Conclusion
p. 433-475
Texte intégral
1L’étude présentée dans cet ouvrage a mis en lumière les usages et les représentations de la généalogie, dans une bourgeoisie française urbaine des XIXe et XXe siècles. Plus largement, elle a décrit les conditions dans lesquelles une conscience généalogique de soi pouvait émerger et se maintenir, chez un individu, dans une famille et dans un milieu social ; elle a travaillé à approfondir la connaissance des dimensions sociologiques et anthropologiques du genre généalogique. L’analyse microsociologique du profil identitaire, des pratiques et des représentations de onze généalogistes amateurs et de leur famille, appartenant à la bourgeoisie lyonnaise, et l’analyse des contenus de plus de mille pages de leurs récits généalogiques ont permis les conclusions qui suivent.
LE PROFIL IDENTITAIRE
2Les auteurs de récits généalogiques, dans cette bourgeoisie lyonnaise, sont très majoritairement des hommes, cadets de leur fratrie, tous issus d’une branche patrilinéaire cadette, sur deux générations au minimum. Ils se trouvent au moins dans leur soixantième année, sont mariés, parents et grands-parents, et ont quasiment tous cessé leurs activités professionnelles, lorsqu’ils achèvent leur rédaction. Ils sont nés à Lyon et la plupart y ont résidé. Leurs activités professionnelles relèvent en grande majorité du secteur privé et du salariat. Ce profil montre que tout individu, dans ce milieu, n’est pas appelé à écrire un récit généalogique. Mais le profil est identique au XIXe siècle et au XXe siècle.
3Si l’on considère la trajectoire sociale des généalogistes, tous les hommes, à l’exception d’un, ont fait des études supérieures. Ainsi, écrire un récit généalogique exige une dot scolaire élevée : elle est un atout qui donne les moyens de compenser les effets d’instabilité contextuels et de déclassement relatif. Sans elle, auraient-ils écrit de tels récits ? N’auraient-ils pas entamé un processus de descente sociale ? Chez les femmes, seule l’une d’entre elles a trois années d’études supérieures. Quant aux professions, on a relevé que les hommes sont cadres supérieurs du privé, hauts fonctionnaires ou de professions libérales et intellectuelles. Une femme est entrepreneur et une autre a exercé un bénévolat comparable à une activité professionnelle.
4Les trajectoires sociales intergénérationnelles patrilinéaires montrent une ascension sociale qui s’est muée en stabilisation à la génération des pères des généalogistes. Leur appartenance à l’élite de la bourgeoisie de Lyon remonte, pour les trois quarts d’entre eux, au moins à leurs aïeuls, et pour la moitié au moins à leurs bisaïeuls. Du point de vue du diplôme, tous les généalogistes (ou leur époux dans le cas des auteurs féminins), à l’exception d’un, se trouvent au plus haut niveau de diplôme de leur lignée patrilinéaire, même si une petite minorité est à un niveau égal à celui de la génération précédente. Du point de vue économique, le niveau a été, dans quasiment tous les cas, d’emblée à son maximum, à la génération des ancêtres patrilinéaires enracineurs. Il a été, ensuite, le fruit de profits réinvestis des générations suivantes : profits qui ont apporté de nouveaux acquis, mais aussi des fragilités intrinsèques. À la génération des pères, l’aisance est encore présente. À celle des généalogistes, elle ne provient plus des affaires, mais du salariat et de la profession libérale : elle paraît avoir subi un rétrécissement. De telles trajectoires produisent des effets de nostalgie auxquels les généalogistes se sont laissé prendre et contre lesquels ils ont cherché à lutter.
5Les trajectoires des maternels sont peu présentes dans les récits. Elles sont associées à la qualité d’allié des paternels. La lignée maternelle des auteurs est toujours de condition supérieure à celle de la lignée paternelle. Elle appartient à la noblesse dans la grande majorité des cas.
6En grande majorité, les généalogistes ont une trajectoire géographique intragénérationnelle stable. Les quelques autres ne peuvent pas être considérés pour autant comme des mobiles. Leur mobilité n’a été que partielle : leur mode de résidence est en effet multilocalisé. Ainsi, les généalogistes bourgeois sont des acteurs bien enracinés dans leur localité.
LES PRATIQUES DE CONCEPTION ET DE DIFFUSION DES RÉCITS
7Les recherches généalogiques des auteurs portent prioritairement sur les paternels. Elles s’effectuent à partir de leur résidence principale ou de leur maison de famille. Elles sont individuelles, mais la parentèle soutient, dans plusieurs cas, la publication. Elles peuvent durer plusieurs années ou se concentrer sur un an. Les auteurs ont emprunté le plus généralement leurs modèles à leurs maternels qui avaient déjà un ou plusieurs récit(s) généalogique(s) sur leur famille. Les informations proviennent d’actes d’état civil ou notariés et de documents officiels, mais aussi de textes autographes, de lettres, de généalogies brèves, de textes scientifiques, littéraires et artistiques d’ascendants, etc., conservés chez les paternels. Les récits sont manuscrits, dactylographiés ou imprimés. Ils sont remis d’abord aux enfants et à la fratrie, du vivant des auteurs, à l’exception des manuscrits qui sont dactylographiés et copiés, après leur décès, pour être répartis. Pour les petits-enfants, les modalités de transmission diffèrent selon leur âge et le support des recueils. Rares sont ceux qui les reçoivent de la main de l’auteur. Quant à la parentèle, la diffusion ne suit pas d’usage spécifique. Elle dépend de la demande et des relations de proximité. Elle est la plus forte entre cousins voisins sur les propriétés héritées d’un ascendant commun. Les récits ne sont pas l’objet d’un héritage. Ils s’approprient à la suite du décès des auteurs ou de celui de leur conjoint – après le décès du dernier des parents – ou proviennent de la fratrie qui souhaite les voir déposés spécifiquement chez l’un de ses membres. C’est le cas aussi pour la génération suivante, des enfants des auteurs à leurs propres enfants. Les descendants les trouvent dans le domicile de leur parent : ils les prennent simplement pour eux ou pour un frère, aucun membre de leur fratrie ne le souhaitant particulièrement.
8Les récits ont des supports très différents : ce sont des ouvrages, des copies reliées, des petits cahiers ou des feuilles volantes manuscrites ou photocopiées. Leur titre n’informe pas explicitement sur le genre de leur texte. Leur structure interne montre des récurrences : c’est, d’une part, la présence sur la couverture du nom des auteurs – en toute discrétion – et au minimum du patronyme de la lignée patrilinéaire, dont l’histoire est prioritairement contée, d’autre part une armature généalogique, et enfin un contenu qui débute toujours par les patrilinéaires et en leur sein, par leurs origines rurales, puis par l’histoire des Lyonnais. Ils sont adressés à la descendance, dans presque tous les cas, et indiquent les intentions des auteurs. Pour les autres propriétés de leur composition interne, la diversité est la règle : on a relevé ou non des tableaux généalogiques, blasons, photographies de propriétés de famille, portraits, copies de documents, exergues, etc.
LES CONTEXTES SOCIOFAMILIAUX OU POURQUOI LES PATERNELS ?
9L’écriture généalogique provient d’acteurs qui se sont sentis déstabilisés par des dilemmes identitaires issus des contextes de vie de leurs ascendants paternels : deux dilemmes au minimum. L’un est déjà présent avant leur naissance ou pendant leur enfance, et l’autre apparu dans leur propre existence d’adulte, en rapport avec le premier, par répercussion. Les auteurs souffrent en effet d’un discrédit mal défini, porté sur leurs paternels, qui se perpétue à leur génération. Ils témoignent tous de problématiques touchant leurs identités individuelle, familiale et sociale qui les ont laissés face à des contradictions irrésolues dans leur vie.
10Les premiers dilemmes familiaux peuvent remonter à plusieurs générations ou bien avoir atteint la génération du père des auteurs et donc leur propre enfance. Ils proviennent de vicissitudes très diverses. On a noté les effets de crises sociales, mais aussi d’événements internes aux familles, comme par exemple les conséquences de partages d’héritages. Pour les dilemmes ayant touché l’existence adulte des généalogistes, on a repéré là aussi des circonstances très diverses, les mettant face à des choix engageant leurs valeurs identitaires, par exemple des choix de loyautés politiques, professionnelles ou familiales. Les auteurs les exposent dans leur récit en usant de nombreuses et subtiles figures de rhétorique. Ils les désignent à leur descendance, accompagnés des questionnements identitaires qu’ils en déduisent. Ils instruisent les tensions sociologiques qui les ont provoqués ou s’ensuivent. Ils consignent chaque terme de leurs dilemmes. Puis ils montrent ce qui les rend insolubles et provoque des doutes chez eux ou dans leur contexte social ou familial. Ils expliquent n’avoir pas été capables d’y répondre, car ils ont plutôt cherché à être fidèles, comme leurs aïeux, à une référence qui s’opposait à une autre, inacceptable alors. Mais leur réflexion les amène, trop tard selon eux pour en éviter tous les effets néfastes, à découvrir une voie de résolution possible pour l’avenir.
11Cependant, ces dilemmes n’auraient sans doute pas suffi à provoquer leur réflexion et leur cheminement jusqu’à solliciter le genre généalogique pour leur compte, si un autre facteur de déstabilisation ne s’était pas surajouté dans leur propre trajectoire. En effet, tous les généalogistes ont eu leur trajectoire sociale perturbée dans ses prétentions, au regard de leur trajectoire intergénérationnelle. Ils ont subi un déclassement à l’étalon de leurs espérances. Ces perturbations ont été dues à des enjeux professionnels dans la majorité des cas et dans les autres cas, notamment pour les auteurs de sexe féminin, à des enjeux concernant leur patronyme. Ce déclassement relatif ne se détermine pas relativement aux autres membres de leur fratrie, car plusieurs d’entre eux n’ont pas de fratrie à l’âge adulte ; il s’évalue en rapport à leurs patrilinéaires. Les généalogistes témoignent rarement eux-mêmes de ces déclassements : ils font part, quant à eux, de leur impuissance face aux contradictions identitaires familiales qu’ils estiment n’avoir pas su résoudre pour leur compte. Ce sont leurs descendants qui en font part le plus souvent, lors de l’enquête.
12Les généalogistes craignent que ces dilemmes identitaires en jeu dans leur branche paternelle ne se perpétuent, jusqu’à faire perdre la stabilité identitaire et à plus long terme la position sociale de leur famille, dans leur élite et dans leur société. Mais ils ne sont pas sans étais pour rééquilibrer ces fragilités. Ils peuvent compter sur des crédits provenant de plusieurs sources : de leur ancienneté dans leur localité, de la stabilité et de la condition supérieure de leurs ascendants maternels, et de leur dot scolaire.
13En ce qui concerne le premier étai – leur ancienneté à Lyon –, il leur est acquis. Ils ont tous une branche installée à Lyon depuis au moins l’un de leurs arrière-grands-parents paternels ou maternels et la grande majorité ont leurs quatre grands-parents dans la cité. Ils peuvent se prévaloir du crédit d’une telle ancienneté, même si, du côté paternel, ce crédit a été relativement entamé au regard des valeurs de leur société ou de leur milieu social.
14Les généalogistes trouvent aussi un appui chez leurs maternels. En effet, par cette branche, leur enracinement à Lyon est profond : plus profond ou au moins égal, évalué à l’aune de leurs bisaïeuls. Tous les grands-parents maternels sont lyonnais et, sur les deux couples de leurs arrière-grands-parents, quasiment toujours un au moins réside dans la cité, ce qui n’est pas le cas des paternels. L’ancienneté dans leur élite, mesurée à l’étalon de leur mémoire, est aussi plus ample. Tous les généalogistes peuvent désigner un plus grand nombre d’ascendants directs dans leur branche maternelle. Ils sont dépositaires d’un ou plusieurs récit(s) généalogique(s) leur venant de cette branche. Enfin, par sa condition supérieure à celle de leurs paternels, la lignée maternelle les fait bénéficier de sa forte notabilité et de sa légitimité acquise.
15En ce qui concerne le troisième étai – leur dot scolaire –, elle compense le rétrécissement des ressources économiques et les aléas professionnels ou personnels de leur trajectoire. Elle leur assure leurs ressources culturelles et symboliques individuelles, qui les ont amenés notamment à l’écriture généalogique. Les risques encourus par le déclassement relatif de leur position sociale sont atténués par l’assise que leur donne cette dot scolaire. Ces risques sont moins la cause première de la motivation généalogique, que la raison qui les a sensibilisés et éveillés à une recherche de solutions face aux enjeux identitaires et dilemmes touchant les rapports de leur famille à leur contexte social. La descendance des généalogistes s’est maintenue dans la position acquise par ses aïeux. Ainsi, le déclassement chez le généalogiste est partiel. S’il est un facteur explicatif nécessaire, il n’est pas suffisant. Ce qui est pertinent, c’est la réactivité de ces hommes et femmes qui évitent, avec le travail généalogique, la descente sociale que d’autres, non munis de leurs étais, auraient faite.
16Soutenus par ces solides appuis, les généalogistes souhaitent discerner les enjeux qui se posent à eux et évaluer le bien-fondé du discrédit qui pèse de façon diffuse sur leurs paternels. Ils appartiennent par leur patronyme à la condition bourgeoise de leur père, et leurs descendants aussi à leur suite. Leurs destins sont liés. Ils veulent donc sortir des contradictions et du doute, et pour ce faire resituer leurs paternels dans leurs contextes. Ils souhaitent comprendre à quoi ces derniers se sont confrontés pour pouvoir par eux-mêmes statuer sur leurs valeurs et décider de leur pleine affiliation. Ils les voient comme des hommes méritants, même si leur rang est socialement inférieur à celui de leurs maternels et que leurs contextes les ont relativement discrédités. Pour mieux les connaître, ils convoquent la mémoire de leur histoire. Mais ils se heurtent à un manque d’informations. Tous le font remarquer explicitement et signifient, sur des modes différents, leur regret de la perte trop rapide des souvenirs. Cette évocation, récurrente chez tous, a laissé supposer qu’il ne s’agissait pas d’un simple regret que quiconque, en écrivant son histoire familiale ou ses mémoires, exprimerait. Leurs lignées n’ont pas souffert de déracinement récent. C’est donc à un étalon spécifique qu’ont été mesurées l’émergence et l’étendue de ce regret.
17Les généalogistes prennent le risque de s’affilier symboliquement à leurs paternels. Ils ont vécu leur enfance et leur âge adulte dans une dynamique familiale essentiellement maternelle. Étant donnée l’hétérogamie des alliances de leurs parents, ils ont hérité prioritairement du système de valeurs, de la considération et de la mémoire de leurs maternels. De leurs paternels, ils ont la représentation de personnes méritantes, mais ils les connaissent peu. Leur mémoire est doublement tronquée. Leur mère étant la mieux-née de leurs deux parents, leur père et eux se sont identifiés aux références de sa branche et ont vécu ses enjeux. Qui plus est, dans la mesure où leur lignée patrilinéaire a été en ascension sociale sur plusieurs générations, plusieurs de leurs ascendants directs se sont trouvés dans cette même configuration, à commencer par leur ascendant enracineur. Les généalogistes appartiennent à une lignée patrilinéaire dans laquelle plusieurs ascendants ont puisé les références de leur mode de vie, leurs valeurs et leur mémoire à leurs alliés. Ils ont donc cumulé toutes les chances d’avoir une mémoire patrilinéaire limitée. Pourtant, il est arrivé parfois qu’un de ces ascendants ait effectué une brève généalogie de ses paternels. C’est donc que l’effacement se rejoue à chaque génération selon les alliances. Les trous dans la mémoire des auteurs sont ainsi le signe de la moins bonne condition sociale de leurs paternels et se mesurent à l’étalon de celle de leurs maternels. La volonté d’aller jusqu’au bout confirme la considération qu’ils ont pour les premiers, même si plane sur eux un discrédit contextuel.
18Paradoxalement, ils trouvent chez leurs maternels les moyens qui leur permettent de restaurer la mémoire de leurs paternels. Ils leur empruntent les cadres de leur mémoire, pour y glisser les contenus de leur mémoire paternelle. Ainsi, à cause de la condition supérieure de leur mère, cette mémoire a d’abord subi un effacement, puis est sortie par identification de l’anonymat. Les généalogistes bourgeois héritent donc de leurs maternels les moyens de structurer généalogiquement leur identité patronymique. Ils sont ainsi des acteurs qui avaient déjà une conscience généalogique d’eux-mêmes, mais seulement au regard de leurs maternels.
19L’hétérogamie sociale des parents des généalogistes est un déterminant qui explique la modalité par laquelle la pratique généalogique, dans la bourgeoisie, se « démocratise ». On hérite du genre par les femmes : des mères de condition supérieure qui imprègnent de leur mémoire généalogique et de leurs valeurs l’identité de leur fils ou fille. Une conscience généalogique de soi n’émerge donc pas d’emblée pour l’identité globale d’un individu. Elle naît partiellement – et la part maternelle d’abord.
LES FONCTIONS DES RÉCITS GÉNÉALOGIQUES
20L’analyse des contenus des récits montre que le genre généalogique a quatre grandes fonctions pour les familles de la bourgeoisie : la perpétuation de leur identité familiale à partir de mythes, l’enracinement de la lignée paternelle dans sa position sociale acquise, la légitimation de cette lignée aux yeux de leur élite locale et enfin l’institution d’héritiers de leur tradition grande bourgeoise.
La perpétuation de leur identité familiale
21En ce qui concerne la fonction de perpétuation de l’identité familiale, les généalogistes comptent sur la forme mythique du genre généalogique. Elle permet de profiter des mêmes dispositifs symboliques, au sens de Claude Lévi-Strauss, que ceux dont les peuples, les tribus, les sociétés, etc., se servent pour résister aux tensions sociologiques que l’histoire leur impose. Les familles de la bourgeoisie ont besoin de maintenir l’équilibre de leur structure familiale et de résister aux événements qui la perturbent, pour traverser le temps et l’espace. Elles déposent dans leurs récits leurs mythes pour doter chacun de leurs membres de références identitaires qui soient communes à tous. Elles y relatent les circonstances dramatiques de la création de ces références : leur paradis, puis leur paradis perdu et les conséquences en chaîne. Mais le but des auteurs n’est pas seulement de déposer pour perpétuer ; il est de résoudre les tensions dont ils ont eu conscience et de générer de la différence et de la chronologie, pour ne pas laisser la structure familiale face à ses contradictions, impuissante trop longtemps à intégrer les événements de son histoire. C’est ainsi qu’ils font des commencements de leur famille une époque mythique, où elle a d’abord vécu un temps rêvé, où l’abondance régnait sans question ni crainte pour l’avenir, puis un temps d’épreuves, représenté par l’intrusion d’événements sociohistoriques ou familiaux qui ont menacé son identité et fait cesser ses équilibres.
22Les généalogistes se conduisent en médiateurs dans leur histoire, pour sortir leur famille de ce temps des épreuves. Avec les mythes de leur récit, ils ouvrent le champ de possibles à venir. Ils partent de l’état dans lequel se trouve la mémoire de leurs lecteurs – une mémoire mythique – pour renverser leur perception de leurs commencements, en les accompagnant vers une mémoire généalogique. Ils témoignent que celle-ci permet de résister aux transformations du temps, sans stériliser tout ce qui peut être l’ébauche d’un devenir historique. Elle intègre l’histoire, et véhicule des dynamiques de projection et d’anticipation. Les auteurs invitent leurs lecteurs à être fidèles à leurs références identitaires communes, mais non sans imagination, sans transformation, ni calcul des risques : recréer et renouveler, mais non reproduire à l’identique. Ainsi, ils ne conçoivent pas leur récit pour mieux fixer leurs descendants sur leur passé, mais pour les dégager au contraire d’une perspective stérilisante qui fait de leurs mythes fondateurs les seuls marqueurs de leur identité. Leur écriture ne vise pas la conservation des nostalgies du passé familial. Elle lutte plutôt contre ces nostalgies dangereusement captatrices pour les narrateurs eux-mêmes. Elle forge une tradition qui peut apporter, en même temps, un esprit de continuité et un rempart contre une prédisposition à la reproduction. Les récits généalogiques ont pour fonction de se défendre contre ce risque structurel dans les élites.
L’enracinement de leur position sociale acquise
23En ce qui concerne la fonction d’enracinement de la position sociale acquise, les généalogistes s’appuient sur un autre mythe qui réoriente le regard de leur famille sur le lieu originaire de leur lignée patronymique. Ils sortent progressivement de l’anonymat les premiers ascendants de cette lignée. Ils la désignent comme un axe fédérateur pour considérer le passé de leurs références familiales. Leur visée est d’apporter par leurs recherches et leur écriture de nouveaux repères pour permettre à leur famille de retrouver une unité dans ses références et un ancrage capable d’assurer sa position sociale déjà acquise à Lyon, mais discréditée. Ils présentent quatre preuves de leur enracinement dans la bourgeoisie : les preuves de l’enracinement rural de leur lignée patrilinéaire, de l’ancienneté de cette lignée, de sa continuité et de la réussite sociale des premiers ascendants émigrants. Les généalogistes les instruisent les unes après les autres, chacune étant l’objet d’une démonstration qui s’appuie sur des données consultables. Leur didactique n’est pas contraignante pour leurs lecteurs. Au contraire, ils donnent à leurs ascendants des fonctions spécifiques à travers lesquelles ces preuves se découvrent discrètement et se composent peu à peu pour donner à voir plus précisément et autrement cette histoire paternelle.
24Les généalogistes apportent donc tout d’abord les preuves de l’enracinement rural de leur lignée paternelle à partir des lieux dans lesquels ils ont trouvé le plus lointain ancêtre portant le patronyme de leur lignée patrilinéaire. Ils désignent des points de repère topographiques et axiologiques tels que chacun peut les trouver en se rendant sur les lieux. Ce faisant, ils leur donnent une dimension symbolique. Ils les mettent en perspective avec Lyon, de telle manière que leurs situations géographiques respectives se trouvent liées, voire intriquées. Le lieu originaire et Lyon, c’est tout proche ou c’est tout comme. La première preuve de leur position sociale acquise repose ainsi sur le nouage visible du patronyme et du lieu du plus ancien ancêtre des patrilinéaires trouvé.
25Quant à la preuve de l’ancienneté, les généalogistes la présentent d’abord en indiquant la plus ancienne date attachée à la vie du premier ancêtre portant leur patronyme. Cette date dit aux lecteurs la profondeur de la mémoire de leur lignée, chacun pouvant se classer à partir d’elle. Mais les généalogistes ne procurent pas seulement cette date. Ils en fournissent d’autres plus anciennes, marquant le cycle de vie d’autres porteurs de leur patronyme, qui pourraient bien avoir été de la famille, mais dont ils ne sont pas tout à fait certains. Ils représentent ainsi leurs origines immémoriales, repoussant leur ancienneté plus loin encore dans l’imaginaire de leurs lecteurs. Cette preuve constitue une frontière entre légende et histoire : tout ce qui vient avant le premier ascendant du nom est légende et ce qui vient après est histoire. Ce plus ancien ascendant de la lignée est représenté comme déjà doté des traits du bourgeois, du petit bourgeois certes, mais d’un acteur qui, ils en fournissent les preuves par des documents écrits, possède déjà un bien hérité et un réseau bourgeois. Les lecteurs, aussi loin qu’ils peuvent remonter dans leur mémoire, peuvent ainsi s’assurer que leur famille appartient à la bourgeoisie. Avec une telle ancienneté, ils peuvent se reconnaître de l’antériorité et du crédit sur leur avenir, dans leur élite. Ils peuvent avoir une maîtrise symbolique du temps.
26Les preuves de la continuité, quant à elles, leur sont données par la présentation de la liste des ascendants patrilinéaires, depuis le premier du nom jusqu’au père de l’ascendant enracineur à Lyon. À chacun est consacrée une notice qui informe sur son cycle de vie et sur des événements de son histoire. Le sentiment de continuité est donné par la représentation d’une succession de générations porteuses de qualités communes. En effet, les générations se succèdent au sein d’un même temps et dans un même lieu, régulées par la continuité des mêmes tâches. Ce n’est pas le temps du calendrier qui est marqueur de leur identité, mais celui du mythe, à la fois diachronique et cyclique. La famille apparaît alors comme un groupe d’ascendants vivant une même destinée : leur vie à chacun est régie par les mêmes unités de temps, de lieu et d’action. Tous sont présentés comme des individus zélés et oblatifs, attachés à un même destin, orientés vers le service de leur famille. Ils soutiennent une même cause qui permet de les faire reconnaître dans la continuité des bourgeois de Lyon. Leurs biens s’accumulent à chaque génération ou bien ils exploitent le même. Leur notabilité est acquise à la génération du migrateur. Ils constituent un groupe d’appartenance stable, ordonné, unifié, continu, faisant valoir toutes les qualités qui permettent de souhaiter s’y reconnaître et s’y rattacher.
27Le statut des ascendants migrateurs est paradoxal. En effet, avec eux, le maintien des trois unités donnant une représentation de la continuité du groupe d’appartenance devient problématique. Mais les généalogistes montrent que leur départ du lieu de leurs origines n’a pas créé de rupture de la continuité, car ils y entretiennent toujours des relations familiales, sociales, politiques et professionnelles, et y conservent du patrimoine et des biens, dont certains ont traversé le temps et sont encore en possession des familles.
28Ainsi, le changement d’activité n’est pas un facteur de rupture, dans la mesure où la réussite sociale qui en a été la conséquence a servi autant les lieux de départ que ceux d’arrivée de la migration. Ces migrateurs sont représentés comme ayant réussi leur migration tout en étant restés dans la continuité de leurs pères. Ils sont des investisseurs ayant maîtrisé leur destin, même si leur émigration n’a pas toujours été un objectif souhaité. Ainsi, les récits généalogiques traitent des modalités de l’enjeu de mobilité inhérent à la condition bourgeoise. Ils ne font pas des migrateurs des hommes devant rompre leurs liens avec leurs racines pour assumer leur sort. Ils les montrent au contraire orientés vers le risque et le nouveau, tout en restant attachés à l’identité et aux valeurs de leur groupe d’appartenance. Être bourgeois, si cela veut dire être enraciné et installé, cela ne veut pas dire rester fixé au même endroit, sans risquer du nouveau.
La légitimation de leurs paternels dans leur élite locale
29Pour la légitimation de l’appartenance de leurs paternels à la bourgeoisie de Lyon, les généalogistes font appel à l’histoire des ascendants lyonnais, commencée avec l’enracineur. Tout d’abord, quelles représentations donnent-ils les uns et les autres des enracineurs ? Ce sont des hommes qui ont eu une trajectoire sociale en nette ascension par rapport à leurs pères et qui ont réuni un patrimoine très conséquent, qui leur a fait atteindre une aisance substantielle, le plus souvent du plus haut niveau, si on la compare avec celle de leurs descendants. Ils participent activement à la vie économique, sociale et politique de Lyon et du pays, avec les fonctions que tout individu contractait avant la Révolution, en devenant bourgeois de sa localité et, pour les périodes post-révolutionnaires, moins par des mandats électoraux que par leur position de notables. Ils apparaissent d’abord comme des investisseurs ayant pris des risques pour eux, pour leur profession et pour la cité, et ayant innové dans leur secteur. Grâce à la réussite de leurs investissements et à la conjoncture qui l’a permise, ils ont tissé un réseau de relations sociales étendu et pénétré l’élite de leur localité. Ils sont reconnus comme des gestionnaires habiles dans leur domaine et des grands travailleurs qui ont reçu des bénéfices financiers importants de ces deux qualités, et qui ont vu une sociabilité se constituer, puis grandir autour d’eux, à partir de leur profession. Ce sont des hommes qui ont mérité, mais qui sont restés modestes. Leur entourage a trouvé en eux des personnalités attachantes.
30En effet, leurs mérites sont particulièrement loués, mais aussi les épreuves qu’ils ont rencontrées ou sont censés avoir rencontrées, dans les premières années de leur vie lyonnaise, avant de réussir à s’intégrer professionnellement et socialement dans la cité, eux qui sont des migrants. Aucun commentaire ne porte sur la souffrance qu’ils auraient pu éprouver, en quittant leur localité d’origine. Au contraire, comme pour les migrateurs précédents, ils sont montrés en étroites relations avec le lieu de leurs racines. En revanche, les souffrances qui leur sont reconnues concernent la dureté de leur effort d’enracinement. Aussi, si les lecteurs des récits sont invités à compatir, c’est sur cet effort-là qui a abouti à faire introduire la famille dans l’élite lyonnaise. On n’a pas constaté de nostalgie des racines.
31Plus de la moitié des enracineurs ont fait des alliances remarquées avec des familles lyonnaises de condition supérieure à la leur, bien intégrées dans les élites de la cité. Les généalogistes informent très peu sur ces familles alliées. Pourtant, elles portent la signature de l’octroi du droit de bourgeoisie pour la lignée. Elles fixent la date à laquelle le cours de la trajectoire sociale de la famille a changé. Les alliés eux-mêmes sont dépeints comme ayant largement accueilli les enracineurs, à cause des mérites qu’ils leur reconnaissent. Ils les intègrent dans leurs affaires et au sein de leur famille, et ceux-ci leur rendent des services avisés. Les lecteurs sont ainsi laissés sur le sentiment que leurs patrilinéaires ont reçu leur légitimité de leurs enracineurs comme de leurs alliés. Les enracineurs qui n’ont pas épousé de Lyonnaise n’en sont pas moins considérés comme bourgeois, ni moins bien reçus par l’élite locale. Leur réseau prend assise d’abord sur leur notoriété professionnelle et la mémoire familiale ne retient pas cette date pour l’enracinement à Lyon. Il faut attendre l’alliance de leurs fils ou exceptionnellement de leurs petit-fils pour que la lignée soit investie du droit de bourgeoisie par cette modalité. Pour autant, les généalogistes les représentent, eux et leurs fils, plus que les autres, confrontés à des difficultés ou des souffrances associées à leur intégration.
32Il y a donc dans les récits, comme dans ceux d’André Burguière, deux origines : une origine rurale et une origine lyonnaise. Ce dédoublement permet aux généalogistes de rejoindre l’immémorial nécessaire pour signifier l’ancienneté de leur mémoire familiale, tout en affirmant leur droit à demeurer au sein de leur élite lyonnaise. Cependant, paradoxalement, en proposant une date de fixation dans la cité, ils produisent le risque de montrer la famille sous une image de parvenue. Mais le risque est léger, car à l’heure de l’écriture, la lignée est le plus souvent sortie de l’époque qui pouvait la désigner comme telle, ou alors ses alliances n’en donnent pas l’occasion. Quoi qu’il en soit, l’effacement de la représentation de parvenue ne dépend pas d’abord de la distance apportée par le temps, mais des preuves que les descendants ont dans leur mémoire généalogique.
33Mais la légitimation de la lignée ne s’arrête pas à celle de son enracineur. Les généalogistes la poursuivent avec ses descendants. Ils les présentent de telle manière qu’ils constituent un nouveau groupe, dans la continuité du premier, celui d’avant l’émigration à Lyon. Son unité se lit, non plus dans la succession des générations, mais dans leur engendrement. Elle est manifeste par son lieu unique – Lyon –, son époque unique – la période lyonnaise –, et ses actions partagées par tous : travailler à l’intégration progressive de la lignée à Lyon, à son ascension sociale et à la résolution de ses contradictions identitaires, grâce à quoi elle a pu trouver les fondements de son statut d’appartenance à la grande bourgeoisie. Les généalogistes décrivent les difficultés auxquelles leurs ascendants se sont heurtés dans ces tâches. Ils montrent quelles difficultés chaque ascendant, à sa génération et dans son contexte, a rencontrées et comment il a procédé pour les surmonter. Parmi elles, ils mentionnent les enjeux inhérents aux relations de fratrie. Ils montrent leurs ascendants préoccupés par la solidarité mais aussi par la concurrence avec leurs frères ou sœurs. Ils s’attardent longuement sur les services qu’ils se rendent entre eux, comme par exemple l’accueil à Lyon par un aîné déjà installé, et aussi sur les rivalités dues à leur nombre et à leur rang, comme par exemple la réussite inégale de fils lorsqu’ils travaillent à plusieurs dans l’entreprise de leur père, ou encore des procès concernant des partages. Avec cette représentation de leur groupe d’ascendants lyonnais, les généalogistes témoignent de l’investissement individuel de chaque ascendant, avec ses qualités propres et dans son contexte, destiné à satisfaire à leur intérêt statutaire à tous. Ils donnent ainsi sa place au destin individuel. La légitimité dans le milieu local est donnée à lire comme l’œuvre d’un double investissement : collectif et individuel.
34Plus précisément, les généalogistes montrent que, dans la quasi-totalité des cas, l’enracineur et ses fils partagent un même destin, repérable spécifiquement dans leur choix ou niveau d’études, dans leur profession et dans leur mariage. Lorsqu’ils mentionnent la génération suivant ces fils, ils décrivent aussi, entre les deux générations adjacentes, une continuité dans les choix professionnels. Mais ils montrent surtout que, pour cette nouvelle génération, la profession prend le statut d’une contrainte dont on peut se départir. Tous ces petits-fils ont donné la priorité à un mode de vie de propriétaire jusqu’à laisser leur profession dès qu’ils l’ont pu.
35Le nombre des ascendants lyonnais présentés dans les récits varie de un à quatre ; au moins deux dans la majorité des cas. On s’est demandé ce qui a amené chacun des généalogistes à se limiter dans l’information à un nombre spécifique de générations lyonnaises. On a trouvé, dans la quasi-totalité des cas, à l’une des deux dernières générations mentionnées, un membre de la lignée paternelle allié à une épouse lyonnaise appartenant à la noblesse, et à la dernière génération, un membre qui a eu une réputation nationale. Ainsi, les narrateurs instruisent le nombre de générations qu’il faut jusqu’à celles dans lesquelles les lecteurs découvriront cette alliance spécifique et la considération nationale dont bénéficie l’un de leur lignée.
36Les généalogistes ont décrit les modes de vie de ces couples d’ascendants paternels alliés à une épouse de condition noble. Ils dépeignent des hommes, que l’on soit dans les années 1780, 1800, 1850, etc., dont le mode de résidence est multilocalisé, avec un caractère plutôt réservé, n’aimant pas les mondanités, les détestant même souvent, souhaitant ne s’entourer que de quelques amis ou de leur famille, enfin travaillant pour la majorité d’entre eux, même s’ils sont fortunés et qu’ils concilient leur profession avec leur vie de propriétaire. Entre l’intimité et le monde, le travail et la rente, il y a ambivalence chez eux, mais cela ne les a pas empêchés de participer à la vie politique et sociale de leur cité et des bourgs où leurs propriétés sont situées. On les voit jouissant avec bonheur de leurs propriétés terriennes, le plus souvent en étroite relation avec leur épouse. Ces propriétés constituent de véritables centres pour leur famille, dans lesquels ils ont trouvé à concilier leurs références différentes. Tous ces grands bourgeois en ont acheté une ou plusieurs, mais non sans le soutien de leurs alliés. Elles entrent alors dans leur famille en redoublant le patrimoine de leurs épouses.
37Les généalogistes ont peu informé sur les alliés de ces grands bourgeois, mais on comprend par les qualités qu’ils leur attribuent qu’avec eux un nouveau mode de vie émerge dans la lignée, sous l’égide de la propriété. Ils donnent d’eux une représentation paradoxale, invitant à voir la différence des valeurs entre les deux membres du couple, mais aussi leurs ressemblances dans leur mode de vie commun de propriétaire : l’esprit bourgeois s’y allie avec l’âme noble, la réserve avec la gaieté, le souci des affaires avec le goût naturel, la droiture avec la liberté d’esprit, etc. Les généalogistes les distinguent, mais les font se retrouver dans la solidarité familiale et dans l’agrément de leur vie de grands bourgeois propriétaires. La moitié d’entre eux décrivent ces alliés comme socialement et individuellement accomplis, et expriment leur affection pour eux, qu’ils soient bourgeois ou nobles, fortunés, ayant connu des revers, ou d’un niveau économique inconnu : il leur est donné une fonction symbolique forte. Des alliances avec la noblesse ont parfois déjà existé avant cette génération. C’est cette dernière qui fait modèle du fait du plus haut rang de chacun dans son élite et de son mode de vie de grand bourgeois propriétaire.
38Avec de telles qualités, les généalogistes peuvent être assurés de la légitimité de la position sociale acquise de leur famille paternelle dans leur élite et dans leur localité. Ils ont les éléments pour récuser le discrédit qui les a déstabilisés. Ils ont les moyens de limiter les risques d’une descente sociale à venir. Être bourgeois ne les oblige plus à investir une identité qui les honore moins. Ils sont des grands bourgeois et donnent, par voie de conséquence, un nom à la modalité hétérogame de l’alliance de leurs parents dont le plus souvent l’un appartient à la bourgeoisie et l’autre à la noblesse : ceux-ci sont ensemble des grands bourgeois. Ils peuvent se montrer les bourgeois qu’ils sont, ayant la condition bourgeoise la plus élevée – comprenant en elle, la condition noble – dans la hiérarchie de leur élite. À cet étalon, les risques apparaissent moindres et le sentiment de leur unité identitaire est retrouvé. La famille peut désormais prétendre à une identité généalogique par ses paternels.
La fonction d’institution d’héritiers
39Enfin, la fonction d’institution d’héritiers se lit dans le message final des généalogistes à l’adresse de leurs lecteurs et dans les formes de leur énonciation. Les narrateurs témoignent tous de leurs regrets de n’avoir pu rendre hommage à leurs pères comme ils l’auraient mérité, à cause de l’effacement de leur mémoire. Avec le genre généalogique, ils bénéficient d’un support qui leur permet de pourvoir à leur devoir de mémoire, comme ils le souhaitent. Ils estimeront leur devoir accompli une fois le récit achevé. Mais en fréquentant leurs ascendants durant leur quête, ils ont découvert ce qu’ils leur doivent et ont contracté une dette qui restera. Ils ont pris conscience des nombreuses ressources que leurs ascendants ont accumulées et transmises jusqu’à eux. Ils ont trouvé les moyens de résoudre leur dilemme et de restaurer leur légitimité. À la fin de leur récit, ils se montrent confiants dans l’avenir et résolus. Ils convient leurs descendants à accueillir cette dette et à puiser en elle pour se construire.
40Cette dette contractée, ils en font un indu. Ils en donnent conscience à leurs lecteurs et les invitent à s’en souvenir. Cependant, ils ne la présentent pas comme un poids. Elle est d’abord une créance dont personne ne réclame le solde. Ils appellent à en tirer profit. Ils souhaitent sa reconnaissance et sa transmission, lorsque le temps sera venu.
41Avec les généalogistes, une nouvelle ère commence dans la famille : l’ère de la reconnaissance de la dette. En effet, en découvrant leur indu, les généalogistes trouvent de nouvelles sources à proposer pour reformuler leur identité. À partir de lui ils renversent les rapports familiaux. Ils font passer leurs descendants, d’une part, d’un rapport de dépendance passive envers leurs premières sources identitaires à celui, actif, de réinvestissement de celles-ci dans de nouvelles sources, et d’autre part, d’un rapport de reproduction pragmatique de leur univers familial à un rapport de production symbolique. Les indus proviennent d’ascendants qui ont travaillé à réunir l’acquis sur lequel les descendants se sont reposés et dont ils ont profité, à l’époque de leur paradis. Un indu n’est pas un éden. C’est un legs. Pour qu’il fasse effet, il nécessite qu’on s’y investisse individuellement. La continuité de leur appartenance à leur élite exige donc que chaque descendant s’approprie une telle mentalité : profiter de leurs legs, en décidant des moyens du réinvestissement de leurs créances et en dégageant un surplus à transmettre à leur tour à leurs descendants. Ainsi, les généalogistes fondent l’attrait de l’héritage familial sur un indu.
42Mais leur témoignage ne serait pas suffisant s’il n’était soutenu par les règles du genre. En effet, tout art socialement recevable met à disposition un espace symbolique pour dire ses souhaits à l’adresse d’un public adapté. Les généalogistes profitent de la forme testamentaire du récit généalogique. Grâce à elle, ils peuvent imaginer faire aboutir les héritages symboliques de leurs paternels qui ne peuvent compter sur une dévolution. En effet, ils expriment leurs souhaits comme parents ou ascendants, et s’adressent à leurs enfants ou descendants, et savent qu’ils peuvent être lus après leur décès. Ils peuvent ainsi compter sur un transfert affectif fort, et en conséquence sur la force performative de leur message. Ils peuvent aussi profiter de la liberté d’expression que leur octroie le genre pour sublimer les qualités de ceux qu’ils choisissent et conduire leurs descendants à se les approprier.
43Avec ces facultés, les généalogistes ont les moyens d’infléchir la socialisation de leurs descendants. Le genre généalogique a une fonction de socialisation anticipatrice. Ils peuvent leur présenter un groupe de référence, apte à leur offrir des valeurs et des cadres sociaux, au plus près des codes attendus par leur élite. Ils proposent un soutien pédagogique à leurs enfants adultes pour qu’ils puissent éviter deux positions socialisatrices inadaptées à leurs cas : l’une qui amène les générations socialisatrices à imposer par la contrainte morale aux générations en cours de socialisation une reproduction de leurs modèles, et l’autre qui est à son opposé et qui laisse sans balise l’appropriation des valeurs, prenant le risque de voir les jeunes générations trouver leurs références auprès de groupes trop éloignés de leur élite. Ils désignent ainsi à leur famille des pôles d’identification pouvant exercer un tropisme sur leurs descendants. Leurs récits s’adressent donc à leurs descendants qui souhaitent une stabilité et une continuité, se définissant moins par l’observation d’une posture traditionaliste que par une capacité à résister à des oppositions venues de l’extérieur, à maintenir leur structure et à la modifier de façon ordonnée.
44Ces groupes de référence ont la particularité d’être composés très majoritairement d’ascendants morts, qui ne sont donc pas en interaction directe avec les descendants. Ils peuvent avoir laissé des traces fortes dans l’imaginaire des descendants, mais le temps a passé sur eux. Ils peuvent emporter l’affection, mais sans rendre prisonniers. Ils peuvent être des modèles, sans produire le risque de s’imposer par eux-mêmes. C’est leur esprit qui compte.
45Par ailleurs, ces pôles d’identification ne sont pas seulement des figures patrilinéaires. Les maternels ont leur entière place. Ils sont estimés aussi dignes que les premiers, quand bien même leur présence occupe, dans la grande majorité des récits, moins d’un dixième de la place. Ce sont donc de véritables filiations électives que les généalogistes proposent à leurs descendants. On y trouve les ascendants enracineurs et grands bourgeois lyonnais comme pivots. Pour eux, le ton est lyrique, le registre plus affectif, les généalogistes plus impliqués et les qualités sublimées.
46Les lecteurs sont appelés à s’appuyer sur leurs modèles, pourvoyeurs du meilleur équilibre, pour leur condition sociale et leur identité familiale. Le genre généalogique permet de désigner à l’intérieur d’un groupe d’appartenance, reposant sur une sociabilité principalement familiale, un groupe de référence capable de fixer les identifications. C’est là le statut des ancêtres, dans une élite : être des tiers exemplaires entre les générations d’une même famille et dialectiser leurs rapports.
47On découvre aussi la fonction d’institution d’héritiers dans les formes d’énonciation des généalogistes. Ils n’ont pas la prétention de croire que leurs attentes seront exaucées du seul fait des liens familiaux et de la légitimité des documents qu’ils présentent. Ils comptent sur des stratégies de persuasion pour emporter l’adhésion et s’impliquent dans leur énonciation. Ils souhaitent davantage qu’une simple lecture. Ils veulent transformer les croyances communes qui portent sur les origines de leur famille : des représentations qui se donnent comme des évidences partagées par tous, mais qui sont responsables de leur impuissance à résoudre leurs tensions sociologiques. Ils font ainsi usage de procédures énonciatives qui leur permettent de conduire pas à pas leurs lecteurs, pour que ceux-ci opèrent les transformations qu’ils pensent nécessaires. Ils profitent de la forme du genre généalogique qui a la propriété de commencer par la narration d’un mythe, pour pouvoir traiter ces tensions et pour ne pas avoir à entrer dans le débat d’idées, le mythe s’adressant à la part affective des lecteurs.
48Ils cherchent tous alors à installer un contrat de confiance avec leurs lecteurs, à partir de ce qui leur est apparu bien connu de tous, du passé de leur famille. Il faut que ce contrat soit bien solide, car ils ont pour objectif, à partir de lui, de semer un doute. Ils sollicitent l’attention toute spéciale de leurs lecteurs et leur engagement à leurs côtés, en favorisant les formes syncrétiques de leur énonciation (nous). Mais ils divisent aussi les traits identitaires organisateurs de leur famille en deux catégories bien distinctes, de telle manière que les lecteurs puissent faire la part entre ce qui est souhaitable pour leur avenir (attribué au vous) et ce qui doit être laissé au passé pour libérer leur imaginaire familial de certains messages (attribué au je).
49Ce faisant, ils leur montrent, en les conduisant d’ascendant en ascendant, que le temps introduit du changement et que les générations ne se confrontent pas aux mêmes enjeux pour perpétuer leur identité, même si les générations se trouvent dans la continuité et ont hérité d’un même mythe fondateur. Ils les convoquent donc à se décentrer pour prendre conscience de leur appartenance à leur génération. Ils leur font apparaître les différences qui existent entre le temps chronologique et le temps intérieur, ce qui a été confondu jusqu’à l’heure de l’écriture. Mais, s’ils ont souhaité montrer ces différences, ils n’ont pas pour intention de les voir se radicaliser, car la stabilité identitaire est leur objectif. Ils offrent les bases d’un héritage commun, véritables éléments de liaison qui maintiennent une mémoire commune à toutes les générations, sans pour autant annuler celle inhérente à chaque génération. C’est à cette condition seulement que leurs lecteurs peuvent prendre conscience du double mouvement de leur identité, et la concevoir ainsi à la fois comme héritée et à construire.
50Placés en guides, les généalogistes ne peuvent éviter de juger les valeurs de leurs ascendants. Un tel jugement est particulièrement délicat s’agissant de parents. Il ne peut exister qu’au prix d’une critique bien fondée et édificatrice. En effet, si la critique déprécie trop fortement les comportements des ancêtres de la famille, le passé ne peut servir l’avenir et le récit risque d’entrer dans un débat polémique. Il s’agit de pouvoir juger de sa famille, sans pour cela se trouver déprécié comme sujet qui en est issu ou comme participant à son énonciation. Les généalogistes tiennent compte de ces risques dans leurs performances persuasives, en faisant usage de la litote, de la métaphore, des interrogations, etc., permettant d’allier la critique et l’appréciation.
51Enfin, l’institution d’héritiers est directive lorsque les généalogistes font aboutir l’héritage familial, en affiliant collectivement ou, pour la grande majorité, nommément, leurs descendants à un couple éponyme désigné. Ils ont porté leur choix sur un couple qui réunissait un grand bourgeois lyonnais et son épouse d’origine noble. Il s’agit, dans la plupart des cas, des grands bourgeois exemplaires déjà cités. Lorsqu’il y a plusieurs couples avec un tel profil, c’est la génération la plus ancienne de la lignée patrilinéaire qui l’emporte. Les seuls généalogistes qui n’ont pas procédé à un rattachement de chacun de leurs descendants sont, d’une part ceux qui n’ont pas de branche appartenant à la noblesse, et d’autre part ceux qui ont suggéré que leurs alliés nobles avaient mis en difficulté leurs ascendants patrilinéaires. Aucun généalogiste n’explique les raisons de ses choix. Pour autant, on constate que les couples désignés cumulent les qualités qui expriment le mieux le double héritage familial des généalogistes : l’alliance de la bourgeoisie et de la noblesse les plus anciennes que l’on trouve dans la lignée. Les récits restituent les deux aspects de cet héritage paternel, le patronyme (bourgeois) ne les rendant pas visibles aux yeux des autres. Ils formulent l’identité familiale telle que les auteurs souhaiteraient la voir se perpétuer. Ils font aussi découvrir une large parentèle et connaître les liens de parenté qui unissent leurs lecteurs à leurs collatéraux, sources essentielles d’activation du réseau, dans la bourgeoisie.
52Ainsi, avec leurs récits généalogiques, les familles bourgeoises bénéficient d’un précédent constituant un idéal et garantissant leur pérennité dans leur élite, comme le dit Bronislaw Malinowski des récits des origines. Avec eux, elles se confèrent un prestige et une distinction. Elles renforcent leur identité. Elles y découvrent les orientations pertinentes pour occuper leur place, à chaque génération.
53Mais le discours écrit a un grave inconvénient, avait prévenu Socrate. Il « roule partout et passe indifféremment dans les mains des connaisseurs et dans celles des profanes, et il ne sait pas distinguer à qui il faut, à qui il ne faut pas parler. S’il se voit méprisé ou injurié, injustement, il a toujours besoin du secours de son père ; car il n’est pas capable de repousser une attaque et de se défendre lui-même »1. Une fois les pères des récits disparus, comment savoir ce qu’en feront leurs frères et sœurs, leurs fils et filles, leurs neveux et nièces, leurs petits-enfants et petits-neveux, leurs cousins, etc. ? Les auteurs l’ignorent ; ils connaissent le risque ; ils font confiance ; quelques-uns parmi les proches sauront sans doute recueillir et transmettre…
COMPARAISON AVEC LA DÉMARCHE GÉNÉALOGIQUE DANS LA BOURGEOISIE AUX SIÈCLES PRÉCÉDENTS
54Retrouve-t-on des facteurs communs entre la démarche généalogique de la bourgeoisie contemporaine et celle de la bourgeoisie des siècles précédents ? À la lecture de l’étude d’André Burguière sur cinq généalogistes des temps modernes, on peut voir qu’ils partagent plusieurs caractères avec les auteurs de notre corpus. D’abord, ce sont des hommes, l’un parmi eux écrivant la généalogie de son épouse. Ils font œuvre personnelle mais sont sollicités par leur famille qui leur confie le livre de raison au décès de leur père (ou beau-père). Deux d’entre eux sont aussi des cadets, fils de cadet. Ils s’intéressent en priorité à leurs patrilinéaires et mettent en évidence leur ascension sociale. Ils ont presque tous la même profession que leurs pères respectifs et sont donc dans une phase de stabilisation sociale au regard de ces derniers. D’autre part, les écarts des générations qui les séparent de leur enracineur sont divers, mais le minimum est de deux générations.
55Ils répondent à des besoins de légitimation et de médiation, mais rien ne dit qu’il y ait eu un déclassement. Le discrédit et la déstabilisation sont présents. Les preuves d’enracinement dans leur milieu social sont faites ; celles de légitimation dans leur milieu local de même, mais elles ne font pas référence au statut de grand bourgeois. Sans doute est-ce parce que les localités de résidence sont de petites villes, et non à cause d’une différence structurelle entre les époques. Enfin ils font part de difficultés rencontrées par leurs ascendants et par eux-mêmes.
56Dans l’étude de Charles de La Roncière sur la famille toscane des Velluti, à la fin du XIIIe siècle, on remarque aussi les preuves de légitimation et la position de médiateur du narrateur, ainsi que des attentes de transformation suite à des discrédits. On reconnaît le souhait de servir la mémoire de ses descendants ainsi que celle des autres membres de sa maison. On trouve surtout la présence très forte de la mère qui éleva seule le généalogiste, ce qui entraîna chez lui une moins bonne conscience de ses paternels, comme il le spécifie. Ainsi, l’effacement des paternels pose aussi un problème au généalogiste. Trois générations le séparent de son ascendant enracineur. On observe aussi la présence d’un déclassement et de dilemmes dus à ses contextes sociaux et familiaux.
57Alors, jusqu’où la différence des époques, pour une même couche sociale, modifie-t-elle le rapport des individus avec leur généalogie ? Hormis la disparition des livres de raison, l’étude comparée ne témoigne pas de différences structurelles essentielles. Certes, l’orientation de notre recherche a poussé à souligner les ressemblances. Mais en l’état de la documentation, il semble qu’on peut avancer que des conditions communes incitent les familles de cette élite et, chez elles, certains individus plus que d’autres, quel que soit le siècle de notre histoire européenne, à solliciter le genre généalogique.
COMPARAISON AVEC LA DÉMARCHE GÉNÉALOGIQUE DES NOUVELLES POPULATIONS
58Les nouvelles populations venues à la généalogie depuis les années 1970 ont aussi des organisateurs communs avec la bourgeoisie de l’époque contemporaine. En ce qui concerne le profil identitaire, on retrouve les mêmes variables du sexe et de l’âge. On observe la même priorité donnée aux paternels, à leur ascension sociale intergénérationnelle et à l’ascendant qui l’a permise. On relève un même écart entre le généalogiste et la génération de cet ascendant (petit-enfant ou arrière-petit-enfant en majorité).
59Néanmoins, pour l’âge, il faut nuancer et faire remarquer que les nouvelles populations peuvent s’investir dans leur quête plus jeunes. À quoi la différence tient-elle ? À un contenu plus léger de la généalogie qui permet de mener de front carrière professionnelle et recherche des ancêtres ? À l’abaissement conjoncturel de l’âge d’entrée en grand-paternité, en cette période des années 1970 à 1990 en France ? Mais les cinq généalogistes bourgeois qui ont achevé leur écriture à cette époque ne s’y sont pas pris plus tôt que les six autres qui avaient écrit à la fin du XIXe et au début du XXe siècle. Au manque de tradition qui rend plus urgente l’intervention en direction de la descendance ? Ou plutôt, plus certainement, à l’utilité de la généalogie pour la carrière professionnelle ?
60En effet, même si aucune recherche systématique n’a mis en relief le secteur d’activité des généalogistes de ces populations, on a constaté, à partir du relevé des cas cités en exemple dans les études, leur appartenance à des secteurs public, social et associatif. On peut y ajouter les secteurs privés de la très grande entreprise multinationale et de la banque qui ont en leur sein des cercles généalogiques, mais qui n’ont pas fait l’objet de recherches. Quel profil ces deux secteurs recrutent-ils également ? Son identification permettrait de mieux évaluer l’impact de ce facteur sur le recours à la généalogie. On y trouve des salariés de catégories homogènes socialement regroupés sur des mêmes sites – employés administratifs ou techniciens et cadres – et très fortement appelés à adhérer à l’identité de leur administration ou de leur entreprise. Les très grandes entreprises et banques ont le caractère commun d’avoir été nationalisées ou, si elles sont américaines, d’avoir été très fortement implantées en France, toutes bénéficiant d’une image sociale reconnue tant pour le service rendu à leurs usagers ou leurs clients que pour leur politique sociale très favorable. Peut-on y voir le profil de salariés historiquement tournés vers le service de la collectivité ? Si, à l’instar du cercle des PTT, plusieurs membres de générations différentes y ont été recrutés, peut-on penser que la carrière sociale du généalogiste en est meilleure et se régule mieux par la mise en œuvre généalogique ?
61En ce qui concerne le niveau social des généalogistes, la question reste posée du seuil à partir duquel la généalogie est pratiquée. Les observateurs des nouvelles populations ont relevé des fonctions et professions allant du simple employé administratif au salarié appartenant à une couche supérieure issue de couche moyenne. Le champ est large et on manque d’informations précises concernant les facteurs qui déterminent ce seuil. Le diplôme est-il un facteur pertinent ? Son degré ou seulement le degré d’études, doit-il être, comme dans la bourgeoisie, au moins égal et plutôt supérieur à celui des ascendants patrilinéaires ?
62Pour la trajectoire géographique, les chercheurs notent que l’objectif commun vers lequel les généalogistes tendent est l’enracinement. Mais certains observateurs des nouvelles populations y voient la répercussion d’une mobilité. Les premiers voient la généalogie comme le moyen de renforcer son identité et sa place dans le milieu dans lequel on est en train de s’enraciner ; la localité en est le pôle privilégié. Elle est aussi le moyen de protéger sa famille contre les aléas de l’histoire. Ainsi, les nouvelles populations comme les bourgeois travaillent à maintenir leur place acquise dans leur milieu local et social.
63Avec les seconds qui ont témoigné de l’existence de généalogistes mobiles, on constate dans l’une des études qu’à l’époque de leur quête généalogique, ceux-ci étaient clairement dans une dynamique d’enracinement. Ils avaient en effet choisi la mobilité puis, le regrettant, étaient revenus sur leur décision. Ainsi, c’est moins l’enracinement que la volonté d’enracinement qui fait le généalogiste. Et pour les autres, on apprend que les généalogistes répondent aux cassures de leur mémoire dues à leur mobilité professionnelle. Comment comprendre cette dernière observation qui semble porter une contradiction ? On s’est demandé si, comme chez les bourgeois de l’époque contemporaine, certains généalogistes des nouvelles populations ne vivaient pas, eux aussi, un paradoxe entre mobilité géographique et stabilité sociale. En effet, les généalogistes qui souffrent de ces cassures de la mémoire appartiennent à des secteurs d’activité nécessitant une mobilité géographique. Le plus souvent, plusieurs membres ou générations de leur famille y appartiennent aussi et donc ont été, eux aussi, mobiles. Ces généalogistes pourraient donc souhaiter renforcer leur ancrage dans leur milieu social qui est d’abord leur cadre professionnel. Ne cherchent-ils pas paradoxalement en se déracinant géographiquement à s’enraciner socialement ?
64L’alliance hétérogame des parents est aussi un facteur commun, même si elle a été remarquée par un seul observateur chez de nouvelles populations. Il serait pertinent de savoir si les mères, dans ces cas, appartiennent à des familles de la bourgeoisie. On pourrait en déduire un même principe de « démocratisation » que dans les familles bourgeoises. En quoi la mise à disposition des associations généalogiques, des ouvrages et des sites Internet influence-t-elle la motivation généalogique par rapport à l’héritage familial maternel ? Ces outils ont été conçus dans la perspective des classes moyennes, dans l’idée de mettre à la portée de la collectivité des moyens favorisant la connaissance, avec toute l’ambiguïté qu’on peut y voir, dans la mesure où une telle orientation favorise l’expansion de leurs propres représentations et valeurs sociales.
65Une rhétorique de légitimation, avec les mêmes problématiques de déclassement et de loyauté, existe également dans les deux couches sociales. On trouve aussi le même exposé des difficultés vécues par les aïeux et de leurs répercussions, pas seulement de leurs réussites. On constate un sentiment d’inquiétude, chez le généalogiste, pour son avenir et pour celui de ses enfants, même s’il n’a été relevé comme tel que par un seul des observateurs des nouvelles populations. Les autres observateurs font allusion aussi à une inquiétude mais sous d’autres formes, lui donnant globalement des origines diverses, comme l’éclatement de la famille, la mobilité géographique, le mode de vie industriel ou la perte de valeurs religieuses.
66La famille a pour tous une grande importance. Les souhaits de continuité et de tradition sont partagés. Les généalogistes s’adressent à leurs descendants et ont la volonté de voir perpétuer les valeurs et modèles familiaux qu’ils estiment. Ils constituent de même des lignées d’élection. Ils honorent leur devoir de mémoire. Ils s’appuient aussi sur les dettes envers leurs ascendants pour soutenir la transmission de leur héritage familial symbolique. Les ancêtres de la généalogie ont une fonction de socialisation anticipatrice.
67Néanmoins, certains observateurs constatent chez les généalogistes des nouvelles populations une tension entre le désir de s’inscrire dans une continuité héréditaire et celui de vivre une liberté individuelle : ils semblent plus narcissiques. On peut se demander si les généalogistes de chaque couche sociale n’ont pas la nécessité de partir de leurs valeurs sociales les plus reconnues pour accompagner leurs descendants vers les valeurs complémentaires à développer. Ils font communément appel à un investissement individuel paradoxal pour un travail de maintien de la position acquise. Mais les généalogistes bourgeois invitent leurs descendants à quitter, dans cette perspective, leur état de dépendance nostalgique à leur groupe familial et à développer leur identité individuelle, au service de la famille. Les nouvelles couches sociales convient leurs descendants à limiter cette forte identité en lui ouvrant des voies d’identification nouvelles dans le passé ; la nostalgie n’a pas été relevée comme un enjeu.
68En fin de compte, la généalogie travaille à faire cohabiter valeurs héritées et valeurs individuelles et à articuler héritage familial et destin individuel. Que l’on se trouve dans une population ou dans une autre, elle permet de nouer ces deux tendances paradoxales, constitutionnellement en tension dans une couche sociale consciente d’elle-même.
69Dans les deux populations, on remarque aussi que le généalogiste est plutôt solitaire et que son entourage est d’ailleurs partagé sur l’intérêt de cette pratique. On peut alors se poser la question de l’ambiguïté inhérente au dessein généalogique, mais qui se remarque moins en ces termes dans la bourgeoisie, à savoir la contradiction entre l’isolement du généalogiste et son intention de travailler pour la famille et pour transmettre. Ce dessein est-il alors avant tout un service rendu à soi-même pour réparer les lacunes et les ruptures de sa mémoire et retrouver sa légitimité, mais pour lequel on aurait besoin de la famille ? Ou bien plutôt, cette solitude est-elle la conséquence du travail généalogique sur l’entourage, soit des effets perturbateurs dus aux modifications qu’il engendre dans la perception de la famille, la négociation conjugale des mémoires et les attentes envers les enfants et les petits-enfants ?
LES TRAITS COMMUNS AUX DEUX COUCHES SOCIALES : POUR UNE APPROCHE ANTHROPOLOGIQUE DE LA GÉNÉALOGIE
70Peut-on dire enfin que des traits communs identifient les généalogistes bourgeois – considérés dans la dimension temporelle de plusieurs siècles – et les généalogistes des couches moyennes ? Peut-on estimer que des conditions élémentaires individuelles, familiales et sociales orientent vers l’écriture généalogique ? Les études menées jusqu’à ce jour portent à répondre favorablement à ces questions. Mais comparer les auteurs, les usages et les fonctions d’un genre littéraire qui a traversé les couches sociales et le temps, pour en dégager des traits identitaires élémentaires communs, n’est pas sans poser de problèmes méthodologiques. En effet, le genre généalogique est stable et à ce titre, on peut comparer les profils identitaires de ses auteurs. Mais ses usages et ses fonctions varient. Cela invite à la prudence, mais n’oblige pas à renoncer à une comparaison plus ample. Car l’élasticité des formes et des règles de ce genre, et la liberté d’expression qu’il laisse à ses auteurs permettent de servir justement des attentes différentes.
71Si l’on réunit ainsi les caractéristiques du profil du généalogiste relevées par l’ensemble des observateurs de ces deux milieux sociaux, on peut déterminer que le généalogiste est plutôt un homme, d’un âge avancé, et d’un niveau social et culturel moyen ou supérieur. L’objet de sa généalogie est sa lignée paternelle – une lignée en ascension sociale et dont l’un des membres (un aïeul ou un bisaïeul, en majorité) a eu un rôle dans l’histoire. Le généalogiste porte une grande attention à sa famille et à son avenir. Il a une visée de continuité et recherche une ancienneté pour renforcer son enracinement dans son milieu d’appartenance. Il attend une légitimation de sa généalogie. Il se sent un devoir de mémoire envers ses ascendants.
72À ces déterminants, on peut ajouter ceux qui ont été remarqués dans les deux couches sociales, mais pas par tous leurs observateurs, et qu’il s’agirait de confirmer plus généralement. Le généalogiste a été moins imprégné de l’identité et de la mémoire de ses paternels que de ses maternels, dans son enfance, car il a une mère de condition supérieure à son père. Il a aussi été touché personnellement dans sa propre trajectoire par un déclassement et souffre d’un discrédit porté sur son ascendance paternelle. Il souhaite voir sa famille se perpétuer et a le souci de l’avenir de sa postérité. Il forge en modèle une lignée élective dont il attend de sa descendance une identification et une affiliation. Son œuvre est individuelle, mais peut être soutenue par d’autres membres de sa famille.
73Ces structures élémentaires du profil identitaire du généalogiste ne sont pas sans poser question à l’analyste de notre société post-moderne. On constate la présence de représentations et de valeurs communes aux élites traditionnelles et aux couches moyennes. On remarque que l’avènement de la démocratie et la montée de l’individualisme n’effacent pas des problématiques sociales et familiales que l’on pouvait croire révolues : comme les effets du rang dans la fratrie, de l’ascension sociale, de l’hétérogamie, de la mobilité géographique, l’existence d’une négociation de la transmission de la mémoire et des représentations de l’identité à chaque génération, l’importance du groupe d’appartenance, le besoin de s’identifier par sa filiation, le désir d’une ancienneté, d’une continuité familiale et d’un enracinement social, le sentiment de devoir ou de dette vis-à-vis de ses ascendants, le poids du patronyme, etc. Quel sens donner à la persistance de ces problématiques que l’on pourrait considérer comme paradoxales aujourd’hui, hors des élites traditionnelles ?
74Tout d’abord, si l’on observe les nouvelles populations, on peut voir qu’elles réunissent les quatre caractéristiques que Georges Duby indique pour définir les contextes dans lesquels la pratique généalogique a émergé dans chaque couche sociale des élites, en Europe. Elles ont en effet, comme l’aristocratie et la bourgeoisie, une conscience de leur identité sociale, de leur héritage familial et de l’avenir de leur descendance. Elles ont aussi, dans les cas des généalogistes observés, au moins un membre de leur famille qui a eu un rôle dans l’histoire. Est-ce à dire que les nouvelles populations constituent depuis une trentaine d’années une élite, ce qui les amènerait à avoir besoin des mêmes instruments de régulation sociale que la bourgeoisie et l’aristocratie pour se pérenniser : une élite nouvelle, non encore traditionnelle, mais travaillant à le devenir ? La question vaut la peine d’être posée. L’hypothèse pourra être confirmée quand la preuve sera faite de la présence chez elles d’une hérédité provenant d’une dissémination de pouvoirs régaliens. Bien sûr, dans un contexte démocratique, on ne peut relever d’hérédité en tant que telle. On peut, en revanche, considérer que ce caractère de l’Ancien Régime prend la forme de l’appartenance de plusieurs générations d’une même famille à une même administration, voire à une très grande entreprise ou à une banque. Quant à la dissémination des pouvoirs régaliens, il faut attendre des recherches sur les secteurs d’activité des nouvelles populations. Elles permettraient de confirmer si ces nouvelles populations ont la spécificité d’être composées de salariés orientés vers le bien de la collectivité et le service de l’État. N’était-ce pas le destin de la noblesse et de la bourgeoisie de se préoccuper, traditionnellement, après le roi, du bien commun : pour la première, dans sa nation et pour la seconde, dans sa cité ? À la fin du XXe siècle, c’est celui de l’État, avec ses institutions relais, qui a promu, à travers le salariat, une identité nouvelle – une élite nouvelle – fondée sur une appartenance à un groupe social devenu conscient que ses membres ont un rôle à jouer dans la construction sociale et citoyenne de leur contexte, par l’intermédiaire de leur profession et de leurs engagements. Les logiques de redistribution régalienne pourraient être à l’œuvre encore dans le mouvement de ces nouvelles populations vers la pratique généalogique.
75On peut s’étonner aussi que ces nouvelles populations – qu’on les qualifie d’élite ou non – prêtent autant d’importance à leur groupe d’appartenance. Elles investissent, comme l’aristocratie et la bourgeoisie, dans un long travail de recherche et d’écriture pour perpétuer leur mémoire, leurs représentations, leurs valeurs et leurs usages. Elles font de leur filiation un gage d’identité. Ainsi, au cœur de la démocratie, hors des élites traditionnelles, le recours à la mémoire permet toujours de maintenir les acquis de son héritage familial quand celui-ci a été distingué par l’histoire. Les couches moyennes, comme la bourgeoisie et l’aristocratie, agissent à l’instar de tout groupe social fortement identifié. Elles ont besoin de pérenniser leurs positions individuelles, familiales, sociales et symboliques. Pour cela, elles ont besoin d’une anthropologie leur permettant de trouver les médiations nécessaires à la résolution de leurs tensions sociologiques. Elles peuvent la trouver dans le genre généalogique disponible à cet effet. Elles peuvent alors transmettre des mythes et des traditions, pour retrouver ou renforcer leurs équilibres, quand les événements historiques ébranlent leur structure. Elles peuvent légitimer leurs modèles d’identification et assurer la socialisation de leurs descendants par anticipation. Elles peuvent faire de leurs ancêtres des médiateurs porteurs des qualités et valeurs qu’elles souhaitent voir s’approprier dans l’avenir. Elles peuvent s’affilier des héritiers, car l’héritage symbolique n’a pas de dévolution, mais leur impact est limité par l’usage que voudront bien en faire ces derniers. Elles ont en effet uniquement leur lien familial et leur rhétorique pour les inciter. Le genre généalogique est ainsi un genre littéraire qui offre sa forme simple, au sens d’André Jolles, c’est-à-dire son armature généalogique, ses règles souples et sa liberté d’expression pour élaborer une anthropologie pertinente capable d’agir sur la vision et les choix identitaires des individus d’une famille et d’un groupe d’appartenance en quête d’héritiers.
76Il faudrait aussi pouvoir mieux comprendre l’impact du rang dans la fratrie des généalogistes et surtout de celui de leur père et de leur grand-père, sur la motivation vers l’écriture généalogique. Est-ce seulement dans la bourgeoisie que les généalogistes appartiennent à des branches cadettes de leur filiation paternelle ? L’aristocratie est-elle dans le même cas ? Chez elle, le récit généalogique peut mettre en lumière l’histoire d’aînés de fratrie. Pour autant, rien ne dit que le généalogiste doit appartenir à une branche aînée. Car on peut mettre en relief l’histoire d’une lignée aînée en évoquant seulement l’époque où ses propres ascendants étaient des aînés, et appartenir à une branche cadette. Q’en est-il pour les nouvelles populations ? L’étude est à faire. De plus, il reste à se demander en quoi l’appartenance à une telle branche favorise une affiliation symbolique aux maternels. Répondre à ces questions permettrait de donner toutes ses dimensions à la problématique d’effacement de la mémoire paternelle.
77De même, l’impact de l’hétérogamie des parents et des couples des généalogistes, en faveur des femmes, interroge. En ce qui concerne les parents tout d’abord, on trouve sa présence systématique dans la bourgeoisie contemporaine. Elle est donc un facteur essentiel engageant les positions identitaires des individus et des familles dans leur groupe d’appartenance ; on l’observe aussi chez un bourgeois du XIVe siècle. Si, dans les élites, on peut en supposer l’importance, dans les nouvelles populations, on se demande quel enjeu elle peut créer pour ainsi provoquer le souhait de faire sa généalogie ; on la relève seulement dans une étude. Est-ce parce que l’identité individuelle et familiale est toujours, aujourd’hui, associée socialement au patronyme paternel ? Le nom classe socialement, à partir d’images et règles sociales qui tendent à identifier les individus à leurs paternels et à oblitérer les traits issus des maternels. Notre hypothèse est que le genre généalogique permet de donner présence et forme à tous les caractères identitaires souhaités – les paternels comme les maternels – en traitant le nom comme un paradigme.
78Le généalogiste a en effet une position paradoxale dans sa lignée. Il est un individu identifié par son nom patronymique mais élevé dans la mémoire et les représentations de sa lignée maternelle par ses parents, et socialement plus distingué que son père, cette conjoncture pouvant se reproduire plusieurs fois dans sa filiation paternelle. La mémoire et les représentations de sa lignée patrilinéaire se sont donc spécifiquement peu transmises. Il a de plus le sentiment paradoxal qu’elles sont honorables et en même temps qu’elles souffrent d’un certain discrédit. Or, à un moment donné de son histoire personnelle, il souhaite faire mémoire de cette lignée et agir sur sa représentation. Pour autant, il ne souhaite pas transmettre une image se résumant à l’identité de ses seuls ascendants patronymiques. Il porte en lui aussi l’identité de leurs alliés : ses propres maternels et ceux de ses ascendants paternels, surtout l’identité des plus distingués d’entre eux dont il se sent déjà héritier. Le genre généalogique peut lui permettre de rendre compte au plus juste des termes de son vécu identitaire et de prédestiner au plus près de ses désirs sa position sociale, sans dévaloriser la représentation de son patronyme.
79Savoir si cette hétérogamie parentale redouble une hétérogamie conjugale, toujours en faveur des femmes, donnerait encore du poids à la problématique d’effacement de la mémoire des paternels, mais surtout indiquerait que le généalogiste lui-même est limité par l’influence de sa propre épouse pour transmettre sa mémoire, ses représentations et ses valeurs. Les observateurs des nouvelles populations témoignent d’enjeux de concurrence dans les couples de généalogistes. Les hommes, notamment, réagissent à la recherche généalogique de leur épouse ayant des ascendants plus prestigieux que les leurs, en se lançant dans leur propre quête. On pourrait assurer plus fermement l’hypothèse selon laquelle le genre généalogique leur offre le moyen de rivaliser avec la mémoire et les représentations des maternels dont hériteraient prioritairement leurs enfants, s’ils n’y recouraient pas.
80D’autre part, l’analyse des liens entre identité généalogique et identité professionnelle, dans les nouvelles populations, reste encore à faire. Elle permettrait de mieux identifier la place de l’enjeu de carrière professionnelle dans leurs motivations vers la généalogie. On comprendrait plus certainement les raisons de leur âge moins avancé à l’écriture. On définirait mieux les contextes d’enracinement social qu’elles privilégient et les arbitrages qu’elles font entre cet enracinement et la mobilité géographique. On pourrait établir une comparaison avec les autres couches sociales et déterminer si leurs liens sont spécifiques ou s’ils sont seulement une variante d’une problématique plus globale qui répondrait aux impératifs de toute condition sociale appelant à la nécessité de quitter ses racines pour vivre à la place que la société octroie. La condition des cadets et des femmes de l’aristocratie pourrait être prise en compte ainsi, leur mobilité pouvant être internationale, pour les plus hauts rangs. Une telle perspective permettrait de confirmer l’hypothèse que la généalogie attire des individus, familles et milieux conscients de leur identité sociale, et conditionnés historiquement par la double nécessité d’être mobiles géographiquement et stables socialement.
81Enfin, on peut remarquer que le sentiment de dette n’est relevé que chez les bourgeois de l’époque contemporaine et chez les nouvelles populations. Il n’est pas mis en relief par les observateurs de la bourgeoisie de l’Ancien Régime. Est-ce à dire qu’il n’a pas existé ? Ou bien l’hypothèse n’a-t-elle pas été envisagée ? Une étude indique le devoir de mémoire d’un généalogiste envers ses descendants. Ce devoir est traité comme la dette : il sert de levier pour inviter ces derniers à s’approprier les avantages acquis, les représentations, les valeurs et les modèles attendus de l’héritage familial. Ces sentiments de dette et de devoir se ressemblent dans leurs contenus. Les différences de termes invitent à s’interroger sur l’impact de la démocratie sur la notion de devoir dans la famille.
82À la fin de cet ouvrage, si des réponses ont pu être apportées, des questions nouvelles ont surgi. Au cours de l’interprétation des récits, a-t-on réussi à voir pourquoi et comment l’activité inconsciente de l’esprit, au sens de Claude Lévi-Strauss, a imposé à des individus identifiés comme généalogistes, à leur famille, à leur milieu, et au genre auquel ils ont recouru, les formes qu’on a relevées ?
Notes de bas de page
1 Platon, Phèdre, 275.
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