Chapitre I. Les fondements de la domination clunisienne
p. 43-86
Texte intégral
I. DE LA PROPRIÉTÉ
1En septembre 909 ou 9101, Guillaume, duc d’Aquitaine, donne aux apôtres Pierre et Paul une partie de son alleu sis dans le comté de Mâcon :
Pour l’amour de Dieu et de notre sauveur Jésus-Christ, je transmets en domination propre des biens qui sont de mon droit aux saints apôtres Pierre et Paul, c’est-à-dire le domaine de Cluny (Clugniacum villam) avec le curtil et le manse de la réserve, la chapelle en l’honneur de sainte Marie mère de Dieu et de saint Pierre, prince des apôtres, et tous les biens qui en dépendent, c’est-à-dire les domaines, chapelles, serfs de l’un et l’autre sexe, vignes, champs, prés, forêts, plans d’eau et cours d’eau, moulins, chemins d’accès et de sortie, terres cultes et incultes, le tout en intégralité2.
2La donation institue le monastère de Cluny et fait des moines les possesseurs d’un ensemble de terres et d’hommes qu’ils « posséderont, tiendront, auront et ordonneront perpétuellement »3. Les biens donnés par le duc ne sont pas énumérés, mais décrits selon le formulaire utilisé depuis l’époque carolingienne pour qualifier les différents types de biens-fonds et les revenus afférents. La charte insiste donc davantage sur le système d’exploitation de la terre et des hommes que sur la configuration des biens possédés.
3Les possessions des moines ne cessent de s’accroître pendant le siècle et demi postérieur à la fondation de Guillaume d’Aquitaine. Ce développement peut être suivi grâce à deux types de sources : les chartes, d’une part, qui conservent le souvenir des transactions ; les diplômes royaux et les privilèges pontificaux, d’autre part, qui confirment les droits de Cluny et dressent des listes de biens possédés.
4Plusieurs historiens se sont déjà penchés sur la question. Guy de Valous a consacré, au début du siècle, un ouvrage à la « formation du domaine clunisien aux Xe et XIe siècles »4. Il procède à de nombreuses distinctions entre les biens possédés par les moines (villa, manse, curtil, colonge), les modes d’exploitation de leurs terres (concession d’usufruit, précaire, fief, complant...) et les personnes qui les exploitent (serfs, libres, colons, nobles). Si ces distinctions restent utiles pour se familiariser avec les termes du Mâconnais, elles doivent être confrontées aux études plus approfondies fondées sur les cartulaires ecclésiastiques de la Bourgogne du sud ou du Lyonnais édités à la fin du XIXe siècle5. D’autre part, la classification systématique entre les types d’exploitation foncière et les hommes de la terre clunisienne empêche de concevoir les rapports sociaux entre moines et laïcs en termes structurels.
5Dans le sillage de Joachim Wollasch et de Stephen White, plusieurs historiens allemands et américains ont relu récemment les chartes clunisiennes sous un tout autre jour. Ils ont notamment montré l’inclusion étroite des réseaux aristocratiques en gestation dans les communautés monastiques réformées telle que Cluny6. Dans un ouvrage paru en 1989, Barbara Rosenwein s’est intéressée à la signification sociale de la propriété clunisienne entre 910 et 1049, cherchant à comprendre les liens étroits tissés entre les laïcs, les moines et les saints par le biais des échanges de la terre7. Chaque forme d’échange (vente, échange, donation, déguerpissement) fait l’objet d’une analyse minutieuse s’efforçant de dégager son poids dans l’ensemble des transactions et sa signification sociale, tant pour les « donateurs » que pour les « bénéficiaires ».
6Ces différents travaux ont profondément renouvelé l’histoire sociale du monachisme tardo-carolingien, mais tous ont négligé un aspect connexe de la multiplication des échanges entre moines et laïcs : la constitution d’une domination monastique sur de vastes ensembles humains et fonciers. S’il n’est pas question de récrire ici ni de refaire ce que Barbara Rosenwein, Joachim Wollasch, Constance Bouchard ou Dietrich Poeck ont bien étudié il y a quelques années, il convient de montrer les implications sociales d’une telle accumulation de biens et d’hommes. Les biens possédés par les moines sont de nature très différente : des hommes, des églises, des terres, des bâtiments d’exploitation, voire, on le verra, des châteaux. De cette accumulation hétérogène, en apparence très éloignée de la règle bénédictine que le testament de Guillaume d’Aquitaine prescrit de suivre, les moines de Cluny vont faire l’instrument de leur domination. Loin de contredire leur rôle d’intercesseurs obligés entre Dieu et les hommes, les terres et les serfs assurent leur emprise matérielle et manifestent le statut spécial des moines.
1. Des donations à saint Pierre et aux moines de Cluny
7Pour plus de clarté, il est important de rappeler tout d’abord les différents types de transaction mentionnés dans les chartes de Cluny, même si cette distinction ne va pas sans poser quelques problèmes pour une compréhension structurelle des échanges avec les moines.
Donner, échanger, vendre, prêter et reprendre
8On peut distinguer six catégories : les donations, les ventes, les échanges, les déguerpissements, les contrats de précaire et les prêts8. Les trois premières catégories ont trait particulièrement à l’augmentation de la propriété monastique. Seul le moyen d’acquisition change, mais qu’il s’agisse d’une donation, d’une vente ou d’un échange, les biens acquis sont considérés par les moines comme leur appartenant à perpétuité. Le déguerpissement (werpitio) est l’abandon de toute prétention sur un bien préalablement concédé aux moines, puis revendiqué par le donateur9. La précaire est une aliénation temporaire, généralement viagère, d’une portion du temporel monastique au profit d’un tiers. Le bien doit être rétrocédé aux moines à l’issue du contrat10. Les prêts, enfin, sont essentiellement des mises en gage. Rares jusqu’à la fin du XIe siècle, ils se développent sensiblement à partir de la première croisade, lorsque des milites engagent une partie de leur domaine foncier au profit des moines afin d’obtenir certaines liquidités pour accomplir leur voyage11.
9Les chartes indiquent parfois le motif des transactions : l’attente eschatologique du donateur espérant, en échange des biens matériels concédés, des gains spirituels et l’assurance du salut post mortem12. La spécialisation des moines clunisiens dans la prière, la part considérable accordée à la commémoraison des défunts et leur possibilité d’accueillir, dès le début du XIe siècle, toute personne soucieuse de racheter ses fautes ou de parfaire son itinéraire religieux ont considérablement contribué à développer les donations pour de tels motifs.
10Les conversions à la vie monastique dans l’enfance (l’oblature d’un enfant) ou à l’article de la mort (conversion ad succurendum) s’accompagnent de donations substantielles13. Les demandes de sépulture dans le monastère ou les demandes d’association aux confraternités spirituelles monastiques sont également liées aux donations14. De tels motifs intéressent particulièrement les moines parce qu’ils soulignent leur rôle d’intercesseurs privilégiés et nécessaires pour le salut. Aussi sont-ils très fréquemment mentionnés dans les chartes. Mais dans la société des Xe-XIe siècles, le « religieux » est indissociable de l’« économique » et du « politique ». Les échanges impliqués par les donations couvrent ces trois domaines.
11Dans une société où la prodigalité constitue une démonstration de puissance et de richesse, le don est un moyen important pour assurer son prestige15. D’autre part, les donateurs - recrutés majoritairement dans l’aristocratie laïque - et les bénéficiaires - les moines - sont frères ou cousins16. Les dons entre ces deux groupes sociaux participent à la cohésion des deux branches dominantes de la société des Xe-XIe siècles et, par là même, renforcent leur domination sur les autres hommes17.
12En outre, il semble bien que les donateurs laïques et les bénéficiaires ecclésiastiques n’aient pas eu la même conception de la donation. Du point de vue des donateurs, le don constitue un moyen essentiel de se lier aux saints à qui le bien est donné, et donc d’assurer son salut. Mais la donation n’est pas perçue comme une aliénation définitive. Le cas est évidemment patent lorsque le bien donné est récupéré en précaire viagère par les donateurs18. Mais même lorsque la donation est présentée comme définitive, elle reste perçue comme une partie intégrante du patrimoine familial que le donateur lui-même, voire son frère, ses enfants ou ses parents, n’hésitent pas à réclamer avant de la redonner puis de la réclamer de nouveau. Ce mouvement de va-et-vient entre donations, réclamations et déguerpissements permet de lier plusieurs générations de laïcs avec la communauté monastique19.
13Du point de vue monastique, la donation a un caractère définitif. Les biens donnés à Dieu sont inviolables par nature. Les moines en sont les propriétaires réels et les nombreuses donations qu’ils reçoivent constituent les fondements essentiels de leur dominium, leur domination sur la terre et les hommes.
Des terres, des hommes, des châteaux et des églises
14Parmi les biens accumulés par les moines, on compte tout d’abord un très grand nombre de terres, cultes ou incultes. Les chartes des Xe et XIe siècles distinguent les parcelles simples, prés, champs, vignes, vergers..., des parcelles aménagées, manses et curtils. La différence entre les deux n’est pas toujours très nette, mais il semble que le manse ou meix (mansus) désigne plutôt une parcelle habitée alors que le curtil se distingue surtout par la clôture qui l’entoure, quel que soit le type de culture qu’il accueille20.
15Les terres peuvent être concédées partiellement, c’est-à-dire uniquement pour l’usage ou même une partie des revenus. La concession « en intégralité » (cum omne integritate) indique que le donateur se dessaisit à la fois du fonds et de l’exploitation de celui-ci21. À l’inverse, les deux éléments peuvent être dissociés et le monastère n’obtient que le fonds, l’exploitation ou les revenus de la terre22.
16Le plus souvent, la terre entre dans le patrimoine monastique par fragments isolés. Même dans le cas des donations de villae, le donateur ne concède pas la totalité du domaine, mais l’ensemble des biens qu’il possède sur son étendue. Il n’est d’ailleurs pas rare qu’une même donation concerne des biens dispersés dans plusieurs villae. Aussi, la propriété foncière de Cluny est-elle le plus souvent très morcelée.
17Dès les premières années du Xe siècle des biens d’exploitation sont concédés aux moines. Les pêcheries d’Ozan et de Thoissey sur la Saône comptent parmi les plus anciens exemples connus. Il s’agit de concessions royales23. Des moulins, des pressoirs, des fours entrent dans la propriété clunisienne par le biais des donations. Comme pour les terres, les concessions peuvent porter sur le bien lui-même ou sur ses revenus, en partie ou en intégralité24.
18Les églises constituent un élément de la propriété clunisienne dès les abbatiats de Bernon et Odon (910-942). La charte de fondation contenait déjà la donation de la chapelle Sainte-Marie-et-Saint-Pierre de la villa de Cluny. S’y ajoutent tout au long du Xe siècle de nombreuses églises et chapelles sises dans un rayon inférieur à cinquante kilomètres autour du monastère. Parmi les premières, on compte celles de Romans, Blanot, Mont-Saint-Romain, Lanques, Saint-Bénigne (Bassy ?), Cotte, Jalogny, Ajoux, Massy, Solutré, Arpayé, Écussoles, Iguerande, Blanzy et Prayes (carte 1). Les donateurs peuvent être des ecclésiastiques, tels les évêques de Mâcon ou d’Autun, mais aussi des laïcs comme le comte de Mâcon, le comte de Nevers ou le seigneur de Brancion dans les patrimoines desquels des églises se trouvaient25.
19Comme les terres et les bâtiments d’exploitation, les églises peuvent être données en partie ou en totalité, nues ou plus généralement avec les biens-fonds qui en dépendent, avec ou sans leurs revenus. Les revenus sont surtout importants lorsqu’il s’agit d’églises paroissiales. Les dîmes comptent au premier chef. Les plus anciens diplômes et privilèges accordés à Cluny en ont confirmé la libre possession, mais les chartes les mentionnent surtout à partir de l’abbatiat de Maïeul (954-994).
20Des forteresses entrent également dans le patrimoine monastique. Le castrum de Lourdon, situé à trois kilomètres au nord de Cluny est acquis par les moines sous l’abbatiat du premier abbé, Bernon (carte 1)26. Les circonstances de l’acquisition restent obscures car il n’existe pas de charte de donation. Cela a fait naître l’hypothèse que le château figurait peut-être dans la donation initiale de Guillaume d’Aquitaine27. En tout cas, dès 920 environ, le castrum devient un lieu habituel pour négocier les transactions et rédiger des actes impliquant la communauté monastique28. Il s’impose comme un lieu essentiel à partir duquel s’exerce et se manifeste la domination clunisienne. Rappelons-nous Humbert de Sailly qui, vers 1100, abandonne toute revendication sur ses biens mis en gage auprès de Cluny et décide de prendre l’habit monastique à l’article de la mort. Sa renonciation et son vœu de conversion sont reçus à Lourdon29.
21Comme la donation initiale de Guillaume d’Aquitaine, bon nombre de donations ultérieures concernent des hommes, qualifiés le plus souvent servi ou mancipia. Autrement dit, les terres qui entrent dans la propriété clunisienne sont dotées des hommes qui la cultivent ou qui résident sur les lieux. Donnés à Cluny, les hommes changent de maîtres pour devenir les « serfs de saint Pierre » ou les « hommes de saint Pierre »30. Dans les chartes qui les mentionnent, ils ne sont nullement distingués des terres et autres biens-fonds monastiques. Ils font partie de la propriété clunisienne et c’est sur cette double base, hommes et terres, que se développe le pouvoir des moines.
22Dès l’abbatiat de Bernon, des monastères ont été donnés à l’abbé de Cluny pour être réformés par lui et suivre la même règle. Le mouvement s’est prolongé sous ses successeurs pour prendre une ampleur considérable au XIe siècle au point que le monachisme clunisien a pu alors se confondre avec l’ensemble du monachisme bénédictin31. Mais tous les monastères réformés ne sont pas des possessions de Cluny. Il faut bien distinguer les établissements possédés par l’abbé de Cluny à la suite d’une donation ou d’une fondation par les moines eux-mêmes et les monastères qui ont simplement adopté les coutumes clunisiennes, mais n’ont jamais été soumis à Cluny. Seuls les premiers sont considérés comme des possessions de Cluny et figurent comme telles dans les énumérations des pontifes romains. Seuls, ils sont à la fin du XIe siècle intégrés dans l’ecclesia Cluniacensis, c’est-à-dire soumis juridiquement à Cluny, et distingués en fonction de leur statut : prieuré, celle ou abbaye. Les autres suivent l’ordo Cluniacensis, entretiennent éventuellement des liens confraternels avec Cluny, mais ne sont ni des possessions ni des membres de l’ecclesia Cluniacensis32.
La propriété de saint pierre
23La donation testamentaire de Guillaume d’Aquitaine a fondé la propriété des apôtres Pierre et Paul, d’abord sur la villa de Cluny puis sur tous les biens donnés ultérieurement au monastère. Très vite cependant saint Pierre tend à évincer l’apôtre des Gentils. C’est de lui surtout que les laïcs attendent le secours. C’est sur lui essentiellement que les moines s’appuient pour établir leur pouvoir. C’est lui surtout et non saint Paul qui possède la terre.
24Il suffit pour s’en rendre compte d’ouvrir, presque à n’importe quelle page, l’un des quatre premiers volumes du Recueil des chartes de Cluny. La grande majorité des transactions au profit du monastère mentionne la propriété de saint Pierre sur les biens concédés. La terre confiée aux moines n’est pas la « terre de Cluny » mais la « terre de saint Pierre » (terra sancti Petri)33. Les donations ne sont pas adressées aux moines de Cluny, mais à saint Pierre lui-même ou à la « partie de saint Pierre » (pars sancti Petri)34. Le monastère est une « maison de Dieu » (casa Dei) et les moines sont les « habitants de saint Pierre »35. Par leurs prières quotidiennes, diurnes et nocturnes, ils sont les « ministres » du saint apôtre. Les chartes du XIe siècle multiplient les expressions qui soulignent cet office et parlent beaucoup moins des « moines de Cluny » que des « moines de saint Pierre », « recteurs », « agents » ou « représentants » de saint Pierre pour qui ils militent36. L’abbaye est le « monastère de saint Pierre » ; le convent est la « congrégation » de saint Pierre37. L’abbé lui-même est son serviteur le plus ardent. Chacun doit le savoir et l’on prend soin parfois de préciser que le titre « abbé de Cluny » équivaut celui d’« abbé de saint Pierre »38.
25Comme l’a bien montré Barbara Rosenwein, saint Pierre est en effet un voisin très prisé39. Son corps n’est peut-être pas présent à Cluny avant la fin du Xe siècle40, mais son patronage et sa protection sur les donateurs est bien mise en valeur dès les premières années postérieures à la fondation. Les rédacteurs des chartes, qui se soucient de bien mettre en évidence les bienfaits de la donation et les châtiments encourus par les malfaiteurs, insistent parfois sur la protection du saint apôtre. En faisant un don à Cluny on obtient sa grâce, on s’en fait un allié et un avocat de poids pour le jour du Jugement41. À l’inverse, toute personne agissant à l’encontre des possessions ou des prérogatives des moines devient l’adversaire et le calomniateur de saint Pierre42. Pour ne pas subir les peines éternelles, il doit se réconcilier personnellement avec lui en se rendant à Cluny.
26Le fait de nommer la terre donnée aux moines « terre de saint Pierre » ou de qualifier les moines « moines de saint Pierre » n’a rien d’original pour le Xe siècle. Toutes les terres d’église sont ainsi qualifiées dans les cartulaires des IXe-XIe siècles43. Ce qui importe davantage est la qualité du saint propriétaire. Saint Pierre, « prince des apôtres », comme le souligne le testament de Guillaume d’Aquitaine, est aussi l’apôtre de Rome et l’emblème de toute l’Église. La terre de saint Pierre à Cluny a une valeur emblématique de l’ensemble de la terre d’Église. La construction institutionnelle qui se met en place à Cluny procède du même mouvement que celle qui se met en place dans le Latium à la même époque avec le patrimonium sancti Petri44. Pierre est utilisé par les papes et par les moines de Cluny pour instituer leur pouvoir sur la terre et les hommes, pouvoir qui se traduit par la mise « hors espace »45 des biens donnés à saint Pierre et des hommes qui sont ses serviteurs. Dans ce mouvement, il est difficile de dire qui des moines de Cluny ou du pontife romain est le moteur. Il s’agit bien davantage d’un mouvement simultané, construit sur les mêmes fondements, qui tend à créer un réseau de lieux et d’hommes « saints » à partir duquel s’organisent le pouvoir de l’Église et un type de lien social particulier entre les ecclésiastiques serviteurs de saint Pierre et les laïcs.
2. La formation du domaine clunisien
L’accumulation des années 910-1050
27Menant l’enquête jusqu’à la fin de l’abbatiat d’Odilon (1049), Barbara Rosenwein a considéré l’ensemble des chartes mentionnant une transaction foncière avec l’abbaye46. Parmi les 2200 chartes sélectionnées, les trois quarts sont des donations (75,15 %). Le quart restant se répartit entre les ventes (8,75 %), les échanges (7,42 %), les déguerpissements (werpitiones) (4,64 %), les précaires (2,59 %), les prêts (1,23 %) et quelques actes divers (0,23 %).
28Compte tenu de leur proportion dans l’ensemble des transactions, les donations constituent un bon observatoire de l’accroissement de la propriété clunisienne. Si l’on reprend les chiffres fournis par Barbara Rosenwein, leur répartition chronologique est la suivante.
Bernon (910-927) : | 21 donations, | soit 1,27 % |
Odon (927-942) : | 82 donations, | soit 4,97 % |
Aymard (942-964) : | 272 donations, | soit 16,47 % |
Maïeul (964-994) : | 620 donations, | soit 37,55 % |
Odilon (994-1049) : | 613 donations, | soit 37,13 % |
Sans date (910-1049) : | 43 donations, | soit 2,6 % |
29Guère plus de 6 % des donations datent des abbatiats de Bernon ou d’Odon. La courbe suit une inflexion décisive sous l’abbatiat d’Aymard puis culmine sous Maïeul et Odilon. Si l’on exclut la faible proportion des chartes non datées, il apparaît clairement que le siècle couvert par les abbatiats d’Aymard, de Maïeul et d’Odilon (environ 950-1050) constitue la phase cruciale du développement des donations avant 1050.
30La durée de chaque abbatiat étant très variable, il est nécessaire d’affiner ces chiffres en considérant le nombre moyen d’actes par année plutôt que le nombre global d’actes par abbatiat. Pour les seules donations dont la date est connue, la répartition est la suivante47 :
Bernon (910-927) : | 1,2 donations/an |
Odon (927-942) : | 5,1 |
Aymard (942-964) : | 12,4 |
Maïeul (964-994) : | 20,7 |
Odilon (994-1049) : | 11,1 |
31Ces chiffres confirment la période 950-1050 comme le moment crucial du développement de la propriété clunisienne, avec une intensité particulière sous l’abbatiat de Maïeul et un ralentissement dès le début du XIe siècle avec l’abbatiat d’Odilon48.
Stagnation et dispersion : 1050-1150
32Une étude précise et systématique comme celle menée par Barbara Rosenwein n’a pas été faite pour les décennies postérieures à la mort d’Odilon. Pour les abbatiats d’Hugues de Semur, Pons de Melgueil et Pierre le Vénérable, on peut toutefois dresser un tableau rapide en retenant dans le Recueil des chartes de l’abbaye de Cluny les actes mentionnant une donation, un échange, une vente ou un déguerpissement au profit de Cluny.
Années | Nombre d’actes | % | Nombre moyen d’actes par an | |
Hugues de Semur | 1049-1109 | 786 | 86,18 | 13,1 |
dont 1049-1069 | 61 | 6,69 | ||
1070-1089 | 133 | 14,58 | ||
1090-1109 | 123 | 13,48 | ||
sans date 1049-1109 | 469 | 51,42 | ||
Pons de Melgueil | 1109-1122 | 50 | 5,48 | 3,8 |
Pierre le Vénérable | 1122-1156 | 76 | 8,33 | 2,2 |
Total | 912 | 100 |
33Sous l’abbatiat d’Hugues, le nombre d’actes se situe dans un ordre de grandeur voisin de celui de l’abbatiat d’Odilon. Il diminue considérablement au XIIe siècle, d’abord sous Pons puis davantage encore sous Pierre le Vénérable.
34Encore faut-il mesurer la valeur de ces chiffres et la nature des actes dont ils sont censés représenter la répartition chronologique. Quatre problèmes sont à prendre en compte.
35Le premier est celui des chartes non datées. Sous les abbatiats précédents, leur proportion est faible et les travaux du chanoine Chaume corrigés ponctuellement par Barbara Rosenwein en font un ensemble sinon négligeable, du moins tout à fait marginal (2,46 % de l’ensemble des actes conservés pour la période 910-1049)49. En revanche, leur proportion devient considérable sous l’abbatiat d’Hugues de Semur (51 %)50. De nombreuses chartes n’ont d’autre indication chronologique que la mention de l’abbé régnant, soit soixante ans ; d’autres en sont totalement dépourvues. Les nouvelles datations du chanoine Chaume s’arrêtent au début de l’abbatiat d’Hugues. Comparant les noms de personnes et le vocabulaire employé dans les chartes datées et non datées, Georges Duby a précisé la fourchette chronologique de nombreuses chartes de l’abbatiat d’Hugues, mais il n’a pas publié ses remarques51. Maria Hillebrandt a poursuivi la tâche, mais ses recherches sont encore inédites52. On doit donc encore se débrouiller avec les propositions de datation faites par les éditeurs du Recueil - à prendre avec beaucoup de précaution lorsque la charte ne comporte aucune indication chronologique - et les remarques du chanoine Chaume.
36Le second problème est la proportion des donations, ventes, échanges et déguerpissements parmi l’ensemble des chartes conservées. Jusqu’à Odilon, ces actes formaient la quasi-totalité de la documentation. Ce n’est plus le cas dès l’abbatiat d’Hugues, comme en témoigne le tableau 2.
37En ne tenant compte que des actes dont la date est connue, on remarque que la proportion des chartes de donation53 diminue considérablement à la fin de l’abbatiat d’Hugues de Semur, soit vers 1090. La catégorie « autres actes », très vague j’en conviens, rassemble essentiellement trois types de documents : des privilèges pontificaux au profit d’autres monastères clunisiens, des accords arbitrés par les évêques, le pape ou les princes laïcs au sujet des droits ecclésiastiques de Cluny et de ses monastères affiliés, des règlements entre Cluny et des monastères de l’ecclesia Cluniacensis au sujet de l’obédience due à l’abbaye-mère. Peu nombreux jusque dans les dernières années du XIe siècle, ces documents constituent la moitié des actes conservés sous l’abbatiat de Pons, deviennent majoritaires sous Pierre le Vénérable dans une proportion exactement inverse à celle de la fin de l’abbatiat d’Hugues.
38Le troisième problème est la localisation des biens acquis par Cluny. Entre 910 et 1049, la répartition géographique des donations de terres reste stable. Le pagus de Mâcon où se trouve Cluny est très nettement majoritaire, rassemblant près des 3/4 des donations54. À partir des années 1080, Cluny obtient de plus en plus de possessions éloignées qui entrent dans sa propriété par le biais des monastères affiliés. L’abbatiat de Pierre le Vénérable présente à cet égard un résultat significatif. Tout type de transaction confondu (vente, donations, déguerpissement), on ne compte que douze actes relatifs à des biens sis non loin du monastère, soit 5 % du total55. Pour dire les choses autrement, les acquisitions d’hommes, d’églises et de biens-fonds situés dans les environs de l’abbaye de Cluny deviennent minoritaires dès la deuxième moitié du XIe siècle pour devenir marginales dans la première moitié du XIIe siècle par rapport à l’ensemble des transactions dont la mémoire est conservée dans les archives ou les cartulaires de Cluny.
39Enfin, quatrième problème, les années vingt du XIIe siècle coïncident avec un changement dans le mode de conservation des actes. Comme on l’a vu56, le cartulaire A (chartes des abbatiats de Bernon, Odon, Aymard et Maïeul) est entrepris vers 1050 et achevé vers 1090-1100. Le cartulaire B (actes des abbatiats d’Odilon et d’Hugues) est élaboré dans les dernières années du XIe siècle et terminé dans le deuxième quart du XIIe siècle par l’ajout des chartes de l’abbatiat de Pons. Dans le même temps est achevé le cartulaire C où sont réunies essentiellement les pièces fondant les privilèges clunisiens (diplômes royaux et privilèges pontificaux).
40Un changement notable affecte l’abbatiat de Pierre le Vénérable (1122-1156). Les chartes de cette période ont été réparties dans plusieurs recueils. Si l’on s’en tient à la table du cartulaire B, seules six d’entre elles devaient figurer là à la suite des actes de Pons, mais elles ont disparu ou n’ont jamais été copiées57. Ce n’est qu’à la fin du XIIe ou au début du XIIIe siècle qu’un cahier portant la copie de six chartes a été ajouté au cartulaire A et un autre semblable portant la copie de trente chartes a été inséré à la fin du cartulaire B58. Enfin, cinquante-six chartes de l’abbatiat de Pierre ont été copiées dans les cartulaires D et E composés dans la seconde moitié du XIIIe siècle.
41Ces remarques permettent d’esquisser une chronologie de la constitution de la propriété clunisienne. À partir de la donation initiale de Guillaume d’Aquitaine, le domaine foncier de l’abbaye de Cluny s’est considérablement accru, particulièrement pendant le siècle où Aymard, Maïeul et Odilon ont dirigé le monastère. Dès la seconde moitié du XIe siècle, les donations diminuent et se portent sur d’autres biens. L’abbatiat d’Hugues de Semur (1049-1109) ne connaît pas une baisse sensible du nombre des donations, mais elles concernent désormais des biens de plus en plus éloignés de Cluny. Cette tendance se renforce à partir du XIIe siècle et se couple alors avec une baisse considérable du nombre de donations de telle sorte que l’on peut considérer la formation du domaine de l’abbaye de Cluny comme achevée dans la deuxième moitié du XIe siècle. C’est à cette période que les moines entreprennent de mettre en forme leurs archives59, d’organiser leur mémoire autour des trois premiers cartulaires et de récrire au besoin quelques monuments hagiographiques à la gloire des saints abbés60. Les années 1080-1120 marquent ainsi un seuil essentiel dans l’organisation de l’institution clunisienne, seuil que l’on rencontrera bientôt sur d’autres plans.
3. La confirmation des donations
42Pour étudier la formation et l’organisation de la propriété clunisienne, il faut également prendre en compte les diplômes royaux et les privilèges pontificaux adressés à Cluny aux Xe et XIe siècles. Élaborés par les moines eux-mêmes ou en réponse à leur demande, ils confirment les droits et les possessions des moines. Droits et possessions ne doivent d’ailleurs pas être dissociés. C’est uniquement pour la clarté de l’exposé que je reporte à plus tard l’examen des clauses instituant l’immunité et l’exemption de Cluny, énoncées simultanément à la confirmation des possessions.
Des diplômes royaux et des privilèges pontificaux
43Entre 927 et 1020 environ, six rois ont été sollicités par l’abbé de Cluny pour confirmer ses possessions, parmi lesquels quatre rois des Francs, Raoul, Louis IV, Lothaire III, Robert II et deux rois de Bourgogne, Conrad et Rodolphe III61. Les confirmations royales portent soit sur un bien dont la possession a été récemment contestée aux moines (trois exemples)62, soit sur un ensemble de terres et d’églises sur lequel les clunisiens souhaitent rendre leur domination publique. On compte onze diplômes de ce second type, deux de Raoul en 927 et 932, deux de Louis IV en 939 et 950, trois de Conrad entre 943 et 993, un de Lothaire III en 955, deux de Rodolphe III en 998 et un de Robert le Pieux entre 1017 et 102563.
44D’autre part, Cluny, plus que tous les autres monastères, a obtenu des pontifes romains la confirmation de ses droits et possessions64. Le plus ancien privilège conservé est celui de Jean XI adressé à Cluny en mars 93165. Il a été suivi par ceux du même pape en 932, de Léon VII en 936 et 938, d’Agapet II en 954, de Jean XIII en 968, de Benoît VII en 978, de Grégoire V en 998, de Sylvestre II en 1002, de Benoît VIII vers 1021-1023 et de Jean XIX en 1024, 1027 et 1032.
45À partir de Clément II (1046-1047), très rares sont les papes qui n’apportent pas leur contribution à la constitution de la libertas clunisienne66.
Des listes de loca et monasteria
46Les listes de biens dressées dans les actes royaux et pontificaux ne sont pas exhaustives. Elles contribuent à « publiciser » la propriété clunisienne sur certains lieux et ne mentionnent que ceux dont les moines demandent la confirmation explicite67. D’autre part, la structure des listes évolue entre le Xe et le XIe siècle. Jusqu’au milieu du Xe siècle, seuls quelques biens litigieux, acquis récemment ou concédés pour l’occasion sont énumérés68. Progressivement les listes s’allongent. Elles rappellent les donations anciennes, énumèrent les nouvelles et introduisent des distinctions d’ordre typologique. Les deux diplômes de Rodolphe III de Bourgogne et le privilège de Grégoire V, tous trois en 998, marquent une étape décisive dans ce processus en classant pour la première fois les possessions selon des critères géographiques (comté ou évêché essentiellement). Ensuite, la forme des énumérations n’évolue plus jusqu’au pontificat de Grégoire VII compris69. Elles ne prennent une forme nouvelle qu’avec Urbain II et surtout Pascal II, en 1100, qui pour la première fois introduit la distinction entre abbayes et prieurés et classe désormais les établissements clunisiens selon ce critère. Dietrich Poeck a bien mis en valeur ce processus dans lequel il voit la structuration progressive de l’ecclesia Cluniacensis, mais il a moins vu comment ces listes témoignaient aussi du changement dans l’organisation de la propriété clunisienne autour de l’abbaye-mère70.
47En effet, parmi les lieux cités dans les listes du Xe siècle, figurent des terres (villae, curtes) et des églises (ecclesiae, capellae) sises dans la région proche de Cluny. Le privilège de Grégoire V, en avril 998, en fournit un bon exemple71. Après avoir confirmé l’inviolabilité de « tous les lieux et monastères appartenant au monastère de Cluny » (cuncta loca et monasteria ad supradictum Cluniense cenobium pertinentia), le pape en dresse la liste. Le premier est le monastère de Cluny avec tous les biens qui lui appartiennent, tant dans le pourtour du sanctuaire (in circuitu eiusdem loci) que dans d’autres régions. Sont ensuite énumérés quatre-vingt-quatre loca et monasteria classés en fonction du diocèse ou du comté dans lesquels ils se trouvent. L’énumération comprend des monastères (monasteria, cellae), des domaines fonciers (villae, curtes, terra), des églises et des châteaux. On ne distingue pas moins de dix catégories parmi l’ensemble des biens énumérés : cella, ecclesia, villa, castrum, monasterium, terra, cellula, mansiones, capella, curtis, chacune pouvant se combiner avec une autre, villa cum ecclesia, mansiones cum capella, ecclesia et terrae, monasterium cum cellis, ecclesiis, villis et terris, monasterium cum castro et curte...
48On retrouve une telle juxtaposition dans tous les privilèges pontificaux jusqu’à Grégoire VII. Sous le pontificat d’Urbain II, lorsque les enumerationes bonorum changent de structure, les villae, curtes, castra ne sont plus mentionnés. Cette évacuation est doublement révélatrice. D’une part, elle montre l’étroite parenté entre la possession des biens-fonds et la possession d’un monastère, au moins jusqu’à la fin du XIe siècle. Églises, villae, châteaux, terres font partie de la propriété clunisienne au même titre que les monastères. D’autre part, elle témoigne de la restructuration des catégories descriptives de l’espace au moment où l’ecclesia Cluniacensis devient une institution organisée et hiérarchisée.
49S’ils disparaissent des privilèges pontificaux, les lieux clunisiens « non monastiques » (villae, curtes, castra) n’en demeurent pas moins des parties intégrantes de la propriété clunisienne. Que deviennent-ils après avoir été accumulés pendant un siècle et demi ? Sont-ils eux-mêmes intégrés dans l’ecclesia Cluniacensis ? Comment contribuent-ils à maintenir le pouvoir monastique et à assurer la paix clunisienne ? Avant d’envisager ces questions, il faut observer comment les biens clunisiens ont bénéficié d’un statut spécial et ont ainsi été transformés.
II. DE L’IMMUNITÉ
50Au moment de la fondation de Cluny, l’immunité a déjà une longue histoire. Il n’est pas inutile d’en résumer les principales étapes pour mieux comprendre le moment clunisien72.
51L’immunité chrétienne procède de la définition de l’autel comme un locus sacro-saint, support du sacrifice eucharistique et point de contact privilégié entre Dieu et les hommes. Le principe apparaît clairement au début du Ve siècle dans les constitutions impériales des 21 novembre 419 et 23 mars 431 qui associent la sacro-sainteté de l’autel à l’établissement d’un droit d’asile autour des églises, permettant à chacun de se réfugier et d’échapper momentanément à la justice impériale le temps de faire pénitence73. Le pendant indissociable de cette valorisation de l’autel et de ses abords est la limitation stricte de son usage, voire de son approche, à un groupe restreint de personnes : des hommes, les clercs, voués exclusivement au service divin, singularisés par un mode de vie qui les éloigne du charnel (chasteté, pauvreté) et les place en position de contrôler, seuls, l’accès des chemins vers Dieu74.
52Loin d’être figés dès les premiers siècles de l’histoire chrétienne, ces éléments fondateurs sont articulés de manière différente, voire contradictoire, pendant tout le haut Moyen Age en fonction des stratégies diverses des papes, des évêques et des souverains laïcs pour assurer leur domination sur la terre et les hommes. Pour schématiser à l’extrême, on peut distinguer deux systèmes marquant chacun plus particulièrement une époque.
53Dès le VIe siècle dans les royaumes francs, l’inviolabilité de l’autel conduit à des concessions d’immunité (immunitas) pour certains biens d’Église qu’ils soient contigus ou non à l’édifice de culte. L’immunitas se traduit par l’interdiction aux agents du roi de prélever des revenus sur les biens de l’église bénéficiaire, la création de relations confraternelles entre les clercs immunistes et le souverain et la protection de celui-ci (tuitio, mundeburdium, dicio, defensio) sur l’église et ses biens. Ce type de privilège connaît un développement important à l’époque carolingienne marquée par une spiritualisation accrue de la fonction royale et l’étroite association des autorités laïques et ecclésiastiques dans la conduite de l’ecclesia. Tuitio royale et inviolabilité des biens d’Église vont alors de pair et définissent l’immunitas.
54Au début du Xe siècle, la papauté reprend à son compte la concession de l’immunité pour renforcer sa protection sur les biens d’Église et garantir leur particularité à l’égard des biens séculiers. L’immunité contribue ainsi à renforcer le statut privilégié des hommes et des possessions ecclésiastiques, dans le même temps où l’Église réaffirme l’existence de l’asile autour des lieux de culte et des espaces réservés à la sépulture en développant et codifiant des cérémonies comme la consécration des cimetières75 et la dédicace des églises76. Les violateurs de l’immunité s’exposent à des sanctions prononcées par le pape, véritable garant du système. La tuitio pontificale articulée à l’inviolabilité des hommes et des lieux consacrés caractérise désormais l’immunitas.
55Les conséquences de l’immunité sont positives pour l’Église romaine mais également pour les églises bénéficiaires. Le trait le plus souvent mis en valeur est la naissance de la seigneurie ecclésiastique à partir de l’immunité77. Les impôts, revenus fonciers et autres charges dus traditionnellement aux possesseurs du sol et aux agents de la force publique ne sont pas annulés par les privilèges d’immunité, mais transférés dans les mains des ecclésiastiques immunistes. Ceux-ci les prélèvent fréquemment par le biais d’un avoué (advocatus, custos, adjutator) qui se recrute parmi les membres de l’aristocratie laïque locale78.
56Qu’en est-il pour Cluny ? En 931, l’abbé Odon reçoit du pape Jean XI le premier privilège qui concède l’immunitas à son monastère. C’est également l’un des premiers privilèges d’immunité accordés par un pape79. La « seigneurie » de l’abbaye de Cluny se met en place au cours du Xe siècle et s’impose peu avant l’an mil alors même que l’inviolabilité de ses possessions est définie avec plus de vigueur80.
57La chronologie, les fondements et les conséquences de l’immunité clunisienne ont fait l’objet de nombreux travaux depuis ceux, fondateurs, de Georg Schreiber, en passant par ceux de Jean-François Lemarignier et Gaston Letonnelier81. En 1970, Herbert Cowdrey a fourni une synthèse très documentée sur la question, insistant particulièrement sur les liens de la libertas clunisienne avec les transformations contemporaines de l’institution ecclésiale menées par les papes « grégoriens »82. Barbara Rosenwein a récemment rouvert l’enquête en recentrant la problématique de l’immunité et de l’exemption sur la négociation de l’espace comme moyen d’imposer un ordre social et spatial. L’immunité de Cluny apparaît ainsi comme l’aboutissement du processus initié au VIe siècle selon lequel l’Église s’est efforcée de réorganiser l’espace et les rapports sociaux autour des pôles consacrés83.
58Il peut ainsi paraître étonnant de consacrer de nouveau un chapitre au développement de l’immunité clunisienne et, surtout, de reprendre l’ensemble du dossier depuis le privilège de Jean XI en mars 931. Plusieurs éléments justifient ce choix.
59Il importe tout d’abord de préciser le versant institutionnel de l’immunité. Instrumentalisée par les papes à partir du Xe siècle, elle contribue à mettre en place un nouvel ordre social dans l’Occident chrétien ; nouvel ordre dirigé par l’Église qui se caractérise par la réorganisation de l’espace et des rapports sociaux à partir des hommes et des lieux consacrés. L’enjeu fondamental de l’immunité est de préciser la place de ces hommes et de ces lieux dans l’ordonnancement de l’ecclesia terrestre. C’est en partie grâce à l’immunité que l’harmonie idéale entre Dieu et les hommes va pouvoir se concrétiser sur terre, via la médiation des saints dont les reliques sont conservées dans les lieux consacrés, via l’intercession des hommes consacrés qui font l’interface entre Dieu, les saints et les hommes. Cluny a bénéficié parmi les premiers de la nouvelle immunité pontificale. Reconsidérer ses privilèges permet donc d’éclairer un point nodal de l’histoire occidentale médiévale : la prise en charge du « monde » par les hommes d’Église pour installer sur terre un ordre ecclésial.
60Ces transformations passent, on l’a dit, par une réorganisation de l’espace. Il importe donc de reconsidérer de manière précise ce que l’on peut qualifier, faute de mieux, de « spatialisation » de l’immunité. Les travaux consacrés à l’immunité n’envisagent généralement cet aspect que de manière périphérique. Or, les XIe et XIIe siècles voient se multiplier les « terrae sanctae » de Jérusalem à l’Atlantique, autour des possessions pontificales ou des puissants établissements monastiques ou épiscopaux84. L’étude détaillée de la spatialisation de l’immunité clunisienne devra montrer comment le processus se met en place sous l’action conjointe des papes et des moines85.
61Dans son récent ouvrage sur la négociation de l’espace, Barbara Rosenwein distinguait deux « aspects » de l’immunité clunisienne : le premier est la définition du ban de Cluny comme un espace « sacré, puissant, dynamique et inviolable »86 ; « l’autre aspect de cette inviolabilité est d’ouvrir la porte au pouvoir des moines »87. C’est maintenant l’articulation entre ces deux « aspects » qu’il faut étudier. La désignation d’un espace ou d’un lieu comme étant sacré est une fiction. Dans les textes des ecclésiastiques du XIe siècle, qu’il s’agisse des papes ou des abbés de Cluny, c’est une fiction efficace qui n’a d’autre but que de fonder et de justifier leur pouvoir sur des terres et des hommes. En limitant l’étude à la sacralisation de l’espace, on se place résolument sur le plan de l’idéologie, plan capital, mais au demeurant quelque peu désincarné. Pour dire les choses autrement, il est absolument essentiel d’étudier les effets de l’immunité sur les habitants du ban et la nature des relations sociales qu’elle implique. Il importe donc de revoir l’histoire sociale du Mâconnais médiéval à la lumière des études consacrées ces dernières années à la « liberté clunisienne ». Georges Duby luimême a très peu envisagé cet aspect des choses et c’est aussi une manière de lui faire honneur que de retourner sur le terrain pour observer concrètement les liens entre les moines et les laïcs de la terre clunisienne.
1. Les fondements de l’immunité : le testament de Guillaume d’Aquitaine
62Revenons au testament de Guillaume d’Aquitaine. Le volume 76 de la collection Bourgogne de la Bibliothèque nationale de France conserve, sous le numéro 5, l’acte considéré comme l’original du testament de Guillaume. Malgré l’absence de sceau, de toute trace de scellement et la présence de certaines formules surprenantes pour le début du Xe siècle, l’analyse paléographique et lexicographique a plaidé pour l’authenticité de l’acte et sa filiation probable avec le scriptorium de Saint-Martin de Tours88. Le lévite Odon (Oddo lævita), rédacteur et souscripteur de l’acte, était sans doute le futur abbé de Cluny Odon, formé précisément à l’école épiscopale de Tours89. Le testament de Guillaume est donc un produit du milieu ecclésiastique le plus éclairé de la Gaule du Xe siècle qui à Fleury, à Reims, à Auxerre, à Tours, à Gorze et bientôt à Cluny manie, en plus des psaumes et des Pères, les néoplatoniciens et les auteurs antiques et ne néglige pas les compilations de droit barbare, ecclésiastique et romain pour légitimer ses prétentions.
Des biens pour une « demeure de prières »
63La donation de Guillaume vise à assurer son salut post mortem et celui de sa femme, Engelberge, de ses parents, et de sa sœur, Avane90. Dans ce but, il se dessaisit de la propriété du domaine de Cluny (Clugniacum villam) et la transmet aux apôtres Pierre et Paul :
Pour l’amour de Dieu et de notre sauveur Jésus Christ, je transmets en domination propre des biens qui sont de mon droit aux saints apôtres Pierre et Paul, c’est-à-dire le domaine de Cluny...91
64Pierre et Paul sont les patrons de l’Église romaine. En se dessaisissant de biens à leur profit, Guillaume fait un don à Dieu. Sa donation est d’ailleurs motivée « pour l’amour de Dieu et de notre sauveur Jésus-Christ ». Mais concrètement, c’est aux moines que le duc d’Aquitaine concède la domination sur la villa. Ils auront la jouissance et la possession perpétuelle des biens :
Je fais ce don en demandant que l’on construise à Cluny un monastère régulier en l’honneur des saints Pierre et Paul et que là, des moines vivent en communauté selon la règle du bienheureux Benoît. Qu’ils possèdent, tiennent, aient et ordonnent ces biens perpétuellement et que soit ainsi établi en cet endroit une demeure de prières où s’accompliront fidèlement les vœux et les oraisons92.
65En choisissant des moines pour prier pour son salut, Guillaume accentue la fonction religieuse de sa donation. Les moines, qui se réuniront sous la direction de Bernon, devront suivre la règle de saint Benoît et consacrer leur temps à la prière, à l’oraison, aux demandes et supplications auprès de Dieu. Le type de communauté que souhaite installer Guillaume est dans le droit-fil de celles qui se développent depuis les réformes de Louis le Pieux et Benoît d’Aniane au début du IXe siècle. Leur activité essentielle est l’intercession pour le salut des vivants et des morts et la préfiguration sur terre du royaume céleste. Tel est le dessein promis aux moines de Cluny. Ils devront transformer le lieu où ils s’installent en « demeure de prières » et entretenir avec ardeur la « conversation avec le ciel » (conversatio celestis)93. Par leurs prières incessantes, les moines accèdent à ces conversations célestes auxquelles le commun des mortels ne peut prétendre. Comme les saints apôtres, ils sont eux-mêmes à mi-chemin entre Dieu et les hommes94.
66La donation à Dieu, aux saints apôtres et aux moines et la fonction salvatrice recherchée par Guillaume se complètent pour transformer la nature des biens concédés. De main humaine, ils passent dans la main de Dieu, des saints tutélaires de l’Église romaine et des moines, leurs plus proches représentants. De biens matériels, ils deviennent des biens religieux dont la fonction n’est plus que de resserrer les liens entre Dieu et les hommes, en l’occurrence Guillaume et les siens. Par conséquent, les biens confiés aux moines sont nécessairement placés sous un statut particulier.
Hors du joug des puissances terrestres
67Ils sont placés hors du monde des hommes et soustraits à la domination de toute puissance temporelle :
... à partir de ce jour, les moines ici réunis ne seront soumis ni à notre joug, ni à celui de nos parents, ni aux droits sacrés de la grandeur royale, ni au joug d’aucune puissance terrestre95.
68Ce type de renonciation assez fréquent à l’époque carolingienne est ici exprimé de la manière la plus radicale qui soit. Cluny est soustrait à la puissance et à l’autorité de quiconque, non seulement du donateur et des siens mais du pape lui-même :
Par Dieu et, en son nom, par tous les saints, et en invoquant le jour du terrible jugement, que nul prince séculier, nul comte, nul évêque, pas même le pontife du Siège romain ne s’empare des biens de ces serviteurs de Dieu, ne les vende, ne les amoindrisse, ne les échange, ne les concède en bénéfice à quiconque, ou n’établisse sur eux et contre leur volonté un quelconque dignitaire96.
69On notera qu’il n’est pas question d’installer un avoué sur les terres de Cluny. Le fondateur s’est lui-même dessaisi de cette fonction et ne prévoit personne pour l’occuper. Tout au long de leur histoire, les moines de Cluny auront nécessairement besoin de protecteurs pour défendre leurs biens, besoin également d’hommes dévoués pour prélever les rentes et autres revenus qui leur sont dus. Nul avoué ne sera jamais institué à ce double effet. Et si quelque comte ou duc apparaît dans des chartes du Xe siècle comme advocatus ou defensor des biens clunisiens97, il ne s’agit pas d’un office institué, mais de la reconnaissance d’une mission occasionnelle. Cluny est un monastère sans avoué ni protecteur laïque jusqu’à la fin du XIIe siècle lorsque le roi de France prendra peu à peu l’ensemble des biens clunisiens sous sa garde98. Les sanctions contre les ennemis des moines viendront des « glorieux princes de la terre », les saints apôtres Pierre et Paul, et du pape.
La tuitio des saints apôtres et du pape
... je vous supplie donc, ô saints apôtres et glorieux princes de la terre, Pierre et Paul, et toi, pontife des pontifes du siège apostolique, en vertu de l’autorité canonique et apostolique que vous avez reçue de Dieu, d’exclure de la communauté de la sainte Église de Dieu et de la vie éternelle, les voleurs, envahisseurs et destructeurs de ces biens que je vous donne spontanément et avec joie. Soyez, eu égard à la clémence et à la miséricorde du très saint rédempteur, les tuteurs et les défenseurs de ce monastère de Cluny, des serviteurs de Dieu qui y résident, et de toutes leurs ressources99.
70Les apôtres Pierre et Paul sont les tutores ac defensores des biens de Cluny car ceux-ci leur ont été donnés. Représentant terrestre des apôtres, le pape est chargé de prononcer les sanctions contre tous ceux qui tenteraient de porter atteinte à l’inviolabilité naturelle des biens clunisiens. En fin de compte, il est le seul réel tutor des moines et de leurs biens. Les apôtres lui servent de caution. Mais si la tuitio pontificale implique une contrepartie - le paiement tous les cinq ans d’un cens récognitif100 -, il ne s’agit en aucun cas d’une domination. La seule dominatio légitime sur les biens clunisiens est celle des apôtres (de propria dominatione). La seule potestas légitime est celle de l’abbé Bernon sur les moines et, après sa mort, du successeur qu’ils lui éliront librement101. Autrement dit, le pouvoir à Cluny est partagé. Les apôtres, véritables bénéficiaires, sont la clef de voûte du système. Ils confèrent l’inviolabilité aux biens monastiques. Sur terre, l’abbé dirige l’abbaye et gouverne les moines ; le pape est leur protecteur.
La sanctio protectrice
71« Par Dieu et, en son nom, par tous les saints », le rédacteur prescrit de ne pas porter atteinte ou d’aliéner de quelque manière que ce soit les biens des moines. Ils sont inviolables et leur inviolabilité est une conséquence directe de la donation à Dieu. Les très longues clauses comminatoires du testament l’expriment clairement :
Si par malheur, ce qui ne se peut et ce que j’estime ne pas pouvoir survenir en raison de la miséricorde de Dieu et du patronage des apôtres, quelqu’un, proche ou étranger, de quelque condition ou puissance que ce soit, de quelque niveau que ce soit, tente de porter atteinte à ce testament que j’ai sanctionné (sanccivi) pour l’amour du Dieu Tout-Puissant et par vénération pour les princes des apôtres Pierre et Paul, qu’il encoure tout d’abord la colère de Dieu Tout-Puissant, que Dieu lui retranche sa part de la terre des vivants et qu’il efface son nom du livre de la vie...102
72Cette prescription révèle en filigrane la conception selon laquelle un bien patronné par les apôtres est ipso facto protégé contre toute déprédation. Sa nature en est changée. Il devient un bien religieux qui par essence est inviolable. Cependant, cette inviolabilité est une fiction théorique qui ne suffit pas à protéger les biens donnés à saint Pierre et aux serviteurs de Dieu. Il faut donc munir leur consécration par une sanction103. Les clauses comminatoires du testament de Guillaume - et de bien d’autres donations contemporaines - servent ce but. Le rédacteur a sanctionné (sanccivi) la donation en promettant à tous les contrevenants la damnation éternelle et les châtiments corporels les plus graves, comme les subissent Dathan, Abiron, Judas, Héliodore et Antiochus104. Leur sort sera celui de « tous les sacrilèges qui s’en sont pris témérairement au trésor de la maison de Dieu »105. Autrement dit, les biens donnés aux saints apôtres et confiés aux moines de Cluny sont considérés comme des sacra. Leur porter atteinte est commettre un vol de biens sacrés, un « sacri-lège »106.
73La donation à Dieu et aux saints Pierre et Paul, la soustraction au joug de toute puissance terrestre, l’inviolabilité des biens concédés, la sanction contre les violateurs et la tuitio des saints apôtres sont intrinsèquement liées. En 910, Cluny débute, les moines sont peu nombreux, sa propriété est infime, mais les éléments d’un système sont déjà présents, comme les matériaux de construction d’un édifice que les clunisiens mettront près de deux siècles à édifier complètement. Pendant les décennies suivantes, ils cherchent à se faire confirmer les clauses du testament fondateur et trouvent dans les rois et surtout dans les papes des alliés efficaces. Les fondements essentiels posés dans la charte de fondation (ou d’institution) sont progressivement mieux définis et mieux ajustés les uns aux autres et surtout, ils trouvent une définition positive avec la proclamation de l’immunité. Dès lors, la potestas, le jus et le dominium des moines qui, en 910, s’effacent derrière la propriété des saints apôtres, vont pouvoir s’affirmer clairement.
2. De la sainteté et de l’inviolabilité de Cluny
74Guillaume d’Aquitaine avait explicitement interdit à tous les potentats, y compris à lui-même, aux membres de sa famille et au pontife romain, d’exercer leur jugum sur les moines ou de s’emparer de leurs biens. À partir de 927, les rois et les papes sollicités par les abbés de Cluny pour confirmer leurs droits placent en tête de leur diplôme ou privilège la confirmation de cette soustraction au joug des puissances séculières.
75Le diplôme du roi Raoul, rédigé à Cluny le 9 septembre 927, fait du monastère un lieu libre de toute domination séculière :
Par notre autorité, nous instituons le précepte que ce lieu (locus), selon ce qui a été décrété par le testament, soit pleinement libre et délié (liber et absolutus) de la revendication et de la domination tant des rois que de tous les princes ou des proches de Guillaume, mais aussi de tous les hommes107.
76Le roi rappelle par la même occasion que Cluny a été soumis (subjugavit) au Siège apostolique pour être protégé et non pour être dominé (ad tuendum non ad dominandum). Cette clause n’apparaît que dans ce diplôme royal rédigé par les moines108. En revanche, la liberté à l’égard des puissances laïques est maintes fois renouvelée dans les confirmations ultérieures.
77En 931, Jean XI rappelle que le monastère est « libre de la domination (liberrum a dominatu) de tout roi, évêque, comte ou quiconque parmi les proches de Guillaume ». Il étend cette liberté à tous les biens des moines, tant ceux qu’ils possèdent maintenant que ceux qu’ils acquerront ultérieurement109. En préambule de son privilège du 22 avril 998, Grégoire V reprend des termes proches de ceux de l’acte de fondation en plaçant les possessions de Cluny hors du joug et de l’autorité de toute personnalité (absque omni iugo seu ditione cuiuscunque persone)110. Vers 1021-1023, Benoît VIII demande aux prélats de Bourgogne, d’Aquitaine et de Provence - là où Cluny est implanté - de condamner par leurs sentences ecclésiastiques les déprédateurs des biens clunisiens. Il rappelle que Cluny est libre de la sujétion (ab omni subiectione... liberrum) de toute personnalité, d’un roi, d’un évêque ou d’un comte et confirme cette liberté (libertas) accordée par ses prédécesseurs depuis la fondation du monastère111. Le privilège de Léon IX, le 10 juin 1049, interdit à tout mortel, qu’il soit empereur, roi, duc, marquis, archevêque, évêque ou tout autre puissant (aliqua alia humana potestas) d’exercer son pouvoir (aliquam potestatem) sur le monastère de Cluny112. En 1080, lors d’un concile tenu au Latran, Grégoire VII prononce une allocution apologétique en l’honneur de Cluny. Il étend l’interdiction de Léon IX à ses propres légats et met en garde tous les potentats d’exercer leur pouvoir (potestas) et même d’ouvrir la bouche contre Cluny113.
78Potestas, dominatus, iugum, dicio et subiectio expriment la domination, la puissance, l’autorité, la maîtrise sur les biens matériels et sur les hommes, autrement dit le pouvoir tel qu’il s’entend à l’époque des seigneurs114. Cluny en est libre. Ses biens sont placés théoriquement hors d’atteinte des potentats. S’ajoute à ces clauses restrictives à l’égard des puissances séculières l’énonciation du statut spécial de la propriété clunisienne, l’immunitas, et ce pour la première fois dans le privilège de Jean XI en mars 931. Les formules des privilèges d’immunité concédés ensuite sont très récurrentes. Il n’est donc pas nécessaire de les égrainer toutes. L’examen attentif des deux premiers privilèges, celui de Jean XI et celui d’Agapet II en mars 954, permet de comprendre les fondements du système développé ensuite sur les mêmes bases.
Le privilège de Jean XI, mars 931
79Dans ce privilège comme dans tous les suivants, l’immunité n’est pas le seul droit reconnu à l’abbaye de Cluny. La clause qui l’institue se trouve à la fin de l’acte. Elle couronne, pour ainsi dire, les clauses précédentes dont elle est indissociable. Il faut, par conséquent, considérer l’ensemble du document.
80Le préambule précise les motifs du privilège. Le pape répond aux prières de l’abbé Odon, soucieux de voir confirmer le statut du monastère institué par le testament du duc Guillaume. Cluny a été soumis à l’Église romaine, c’est pourquoi, de son autorité apostolique, Jean XI concède les éléments suivants115.
81Le premier point concerne la soustraction du monastère et de ses biens, présents et à venir, à la domination de tout roi, évêque, comte ou de quiconque parmi les proches de Guillaume116. En second lieu, Jean confirme la libre élection de l’abbé. Après la mort d’Odon, les moines auront la libre faculté (liberam facultatem) d’élire qui ils voudront, sans l’intervention qu’un quelconque prince et conformément à la règle de saint Benoît.
82Le monastère de Romainmôtier, récemment donné à Cluny par la mère du roi de Bourgogne Rodolphe, devra lui rester soumis. Odon obtient également l’autorisation pontificale de recevoir pour la réforme (ad meliorandum) tout monastère que l’on voudra bien lui soumettre. Suivent plusieurs clauses confirmant la libre possession des dîmes, des chapelles, des églises ou des revenus sur des vignes qui ont été récemment concédés à Cluny par les évêques. On accorde une attention particulière aux chapelles données par l’évêque de Mâcon, Bernon, mais elles ne sont pas énumérées117. Deux donations récentes faites par des laïcs sont également confirmées et cette fois explicitement nommées : les biens situés à Aine, donnés par le sire de Brancion, Liébaud, et la chapelle Saint-Martin de Massy118.
83Le privilège énonce ensuite trois clauses nouvelles. La première concerne le droit de battre monnaie, présenté comme la confirmation d’une concession du roi Raoul. Il s’agit en fait d’une interpolation de la fin du XIe siècle insérée dans le diplôme de Jean XI lors de sa copie dans le cartulaire C119. La seconde instaure le privilège de réception de Cluny selon lequel l’abbaye peut accueillir en son sein tout moine soucieux d’améliorer sa vie religieuse (meliorande vitae studio), quel que soit le monastère d’où il provient (ex quolibet monasterio). Il s’agit là d’un point essentiel qui renforce considérablement le prestige de Cluny et son statut de lieu d’asile, refuge pour tous les pécheurs120. La troisième accorde l’immunité. Ses termes sont les suivants :
Du fait de la révérence qui est due aux lieux saints, où qu’ils se trouvent, nous vous concédons l’immunité de façon à ce que personne n’ait l’audace, de quelque manière que ce soit, de porter atteinte à vos dépendants (mancipia) ou de se saisir de vos biens sans votre accord121.
84Suit le rappel de la tuitio du Saint Siège apostolique sur Cluny et du paiement du cens quinquennal. Le privilège se clôt par l’énonciation des sanctions contre tous ceux qui résisteraient à la décision très salutaire (saluberrima constitutio) du pape. Ils seront liés par l’anathème.
85Ce privilège fait de Cluny un lieu libre. Libre au sens romain du terme, c’est-à-dire soumis à la seule domination de l’Église romaine122. Cela implique le paiement du cens de cinq sous123 et la sanction du droit clunisien par le pape, et le pape seul. Cela implique également une indépendance totale à l’égard des seigneurs et des prélats. Ils ne peuvent exercer aucune dominatio ni tuitio sur Cluny et doivent, par conséquent, respecter la libre élection de son abbé. Sur le plan concret, tous les biens donnés à Cluny sont soumis au seul pouvoir et à la seule administration des moines. Comme on l’a vu tout à l’heure, on ne fait aucune distinction entre les biens « monastiques » (tels que Romainmôtier), les églises séculières (Blanot, Cotte, Jalogny...), et les biens temporels, comme les dîmes ou les revenus des biens-fonds. Tous sont soustraits au monde des hommes dès lors qu’ils sont donnés à Cluny. Par l’institution de son statut de refuge universel pour tous les moines, Cluny se voit reconnaître comme un lieu médian par excellence entre terre et ciel. C’est là, mieux que partout ailleurs, que l’on emprunte les chemins du salut éternel.
Le privilège d’Agapet II, mars 954
86Le privilège d’Agapet II reprend sur bien de points celui de Jean XI. La soustraction à la domination séculière, la libre élection de l’abbé, la confirmation générale des chapelles, églises, dîmes et revenus des biens-fonds concédés aux moines, la tuitio de Rome, le cens de cinq sous et les clauses d’anathème sont exprimés selon les mêmes termes. Le premier élément qui diffère est la liste des biens explicitement cités comme ne devant subir aucun dommage de la part des puissances extérieures. Il n’est plus question de Romainmôtier, d’Aine ou de Massy, mais de Charlieu, de Sauxillanges, des abbatiae Saint-Jean et Saint-Martin de Mâcon et d’une vingtaine de villae, avec ou sans église, situées dans les pagi de Mâcon ou de Lyon, telles que Solutré, Chevignes, Arpayé, Saint-Victor d’Ajoux, Écussoles, Thoissey, Ambierle ou Savigneux124.
87Le second concerne l’immunité. Seuls quelques mots distinguent la formule d’Agapet de celle de Jean XI, mais des mots fort importants :
Parce que le mode de vie monastique (ordo monasticus) aspire à la plus haute immunité [et] du fait de la révérence qui est due aux lieux saints, où qu’ils se trouvent, nous vous concédons [l’immunité] de telle sorte que personne n’ait l’audace, de quelque manière que ce soit, de porter atteinte à vos serfs ou de se saisir de vos biens sans votre accord125.
88Il n’est plus question de l’immunitas mais de « la plus haute », ou de « la plus parfaite immunité » (summa immunitas). En outre, à la révérence due aux lieux saints évoquée par Jean XI comme la justification de l’immunité, Agapet ajoute que le mode de vie monastique (ordo monasticus) mérite, ou réclame (desiderat) une telle protection. Il met ainsi en évidence les liens étroits entre le mode de vie des moines, la sainteté du lieu et son inviolabilité.
89La combinaison entre ces trois éléments est capitale et mérite elle aussi quelques explications.
Quia ordo monasticus summam desiderat immunitatem
90Par la conversion de leurs mœurs, c’est-à-dire leur « sacrifice virginal », et leur consécration quotidienne à l’office divin, les moines se soustraient au monde126. C’est la chasteté du moine qui fait son ordo et qui l’institue comme le membre d’un groupe social distinct de tous les autres127. Qui plus est, sa virginité n’est pas stérile. Comme celle de la Vierge, elle permet d’engendrer un monde nouveau, purifié des péchés du monde et dirigé par les chantres et les spécialistes de la pureté, les moines.
91Lorsque le pape Agapet II fait de l’immunité un attribut nécessaire de l’ordo monasticus, il ne fait rien d’autre que sanctionner le statut extra-ordinaire des moines, bénéficiaires légitimes, par leur renonciation au monde charnel, de privilèges particuliers. En d’autres termes, le pouvoir des moines qui découle de l’immunité est fondé sur leur chasteté128. Et sur un plan plus général, c’est l’ensemble de l’institution ecclésiale qui justifie sa domination sur la société occidentale par la renonciation au sexe. Cette justification se trouve manifestée au grand jour à partir du milieu du XIe siècle, mais les œuvres clunisiennes de l’an mil et, plus tôt, les privilèges d’immunité concédés à ses abbés au milieu du Xe siècle constituent les fondations du même édifice.
92Le système social qui se met en place autour de l’abbaye et particulièrement sur la terre et les hommes qui sont concédés aux moines et placés, dans les privilèges pontificaux, sous l’immunitas de Cluny, est profondément marqué par cette conception de l’ordre du monde.
... sicut locis sanctis ubique reverentia debetur
93L’immunité est le statut légitime de tous les lieux saints et si Cluny n’est pas explicitement qualifié comme tel dans les textes de Jean XI et d’Agapet II, les deux privilèges pontificaux lui accordent un sérieux brevet de sainteté.
94L’association de Cluny aux lieux saints procède du même mouvement que celui qu’on vient de voir : l’ordo monasticus soustrait les hommes au monde ordinaire ; les loca sancta sont les lieux soustraits. Au Xe siècle, cette notion de lieu saint n’est pas neuve. Le droit civil romain de l’Antiquité tardive qualifiait de res sanctae les biens protégés du viol par une sanction et les distinguait des res religiosae, sépultures et tombeaux, qui appartenaient aux morts, et des res sacrae publiquement affectées aux dieux, relevant d’une propriété divine dont l’imprescriptibilité était garantie par l’État129. L’Église a construit son inviolabilité en réarticulant les notions de res sanctae, religiosae ou sacrae, sans opérer aussi nettement la distinction entre les trois types, du moins pas avant le XIIe siècle où les liturgistes, tel Jean Beleth, s’efforcent d’appliquer les catégories antiques aux réalités de leur temps130. Est saint, religieux ou sacré, ce qui a été transformé par une cérémonie de consécration. Il s’agit donc au premier chef des autels et des lieux de culte, puis à partir du Xe siècle, des cimetières131. Ce sont aussi les hommes d’Église, consacrés par le sacrement de l’ordre.
95Cette double institution des hommes et des lieux consacrés fonde la hiérarchie fonctionnelle entre les ordines et structure l’espace en fonction des lieux consacrés132. Les autels, les lieux de culte et les cimetières sont autant de lieux centraux (des loca) que l’Église s’efforce de présenter comme tels - c’est l’un des objets des privilèges pontificaux - afin d’organiser les comportements humains en fonction de ces lieux qu’elle demande de protéger, de ne pas attaquer et d’honorer. L’immunitas institutionnalise ce statut spécial en articulant la sainteté à la sanction contre les violateurs du lieu saint. L’immunitas est désormais un outil essentiel pour garantir la paix selon les termes ecclésiaux : l’harmonie idéale entre Dieu, les saints et les hommes, via la médiation des hommes et des lieux consacrés.
3. De la sanctitas à la potestas
96On a vu jusque-là deux aspects de l’immunité du Xe siècle. D’une part elle soustrait les églises, leurs hommes et leurs biens au joug des puissances terrestres et interdit à quiconque d’exercer la puissance publique sur eux. D’autre part elle proclame la sainteté des lieux et des hommes ainsi soustraits. Mais l’immunité-sainteté proclamée par les papes au Xe siècle comporte un troisième volet, indissociable des deux précédents : elle institue la domination des hommes ainsi protégés, placés non seulement hors du monde et de l’espace ordinaire, mais au-dessus, dans une position qui leur permet, voire leur ordonne, de diriger les autres hommes. La sanctitas conduit à la potestas des saints moines et il est bien logique que la première proclamation de celle-ci se trouve dans les diplômes et les privilèges d’immunité qui leur sont concédés.
Le diplôme de Lothaire III, le 20 octobre 955
97Lothaire III est le troisième roi sollicité par les clunisiens pour confirmer leurs privilèges133. Donné à Laon (Actum Lauduni), son diplôme a sans doute été rédigé à Cluny par les destinataires comme beaucoup d’actes royaux contemporains de ce genre, à moins qu’il ait été composé à Laon sur la base d’un modèle fourni par les moines. L’original qui se trouvait encore dans le chartrier abbatial à la fin du XVIIIe siècle est aujourd’hui perdu, mais une copie, insérée dans le cartulaire C vers 1100, permet d’en connaître la teneur134.
98Le préambule présente les motifs de l’acte. Soucieux de la récompense qu’il obtiendra s’il pourvoit aux convenances de la sainte Église de Dieu et s’il confirme les offrandes faites par les fidèles aux demeures des saints (loca sanctorum), Lothaire répond favorablement aux prières du duc Hugues et du comte de Bourgogne Liétaud lui demandant de confirmer au vénérable abbé Aymard les biens des lieux sacrés (res sacrorum locorum) concédés par ses prédécesseurs135. Il rappelle tout d’abord la libre élection de l’abbé puis confirme en plusieurs points la pleine possession et l’inviolabilité des biens de Cluny. En premier lieu :
Nous décernons et sanctionnons (sanccimus) par notre décision royale qu’avant tout le château du monastère soit immune et établi sous leur libre domination ; et que personne n’exerce le pouvoir judiciaire dans son enceinte ou ses environs contre leur volonté136.
99De même, les moines tiendront perpétuellement, en pleine liberté et sécurité les villae et les autres lieux (loca) qui leur ont été transmis par les rois précédents et notamment par Louis, père de Lothaire, c’est-à-dire Chevignes, le monastère de Charlieu, Solutré, les églises de Saint-Jean et Saint-Martin [de Mâcon]. Toutes leurs autres possessions demeureront, comme cela a été reconnu par le passé, hors des réquisitions et des impositions de tout pouvoir extérieur137. Que dans tous les lieux (loca) où ils se trouvent, là où règne Lothaire ou ailleurs, les frères [de Cluny] jouissent d’une immunité durable (firmam emunitatem) et exercent une libre domination (liberam dominationem). Que nul roi, évêque, comte ou tout autre personne n’ait l’audace inconsidérée d’exercer dans toute la terre relevant du droit [de l’abbé] (in omni sui juris terra) un quelconque préjudice, une quelconque violence ou oppression138. Tout vol ou diminution des biens des moines sera puni par les châtiments ecclésiastiques et pour garantir la fermeté et la vigueur perpétuelle de ce décret, Lothaire appose son seing manuel et l’empreinte de son anneau sigillaire.
100Au regard de l’immunité clunisienne, ce diplôme contient des éléments classiques et d’autres plus nouveaux. On retrouve tout d’abord les liens entre la sainteté et l’immunité dans une formulation proche de celle de la charte de fondation. Cluny n’est pas explicitement qualifié de lieu saint, ni son abbé, ni ses possessions, mais l’emploi du verbe sancire et l’association en préambule entre la concession royale et les bienfaits récoltés par la protection des lieux saints ou sacrés révèlent les fondements conceptuels de l’immunité au Xe siècle.
101Les deux nouveautés les plus remarquables concernent l’attention particulière accordée au « château du monastère » et l’association entre la concession de l’immunité et la reconnaissance de la domination (ditio, dominatio) des moines et de leur « droit » (terra sui juris).
102En 955 les moines de Cluny possèdent un château dans les environs immédiats de leur abbaye, le château de Lourdon. Cependant, les chartes du Xe siècle ne le qualifient jamais de castrum monasterii, mais plutôt castrum Lurduni (de Lurduno) ou mons Lurduni, voire simplement Lurdunum, comme si le lieu importait davantage que la fortification. Aussi, l’expression castrum monasterii se comprend-elle mieux si elle désigne non pas le château de Lourdon, mais le « château du monastère », entendons le monastère lui-même et son enceinte. Sa forme ni son tracé ne peuvent être précisés et les rares données archéologiques connues pour cette période ne sont pas d’un très grand secours139. En revanche, la formule du diplôme de Lothaire indique que des hommes résident dans cette enceinte ou à proximité immédiate. Le roi interdit à quiconque d’exercer la justice sur eux, reconnaissant implicitement l’existence d’une agglomération que l’on n’ose encore appeler bourg, établie tout près des bâtiments conventuels, peut-être dans une même enceinte abritant moines et laïcs. Ce lieu et ses hommes bénéficient d’une immunité complète ; seul l’abbé peut y exercer sa domination (ditio).
103La domination de Cluny est exprimée à trois reprises et sous trois formes différentes dans le diplôme de Lothaire : la ditio des moines sur le « château du monastère », la « libre domination » (liberam dominationem) qu’ils exercent sur toutes leurs propriétés et la ferme immunité (firmam emunitatem) dans toute la « terre qui relève du droit de l’abbé » (terra sui juris). Dicio, dominatio et jus expriment la même réalité : la domination des moines assurée par la possession de nombreuses terres et d’hommes, et garantie par l’immunité. Le droit de Cluny n’est pas l’expression d’un code de lois dont le diplôme de Lothaire attesterait l’existence. Il exprime davantage l’intrication entre la possession de la terre (et d’autres biens, ici résumés dans l’expression terra sui juris) et le pouvoir détenu par les moines sur les hommes qui la cultivent à leur profit. La « terre relevant du droit » de l’abbé est la terre qui a été donnée à Cluny et qui leur appartient en intégralité. Leur « droit » est la dominatio qu’ils exercent en tant que possesseurs fonciers faisant exploiter des terres pour leur utilité commune.
104Quarante-trois ans plus tard, en octobre 998, un diplôme du roi Rodolphe III de Bourgogne l’exprime encore plus nettement :
Tous [les biens] qui appartiennent à ces lieux, ceux qu’ils ont présentement et ceux qu’ils acquerront dans le futur, sont dans le droit du monastère et de l’abbé, tant celui qui le préside en ce temps que ses successeurs, pour l’utilité commune des frères qui ici servent Dieu, leur droit étant paisible, sans contradiction ni violence.140
105À la même époque où Rodolphe III confirme les droits et les privilèges de l’abbé Odilon, un concile se réunit à Anse en présence de bon nombre d’évêques du sud-est de la Francie et de la Bourgogne. Ce concile proclame la sainteté de Cluny et sanctionne la reconnaissance de sa potestas.
Le mémorandum du concile d’anse (ca. 994)
106On évoque généralement le ou les conciles tenus à Anse vers 994 parmi les assemblées réunies peu avant l’an mil en Aquitaine et en Bourgogne à l’initiative des ecclésiastiques pour instaurer la paix de Dieu141. Le propos est peut-être moins vaste. Il s’inscrit parfaitement dans le Cluny des dernières années du Xe siècle que la mort du « très saint abbé Maïeul » a laissé sans père, proie facile pour les seigneurs voisins. Le jeune abbé Odilon s’efforce de rassembler ses soutiens et profite d’une assemblée d’évêques de la région pour conforter ses positions142.
107Le mémorandum qui relate le concile est souvent cité. Il n’en demeure pas moins obscur du fait de son latin alambiqué et de sa tradition manuscrite. Sans doute rédigé par les moines eux-mêmes à l’issue de l’assemblée, il a été copié au début du XIIe siècle dans le cartulaire des privilèges de Cluny (cartulaire C)143. Cette copie est la seule version connue du texte. Son authenticité n’a jamais été remise en cause ; plusieurs clauses s’accordent avec les documents contemporains provenant du chartrier abbatial144 ; mais on ne peut écarter l’hypothèse d’une interpolation voire d’une réécriture complète au moment de la confection du cartulaire.
108Le texte s’ouvre sur un long préambule qui nomme les évêques présents145 et énumère les motifs du concile : examiner les plaintes présentées par le « vénérable abbé Odilon » et le grand prieur Vivien au sujet des maux perpétrés contre leur « saint lieu ». En l’honneur des différents saints honorés à Cluny, les Pères acquiescent aux demandes des clunisiens et confirment les privilèges pontificaux accordant l’inviolabilité à tous les biens acquis jusqu’alors146.
109Comme le diplôme de Lothaire en 955, le texte ne se limite pas à une confirmation solennelle, mais signale certains lieux comme particulièrement infrangibles. Il s’agit tout d’abord des églises et du bourg de Cluny,
Que personne n’ose [prendre] les églises avec dîmes et services relevant du monastère ou le bourg de ce saint lieu, à l’intérieur ou à l’extérieur, sans l’ordre ou le consentement de l’abbé ou des frères de ce lieu147.
110du château de Lourdon,
En concédant ce privilège et en le confirmant sur tous les points, nous interdisons (sancimus) d’enfreindre ou de violer le pouvoir du saint lieu (potestatem sancti loci), de faire du butin, de prendre ou de piller les églises avec granges et celliers appartenant à ce lieu, notamment en excommuniant et anathématisant très fermement, par l’autorité pontificale, ceux qui s’y sont opposés en prenant et pillant le mont de Lourdon dans le comté de Mâcon148.
111et de vingt-deux possessions clunisiennes situées dans les diocèses de Mâcon, Autun, Lyon ou Chalon : Blanot et le domaine (curtem et villam) de Bézornay, Mazille, Péronne, Chevignes, Solutré, Écussoles et Clermain avec leurs dépendances (cum appendiciis suis) ; Saint-Victor-sur-Rhins, Beaumont, Savigneux et la « poesté » de Romans (Romanam potestatem), Chaveyriat, Thoissey, Pouilly, Arthun, la celle d’Ambierle avec ses dépendances, Iguerande et le château d’Huillaux ; les monastères de Charlieu et de Régny et toutes les églises avec leurs « poestés » (ecclesias cum potestatibus) qui appartiennent à ces deux monastères149.
112« Avec véhémence et sous l’invocation de l’anathème » (vehementer sub testificatione anathematis), les Pères du concile interdisent ensuite à tout juge public ou percepteur d’impôt de construire un château ou une quelconque fortification à l’intérieur ou à proximité de Cluny (infra aut juxta eundem locum) ou des possessions de ce lieu consacré (potestates ejusdem jam dicti loci sacrati). Ils invitent tous les puissants et tous les résidants des environs de Cluny et de Charlieu à protéger les « saints moines » et à s’abstenir de faire du butin dans le « château ou bourg de ce lieu » (in eundem castrum vel burgum ejusdem loci), tant sur les bœufs, vaches, porcs et chevaux.
113Sont ensuite énoncés les canons du synode relatifs à l’encadrement religieux des laïcs et à la discipline ecclésiastique, comme le respect du repos dominical, les abstinences des mercredi et vendredi, la chasteté des clercs, la conservation convenable des hosties consacrées. On a là une sorte de programme minimum rappelant les fondements structurels de l’ecclesia tardo-carolingienne, ses références spatiales, temporelles et sociales.
114Les dernières lignes du texte promettent la paix à tous ceux qui confirmeront ces privilèges, l’anathème et les supplices éternels à tous les violateurs (violatores) qui ne s’amenderaient pas convenablement et ne seraient pas absous par l’abbé ou ses frères.
115Les deux éléments mis en valeur dans le diplôme de Lothaire III, la domination des moines et son inscription dans des lieux, sont de nouveau présents dans ce texte, avec une précision plus grande. Le mémorandum du concile d’Anse sanctionne en effet l’une des premières reconnaissances explicite de la « seigneurie » des moines, la potestas sancti loci150.
116Cette potestas n’est pas une concession officielle d’une part des prérogatives royales, mais la conséquence logique de la possession foncière des moines et de leur immunité. En obtenant de nombreux biens-fonds, les clunisiens deviennent des rentiers de la terre. Le prélèvement pour leur propre compte d’une partie des revenus de l’exploitation paysanne leur confère une position dominante151. L’examen du vocabulaire atteste d’ailleurs cette étroite parenté entre la possession foncière et l’exercice d’une domination sur les hommes. Lorsqu’elles ne sont pas énumérées avec l’indication de leur nature (villa, curtis, castrum, ecclesia...), les possessions clunisiennes sont qualifiées par les termes généraux res, possessio ou pertinentia152, mais également par le mot potestas, employé au singulier ou au pluriel. Le mémorandum du concile d’Anse en fournit trois exemples : la mention de la potestas de Romans parmi la vingtaine de lieux inviolables, la protection des ecclesiae et potestates de Charlieu et Régny et l’interdiction de construire une forteresse près du monastère de Cluny ou de ses potestates. La définition même de ces « poestés », selon l’expression de Georges Duby153, montre que la potestas est fondée sur la possession de la terre et des hommes. Au temps des seigneurs, la propriété et le pouvoir, pour employer des termes modernes, sont indissociablement liés. Et cela semble particulièrement net pour la propriété aux mains de l’Église qui utilise le même terme pour qualifier son « pouvoir » potestas et ses « propriétés » potestates154.
117Il n’est pas insignifiant que la reconnaissance de la potestas de Cluny apparaisse dans le mémorandum du concile d’Anse dont le propos essentiel est de confirmer l’inviolabilité des possessions monastiques. Il existe en effet une relation de cause à effet entre l’interdiction d’exercer une quelconque domination sur les biens des moines et le transfert de la puissance dans leurs mains. L’immunité-sainteté proclamée par les papes à partir du Xe siècle institue la domination de l’Église sur la terre et les hommes dont ils sont les possesseurs. Telle est la logique profonde du système. Et comme on l’a vu avec le diplôme de Lothaire III en 955 et le mémorandum de ca. 994, cette proclamation s’accompagne d’une territorialisation du pouvoir à partir des lieux proclamés comme saints.
118Il va maintenant falloir observer ses conséquences concrètes sur les hommes et le terroir, mais auparavant il est nécessaire de s’attarder sur un autre moyen mis au service des moines de Cluny pour les soustraire du monde ordinaire : l’exemption.
III. DE L’EXEMPTION
119L’exemption constitue un moyen privilégié par le monachisme réformé pour s’assurer une indépendance totale à l’égard des puissances extérieures tant sur le plan temporel que spirituel155. Comme l’immunité, elle prend ses racines dans le haut Moyen Age. À partir du VIIe siècle, le souci de protéger les autels et les lieux de culte conduit à l’institution d’une « clôture secrète » inviolable (secreta septa) autour d’eux ; clôture dont le but est moins de délimiter un espace précis que de limiter l’accès aux mystères de l’autel à une catégorie de personnes. Il en résulte deux conséquences. D’une part, les laïcs sont exclus plus fermement de l’accès direct aux sacrements. D’autre part, certains ecclésiastiques eux-mêmes se voient restreindre l’accès aux autels, en particulier dans les monastères. Tels sont les premiers privilèges « d’exemption » au nom desquels les évêques diocésains ne peuvent célébrer, consacrer ou administrer les sacrements dans ces monastères que s’ils y sont expressément invités par l’abbé156. Les exemptions carolingiennes se caractérisent principalement par la soustraction du monastère bénéficiaire à la juridiction du diocésain, généralement accompagnée de la protection (tuitio, dicio, defensio) de l’autorité qui concède le privilège, roi ou pape157. Une nouvelle inflexion se produit aux alentours de l’an mil avec le développement de privilèges d’exemption élargis concédés par les papes. La libertas accordée aux bénéficiaires prévoit la garantie de la libre élection abbatiale, la soustraction à la juridiction du diocésain et le rattachement direct à celle de Rome, la possibilité de faire appel à l’évêque de son choix pour les bénédictions, onctions et consécrations de toutes sortes, voire la capacité du bénéficiaire de prononcer l’excommunication. Le premier privilège de ce type est accordé par Grégoire V à Fleury-sur-Loire en 997158.
120La situation clunisienne n’est pas originale. Tout au plus le monastère bourguignon a-t-il été parmi les premiers bénéficiaires d’une exemption élargie. Un an après Abbon de Fleury, le jeune abbé Odilon obtient du même pape un privilège qui le soustrait largement à l’autorité de l’évêque de Mâcon. Sans récrire l’histoire de l’exemption clunisienne et les conflits avec les diocésains qui l’ont jalonnée159, on soulignera ici ses caractères fondamentaux pour observer leurs conséquences sur l’institutionnalisation du pouvoir abbatial. Deux points seront notamment envisagés : la territorialisation de l’exemption clunisienne au début du XIIe siècle et la naissance, dans ce cadre, de la juridiction ecclésiastique de l’abbé sur une zone restreinte qui englobe les églises du bourg de Cluny.
121Avant de commencer, un dernier point doit être souligné. Contrairement à l’immunité définie à la fois par une série de soustractions et par la concession d’un statut positif signifié par le terme immunitas, l’exemption clunisienne se caractérise par un ensemble de clauses négatives interdisant à l’évêque d’exercer telle ou telle prérogative. Le mot libertas désigne parfois l’exemption160, mais il prend un sens beaucoup plus large dans les privilèges clunisiens ; quant au terme exemptio qui n’apparaît pas de manière générale avant le XIIe siècle161, il en est absent. Par ailleurs, les clauses relatives à l’exemption ne font qu’exceptionnellement l’objet de concessions particulières. Au contraire, elles font partie intégrante des privilèges généraux accordés par les papes. Il ne faut donc pas perdre de vue que l’exemption est un élément d’une structure ; la libre possession de biens fonciers, d’églises et de monastères comme l’immunité en sont deux autres points essentiels.
1. L’exemption des monastères clunisiens
122L’exemption de l’abbaye de Cluny est proclamée pour la première fois par le privilège de Grégoire V, en avril 998162. Après l’énumération des loca et monasteria appartenant à Cluny et le rappel de leur immunité, le pape interdit à tout évêque et à tout prêtre (sacerdos) de venir dans le « vénérable monastère » (coenobium) pour ordonner ou consacrer une église, un prêtre ou un diacre, ou pour célébrer la messe sans y avoir été expressément invité par l’abbé de Cluny ; les moines pourront choisir qui il leur plaira pour de telles célébrations. Après avoir été élu librement par le conseil commun des frères, le nouvel abbé sera consacré par l’évêque de leur choix163.
123Un second pas est franchi en 1024 avec le privilège de Jean XIX octroyé à la demande d’Odilon par le pape nouvellement élu. Le monastère de Cluny et tous les moines de ce lieu, où qu’ils se trouvent (ipsius loci fratres ubicunque positi), sont exemptés des sanctions de malédiction ou d’excommunication prononcées par les évêques, quels qu’ils soient. Ils ne relèvent que de la juridiction du pape164.
124Des nouveautés substantielles sont apportées aux privilèges de Grégoire V et de Jean XIX à la fin du XIe siècle par Urbain II. En 1088, il soustrait les moines et les monastères clunisiens à la juridiction de l’Ordinaire. Les appels des causes litigieuses seront portés devant l’abbé de Cluny et s’ils ne peuvent être ainsi résolus, devant le pape ou son légat165. Par le même privilège, Urbain II concède pour la première fois à l’abbé Hugues le port des insignes épiscopaux lors des processions, des messes solennelles et des principales fêtes de la communauté. Ce privilège est le premier d’une longue série qui culmine sous l’abbatiat de Pons de Melgueil et accorde à l’abbé de Cluny le port et l’utilisation d’ornements liturgiques traditionnellement réservés aux évêques166.
125En janvier 1097, Urbain II réunit dans un même privilège l’ensemble des clauses relatives à l’exemption des monastères et des moines clunisiens ubicunque positi selon les formules de ses prédécesseurs167. Comme l’a souligné Dietrich Poeck, cette reconnaissance coïncide avec la structuration interne de l’ecclesia Cluniacensis, corps de monastères exempts dirigé par l’abbé de Cluny et désormais composé d’abbayes, de celles et de prieurés nettement identifiés comme tels168. Le pontificat d’Urbain II est également celui où commence à se fixer le droit de Cluny sur les églises séculières et leurs privilèges à l’égard des diocésains. Cet aspect est essentiel pour la définition du pouvoir abbatial sur les environs de son monastère puisqu’il possède là de nombreuses églises paroissiales.
2. L’exemption des églises clunisiennes
126En effet, la tentation était grande pour les moines d’étendre à leurs églises les privilèges qu’ils avaient obtenus pour leurs monastères, mais le renforcement du pouvoir des évêques à partir de la fin du XIe siècle a soulevé de nombreuses contestations conduisant à la négociation de compromis. Au cours de la première moitié du XIIe siècle, les clunisiens se heurtent aux évêques dans toutes les régions où ils sont implantés. Les conciles provinciaux et généraux menés pendant cette période offrent aux séculiers des tribunes idéales pour revendiquer haut et fort leurs griefs à l’encontre des privilèges clunisiens. L’épisode le plus célèbre est le concile de Reims en 1119 où Jean de Crême, légat pontifical, doit prendre lui-même la parole pour réitérer avec véhémence les privilèges de Cluny et faire taire, au moins provisoirement, les critiques des séculiers menés par l’archevêque de Lyon169. En 1123, le premier concile de Latran marque une rupture dans la politique pontificale à l’égard des monastères en confirmant de manière générale la soumission des moines à l’évêque diocésain tant pour la nomination des évêques, la juridiction, la possession des églises que l’exercice du ministère paroissial170. Certes, ses canons n’annulent pas les privilèges particuliers adressés à chaque monastère, mais ils renforcent considérablement les prétentions des séculiers à l’égard des réguliers.
127Le partage des prérogatives entre Cluny et les évêques est ainsi réglé par étapes entre les dernières années du XIe et le premier quart du XIIe siècle. Trois privilèges pontificaux fixent la norme : celui d’Urbain II le 9 janvier 1097171, de Pascal II le 15 novembre 1100172, de Calixte II le 22 février 1120173. Ils montrent une situation contrastée qui sauvegarde une bonne partie des prétentions épiscopales.
Le choix des prêtres
128En ce qui concerne le choix des prêtres, la règle est fixée par le privilège d’Urbain II, le 9 janvier 1097 :
Il sera permis à vous et à vos frères de choisir des prêtres dans vos églises, de telle sorte toutefois qu’ils se voient confier le soin des âmes sans vénalité, par les évêques ou des vicaires de l’évêque. S’ils ne veulent pas par méchanceté, ce qu’à Dieu ne plaise, alors les prêtres obtiendront le droit de célébrer les offices par la bonté du siège apostolique174.
129Les prérogatives sont donc partagées. Les moines choisissent le desservant de leurs églises, mais ils doivent le présenter à l’évêque qui seul est habilité à lui conférer son ministère. La seule clause de réserve concerne la vénalité, si emblématique en ces temps de lutte contre la simonie. Si l’évêque refuse de procéder gratuitement, les moines pourront se tourner vers le pape qui investira lui-même le prétendant dans sa charge pastorale. Le pape renforce ainsi son rôle de garant de la liberté clunisienne qu’il possède déjà en bien d’autres domaines.
130Le problème de la personne du desservant n’est pas abordé et ne l’est jamais dans les confirmations ultérieures. Les moines pouvaient-ils choisir l’un d’eux ou faisaient-ils toujours appel à des clercs séculiers175 ? Dans le Cluny de la fin du XIe siècle, à peu près tous les moines sont prêtres et ils pouvaient théoriquement exercer la charge pastorale. Cependant, une telle situation n’aurait pas manqué de susciter des conflits avec les diocésains, d’autant plus après le concile du Latran en 1123 qui prescrit en toutes choses la soumission et l’obéissance des moines aux évêques et leur interdit de célébrer des messes publiques, de visiter les malades, d’administrer le sacrement de pénitence ou l’extrême-onction « parce que ce n’est pas leur office » (ad illorum nullatenus officium pertinet)176. La documentation ne fait pas état de conflit sur ce sujet entre Cluny et les évêques de Mâcon, Chalon ou Autun. Sans doute le problème ne se posait-il pas et, sauf exception, il est probable que dans la majorité des cas les églises clunisiennes étaient desservies par des séculiers.
Les consécrations
131Le second point du privilège d’Urbain II du 9 janvier 1097 concerne la consécration des églises et des autels appartenant aux moines :
Les frères de vos monastères recevront les consécrations de leurs églises et de leurs autels des évêques de leurs diocèses (ab episcopis in quorum diocoesibus sunt). Ceux-ci devront évidemment le faire gratuitement et sans vénalité. Autrement, qu’ils reçoivent les sacrements des consécrations d’un autre évêque catholique que vous préférerez177.
132L’essentiel de la prérogative épiscopale est donc maintenu. Comme dans le cas précédent, la vénalité constitue la seule cause susceptible de soustraire les moines au ministère de leur diocésain. La large indépendance dont ils bénéficient depuis la charte de fondation pour consacrer le nouvel abbé ne s’étend pas aux consécrations des possessions ecclésiastiques séculières.
Droit de gîte et juridiction sur les prêtres
133Ces deux questions sont abordées par le privilège de Pascal II le 15 novembre 1100 :
Nous prescrivons que toutes vos églises ou chapelles et cimetières soient libres et exemptés de toute exaction sauf la coutume due à l’évêque et la justice sur les prêtres qui se sont montrés contraires à la dignité de leur ordre ; en sont exceptées les églises qui, sans soumission de ce genre, demeurent dans le pouvoir (potestas) de l’abbé178.
134La clause pontificale présente deux cas de figure, un cas général et un cas particulier.
135Dans le cas général, les églises doivent respecter la coutume habituellement due à l’évêque, soit le droit de gîte. En outre, les prêtres déviants sont soumis à la juridiction de l’ordinaire. Sur ce point, Pascal II n’innove pas. Son privilège est conforme à la coutume et aux décisions conciliaires contemporaines.
136En revanche, certaines églises « demeurent dans le pouvoir de l’abbé » (potestas) et sont ainsi soustraites au droit de gîte et à la juridiction du diocésain179. On aimerait en savoir davantage sur les critères d’appartenance au cas général ou au cas particulier, mais la bulle pontificale n’est pas plus loquace. La distinction allait peut-être de soi pour les clunisiens de 1100 qui connaissaient les églises sur lesquelles la potestas de l’abbé était infrangible. Ne serait-ce pas celles qui sont citées dans les privilèges pontificaux ? Quoi qu’il en soit, l’absence de précision laisse la porte ouverte à toutes sortes de querelles.
137Vingt ans plus tard, à la suite de heurts violents entre l’abbé de Cluny et l’évêque de Mâcon, Calixte II se fait beaucoup plus précis. La distinction est désormais fondée sur des critères géographiques. Elle s’impose comme la norme pour le partage des prérogatives et remplace la distinction floue de Pascal II qui ne réapparaît dans aucun privilège après lui180.
138Calixte II concède à l’abbé de Cluny une exemption totale dans un périmètre très restreint qui s’étend sur environ un kilomètre autour du monastère. En deçà de ses limites, toutes les églises, tous les cimetières et tous les hommes (moines, clercs et laïcs) sont sous la protection et la juridiction exclusive du Saint Siège. Les prêtres et les paroissiens ne doivent pas se rendre à un synode s’il n’est convoqué par le pape et par l’abbé. L’abbé peut choisir l’évêque de son choix pour ordonner les clercs, confectionner le chrême, consacrer les huiles saintes, les autels et les cimetières. Les moines qui résident dans ce territoire ne peuvent être excommuniés par personne, sauf le pontife romain et son légat181. Partout ailleurs, et dans toutes les autres églises clunisiennes, le compromis fixé par Urbain II et Pascal II en 1097 et 1100 doit s’imposer182. Là, les évêques conservent l’essentiel de leurs prérogatives.
139Les seules églises clunisiennes qui échappent à la juridiction de l’ordinaire sont donc celles établies dans la proche banlieue de Cluny. C’est un paramètre fort important, tant du point de vue des rapports des clunisiens avec les évêques, que de la situation particulière du bourg de Cluny et de ses paroisses. Le voisinage du monastère sacré entraîne sur tous les plans une juridiction particulière aux mains de l’abbé de Cluny.
***
140Jusqu’au milieu du XIe siècle, les moines de Cluny obtiennent de très nombreuses donations de biens sis dans leur environnement proche : des terres, des revenus fonciers, des bâtiments d’exploitation, des hommes, des églises avec leurs revenus. Certaines sont confirmées par les rois de Francie occidentale et de Bourgogne et surtout par les papes. Elles sont alors énumérées parmi les loca et monasteria appartenant de plein droit à Cluny et rendues inviolables par la donation à saint Pierre. L’immunité sous-jacente dans le testament de Guillaume d’Aquitaine est explicitement exprimée à partir de 931 et qualifie le statut particulier de ces biens. La possession des hommes et des terres par les moines, serviteurs de Dieu et « moines de saint Pierre » n’a pas la même nature que la possession d’un seigneur laïc ou d’un paysan. Quia ordo monasticus desiderat summam immunitatem, le mode de vie des moines aspire à la plus haute immunité et leur lieu de vie, « demeure de prières », est un locus sanctus inviolable.
141Les termes jus, potestas, dominatio qui jalonnent les chartes, les diplômes royaux et les privilèges pontificaux accordés à Cluny ne qualifient pas autre chose que les différentes facettes d’une domination polymorphe que l’on a du mal à définir avec des catégories séparées. Cette domination est née de la possession de la terre. Elle s’exerce sur elle et sur les hommes qui la cultivent. Elle est renforcée et légitimée par « l’immunité-sainteté » qui conforte l’aspect particulier des lieux monastiques et des moines et tend à le faire connaître à tous. La rédaction des chartes et leur mise en ordre dans les trois premiers cartulaires (A, B, C) entre le milieu du XIe et le début du XIIe siècle constituent des moyens essentiels pour les clunisiens de conserver les preuves de leur domination. Les confirmations des rois ou des papes, dont certaines ont été rédigées par les moines eux-mêmes, d’autres fortement influencées par eux, sont également des documents publicitaires. Ils ne créent pas le système, mais ils révèlent ses fondements : la destination religieuse des biens concédés, la sanctification des biens monastiques par leur destination, l’inviolabilité des biens sanctifiés, le pouvoir (potestas, bannus, dominium, jus) né de l’exploitation de la terre et de la gestion de biens saints par des hommes qui eux-mêmes se disent dirigés par des saints, s’identifient aux anges et sont les gardiens du corps de saint Pierre.
142La combinaison de ces éléments est très nette dans l’esprit des ecclésiastiques qui élaborent les textes. L’une de leurs tâches majeures est de mettre en pratique cette forme particulière de lien social et politique sur ceux qui, moins versés dans les choses de l’esprit, ne l’entendent pas nécessairement de cette manière. Nous verrons ce qu’il en est autour du monastère au cours des XIe, XIIe et XIIIe siècles mais attardons-nous d’abord sur l’organisation précise de la domination monastique dans l’environnement immédiat du « saint lieu ».
Notes de bas de page
1 MPMA, I, no 4, p. 33-39 (= C 112, p. 124-128). La date de la donation, septembre 909 ou 910 a suscité plusieurs discussions, au final non résolues : voir en dernier lieu G. Constable, « Cluny in the Monastic World of the Tenth Century », p. 401.
2 MPMA, I, no 4, p. 34 : notum sit quod, ob amorem Dei et Salvatoris nostri Jesu Christi, res juris mei sanctis apostolis Petro videlicet et Paulo de propria trado dominatione, Clugniacum scilicet villam, cum cortile et manso indominicato, et capella quae est in honore sancte Dei genitricis Mariae et sancti Petri, apostolorum principis, cum omnibus rebus ad ipsam pertinentibus, villis siquidem, capellis, mancipiis utriusque sexus, vineis, campis, pratis, silvis, aquis earumque decursibus, farinariis, exitibus et regressibus, cultum et incultum, cum omni integritate.
3 Ibid. : Eo siquidem dono tenore, ut in Clugniaco in honore sanctorum apostolorum Petri et Pauli monasterium regulare construatur, ibique monachi juxta regulam sancti Benedicti viventes congregentur, qui ipsas res perhennis temporibus possideant, teneant, habeant atque ordinent.
4 G. de Valous, Le domaine de l’abbaye de Cluny.
5 A. Bernard, introduction au Cartulaire de l’abbaye de Savigny, 1ère partie (1853) ; A. de Charmasse, « Essai sur l’état de la propriété en Bourgogne au Moyen Age », introduction au Cartulaire de l’Église d’Autun, vol. 1 (1875), p. ix-cxxvi ; T. Chavot, préface du Cartulaire de Saint-Vincent de Mâcon, notamment p. lxi-cxlv.
6 J. Wollasch, Mönchtum des Mittelalters ; Id., « Parenté noble », et en dernier lieu Id., Cluny. « Licht der Welt », notamment p. 61-66, 111-119. S. White, Custom, Kinship and Gifts to Saints ; D. Poeck, « Laienbegräbnisse » ; C. Bouchard, Sword, Miter and Cloister.
7 B. Rosenwein, To be the Neighbor of Saint Peter.
8 Outre G. de Valous, Le domaine, p. 39-54 et Id., Le temporel, p. 5-24, un point sur ces transactions est fait par C. Bouchard, Sword, p. 173-189, 209-224 ; B. Rosenwein, To be the Neighbor, p. 35-108, examine les différents types de liens créés par les donations, les échanges, les ventes et les déguerpissements.
9 Sur la fonction sociale des déguerpissements, voir en dernier lieu, B. Rosenwein, To be the Neighbor, notamment p. 68-69, 134-135.
10 G. de Valous, le domaine, p. 92-97 ; M. Petitjean, « Remarques sur l’emploi de la précaire » ; B. Rosenwein, To be the Neighbor, p. 115-122.
11 M, Préface, p. cxliv-v ; G. de Valous, Le domaine, p. 54 ; G. Duby, La société, p. 278, 365, 368-375 ; C. Bouchard, Sword, p. 197-199, 222-223.
12 G. Schreiber, « Kirchliches Abgabenwesen », notamment p. 161-175.
13 W. Teske, « Laïen, Laïenmönche, Laïenbrüder », (1977), p. 320-336, a dressé un tableau très riche des conversions à la vie monastique, des entrées d’oblats et des conversions in extremis à partir des chartes des Xe-XIIe s.
14 H. Cowdrey, « Confraternity » ; D. Poeck, « Laienbegräbnisse » ; J. Wollasch, « Les obituaires » et Id., « Totengedenken im Reformmönchtum », notamment p. 161-166 ; C. Bouchard, Sword, p. 225-229, 241-246 ; D. Iogna-Prat, « Les morts dans la comptabilité céleste ».
15 G. Duby, Guerriers et paysans, p. 60-69 ; A. Gourevitch, Les catégories, p. 219-241. L’application à la réalité médiévale du système du don et du contre-don emprunté aux anthropologues n’est pas toujours très opérante et les études de Duby et Gourevitch, si elles furent novatrices en leur temps, doivent être nuancées. Voir J. Chiffoleau, « Pour une économie de l’institution ecclésiale », notamment p. 267-271, la récente mise au point de M. Lauwers, « Le “sépulcre des pères” », p. 74-76, et la récente synthèse historiographique et problématique d’A.-J. Bijsterveld, « The Medieval Gift ».
16 C. Bouchard, Sword, notamment p. 45-86, a montré de tels liens à l’échelle de la Bourgogne ; M. Chaume, « En marge », et J. Wollasch,« Parenté noble », l’illustrent à partir d’exemples précis tirés d’une prosopographie des donateurs et des membres de la communauté monastique de Cluny aux Xe et XIe s.
17 Sur ce point, on se reportera notamment aux comptes-rendus de l’ouvrage de B. Rosenwein, To be the Neighbor par P. Henriet, « La propriété clunisienne » et A. Guerreau, dans Ann. E.S.C. (1990), p. 96-101. De même le compte-rendu de C. Bouchard, Sword, par A. Guerreau, dans Ann. E.S.C. (1990), p. 333-337.
18 Aussi, certains historiens ont-ils vus dans les donations de véritables avantages économiques dès lors que le bien, donné aux saints, échappait aux éventuels démantèlements entre membres de la famille du donateur : G. Duby, La Société, p. 57-58 ; J. Wollasch, « Parenté noble », p. 17-20. Point de vue critique sur cette conception par C. Bouchard, Sword, p. 231-233.
19 B. Rosenwein, To be the Neighbor, p. 49-74. Hors de la sphère clunisienne, les remarques de S. White, Custom, Kinship, p. 19-40, vont dans le même sens. Également M. MC Laughlin, Consorting with Saints.
20 Les distinctions tranchées entre manse et curtil, faites par G. de Valous, Le domaine, p. 66-73, doivent être nuancées par A. Déléage, La vie économique et sociale, p. 281-290 et G. Duby, La société, p. 39-41 puis complétées par F. Bange, « Ager et villa », p. 538, n. 42 et A. Guerreau, « L’évolution du parcellaire ».
21 Quelques exemples vers l’an mil : C 937, C 1382, C 1538, C 1666, C 2315, C 2718.
22 Sur les différentes formes de propriété dissociée dans le sud de la Bourgogne aux Xe et XIe s., A. Déléage, La vie économique et sociale, p. 394-405.
23 Tiers de la pêcherie d’Ozan concédé par le roi Raoul en 932 : MPMA, I, no 10 (= Robert/Raoul 18) ; domaine de Thoissey avec sa pêcherie dans la Saône concédé par le roi de Bourgogne Conrad en 943 : Rudolfinger 28 (= C 628).
24 À titre indicatif : C 130, 3030, MAR 15 ; cf. C. Bouchard, Sword, p. 183-185.
25 Donation par la comtesse Engelberge du fisc de Romans avec l’église Saint-Martin en 917 : C 205. Donation par Liébaud de Brancion des églises Saint-Martin de Blanot, Saint-Romain du Mont-Saint-Romain, Saint-Pierre de Lanques, Saint-Bénigne (de Bassy ?, S.-et-L., can. Lugny, com. Saint-Gengoux-de-Scissé ; identification proposée par MPMA, I, p. 42) en 927 : MPMA, I, no 5 (= C 283) ; confirmation par le même en 930 : C 387 ; par le roi Raoul en 932 : Robert/Raoul 12. Donation par l’évêque de Mâcon des églises de Cotte, Blanot, Lanques, Jalogny en 929 : C 373. Donation par le vicomte de Mâcon de l’église Saint-Victor d’Ajoux en 929 : C 378. La chapelle Saint-Martin de Massy est citée dans le privilège de Jean XI pour Cluny en mars 931, et donc acquise avant cette date : Papsturkunden 351, p. 108. Dotation par l’évêque de Mâcon de la chapelle de Solutré fondée par les moines sur une terre du fisc royal en 932 : Robert/Raoul 4, 19. Confirmation par le roi Raoul de la donation d’Ajoux et de Blanot en 932 : MPMA, I, no 10 (= Robert/Raoul 18). Donation de la chapelle Saint-Laurent d’Arpayé en 936 : C 445. Donation de l’église Saint-Pierre d’Écussoles par le comte de Nevers Geoffroy en 936 : MPMA I, no 14, 15 (= C 446, 449). Donation de l’église Saint-André et Saint-Marcel d’Iguerande en 937-938 : C 471, 486, 493. Donation par l’évêque d’Autun de l’église Saint-Léger de Blanzy en 937 : C 474. Donation vers 940 de l’église Sainte-Marie de Prayes : C 517.
26 Lourdon, S.-et-L., can. Cluny, com. Lournand. L’histoire du château et sa description architecturale ont été présentées par L. Raffin, « Le château de Lourdon ». Pour la description des vestiges actuels, on se reportera à Canton de Cluny, 3, p. 81-88.
27 T. Chavot, Le Mâconnais, p. 100.
28 Par exemple : C 232 (nov. 922) ; C 594 (942-954).
29 C 3950, charte citée en introduction de la première partie.
30 Par exemple, servi sancti Petri : C 669 (945), 718 (948), 1965 (993-994), 2008, 2009 (v. 1048), 2206 (993-1048), 2670 (1008), 2968 (1048), 2988 (1049-1060) ; homines sancti Petri : (entre autres) C 729 (948-949), 3262, 3726, 3737, 3809 (2e moitié XIe).
31 J. Wollasch, Cluny. « Licht der Welt », p. 123-128.
32 J. Wollasch, Mönchtum, p. 154-158 ; Id., Cluny. « Licht der Welt », p. 145-147 ; D. Poeck, Cluniacensis Ecclesia, notamment p. 8-10, 206-211.
33 55 % des transactions avec Cluny entre 910 et 1049 comporte au moins une mention de la terra sancti Petri (782 sur 1426) : chiffres fournis par B. Rosenwein, To be the Neighbor, p. 76, n. 82. Ces exemples sont si nombreux qu’il est inutile d’en citer juste quelques-uns.
34 Par exemple, prior sancti Petri : C 513 (940) ; pars (ou partes) sancti Petri : C 506 (940), 513 (940), 573 (942-954), 667 (945), 669 (945). Donations à saint Pierre : C 559 (942-954), 575 (942-954), 653 (943-993), entre autres.
35 La qualification de Cluny comme casa Dei est très fréquente dans les chartes des Xe et XIe s. ; je ne donne ici que quelques références parmi les plus anciennes (entre 910 et 960) : C 201, 280, 432, 533, 644, 645, 648, 727, 1119. De même pour le qualificatif habitatores sancti Petri : C 728, 773, 1839.
36 Par exemple, rectores sancti Petri : C 575, 600, 608, 727, 771, 796, 850, 853, 866 ; auctores sancti Petri : C 534, 555, 852, 1110, 1119 ; ministri sancti Petri : C 115. Toutes ces chartes sont comprises entre 910 et 960. L’expression « moines de saint Pierre » (monachi sancti Petri) est surtout fréquente à partir de l’an mil : C 2330, 2347, 2410, 2461, 2464, 2527, 2552, 2568, 2803.
37 L’ecclesia sancti Petri : C 1753 (987-996) ; Le cenobium sancti Petri : C 2812 (1029) ; la congregatio sancti Petri : C 1947 (993).
38 domnum Aimardum, abbatem Cluniacensem, scilicet Sancti Petri : C 650 (943-964).
39 B. Rosenwein, To be the Neighbor of Saint Peter.
40 L’arrivée des reliques à Cluny est généralement considérée comme datant de 980, juste avant la consécration de l’autel majeur de l’église abbatiale [Cluny II] : lettre du moine Hugues de Gournay adressée à l’abbé de Cluny Pons de Melgueil rapportant cette translation vers 1120, éd. H. Cowdrey, Two Studies, p. 113-117 (ici p. 117). Sur le rôle de l’arrivée des reliques des saints Pierre et Paul à Cluny en 980 : D. Iogna-Prat, « Cluny à la mort de Maïeul », p. 16.
41 À titre indicatif : don pour obtenir la grâce de saint Pierre, C 2508 (Chaume, « Obs. » : 1023-1026) ; don ut sanctus Petrus sit mihi bonus advocatus in die judicii, C 2676 (Chaume, « Obs. » : vers 1000-1010).
42 Celui qui va à l’encontre de la donation sera beatum Petrum apostolum adversarium in ultima die suae mortis senciat, C 187 (janvier 912). La revendication d’une terre donnée à Cluny est une querelam contra Sanctum Petrum et monachos ei servientes, C 2392 (avril 997). Vers 1030, un miles et ses frères calumniabant sanctis apostolis Petro et Paulo et monachis de Cluniaco, C 2093 (Chaume, « Obs. » : v. 1030).
43 Voir par exemple D. Barthélemy, La société, p. 366-368 (sur la terre de saint Martin à Marmoutier) ; S. White, Custom, Kinship, p. 19-40, réflexion fondée sur les cartulaires de l’ouest de la France ; L. Fabiani, La terra di san Benedetto (sur la terre de saint Benoît au Mont Cassin).
44 Sur La constitution territoriale du patrimonium sancti Petri aux IXe-Xe siècles : P. Toubert, Les structures du Latium, p. 935-959. Sur ses origines anciennes, de l’Antiquité tardive à la fausse donation de Constantin : G. Arnaldi, Le origini dello stato della chiesa.
45 J’emprunte cette expression à A. Guerreau, « Quelques caractères spécifiques ».
46 B. Rosenwein, To be the Neighbor. Les chiffres qui suivent sont ceux des tableaux de la p. 216.
47 D’après le tableau de B. Rosenwein p. 216.
48 Cette constatation rejoint celle de J. Wollasch qui voit dans l’abbatiat d’Aymard le point de départ de l’enracinement du monastère de Cluny dans son entourage aristocratique laïque, J. Wollasch, Cluny. « Licht der Welt », p. 61-66. De même D. Poeck, « Laienbegräbnisse », montre que l’apogée des donations pour la sépulture à Cluny se situe sous les abbatiats d’Aymard, Maïeul et Odilon.
49 D’après le tableau de B. Rosenwein, To be the Neighbor, p. 216. Nouvelles datations : Chaume « Obs. » et B. Rosenwein, To be the Neighbor, p. 231 (pour 28 chartes).
50 À partir du XIIe s., les chartes sont datées systématiquement ou peuvent l’être aisément. Le problème ne se pose plus et concerne donc essentiellement la deuxième moitié du XIe s.
51 L’exemplaire du Recueil des chartes de l’abbaye de Cluny conservé au Centre Inter-universitaire d’Histoire et d’Archéologie Médiévales de l’Université Lumière-Lyon II (UMR 5648) est celui sur lequel Georges Duby a travaillé pour sa thèse. Les volumes IV et V sont abondamment annotés de sa main, portant en particulier des propositions de datations pour de nombreuses chartes de l’abbatiat d’Hugues datées <1049-1109 ?> par les éditeurs.
52 Maria Hillebrandt a consacré sa thèse à la tradition manuscrite et à la chronologie des chartes de Cluny : M. Hillebrandt, Untersuchungen zur Überlieferung und Chronologie der Urkunden des Klosters Cluny, Diss. Phil., Münster, 1994. Sur sa méthode de « redatation » par les groupes de noms de personnes : M. Hillebrandt, « The Cluniac Charters » ; Id., « Social groups as recognition patterns ».
53 J’emploie cette expression « chartes de donation », comme un terme générique pour désigner l’ensemble des chartes de donation proprement dites, mais aussi les actes de vente, d’échange et les déguerpissements.
54 Respectivement 72, 73 et 70 % pour les tranches chronologiques 910-953, 954-993, 994-1048. Si l’on ajoute les donations concernant les comtés voisins d’Autun, Chalon et Lyon, les chiffres sont écrasants : respectivement 88, 88 et 84 % pour les mêmes tranches chronologiques. Chiffres donnés par B. Rosenwein, To be the Neighbor, p. 197-199.
55 D’après les actes publiés dans C.
56 Voir la présentation des sources.
57 C, t. 1, préface, p. xxiv-xxv.
58 Ibid., p. xx-xxi, xxv-xxvi. La quasi totalité des documents insérés dans ces deux suppléments est comprise entre la fin de l’abbatiat d’Hugues et la fin du XIIe s.
59 Cette question mal connue vient d’être éclairée par la thèse de S. Barret, La mémoire et l’écrit. Parmi les travaux publiés, on peut se reporter à H. Atsma, J. Vezin, « Autour des actes privés », p. 48 et aux anciens articles de H.-L. Bordier, « Description du grand Trésor des chartes », et Id., « Les archives de l’abbaye de Cluny ».
60 D. Iogna-Prat, « La Geste des origines ».
61 Je ne tiens pas compte ici des donations royales, mais seulement des confirmations par le roi des possessions clunisiennes.
62 Robert/Raoul, no 36 (faux diplôme de Raoul élaboré au déb. XIe) ; Rudolfinger 29 (943) ; Lothaire/Louis V, no VIII (955).
63 Robert/Raoul, no 12 (927), 18 (932) ; Louis IV, no X (939), no XXXVII (= MPMA, I, no 25, 950) ; Lothaire/Louis V, no VII (955) ; C 2711 (Robert II, <1017-1025>) ; Rudolfinger, no 56 (943), 57 (943), 62 ([942] 960-993), 82 et 83 (998). Robert II est le dernier roi mêlé aux affaires clunisiennes jusqu’à Louis VI : voir infra chapitre 9.
64 H. Cowdrey, The Cluniacs, p. 15-16. Sur les rapports entre Cluny et la papauté aux Xe et XIe s., voir en dernier lieu D. Iogna-Prat, Ordonner et exclure, p. 74-86 et la thèse de D. Poeck, Cluniacensis Ecclesia, essentiellement fondée sur les privilèges pontificaux adressés à Cluny aux Xe-XIIe s. ; voir notamment leur présentation p. 21-76 et les tableaux synoptiques des p. 249-259.
65 Papsturkunden 64. Une phrase du testament de Bernon (1er abbé de Cluny) en 926 laisse supposer l’existence de privilèges pontificaux adressés à Cluny avant cette date :... in eo statu, quo et per regalia praecepta, quin etiam et per apostolica privilegia dudum sancita sunt, et nunc a me decretum est, permanere consentiatis. (éd. BC, col. 10). H. Cowdrey, The Cluniacs, p. 16, n. 1 soutient ainsi l’hypothèse de diplômes et de privilèges antérieurs à 927/931 aujourd’hui perdus. Il faut cependant rester prudent car le Testamentum domni Bernonis abbatis n’est connu que par sa copie dans les cartulaires A et C de Cluny (2e moitié du XIe s.). Cf. D. Iogna-Prat, « La geste des origines », p. 162-163.
66 Pour une vue d’ensemble, H. Cowdrey, The Cluniacs, p. 8-66 et D. Poeck, Cluniacensis Ecclesia, p. 19-76.
67 B. Rosenwein, To be the Neighbor, p. 162-176.
68 Ainsi dans les diplômes de Raoul en 932 (Robert/Raoul 18, 19), de Louis IV en 939 (Louis IV, no X), de Lothaire III en 955, (Lothaire/LouisV, no VII) ; de même dans les privilèges de Jean XI en 931 et de Léon VII en 938, Papsturkunden 64, 81. Pour une vue d’ensemble sur la forme et la structure des enumerationes bonorum dans les privilèges pontificaux : D. Lohrmann, « Formen der enumeratio bonorum ».
69 D. Poeck, Cluniacensis Ecclesia, p. 34-46.
70 En effet, D. Poeck ne consacre qu’une page à la question des villae parmi les biens clunisiens et cette question semble l’avoir embarassé : D. Poeck, Cluniacensis Ecclesia, p. 33-34.
71 Papsturkunden 351, p. 683-685.
72 L’histoire du concept d’immunité du Ve au XIe s. vient d’être soigneusement réexaminée par B. Rosenwein, Negotiating Space.
73 A. Ducloux, Ad ecclesiam confugere, notamment p. 165-236.
74 Quelques travaux fondamentaux sur ces questions : A. Remensnyder, « Pollution, Purity, and Peace » ; P. Brown, Le renoncement à la chair ; A. Guerreau-Jalabert, « Spiritus et caritas ». Le volume collectif Medieval Purity and Piety, bien que très marqué par la Gender History, apporte quelques contributions complémentaires.
75 P. Bonnassie, « Les sagreres catalanes » ; M. Fixot, É. Zadora-Rio, dir., L’Église, le terroir, p. 11-16 ; C. Treffort, L’Église carolingienne et la mort, p. 119-153 ; M. Lauwers, La mémoire des ancêtres, p. 217-218 ; É. Zadora-Rio, « lieux d’inhumation et espaces consacrés ».
76 Sur le déroulement des cérémonies de consécration et dédicace à partir du Xe s. : Le pontifical romano-germanique, t. I, p. 82-89 ; B. Repsher, The Rite of Church Dedication ; É. Palazzo, L’évêque et son image, p. 310-313 ; Id., Liturgie et société, p. 71-77.
77 Pour un aperçu général fondé sur de nombreux exemples, É. Lesne, Histoire de la propriété ecclésiastique, I, p. 260-267. ; J. -F. Lemarignier, « De l’immunité à la seigneurie ». B. Rosenwein, Negotiating Space, p. 14-18, fait le point historiographique sur la question. Pour Cluny : G. Duby, La société, p. 145-147, 180-182 ; D. Iogna-prat, Ordonner et exclure, p. 177-180, accompagné de réflexions précieuses sur la nature de ces espaces soustraits.
78 Sur les avoués en Bourgogne, C. Bouchard, Sword, p. 125-130. Dans un contexte plus général : J. -P. Poly, É. Bournazel, La mutation féodale, p. 98-106.
79 Papsturkunden 64. É. Lesne, Histoire de la propriété ecclésiastique, II/3, p. 90 ; B. Rosenwein, « La question de l’immunité », p. 1, présente le privilège d’immunité de Jean XI comme le premier accordé par un pape. Elle est plus prudente dans Negotiating Space, p. 163, n. 29, et réserve son jugement dans l’attente d’une édition critique des privilèges pontificaux antérieurs à 896 (date à laquelle commence l’édition de Zimmermann).
80 G. Duby, La société, p. 145-147 ; D. Iogna-Prat, « Cluny à la mort de Maïeul », p. 17-19.
81 G. Schreiber, Kurie und Kloster. J.-F. Lemarignier, « L’exemption monastique » ; Id., « Structures monastiques et structures politiques » ; G. Letonnelier, L’abbaye exempte de Cluny.
82 H. Cowdrey, The Cluniacs, p. 3-63 ; en dernier lieu Id., Pope Gregory VII, p. 667-673.
83 B. Rosenwein, Negotiating Space, p. 1-3, 156-183, et deux articles préliminaires : Id., « La question de l’immunité clunisienne » ; Id., « Cluny’s Immunities ».
84 Dans l’attente de travaux plus approfondis sur la question, je renvoie à l’article programmatique de D. Iogna-Prat, « La spatialisation du sacré », qui synthétise les recherches menées au Centre d’études médiévales d’Auxerre en 1997 et 1998. Les travaux sur ce sujet se poursuivront dans le cadre d’un programme de recherche coordonné par le Collegium de Budapest au printemps 2002, intitulé « La spatialisation du sacré dans le Moyen Âge occidental (IVe-XIIIe s.) », dirigé par D. Iogna-Prat, D. Nordman et A. Zempleni.
85 C’est l’objet du chapitre 3.
86 B. Rosenwein, Negotiating Space, p. 156-182.
87 Ibid., p. 183 : « The other side of this inviolability was the monk’s power to welcome in ».
88 MPMA, I, no 4 (= C 112). Sur l’acte lui-même, ses clauses spéciales, sa tradition manuscrite : H. Atsma, « L’acte de fondation de Cluny » ; G. Constable, « Cluny in the Monastic World », p. 401-414 ; D. Iogna-Prat, « La geste des origines », p. 158-162 ; R. Hiestand, « Einige Überlegungen ». Dans cet article, R. Hiestand a soutenu l’hypothèse d’une première fondation monastique à Cluny vers le début du IXe s. (p. 297-298). Il s’appuie notamment sur un acte de l’évêque de Mâcon daté 825 mentionnant le cenobium in honore beatorum apostolorum Petri et Pauli, in Cluniaci villa (M 52). Cet acte est connu par sa seule copie dans le cartulaire de Saint-Vincent de Mâcon au XIIe s., ce qui incite à la plus grande prudence.
89 H. Atsma, J. Vezin, « Cluny et Tours au Xe siècle » ; Id., « Autour des actes privés », p. 60.
90 Sur la famille de Guillaume d’Aquitaine, M. Pacaut, L’ordre de Cluny, p. 54-61 ; R. Hiestand, « Einige Überlegungen », p. 292-296.
91 MPMA, I, no 4, voir supra p. 43, n. 3.
92 Ibid. : Eo siquidem dono tenore, ut in Clugniaco in honore sanctorum apostolorum Petri et Pauli monasterium regulare construatur, ibique monachi juxta regulam beati Benedicti viventes congregentur, qui ipsas res perhennis temporibus possideant, teneant, habeant, atque ordinent ; ita duntaxat ut ibi venerabile oracionis domicilium votis ac subplicationibus fideliter frequentetur.
93 Ibid. :... conversatioque celestis omni desiderio et ardore intimo perquiratur et expetatur, sedule quoque oraciones, postulationes atque obsecrationes Domino dirigantur, tam pro me quam pro omnibus, sicut eorum memoria superius digesta est.
94 D. Iogna-Prat, Agni immaculati, notamment p. 319-339.
95 MPMA, I, no 4 :... ab hac die nec nostro, nec parentum nostrorum, nec fastibus regie magnitudinis, nec cujuslibet terrene potestatis jugo, subiciantur idem monachi ibi congregati.
96 Ibid. : neque aliquis principum secularium, non comes quisquam, nec episcopus quilibet, non pontifex supradicte sedis Romanae, per Deum et in Deum omnibusque sanctis ejus, et tremendi judicii diem contestor, deprecor invadat res ipsorum servorum Dei, non distrabat, non minuat, non procamiet, non beneficiet alicui, non aliquem prelatum super eos contra eorum voluntatem constitu
97 C 251 (925), 799 (951), 883 (954), 1957 (993). Point sur la question des « avoués » clunisiens du Xe s., G. Constable, « Cluny in the Monastic World », p. 419-420, avec renvoi à la bibliographie antérieure.
98 Voir infra chap. 9.
99 MPMA, I, no 4 : Et obsecro vos, o sancti apostoli et gloriosi principes terre, Petre et Paule, et te, pontifex pontificum apostolice sedis, ut per auctoritatem canonicam et apostolicam, quam a Deo accepistis, alienetis a consortio sanctae Dei ecclesie et sempiterne vite predones et invasores atque distractatores harum rerum quas vobis hilari mente promtaque voluntate dono, sitisque tutores ac defensores jam dicti loci Clugniaci et servorum Dei ibi commanencium, harum quoque omnium facultatum propter clementiam et misericordiam piissimi redemptoris.
100 Ibid. : Per quinquennium autem Rome ad limina apostolorum ad luminaria ipsorum concinnanda, x solidos prefati monachi persolvant ; habeantque tuitionem ipsorum apostolorum atque Romani pontificis defensionem.
101 Ibid. : Sintque ipsi monachi [...] sub potestate et dominatione Bernonis abbatis...
102 Ibid. : Si quis forte, quod absit, et quod per Dei misericordiam et patrocinia apostolorum evenire non estimo, vel ex propinquis aut extraneis, vel ex qualibet condicione sive potestate, qualicunque calliditate, contra hoc testamentum, quod pro amore Dei omnipotentis ac veneratione principum apostolorum Petri et Pauli fieri sanccivi, aliquam concussionem inferre temptaverit, primum quidem iram Dei omnipotentis incurrat, auferatque Deus partem illius de terra vivencium, et deleat nomen ejus de libro vitae...
103 La sanctio est une catégorie juridique romaine indissociable de la définition de l’inviolabilité. Voir à ce sujet, l’article fondamental de Y. Thomas, « De la “sanction” et de la “sainteté” », notamment p. 140-148.
104 Le rédacteur de la charte rappelle les châtiments de ces personnages en s’appuyant sur les récits bibliques. Les références sont notées par A. Bruel, C 112, p. 127.
105 MPMA, I, no 4 : caeterisque sacrilegis qui aerarium domus Domini temerare presumpserunt...
106 Ce crime sous-tend toute la construction de l’institution ecclésiale et de la monarchie absolue. Voir J. Chiffoleau, « Sur le crime de majesté », p. 183-198 ; E. Kantorowicz, « Mystères de l’État », dans Id., Mourir pour la patrie, p. 77-103.
107 Robert/Raoul 12, p. 51 : per nostre auctoritatis preceptum constituimus, quatinus ipse locus juxta quod ipse per testamentum decrevit, ab inquietudine et dominatu tam regum quam cunctorum principum seu propinquorum ejusdem Willelmi, quin et omnium hominum sit penitus liber et absolutus.
108 Voir les remarques de J. Dufour sur la teneur de l’acte : Robert/Raoul, p. 50. Sur la clause ad tuendum non ad dominandum, je renvoie à l’étude d’H. Cowdrey, The Cluniacs, qui examine par le menu l’évolution des rapports entre Cluny et le pape à partir des termes des privilèges pontificaux.
109 Papsturkunden 64, p. 107 : Itaque sit illud monasterium cum omnibus rebus, vel quas nunc habet vel que deinceps ibi tradite fuerint, liberum a dominatu cuiuscunque regis aut episcopi sive comitis aut cuiuslibet ex propinquis ipsius Uuilelmi. Cette formule est reprise telle quelle dans les privilèges d’Agapet II en mars 954 (Papsturkunden 130, p. 230) et de Grégoire V en février 998 (Papsturkunden 348, p. 677).
110 Papsturkunden 351, p. 683. La formule de Grégoire V est reprise dans les privilèges de Jean XIX en 1024 (Papsturkunden 558, p. 1053), Victor II le 11 juin 1055 (PL 143, col. 804), Etienne IX le 6 mars 1058 (PL 143, col. 880), Alexandre II en mai 1063 (PL 146, col. 1294).
111 Papsturkunden 530, p. 1008.
112 PL 143, col. 608 (édition d’après BC, col. 1824).
113 H. Cowdrey, The Cluniacs, App. p. 273. Sur les circonstances du concile et de l’allocution du pape, H. Cowdrey, The Cluniacs, p. 54-57.
114 Sur la nature et la définition du pouvoir seigneurial, A. Guerreau, Le féodalisme, p. 177-210 et Id., article « Seigneurie », dans DEMA, II, p. 1415-1416.
115 Papsturkunden 64, p. 107 : Igitur quia petistis a nobis, quatenus predictum monasterium in illo statu, quo a Uuillelmo duce per testamentum manere decretum est, nostra apostolica auctoritate in perpetuum constare decerneremus, sanctae Romane, cui Deo auctore deservimus, aecclesiae subiectum est, inclinati precibus tuis tibi ad regendum concedimus.
116 Ibid. : Itaque sit illud monasterium cum omnibus rebus, vel quas nunc habet vel que deinceps ibi tradite fuerint, liberum a dominatu cuiuscunque regis aut episcopi sive comitis aut cuiuslibet ex propinquis ipsius Uuilelmi.
117 Ibid., p. 108 : Hoc vero, quod dilectus filius noster Berno episcopus de predictis capellis vobis concessit, ratum esse decernimus in perpetuum. Il s’agit des églises de Lanques, Blanot, Cotte et Jalogny données par l’évêque de Mâcon en 929 : C 373 (voir supra carte 1).
118 Aine, S.-et-L., can. Mâcon-Nord, com. Azé et Massy, S.-et-L., can. Cluny.
119 Les clunisiens n’ont pas exercé effectivement le droit de battre monnaie avant la fin du XIe s. Hormis le droit de battre monnaie, le privilège de Jean XI ne semble pas avoir subi d’interpolations ; les autres clauses sont considérées comme authentiques malgré la disparition de l’original : Robert/Raoul 33, p. 120-121 et infra chap. 3, n. 109.
120 G. Constable, « The Reception-Privilege ». D. Iogna-Prat, Ordonner et exclure, p. 46-47.
121 Papsturkunden 64, p. 108 : Immunitatem vero ita vobis concedimus, sicut locis sanctis ubique reverentia debetur, ut nullus vestra mancipia aut res quaslibet sine vestro consultu distringere aut invadere ullo modo presumat.
122 Outre l’ouvrage de H. Cowdrey, The Cluniacs, l’étude essentielle sur la question est celle de B. Szabò-Bechstein, Libertas ecclesiae.
123 La charte de fondation mentionnait un cens de 10 sous, mais les privilèges pontificaux ultérieurs font état d’un cens de 5 sous.
124 Je reviens dans le chapitre 2 sur ces listes et sur les lieux cités (annexe 2).
125 Papsturkunden 130, p. 231 : Et quia ordo monasticus summam desiderat immunitatem, ita vobis concedimus, sicut locis sanctis ubique reverentia debetur, ut nullus vestra mancipia aut res quaslibet sine vestro consultu distringere aut invadere ullo modo presumat.
126 Les travaux de D. Iogna-Prat ont bien montré comment les moines de Cluny, dès le tournant du XIe s., se considèrent comme des êtres à mi-chemin entre les hommes et les anges. D. Iogna-Prat, Agni immaculati, notamment p. 305-396 ; Id., « Continence et virginité » ; Id., « Entre anges et hommes ».
127 G. Duby, Les trois ordres, notamment p. 246-249 ; G. Constable, « The Orders of Society », dans Id., Three Studies, notamment p. 267-288 ; D. Iogna-Prat, Ordonner et exclure, p. 19-30.
128 Outre les travaux cités dans les deux notes précédentes, cet aspect a bien été mis en valeur par A. Guerreau-Jalabert, « Sur les structures de parenté », notamment p. 1035-1038, 1042-1043 ; Voir également le compte-rendu stimulant d’A. Guerreau de D. Iogna-Prat, Agni immaculati, Annales E.S.C, mars-avril 1990, p. 337-342.
129 J’ai repris ici textuellement les définitions de Y. Thomas, « De la “sanction” et de la “sainteté” », p. 141.
130 Dans sa Summa de ecclesiasticis officiis, éd. H. Doubteil, Turnhout : Brepols, 1976 (CCCM 41A) : cité par M. Lauwers, La mémoire des ancêtres, p. 220-221 ; Id., « Le cimetière dans le Moyen Age latin », p. 1054-1061. Voir également J. -C. Schmitt, « La notion de sacré », p. 21-25.
131 B. Repsher, The Rite of Church Dedication ; E. Palazzo, Liturgie et société, p. 71-77 ; C. Treffort, L’Église carolingienne et la mort, p. 139-143.
132 Sur ce dernier point, A. Guerreau, « Quelques caractères spécifiques » ; les articles rassemblés dans M. Fixot, É. Zadora-Rio, L’environnement des églises ; D. Iogna-Prat, Ordonner et exclure, p. 170-185.
133 Les deux précédents étant ses deux prédécesseurs, Raoul et Louis IV : Robert/Raoul no 12 (9 sept. 927) ; Louis IV, no X (20 juin 939). Lothaire a été sollicité dès le début de son règne : il est élu en 954.
134 Copie du cartulaire C, f° xxvi (p. 50), no 50 ; copie dressée par Lambert de Barive en 1778 d’après l’original, BnF, coll. Moreau, t. 8, f° 156. Le diplôme est édité dans Lothaire/LouisV, p. 15-17 (= C 980).
135 Lothaire/LouisV, p. 16 :... quatinus venerabili abbati Hamardo sancti Petri Cluniensis cenobii et fratribus ipsius regie auctoritatis decretum fieri juberemus ex rebus scilicet sacrorum locorum preceptis regalibus ante concessis, insuper et regalia eorum decreta nostra munificientia corrob
136 Ibid. : Decernimus quoque et nostra regia institutione sanccimus ut in primis castrum monasterii omnimodo sit immune et sub ditione eorum libere constitutum nullusque infra girum ejus vel extra quamlibet judiciariam exerceat potestatem contra voluntatem ipsorum.
137 Ibid. : sitque omnis eorum possessio ab omni extranee potestatis exactione universaque questoria ratione immunis et libera in omne tempus, sicut in privilegiis eorum continetur, quae et nos quoque renovamus et confirmamus.
138 Ibid. : Hoc etiam addere placuit, ut in omnibus ubi regnamus locis [et] prefati fratres aliquid habere videntur, firmam emunitatem habeant et liberam exequantur dominationem nullusque omnino, aut rex aut episcopus, comes quoque sive cujuscunque subintroducte personae inconsiderata audacia aliquod prejudicium vel quamlibet indebite oppressionis violentiam in omni sui juris terra presumat inferre.
139 Selon K. J. Conant, Cluny, p. 62, le monastère était entouré d’une palissade jusque vers 1050 à laquelle aurait succédé une première enceinte de pierres dont il fournit un tracé hypothétique, pl. IV, fig. 4. Les fouilles récentes dans le transept de Cluny III semblent confirmer ce tracé (du moins sur une petite partie) et, sur la base de l’identification du mot castrum à l’enceinte monastique, en repoussent la construction au Xe s. : A. Baud, « Les fouilles archéologiques du transept », p. 10-11.
140 Rudolfinger 82 : Haec igitur omnia [...] ad predicta loca pertinentibus, presentialiter habitis et in futuro adquirendis, sint in iure coenobii eiusdem et abbatis nunc temporis ibidem presidentis eiusque successorum ad communem utilitatis fratrum ibi pro tempore Deo servientium iure quieto ac absque alicuius contradictione seu inpugnatione.
141 H. Hoffmann, Gottesfriede und Treuga Dei, reste une étude fondamentale sur la question. Sur le concile d’Anse, la ou les dates présumées de l’assemblée, p. 45-47 (Hoffmann envisage l’hypothèse de deux conciles tenus la même année à Anse). Voir également le volume collectif The Peace of God et D. Barthélemy, L’an mil et la paix de Dieu, p. 89. Le mémorandum du concile d’Anse a été publié dans C 2255 et dans M. Zimmermann dir., Les sociétés méridionales, p. 52-54.
142 D. Iogna-Prat, « Cluny à la mort de Maïeul », a fait une étude attentive du texte.
143 Paris, BnF, ms. nouv. acq. lat. 2262, p. 119-120, no 135.
144 D. Iogna-Prat, « Cluny à la mort de Maïeul », p. 14-15.
145 Il s’agit des archevêques de Lyon et de Vienne et des évêques d’Autun, Chalon, Mâcon, Valence, Uzès, Saint-Jean-de-Maurienne, Grenoble, Aoste, Moutiers-en-Tarentaise.
146 C 2255, p. 386 : Quibus sanctissimis patribus adquiescentibus postulantibus, et tam pro reverentia sancti Petri, cujus fungebatur officio et aliorum sanctorum quorum ibi memoria habetur, quamque et domni ac sanctissimi Maioli abbatis, in omnibus Dei magnifico cultore, de cujus transitu tristati, sed olim clarescentibus gratulati, vel etiam pro persecutoribus, jam sacratissimi loci infestationibus, quicquid in illorum sonat privilegiis, cartis vel adquisitionum, sine alicujus inquietudine, sua pontificali auctoritate inviolabile privilegium concesserunt.
147 Ibid. : scilicet omnia eorum ecclesias cum decimis et servitiis ad eundem cenobium pertinentibus vel burgum ejusdem sancti loci, infra et extra, sine precepto et consensu abbatis vel fratribus ejusdem loci aliquam personam nullus presumat.
148 Ibid. : Sancimus etiam privilegium concedendo et in omnibus confirmando potestate[m] sancti loci superius dicti infringere aut violare vel predam auferre vel ecclesiis cum domibus et cellariis ad eundem locum pertinentibus, scilicet in pago Matiscensi, Lordonem montem capere vel depredare, sua pontificali auctoritate excommunicando, anathematizando, vehementissime contradixerunt.
149 Je reviens sur ces lieux dans le chapitre 2 (annexe 2).
150 G. Duby, La société, p. 140, 146, 168, 286 ; D. Iogna-Prat, « Cluny à la mort de Maïeul », p. 17.
151 Sur le rôle de la rente de la terre et les liens étroits entre possession de la terre et exercice du pouvoir dans la société seigneuriale, voir notamment : M. Bloch, La société féodale, p. 335-345 ; R. Boutruche, Seigneurie et féodalité, t. 1, p. 126-137 ; A. Guerreau, Le féodalisme, p. 179-184 ; C. Wickham,« The Other Transition », notamment p. 22-33 ; et le bel ouvrage collectif édité par W. Davies et P. Fouracre, Property and Power.
152 Par exemple dans les privilèges de Jean XI en 931, Léon VII en 936 et 938, Jean XIII en 968, Grégoire V en avril 998, Jean XIX en 1024, Victor II 1055, Etienne IX en 1058, Alexandre II en 1063, Urbain II en 1097 : Papsturkunden 64, 73, 74, 75, 81, 189, 351, 558 ; PL 143, col. 804, 880 ; PL 146, col. 1294 ; PL 151, col. 486. Dans les Diplômes de Louis IV en 939, Lothaire III en 955 : Louis IV, no X ; Lothaire/Louis V, no VII.
153 G. Duby, La société, p. 182.
154 G. Duby, La société, p. 182, 349, le note pour l’église cathédrale Saint-Vincent-de-Mâcon et l’abbaye de Cluny, mais le terme n’est pas utilisé qu’en Mâconnais. On le trouve par exemple pour qualifier les propriétés des monastères de Marmoutier et de La Trinité de Vendôme au XIe s. : D. Barthélemy, La société, p. 169, 284, 376, 384-385, 402. C’est là une enquête à poursuivre pour les autres seigneuries ecclésiastiques.
155 Deux études classiques restent incontournables : G. Schreiber, Kurie und Kloster ; J.-F. Lemarignier, Étude sur les privilèges d’exemption. Plus récent mais moins pertinent : L. Falkenstein, La papauté et les abbayes françaises. La lente genèse de l’exemption médiévale vient d’être bien montrée par B. Rosenwein, Negotiating Space. Voir notamment la présentation problématique et historiographique, p. 3-19.
156 B. Rosenwein, Negotiating Space, p. 52-73.
157 Ibid., p. 99-134.
158 Papsturkunden 335.
159 G. Letonnelier, L’abbaye exempte de Cluny, J.-F. Lemarignier, « L’exemption clunisienne » et H. Cowdrey, The Cluniacs, notamment p. 22-36, ont retracé les étapes de l’exemption clunisienne et se sont efforcé de montrer ses liens avec la réforme de l’Église (l’ouvrage de Letonnelier doit être utilisé avec beaucoup de précautions car bon nombre de dates sont erronées et l’auteur a méconnu plusieurs privilèges pontificaux essentiels). J.-F. Lemarignier, « Structures monastiques et structures politiques » a montré les liens entre l’exemption et la naissance de la juridiction ecclésiastique de Cluny. Les rapports entre Cluny, l’évêque de Mâcon et l’archevêque de Lyon ont fait l’objet de quelques études séparées et de développements substantiels notamment dans les études qui se sont attaché à comprendre les origines de la chute de l’abbé Pons en 1122. Pour les Xe et XIe s., on retiendra notamment : A. Hessel, « Cluny und Mâcon » ; H. Diener, « Das Verhältnis Clunys zu den Bischöfen » ; U. Winzer, « Cluny und Mâcon ». Pour le début du XIIe s. : H. White, « Pontius of Cluny » ; G. Tellenbach, « Der Sturz des Abtes Pontius » ; P. Zerbi, « Intorno alla scisma di Ponzio » ; G. M. Cantarella, « Cluny, Lione, Roma ».
160 B. Rosenwein, Negotiating Space, p. 4-5, n. 5. B. Szabò-Bechstein, Libertas ecclesiae.
161 H. Cowdrey, The Cluniacs, p. 23.
162 Papsturkunden 351.
163 Papsturkunden 351, p. 685 :... ut nullus episcopus seu quilibet sacerdotum in eodem venerabili coenobio pro aliqua ordinatione sive consecratione aecclesie, presbiterorum vel diaconorum missarumque caelebratione, nisi ab abbate eiusdem loci invitatus fuerit, venire ad agendum presumat, sed liceat monachis ipsius loci cuiuscunque voluerint ordinis gradum suscipere, ubicunque tibi tuisque successoribus placuerit. Abbates namque, qui consecrandi erunt, de ipsa congregatione cum consilio fratrum communiter eligantur, et ad eum consecrandum, quencumque voluerint, episcopum advocent.
164 Papsturkunden 558, p. 1053 : Interdicimus autem sub simili anathematis promulgatione, ut isdem locus sub nullius cuiuscunque episcopi vel sacerdotis deprimatur interdictionis titulo seu excommunicationis vel anathematis vinculo. [...] neque ipsius loci fratres ubicunque positi, cuiuscunque episcopi maledictionis vel excommunicationis vinculo teneantur adstricti. Inhonestum enim nobis videtur, ut sine nostro iudicio a quoquam ita anathematizetur sancte sedis apostolice filius veluti cuiuscunque subiecte aecclesie discipulus.
165 PL 151, col. 292 : Episcopis vero, in quorum diocoesibus vestrae sunt facultates, omnino non liceat de vestris monachis aut monasteriis judicare. Salvo canonico jure, quod in eis hactenus habuerunt. Si quid autem causae in eos habuerint, te tuosve successores, appellent. Quod si pervos lis nequiverit definiri, ad sedem apostolicam referatur, ejus solius, vel legati ejus judicio definien
166 Le port des insignes épiscopaux (mître, dalmatique, sandales et gants) par l’abbé de Cluny est confirmé par Urbain II le 16 mars 1095 (PL 151, col. 412), Pascal II le 17/10/1109 (PL 163, col. 263) et le 7 nov. 1114 (PL 163, col. 359), Gélase II le 16 déc. 1118 (PL 163, col. 510) ; le choix de l’évêque pour la consécration du chrême dans le monastère, concédé par Urbain II le 17 avril 1097 (PL 151, col. 493), et ce plus spécialement le jeudi saint : Pascal II le 28 oct. 1105 (Bull. p. 211, col. 2) et le 16 oct. 1109 (Bull. p. 36, col. 2, no 2 = PL 163, col. 262) ; l’envoi d’un drap blanc (pallium candidum) pour la confection de dalmatiques, par Pascal II le 17 oct. 1109 (PL 163, col. 263).
167 PL 151, 485-488 (= Bull. p. 30-31).
168 D. Poeck, Cluniacensis Ecclesia, notamment p. 68-76.
169 O. Vital, Historia ecclesiastica, XII. 21, éd. M. Chibnall, t. VI, p. 268-272.
170 COD, p. 166-170.
171 PL 151, col. 485-488.
172 PL 163, col. 51-53.
173 Bull. Cal. II, no 143, p. 209-212.
174 PL 151, col. 487 : Liceat quoque vobis seu fratribus in ecclesiis vestris presbyteros eligere, ita tamen ut ab episcopis, vel ab episcoporum vicariis animarum curam absque venalitate suscipiant, quas si committere illi, quod absit, ex pravitate noluerint, tunc presbyteri ex apostolicae sedis benignitate officia celebrandi licentiam assequantur.
175 Cette question a été très étudiée. En plus des études fondamentales de U. Berlière, « L’exercice du ministère paroissial » (notes pertinentes sur Cluny, p. 239-241) et de P. Hofmeister, « Mönchtum und Seelsorge », on retiendra G. Constable, « Monasteries, Rural Churches » (panorama très clair sur Cluny, p. 369-370), B. R. Kemp, « Monastic Possession of Parish », P. Toubert, « Monachisme et encadrement religieux ».
176 Concile Latran I, canon 16, COD, p. 169.
177 PL 151, col. 487 : Ecclesiarum vero, seu altarium consecrationes ab episcopis in quorum diocoesibus sunt, locorum vestrorum fratres accipiant ; siquidem gratis ac sine pravitate voluerint exhibere. Alioquin a catholico, quem malueritis, episcopo consecrationum ipsarum sacramenta suscipiant.
178 PL 163, col. 52 : Praecipimus etiam ut omnes ecclesiae seu capellae et coemeteria libera sint, et omnis exactionis immunia praeter consuetam episcopi paratam [et] justiciam in presbyteros, si adversus ordinis sui dignitatem ostenderint ; exceptis nimirum ecclesiis illis, quae absque huiusmodi subjectione in abbatis potestate subsistunt. Le mot [et] est absent de l’édition de la PL et rend la phrase peu compréhensible, mais il est présent dans toutes les confirmations ultérieures de ce privilège.
179 G. Schreiber, Kurie, II, p. 196, cite cet article en exemple des monastères pour lesquels l’exemption ne s’applique pas à la totalité de ses « Eigenkirchen ».
180 Le seul privilège qui reprend mot pour mot la clause du 15 novembre 1100 est adressé par Pascal II lui-même quelques jours après sa première bulle, soit le 20 novembre 1100 : PL 163, col. 57.
181 Bull. Cal. II, no 143. J’examine en détail dans le chapitre 3 les différentes clauses de ce privilège, l’emprise du territoire exempt et son articulation avec les autres espaces de la domination clunisienne.
182 G. Schreiber avait bien compris la situation duale de l’exemption clunisienne et notait sa particularité. Il indiquait que contrairement aux ordres Camaldule, Vallombrosain et Chartreux, Cluny n’a obtenu le droit de consécration que pour le monastère et la villa alors que ces ordres l’ont obtenu pour tous leurs monastères : G. Schreiber, Kurie, I, p. 176 et II, p. 201, n. 3.
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