La politique et l’intrication entre confession religieuse, sexe et police (Bahreïn)
p. 87-116
Texte intégral
1Mon intérêt pour les corporéités genrées dans les espaces urbains durant les révolutions arabes est apparu en regardant des vidéos et des photographies de masculinités contrastées prises au Bahreïn, au début de l’année 20111. Les images les plus frappantes étaient celles de jeunes hommes désarmés, en jeans, souvent torse nu, bras et mains en l’air, en un appel pacifique à la police. Occupant les avenues impeccables du quartier des affaires du centre de Manama, la capitale du pays, ils faisaient face à des véhicules militaires sophistiqués et à de nombreux policiers entièrement armés, équipés de boucliers et de casques, généralement devenus citoyens par naturalisation et ne parlant pas arabe. De telles scènes ont coexisté avec de grandes manifestations tout aussi remarquables, organisées par l’association nationale islamique al-Wefaq, lors desquelles femmes et hommes marchaient séparément. Ces images contrastées montraient des femmes et des jeunes filles voilées et en robe noire qui marchaient d’un côté des grandes artères, séparées – par une ligne parfois invisible – des garçons et des hommes aux styles vestimentaires variés et colorés qui avançaient en parallèle. La superficie limitée du Bahreïn, la ségrégation résidentielle par appartenance confessionnelle et par classe sociale, la mauvaise distribution des ressources et une culture de ségrégation des sexes post-1979, inspirée par la révolution iranienne, mettent constamment en avant ces dynamiques corporelles et spatialisées. J’avance que les frontières entre les sexes et les confessions sont de plus en plus « intriquées2 ». Elles ont agi les unes à travers les autres de manière croissante à mesure que le long affrontement entre la majorité des citoyen.nes et les dirigeants d’Al Khalifa, la famille régnante au Bahreïn, s’intensifiait au cours de la révolution du 14 février, également appelée « révolution de la Perle ». Loin d’avoir rendu la société plus conservatrice, ces intrications ont paradoxalement contribué à ébranler les normes et les corporéités genrées dans l’espace public, aussi radicalement que l’avait fait la révolution iranienne de 1979.
2Je conçois le confessionnalisme sectaire comme le produit, à l’instar du racisme, des processus de « racialisation » qui transforment la différence (Omi & Winant, 1986, 1994), dans ce cas la différence religieuse, en inégalités et en violence. L’approche dite de la « formation raciale », développée par Michael Omi et Howard Winant pour comprendre l’histoire raciale des États-Unis et revisitée de nombreuses fois depuis la première publication de leur livre en 1986, remet en cause les conceptions catégorielles de la différence (comme entre les « les chiites » et « les sunnites ») en s’intéressant aux processus institutionnels, en particulier ceux financés par l’État, qui « s’accumulent au fil du temps historique pour façonner à la fois la structure sociale racialisée et notre structure psychique en tant que sujets racialisés » (Omi & Winant, 2008, p. 1567). La « formation raciale » part du principe que la race n’est « ni essence ni illusion », un jugement qui s’applique aussi aux différences ethniques, linguistiques et religieuses (Kandaswamy, 2012, p. 23). Zaheer Baber examine les formes violentes de communalisme religieux en Inde à travers le prisme de la racialisation, arguant de l’existence de « similitudes structurelles et idéologiques » entre les conflits religieux et raciaux (2004, p. 702-703). Trop souvent, affirme-t-il, les explications des actes de violence intercommunautaire reposent sur la « logique interne » des religions et en « minimisent » ainsi les facteurs institutionnels, comme les lois (p. 706). Il s’agit d’un rare exemple de recherche universitaire utilisant l’approche de la formation raciale dans des contextes non états-uniens. Dans l’exemple de Baber, comme dans de nombreux exemples de confessionnalisme au Moyen-Orient, les identités sont racialisées « à travers la construction et le déploiement d’un discours identifiable portant sur des différences immuables et quasi biologiques », malgré leur caractère indiscernable sur la base du phénotype ou de la morphologie (p. 711)3. Dans une étude comparable portant sur la violence au Mont-Liban au milieu du xixe siècle, Ussama Makdisi donne à voir la modernité d’une « culture du confessionnalisme », interrogeant les explications historiographiques linéaires axées sur le progrès qui attribuent le confessionnalisme au primordialisme et au tribalisme (2000, p. 5-7). Analyser le conflit au Bahreïn à travers le prisme de la racialisation – la formation confessionnelle étant comprise ici comme similaire à la formation raciale, même quand les mots arabes pour « race », comme jins et irq, ne sont pas utilisés explicitement – permet de voir comment la confession, l’ethnicité, la religion et la citoyenneté deviennent des ressources pour la construction de frontières catégorielles, facilitant la répression, l’extraction de surplus et le maintien du régime au Bahreïn et ailleurs.
3Au cœur de l’intrication confession-sexe-police au Bahreïn, le genre et la sexualité s’avèrent des ressources majeures, à la fois symboliques, incorporées et institutionnelles, dans les processus de racialisation confessionnelle. Comme le souligne Priya Kandaswamy, l’ouvrage Racial Formation d’Omi et Winant néglige le genre et naturalise la différence sexuelle, malgré la centralité du genre et de la sexualité dans les processus de formation raciale (2012, p. 24-25, p. 40). La recherche sur le confessionnalisme au Moyen-Orient oblitère également la centralité du sexe et du genre dans la production et dans le maintien de ces frontières. Le confessionnalisme et le racisme sont similaires en ce qu’ils s’appuient sur des formes juridiques étatiques et non étatiques pour restreindre le métissage et contrôler le comportement sexuel et genré, le mariage et le divorce. À partir des travaux de Jacques Rancière, j’entends par police tout système de séparation, de partition et de distribution du sensible conçu pour produire des hiérarchies et des inégalités, et par politique les transgressions collectives, en actes, de ces systèmes et partages du sensible (1998, 2001 ; 2011). La police au Bahreïn s’appuie sur un discours confessionnel, des politiques de naturalisation racialisées, des forces de sécurité dominées par des non-Bahreïni.es et des formes de violence et de contrôle sexuées et sexuelles. À l’opposé, la révolution de la Perle a mis en place une politique faite de nombreuses pratiques et transgressions émancipatrices qui ont produit de nouvelles manières d’occuper l’espace, de nouveaux imaginaires et subjectivités genrés. L’attention portée à la visibilité, à la corporéité et aux actes symboliques dans l’espace – pratiques vestimentaires, expressions orales, productions visuelles et sonores militantes – a révélé la politique et les logiques d’intrication confession-sexe-police au Bahreïn.
4Mener des recherches indépendantes dans un État hautement répressif comme le Bahreïn est pour le moins difficile. L’expression, publique comme privée, est sous étroite surveillance étatique, que ce soit dans les courriels, par téléphone, sur Twitter, Internet, Facebook, YouTube ou Skype, dans les cybercafés, dans la rue et même dans les espaces communautaires chiites comme les matams4. Les ministères bahreïnis utilisent pour ces pratiques le renseignement humain, les technologies de filtrage, les programmes de ciblage électronique, les caméras de surveillance, les aérostats de surveillance et les logiciels de reconnaissance faciale5. L’expression d’opinions antirégime par les Bahreïni.es peut les conduire à la prison, à la torture, à l’exclusion de postes dans la fonction publique ou le secteur privé, à des restrictions sur les voyages internationaux et à la déchéance de citoyenneté. Mon visa touristique pour le Bahreïn qui devait me permettre de mener mes recherches a été annulé dans la semaine qui a suivi son approbation par le ministère de l’Intérieur, le 17 juin 2013, soit quatre jours avant la date prévue de mon voyage, sans qu’aucune raison ne m’ait été fournie par l’ambassadeur du Bahreïn à Washington ni par le ministère de l’Intérieur du Bahreïn à Manama. Ce chapitre s’appuie donc sur des entretiens non directifs, en grande partie enregistrés, avec 10 enquêté.es qui se sont tenus en Angleterre en juillet 2013, hommes et femmes à parts égales, ainsi que sur des discussions informelles et des observations, notamment lors de deux événements de la communauté bahreïnie à Londres. Il se nourrit enfin de conversations téléphoniques et de courriels avec des activistes et des enquêté.es. La plupart des citations ne sont pas attribuées par crainte de représailles. J’analyse également des matériaux – images et textes – recueillis auprès de médias indépendants, de sites internet du régime et de l’opposition, de pages Facebook, de chaînes satellites, de chaînes YouTube et de flux Twitter.
5Dans ce chapitre, j’utilise en premier lieu une approche historique pour analyser les dynamiques régionales et locales et les règles relatives aux inégalités et aux logiques de distinction fondées sur la confession, la classe, la citoyenneté et le genre au Bahreïn. Je propose ensuite un récit de la fabrique de la politique au cours de la révolution du 14 février, en prêtant une attention particulière à l’espace et au corps. Je traite enfin du rôle crucial de l’action symbolique et discursive dans la révolution de la Perle et j’examine les tournants majeurs et les peurs relatives au genre pour étayer mon argument en faveur d’une intrication confession-sexepolice au Bahreïn.
Mécanismes de contrôle dans un État capitaliste aux mains de la famille régnante
6Au Bahreïn, les inégalités proviennent de la citoyenneté, de l’autochtonie, de l’appartenance religieuse, de l’ethnicité, du genre, de la classe ou encore du patrimoine. Le Bahreïn est un État situé en Asie du Sud-Ouest, à la longue histoire de circulations et de passages. Les corps et les espaces y sont néanmoins séparés, contenus et distribués par un certain nombre de dispositifs modernes. Ces enfermements et subjectivations ne sont pas seulement imposés par le haut ; ils agissent à travers les corps, les esprits, les sentiments et l’espace à de multiples niveaux6. Ces enfermements sont occasionnellement rompus dans la vie quotidienne lors de moments historiquement significatifs.
7Un régime autoritaire arabe sunnite, sous l’égide de la famille Al Khalifa, dirige ce pays, à l’intérieur duquel la majorité des 700 000 citoyen.nes sont des Arabes chiites7. Parmi les 1,2 million de personnes résidant au Bahreïn, la moitié environ est dépourvue de la citoyenneté. C’est notamment le cas des travailleuses et travailleurs originaires d’Asie du Sud, dont les parcours migratoires sont structurellement itinérants tout en s’inscrivant dans la durée (Gardner, 2010)8. Le régime distribue les ressources et manipule les règles de citoyenneté pour renforcer, sur le plan démographique, la subordination des Bahreïni.es d’origine chiite, qu’il considère comme déloyaux. Ces procédés alimentent à leur tour un sentiment d’inégalité et des revendications parmi les chiites, notamment en comparaison avec les hommes étrangers et leurs familles.
8Sheyma Buali montre comment l’espace bâti au Bahreïn « cartographie les marges » (2013) : il est révélateur de formes racialisées et classistes de partition et d’enfermement par le biais des quartiers résidentiels et des types de logements dont la disponibilité et la qualité dépendent de la confession, de l’ethnicité, du statut de citoyenneté et de la classe sociale. Cet enfermement se traduit concrètement par des postes de contrôle, des patrouilles et des barricades, permanents ou mobiles ; et par de la cybersurveillance et d’autres formes de contrôle. La famille régnante privatise la terre et l’eau à son profit et investit peu dans la santé, l’éducation et les infrastructures pour la majorité des Bahreïni.es9. Le cadre spatial a été transformé depuis la fin des années 1990 pour inclure des villes et des îles bâties sur des remblais et gagnées sur la mer, sous-traitées par l’État à des promoteurs étrangers. Le royaume offre désormais des horizons parsemés d’icônes de la financiarisation, des centres commerciaux, de faux ports et de vastes lotissements et zones résidentielles clôturées pour les riches – ce qu’un Arabe non bahreïni qui voyage souvent au Bahreïn nomme « des bulles dans les bulles ».
9« La vision économique pour le Bahreïn de 2030 » (Bahrain Economic Vision 2030) présente le Bahreïn comme « favorable aux entreprises » (business friendly), un slogan placardé sur les taxis londoniens en 2010. Mais comme me le fait remarquer Buali, les bâtiments présentés dans ces « paysages générés par ordinateur » n’existent pas en réalité10. Cette présentation entrepreneuriale du projet gouvernemental, avec site internet et images de synthèse, exprime une modernité capitaliste, dont les exclusions et dépossessions qui la sous-tendent sont invisibilisées. De même, depuis 2006, le projet de nouvelle ville, « Northern Town », qui vise à résoudre la crise du logement pour la grande majorité des Bahreïni.es, n’existe que sous la forme d’un plan et d’une série d’images11. Les espaces résidentiels et de consommation de luxe qui existent réellement incluent notamment le programme de logements privés sur l’île d’Amwaj12. Construites pour les expatrié.es, ces résidences s’adressent seulement aux Bahreïni.es et aux non-Bahreïni.es aisé.es13. En revanche, les villes et villages à majorité chiite sont « encerclés et sécurisés », selon les termes d’un jeune universitaire bahreïni, et ils connaissent un enfermement dénué de tout luxe.
10La ségrégation résidentielle entre les villages et villes à majorité chiite ou sunnite ainsi que les clivages culturels entre monde urbain et monde rural correspondent souvent aux divisions de classe au Bahreïn (Fuccaro, 2000)14. Selon Abdulhadi Khalaf, Manama, la capitale, a longtemps « été cosmopolite, dans le sens où, si les quartiers étaient généralement ségrégués, il y avait toujours quelques maisons qui appartenaient à telle ou telle famille de l’autre bord ». Un jeune révolutionnaire souligne qu’un aspect idéologique de ce clivage entre ville et campagne a disparu après le 14 février 2011 :
Les familles qui vivent à Manama sont généralement citadines, avec un niveau d’éducation important, et restent éloignées des mouvements sociaux. Alors que dans les villages, les familles sont généralement composées d’ouvriers ou de paysans qui étaient bien plus impliqués politiquement. [...] Lors du dernier mouvement révolutionnaire, cette division a cédé parce que l’État a pris pour cible tout le monde, y compris les marchands chiites de Manama, qui étaient autrefois des alliés de la dynastie régnante15.
11Les emplois de la fonction publique sont distribués de manière à renforcer la richesse et le pouvoir du régime, à protéger les dirigeants contre les coups d’État et à réduire les possibilités de solidarité entre confessions, classes et orientations idéologiques (Khuri, 1980, p. 123-133). Selon Abdulhadi Khalaf, les emplois dans les travaux publics sont « dominés par les ouvriers sunnites », tandis que les « balayeurs, les aides-soignants et les ouvriers » dans les services d’électricité et de santé sont en grande partie chiites. D’autres processus de formation confessionnelle sont à l’œuvre au sein des institutions de maintien de l’ordre. En effet, lorsque l’armée de défense du Bahreïn a été créée en 1968, tous les officiers étaient des hommes de la famille régnante, tandis que les soldats de base étaient largement représentatifs des hommes bahreïnis. Au fil du temps, cependant, les activités d’entretien dans l’armée ont échu aux hommes chiites et les postes de soldats aux hommes sunnites. Alors que la force de police féminine du Bahreïn, créée en 1970, comprend des Bahreïnies chiites et sunnites (Strobl, 2008), la force de police masculine, beaucoup plus importante, exclut les Bahreïnis chiites et s’appuie sur des hommes sunnites d’origine bahreïnie et non bahreïnie. Les policiers sont recrutés à l’étranger, ils sont formés et ils se voient offrir une « naturalisation politique » (la citoyenneté) ainsi qu’un logement pour assurer leur loyauté. Ces pratiques transforment la démographie du Bahreïn, elles durcissent les clivages raciaux et défavorisent davantage les Baharna16. Elles engendrent également des divisions importantes entre d’une part les hommes des forces de police, qui souvent ne parlent pas l’arabe, et d’autre part la population soumise à la police17. D’après Khalaf, ce cloisonnement institutionnalisé est nécessaire parce que le pays est « trop petit pour maintenir une ségrégation physique ».
12Au Bahreïn, à la différence de ce qui a cours en Arabie Saoudite, située à moins de 20 kilomètres, les femmes conduisent et occupent des postes politiques et professionnels de haut niveau dans la plupart des secteurs économiques. Contrairement à l’Arabie Saoudite et aux Émirats arabes unis, les salles de cours sont mixtes à l’université18. Cependant, comme dans une grande partie de la péninsule arabique inférieure, l’habitus de ségrégation des sexes et de domination masculine du Bahreïn s’exprime à travers les environnements bâtis, les institutions sociales et politiques et les pratiques quotidiennes. Dans les bus, les femmes s’asseyent à l’avant et les hommes à l’arrière, bien que les personnes aisées évitent complètement les transports publics, qu’elles associent à un statut social inférieur. La ségrégation des sexes est une pratique habituelle et acceptée comme allant de soi dans la plupart des contextes.
13Néanmoins, les relations et les discours relatifs au genre semblent moins misogynes et patriarcaux qu’ils ne le sont dans les contextes plus ou moins mixtes que j’ai étudiés en Égypte, en Jordanie, dans les Territoires palestiniens occupés et aux Émirats arabes unis. Le harcèlement sexuel verbal et physique subi par les filles et les femmes dans l’espace public est rare au Bahreïn19. Une informatrice bahreïnie qui a été incarcérée observe : « Dans les manifestations, et surtout dans des circonstances difficiles quand on est arrêtée, on n’est pas confrontée à un environnement sexualisé. Je ne sais pas ce qui l’explique. » Un trentenaire chiite, conservateur sur le plan religieux, a convenu que la situation au Bahreïn diffère de celle des pays arabes environnants en ce qui concerne les questions relatives au genre. Semblant réaliser la portée de ses paroles tout en répondant à ma question sur la culture du genre au Bahreïn, il a précisé que, dans son enfance, la personne enseignant le Coran (al-mu’allima) dans les villages « était généralement une femme. Entre mes 6 et 9 ans [au début des années 1980], j’ai appris le Coran avec une femme ». Lorsque je lui ai demandé pourquoi, il a répondu : « C’est peut-être parce qu’elle savait lire et qu’elle était plus instruite que les hommes du village, donc elle enseignait aux garçons et aux filles. » De tels récits indiquent l’importance d’une compréhension contextualisée plutôt que linéaire des rapports de genre au Bahreïn.
14Hussain al-Shabib, un militant des droits humains âgé d’une vingtaine d’années, a souligné qu’avant 1980 les sociabilités mixtes « étaient normales » :
Mon père m’a raconté que lorsqu’il se rendait chez ses amis, leurs mères et leurs sœurs s’asseyaient avec eux sans hijab, portant des mishmars [châles colorés]. En comparant récemment des photographies de famille de mes grands-mères et de ma mère, j’ai remarqué sur l’une d’elles ma grand-mère, jeune, portant une coiffe fantaisie [non religieuse], dans la rue, près d’une voiture, dans un groupe.
15Hussain al-Shabib lui a demandé sur un ton taquin : « Grand-mère, où était-ce ? » Elle a répondu : « Non, non, non ! Personne ne pouvait nous voir ! » Contrairement à cette faible culture de ségrégation des sexes des années 1970 indiquée par les vêtements de sa grand-mère, sa mère « porte un hijab et une abaya [robe noire] dans les années 198020 ». Les Bahreïni.es chiites, poursuit-il, ont été
définitivement affecté.es par la révolution iranienne. Dans mes cours de religion quand j’étais enfant [à la fin des années 1990], la plupart des leçons portaient sur le thème « ne parlez pas avec les femmes, c’est haram. Il faut qu’il y ait ségrégation. Il est interdit de s’asseoir, comme nous le faisons là, avec une femme étrangère, bla, bla, bla ». Ils nous ont fait croire que la religion tourne entièrement autour de ces questions. Ma grand-mère est religieuse, mais avec la religiosité de nos grands-parents, très éloignée de celle de ma mère, élevée dans un islam très différent. Même ma grand-tante est plus ouverte [que la jeune génération], et elle a donné à sa fille le nom [d’une chanteuse libanaise]. Nous avons été choqué.es quand elle nous l’a dit. Nous avons été élevé.es dans l’idée que chanter est haram. « Comment as-tu pu nommer ta fille en l’honneur d’une chanteuse ? »
16Au Bahreïn, les droits des femmes sont instrumentalisés par le gouvernement pour renforcer les divisions confessionnelles entre un régime non démocratique masculiniste et la majorité Baharna, dont la principale organisation d’opposition est également masculiniste et dirigée par des hommes. La plus grande mobilisation politique au Bahreïn avant février 2011 s’est produite le 5 novembre 2005, lorsque 100 000 Baharna ont défilé pour protester contre une campagne visant à permettre aux parlementaires et aux personnes nommées par l’État de codifier le droit de la famille, en fusionnant les systèmes de jurisprudence sunnite et chiite. Pour les chiites pieux, la codification aurait marqué un basculement : l’autorité religieuse provenant de sources vénérées au Liban, en Irak ou en Iran émanerait dorénavant de lois et politiques produites à Manama, par un gouvernement qui ne les représente pas. Le roi Hamad bin Khalifa a ainsi utilisé la menace de la codification contre l’association politique d’opposition al-Wefaq chaque fois que les Bahreïni.es chiites ont fait pression pour obtenir plus de droits politiques. De nombreux.ses activistes sunnites et chiites des droits des femmes ont soutenu cette réforme en 2005, arguant de l’injustice, de la misogynie et de la corruption dans les affaires de mariage, de divorce et de garde d’enfants dans les tribunaux de la charia, où les juges masculins utilisent un « raisonnement indépendant » fondé sur la jurisprudence islamique. Ces militant.es avaient des allié.es parmi les parlementaires, sunnites comme chiites. La plupart des érudits religieux chiites du Bahreïn, tous des hommes, étaient contre la codification car elle aurait miné les institutions cléricales chiites (Russell Jones, 2010, p. 2-18, p. 177-178, p. 210).
17Finalement, c’est uniquement pour les Bahreïni.es sunnites que la loi sur le mariage a été codifiée, en mai 2009. Comme l’a dit lors d’un entretien un Bahreïni non religieux, militant des droits humains et âgé d’une vingtaine d’années, le régime excelle dans l’art de revendiquer stratégiquement sa « modernité » en matière de genre, mais
lorsqu’il s’agit de problèmes concrets liés aux femmes, il en fait une monnaie d’échange avec l’opposition parce qu’il sait qu’il peut appuyer sur le bouton de l’appartenance communautaire... Si vous êtes étranger à ces questions, vous pouvez vous dire « Mon Dieu, oui, le gouvernement a le droit d’élaborer ce Code [de la famille]. Pourquoi al-Wefaq s’oppose-t-elle aux droits du peuple ? » Mais si vous regardez de plus près, vous voyez qu’ils ont utilisé le Code de la famille comme une monnaie d’échange politique et que l’opposition a été assez bête pour entrer dans leur jeu21.
18Les différences confessionnelles ont rarement conduit à des affrontements soutenus au Bahreïn, et ces affrontements ont rarement été déclenchés simplement par l’appartenance confessionnelle (Louër, 2012, p. 102 ; Khuri, 1980, p. 194-197 ; Fuccaro, 2009, p. 151–160). Comme dans d’autres formations racialisantes, les différences entre sunnites et chiites sont attisées par des pratiques et des systèmes institutionnels, des faits divers et leur mise en récit, jusqu’à produire un confessionnalisme sectaire. Des cyberactivistes dans la vingtaine et la trentaine ont rapporté, lors d’entretiens, que dans la décennie précédant 2011, d’intenses attaques confessionnelles ont été lancées par les forces prorégime, en grande partie dans les espaces numériques et les médias financés par l’État. Des images et documents écrits ont déclenché des « guerres de commentaires en ligne, dont l’ampleur a été multipliée par mille » depuis 2011. Les attaques contre les Bahreïni.es chiites expriment fréquemment le racisme par la sexualisation. En ce qui concerne l’environnement bâti, le sectarisme a atteint un niveau sans précédent depuis le 14 février 2011, alors que des sanctuaires, des mosquées et des cimetières ont été détruits ou vandalisés par le régime ou les forces prorégime22. Des « personnalités publiques sunnites » ont pour la première fois appelé au boycott économique de certaines entreprises appartenant à des chiites (Louër, 2012, p. 102).
Dans le Golfe, il n’y a pas de place publique
19Pour les activistes bahreïni.es, le conflit avec le régime tourne largement autour de l’existence d’une majorité privée de droits qui s’exprime à travers la perturbation et la transgression de l’espace, des lieux et du discours dominant. Les mobilisations révolutionnaires en Tunisie et en Égypte ont offert une occasion indéniable de construire le monde collectivement, en particulier après le 25 janvier 2011, date à laquelle, dans la foulée de la Tunisie, l’Égypte connaît ses premières manifestations contre Hosni Moubarak. Comme le dit un militant de gauche d’une vingtaine d’années : « Rien qu’à la pensée que nous pourrions être les troisièmes à descendre dans la rue – nous étions impatients [ma sadaqna] ! » Les activistes ont choisi le 14 février comme date de mobilisation parce qu’elle marquait le dixième anniversaire d’un référendum qui a approuvé, à une écrasante majorité, la Charte d’action nationale, censée instaurer un régime constitutionnel dans le pays, proposée à la fin de l’année 2000 par le dirigeant nouvellement installé, l’émir Cheikh Hamad bin Isa Al Khalifa, autoproclamé roi en 200223.
20Quant au choix de la localisation, l’activiste et intellectuelle bahreïnie Alaa al-Shehabi explique :
Un type a commencé à mener une étude de terrain, en demandant : « Où est notre Tahrir ? » Dans le Golfe, il n’y a pas de place publique, d’espace public qui ait une histoire ou une signification. Il a étudié différents lieux et a plaidé sur Bahrain Online (Multaqa bahraîn) [qui comptait alors 50 000 membres]24 en faveur du rond-point de la Perle, compte tenu de ses nombreuses voies d’accès – et de sortie – et du caractère symbolique de son monument central. Les gens ont commencé à lancer d’autres idées, à les critiquer et à voter pour trois lieux. L’idée était que, idéalement, si nous pouvions occuper un lieu, ce serait le rond-point de la Perle, étant donné son accessibilité depuis les villages. Mais les gens n’étaient pas d’accord sur la stratégie à adopter : devions-nous tous nous rassembler au rond-point de la Perle ou devions-nous commencer dans nos quartiers et essayer de rejoindre le rond-point de la Perle ? Il n’y avait pas de consensus à ce sujet.
21Le choix du rond-point au monument emblématique de la Perle, composé de six branches blanches massives représentant des voiles de bateau et portant une perle, a une portée ironique : il a été construit par le régime Khalifa en 1982 en hommage aux six gouvernements royaux du Conseil de coopération du Golfe (CCG) et en prévision de la troisième réunion de celui-ci, à Manama.
22La « Déclaration du 14 février de la jeunesse bahreïnie pour la liberté » a été publiée le 3 février 2011 à 1 h 33 du matin sur la page Facebook de Bahrain Online. La déclaration « appelle le peuple du Bahreïn à descendre dans la rue » et à choisir « un lieu central et animé, facile à atteindre dans la capitale ». À plusieurs reprises, la rhétorique de la mobilisation, communiquée par les graffitis et Twitter, a appelé à l’unité au-delà des différences de confession, d’ethnie et de classe. Des militant.es bahreïni.es ont organisé une manifestation de solidarité avec les Égyptien.nes devant l’ambassade d’Égypte à Manama le 4 février et se sont joint.es aux expatrié.es égyptien.nes devant l’ambassade le 11 février pour célébrer la démission du président Hosni Moubarak25. Le 14 février, des manifestations et actions de contestation ont eu lieu dans au moins 27 villages. Al-Shehabi explique :
les habitant.es entendaient une rumeur selon laquelle des gens sortiraient à 8 h 00 du matin d’une mosquée en particulier. Vous ne pouviez jamais savoir qui avait fait l’appel ni s’il était authentique, vous vous présentiez simplement. Quelqu’un disait « Allah akbar » et les gens commençaient à marcher, et d’autres sortaient de partout pour les rejoindre. C’est comme ça que ça s’est passé. J’ai vu des gens marcher, alors j’ai commencé à marcher avec eux.
23Le 14 février, en fin d’après-midi, la police a tiré dans le dos d’Ali Abdulhadi Mushaima, âgé de 21 ans, alors qu’il rentrait chez lui dans le village de Daih après une manifestation26. Le matin du 15 février, quelques centaines de personnes endeuillées ont attendu, en présence de la police et dans une ambiance délétère, devant la morgue du centre médical de Salmaniyya, à Manama, pour accompagner le corps de Mushaima en procession et l’enterrer. La police a lancé des gaz lacrymogènes et tiré sur ce cortège funéraire à l’extérieur de l’hôpital, tuant Fadhel al-Matrook, 31 ans, originaire de Isa Town, et blessant d’autres personnes27. La nouvelle s’étant répandue, des milliers de personnes se sont jointes au cortège funéraire de Mushaima qui se dirigeait vers Daih. Après l’enterrement, un « murmure » a circulé, encourageant les manifestant.es à poursuivre : « Allons au rond-point. Nous l’avons enterré, mais nous n’en avons pas fini. » Ces personnes ont alors marché 1,5 kilomètre pour retourner à Manama, par une route dont elles ont été surprises de constater qu’elle était restée ouverte, et sont arrivées en début d’après-midi pour un rassemblement sans précédent, qui s’est transformé en campement28.
24C’est dans la soirée du 16 février que la Coalition des jeunes de la révolution du 14 février a été établie, sur le rond-point, d’après un activiste qui a participé à sa fondation, « bien qu’elle ne soit pas apparue publiquement avant le mois de mars29 ». Selon lui, l’association al-Wefaq n’a pas demandé « l’autorisation du rond-point [takhwîl min al-dûwâr] pour se présenter comme notre représentante. Nous avons donc essayé d’établir cette logique de représentation en formalisant les revendications de jeunes qui ont été finalisées entre le 18 et le 19 février ». Ces revendications ont émergé des négociations qui ont eu lieu entre les jeunes activistes et « la majorité des groupes et personnalités de l’opposition au Bahreïn »30. Un membre de l’Association nationale d’action démocratique, la plus grande organisation de gauche du pays, a recueilli des déclarations de soutien au document auprès d’individus et d’associations politiques, « créant ainsi un état de fait ». Par la suite, « la machine s’est mise en route et les choses se sont mises à tourner sur Bahrain Online, où nous n’avions pas notre mot à dire ». Selon cet informateur, « l’opposition à Londres n’a pas approuvé la déclaration » parce qu’elle était trop modérée. À la satisfaction des activistes du rond-point, ces revendications constituèrent la base « des sept points de négociation annoncés par le prince héritier le 13 mars 2011 ».
25Malgré les différences générationnelles et idéologiques entre al-Wefaq et les militant.es de la Coalition des jeunes de la révolution du 14 février, et bien que des tensions apparaissent occasionnellement dans les entretiens et les récits publiés, les différences entre les tendances de l’opposition à l’intérieur du Bahreïn ont parfois été surestimées31. Les principales tensions idéologiques se situaient en effet entre des leaders de l’opposition installés à Londres et les activistes vivant au Bahreïn. Comme le fait remarquer un autre révolutionnaire,
toutes ces choses sont entremêlées au Bahreïn. Il est impossible, par exemple, de distinguer clairement les sympathisants d’al-Wefaq de ceux de la Coalition du 14 février ou d’autres groupes. Nous ne pouvons pas déterminer l’espace occupé par chacun ni son nombre de membres. En ce qui concerne la Coalition du 14 février, c’est un point incertain [shaghla ghamitha] parce que rien [ni le nombre de membres ni le leadership] n’est clair pour personne.
26Le 17 février, avant l’aube, la police a violemment évacué le campement du rond-point, tuant quatre personnes et une autre le lendemain et blessant des centaines de personnes. La police s’est retirée le 19 février, et les manifestant.es ont arraché les barbelés et occupé à nouveau le rond-point32. Après ce « coup », les activistes « ont coupé les communications entre eux parce que nous ne connaissions même pas certaines des personnes qui étaient parmi nous. Nous étions très inquiet.es de savoir s’il n’y avait pas des espions [dabbûs] ».
27Le 22 février, en fin d’après-midi, des dizaines de milliers de Bahreïni.es ont afflué au campement du rond-point de la Perle lors d’une marche organisée par al-Wefaq, exigeant la démission du Premier ministre de longue date et la fin du règne des Khalifa33.
28Le 14 mars, à l’invitation de certains dirigeants Khalifa, le CCG a envoyé au Bahreïn les forces du « Bouclier de la péninsule », composées d’environ 1 000 gardes nationaux saoudiens et 500 policiers émiratis. Ils sont entrés par le pont du Roi-Fahd, long de 16 kilomètres, qui relie l’Arabie Saoudite et le Bahreïn, et ont attaqué le campement du rond-point de la Perle le 15 mars34.
29Le 18 mars, au cours d’une opération sidérante, longue de trois heures, les forces de l’État ont démoli le monument de la Perle lui-même, le jugeant trop dangereux pour le conserver (Chulov, 2011)35. Les forces policières et militaires ont barricadé la zone, qu’elles ont rebaptisée « carrefour al-Farooq », bien qu’elle soit restée fermée à la circulation. Elles ont en outre imposé un cordon de sécurité autour de Manama.
Résister, redéfinir et cybermédiatiser
30Le monument de la Perle, aujourd’hui détruit, est représenté parfois avec des éclaboussures de sang et un drapeau bahreïni étiqueté « place des martyrs » dans des images désormais omniprésentes au Bahreïn et sur Internet. Dans un brillant essai, Amal Khalaf décrit comment les médias étrangers anglophones, désireux d’établir un parallèle narratif avec la place Tahrir du Caire, ont appelé le rond-point (dûwâr) de la Perle la place (mîdân) de la Perle. Les révolutionnaires bahreïni.es, après avoir raillé cette désignation, ont finalement adopté le mot mîdân pour signifier cette place, à la fois civique et discursive, site d’engagements à plusieurs niveaux. Amal Khalaf montre comment le monument de la Perle détruit continue de vivre « de nombreuses vies posthumes » en tant qu’« image-souvenir » que les activistes bahreïni.es refusent de laisser disparaître (Khalaf, 2013 a ; 2013 b), comme sur le logo de la Coalition des jeunes de la révolution du 14 février.
31Un tournant symbolique s’est produit en 2011 lorsque les forces d’opposition ont encouragé l’utilisation du drapeau rouge et blanc du Bahreïn – redessiné et imposé comme drapeau officiel de l’État par le nouveau roi en 2002 – pour exprimer la nature indigène, non confessionnelle, nationale (watanî) de la révolte. Les Bahreïni.es chiites sont régulièrement accusé.es par le régime et les partisan.es prorégime d’être des traîtres ayant des liens étroits avec les chiites d’Iran, du Liban ou d’Irak. De leur côté, les Bahreïni.es chiites arabes considèrent généralement les Khalifa comme une famille coloniale originaire d’Arabie centrale qui, grâce à l’intervention britannique, a consolidé son contrôle sur la population autochtone depuis plus de deux cents ans. Un révolutionnaire explique pourquoi la réinterprétation du drapeau est remarquable :
Je n’ai jamais reconnu le drapeau bahreïni comme le drapeau national, car il a été imposé par une puissance coloniale. Maintenant, il est devenu notre drapeau par hasard [‘alamnâ bil sudfa]. L’ironie est que, lorsque la répression a commencé, le gouvernement a compté sur l’aide de l’Arabie Saoudite. Pendant la répression, si nous étions pris à un poste de contrôle avec un drapeau bahreïni, il fallait faire preuve d’imagination [dans notre manière de nous justifier]. Avant le 14 février, les manifestant.es portaient régulièrement des drapeaux du Hezbollah ou d’autres drapeaux. Mais les gens ont reçu l’ordre de ne porter aucun autre drapeau que celui du Bahreïn et de ne pas porter de bannières ni de pancartes avec la photo d’une personne.
32Auparavant, parmi les visages masculins représentés communément sur les pancartes des manifestations figuraient des chefs religieux et politiques chiites reconnus du Liban, d’Irak et d’Iran. Néanmoins, poursuit cet enquêté, les révolutionnaires ont été « frappés par le sempiternel refrain du confessionnalisme, de la duperie et de la haute trahison sur lequel le gouvernement s’appuie. Ils étaient démoralisés et ne pouvaient compter obtenir rien d’autre que des balles et des mensonges. Le régime cherchait désespérément à construire la question du confessionnalisme [maûdû“al-tâifîa] en réponse à ce soulèvement. Notre stratégie consistait à limiter autant que possible les occasions de tenir un discours confessionnel », bien que les révolutionnaires n’aient pas toujours atteint cet objectif selon lui.
33La redéfinition du sens et de l’espace à de multiples échelles s’est avérée une orientation manifeste de la révolution de la Perle. Ainsi, le 15 juin 2013, la campagne de mobilisation #Decisive Moment 3, organisée par la Coalition des jeunes de la révolution du 14 février (qui reprenait une action de décembre 201136), a brouillé les divisions entre la maison, le quartier et la rue et a permis d’intégrer au mouvement des personnes moins susceptibles de parcourir des distances importantes depuis leur maison ou leur quartier. Elle a également redéfini le perron comme un site d’action politique collective. En utilisant les graffitis, Twitter et Facebook, la campagne a lancé un « premier appel » à 15 h 15, un « deuxième appel » à 15 h 45 et un « troisième appel » à 17 h 1537. Lors du deuxième appel, les gens ont été invités à « progressivement se rassembler devant leurs maisons, de manière pacifique, sans brandir ni slogans ni banderoles », mais en « meublant » et en occupant les espaces devant leur porte d’entrée. Des familles, des ami.es se sont installé.es devant leurs maisons sur des chaises en plastique ou des matelas pour boire, manger et parler. Lors du troisième appel, les gens ont pris part à des manifestations. Quand j’ai émis l’hypothèse que des méthodes décentralisées permettent une large inclusion, les activistes ont, à l’inverse, insisté sur le fait que leurs stratégies étaient contraintes par un contexte de cloisonnement. La ségrégation résidentielle et le nombre limité de routes menant au cœur du pouvoir à Manama sont considérés comme une « stratégie d’endiguement » du régime, « qui isole et divise les gens dans un petit territoire », selon le sociologue Abdulhadi Khalaf. Il poursuit : « Si j’étais la police, j’accueillerais favorablement les manifestations décentralisées parce que les manifestants [...] perturbent leur espace, mais pas l’espace dans lequel le régime veut s’installer. » Les activistes de la Coalition des jeunes de la révolution du 14 février préfèrent organiser des événements à Manama et à Muharraq pour assurer une visibilité médiatique et enrayer le cours des activités quotidiennes. Les protestations dans ces sites entament le cloisonnement des villages chiites.
34Les activistes ont néanmoins réussi à amplifier la contestation, malgré le cloisonnement géographique, en utilisant YouTube ou d’autres plateformes en ligne pour poster des vidéos et des images de manifestations. Un cyberactiviste a rapporté que chaque village du Bahreïn possède une chaîne YouTube. Le cyberespace est un site central de la politique, comme l’illustre une vidéo de février 2012 montrant de jeunes activistes du village de Sitra attaquant de nuit, avec des cocktails Molotov, le grand poste de police local, une forteresse probablement inoccupée à cette heure-là. La vidéo illustre l’attention accordée d’une part à une mise en scène aux effets de son et lumière nocturnes impressionnants, à l’attention du public internaute, et d’autre part au choix d’un moment où aucun policier n’était susceptible d’être blessé. La vidéo avait été regardée plus de 230 000 fois sur YouTube lorsque je l’ai visionnée en 201438.
Points de bascule, ruptures et tensions dans les politiques genrées des corps
35Il ne fait aucun doute que la révolution du 14 février a ouvert un espace pour « de nouveaux acteurs, de nouvelles strates et de nouveaux groupes », comme l’affirme Alaa al-Shehabi. Les activistes du rond-point de la Perle ont rapidement réalisé que « même l’ancienne opposition faisait partie de la politique officielle », tout comme des organisations telles que le Centre bahreïni des droits humains, car celles-ci
opéraient dans le cadre des contraintes et des limites qui prévalaient avant le 14 février. Avec le soulèvement, des collectifs informels se formaient pour les tâches à accomplir... Mais ils ont réalisé qu’ils avaient besoin d’une nouvelle organisation. Les responsables des comités du rond-point de la Perle se sont donc réuni.es le soir. Nous parlons d’une période très intense qui a duré trois ou quatre semaines. On pouvait voir qu’une nouvelle sphère publique se formait, avec son propre pouvoir... Il y avait clairement des femmes dans les comités, dans la tente médicale, dans la tente des médias, elles étaient partout. Elles étaient très organisées. Lorsque vous partez d’une page blanche, et sur un pied d’égalité, il n’y a pas d’espace pour les anciennes frontières sociales. Ainsi, lorsque al-Wefaq a essayé de venir au rond-point pour dire que nous avions besoin de la ségrégation des sexes, il y a eu une nette résistance dans la foule. Mais il a été décidé que s’il y avait une zone où certaines femmes se sentaient plus à l’aise, c’était bien. La mixité était toujours présente, et personne n’imposait la ségrégation. Au fur et à mesure que la révolution se poursuivait, on voyait combien le militantisme des femmes était source de tensions, avec des déclarations d’al-Wefaq telles que « Je demande instamment à nos femmes respectables de se tenir en retrait [des] affrontements ». Personne ne peut demander à [la militante] Zainab al-Khawaja de se tenir en retrait. Elle va à l’affrontement !
36Comme cela a déjà été mentionné, la ségrégation spatiale entre femmes et hommes est courante dans les grands rassemblements publics organisés par al-Wefaq. La plupart des femmes portent des abayas noires, se couvrent les cheveux et se regroupent derrière ou à côté des hommes pendant les marches. Ces pratiques sont une manifestation visible des notions conservatrices de respectabilité et de bienséance, mais ne représentent pas nécessairement les motivations et subjectivités sexuées ou religieuses des femmes et des hommes. Les abayas sont devenues des uniformes conférant aux femmes un anonymat propice pour que chacune puisse cacher des actions bien moins approuvées par les institutions dominantes39. Ainsi, cette non-mixité et ces tenues vestimentaires masquent l’ampleur du bouleversement qui a secoué les normes spatiales sexuées et les formes acceptables de corporalité, séisme dû aux événements initiés en février 2011. Al-Shehabi, qui se couvre les cheveux, note qu’aujourd’hui lorsque les femmes « sans hijab » subissent des commentaires tels que « Pourquoi diable n’es-tu pas habillée convenablement ? », ces critiques sont souvent le fait d’autres femmes, alors qu’il arrive à des hommes de dire « elle a le droit, elle est libre ». Même dans son village conservateur, où elle ne pouvait « pas sortir sans abaya quand elle était enfant » à la fin des années 1980 et 1990, les normes vestimentaires pour les filles et les femmes se sont « énormément assouplies » depuis 2011.
37Sur l’île de Sitra, où près de la moitié des foyers comptent des hommes ou des garçons en prison, la participation des femmes est « une question de corps, de nombre de corps, et de reconnaissance du pouvoir que les corps ont dans l’espace au Bahreïn... Aussi, c’est vraiment important que les gens se rendent visibles », d’après Amal Khalaf. De fait, les filles et les femmes sont actives : elles construisent des barricades, participent à la grève générale, graffent les murs, font du bruit, scandent des slogans. Elles fabriquent et lancent également des cocktails Molotov, elles perturbent le déroulement du controversé Grand Prix de Formule 1, affrontent la police anti-émeute40. Nonobstant l’utilisation de cocktails Molotov et de bombes incendiaires par certaines filles et femmes, leur activisme est probablement facilité par la nature non militarisée du soulèvement au Bahreïn.
38Hussain al-Shabib a noté que le leadership et la participation des femmes à la révolution du 14 février à tous les niveaux ont été « essentiels » (mihûarî) : « On ne soulignera jamais assez leur importance. Il aurait été impossible de continuer la révolution sans les femmes. » Il existe de nombreux « signes distinctifs » d’un tournant culturel sexué lié au 14 février 2011. Ainsi, le fait que les femmes « qui ne portent pas le hijab sont revenues sur le devant de la scène [raja‘at lal-wâjih] » et que « les préventions de la société contre la présence des femmes qui ne portent pas le hijab ont disparu ». Ce renversement se retrouve, de manière spectaculaire, chez les femmes médecins et les infirmières des deux confessions, cheveux couverts ou découverts, qui, avec des collègues masculins, ont soigné les blessé.es de toutes confessions, les ont protégé.es de la police et des forces de sécurité et se sont exprimées contre le gouvernement Khalifa. Nombre de ces personnels médicaux ont été battus, emprisonnés et torturés et sont devenus des figures nationales à part entière41.
39Un révolutionnaire trentenaire corrobore ce changement des normes de genre en ce qui concerne l’occupation de l’espace :
La génération du 14 février est plus libérale et elle utilise l’espace public avec une plus grande liberté. Il y a dix ans, une jeune femme ne pouvait pas se rendre à une réunion sans être accompagnée de son petit frère. Ce n’est plus vrai aujourd’hui, les filles assistent aux réunions comme tout le monde et vont dans des endroits fréquentés par des hommes et des femmes, comme le café Costa. Cela est vrai même pour les familles les plus conservatrices. Je soupçonne que cela effraie les forces conservatrices.
40Il souligne que « les questions de conservatisme religieux » ne sont toutefois pas encore résolues au Bahreïn. Il craint
les factions jihadistes, salafistes ou wahhabites, qui détestent le roi. La représentation des femmes n’est pas un problème majeur au Bahreïn, ni pour les sunnites ni pour les chiites, même parmi les forces conservatrices. En 2011, la seule ministre était issue des Frères musulmans, et al-Wefaq compte désormais des femmes aux plus hauts niveaux42. Ce sont les forces salafistes et wahhabites qui sont vraiment contre toute ouverture de l’espace public ou tout élargissement des droits des femmes.
41Cet activiste fait toutefois la distinction entre la participation des femmes d’une part et d’autre part l’influence significative des femmes dans la prise de décision de haut niveau et la direction au sein d’al-Wefaq et du gouvernement. L’existence d’une telle influence le laisse « dubitatif » car « les cadres dominants restent conservateurs et islamiques, et le point de vue masculiniste continue d’être présent et majoritaire dans la société bahreïnie ».
42L’audacieuse transgression sonore d’un espace mixte par Ayat al-Qurmezi, une étudiante de 20 ans issue d’un milieu modeste qui a récité un poème de sa composition sur scène au campement du rond-point de la Perle en février 2011, a été très significative et sans précédent. Le poème était structuré autour d’une rencontre fictive entre (le roi) « Hamad » et Satan (Idlis), où Satan représente le personnage humain, et il comprenait des remarques xénophobes sur les Asiatiques du Sud, auxquel.les Hamad a accordé la citoyenneté, le logement et d’autres ressources au détriment de son propre peuple. Dans la version YouTube, on entend les hommes du public, attentifs, rire et dire « brillant ! brillant ! » Ils semblent surpris par l’audace de Qurmezi et l’encouragent pendant sa performance. Un jeune intellectuel bahreïni qui m’a parlé en anglais a qualifié cette lecture de « radicale » : « On peut entendre sa voix se briser. Elle exprime quelque chose qu’ils n’ont jamais eu l’éloquence ou le culot de dire. » Il lui reproche en même temps de rompre « avec le message radical lorsque le poème devient xénophobe... C’est de la xénophobie débridée doublée d’une sorte de critique précise du pouvoir ». Outre les milliers de personnes qui ont entendu la performance en direct au rond-point de la Perle, des vidéos ont largement circulé sur Internet et ont conduit à l’arrestation de Qurmezi, qui a été torturée43.
43Un autre type de violation de l’ordre genré est de plus en plus courant dans les espaces appartenant à des entreprises, comme le montre une vidéo largement diffusée, postée sur YouTube le 23 septembre 2011 par un partisan du régime. On y voit des filles et des femmes bahreïnies portant des robes noires et des foulards, défilant et appelant la chute du régime de leurs voix jeunes et féminines au rez-de-chaussée du centre commercial chic City Centre Mall, tandis que des hommes apparemment sunnites, depuis les galeries de l’étage supérieur, ripostent par des slogans opposés, filment et les regardent de haut. Dans la rubrique « à propos », le partisan du régime qui a posté cette vidéo explique à ses lecteurs supposément anglophones (texte légèrement revu par nos soins) :
Les citoyens bahreïnis présents au City Centre Mall ont refusé cette action, ont riposté contre les slogans politiques des contestataires et leur ont demandé de sortir. City Centre est la propriété privée d’un groupe d’entreprises. Les manifestations à l’intérieur d’une propriété privée sont contraires à la loi et les forces de sécurité ont agi pour faire appliquer la loi face à ces actions illégales44.
44Dans ce passage, l’auteur se définit lui-même et son groupe comme « les citoyens », par opposition aux contestataires ; il présente le centre commercial comme une propriété privée disponible pour lui mais pas pour les voix dissidentes ; et il s’aligne sur la loi et la police contre les manifestantes.
45Zainab al-Khawaja, née alors que ses parents étaient en exil au Danemark, est probablement la femme militante bahreïnie la plus véhémente et la plus contestataire publiquement. Elle a été incarcérée pendant la majeure partie de l’année 2013 et a été arrêtée de nouveau en décembre 2014, dernière en date de ses nombreuses arrestations. Le 15 décembre 2011, la police a attaqué une manifestation et un sit-in de plusieurs centaines de personnes, principalement des femmes. Alors âgée de 27 ans, al-Khawaja, dont le père et le mari étaient emprisonnés, est restée pour occuper, selon les mots d’Amal Khalaf, « la zone herbeuse du rond-point de Bergaland [Burgerland], de son seul corps. Elle regarde les policiers, elle n’a pas peur, et ils la traînent littéralement à travers le rond-point ». La série de photographies de l’incident prises par la European Pressphoto Agency est rapidement devenue un puissant symbole (Eeyore, 2011). Comme al-Khawaja, de nombreuses femmes bahreïnies identifiées et ciblées par le régime pour leurs activités révolutionnaires ont une vingtaine ou une trentaine d’années, sont mariées et ont de jeunes enfants. Al-Khawaja a évoqué la difficulté de faire de la maternité une priorité lors d’une interview à la radio en langue anglaise en février 2012, avant l’une de ses arrestations (Bell, 2011 ; Nallu, 201245).
46L’activisme conflictuel des filles et des femmes et la répression par la police et par les services de renseignement et de sécurité ont suscité de multiples réactions parmi les Baharna, de la part des hommes et des institutions dominées par les hommes, notamment l’admiration et la protection, ainsi que l’injonction à revenir aux convenances. Abdulhadi Khalaf soutient que la participation disproportionnée des femmes à la révolution est « davantage menée par les femmes qu’approuvée par les hommes ». De nombreux hommes « ont du mal avec ce genre d’activisme ». Ceux qui sont soucieux de leur « propre préservation » sont heureux de l’implication des femmes, mais ils préféreraient qu’elles ne s’engagent pas dans des activités risquées obligeant les hommes à « devenir machos » et à « agir davantage que nous le devrions » compte tenu du danger. « Nous devons les défendre lorsque la police arrive », disent ces hommes, mais elles doivent « apprendre que les femmes aussi peuvent souffrir ». Son analyse est cohérente avec une discussion informelle que j’ai eue avec deux Bahreïnies, en juillet 2013, à Londres. Elles ont convenu que par leurs actions et leurs paroles, les femmes bahreïnies forcent les hommes à être plus militants que ce qui serait confortable ou prudent. Elles ont révélé que de nombreuses Bahreïnies sont irritées par la prudence et utilisent un langage qui ridiculise les hommes qui ne participent pas à la confrontation.
47Selon Abdulhadi Khalaf, ces appels à la retenue des filles et des femmes proviennent d’au moins deux autres positions masculines. Premièrement, il y a la rivalité et « l’envie suscitée par l’audace des femmes en les voyant si téméraires. Lors du Grand Prix de Formule 1 en 2012 et 2013, ce sont des femmes qui sont entrées sur le circuit », malgré les restrictions de sécurité. Rihanna al-Musawi et Nafissa al-Asfur ont ainsi été arrêtées en avril 2013 pour ce genre d’infraction, le deuxième jour de la course, et ont été accusées de faire partie des chef.fes de file de la Coalition des jeunes de la révolution du 14 février. Toutes deux ont déclaré avoir été torturées, battues et maltraitées en détention, avoir subi notamment des viols, des déshabillages forcés et d’autres formes d’humiliation et d’agression sexuelles (Shehab, 2013 ; Marwan, 2013). Abdulhadi poursuit : « Zainab al-Khawaja a un courage que très peu d’hommes ont. Il y en a beaucoup d’autres comme elle : Fatima Hajji, une médecin, l’infirmière Rula al-Saffar – elles n’affrontent pas la police, mais elles n’ont pas cédé aux pressions du régime. »
48Le principal clerc chiite d’al-Wefaq, ‘Isa Qasem, et le chef d’al-Wefaq, Ali Salman, sont guidés par une troisième logique genrée lorsqu’ils tentent de restreindre ou de policer les femmes, affirme Khalaf : « En réalité, ils ont exprimé leurs objections au fait que les femmes soient si actives. » Les mises en garde sont généralement formulées avec condescendance : « Pour leur propre bien, les filles et les femmes ne devraient pas chercher la confrontation avec la police. Elles ne devraient pas aller au front parce que la police est impie, etc., elle est capable d’attaquer n’importe qui. » Il a trouvé « les effets de ces déclarations fascinants à observer : personne ne les a écoutées ». Il y a un « processus d’autosynergie qui fonctionne par lui-même ». Même les jeunes étudiantes bahreïnies religieuses au point de ne pas serrer la main de leurs professeurs masculins sont « tellement immergées dans la lutte que je ne pense pas qu’elles écouteront un jour un tel appel. C’est remarquable, mais cela ne signifie pas qu’elles ne rentreront pas dans le rang un jour ou l’autre. »
L’intrication confession-sexe-police
49Les formes familiales et communautaires de la police du genre et du sexe répondent, dans une certaine mesure, à l’appareil d’État du Bahreïn, qui a recours à des mesures d’ordre sexuel pour contrôler les militantes et militants par l’humiliation (Khalaf, 2012). Ces méthodes comprennent le viol, l’agression sexuelle, le fait de forcer les détenus à se déshabiller, d’enlever les foulards des cheveux des femmes, de surveiller le comportement sexuel pour exercer un chantage sur les activistes et d’utiliser la séduction sexuelle pour attirer les espions potentiels. C’est ce que j’appelle l’intrication confession-sexe-police. Pour les Bahreïni.es, il est notoire que les services de renseignement ont fait du chantage à des militants enregistrés sur vidéo en train d’avoir des rapports sexuels et qu’ils ont utilisé d’autres méthodes d’ordre sexuel pour tenter de les piéger. Il existe des histoires de femmes (mujanadât) engagées par l’Agence nationale de sécurité pour faire semblant d’être sous le charme ou amoureuses de militants sur les réseaux sociaux, pour proposer des mariages temporaires chiites (mut‘a)46 et pour mettre les hommes dans des situations intimes compromettantes de façon à obtenir des informations sur leurs activités et leurs réseaux47. Selon une autre méthode, un homme et une femme activistes sont arrêté.es en même temps, mais la femme est relâchée « en deux minutes », ce qui la fait soupçonner d’avoir collaboré. Les noms des femmes libérées sont parfois « rendus publics par les forums de l’opposition », ce qui a conduit une femme à faire une tentative de suicide. Al-Shehabi est critique des « sous-entendus sexuels » mobilisés par l’opposition au sujet des collaboratrices, car « tout le monde se méfie alors de toute femme qui réussit à militer. Est-elle vraiment une militante ou est-elle une infiltrée ? »
50Le régime et ses partisans se préoccupent des activités sexuelles des contestataires depuis le tout début de la révolution. Le régime et les sunnites sectaires ont utilisé la télévision publique et des sites internet pour répandre un récit aux multiples ressorts, tant confessionnels que sexuels, qui accuse les activistes de promiscuité et d’utiliser le rond-point pour des activités sexuelles et des mariages temporaires (mut‘a). D’après un jeune activiste, peu de temps après la destruction du monument de la Perle par les forces policières et militaires, Nabil al-Hamer, conseiller en communication du roi Hamad et également dirigeant du journal Al-Ayyam, « a publié une photo de sous-vêtements féminins sur sa page Facebook avec la légende “Les restes du rond-point” [Min mukhalafât al-dûwâr]. Il l’a ensuite supprimé mais des gens en avaient sauvegardé une capture d’écran. » Le 7 juin 2011, un groupe appelé le Bouclier du Bahreïn, qui serait affilié au chef de la police Tareq al-Hassan, a posté sur YouTube une vidéo involontairement théâtrale filmée sur le modèle du reportage catastrophiste, qui mettait en scène des culottes et des soutiens-gorge de femmes, des préservatifs inutilisés et des préservatifs contenant du « sperme », prétendument abandonnés dans les tentes rasées du campement (Khalaf, 2013 a, p. 17).
51Dans une autre vidéo du Bouclier du Bahreïn, postée sur YouTube le 15 juin 2011, des adolescents et de jeunes hommes sont accusés d’attirer des adolescentes au rond-point à des fins sordides. Après une séquence vidéo vue du ciel montrant un groupe d’adolescentes traversant le campement jusqu’à une tente, un carton austère, écrit en arabe, blanc sur noir, déclare : « Comme vous l’avez vu, ces jeunes élèves [fém.] ont été conduites dans une tente entourée d’adolescents [masc.] et de jeunes hommes. » Le carton suivant indique « et la question ici est pourquoi ? Et que leur [bi-hinna, fém. pluriel] est-il arrivé dans ces tentes48 ? » Sans voix off, la vidéo entrecoupe le texte en arabe de photographies et de vidéos, le tout accompagné d’une musique d’ambiance inquiétante49. L’interrogation « pourquoi ? » laisse entendre que la vraie raison pour laquelle des militants occupent le rond-point de la Perle serait l’exploitation sexuelle des filles et des femmes. La phrase suivante « que leur est-il arrivé ? » présente les hommes comme étant motivés par l’avidité et le désir sexuel plutôt que par des principes politiques, et les filles et les femmes comme étant des objets d’exploitation et des victimes, plutôt que des sujets politiques ou sexués.
52Sur les plateaux de la télévision publique du Bahreïn, les experts masculins ont eu le champ libre pour accuser les femmes d’inconduite sexuelle. D’autres documents diffusés en ligne par des forces sectaires qualifient les chiites de zoroastriens et les associent à une origine iranienne, les femmes chiites étant tout particulièrement ciblées par ces attaques au vitriol50. La rhétorique d’antagonisme confessionnel du régime et des forces prorégime, selon al-Shabib, vise à « détruire » les révolutionnaires en désignant le rond-point comme le rond-point du mariage temporaire (dûwâr al-mut‘a). Elle exhorte les militants à « retourner au cercle du mut‘a » et appelle les chiites opposants « enfants du mariage temporaire » (wilâd al-mut‘a) et « familles du mariage temporaire » (a‘yal al-mut‘a). Cela « revient à dire que nous sommes des bâtards illégitimes ».
53Les activistes sont notamment accusé.es d’avoir eu des relations sexuelles dans la tente 6 du rond-point, qui se trouvait près d’un palmier auquel la municipalité de Manama avait donné ce numéro, selon al-Shehabi. Les interrogatoires des hommes et des femmes se concentrent fréquemment sur la tente 6, d’après lui :
« Dites-nous ce que vous faisiez là. » Ils ont construit cette idée que la tente 6 était l’endroit où les gens avaient des relations sexuelles [mut‘a]. Ils disent aux gens « tu voulais juste y aller pour les putes ». Mais vous savez quoi ? Il n’y avait aucune intimité. Tout était ouvert. J’ai passé la plupart de mon temps là-bas. Pour le régime, soit l’Iran était derrière tout ça, soit il s’agissait de sexe.
54Une autre femme a déclaré que le fait d’avoir des relations sexuelles au rond-point
aurait été vraiment difficile, [car] il y avait beaucoup de familles. Si vous deviez avoir des relations sexuelles avec un petit ami ou une petite amie, vous conduiriez sans doute votre voiture loin des enfants et vous ne le feriez pas dans un endroit où quelqu’un de votre famille pourrait le découvrir.
55Une Bahreïnie rapporte qu’un homme de sa famille a subi des séances de torture, dont des agressions sexuelles, assorties de questions insistantes : « Dis-nous avec qui tu as couché. Tu dois nous le dire ! » Une femme arrêtée en 2012 avec un groupe de journalistes et un jeune homme qu’ils avaient payé pour les conduire lors de la course de Formule 1 raconte : « La première chose que la police m’a demandée, c’est : “Qu’est-ce que tu faisais dans la voiture avec cinq hommes, de toute façon ?” » Elle a répondu : « Pouvez-vous me dire quelle loi j’ai transgressée ? Allez-vous m’accuser de violation de l’honneur ? » Lorsqu’ils l’ont interrogée sur la boîte de préservatifs trouvée dans la boîte à gants du véhicule, elle a répondu : « Ce n’est pas ma voiture. Ce n’est pas ma responsabilité. » « Ils voulaient m’intimider et me dire “Nous avons quelque chose sur toi.” » Une militante connue qui a passé de nombreux mois en prison a raconté à Amal Khalaf qu’une policière l’avait raillée à travers la porte de sa cellule : « Nous avons trouvé des préservatifs dans ta voiture. Est-ce que tu fais l’amour dans la voiture, espèce de pute ? » De tels propos se retrouvent partout sur Internet, selon Khalaf, étant donné le désir des réseaux sociaux progouvernementaux de « discréditer les manifestant.es de toutes les manières possibles. » L’accent mis sur le sexe, selon elle, alimente un discours raciste sunnite selon lequel les chiites « ne sont que des animaux ». Alors que la plupart des opposant.es « n’y prêtaient pas attention », selon al-Shabib, d’autres « sont allé.es jusqu’à l’extrême et ont attaqué l’autre camp en les appelant “wilâd al-misyar” », c’est-à-dire « enfants issus d’une forme sunnite de mariage de convenance » (Hasso, 2011, p. 124-125). Ces activistes ont également surnommé la mosquée sunnite al-Fateh de Manama tajammu‘al-misyar, ou le rassemblement misyar.
56Le sexe et la racialisation ont souvent été entremêlés aux calomnies attaquant la réputation des militantes, aux soupçons portant sur les relations non maritales entre adultes et à la pression familiale accrue, en particulier sur les femmes activistes, pour éviter toute apparence d’inconvenance. Comme l’a judicieusement fait remarquer un universitaire bahreïni d’une vingtaine d’années, ce discours sexuel et racial « criminalise tout l’édifice » du rond-point de la Perle et de l’opposition. Je soutiens qu’il dévalorise également l’opposition et qu’il oblige les activistes à définir le sexe, l’intimité et la joie comme distincts de la politique, alors que c’est rarement le cas.
*
57Les craintes relatives à l’authenticité, à l’ancrage, aux allégeances et à la légitimité du sentiment d’appartenance restent majeures au Bahreïn et elles agissent à travers une variété de pratiques et de discours visant à maintenir l’ordre. Les processus de cloisonnement à l’œuvre n’empêchent pas l’inscription des élites bahreïnies dans des réseaux régionaux et mondiaux de clercs et d’autorités religieuses, de dirigeants, de chefs militaires, de marchands d’armes, d’entrepreneurs du renseignement et de la sécurité, de capitalistes et de ministres de la Culture. Par d’autres manières encore, les principes étriqués et rigoristes portés par les idées nationalistes, patriarcales et racialisantes sont, dans les faits, dépassés par les affinités et les relations entretenues par les Bahreïni.es. Par exemple, il existe des relations familiales fortes entre les Bahreïni.es et les habitant.es de l’Iran, les Hasa de la côte est de l’Arabie Saoudite51, le Qatar, le Koweït, les Émirats arabes unis et l’Irak. Les réseaux mondiaux et régionaux comprennent également des intellectuel.les bahreïni.es indépendant.es, des féministes, des auteurs et autrices de blogs libéraux et radicaux, des journalistes, des webmasters, des artistes, des cinéastes, des pirates informatiques et d’autres personnes militant sur Internet ou via les médias qui ont travaillé ensemble de manière informelle pendant de nombreuses années avant 2011. En dépit de nombreuses difficultés, les activistes bahreïni.es ont créé de nouveaux espaces, corporéités et imaginaires en mettant en actes la liberté et l’égalité, dans ce que Gillian Rose appelle « l’espace paradoxal », où il est « impossible de trouver une position qui soit en dehors du discours hégémonique » (1993, p. 137) et où les gens continuent pourtant d’essayer. Au Bahreïn, il est important que ces pratiques et imaginaires émancipateurs ne dépendent pas de ce que Rose appelle des « exclusions » ou des « dualités » (p. 138).
58Ce chapitre montre comment le sexe, le genre et le confessionnalisme sont incorporés et fonctionnent les uns à travers les autres, ainsi qu’à travers l’environnement bâti, le discours et l’espace numérique au Bahreïn. Le confessionnalisme, que j’analyse comme une dynamique racialisante au cœur du maintien de l’ordre, est fondé sur le genre et la sexualité. J’utilise des verbes plutôt que des noms – par exemple, racialiser, genrer, fabriquer et sexualiser – afin de mettre l’accent sur les processus de production et de mise en œuvre de la police et de la politique à de nombreuses échelles, évitant ainsi de les présupposer stables et allant de soi. La révolution du 14 février 2011 marque un tournant historique dans la mesure où elle a transformé les relations entre les corps et l’espace, assoupli les contraintes genrées et produit de nouvelles subjectivités, corporéités et tensions liées au genre. L’une des dimensions notables de la révolution est la montée en puissance de la politique de l’affrontement de rue menée par les femmes, qui n’est pas nécessairement autorisée par les hommes de l’opposition bahreïnie, et qui s’est cristallisée sous la forme de tensions que les images de défilés ordonnés et non mixtes ne permettent pas d’appréhender. De leur côté, les représentants de l’État bahreïni et leurs partisans déploient stratégiquement des idéologies conservatrices de respectabilité et de chasteté pour discréditer les militantes et les militants et renforcer la police52.
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10.1177/1057567708315642 :Notes de bas de page
1 Ce chapitre reprend l’article de Frances S. Hasso, « The Sect-Sex-Police Nexus and Politics in Bahrain’s Pearl Revolution », dans Frances S. Hasso & Zakia Salime (dir.), Freedom without Permission: Bodies and Space in the Arab Revolution, Durham, Duke University Press, 2016, p. 105-137.
2 J’emprunte ce terme à Judith Butler. Voir Bell (1999, p. 168).
3 À propos du phénotype et de la morphologie dans l’approche dite « de la formation raciale », voir Singh (2012, p. 277).
4 Des matams séparés par genre existent dans la plupart des villages et des villes au Bahrein. Ces maisons funéraires sont parfois rattachées à des mosquées chiites. Pour plus d’informations à ce sujet, voir les travaux de Fuad Khuri (1980, p. 154) et de Sophia Pandya (2012, p. 83-87 ; 2010).
5 Voir Reporters sans frontières, « Countries under Surveillance: Bahrain », s. d., en ligne : http://en.rsf.org/surveillance-bahrain.39748.html (lien désactivé) ; Anonyme, « Bahrain to Set Up New Surveillance System », Trade Arabia Business News Information, 7 septembre 2013, en ligne : www.tradearabia.com/news/LAW_242349.html (juillet 2023) ; Privacy International, « Surveillance Briefing: Bahrain. The Role of Surveillance Technology Companies », 2012, en ligne : www.privacyinternational.org/reports/surveillance-briefing-bahrain/the-role-of-surveillance-technology-companies (lien désactivé) ; English News Today–Russia Today, « Surveillance for Sale: UK Exports Spyware to Bahrain », YouTube, 5 août 2013, en ligne : www.youtube.com/watch?v=9o-hkiT8fHw (vidéo non disponible).
6 Pour un entretien avec Judith Butler sur l’assujettissement et la subjectivation en relation avec le genre et la racialisation, voir Bell (1999).
7 Les citoyen.nes sont, entre autres, des chiites et des sunnites d’origine arabe et perse, des juifs et des chrétiens d’origine arabe et perse, des musulman.es d’origine africaine et sud-asiatique, ainsi que d’autres ethnies, identifications et mélanges. À ma connaissance, l’État ne recueille aucune donnée publique sur les proportions de confessions parmi les citoyen.nes, mais il est largement connu et accepté que les chiites d’origine arabe représentaient environ deux tiers des citoyen.nes au début du xxie siècle.
8 Bahrain Census 2010 (en arabe), en ligne : www.census2010.gov.bh/results.php (lien désactivé). Les données de 2010 indiquent une augmentation spectaculaire du nombre de résident.es allochtones depuis 2001, mais en l’absence de recherche approfondie à ce sujet, je ne peux pas en fournir une explication définitive.
9 Pour un organigramme et surtout des vidéos sur l’appropriation des terres par le régime en place, voir Gengler (2012) et Eaton (2013).
10 Shaikh Khalifa bin Salman al Khalifa, Hamad bin Isa al Khalifa & Shaikh Salman bin Hamad al Khalifa, « Our Vision: From Regional Pioneer to Global Contender. The Economic Vision 2030 for Bahrain », 2008, en ligne : www.mofa.gov.bh/img/partners/Vision2030Englishlowresolution.pdf (juillet 2023). De manière révélatrice, l’hyperlien arabe en haut à droite de la page donne le résultat « Erreur 404, la page demandée n’a pas été trouvée » (dernière vérification le 23 février 2016) : www.bahrainedb.com/en/about/Pages/economic%20vision%202030.aspX#.UkLXJW3ODTT. Les images peuvent être consultées en ligne : http://humanette.blogspot.com/2010/06/gulf-ads-on-black-cabs.html (lien accessible sur invitation).
11 Pour des articles et images sur « Northern Town » dans la presse des affaires ou du bâtiment, voir Bahrain Projects and Construction Forum, SkyscraperCity, février 2006, en ligne : www.skyscrapercity.com/showthread.php?t=321441 (juillet 2023) ; Staff Writer, « Bahrain Will Not Meet Housing Targets–Minister », Construction Week Online, 30 mars 2013, en ligne : www.constructionweekonline.com/article-21633-bahrain-will-not-meet-housing-targets—minister/#.UkML-W3ODTR (juillet 2023) ; Anonyme, « Bahrain Building 30 000 Homes for Citizens », TradeArabia Business News Information, 23 janvier 2013, en ligne : www.tradearabia.com/news/CONS_229451.html (juillet 2023).
12 Pour des informations ou des images à propos des îles Amwaj, voir le site de l’entreprise, en ligne : www.amwaj.bh (juillet 2023) ; et « Bahrain Developments », Click Bahrain, s. d., en ligne : www.clickbahrain.com/clickbahrain_developments.asp (juillet 2023), qui comporte des informations sur de nombreux projets de construction au Bahreïn.
13 Comptant actuellement environ 2 000 habitant.es, Amwaj était l’un des rares endroits suffisamment sûrs pour que les organisateurs et organisatrices puissent se réunir physiquement pour planifier le soulèvement du 14 février 2011. Celles et ceux qui en avaient les moyens s’y sont installé.es en février et mars 2011, bien que des personnalités publiques, comme la médecin Nada Dhaif, aient été arrêtées sur l’île à partir de la fin du mois de mars.
14 Lors d’un entretien qu’il m’a accordé à Londres en juillet 2013, le sociologue bahreïni Abdulhadi Khalaf a expliqué que la ségrégation résidentielle fondée sur la confession a diminué dans les années 1920 et 1930 avec la création de lieux de rencontre comme la compagnie pétrolière britannique BAPCO et l’école publique. Au milieu du xxe siècle, les Bahreïni.es qui avaient « amélioré leurs revenus » ont déménagé dans de nouveaux quartiers « ouverts à tous ». En réponse, les confessions ont été déterminées à l’avance dans les projets de logements publics, tels que Isa Town, construit dans les années 1960, bien que « finalement, le quartier, les marchés, la clinique, etc., étaient communs aux deux groupes, ce qui a bien fonctionné pour les intégrationnistes mais pas pour le régime ».
15 Abbas Mirza al-Marshad et Abdulhadi al-Khawaja proposent une histoire des organisations politiques du Bahreïn depuis le début du xxe siècle (2008).
16 Ce terme désigne la partie de la population chiite du Bahreïn qui se considère comme autochtone (note de la traductrice).
17 Le sociologue Abdulhadi Khalaf décrit le système bahreïni comme un cas classique de « segmentation verticale » dans lequel les gens entrent en relation les uns avec les autres et accèdent aux ressources par l’intermédiaire de patrons qui font partie du régime ou lui sont soumis. La logique des forces de police du Bahreïn ressemble fortement à celle des milices personnelles fidawi des cheikhs du domaine d’Al Khalifa aux xixe et xxe siècles. Composées de sunnites non tribaux, d’esclaves d’origine africaine et de Baloutches, les forces fidawi étaient « les instruments de coercition du domaine » et de son souverain Khalifa, jusqu’à ce que ces domaines soient abolis par les Britanniques au début des années 1920. Voir Khuri (1980, p. 47, p. 114). Sur la police au Bahreïn, voir aussi Khuri (1980, p. 89-90, p. 110, p. 122, p. 114-115) ; Strobl (2011) ; et Fuccaro (2009, p. 157-160). Les religieux chiites bahreïnis bénéficient d’un système similaire de segmentation fondé sur l’allégeance des adeptes, qui se traduit à son tour par des ressources pour leur madhhab (école juridique religieuse). Certains religieux sunnites et chiites sont nommés par le gouvernement pour superviser les propriétés (religieuses) waqf (bien de mainmorte), qu’ils peuvent louer à des fins lucratives, notamment à des parents et amis.
18 Le premier Parlement, en 1973, a examiné une proposition polémique issue d’une alliance de religieux sunnites et chiites visant à séparer les sexes dans les services médicaux et l’enseignement supérieur, proposition que « le gouvernement a considérée positivement ». La question a été supplantée par d’autres conflits, et le Parlement a été dissous par l’émir en 1975, selon Abdulhadi Khalaf, qui était député dans ce Parlement.
19 Une militante trentenaire ayant l’habitude de voyager et qui est attentive aux inégalités de genre parmi les Bahreïni.es remarque que les hommes sont « très respectueux des femmes » et que les chiffres des violences sexistes sont relativement bas. Il est difficile d’établir cette constatation de manière systématique ou de savoir si cela se vérifie aussi, proportionnellement, dans le cas des travailleurs et travailleuses migrant.es de classe populaire dans leurs relations les unes aux autres ou vis-à-vis des employeurs bahreïnis qui parrainent leur séjour. Pour une analyse des formes de « violence structurelle » auxquelles sont confrontés les migrants indiens au Bahreïn, voir Gardner (2010).
20 Pour un aperçu historique de la vie quotidienne, des habitudes alimentaires, tenues vestimentaires, environnements bâtis, pratiques genrées en matière de vêtements, de mobilité et d’espaces, sous forme d’analyses, de diagrammes et de photographies, on consultera avec intérêt l’une des rares thèses sur le sujet, écrite par l’anthropologue danoise Henny Harald Hansen à partir d’un travail de terrain effectué en 1960 dans le village de Saar (1968).
21 Au Bahreïn, les femmes chiites peuvent choisir de suivre le Code de la famille sunnite comme option dans les tribunaux de la famille.
22 Entre la mi-mars et la mi-mai 2011, le ministère de la Justice, des Affaires islamiques et du Waqf du Bahreïn a démoli plus de 28 mosquées et édifices religieux chiites au motif déclaré que ceux-ci ne seraient pas autorisés, y compris une mosquée à Aali vieille de plus de 200 ans et une autre à Sitra d’environ 100 ans. Selon un article publié par McClatchy, le nombre de démolitions serait « bien plus important ». Le régime a rendu difficile la reconstruction des mosquées et a démoli des édifices autorisés en cours de construction. Voir Anonyme, « Bahrain Targets Shia Religious Sites », Al Jazeera, 14 mai 2011, en ligne : www.aljazeera.com/video/middleeast/2011/05/2011513112016389348.html (juillet 2023) ; Roy Gutman, « While Bahrain Demolishes Mosques, U.S. Stays Silent, » Truthout, 8 mai 2011, en ligne : www.truthout.org/news/item/977:while-bahrain-demolishes-mosques-us-stays-silent (juillet 2023) ; Anonyme, « Mosques under Construction Re-Demolished by Authorities in Bahrain », Bahrain Center for Human Rights, 9 décembre 2012, en ligne : www.bahrainrights.org/en/node/5550 (juillet 2023). Les vidéos YouTube provenant du site d’Al Jazeera n’ont pas pu être visionnées depuis les États-Unis.
23 Le texte intégral de la Charte d’action nationale peut être consulté en ligne : www.bahrain-embassy.or.jp/en/national_action_charter.pdf (juillet 2023). Au sujet du genre, il s’agit d’un document conservateur, mais il comprend des engagements visant à accorder davantage de droits aux Bahreïni.es d’origine chiite et à lutter contre les inégalités économiques et sociales. Les principales dispositions de cette charte n’ont pas été mises en œuvre.
24 Bahrain Online a été créé par des cyberactivistes bahreïni.es en 1999.
25 L’image Wikimedia Commons de l’événement du 4 février 2011 se trouve en ligne : http://en.wikipedia.org/wiki/File:Bahrain_protest_Egypt_embassy.jpg (juillet 2023). Voir aussi News Agencies, « Bahrain Opposition Calls for Rally, » Al Jazeera, 13 février 2011, en ligne : www.aljazeera.com/news/middleeast/2011/02/2011213185556388117.html (juillet 2023).
26 Voir la fiche Wikipédia qui lui est consacrée, en anglais, « Death of Ali Abdulhadi Mushaima », en ligne : http://en.wikipedia.org/wiki/Death_of_Ali_Abdulhadi_Mushaima (juillet 2023).
27 Voir la vidéo à l’extérieur du complexe médical de Salmaniyya, satrawicool, « Bahrain : la chute du martyr Fadhel Matruk » (en arabe), YouTube, 15 février 2001, en ligne : www.youtube.com/watch?v=0_-UjXiE0Bg (juillet 2023) ; et la fiche Wikipedia, en anglais, « Death of Fadhel Al-Matrook, », en ligne : http://en.wikipedia.org/wiki/Death_of_Fadhel_Al-Matrook (juillet 2023).
28 Des images du 13 au 15 février 2011 (dans l’ordre inversé) : « Bahrain Protest Photos », Cryptome, 17 février 2011, en ligne : http://cryptome.org/info/bahrain-protest/bahrain-protest.htm (juillet 2023). Pour un récit tiré de l’observation des premiers jours du campement, voir Saldanha (2011).
29 Les activistes du rond-point ont fait état de pressions exercées par les leaders de l’opposition bahreïnie à Londres pour se donner un nom d’organisation, car celles et ceux de l’extérieur craignaient que l’association politique al-Wefaq, créée en 2001 et considérée comme modérée, « ne prenne le dessus ».
30 La déclaration (qui m’a été fournie par une activiste du campement) demandait une nouvelle Constitution rédigée par un parlement démocratique, un Premier ministre élu par le Parlement, un système judiciaire indépendant, la liberté d’opinion et d’expression, une monarchie constitutionnelle fondée sur la « séparation des trois pouvoirs », la libération de tous les prisonniers politiques, l’arrêt des « naturalisations politiques », des enquêtes sur la corruption et la restitution des richesses pillées, ainsi que la reconnaissance des responsabilités pour les tortures, les meurtres et autres violences.
31 Al-Wefaq, par exemple, a présenté des candidats au Parlement dans les années 2000, qui ont tous démissionné en 2011. Les principales tendances de l’opposition au Bahreïn ont évité de participer aux élections en raison du cadre constitutionnel jugé illégitime.
32 Une série d’images concernant notamment les 17 et 18 février est disponible : Alan Taylor, « Deadly Attacks against Protesters in Bahrain », Atlantic, 18 février 2011, en ligne : www.theatlantic.com/infocus/2011/02/deadly-attacks-against-protesters-in-bahrain/100011 (juillet 2023). Des témoignages peuvent être consultés : Collectif, « Bahrain Protests: Your Stories », BBC News, 19 février 2011, en ligne : www.bbc.co.uk/news/world-middle-east-12516237 (juillet 2023). La déclaration conjointe suivante a été publiée à la suite de celle du 17 février : « Statement of Civil Society Organizations in Bahrain Regarding the Brutal Attack on Protesters in the Pearl Roundabout », Jadaliyya, 29 février 2011, en ligne : http://www.jadaliyya.com/pages/index/688/statement-of-civil-society-organizations-in-bahrain-regarding-the-brutal-attack-on-protesters-in-the-pearl-roundabout (juillet 2023).
33 Frederik Richter, « Thousands Protest Government in Bahrain », Reuters, 22 février 2011, en ligne : www.reuters.com/article/video/idUSTRE71I0X320110222?videoId=189186386 (juillet 2023) ; The CNN Wire Staff, « As Protest March Unfolds, Bahrain Urges “National Dialogue” », CNN, 22 février 2011, en ligne : www.cnn.com/2011/WORLD/meast/02/22/bahrain.protests (juillet 2023).
34 La date de publication sur YouTube est établie selon l’heure en Californie. Voir hyya999, « Vidéo de la répression du rond-point de la Perle d’aujourd’hui 16/03/2011 » (en arabe), YouTube, 16 mars 2011, en ligne : www.youtube.com/watch?v=ebTu9Z6qRiQ (juillet 2023). « Bahrain: Hundreds of Bahraini Police Launch Assault on Pro-Democracy Protesters in Capital Manama, » YouTube, 16 mars 2011, en ligne : www.youtube.com/watch?v= PrBLzjJQqks (la vidéo n’est plus disponible).
35 Voir également les images de l’attaque contre les contestataires du rond-point de la Perle, le 17 février : Jadaliyya Reports, « Pearl No More: Demolishing the Infrastructure of Revolution », Jadaliyya, 18 mars 2011, en ligne : www.jadaliyya.com/pages/index/956/pearl-no-more_demolishing-the-infrastructure-of-re (juillet 2023).
36 Voir la page Facebook de The Decisive Moment (en arabe) : https://www.facebook.com/profile.php?id=100076131729964 (juillet 2023) ; et MrBuHaider, « #Bahrain: #Sitra-Avnu 6Clashes on 31-12-2011. #The Decisive Moment », YouTube, 31 décembre 2011, en ligne : www.youtube.com/watch?v=M5YykRCmdIw (juillet 2023).
37 Page Facebook de la Coalition des jeunes de la révolution du 14 février, 15 juin 2013 : www.facebook.com/photo.php?fbid=572121369505565&set=a.178717292179310.64487.178269738890732&type=1&theater (la page n’existe plus).
38 Muhammad al-Shahid, « Bahrain: Burning a Police State after Killing a Protester » (en arabe), YouTube, 8 février 2012, en ligne : www.youtube.com/watch?v=NniIgQNsphk (visionnée en 2014 et vérifiée en juillet 2023).
39 Voir France 24 arabe, « Les femmes bahreïnies en première ligne de la contestation » (en arabe), YouTube, 19 janvier 2012, en ligne : www.youtube.com/watch?feature=player_embedded&v=Lr-pqYQ-CKY (juillet 2023). Cette séquence s’appuie sur l’interview d’une femme bahreïnie d’une vingtaine d’années (dont le visage est flouté) décrivant l’activisme des femmes.
40 La participation active de femmes et d’hommes dans les manifestations contre la Formule 1 est rapportée dans Alexander Dziadosz, « Bahrain Grand Prix Formula 1 Highlights Tensions between Government and Protesters », World Post, 20 avril 2013, en ligne : www.huffingtonpost.com/2013/04/20/bahrain-grand-prix-formula-1_n_3123285.html (juillet 2023). On trouve également un rare témoignage de l’action révolutionnaire, avec des interviews réalisées en secret, dans Stéphanie LaMorré, Bahreïn, plongée dans un pays interdit, documentaire, 2012, Premières Lignes Télévision.
41 Pour une représentation émouvante de la libération d’une médecin, voir Bilad14feb, « Comité d’accueil pour la libération de l’héroïne Rula al-Saffar, 21 août 2011 » (en arabe), YouTube, 21 août 2011, en ligne : www.youtube.com/watch?feature=player_embedded&v=Q3_32Xsu4N4 (juillet 2023). Un article sur la médecin Nihad al-Shirawi est publié dans Al-Wasat, 12 novembre 2011, en ligne : www.alwasatnews.com/3353/news/read/607954/1.html (juillet 2023). Une vidéo de l’infirmière Rula al-Saffar donnant une conférence lors d’un événement d’al-Wefaq avec les cheveux découverts : Bahraini Bahrani, « Daih Video » (en arabe), YouTube, 12 mai 2012, en ligne : www.youtube.com/watch?feature=player._embedded&v=SqRsqoggACU (juillet 2023).
42 Parmi les membres du conseil d’administration d’al-Wefaq, 30 % sont des femmes ; le Conseil de la choura comprend des femmes élues ; et les femmes représentent 3 des 10 membres du Secrétariat général, selon les dirigeant.es d’al-Wefaq avec lesquel.les j’ai conversé à Londres.
43 Une vidéo de la performance d’al-Qurmezi est disponible sur Shayala13alam, « Ayat Al-Qormezi - A Poem Worth a Year of Brutal Torture and Imprisonment », YouTube, 15 juin 2011, en ligne : www.youtube.com/watch?v=mcCEk9s82ac (juillet 2023). Les remarques xénophobes apparaissent à partir de 6:09. Richard Spencer, « Bahraini Woman Poet Tells of Torture While in Custody », Telegraph, 14 juillet 2011, en ligne : www.telegraph.co.uk/news/worldnews/middleeast/bahrain/8638396/Bahraini-woman-poet-tells-of-torture-while-in-custody.html (juillet 2023). La vidéo « Verses of Bahrain and the Revolution Poet » (en arabe), mise en ligne sur YouTube par AhrarQatif le 6 mai 2011, évoque ce qu’elle a subi – incarcération et torture – et comprend une interview de sa mère (la vidéo n’est plus disponible).
44 Hsamar, « City Center Protest #Bahrain », YouTube, 23 septembre 2011, en ligne : www.youtube.com/watch?feature=player_embedded&v=JJdaqApuA2EIn (juillet 2023).
45 Ce récit est remarquable pour sa mention des tweets d’al-Khawaja à sa sortie de prison : elle évoque une femme prisonnière politique laissée derrière elle ainsi que le fait de « serrer dans ses bras et câliner » sa fille Jude. Ses remarques sur la maternité apparaissent à 16:10.
46 Appelé en arabe zawâj al-mut‘a, c’est-à-dire « mariage de plaisir » (note de la traductrice).
47 « Des activistes recruté.es dans un jeu scabreux... Le dernier piège tendu par les autorités » (en arabe), Mirat al-Bahrayn, 16 juillet 2012, en ligne : http://bh-mirror.no-ip.org/news/5069.html (lien désactivé).
48 C’est nous qui soulignons.
49 Bahrain Shield, « Des images du scandale du rond-point du mut’a, diffusées pour la première fois » (en arabe), YouTube, 7 juin 2011, en ligne : www.youtube.com/watch?v=A1h5LZzcd9I&list=PLTOgz3bT-TwV7tgKYDDJFYFR1DkDmIer&index=14& feature=plpp_video (juillet 2023) ; Bahrain Shield, « Regardez ce qui est arrivé à des adolescentes au rond-point », YouTube, 15 juin 2011, en ligne : www.youtube.com/watch?v= 9dy0Iw0HLmQ (la vidéo n’est plus disponible).
50 Voir Lualua, « Avec Lamees al-Dhayf : l’exploitation de la sexualité des femmes », YouTube, 1er juin 2013, en ligne : www.youtube.com/watch?v=epecpU4NWWw (la vidéo n’est plus disponible). Il s’agit d’une chronique hebdomadaire sur la station de télévision par satellite Lualua. Les informations sur le Bahreïn commencent environ quatre minutes après le début de la vidéo et les remarques décrites dans le texte sont à 4:37 et 5:10.
51 Hasa est la région située entre Qatif et Salwa, une oasis à dominante chiite qui faisait partie du Bahreïn historique.
52 Ce projet a été généreusement soutenu par des subventions de recherche du Duke Islamic Studies Center (projet « Transcultural Islam » financé par la Carnegie Corporation) et de la Duke Trent Memorial Fund Foundation. Je remercie pour leur aide Dean Laurie Patton, Gil Merkx, Kelly Jarrett et Keri Mejikes, en particulier pendant l’intense période du refus de visa et des changements d’itinéraire. Je suis reconnaissante aux personnes suivantes pour leur générosité et leur ouverture, elles m’ont beaucoup appris, corrigée, et elles m’ont mise en relation avec d’autres Bahreïni.es. Elles ont partagé des sources publiées et non publiées et m’ont aidée d’innombrables autres façons : Abdulnabi Alekry, Ali Abdulemam, Ghassan Saeed Asbool, Ali al-Mahdi al-Aswad, Sheyma Buali, Salma Dabbagh, Ahmed al-Dailami, Lamees al-Dhayf, Munira Fakhro, Farida Ismael Ghulam, Abdulhadi Khalaf, Amal Khalaf, Adel Marzouk, Nicola Pratt, Alaa al-Shehabi, May Seikaly, Hussain Abdullah al-Shabib, Nadia Yaqub et Banu Gökarıksel. Je remercie également les participant.es de l’atelier sur les géographies du genre dans les révolutions arabes qui s’est tenu à l’Université Duke en décembre 2013, pour leurs commentaires généreux et extrêmement utiles. Je suis enfin reconnaissante à Mélodie Breton-Grangeat pour sa traduction fidèle en français, ainsi qu’à Myriam Ababsa pour sa relecture.
Auteurs
Frances S. Hasso est professeure d’études sur le genre, la sexualité et les féminismes, ainsi que d’histoire et de sociologie à l’Université Duke de Durham (Caroline du Nord). Ses recherches portent sur le genre et la sexualité dans le monde arabe, ainsi que sur le colonialisme et l’impérialisme. Son dernier livre s’intitule Buried in the Red Dirt: Race, Reproduction and Death in Modern Palestine (Cambridge University Press, 2022).
Mélodie Breton-Grangeat est docteure en science politique et associée au laboratoire Triangle. Sa thèse, La Cause des femmes au Yémen : contribution à l’analyse intersectionnelle des rapports de domination, a reçu le prix de la Chancellerie des universités de Paris en 2018. Elle poursuit actuellement ses recherches sur les processus de politisation et de dépolitisation à travers une nouvelle enquête auprès d’associations françaises.
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