à l’organisation sociale du Clunisois, définie quinze ans plus tôt par Pierre d’Albano.
76D’autre part, il est étonnant que le pape ne fasse aucune allusion au séjour et à l’interminatio du légat pontifical en 1080. Urbain II était alors prieur de Cluny. C’est lui qui s’est rendu à Rome pour demander l’intervention de Grégoire VII contre les évêques de Mâcon et de Lyon. Pourquoi ce silence ? Le ban sacré a-til annulé l’immunité de 1080 ? Les deux zones ont-elles des significations différentes ? La charte de Pierre d’Albano ne fournit aucun indice à ce sujet. En revanche, en 1120, un privilège de Calixte II clarifie la situation. « L’aire de pureté » de 1080 devient explicitement le cadre de la juridiction spirituelle de l’abbé de Cluny.
III. L’EXEMPTION SUR LE TERRAIN
77Dans la deuxième décennie du XIIe siècle, les conflits entre Cluny et les évêques connaissent une recrudescence. L’abbé Pons de Melgueil se montre intraitable d’autant plus que son principal adversaire, l’évêque de Mâcon Bérard de Châtillon, n’est pas plus conciliant. Les papes Gélase II puis Calixte II soutiennent d’abord sans réserve les privilèges clunisiens98. En décembre 1118, par exemple, Gélase II confirme à Pons les droits de l’abbaye et lève l’interdit porté par plusieurs évêques contre « d’innocents hommes de [ses] paroisses »99. En octobre de l’année suivante au concile de Reims, l’archevêque de Lyon rapporte les plaintes de son suffragant de Mâcon accusant l’abbé Pons de lui avoir enlevé des églises, des dîmes et d’autres revenus. La majorité des évêques présents se rallie à cette plainte. Leur requête se tourne en diatribe contre les privilèges clunisiens. La réponse de Pons ne résout rien et seule une intervention musclée du cardinal-légat Jean de Crême, toute à l’apologie du monastère bourguignon, met fin aux prétentions des évêques. Orderic Vital rapporte l’épisode en soulignant les réticences des prélats - notamment ceux des régions proches de Cluny - à l’égard de l’intervention du légat100.
78Après le concile de Reims, le pape Calixte II se rend en Picardie, en Ile-de-France puis en Bourgogne. Il séjourne à Cluny entre le 31 décembre 1119 et le 7 janvier 1120, dans ce monastère où il a été élu dix mois plus tôt après la mort prématurée de Gélase II. Il s’associe à la confraternité de prières des moines, confère la dignité cardinalice à l’abbé Pons et prononce une allocution élogieuse en l’honneur de son prédécesseur, Hugues de Semur, lançant ainsi son culte comme saint abbé de Cluny101. Le privilège adressé à Pons le 20 février suivant, daté de Valence où le pape séjourne alors, a vraisemblablement été préparé lors de ces premiers jours de janvier102.
Le privilège de Calixte ii, 22 février 1120
79Comme les autres pièces analysées plus haut, le privilège de Calixte II n’est pas conservé en original. Ses deux copies les plus anciennes datent respectivement de la fin du XIIe siècle et du XIIIe siècle : la première se trouve sur les derniers folios d’un manuscrit de Moissac contenant quelques œuvres des Pères de l’Église103 ; la seconde, issue du chartrier de Cluny, figure dans la collection Baluze104. On ne le trouve pas dans les cartulaires clunisiens. Il est naturellement absent du cartulaire C achevé vers 1100, mais également des cartulaires D et E où figurent pourtant plusieurs bulles pontificales comprises entre le Xe et le XIIIe siècle105. Ces absences sont d’autant plus étonnantes que l’acte de Calixte II marque une étape fondamentale dans l’inscription territoriale des privilèges clunisiens. On s’en souviendra tout à l’heure en observant la postérité du texte.
80Le préambule s’ouvre sur des formules classiques. Le monastère de Cluny est dans le jus proprium du Siège apostolique depuis sa fondation, raison pour laquelle nombre de papes ont manifesté leur amour particulier à son égard et confirmé régulièrement sa libertas et ses privilèges. De cette formule classique naît une nouveauté, la liste des papes ayant manifesté leur dilectio envers Cluny : Jean XI, Jean XIX, Agapet II, Benoît VI, Benoît VII, Léon VII, Léon IX, Grégoire VI, Grégoire VII, Alexandre II, Étienne [IX], Victor III, Urbain II, Pascal II et Gélase II. Aucun ne manque à la liste. La généalogie est complète, signe du bon ordre des archives monastiques et pontificales. Elle sera par la suite régulièrement augmentée.
81Les premières clauses du privilège sont, comme il arrive fréquemment, nouvelles. Elles concernent l’exemption et la juridiction spirituelle de l’abbé sur les environs du monastère.
Il est établi que toutes les églises, les cimetières, les moines, les clercs et les laïcs habitant à l’intérieur des limites (terminos) qui sont depuis le ruisseau de Saunat et depuis l’église de Ruffey et la croix de Lournand, depuis la limite du moulin de Tornesac, par la villa qui est appelée Varennes avec le bois de Bourcier, depuis la limite qui est appelée Perois jusqu’au ruisseau de Saunat demeurent sous l’autorité et la protection (jus et tuitio) du siège apostolique. Personne, si ce n’est le pontife romain et l’abbé de Cluny, ne pourra réunir en synode ou en assemblée les prêtres et même les paroissiens de ce locus de Cluny. Pour l’ordination de l’abbé, des moines ou des clercs qui habitent à l’intérieur de ces limites, pour la confection du chrême, pour l’huile sacrée, la consécration des églises, des autels et des cimetières, le monastère de Cluny convoquera le prélat qu’il préférera106.
82Les églises, les prêtres, les cimetières de la banlieue de Cluny relèvent de la juridiction exclusive du pape et de l’abbé de Cluny. L’évêque en est totalement exclu.
83Les clauses suivantes reprennent plus ou moins terme à terme certaines prescriptions de la fin du XIe siècle. Elles rappellent la soustraction des moines clunisiens à la juridiction épiscopale, le privilège de recevoir dans leurs monastères toute personne, moine, clerc ou laïque si elle n’est pas excommuniée, l’interdiction de porter atteinte à leurs églises, cimetières et dîmes et l’interdiction d’élire un abbé sans l’accord de celui de Cluny (sine Cluniacensis abbatis precepto) dans les abbayes soumises à l’ordinatio du monastère de Cluny.
84Vient ensuite la question des églises clunisiennes. Calixte II confirme le compromis établi par les privilèges d’Urbain II (janvier 1097) et de Pascal II (15 novembre 1100)107 : la juridiction ecclésiastique relève de l’évêque diocésain, l’élection des desservants revient aux moines qui les présentent ensuite à l’évêque pour l’investiture, les consécrations relèvent de l’évêque, sous réserve de vénalité. La situation est désormais claire et l’ambiguïté du privilège de Pascal II est levée. Les églises situées dans la proche banlieue de Cluny bénéficient d’une exemption totale. Elles sont dans la potestas de l’abbé et sous la tuitio du Siège apostolique. Dans toutes les autres églises clunisiennes, les prérogatives sont partagées entre les moines et les évêques à l’avantage évident de ces derniers.
85Calixte revient ensuite sur l’exemption des moines clunisiens. Les frères vivant dans les celles clunisiennes, où qu’elles soient, ne subiront pas les sentences d’interdit ou d’excommunication lancées par les évêques. Le cas échéant, les offices et les obsèques pourront tout de même y être célébrés108. Il confirme ensuite à l’abbé de Cluny le droit de battre monnaie selon les termes d’une bulle d’Étienne IX en 1058109, puis adresse une confirmation générale de tous les privilèges concédés par ses prédécesseurs.
86Calixte II rappelle la liberté du choix de l’évêque consécrateur pour le nouvel abbé de Cluny, évoquant en exemple la consécration par ses propres mains de l’abbé Pons de Melgueil. Enfin, il insère une clause nouvelle selon laquelle les prêtres des églises paroissiales Sainte-Marie et Saint-Odon de Cluny pourront administrer le sacrement de pénitence et conclure des chartes nuptiales sans être inquiétés par l’évêque de Mâcon ni un quelconque autre prélat110. Les menaces d’anathème pour les malfaiteurs et les promesses de bienfaits spirituels pour les hommes respectueux des privilèges clunisiens, la souscription de Calixte et la date terminent le texte pontifical.
La parrochia de l’abbé de Cluny
87La zone qui s’étend autour du monastère jusqu’au ruisseau de Saunat, l’église Saint-Germain de Ruffey, la colline de la Cras, la digue de l’étang-vieux, englobant l’ensemble du bois de Bourcier sur la colline à l’est est désormais explicitement le cadre d’un mini diocèse dirigé par l’abbé de Cluny. Là, l’exemption ne souffre aucun compromis, qu’il s’agisse de la nomination et de l’institution des desservants, des consécrations d’églises et de cimetières ou de la confection de l’huile utilisée pour les sacrements. L’abbé ne préside pas lui-même à ces cérémonies, mais il peut faire appel à l’évêque de son choix et se soustraire ainsi en toute occasion aux prétentions éventuelles de l’évêque de Mâcon.
88Mis à part quelques variantes évoquées plus haut au sujet de Perois et du bois de Bourcier, la délimitation est identique à celle de Pierre d’Albano quarante ans plus tôt. Il ne s’agit donc pas d’un troisième « cercle », mais de la proclamation de la juridiction ecclésiastique de l’abbé de Cluny et du pape sur la zone inviolable définie en 1080. Cette reconnaissance explicite montre l’adaptation nécessaire des clunisiens aux réalités nouvelles du XIIe siècle. En effet, ni la charte de Pierre d’Albano, ni le sermon d’Urbain II ne mentionnaient les parrochiae ou les parrochiani : en 1080, le légat pontifical confirmait l’immunité et la sécurité des biens clunisiens et des hommes, au premier chef les ruricolae seu rustici ; en 1095, Urbain II protégeait l’ensemble des moines de Cluny, le populus et plus particulièrement les hommes résidant dans la villa et le burgus. Calixte II n’emploie plus les mêmes termes. Les biens protégés sont des églises, des autels et des cimetières. Les hommes sont les moines, les clercs et les laïcs, les prêtres ou les paroissiens (parrochiani). Entre 1080 et 1120, le réseau des paroisses s’est mis en place et il importait de bien préciser les droits de chacun, réguliers et séculiers.
89La zone exempte de l’abbé de Cluny est elle-même divisée en cellules paroissiales. Le privilège de Calixte II sanctionne en effet, pour la première fois, l’existence de paroisses dans le bourg de Cluny : Sainte-Marie et Saint-Odon. Leurs prêtres pourront désormais accueillir ou rejeter les pénitents, établir des chartes de mariage sans être inquiétés par l’évêque de Mâcon.
90L’élément le plus novateur concerne l’administration et la correction des prêtres. L’abbé, comme un évêque dans son diocèse, réunit les synodes et les assemblées avec comme seule autorité supérieure le pontife romain sous la garde duquel sa juridiction ecclésiastique est placée. L’abbé institue sans doute dès cette époque un nouvel officier monastique pour s’occuper de la tâche. Les premiers archidiacres monastiques apparaissent en effet au début du XIIe siècle111. Un accord entre l’évêque d’Autun Norgaud et l’abbé Pons de Melgueil conclu à Nevers en février 1110 mentionne, parmi les témoins, un certain Engilbaud archidiacre. Il est cité juste après Bernard Gros, chambrier, et Jarente, sacristain de Cluny. Peut-être s’agit-il de l’archidiacre de Cluny112. Il faut cependant attendre le deuxième quart du XIIIe siècle pour trouver des mentions explicites de l’archidiaconus Cluniacensis113. Dès lors ses fonctions et sa place parmi les officiers monastiques deviennent plus claires. Nous en reparlerons bientôt.114
91La délimitation de Pierre d’Albano en 1080, la proclamation du ban sacré en 1095 par Urbain II et la définition de l’étendue de la parrochia de Cluny par Calixte II en 1120 sont les trois étapes essentielles de la reconnaissance territoriale de la domination clunisienne. Concentrée dans l’autel majeur de l’église abbatiale, la sainteté clunisienne rayonne autour et définit plusieurs espaces concentriques. Là, saint Pierre règne en maître absolu. La juridiction temporelle et spirituelle des moines, gardiens du corps de saint Pierre, ne peut être amoindrie. Pour que cette construction théorique ne soit pas qu’un vœu pieux, les moines se sont efforcés de faire coïncider le ressort du domaine de saint Pierre avec les cimes des collines qui dominent le monastère, les ruisseaux qui en dévalent, les croisées de chemin et les édifices marquants du paysage. Saint Pierre domine un territoire dont les limites sont tangibles et connues de tous. En dehors de cet espace restreint, les moines doivent se confronter aux autres puissants, ce qui implique la définition d’autres aires manifestant l’exception clunisienne.
IV. LES ZONES SANS PÉAGE ET SANS CHÂTEAU
92L’interdiction de construire une forteresse dans les environs du monastère et de lever des péages sur les marchandises acheminées vers Cluny sont deux clauses implicites des privilèges d’immunité. Il est intéressant de noter qu’elles sont aussi inscrites précisément dans le territoire au seuil du XIIe siècle.
1. La zone sans péage
93Dès l’époque carolingienne, les souverains ont accordé de nombreuses exemptions de péage aux églises immunistes115, mais le renouveau de la circulation commerciale à partir du XIIe siècle et la levée de péages par les nouveaux seigneurs nécessitaient de renouveler ou de renforcer ces exemptions. Le problème s’est posé à Cluny à la fin de l’abbatiat d’Hugues. Il s’est résolu, au moins théoriquement, par des contrats avec les seigneurs laïcs et les souverains et par la délimitation de zones sans péage116.
94Les sires d’Uxelles ont été les premiers contraints à s’accorder avec les moines sur le sujet. Le différend naît vers 1100 lorsque Landric Gros, sire d’Uxelles, prélève un péage sur des marchands de Langres qui traversent son domaine pour se rendre à Cluny. Convoqué une première fois par les moines en présence de l’évêque de Langres, il accepte de restituer une partie du profit, mais, en contrepartie, il impose aux marchands un paiement annuel, garantie d’un voyage en toute tranquillité. Peu après, il lève de nouveau des péages sur les personnes qui traversent sa terre en direction de Cluny, que ce soit pour des raisons commerciales ou religieuses. Convoqué cette fois dans le chapitre de Cluny, il promet d’abandonner toute taxe de ce genre, en fait le serment dans les mains de l’abbé Hugues, en son nom et au nom de ses descendants et reçoit en échange trois cents sous du chambrier de Cluny qui n’est autre que son frère, Bernard (IV) Gros117.
95Pour entériner cet accord et éviter de nouvelles exactions, l’abbé Hugues se tourne vers le pape. Il profite du séjour de Pascal II en Gaule, à la fin de l’année 1106, pour lui demander une confirmation explicite de ses exemptions de péage. À la fin du mois de décembre, le pape est à Cluny. Il célèbre la messe de Noël dans l’église abbatiale et séjourne dans le monastère et ses environs jusqu’en février de l’année suivante118. Répondant à la sollicitation de l’abbé Hugues, il fait rédiger à Chalon-sur-Saône le 2 février 1107, jour de la Purification de la Vierge, un privilège destiné à renforcer la paix et la liberté (pax et libertas) accordées par ses prédécesseurs. Ce privilège concerne uniquement l’exemption des péages :
Nous déterminons que de Mâcon à Cluny, de Bois-Sainte-Marie à Cluny, de Charolles à Cluny, de Mont-Saint-Vincent à Cluny, de Jully à Cluny, de Beaujeu à Cluny, de Brancion ou Tournus à Cluny, et de même à mi-distance depuis ces limites dans l’espace entre les voies jusqu’à Cluny, aucun homme ne présume lever un péage ni une nouvelle taxe sur les hommes qui vont ou reviennent de Cluny, ni ne s’empare ou ne se saisisse de leurs personnes ou de leurs biens. Nous interdisons à celui qui enfreindra sciemment cette loi d’entrer dans les églises jusqu’à ce qu’il fasse pénitence de son délit auprès de l’abbé de Cluny ou de son convent119.
96La zone sans péage est définie en fonction des principaux chemins qui rayonnent autour de Cluny et conduisent vers des points de référence de la région, lieux d’une implantation clunisienne (Bois-Sainte-Marie, Charolles, Mont-Saint-Vincent, Jully-lès-Buxy) ou centres principaux du pouvoir (Mâcon, Beaujeu, Brancion et Tournus). L’ordre selon lequel les termini sont énoncés est toujours le même : du sud-est vers le sud, l’ouest, le nord et l’est120. Les points-limites sont distants de vingt-cinq à trente-cinq kilomètres de Cluny. Les routes qui les relient au monastère dessinent une étoile à sept branches à peu près symétriques (carte 27).
97L’exemption de péage s’applique sur les voies de circulation entre le monastère et chaque terminus mais également dans l’espace compris entre le monastère et le point situé à mi-chemin sur chacune des voies. Sur la carte, j’ai reporté hypothétiquement ces points intermédiaires en les faisant coïncider avec un lieu clunisien (Mont-Saint-Romain, Malay, Berzé) ou un point de référence de la région (Suin, Meulin, Sigy et Tramayes).
2. La zone sans château
98Le château est le centre du pouvoir seigneurial à partir duquel l’armée est levée et les coutumes perçues. En s’établissant sur les terres proches du monastère, les seigneurs laïcs sont susceptibles d’empiéter sur les droits inviolables des moines. L’interdiction de construire une fortification à proximité de Cluny est donc un moyen de renforcer l’immunité du lieu et plusieurs diplômes ou privilèges la rappellent.
99Les prélats réunis à Anse vers 994 interdisent sous peine d’anathème à tout juge public, tout collecteur d’impôt (exaccionarius), tout comte ou toute armée de mercenaires, d’édifier un château ou une quelconque fortification à l’intérieur ou à côté de Cluny (eundem locum) ou des possessions (potestates) du lieu consacré121. Peu après, dans un précepte adressé au nouvel abbé Odilon, le roi Robert le Pieux rappelle l’interdiction et prend soin de délimiter la zone dans laquelle elle s’applique.
100Le texte n’est pas daté et n’est pas conservé en original. On le situe généralement dans les années <996-1002>. Sa copie la plus ancienne est celle du cartulaire C de Cluny (vers 1100), où il figure parmi les autres préceptes royaux accordés à l’abbaye au Xe siècle122.
101Après un long préambule où il insiste sur sa mission à l’égard de l’Église, de Dieu et de la paix, le roi rappelle l’inviolabilité du monastère de Cluny. Les termes employés sont d’abord très classiques :
… à tous ceux qui, présents et futurs, militent sous notre royaume, nous voulons faire savoir que le monastère de Cluny, par les préceptes des rois et de nos prédécesseurs et par privilèges apostoliques a été affranchi de tout trouble et de la domination de tout homme123.
102Les clauses qui suivent, en revanche, ne se trouvent exprimées de la même manière dans nul autre précepte, diplôme ou privilège contemporain adressé à Cluny. Il est d’abord question de l’interdiction de construire une forteresse dans les environs du monastère :
Nous ordonnons que dans le finage (confinium) du monastère, depuis la cité de Chalon et de Mâcon, et le mont Ajoux, et le château de Charolles, et Mont-Saint-Vincent, aucun homme, prince ou duc, ne construise un château (castellum) ou n’édifie une fortification124.
103Le roi enjoint ensuite les hommes de toute condition à combattre les calomniateurs de Cluny125. Ceux qui désobéissent seront considérés comme les adversaires du royaume. Pour mieux se justifier, le roi souligne son devoir de combattre les « ennemis de la croix du Christ » (inimicos crucis Christi) et sa volonté de les terrasser pour rapporter les « bannières de la victoire » (victricia signa)126.
104La dévotion du roi Robert le Pieux à la croix est bien connue. Son biographe Helgaud de Fleury l’a souligné127. Mais les phrases de son précepte résonnent, en l’an mil, comme une étonnante préfiguration de l’esprit de croisade. On comprend qu’elles aient intéressé les moines clunisiens de 1100 qui ont copié cet acte dans leur cartulaire.
105La délimitation de la zone sans château est également très précoce si on la compare aux autres textes qui inscrivent sur le terrain les privilèges pontificaux. Ses points limites sont situés dans cinq directions autour de Cluny : Mâcon au sud-est, Ajoux au sud-ouest, Charolles à l’ouest, Mont-Saint-Vincent au nordouest, Chalon au nord-est (carte 28). Ce sont des points de repères importants pour les clunisiens de l’an mil : deux cités comtales et épiscopales, deux points culminants (Ajoux, Mont-Saint-Vincent), et ce sont tous des lieux dans lesquels ou à proximité desquels les moines se sont implantés au cours du Xe siècle128.
106Les cinq points sont à une distance comprise entre vingt-cinq et trente kilomètres de Cluny. Mâcon est le point le plus rapproché (environ vingt kilomètres), Chalon est le plus éloigné (environ quarante kilomètres). La « frontière » à l’est, entre Chalon et Mâcon, est constituée sans doute par la limite orientale du pagus de Mâcon, elle-même limite entre le royaume et l’empire, établie le long de la Saône ou quelques kilomètres plus à l’est entre Mâcon et La Salle129.
107La zone « sans château » ne coïncide pas avec les circonscriptions administratives ou religieuses de l’an mil. Elle comprend la moitié nord-est du pagus de Mâcon, c’est-à-dire le Mâconnais et le Clunisois jusqu’à l’étranglement audessous du mont Saint-Rigaud, un triangle au sud-est du pagus d’Autun dont les trois pointes sont Ajoux, Charolles et Mont-Saint-Vincent, la partie sud du pagus de Chalon limitée à l’est par la Saône. Comme les deux bans de 1080 et 1095, la zone sans château est définie à partir d’un centre, le monastère de Cluny. Elle s’étend de manière plus ou moins circulaire autour du sanctuaire (le locus) en s’adaptant aux contingences naturelles et sociales (les loca clunisiens et les points de repères de la Bourgogne du sud). Le diplôme de Robert le Pieux qualifie cette aire de confinium du monastère, terme que l’on peut traduire par voisinage ou finage130. C’est un voisinage fort large correspondant grosso modo à la distance maximale que l’on peut parcourir en une journée de marche. La totalité des terres de la région n’appartient pas aux moines, mais c’est là que les clunisiens possèdent en l’an mil le plus de biens-fonds et d’églises.
108La coïncidence la plus frappante est entre ce finage sans château et la zone sans péage délimitée par Pascal II en février 1107. Les extrémités des routes sans péage s’inscrivent presque exactement dans le même cercle que les termini de la zone sans château (carte 29).
109Ces coïncidences incitent à considérer le précepte de Robert le Pieux avec la plus grande prudence. La territorialisation de la zone sans château, le choix des lieux, les expressions de la fin de l’acte et sa tradition manuscrite constituent un faisceau d’arguments plaidant pour une interpolation de l’acte lors de sa copie dans le cartulaire C, au seuil du XIIe siècle, c’est-à-dire précisément au moment où les autres privilèges clunisiens acquièrent résolument une acception territoriale131.
V. LA FIXATION DU DROIT CLUNISIEN
110Au seuil du XIIe siècle, les clunisiens disposent désormais d’une poignée de textes instituant leur domination dans un cadre territorial. Ils sont insérés dans le cartulaire des privilèges (cartulaire C) et parés de la caution royale ou pontificale. Pour être efficaces, ils n’en demandent pas moins d’être reconnus par ceux qui sont au premier chef lésés par ces nouveaux privilèges : les seigneurs voisins. Pons de Melgueil et Pierre le Vénérable s’y emploient tout au long de leur abbatiat, s’efforçant d’accroître ou au moins de maintenir leur influence en négociant avec chaque nouveau seigneur, chaque nouveau pape.
1. Les accords ponctuels
111Les conflits avaient commencé à la fin du XIe siècle avec les châtelains d’Uxelles et c’est à leur égard que les abbés de Cluny sont les plus vigilants. Les promesses de Landric Gros de ne plus lever de péage sur les hommes traversant sa terre pour se rendre à Cluny ne furent pas de longue durée. L’abbé Hugues eut beau, en 1107, demander le secours de Pascal II pour entériner l’existence d’une zone sans péage, les sires d’Uxelles continuent d’extorquer les marchands et les pèlerins se rendant au monastère ou dans le bourg abbatial. D’ailleurs, le rapport de force tend à s’inverser au profit des seigneurs d’Uxelles. Après la mort de Landric Gros vers 1110, son fils Bernard (V) lui succède. Il hérite des nombreux domaines de son père et parvient à s’emparer du château de Brancion à la mort d’Hugues l’Abandonné, l’ancien châtelain, jamais revenu de la première croisade132. Aussi, dès les premiers temps de son abbatiat, Pons de Melgueil s’empresse-t-il d’obtenir des accords avec Bernard Gros.
112En août 1110, Bernard est convié au chapitre de Cluny avec ses fidèles. Devant Pons, le chambrier Bernard Gros, oncle du châtelain, les doyens de Cluny et de Lourdon, le sacristain et quelques autres officiers monastiques, Bernard Gros prête serment sur l’autel et les reliques et marchande la paix. En échange de 1000 sous et d’un cheval, il concède aux moines le droit de prendre du bois pour l’usage des fours et des ateliers monastiques dans la forêt de Gousseau qu’il possède entre Bray et Cortambert. Si l’un de ces hommes ou lui-même rompt la promesse, il devra rendre justice dans un délai de quatorze jours devant l’abbé, le prieur, le chambrier ou le doyen de Cluny. À défaut, il s’engage à se tenir otage dans le monastère en compagnie de cinq de ses hommes133.
113Après un séjour à Jérusalem dont il revient en 1116, Bernard Gros doit renouveler ses promesses de paix. Le 26 juin 1116, Pons le convoque à Cluny pour confirmer le serment de 1110134. Dans le même temps, les deux hommes se rencontrent à Saint-Hyppolite. Le lieu n’est pas anodin. Situé à mi-chemin entre Cluny et Brancion, le doyenné a été constitué essentiellement grâce aux donations des Gros d’Uxelles, mais les droits sur la terre et les hommes restent extrêmement imbriqués entre les deux seigneurs. L’évêque d’Autun est le témoin des négociations. Bernard Gros doit renouveler le serment de ne pas lever de péage ou conduit sur les hommes allant ou revenant de Cluny. Pons lui fait reconnaître les limites du ban de Cluny (bannum Cluniaci) où l’interdiction s’applique : Jully-lès-Buxy, Sigy, Charolles, Bois-Sainte-Marie, Mâcon et Tournus, c’est-à-dire les limites reconnues par Pascal II dix ans plus tôt. En cas d’infraction, Bernard devra payer la valeur du bien extorqué (catallum) et conclure la paix avec les moines135. Bernard confirme également l’ensemble des donations faites par ses aïeux sur des hommes et des terres de Saint-Hyppolite et s’engage à ne rien revendiquer sur des hommes qui ont récemment quitté sa dépendance pour se rendre dans celle des moines. Cette dernière promesse ne semble guère avoir été tenue. Le 2 avril 1117, Bernard Gros comparaît de nouveau à Cluny pour abandonner ses revendications sur des hommes demeurant à Cluny ou à Saint-Hyppolite. Pons fait jurer Bernard sur les registres de Grégoire VII et s’entoure de témoins de marque pour entériner l’accord : le grand-prieur Bernard, l’évêque de Mâcon, Bérard de Châtillon, l’abbé de Saint-Irénée de Lyon, Hugues136.
114Cinq mois plus tard, Pons prend soin de faire confirmer à Bernard l’ensemble de ses promesses. Une brève charte rapporte l’entrevue et la teneur de la négociation qui se déroule à Cluny, la veille de la Nativité de la Vierge, 7 septembre 1117 :
Au nom de la sainte et indivisible Trinité. Faisons savoir à tous ceux qui aiment la vérité que moi, Bernard d’Uxelles, surnommé le Gros, fils de Landric Gros, touché par l’inspiration divine, pour le salut de mon âme et le soin de tous mes parents, dans la main et par la main du seigneur Pons, vénérable abbé de Cluny, ai donné, concédé, abandonné au Seigneur Dieu, à ses saints apôtres Pierre et Paul et au monastère de Cluny, tout ce que j’avais, justement, injustement ou par quelque mode que ce soit, ou que je sollicitais, moi-même ou par l’un des miens, sur des [hommes] libres, serfs, serves, maris et femmes, demeurant à l’intérieur, à l’extérieur ou autour du bourg de Cluny, ou encore dans les obédiences ou dans tout autre lieu (locus) appartenant au susdit vénérable monastère de Cluny, de telle sorte qu’aussitôt toutes mes revendications et prélèvements, comme ceux des miens, justes ou injustes, soient soumis en droit perpétuel à l’abbé de Cluny et aux moines de son révérend monastère137.
115La négociation concerne des hommes et des lieux. Les hommes sont explicitement distingués par leur statut. Ils sont libres, serfs, hommes ou femmes, liés ou non par le mariage. Mais ces distinctions importent peu au regard de leur localisation. Dès lors qu’ils résident dans les lieux cités dans la charte, leurs différences de statut sont fondues dans une condition unique, celle de la dépendance à l’égard de l’abbé de Cluny. Bernard Gros ne fait rien d’autre que de reconnaître son impuissance, au sens étymologique c’est-à-dire son absence de potestas sur les hommes demeurant dans les loca clunisiens : le bourg, les obédiences, les autres terres dispersées « autour », référence implicite aux cercles définis par les papes.
116Entre 1137 et 1140, Bernard Gros prend la décision de joindre l’ordre des Hospitaliers de Jérusalem. Avant de partir, il souhaite réitérer le serment de conserver quitte l’ensemble des droits et des possessions clunisiennes. Demandeur et en position de force, il fait venir à lui un groupe de moines menés par le prieur, le sacristain et le chambrier. Dans le château de Brancion, Bernard reconnaît pour la dernière fois que dans « toute la terre appartenant à l’Église de Cluny, dans les obédiences et les doyennés, [il] ne possède rien, ne peut demander le gîte, ni revendiquer le service militaire des hommes ; [il] ne peut construire aucune fortification, ni lever aucune taille ou droit de justice sur les malfaiteurs, homicides, voleurs, adultères ou quelconques coupables »138. Son fils, Joceran, lui succédant dans la double châtellenie de Brancion-Uxelles, commet à son tour de nombreux maux (multa mala) contre des doyennés clunisiens. Les plaintes des moines restent sans effet jusqu’à la venue du pape Eugène III à Cluny, au mois de mars 1147, à la demande expresse de Pierre le Vénérable. Joceran est excommunié par le pape et sommé de se rendre devant l’archevêque de Lyon pour répondre de ses méfaits. L’audience à lieu avant le mois d’août à l’église Saint-Irénée de Lyon. Joceran prête serment de respecter les promesses de son père et de s’abstenir de tout forfait contre « les terres de l’Église de Cluny »139.
117À l’est, l’abbé de Cluny doit négocier avec le seigneur de Berzé. La création de l’obédience de Berzé-la-Ville à la fin du XIe siècle a permis aux moines de contrôler une partie des terres et des hommes sur le versant est de la colline de Bourcier. Mais dans cette zone, le comte, l’évêque de Mâcon et le châtelain de Berzé demeurent les principaux seigneurs140. En outre, le contrôle du trafic sur la route de Cluny à Mâcon n’est pas réglé. La question devient d’autant plus cruciale que le commerce se développe sur cet axe pour acheminer vers Cluny des marchandises en provenance de la vallée de la Saône voire de la Bresse et des Alpes par le nouveau pont sur la Saône construit au milieu du XIe siècle141. Pierre le Vénérable s’en préoccupe et marchande la paix avec Hugues de Berzé en 1140. En échange de 1300 sous et deux marcs d’argent, Hugues reconnaît les donations faites par ses parents à Cluny et le partage des droits sur plusieurs terres proches du château : le bois de Frétis, la condemine de Montmain, des manses à Pierreclos et Saint-Point... Deux articles sont consacrés aux questions commerciales. Hugues de Berzé exempte de péage tous les hommes qui dépendent des moines de Cluny, de Paray ou de Nantua et ceux qui résident sur des terres appartenant à l’un de ces trois monastères clunisiens dans l’espace compris entre Paray et Nantua (carte 30). Sont pareillement exemptés ceux qui fréquentent la route pour se rendre aux foires de Cluny, attestées là pour la première fois142.
118L’exemption de péage sur la route Cluny - Nantua, dépendant strictement des accords avec le châtelain de Berzé, semble être ensuite devenue un droit intangible dans l’esprit des Clunisois. À la fin du XVe siècle, au cours d’un long procès contre le receveur du duc de Bourgogne prélevant le péage sur le pont de Saône à Mâcon, les marchands de Cluny se targuent de l’ancienneté des privilèges dont ils bénéficient depuis Pascal II, soulignant notamment l’exemption entre la ville de Nantua et Cluny143.
119Au sud, les châtelains les plus proches de Cluny sont les Deschaux de La Bussière144. Leur seigneurie n’est pas des plus puissantes, dominée par celle de Beaujeu, mais au milieu du XIIe siècle Hugues Deschaux tente de renforcer ses positions au détriment des clunisiens. Entre 1145 et 1150, il entreprend la construction d’une nouvelle forteresse à l’extrémité nord de ses domaines, en direction de Cluny, sur le mont Avout (carte 31)145. Non seulement il défie le monastère, mais il enfreint le « ban sans château » que les moines s’efforcent de faire respecter. Lors d’un séjour à Rome à la fin de l’année 1151, Pierre le Vénérable s’en plaint au pape Eugène III qui, en réponse, excommunie Hugues Deschaux. De retour en Bourgogne au printemps 1152, l’abbé de Cluny constate l’inefficacité de la sanction pontificale146. Le château est entouré de puissantes murailles et déjà pourvu d’une tour en bois. Opposant forteresse à forteresse, les hommes de Cluny ont creusé un fossé et barricadé le village voisin de Clermain.
120Le conflit semble imminent et nombreux sont, aux dires de Pierre le Vénérable, ceux qui excitent au combat les hommes de Cluny147. Se refusant à la guerre, l’abbé de Cluny veut croire au règlement consensuel. Il organise un plaid avec le sire de La Bussière et demande la médiation du seigneur de Berzé, Hugues, et du chambrier de Cluny, Enguizon. La paix est conclue. Hugues Deschaux reçoit deux cent vingt livres en échange desquelles il détruit sa forteresse, donne le mont Avout à Cluny, promet en son nom et au nom de ses héritiers de ne plus entreprendre une telle construction dans la zone comprise entre La Bussière et Cluny et s’engage à faire rédiger un acte rappelant toutes ses promesses sous le témoignage de l’archevêque de Lyon, du comte de Bourgogne et des autres nobles de la région148.
121Tous sont réunis à Mâcon en 1153, ou peut-être à deux reprises entre 1152 et 1154, à l’appel de Pierre le Vénérable et du cardinal de Saint-Nicolas in carcere, Eudes, légat pontifical. Pendant trois jours, l’archevêque de Lyon Héracle de Montboissier, frère de Pierre le Vénérable, ses suffragants les évêques d’Autun, de Mâcon et de Chalon, les comtes de Bourgogne et de Chalon, les sires de Beaujeu, de Brancion, de Berzé, de La Bussière et d’autres nobles dont les noms ne sont pas cités sont rassemblés dans la cathédrale Saint-Vincent de Mâcon pour statuer sur le rétablissement de la paix149. Il est décrété que tous les hommes, moines, clercs ou laïcs, et tous les biens qui appartiennent à Cluny dans la zone comprise entre la Saône, la Loire et le Rhône et les terres qui sont entre la cité d’Autun et le castrum Camonis, au-delà de Chalon, jouiront d’une paix et d’une sécurité complète. Quiconque traversant cette contrée pour se rendre à Cluny devra être maintenu en sécurité avec ses biens150. Les prélats enjoignent aux nobles présents de défendre les personnes et les biens clunisiens, de combattre les malfaiteurs et de les poursuivre jusque dans les châteaux où ils se retrancheraient. Si les moines le leur demandent, les habitants de Cluny devront également prendre les armes en compagnie de ces nobles et des prélats.
122Cette fois-ci, la zone de protection est immense. Elle s’étend sur les terres de tous les seigneurs présents au concile, depuis le Lyonnais et le Forez, au sud, jusqu’aux confins de la Bourgogne ducale au nord151. Ce n’est ni une circonscription ni un territoire, mais une aire de paix très vaste à l’intérieur de laquelle les laïcs doivent être au service des moines lorsque ceux-ci le requièrent.
2. Les confirmations pontificales
123Tout au long de leur abbatiat, Hugues de Semur et Pons de Melgueil n’ont cessé de solliciter les papes pour soutenir leur domination seigneuriale. Avec succès. De Grégoire VII à Calixte II, les privilèges clunisiens se multiplient, deviennent éclatants, au point de susciter des réactions violentes sous Pons de Melgueil dont l’arrogance n’arrange rien. L’accession à l’abbatiat du jeune Pierre de Montboissier, prieur de Domène, à la fin de l’été 1122 suscite des réticences tant à Cluny que dans les monastères de l’ecclesia152. Les moines de Saint-Gilles, de Saint-Bertin et de Polirone montrent des velléités d’indépendance. La mort de Calixte II en décembre 1124 prive l’abbé de Cluny de son plus précieux soutien. Aussi, dès que les conditions climatiques le permettent, Pierre le Vénérable prend-il le chemin de Rome pour rendre hommage au nouveau pape, Honorius II, et solliciter son aide. Il séjourne à Rome de mars à mai 1125 et obtient cinq bulles, datées du 2 avril153. La première est une confirmation générale des privilèges de Cluny insistant particulièrement sur la sujétion des abbayes et prieurés clunisiens à l’abbaye-mère154. Trois autres sont adressées respectivement aux abbayes de Saint-Gilles, Saint-Bertin et Polirone ordonnant aux moines de faire acte d’hommage et de soumission à Pierre le Vénérable155. La cinquième est adressée aux moines de Cluny. Elle leur signale les mesures prises à l’égard des trois abbayes et leur interdit de se rendre auprès de Pons sans l’assentiment de Pierre le Vénérable à qui ils doivent se soumettre humblement156.
Le privilège d’honorius ii, 2 avril 1125
124C’est la confirmation générale des privilèges qui nous intéresse ici. Honorius II rappelle tout d’abord la mission pontificale de la sainte Église romaine. En tant que mère, elle doit protéger les églises, tout particulièrement celles qui sont placées dans son droit et sa propriété singulière. Pour cette raison, le pape incline favorablement aux demandes de Pierre le Vénérable et confirme la libertas, la tuitio et l’auctoritas que ses prédécesseurs lui ont concédées. Parmi eux, seuls trois noms sont retenus : Grégoire VII, Urbain II et Pascal II. Calixte II n’est pas cité.
125La première clause est relative à l’ecclesia Cluniacensis. Honorius dresse une liste de monastères clunisiens - les abbayes d’abord, les prieurés ensuite - dont l’ordre tient nettement compte de l’actualité. Saint-Gilles, Polirone et SaintBertin sont citées en tête, contrairement à l’ordre établi depuis le privilège de Gélase II (décembre 1118)157. À la suite de l’énumération, le pape rappelle l’interdiction de nommer un abbé dans les celles et prieurés soumis au regimen de Cluny et dépourvus d’abbé propre158. Il confirme ensuite les compromis relatifs à l’exemption des églises clunisiennes selon les termes des privilèges d’Urbain II (9 janvier 1097) et de Pascal II (15 novembre 1100), rappelle l’interdiction de porter atteinte aux « aumônes » données aux clunisiens pour le salut des morts ou des vivants, l’invalidité des sentences d’excommunication à l’encontre des celles clunisiennes et le droit d’accueillir toute personne nonexcommuniée soucieuse de vivre dans un monastère clunisien.
126Vient ensuite la question de l’immunité. En deux phrases laconiques, Honorius confirme l’interdiction de commettre des vols et des homicides à l’intérieur des limites définies jadis par Urbain II :
Par l’écrit de ce présent décret, nous confirmons pleinement les termes de l’immunité de votre sanctuaire (locus) qui ont été instituées par notre prédécesseur le pape Urbain. En effet, qu’aucun homme, quelle que soit sa condition ou sa puissance, n’ose commettre une invasion, faire du butin ou un vol, ou commettre un homicide à l’intérieur des limites de cette zone159.
127L’expression « ban sacré » n’est pas prononcée. Les termini ne sont pas rappelés et l’interdiction est toute symbolique. On imagine mal qu’hors de la zone, les vols et les homicides soient autorisés ! Cette phrase n’en demeure pas moins la première confirmation pontificale de la zone immuniste définie par Urbain II.
128Enfin, le pape rappelle une seconde fois l’interdiction de porter atteinte aux monastères clunisiens et à leurs possessions puis conclut par l’énonciation des peines et des bénéfices encourus par ceux qui bafoueront ou respecteront ces privilèges. Suivent vingt-quatre souscriptions d’évêques ou de cardinaux et la date.
129On l’a dit, cette bulle a été motivée par les difficultés rencontrées par Pierre le Vénérable pour imposer son autorité. La première place donnée à la sujétion sur les monastères clunisiens en témoigne. L’absence de toute référence au privilège de Calixte II n’en demeure pas moins surprenante. En fondant la juridiction ecclésiastique exclusive de l’abbé sur la banlieue de Cluny, ce texte constitue une pièce essentielle pour asseoir la potestas clunisienne. Il semble évident que Pierre le Vénérable se souciait de l’affermir tout autant sur les monastères que sur la terre et les hommes du voisinage. La confirmation, même lapidaire, de l’immunité de 1095 en est la preuve. Pourquoi alors avoir passé sous silence la bulle de Calixte II et ne confirmer l’exemption que selon les termes des privilèges de 1097 et 1100, très favorables aux évêques ? Pierre le Vénérable et Honorius II auraient-ils méconnus le texte ? Serait-ce un acte interpolé ? Reportons-nous quelques années plus tard. Les confirmations pontificales ultérieures apporteront peut-être des éléments de réponse.
Pierre le Vénérable, Innocent ii et les privilèges clunisiens (1130-1132)
130La mort d’Honorius II en février 1130 ouvre un schisme à la tête de l’Église romaine. Le 14 février, deux papes sont élus : Innocent II et Anaclet II. L’abbé de Cluny prend très vite parti pour Innocent II bien que son compétiteur soit un ancien moine clunisien. Mis en minorité à Rome, Innocent est contraint de quitter la ville. Il se rend en France, débarque à Maguelone à la fin de l’été, remonte progressivement la vallée du Rhône et s’efforce de raffermir ses soutiens en accordant différents privilèges aux églises de la région et en se rapprochant du roi Louis VI160. Pierre le Vénérable va à sa rencontre à Saint-Gilles et l’accueille à Cluny entre le 24 octobre et le 3 novembre161. La période n’est pas choisie au hasard. Le 25 octobre, on s’apprête à célébrer la fête de la dedicatio ecclesiae. Les cérémonies sont donc présidées par le pape. Elles se calquent sur celles du 25 octobre 1095 dirigées par Urbain II. La construction de la maior ecclesia est alors très largement avancée162, et si Urbain II n’avait pu consacrer que les cinq autels « préparés » dans la partie orientale de l’édifice, Innocent dédicace l’ensemble du monastère163.
131Au terme de son séjour en France, un an et demi plus tard, Innocent II est de retour à Cluny (du 1er au 12 février 1132)164. C’est là vraisemblablement qu’il négocie avec Pierre le Vénérable les termes d’une nouvelle alliance qui renforce encore le statut exceptionnel du sanctuaire clunisien. La bulle qu’il lui adresse de Vienne le 2 mars suivant en formule les principes165.
132Après avoir souligné en préambule la nécessité de protéger Cluny, Innocent II rappelle sa visite du 25 octobre 1130166. Les privilèges énoncés ensuite se présentent comme une conséquence de la dédicace, comme l’étaient les proclamations des termini et de la lex banni en 1095. À tous ceux qui visiteront désormais le sanctuaire (locus) le jour anniversaire de la dédicace, le pape accorde quarante jours d’indulgences (poenitentiae)167. Il confirme l’inviolabilité du ban de Cluny (terminos banni) selon des termes proches de ceux d’Honorius II en avril 1125 :
Nous statuons que l’immunité de ce monastère soit conservée inviolée et intacte dans les temps futurs. Et si quelqu’un, sciemment, à l’intérieur des limites du ban qui ont été instituées par notre prédécesseur autour de Cluny, arrête des hommes, les violente, ou prétend soustraire des biens dudit monastère, qu’il soit lié par une sentence d’excommunication et demeure excommunié jusqu’à ce qu’il restitue les biens volés et s’amende convenablement de ces délits auprès des moines de Cluny168.
133Innocent II souligne ensuite la nécessaire protection des trafics à destination de Cluny. Toute personne portant atteinte aux moines ou s’emparant des biens destinés à leur nourriture ou leur vêtement sera excommuniée. Ses terres seront placées sous l’interdit si elle ne restitue pas les produits volés avant dix jours et si elle ne s’amende pas convenablement169. Les évêques et les archevêques administrant les paroisses dans lesquelles de tels méfaits seront perpétrés sont invités à faire appliquer les sentences.
134Les fondements de la domination clunisienne sont ainsi ré-articulés par Innocent II. Tout procède de la consécration du sanctuaire. Le locus clunisien, réceptacle des plus précieuses reliques et sedes des moines vierges est clairement institué comme un pôle essentiel de l’ecclesia universalis. Son entourage immédiat, dans les limites définies par Urbain II, est l’espace de la pax. Le pape en est le garant, sanctionnant au besoin les délits de fractio pacis par l’excommunication, l’interdit et l’anathème. Comme tout lieu consacré, Cluny mérite d’être régulièrement visité. Le pape lui-même montre l’exemple à plusieurs reprises. Innocent II ne manque pas de le rappeler au début de sa lettre. De sa venue à Cluny, sur les traces d’Urbain II procède la régénérescence de toute la structure sociale clunisienne, chrétienne. Les coordonnées spatiales et temporelles de la vie sociale sont rappelées. Grâce au pape, le 25 octobre devient une solennité majeure du calendrier clunisien. Les hommes de l’extérieur doivent, à l’imitation du pontife, effectuer régulièrement le pèlerinage de Cluny, le jour anniversaire de la dédicace. Ils en ressortiront forts de quarante jours d’indulgences et ainsi mieux préparés pour faire le dernier voyage. Ainsi se trouvent valorisés les chemins qui mènent vers Cluny : chemins de terre et de cailloux et voies vers le ciel170. Gare à ceux qui portent atteinte à tous les peregrini, à fortiori si leur voyage tend à nourrir et vêtir les moines vierges.
Le privilège de Lucius ii, 22 mai 1144
135Le 12 mars 1144, Lucius II succède au pape Célestin II mort quelques mois après son élection sur le siège de Pierre. Dès la réception de la nouvelle, Pierre le Vénérable prend le chemin de Rome pour rendre hommage au nouveau pape et solliciter le règlement de certaines affaires courantes. Il séjourne à Rome une bonne partie du mois de mai, s’entretient avec lui à plusieurs reprises et repart avec trois bulles datées du 22 mai répondant à ses différentes requêtes171. La plus longue est une confirmation générale des privilèges de Cluny. Habilement construite, elle rassemble pour la première fois l’ensemble des prescriptions pontificales à l’égard de l’immunité et de l’exemption clunisiennes promulguées depuis la fin du XIe siècle172.
136Sa tradition manuscrite est conforme à nombre d’autres bulles adressées à Cluny. Elle est connue sous la forme de deux copies clunisiennes. La première figure dans le manuscrit BnF latin 17716 (début XIIIe siècle) parmi les cinq pièces diplomatiques retenues comme fondatrices de la libertas clunisienne ; celle de Lucius clôt la série173. La seconde est dans le cartulaire E de Cluny composé dans le dernier quart du XIIIe siècle174.
137Lucius se montre un compilateur soigneux des privilèges octroyés par ses prédécesseurs. La bulle de Calixte II du 22 février 1120 lui sert de modèle pour le début du texte. Les deux préambules sont en tous points identiques à l’exception, bien sûr, de l’adresse : Lucius a remplacé Calixte, Pierre a remplacé Pons, Honorius II est ajouté à la longue liste des pontifes romains ayant sanctionné la libertas et les privilèges clunisiens.
138Les quatre premières clauses sont également semblables. Terme à terme, Lucius confirme la juridiction et la protection du Saint Siège (ius ac tuitio) sur les églises, cimetières, moines, clercs et laïcs demeurant entre le ruisseau de Saunat, l’église de Ruffey, la croix de Lournand, le moulin de Tornesac, Varennes et Perois ; la seule autorité de l’abbé et du pape pour convoquer un synode dans cette zone, le libre choix de l’évêque consécrateur et la soustraction des moines clunisiens à toute sentence d’excommunication fors celle du pape ou de son légat175.
139Vient ensuite la question de l’immunité. Lucius II la confirme selon la définition d’Urbain II rappelant l’interdiction de commettre des vols ou des homicides, puis reprend l’énumération des termini sacri banni conformément au sermon de 1095176. Cette confirmation est donc plus précise que celles d’Honorius II et d’Innocent II qui énonçaient les interdictions sans rappeler les termini de la zone immuniste. Elle ne retient cependant qu’une partie de la définition initiale négligeant les clauses finales du sermon d’Urbain II selon lesquelles les injustices commises dans le ban doivent être soumises à la correction des officiers monastiques.
140De la domination clunisienne sur la banlieue, Lucius passe ensuite à l’autorité de l’abbé sur les établissements monastiques soumis à son ordinatio177. De nouveau le privilège de Calixte II est mis à contribution pour la liste des abbayes dépendantes. Les seules différences notables sont la disparition de Saint-Gilles, Saint-Bertin et Polirone qui, depuis, ont retrouvé leur indépendance (Saint-Bertin en 1138) ou acquis un statut privilégié eu égard à l’élection de l’abbé178. En ce qui concerne les celles et les prieurés, le privilège de Pascal II du 15 novembre 1100 sert de modèle. Ce texte établissait pour la première fois la distinction entre les deux types d’établissements en précisant leur sujétion à l’égard de Cluny : nul ne peut ordonner un abbé dans ces lieux dépourvus d’abbé propre et soumis au regimen de Cluny179. On note une variante intéressante entre la formule de Pascal II et celle de Lucius II. Alors que Pascal faisait de ces établissements des membres de la fraternité de l’abbé (fraternitate tua), Lucius les place dans « l’Église de Cluny » (Cluniacensis ecclesia)180.
141Est ensuite logiquement abordé le statut des églises clunisiennes situées hors de la parrochia de l’abbé. Les propos sont encore repris de la bulle de Calixte II. Ils concernent la protection des autels, églises et dîmes clunisiens, quel que soit leur moyen d’acquisition, puis les compromis entre moines et diocésains sur la nomination des desservants, la juridiction ecclésiastique et les consécrations.
142La fin du texte apporte quelques éléments nouveaux. Il s’agit tout d’abord d’une confirmation solennelle de tous les biens donnés à Cluny par les papes, les rois, les princes ou les fidèles. Une brève liste en est dressée comprenant d’une part les établissements espagnols, d’autre part des églises et monastères récemment acquis par les moines181. En second lieu, le pape concède un nouveau privilège, interdisant d’édifier dans des paroisses qui relèvent du droit de Cluny une église ou une chapelle sans le consentement de l’abbé de Cluny182.
143Le texte s’achève de manière classique sur l’interdiction de porter atteinte au monastère, assortie des sanctions pontificales et des souscriptions des évêques présents183.
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144Les clauses originales insérées à la fin du texte pointent les problèmes auxquels se heurtent les clunisiens en ce milieu du XIIe siècle : la naissance des cellules paroissiales et les velléités d’indépendance de certains monastères.
145La bulle de Lucius II montre en outre une articulation nouvelle des privilèges clunisiens. L’ecclesia Cluniacensis est un réseau de lieux placés hors de la juridiction exclusive des diocésains et du joug des puissances temporelles, placés sous le gouvernement (regimen) de l’abbé de Cluny et la tuitio du Saint Siège. Le monastère de Cluny, locus sacro-saint, est le cœur et la tête du réseau. Il détermine plusieurs cercles concentriques à l’intérieur desquels doit régner la pax clunisienne : harmonie entre Dieu, les saints, les moines et le populus dans le respect des lieux et des hommes consacrés.
146Autour du locus principalis deux cercles se superposent. Le plus restreint s’étend dans un rayon d’environ un kilomètre et demi autour du monastère avec une excroissance notable vers l’est sur la colline de Bourcier. Pierre d’Albano a proclamé son inviolabilité en 1080. En 1120, Calixte II en a fait le cadre de la juridiction spirituelle de l’abbé. Cette parrochia constitue une véritable cellule, administrée par l’abbé via son archidiacre, elle-même divisée en deux et bientôt trois cellules paroissiales administrées par un curé et ses chapelains. Le second cercle a été délimité en 1095 par Urbain II peu après la consécration des premiers autels de la nouvelle église abbatiale. Espace théoriquement inviolable qualifié de « ban sacré », il est le cadre de la juridiction temporelle de l’abbé, s’étend dans un rayon de trois à six kilomètres autour du monastère et se superpose partiellement à l’autre zone.
147Ces deux cercles concentriques ne sont pas les seuls espaces de la domination clunisienne. Ils constituent seulement le cœur d’un vaste réseau de lieux et d’hommes dépendant de Cluny et reproduisant hors du centre les différentes facettes du rôle social des moines. Dans les environs proches de Cluny, leur emprise sur la terre et les hommes se manifeste de deux manières. D’une part, entre le milieu du XIe et celui du XIIe siècle est mis en place le réseau des obédiences de Cluny (obedientiae), bientôt qualifiées doyennés (decania, decanatus). Répartis majoritairement dans un rayon inférieur à cinquante kilomètres de l’abbaye, ces lieux sont pluri-fonctionnels. Les rentes de la terre clunisienne y sont partiellement acheminées, des plaids y sont régulièrement réunis sous la présidence des doyens, moines qui doivent également assurer la charité et l’hospitalité aux personnes qui s’y présentent. L’implantation montagneuse ou sylvestre de quelques établissements pousse certains moines à venir y trouver refuge et les doyennés prennent alors le visage d’ermitages.
148Au tournant du XIIe siècle, un troisième cercle est défini autour du monastère à l’intérieur duquel la construction d’une forteresse sans l’assentiment de l’abbé et la levée d’un péage sur les hommes se rendant ou revenant de Cluny sont interdites. C’est dans ce large cercle que la majeure partie des loca clunisiens, doyennés, granges et ermitages sont implantés, aux croisées de chemins ou le long des voies principales, sur des points culminants, voire à la place d’anciennes forteresses.
149Enfin, au-delà de ces trois cercles, le réseau clunisien est constitué d’abbayes, de prieurés, de celles, d’églises, de terres, de villae, de moines, de clercs et de laïcs qui les servent. L’ensemble constitue l’ecclesia Cluniacensis selon la formule d’abord créée par les moines au XIe siècle puis reprise à son compte par le pape Lucius II en 1144.
150Le privilège de Lucius II articule pour la première fois les fondements locaux et généraux de l’ecclesia Cluniacensis : les deux cercles restreints de la domination clunisienne, le réseau de monastères et d’églises soumis au regimen de Cluny. Seules les zones sans péage et sans château ne sont pas confirmées. Elles ne le sont que ponctuellement au gré d’arrangements et de compromis avec les seigneurs-châtelains du Mâconnais. Dans la mémoire clunisienne, la bulle de Lucius II a ainsi éclipsé les privilèges de Calixte II, d’Honorius II et d’Innocent II qui ne montraient qu’un aspect du système. L’étrange tradition manuscrite du privilège de Calixte II trouve peut-être sa solution là. Soit son caractère partiel l’a fait écarter des cartulaires clunisiens du XIIIe siècle, soit il n’a pas existé avant 1144 et serait alors un faux ou un acte interpolé par les clunisiens pour soutenir leurs prétentions devant les évêques en les justifiant par un acte produit soi-disant par le père du premier concile du Latran. Avec Lucius, tout est mis en ordre et le restera pendant plusieurs décennies. Sa bulle servira de modèle à toutes les confirmations pontificales jusqu’à Innocent III.
151Le rôle de cette mise en ordre revient peut-être moins à Lucius II qu’à l’abbé de Cluny, Pierre le Vénérable. Passée la période troublée de son accession à la tête de l’abbaye bourguignonne, Pierre agit sur plusieurs fronts simultanément. Ses statuts publiés en 1146-1147, la réorganisation du temporel abbatial qu’il mène conjointement avec Henri de Blois et ses réflexions ecclésiologiques le montrent soucieux d’adapter la communauté clunisienne en conservant ses points forts : la domination des terres et des hommes, l’intercession des moines pour la commémoration des morts, l’organisation d’une communauté ecclésiale fondée sur le baptême, l’eucharistie, la pureté des clercs et des lieux de culte formant un réseau de lieux et d’hommes à partir desquels le monde doit s’organiser. La mise en ordre des cercles et des lieux de la domination clunisienne constitue l’un des aspects, essentiels, de cette organisation sociale.
152Au cœur de cette structure se dessinent deux cercles, plusieurs fois évoqués : le burgus et la villa de Cluny. Ils sont inclus dans toutes les zones inviolables, de la plus restreinte à la plus large, ce qui infléchit nécessairement l’organisation des rapports sociaux et la nature de la communauté d’habitants. Il est temps à présent d’examiner en quoi le burgus et la villa de Cluny sont des lieux spéciaux.
Notes de bas de page
1 Bon nombre de points évoqués dans les pages qui suivent font l’objet de mon article des Annales de Bourgogne, « Les cercles de la domination clunisienne ».
2 Par exemple, R. Fossier, Enfance de l’Europe, p. 395 ; D. Barthélemy, L’ordre seigneurial, p. 93 ; J.-P. Poly, É. Bournazel, La mutation féodale, p. 102.
3 T. Chavot, « De la juridiction seigneuriale des abbés de Cluny », p. 178-179, repris dans la préface de M, p. cxc-cxciv ; Id., Le Mâconnais, p. 110-111, 289-294.
4 G. Duby, La société, p. 186-188, carte p. 518. 1 : château. 2 : « sacré ban » de Cluny. 3 : seigneurie du comte de Mâcon. 4 : seigneurie de Chalon. 5 : châtellenie de Brancion-Uxelles. 6 : châtellenies de Bagé et de Chaumont. 7 : châtellenie de Berzé et de Sigy. 8 : châtellenies de la Bussière, de Sennecey et de l’Épervière. 9 : seigneurie de l’abbaye de Cluny. 10 : seigneurie de l’église de Mâcon. 11 : seigneurie de l’abbaye de Tournus. 12 : seigneuries ecclésiastiques secondaires. 13 : seigneurie ecclésiastique soumise à la garde du châtelain local.
5 J. Réthoré, Donzy-le-Pertuis, p. 27 ; É. Magnien, Les deux grands siècles de Cluny, p. 150.
6 B. Rosenwein, « Cluny’s Immunities », p. 141.
7 B. Rosenwein, Negotiating Space, p. 178. B. Rosenwein a dressé cette carte à partir des hypothèses de localisation que j’ai présentées au congrès de Leeds en 1998 : « Burgus, immunitas, pax : les rouages de la seigneurie clunisienne à la fin du XIe s. » (communication inédite). Mon travail était alors en cours et j’ai reformulé depuis plusieurs hypothèses exposées dans les pages qui suivent.
8 B. Rosenwein, « Cluny’s Immunities », p. 144, repris dans Id., Negotiating Space, p. 180.
9 P. Boucheron, « Représenter l’espace féodal ».
10 T. Chavot, voir supra n. 3 ; M. Chaume, Les origines du duché de Bourgogne, 2e partie, Géographie historique ; A. Déléage, La vie économique et sociale de la Bourgogne ; G. Taverdet, Atlas linguistique et ethnographique ; Id., Les noms de lieux de Bourgogne, 3e partie : Saône-et-Loire ; Id., Les noms de lieux de Bourgogne, Suppléments ; Id., Lieux-dits de Saône-et-Loire ; Id., Microtoponymie de la Bourgogne.
11 Les cartes IGN 1/25000e utilisées pour cette étude sont les no 2927 est (Saint-Gengoux-le-National), 2928 est (Cluny), 3027 ouest (Lugny), 3028 ouest (Mâcon).
12 MAAC, mss. 6, 86, 88, ; AMCl., C 133 ; AD71, H Suppl. Cluny 58.
13 AD71, Cadastre Napoléonien, 58/1 et 58/2.
14 Édition de la charte : CPA. Sur les conflits entre Mâcon et Cluny dans la deuxième moitié du XIe s. et le contexte de la charte de Pierre d’Albano : A. Hessel, « Cluny und Mâcon » ; H. Cowdrey, The Cluniacs, p. 51-57 ; B. Rosenwein, Negotiating Space, p. 171-178.
15 BnF, ms. nouv. acq. lat. 2262, p. 8-10. Sur l’organisation du cartulaire C : B. Rosenwein, « Cluny’s Immunities », p. 152-153.
16 BnF, lat. 17716, fo 85r-94r (CPA = fo 88v-90v). Sur le manuscrit BnF lat. 17716, voir supra p. 24-25.
17 Cartulaire D : BnF, nouv. acq. lat. 766, fo 68r-69r, n ° 251 ; Cartulaire E : BnF,. lat. 5458, fo 121r-123v, no 144.
18 CPA, p. 487 : Carta Petri Albanensis Episcopi et Cardinalis Romani de Immunitate Cluniaci. H. Cowdrey n’indique pas d’où vient ce titre, laissant supposer qu’il existe dans la plus ancienne copie.
19 CPA, p. 488, l. 27-31 : [...] et insuper ut nulla persona cuiusque dignitatis uel potestatis rapinas, predas, siue aliquas infestationes loco isti, habitatoribus, atque confugientibus infra terminos subnotatas inferre presumat, apostolica mihi auctoritate concessa tali modo statui et determinaui.
20 Pour la localisation de ces châteaux, voir supra, carte 14 et infra carte 33.
21 CPA, p. 488, l. 42-51 : Ammoneo etiam omnes milites qui in his proximis nobis castellis habitant, uidelicet Branciduno, Berziaco, Buxeria, Seduno, Setgiaco, et Oscella, ut ruricolis nostris seu rusticis qui in circumiacentibus huic loco habitant uillis nullam lesionem uel torturam inferre presumant. Malas quoque consuetudines quas actenus ab eis requisierunt, siue de conducto siue de substantia eorum, ulterius ab eis non repetant neque inde eos aliquo modo apprehendere aut ledere presumant. Sed et his qui necdum has malas consuetudines requisierunt ne in posterum eas requirant interdicimus ex parte Dei et contradicimus.
22 CPA, p. 489, l. 51-54 : Precipue uero milites qui in hac Cluniacensi uilla habitant hoc cauere monemus, ne huius mali concitatores fiant ; quia quanto uicinius commanent, tanto eos oportet a seruorum Dei iniurii abstinere.
23 CPA, p. 489-491, l. 56-139.
24 CPA, p. 487 : Domnus Hugo Cluniacensis abbas, propter infestationes que inferebantur ab episcopis Lugdunensi et Matiscensi, Gebuino uidelicet et Landrico, suo principali loco et cellis et adiacentiis [...]. Également supra n. 19.
25 Outre les travaux signalés supra p. 60, n. 74, voir l’étude stimulante sur la notion de pureté dans les sociétés primitives et son institutionnalisation à des fins de gouvernement : M. Douglas, De la souillure.
26 Cet aspect a été souligné par B. Rosenwein. Elle a notamment insisté sur les liens entre la carta et la liturgie clunisienne, en particulier celle de la Purification de la Vierge : B. Rosenwein, Negotiating Space, p. 174-178. Sur Pierre Ignée : G. Miccoli, Pietro Igneo.
27 LT, chap. 31, p. 40-43 ; BC, col. 379-381. Sur Cluny et la Vierge, D. Iogna-prat, « Continence et virginité » ; Id., « Politische Aspekte der Marienverehrung ». Et plus généralement, l’excellent recueil d’articles : Marie. Le culte de la Vierge.
28 CPA, p. 488, l. 31-39 : Ego P[etrus] Dei gratia Albanensis episcopus et legatus apostolicae sedis interdico ex parte omnipotenti Dei et beati P[etri] apostolorum principis, necnon etiam ex parte domni mei Gregorii pape, ut nullus omnino homo cuiuslibet potentiae uel dignitatis huic Cluniacensi loco infra terminos inferius annotatos, homicidia, predas, siue rapinas uel aliquas inuasiones, facere presumat. Hii sunt autem termini : a riuo de Salnai, et ab aecclesia Rufiacensis uillae et cruce de Lornant, a termino quoque molini de Tornasac, per uillam quae dicitur Varenna, per terminum qui dirigitur per Ios ad riuum de Salnane.
29 M, préface, p. ccxviii ; T. Chavot, Le Mâconnais, p. 32, 240 ; F. Bange, « Ager et villa », p. 547.
30 Dans les dernières années du IXe s., une charte rapportant la donation entre laïcs de biens sis à Ruffey est négociée devant l’église Saint-Germain : C 44 (ca. 891), Hactum Rufiago villa, ecclesia sancti Germano in puplice. Vers 926, un échange de biens situés dans l’ager Rufiacensis, entre l’abbé Bernon et le lévite Ranulfus, mentionne des res sancti Germani, signe des possessions foncières de l’église Saint-Germain : C 278.
31 L’église Saint-Germain est donnée en précaire à Cluny par l’évêque de Mâcon en 981 : C 1553.
32 Papsturkunden 351 : Rufiacum cum ecclesia.
33 Une charte sans date conservée par sa seule copie dans le cartulaire B mentionne la donation d’un manse qui dicitur ad Fans, in quo stat Gunterius ; et est situs in villa Rufiaco, in parrochia Sancti Germani, in episcopatu Matisconensi (C 3174). Les noms des souscripteurs permettent de dater cette charte vers 1060 (renseignement fourni par M. Hillebrandt).
34 Pouillés de la Province de Lyon, éd. A. Longnon, p. 200.
35 L’église avait déjà disparu au XVIIIe s. Le plan terrier de la ville et des environs de Cluny dressé vers 1775 mentionne le « pré Saint-Germain » et le « finage de Saint-Germain » mais ne figure pas l’église : MAAC, ms. 88, plans 33, 34, 54. Le toponyme s’est néanmoins conservé : la zone commerciale et artisanale qui s’étend à l’ouest de Cluny est appellée « zone d’activité Saint-Germain ».
36 MAAC, ms. 88, plan 25.
37 Tel est le terme utilisé en Mâconnais pour désigner les chemins qui sillonnent au sommet des collines.
38 Cet acte n’est connu que par son résumé analytique dans l’inventaire des archives de l’abbaye de Cluny dressé par Claude Locquet en 1682 : AD71, H 22, fo 31r, éd. A. Benet, J.-L. Bazin, Archives de l’abbaye de Cluny, p. 74 (no 555). Je remercie Gilles Rollier d’avoir attiré mon attention sur ce document.
39 MAAC, ms. 88, plan 74.
40 Sur la date de creusement de l’étang-vieux : T. Chavot, Le Mâconnais, p. 138 ; G. Rollier, « Aménagements hydrauliques », p. 37, avait déjà remarqué la coïncidence entre la limite de l’étangvieux et le « ban » de 1080.
41 T. Chavot, Le Mâconnais, p. 131, a identifié Varenna avec le lieu-dit Les Dagonnaux sur la commune de Cluny, sur le chemin qui mène de Cluny à Varanges, sans justifier son choix. Il a sans doute procédé par déduction cherchant un lieu situé à l’est de Cluny, sur un grand chemin et à près d’un kilomètre de l’abbaye, comme les autres termini.
42 G. Taverdet, Les noms de lieux de Bourgogne, III, p. 79 ; Id., Microtoponymie, XI, p. 2214-2215.
43 Varenna : Calixte II (22/02/1120) : Bull. Cal. II no 143, p. 209, Urbain III (2/04/1186) : PL 202, col. 1380, Clément III (26/02/1188) : PL 204, col. 1307, Nicolas III (18/03/1279) : Registres de Nicolas III, n ° 459, p. 174-176 ; Varennia : Grégoire X (5/05/1273) : Bull. p. 139 ; Varenga : Innocent III (13/01/1205) : Bull. p. 97, Alexandre IV (21/02/1256) : Registres d’Alexandre IV, no 1157, p. 350 ; Varengia : Lucius II (22/05/1144) : Bull. p. 52-54, Eugène III (15/02/1146) : Bull. p. 56-57. Ce recensement n’est fondé que sur la version publiée des privilèges pontificaux. Pour être complet, il faudrait recenser les différentes versions manuscrites. À titre d’exemple, le privilège de Lucius II, connu dans deux versions manuscrites, l’une dans le cartulaire E (BnF, lat. 5458, fo 121v), l’autre dans le ms. BnF lat. 17716, fo 92v-94r, donne dans la première version Varenna, dans la seconde Varengia.
44 Le Vergne, S.-et-L., can. et com. Cluny. Le toponyme « Verne » et ses dérivés (Vernay, Vernet, Vernoy, Vernière, Verneuil...) désigne généralement un lieu planté d’aulnes et par extension un lieu humide : G. Taverdet, Microtoponymie, XII, p. 2252-2276.
45 C 1916 : donation à Cluny d’une vigne, hoc est in villa Varenniaco, in Montelio. La villa de Monthiou (villa quae vocatur Montelia) est également mentionnée dans une charte de 991 : C 1884. Peut-être la villa Montensi de C 1810 (989) désigne-t-elle le même lieu ? C’est en tout cas l’opinion de T. Chavot, Le Mâconnais, p. 195-196.
46 Voir les références de ces privilèges supra n. 43.
47 BnF, nouv. acq. lat. 2262, fo 8 (Cart. C) ; lat. 17716, fo 89r.
48 BnF, nouv. acq. lat. 766, fo 68r (cart. D) ; lat. 5458, fo 121v (Cart. E).
49 Ces confirmations sont celles des privilèges pontificaux mentionnés auparavant.
50 Le Perret et le Mont Perret, S.-et-L., can. Mâcon-Nord, com. Berzé-la-Ville. « Perret » compte parmi les variantes toponymiques de « Perrier » qui indique un lieu empierré, une roche : G. Taverdet, Microtoponymie, VIII, p. 1500. T. Chavot, dans M, préface, p. cxcii, et dans Le Mâconnais, p. 233 a identifié Peroys avec La Raverotte, hameau situé près d’un kilomètre au sud-est de Cluny. Il ne justifie pas cette identification qui, comme la précédente, provient d’une déduction : le point est au sud-est de Cluny et, selon T. Chavot, se trouve à la même distance que les autres.
51 Le toponyme « Les champs Margottons » semble récent. Les anciens terriers nomment ce lieu « La croix des Gottiales ». C’est d’ailleurs sous ce terme que le lieu était encore connu au milieu du XIXe s. : M, préface, p. cxcii.
52 Sur le cursus d’Urbain II, A. Becker, Papst Urban II., I, p. 24-90.
53 Plusieurs études ont été consacrées au voyage d’Urbain II en France en 1095-1096. Notament, R. Crozet, « Le voyage d’Urbain II en France » ; Id., « Le voyage d’Urbain II et ses négociations ». A. Becker, Papst Urban II., II, p. 435-457, a corrigé l’itinéraire pontifical proposé par R. Crozet. Son récent article, A. Becker, « Le voyage d’Urbain II », n’apporte en revanche rien de nouveau par rapport à son ouvrage ni même aux articles de Crozet. L’étude récente la plus stimulante est celle d’É. Zadora-Rio, « Lieux d’inhumation et espaces consacrés », qui étudie les relations entre les cérémonies pontificales et la cérémonie de consécration des cimetières qui se développe alors.
54 B. Rosenwein, Negotiating Space, p. 1-3, 181-183, a réexaminé attentivement le sermon d’Urbain II. Nos conclusions convergent sur de nombreux points.
55 BnF, nouv. acq. lat. 2262, fo 66v-67r (= p. 131-132), no 148.
56 BnF, lat. 17716, fo 90v-92v. Sur ce manuscrit, voir supra, p. 24-25.
57 B. Rosenwein, « Cluny’s Immunities », p. 157-158, l’a démontré pour le cartulaire C.
58 BC, col. 518-520 ; PL 151, col. 561-564 ; RHGF, XIV, p. 100-102 ; Bull. p. 25.
59 Annexe 3.
60 Ibid., 3-12
61 Ibid., l. 13-32.
62 Ibid., l. 32-36.
63 Ibid., l. 36-41, 55-57.
64 Ibid., l. 57-61.
65 Ibid., l. 61-69.
66 Ibid., l. 70-76.
67 Le sermon d’Urbain II a été beaucoup utilisé par les archéologues pour dater la partie orientale de l’église abbatiale Cluny III et les chapiteaux du chœur : V. Terret, La sculpture bourguignonne ; R. Graham, A. W. Clapham, « The Monastery of Cluny » ; K. J. Conant,« Mediaeval Academy Excavations at Cluny, V » ; Id., Cluny, p. 82-92. F. Salet, « Cluny III », p. 236-247 fait une mise au point utile sur ces questions archéologiques et chronologiques.
68 Voir supra p. 51, n. 40.
69 Sur la signification historique et ecclésiologique de l’eucharistie : H. de Lubac, Corpus mysticum, p. 89-135.
70 Le pontifical romano-germanique, I, p. 82-89 ; B. Repsher, The Rite of Church Dedication.
71 Sancti Aurelii Augustini, De civitate Dei. Quelques réflexions stimulantes sur ces notions : A. Guerreau, « Le champ sémantique de l’espace », p. 407-409 ; Id., « Le sens des lieux » : je remercie l’auteur de m’avoir fait part de cet article inédit.
72 Je m’appuie ici notamment sur le Mittellateinisches Wörterbuch, I, col. 1341-1348 et J. F. Niermeyer, Mediae latinitatis, p. 81-84. Les réflexions d’A. Guerreau sur la notion de dominium au Moyen Age restent fondamentales pour aborder ces questions : A. Guerreau, Le féodalisme, p. 179-184.
73 Voir supra chapitre 1, p. 60.
74 J’emprunte cette expression à G. Bois, La mutation de l’an mil, p. 213.
75 En dernier lieu sur cette question : D. Iogna-Prat, Ordonner et exclure, p. 80-86.
76 Annexe 3, l. 33-55.
77 T. Chavot, dans M, préface, p. cxcii et Le Mâconnais, p. 151 et 291, avait identifié ce terminus et décrit le tracé de l’ancien chemin vers Mazille qui existait sans doute encore au milieu du XIXe s. T. Chavot situe la source de la Salare au hameau des Gottiales. L’ancien chemin qui partait des Gottiales en direction de Mazille figure sur le cadastre napoléonien, AD71, 58/2 (com. Berzé-le-Châtel), p. 26.
78 T. Chavot, dans M, préface, p. cxc, n. 4 ; Id., Le Mâconnais, p. 289 ; G. Jeanton, Le Mâconnais gallo-romain, *, Région de Cluny, p. 1-2.
79 Carte de Cassini, no 86 (Mâcon).
80 Le cadastre napoléonien mentionne ce chemin comme « ancienne grande route de Charolles à Mâcon », Cadastre napoléonien AD71, 58/2 (commune Sainte-Cécile), p. 23.
81 Le toponyme Vinges est absent des cartes actuelles les plus précises et des terriers et cadastres les plus anciens. T. Chavot, dans M, préface, p. cxci, n. 1, l’identifie hypothétiquement au hameau des Litauds, com. Sainte-Cécile.
82 La Croix Nicot, sur la carte IGN 1/25000e 2927 est (St-Gengoux-le-National).
83 MAAC, ms. 88, plans 25, 33 ; T. Chavot, dans M, préface, p. cxcii ; Id., Le Mâconnais, p. 292.
84 G. Jeanton, Le Mâconnais gallo-romain, *, Région de Cluny, p. 1-3.
85 T. Chavot, Le Mâconnais, p. 95-96.
86 Le cadastre napoléonien AD71, 58/2 (commune Massilly), p. 60, mentionne, sur la rive gauche de la Grosne, à l’extrême sud-est de la commune de Massilly, les lieux-dits « terre de Chassagne », « bois de Chassagne », « en Chassagne ».
87 BC, col. 1506 : Insuper quicquid habui, vel habere possem, in terris, (...) et aliis modis omnibus a banno de Cluniaco quod est prope Verenges [Varengis] usque ad aquam de Gradona, et usque ad aquam eandem subtus villam de Chazelle, et usque ad territorium villae eiusdem, et sicut ducit ad villam de Li, cum territorio et pertinentiis suis, et usque ad villam de Blanos, et a valle de Blanos, usque ad aquam Gradonae antedictam, cum tani [tota] aqua, et pertinentibus ad eam, sicut ducunt termini memorati. Les paragraphes entre crochets sont les variantes fournies par la copie du cartulaire D, indiquées dans C 4710, p. 229, n. 3.
88 Je rejoins ici l’hypothèse de T. Chavot, Le Mâconnais, p. 198-199. C’est la seule hypothèse vraisemblable bien que la Mouge soit également qualifiée Meogia, Mergia ou Mertgia dans des chartes contemporaines : C 3881, M 27, M 619.
89 La borne des Bachasses a été découverte en 1913. En 1926, elle avait disparue : notes du 11 nov. 1926 et du 27 fév. 1928 de Léon Daclin, AMCl., Fonds Daclin, dossier 7.
90 MAAC, ms 88 ; AD71, H suppl. Cluny 58.
91 T. Chavot, dans M, préface, p. cxc-cxciii a donné une transcription différente de cette phrase et mentionne le boscus communitatis. Cette expression ne se trouve pas dans le sermon d’Urbain II ni dans les confirmations de Lucius II le 22/05/1144 (Bull. p. 52-54), Eugène III, le 15/02/1146 (Bull. p. 56-57), Urbain III, le 2/04/1186 (PL 202, col. 1379-1383), Clément III, le 26/02/1188 (PL 204, col. 1307-1310). T. Chavot l’a interpolé d’un « acte judiciaire de 1484 » (dont il ne mentionne pas la source) qui rappelle en français les limites du ban sacré avec notamment le bois de la communauté. Cet acte de 1484 figure dans le recueil de pièces justificatives établi vers 1740 pour l’abbé de Cluny en vue de soutenir l’ancienneté de son exemption contre les prétentions de l’évêque de Mâcon : Recueil de pièces qui établissent l’exemption, p. 30. C’est un exécutoire des Lettres patentes de Charles VIII pour maintenir les juridictions temporelle et spirituelle de l’abbé sur la ville et les bans de Cluny. L’original semble avoir disparu. Aussi, est-il préférable de s’en tenir aux termes des documents les plus anciens qui mentionnent le boscus comitatis ou comitalis et non le boscus communitatis. Le comte en question est sans doute celui de Mâcon.
92 MAAC, ms 88 ; T. Chavot, dans M, préface, p. cxciii ; Id., Le Mâconnais, p. 156, 196, 293.
93 Cadastre napoléonien AD71, 58/2 (commune Igé), p. 62.
94 metas banni : C 4098 bis (1145) ; metas et terminos sacrorum bannorum ecclesie Cluniacensis : BnF, coll. Bourgogne, t. 82, no 377, 383 (1303, 1309).
95 Au terme d’une minutieuse enquête, Léon Daclin, médecin clunisois, a retrouvé vers 1920 un certain nombre de bornes armoriées autour de Cluny dont la mise en place semble remonter aux XVIIe ou XVIIIe s. Il a donné plusieurs conférences sur le sujet à l’Académie de Mâcon dont le résumé est publié dans les AAM, t. XXV (1926-1927), p. xxiv-xxv, xlvi, cxvi ; t. XXVII (1930-1931), p. xxvii ; t. XXXI (1936), p. xxvi. Le texte manuscrit des conférences se trouve dans le Fonds Daclin des AMCl., dossier 7, avec un grand nombre de notes, dessins et photographies des bornes qu’il a découvertes. Peu après leur mise au jour, les bornes ont été volées. Dernièrement, le Groupement Archéologique du Mâconnais a entrepris une nouvelle recherche sur les bornes armoriées. Pas moins d’une vingtaine de bornes aux armes de l’abbaye de Cluny, datables des XVIIe -XVIIIe s. ont été « retrouvées » hors de leur contexte, en remploi dans des constructions ou chez des particuliers : F. Cognot, « Les bornes armoriées en Mâconnais ».
96 Voir chapitre 2 supra p. 117.
97 Annexe 3, l. 57-64.
98 Sur ces événements : G. Letonnelier, L’abbaye exempte de Cluny, p. 101-106 ; H. White, « Pontius of Cluny » ; H. Cowdrey, Two Studies, p. 218-228 ; N. Fresco, L’« affaire » Pons de Melgueil, p. 106-116.
99 Privilège de Gélase II du 16 décembre 1118, PL 163, col. 509.
100 The Ecclesiastical History of Orderic Vitalis, XII. 21, p. 270-272.
101 Ces éléments sont rapportés dans la lettre du moine clunisien Hugues de Gournay à l’abbé Pons, v. 1120, éd. H. Cowdrey, Two Studies, p. 115-116. Voir l’itinéraire de Calixte II dressé par B. Schilling, Guido von Vienne, p. 696-701 et Jaffé, I, p. 791-792. Sur la « canonisation » de saint Hugues, A. H. Bredero, « La canonisation de saint Hugues ».
102 Bull. Cal. II, no 143, p. 209-212.
103 BnF, ms. lat. 1708, fo 116v-117r. Ce manuscrit contient les orationes de Grégoire de Naziance traduites par Rufin, le De vera religione d’Augustin et 34 sermons de Jean Chrysostome sur les épîtres de Paul aux Hébreux, traduits par Mucien Scolastique. Des privilèges pontificaux adressés à l’abbaye de Cluny au début du XIIe s. et portant des mentions relatives à l’abbaye de Moissac ont été copiés sur les quatre derniers folios du manuscrit (116v-119v).
104 BnF, coll. Baluze, vol. 380, no 3. Ce volume contient les bulles pontificales prises par Baluze dans les différents chartriers monastiques qu’il a visités. Elles sont entrées dans la Bibliothèque du roi en 1719.
105 Dans son édition du privilège de Calixte II, U. Robert signale une troisième copie dressée par Lambert de Barive au chartrier de Cluny à la fin du XVIIIe s. : BnF, coll. Moreau, vol. 50, fo 190. Cet acte n’est pas une copie du privilège de Calixte II du 22 février 1120, mais celle d’une autre bulle datée du 9/01/1122, adressée par le même pape à l’abbé de Cluny pour lui confirmer la possession de l’église de La Rochebeaucourt (Dordogne). Cet acte ne reprend terme à terme qu’une partie du privilège général du 22 février.
106 Bull. Cal. II, no 143, p. 209 : Statutum est enim ut ecclesie omnes, cimiteria, monachi, clerici et laici universi infra terminos habitantes qui sunt a rivo de Salnai et ab ecclesia Rufiaci et cruce de Lornant ; a termino quoque molendini de Tornasach, per villam que dicitur Varenna, cum nemore Burserio ; a termino etiam qui dicitur Perois, ad rivum usque de Salnai, sub apostolice tantum sedis jure ac tuitione permaneant. Neque ipsius Cluniacensis loci presbiteri aut etiam parochiani ad cujuslibet, nisi Romani pontificis et Cluniacensis abbatis, cogantur ire synodum vel conventum. Sane pro abbatis, monachorum seu clericorum infra predictos terminos habitantium ordinatione, pro crismatis confectione, pro sacri olei, ecclesiarum, altarium et cimiteriorum consecratione, Cluniacense monasterium quem maluerit antistitem convocet.
107 Voir supra p. 83-85.
108 Il s’agit de la confirmation terme à terme d’un privilège concédé par Urbain II le 17 avril 1097, éd. PL 151, col. 493-494 ; Bull. p. 28.
109 Sur la question complexe du droit de battre monnaie accordé à l’abbé de Cluny, je renvoie à la mise au point de J. Dufour en commentaire d’un soi-disant diplôme du roi Raoul, ca. 923-931, qui aurait octroyé ce droit : Robert/Raoul, no 33, p. 120-121. Aucun diplôme du roi Raoul ne mentionne cette concession. Elle est signalée dans la bulle de Jean XI adressée à l’abbé de Cluny Odon en mars 931 (Papsturkunden 64, p. 108 ; bulle dont la plus ancienne copie figure dans le cartulaire C de Cluny, v. 1100), mais tous les indices convergent pour que cette mention soit interpolée, soit en 1058 lors de la concession de la bulle d’Étienne IX, soit plus probablement en 1120 après la réception du privilège de Calixte II.
110 Bull. Cal. II, p. 211 : Porro presbiteris parrochialium ecclesiarum Sanctae Mariae et Sancti Oddonis Cluniacensium eiciendi et suscipiendi in ecclesiam ex antiqua consuetudine penitentes et nuptiales cartas faciendi licentiam indulgemus, prohibentes tam Matisconensem episcopum quam et alios super hoc vel super aliis quae statuta sunt vobis molestias in posterum irrogare.
111 U. Berlière, « Les archidiaconés » ; J.-F. Lemarignier, Étude sur les privilèges d’exemption, p. 105-106, 174-176 ; J. Sayers, « Monastic Archdeacons », p. 178-179.
112 C 3887.
113 À ma connaissance, la plus ancienne mention de l’archidiaconus Cluniacensis est dans Les registres de Grégoire IX, no 252, p. 1890 (21 oct. 1228).
114 Voir chapitre 9, p. 431-433.
115 Voir en dernier lieu, A. Stoclet, Immunes ab omni toloneo.
116 Sur l’essor commercial en Mâconnais au XIIe s. et la levée de nouveaux péages, G. Duby, La société, p. 263-266.
117 C 3440. L’acte rapporte les différentes étapes du différend et sa résolution dans les mains de l’abbé Hugues et dans le chapitre de Cluny. Il n’est pas daté et n’est conservé que par sa copie dans le cartulaire B. Les éditeurs lui ont attribué une date approximative : « 1070 environ » ; cette datation doit être repoussée d’environ trente ans. Bernard Gros est connu comme chambrier à partir de 1100 environ. Les témoins souscripteurs, tous des familiers du sire d’Uxelles, sont connus par ailleurs dans des chartes datées vers 1100-1105. Je propose donc une date comprise entre 1100 et 1107 environ, avant la bulle de Pascal II qui fixe la zone d’exemption des péages dont il n’est pas question dans cette charte. W. Teske, « Bernardus und Jocerannus Grossus », p. 14, suggérait déjà une date voisine.
118 Célébration de la messe à Cluny le 25 déc. 1106 : PL 153, col. 202 (no CC). Pascal II est à Chalon le 2 fév. 1107 (id., col. 201-202, no CXCIX), à Cluny le 4 (ibid. no CC), à Saint-Hyppolite le 8 (ibid. col. 204-205, no CCIV). Le 12 fév., il a quitté le Mâconnais ; il est à Beaune (ibid. no CCV).
119 Bull. p. 34 : [...] determinamus, ut a Matiscone usque Cluniacum : a sancta Maria de Bosco usque Cluniacum : a Carella usque Cluniacum : a Monte Sancti Vincentii usque Cluniacum : a Juliaco usque Cluniacum : a Bellojoco usque Cluniacum : a Branceduno, sive Trinorchio usque Cluniacum, scilicet neque a mediis horum terminorum per paria spatia viis usque Cluniacum nullus hominum praesumat pedaticum levare, aut novam aliquam exactionem facere super Cluniacum euntes vel inde redeuntes, nec eorum personas pervadere, vel res eorum auferre, vel ipsos capere. Eum autem qui hanc legem scienter infregerit, ab introitu ecclesiarum arcendum censemus, donec de commisso Cluniacensi abbati vel ipsi conventui satisfaciat.
120 Seule la mention de Beaujeu fait exception dans cette définition circulaire. Pour être « parfaite », la mention du chemin vers Beaujeu devrait être placée entre celle de Mâcon et celle de Bois-Sainte-Marie.
121 C 2255 : Sue etiam presulatus auctoritate prohibuerunt et vehementer sub testificatione anathematis vetuerunt, ut nullus judex publicus aut exaccionarius, comes quoque vel quilibet exercitus proprius aut conductucius castrum facere aut aliquam firmitatem infra aut juxta eundem locum vel potestates ejusdem jam dicti loci sacrati edificare aliquotiens quis presumere audeat.
122 BnF, nouv. acq. lat. 2262, no 52. Sur la place de ce précepte dans le cartulaire C : B. Rosenwein, « Cluny’s Immunities », p. 154-156. Le précepte de Robert II est édité dans C 2800, daté « 1027 environ » par les éditeurs. W. Newmann, Catalogue des actes de Robert II, no 17, p. 18-19, propose la fourchette <996-1002>.
123 C 2800 :...omnibus sub regno nostro militantibus, presentibus et futuris, notum esse volumus, quod Cluniacense coenobium per precepta regum et antecessorum nostrorum et per privilegia apostolica ab omni inquietudine vel dominatu omnium hominum est absolutum.
124 Ibid. : precipimus itaque ut in confinio monasterii a civitate Cabilonensi et Maticensi, et Monte Algoio et castro Chedrelensi, et Monte Sancti Vincentii, nullus homo aut princeps vel dux castellum construat, vel firmitatem aedificet.
125 Ibid. : Quin etiam auctorizamus ac laudamus quicquid sive episcopus, sive comes, sive liber, sive servus, promiscui sexus atque gradus, ad altare eorum delegaverit, ut exturbatis et pulsis omnibus calumpniatoribus atque contradictoribus, firmum ratumque permaneat in perpetuum.
126 Ibid. : Quod si quis nostro precepto non obaudierit, nos ipsi ultores erimus, a parte enim regni nostri adversarius est, qui Deo contrarius exisitit ; ad quid etiam sceptra regalia dextris preferimus, si non etiam inimicos crucis Christi sanctam æcclesiam inpugnare molientes expugnamus ? Prosequentes igitur eos, prosternamus ut victricia signa ex hostibus advenienti Christo reportemus.
127 Helgaud de Fleury, Vie de Robert le Pieux, notamment p. 104-105. Sur la dévotion à la croix des clunisiens de l’an mil : D. Iogna-Prat, « La croix, le moine et l’empereur ».
128 Les abbatiae Saint-Martin et Saint-Jean de Mâcon confirmées par Agapet II en 954 : Papsturkunden 130, p. 230 ; l’abbatiola Saint-Côme-et-Saint-Damien de Chalon concédée par le comte et l’évêque de Chalon vers l’an mil : C 2711, p. 734, n. 1 ; Des terres données à Cluny en 940 in villa Tasmariaco/in fine Talamariense (= Mont-Saint-Vincent, cf. M. Chaume, Les origines, II/3, p. 1002-1003) : C 508, C 660 ; des terres données à Cluny à Vendenesse-les-Charolles dans la première moitié du Xe s. : C 234, 738, 759 ; la celle d’Ajoux donnée à Cluny en 932 : C 378.
129 Les limites précises du comté de Mâcon en l’an mil sont cartographiées par M. Chaume, Les origines du duché de Bourgogne, 2e partie, fasc. 3, cartes hors pagination ; reprises dans M. Parisse (dir.), Atlas de la France de l’an mil, p. 75. Je m’appuie ici sur ces deux ouvrages.
130 J. F. Niermeyer, Mediae latinitatis lexicon minus, p. 243.
131 L’édition critique des actes de Robert le Pieux, en préparation sous la direction d’O. Guyotjeannin, apportera sans doute des arguments supplémentaires pour soutenir cette hypothèse.
132 Sur Bernard (V) Gros, seigneur d’Uxelles et de Brancion : J.-L. Bazin, Brancion, p. 46-52 ; G. Duby, La société, p. 339-340 ; C. Bouchard, Sword, p. 303.
133 C 3896, C 3913.
134 C 3896.
135 C 3920 : Bannum Cluniaci infra metas istas consistit : Julliacus meta una, Setgi, Carrella, Sancta Maria de Bosco, Matisconum, Tornut. Si a priori placito vel ipse, vel aliquis de suis infra has metas aliquid abstulit Cluniaco euntibus vel redeuntibus, reddant illud pro catallo, et ulterius pacem firment. Sigy (= Sigy-le-Châtel) n’est pas mentionné dans la liste de Pascal II, mais ce lieu est à mi-chemin entre Cluny et Mont-Saint-Vincent sur le grand chemin (actuelle D 981) qui relie les deux lieux.
136 C 3926 : [...] in manu domni Pontii abbatis, per librum qui dicitur Register Gregorii VII pape, in presentia domni Berardi, Matiscensis episcopi. S. Domni Bernardi, Cluniacensis prioris. S. domni Ugonis, abbatis Sancti Yrenei Lugdunensis...
137 C 3929 : In nomine sancte et individue Trinitatis. Notum sit omnibus amantibus veritatem, quod ego Bernardus de Usella, cognomento Grossus, filius videlicet Landrici Grossi, divina inspiratione compunctus, pro anime mee salute, omniumque parentum meorum remedio, in manu et per manum domni Pontii, omnimodis venerandi Cluniacensis abbatis, dedi, concessi, verpivi Domino Deo et sanctis ejus apostolis Petro et Paulo et Cluniacensi cenobio, quicquid juste vel injuste seu quolibet modo habebam, vel per me aut per aliquem meorum querebam, in liberis, servis, ancillis, maribus vel feminis, intra prefati Cluniaci burgum, vel extra, circumquaque manentibus, necnon etiam in obedientiis seu quibuslibet locis ad jam dictum venerabile Cluniacense cenobium pertinentibus, ut deinceps sopita omni tam mea quam etiam meorum justa vel injusta querela seu exactione, perpetuo jure Cluniacensi abbati ejusdemque reverendi cenobii monachis subjaceant.
138 C 4131 (s.d., VdE, p. 247-250 : av.-août 1147) : Notum sit omnibus, quod Bernardus Grossus, quando voluit ire Iherosolimam, in castro Branciduno, recognovit in totam terram que pertinet ad ecclesiam Cluniacensem, et in obedientiis et decaniis, non habere se neque hospitari, neque in exercitum ducere homines terre, neque ad aliquam munitionem construere, neque talliam, neque justiciam alicujus forisfacti, homicidii, latrocinii, adulterii, neque alicujus reatus, neque aliquam consuetudinem...
139 Ibid. : Hac de causa venit in audientiam predicti archiepiscopi, et sententia judicii ejus in manu ejus promisit que forisfecerat in terris Cluniacensis ecclesie restituere...
140 G. Duby, La société, p. 347-348, 351-352. Sur les seigneurs de Berzé, voir également M. Chaume, « Les premiers seigneurs de Berzé » ; M. Hillebrandt, « Berzé-la-Ville ».
141 A. Guerreau, « Le pont sur la Saône à Mâcon », dans Les Veines du temps, p. 353-366 (ici p. 354).
142 C 4069 : Pedagium nichilominus ex toto guerpivi, de hominibus videlicet de Cluniaco et de Paredo, et qui sunt a Paredo usque Cluniacum de terra monachorum. Similiter de Nantuacensibus, et eis qui sunt a Nantuaco usque Cluniacum, de terra eorum, nec sub occasione quam solent aliqui querere caritatis, que procul dubio non est caritas, sed violentia exactio, aliquid de rebus eorum extorquebo. Quatuor etiam nundinis nominatissimis de nullo homine undecunque sit, pedagium accipiam, nisi tantum modo de illis qui trusellos liberos super equitaturas ducent, si tamen non fuerint de hominibus monachorum ; de illis enim, undecumque sint, in illis supradictis nundinis nichil accipiamus. Je reviens dans le chapitre 7 sur la question des foires.
143 AMCl., FF2, fo 121v, 126v, 129v, dépositions de témoins, marchands de Cluny, le 10 février 1476 :...a dicta villa Clugniaci usque ad villam de Nantuaci et de hoc vox et fama laborauerunt et laborant in dicta villa Clugniaci et aliis villis et locis circumvicinis.
144 Sur les Deschaux, G. Duby, La société, p. 237-238, 352.
145 Mont Avout ou Navour, S.-et-L., can. Matour, com. Brandon.
146 Pierre séjourne en Italie de nov. 1151 à avril 1152 pour exposer à Eugène III les différents conflits auxquels il doit faire face : D. Van den Eynde, « Les principaux voyages », p. 79-83.
147 LPV 191, p. 442 : Inueni uniuersos adiacentes nobis, milites, castellanos, ipsos insuper comites et duces Burgundiae nostrae, uelut aureae ut dicitur fortunae inhiare, et quasi argentei fumi nidore attractos, ad arma sumenda nostros undique concitare.
148 Le plaid entre Hugues Deschaux et Cluny est connu par sa narration dans la lettre de Pierre le Vénérable adressée à Eugène III en 1152 (LPV 191) et par une charte de 1173 par laquelle Hugues Deschaux renouvelle ses promesses de 1152 (C 4244). La bibliographie est assez abondante sur cet épisode : J.-H. Pignot, L’ordre de Cluny, III, p. 396-399 ; G. Constable, LPV II, p. 224-226 (avec de nombreuses références) ; G. Duby, La société, p. 352 ; H. Hoffmann, Gottesfriede, p. 138 ; Canton de Matour, p. 40-42.
149 M, Prævia, p. cclviii-cclix (= BC, col. 592). Cette assemblée est généralement citée comme le quatrième concile de Mâcon et comme une manifestation tardive de la paix de Dieu dans la région de Cluny : G. Duby, La société, p. 312 ; H. Hoffmann, Gottesfriede, p. 138-139. Sa date a donné lieu à plusieurs discussions, résumées dans G. Constable, LPV II, p. 225-226. Cet auteur penche pour la tenue de deux conciles, l’un en 1152, l’autre en 1154. Le texte copié dans le cartulaire de Saint-Vincent de Mâcon et repris dans la Chronique de Cluny au XVe s. (BC, col. 1650-1651) serait un mémorandum fondé sur les actes de ces deux conciles.
150 M, Prævia, p. cclviii-cclix :... decretum est ab eis jam praelibatis dominis ut monachi dicti clerici et laici, et omnes res ad Cluniacum pertinentes, quae infra terminos Araris, Ligeris et Rhodani fluminum continentur, additis partibus illarum terrarum quae infra Eduensem civitatem et Castrum Camonis, quod est ultra Cabilonem, constitutae sunt, plena et secura pace maneant. Et quicumque per dictum Cluniacum transeuntes cum ipsis et rebus ipsorum securi et pacifici permaneant et conserventur.
151 Les termini cités ne posent pas de problème excepté castrum Camonis. Cette localité a plusieurs fois été identifiée à Château-Chalon (castrum carnonis), en Franche-Comté, près de Lons- le-Saunier (T. Chavot, dans M, préface, p. cclix ; J.-H. Pignot, L’ordre de Cluny, III, p. 398). L’expression ultra Cabilonem autorise de sérieux doutes sur une telle identification. J. Richard, Les ducs de Bourgogne, p. 184, n. 2, propose Chagny (castrum Chaniacum) beaucoup plus plausible, à 15 kilomètres au nord de Chalon. C’est cette hypothèse que je privilégie.
152 Je reviens sur les troubles à la fin de l’abbatiat de Pons dans le chapitre 7.
153 D. Van DEN Eynde, « Les principaux voyages de Pierre le Vénérable », p. 63-64.
154 Jaffé 7193, éd. Bull. p. 42-43 (= PL 166, col. 1225-1227).
155 Jaffé 7195, 7196, 7197, éd. Bull. p. 41-42 ; PL 166, col. 1228-1229.
156 Jaffé 7194, éd. PL 1227-1228.
157 Sur cette question, voir D. Poeck, Cluniacensis Ecclesia, p. 79-84.
158 Il s’agit de la confirmation mot à mot d’une clause apparue dans le privilège de Pascal II, le 15 nov. 1100 : Jaffé 5845, éd. PL 163, col. 52.
159 Bull. p. 43 : Sane terminos immunitatis loci vestri, qui a præfato antecessore nostro Urbano papa constituti sunt, præsentis decreti nostri pagina confirmamus. Ne videlicet ullus homo, cujuscunque conditionis ac potestatis invasionem, prædam, aut rapinam facere, sive homicidium perpetrare præsumat infra ipsorum limites terminorum.
160 A. Fliche, V. Martin dir., Histoire de l’Église, t. IX/1, p. 50-61 ; A. Graboïs, « Le schisme de 1130 », p. 593-612.
161 Itinéraire de Pierre le Vénérable dans LPV, t. II, p. 259.
162 La dédicace du monastère par Innocent II est généralement considérée comme le terminus ante quem pour la fin de la construction de l’église abbatiale Cluny III (les parties romanes) : K. J. Conant, Cluny, p. 109-110 ; F. Salet, « Cluny », p. 283. Il faut toutefois rester prudent car rien n’atteste avec certitude l’achèvement de la construction à cette date.
163 Bulle d’Innocent II du 8 mars 1132 dans laquelle il rapporte les cérémonies du 25 oct. 1130 : Jaffé 7551, éd. PL 179, col. 429-430 (= Bull. p. 47). La date de la dédicace n’est pas mentionnée dans cette bulle. Le pape se contente de souligner qu’elle a eu lieu le même jour que celle d’Urbain II. L’itinéraire pontifical permet de la situer sans ambiguïté en 1130 : Jaffé, I, p. 844 ; voir le point sur la question dans LPV, t. II, p. 124.
164 Jaffé, I, p. 854.
165 Jaffé 7548, éd. Bull. p. 46 (= PL 179, col. 127-128). À ma connaissance, cette bulle n’est connue que par sa confirmation dans la lettre du 8 mars suivant adressée par Innocent II aux évêques et archevêques (op. cit., n. 163), lettre elle-même copiée dans le cartulaire E de Cluny (BnF, lat. 5458, fo 45v-46r, no XXVIII), vidimée par Honorius IV le 11 mai 1286 (BnF, coll. Bourgogne, vol. 82, no 360, éd. C 5347) et par un notaire de Cluny en 1433 (BnF, nouv. acq. lat. 2265, no 6).
166 PL 179, col. 127 : Nos siquidem monasterium ipsum, quod specialiter ad jus beati Petri et sanctæ Romanæ spectat Ecclesiæ, per nos ipsos visitavimus, et eodem die, quo revolutis multorum annorum spatiis praedecessor noster felicis memoriæ papa Urbanus ibidem majus altare consecraverat, cum archiepiscopis et episcopis qui nobiscum convenerant, cooperante Spiritus sancti gratia idem monasterium solemniter dedicavimus.
167 Ibid. : Devotioni quoque et humilitati fidelium, qui pro amore Dei, et ipsius loci reverentia in anniversario dedicationis illuc conveniunt, prospicientes, ipsis quadraginta dies pœnitentiæ sibi injunctæ, de gratia Dei confisi, beatorum apostolorum Petri et Pauli auctoritate remisimus.
168 Ibid. : Statuimus etiam ut immunitas ejusdem cœnobii inviolata et integra futuris temporibus conservetur. Et si quis infra terminos banni, qui ab eodem praedecessore nostro circa Cluniacum constituti sunt, scienter homines capere, vulnerare, vel res dicti cœnobii violenter auferre præsumpserit, excommunicationis sententia sit innodatus, et tandiu excommunicatus maneat quousque ablata restituat, et Cluniacensibus monachis de illata injuria congrue satisfaciat.
169 Ibid., col. 128 : Si vero aliqui absque ipsorum præsentia, ea quæ ad victum vel vestitum fratrum Cluniacensi cœnobio Deo servientium pertinent, alicubi deprædati fuerint, nisi infra decem dies ablata restituerint, eos anathemati ipso facto subjacere præcipimus, et in terra eorum divina prohibemus officia celebrari.
170 Sur l’opposition structurelle entre terre et ciel dans le système de représentation médiéval et la valeur des mots relatifs aux déplacements (via, iter...), A. Guerreau, « Le champ sémantique de l’espace ».
171 Les trois bulles obtenues sont : Jaffé 8620-8622, éd. Bull. p. 52-54 (= PL 179, col. 887-891). Sur le séjour de Pierre et ses motifs : D. Van den Eynde, « Les principaux voyages », p. 72-74.
172 Jaffé 8621, éd. Bull. p. 52-54 = PL 179, col. 888-891.
173 BnF, lat. 17716, fo 92v-94r.
174 BnF, lat. 5458, fo 66r-68v.
175 Bull. p. 52 : Statutum est enim ut ecclesiæ omnes, cimiteria, monachi, clerici, et laici universi infra terminos habitantes, qui sunt a rivo de Salnay, et ab ecclesia Ruffiaci, et cruce de Lornant, a termino quoque molendini de Tornasach, per villam quæ dicitur Varengia, cum nemore Burserio, a termino etiam qui dicitur Perois ad rivum usque de Salnay, sub apostolicæ tantum sedis jure ac tuitione permaneant. Neque ipsius Cluniacensis loci presbyteri aut etiam parochiani ad cujuslibet nisi Romani pontificis et Cluniacensis abbatis cogantur ire synodum vel conventum. Sane pro abbatis, monachorum seu clericorum infra predictos terminos habitantium ordinatione, pro chrismatis confectione, pro sacri olei, ecclesiarum, altarium, et cœmeteriorum consecratione, Cluniacense monasterium, quem maluerit antistitem convocet.
176 Bull. p. 53 : Sane terminos immunitatis loci vestri, qui a prefato antecessore nostro Urbano papa constituti sunt, presentis decreti nostri pagina confirmamus : ne videlicet ullus homo cujuscunque conditionis ac potestatis invasionem, predam, aut rapinam facere, sive homicidium perpetrare presumat infra ipsorum limites terminorum. Itaque termini sacri banni sunt hi : versus Berziacum [...].
177 Bull. p. 53.
178 On note que Lucius II n’a pas repris l’ordre des abbayes dépendantes dressé dans le privilège d’Honorius II (2 avril 1125) qui plaçait en tête les trois abbayes avec lesquelles Pierre le Vénérable était alors en litige. Sur les statuts particuliers de Saint-Gilles, Saint-Bertin et Polirone, voir D. Poeck, Cluniacensis Ecclesia, p. 79, 102, 106, 108-109.
179 PL 163, col. 52 : Ad hæc adjicimus ut in omnibus prioratibus et cellis, quæ nunc sine proprio abbate vestro regimini subjectæ sunt, nullus unquam futuris temporibus abbatem ordinare præsumat ; sed tam prioratus ipsi et cellæ, quam et cætera in quibuslicet locis omnia, quibus fraternitas tua Arvernensis concilii quod per supradictum Urbanum pontificem celebratum est, tempore investita erat, de quibus tunc nulla quæstio mota est, cui nimirum concilio per temetipsum interfueras, tam tibi quam successoribus tuis in pace semper et quiete serventur...
180 Bull. p. 53 : Ad hæc adjicimus ut in omnibus prioratibus et cellis, quæ nunc sine proprio abbate vestro regimini subjectæ sunt, nullus futuris unquam temporibus abbatem ordinare præsumat, sed tam prioratus ipsi et cellæ, quam et cætera in quibuslicet locis omnia quibus Cluniacensis ecclesia Arvernensis concilii, quod per supra dictum papam Urbanum celebratum est, tempore investita erat, de quibus tunc nulla quæstio mota est, tam tibi quam successoribus tuis, in pace semper et quiete serventur...
181 Si la confirmation des possessions récentes est le lot commun des bulles pontificales, la liste des dépendances espagnoles - comprenant essentiellement des monastères anciennement soumis à Cluny - souligne la volonté de Pierre le Vénérable de conforter son autorité sur les prieurés de cette région. Deux ans auparavant (printemps - été 1142), l’abbé de Cluny a en effet effectué un long séjour en Espagne dans ce but et pour tenter de renouveler le versement du cens annuel par les rois d’Aragon et Castille : C. J. Bishko « Peter the Venerable Journey to Spain », à compléter par D. Van den Eynde, « Les principaux voyages », p. 95-100.
182 Bull. p. 53 : Prohibemus autem ut infra parrochias ad ius Cluniacensis monasterii pertinentes, absque Cluniacensis abbatis assensu nullus ecclesiam uel capellam edificare presumat, salua in omnibus apostolice sedis auctoritate. Cette nouveauté est entérinée par une bulle adressée le même jour par le pape à tous les évêques des Gaules : Jaffé 8622, éd. Bull. p. 54 (= PL 179, col. 891).
183 La liste des souscripteurs figure dans la copie du cartulaire E et non dans celle, antérieure, du ms. BnF lat. 17716. Cette lacune indique qu’il existait à Cluny une autre version manuscrite du texte, sans doute la bulle originale, à partir de laquelle la copie du cartulaire E a été dressée.
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