Choix résidentiels et analyse économique
p. 15-34
Texte intégral
1Le terme de « choix résidentiels » est rarement utilisé par les économistes. En effet ils ne traitent pas globalement de l’ensemble des aspects que recouvre la question des choix résidentiels tels que peuvent les aborder les sociologues ou les géographes. Sur ce thème, les économistes traitent séparément trois types de questions :
la question des choix de la localisation dans une agglomération urbaine,
la question du choix du statut d’occupation,
la question de la mobilité résidentielle.
2Dans ce texte on n’aborde que les deux premiers aspects qui relèvent d’une analyse statique, laissant de côté la question de la mobilité résidentielle qui concerne la dynamique de l’ajustement des marchés immobiliers.
3Dans la théorie économique, les choix des entreprises sont censés être effectués sur la base d’un calcul de coûts, mais ceux des individus sont considérés comme résultant aussi de la prise en compte de préférences. Ces préférences expriment les goûts des individus. L’homo oeconomicus n’est donc pas seulement un comptable. Et, comme tous les goûts sont dans la nature, les différences de goûts permettent d’expliquer toutes les différences de choix. Sous cette hypothèse de diversité, le pouvoir explicatif de la théorie économique serait mince. Si on veut que le modèle économique ait le plus grand pouvoir explicatif possible, il faut limiter la disparité des préférences.
4On limite d’abord les dimensions qui font l’objet des préférences des individus. On verra que dans les différents domaines des choix résidentiels, on fait porter les différences de goût sur des caractéristiques simples des biens immobiliers, la localisation, la taille, la typologie, la qualité. Il faut ensuite limiter les disparités de goûts entre les individus ou les ménages. À l’extrême, on considère qu’il existe un individu type, sorte de « Français moyen ». C’est donc la mise en œuvre de la théorie qui doit permettre d’expliquer la diversité des choix effectifs.
1. LES CHOIX DE LOCALISATION DANS L’ESPACE URBAIN
5On présente d’abord les principes généraux qui déterminent les choix de localisation des ménages avant d’en tirer quelques implications concernant des phénomènes actuels, l’étalement urbain et la spécialisation sociale de l’espace.
1.1. Les déterminants de la localisation des ménages
6La question des choix de localisation à l’intérieur de l’espace urbain a été théorisée par ce qu’on a appelé la Nouvelle Économie Urbaine [Richardson, 1977]. Les mécanismes de base sont dus à Alonso [1964], Wingo [1961], Muth [1969] et Mills [1967]. Ils reprennent le mécanisme initialement conçu par von Thünen [1826]. Comme souvent en économie, le modèle repose sur des hypothèses simples en nombre réduit dont on cherche à tirer toutes les conséquences, conséquences que l’on confronte à des faits établis. On relâche ensuite certaines hypothèses jugées trop restrictives et on complexifie la modélisation en empruntant à d’autres conceptualisations.
7L’espace urbain est supposé organisé autour d’un centre-ville (ville monocentrique) et les agents économiques sont en concurrence pour la surface de sol ou de biens immobiliers. Les individus sont supposés avoir tous du goût pour le centre et du goût pour la surface. Ces goûts s’expriment sous la forme d’une fonction de préférence. Les agents économiques supportent des coûts, celui du bien immobilier dépendant de sa localisation, celui des autres biens, et enfin le coût du transport au centre, croissant avec l’éloignement.
8Les deux dimensions de la localisation, espace et proximité du centre, sont en concurrence dans les choix individuels, du fait que l’espace se raréfie quand on se rapproche du centre. Les ménages sont donc amenés à arbitrer entre la quantité d’espace qu’ils vont occuper et la proximité du centre. Leur choix optimal est celui où la valeur de la satisfaction résultant d’un rapprochement marginal du centre est égale à la valeur de la perte de satisfaction résultant d’une réduction marginale de l’espace. En fonction d’un prix donné, les ménages déterminent leur localisation. Inversement, pour chaque localisation, ils peuvent déterminer le prix maximal qu’ils sont disposés à payer. Ce prix constitue un prix d’enchères.
9Nantis de cette courbe d’enchère individuelle, tous les ménages et les autres agents entrent en concurrence pour la surface et la localisation. À chaque localisation, c’est le plus offrant qui l’emporte. Le prix effectif est donc celui du plus offrant.
10L’intérêt de cette représentation est d’expliquer quelques phénomènes caractéristiques des localisations des ménages en fonction de leurs propres caractéristiques, notamment la taille du ménage et son revenu. Comme le besoin d’espace est largement dépendant de la taille du ménage, l’arbitrage entre l’espace et la proximité du centre explique que les ménages comptant peu de personnes soient localisés dans des zones plus centrales, alors que les familles sont plutôt en périphérie. En second lieu, à caractéristiques identiques, les ménages plus aisés l’emportent dans les enchères sur les moins aisés et obtiennent les localisations les plus recherchées.
11En définitive, cette conception explique les prix et les quantités comme le résultat d’un mécanisme standard de marché. Mais comme les biens immobiliers sont hétérogènes, ce mécanisme d’enchères explique à la fois la différenciation des prix et l’affectation des biens. Il contribue à répondre à la question économique de base : quel prix et quelles quantités ? Mais il contribue aussi à répondre à une question « sociale », celle de l’allocation des biens immobiliers entre les individus, c’est-à-dire à répondre à la question : qui habite où ?
12À côté de cette généralisation, une autre extension de cette conception a été effectuée en prenant en considération d’autres déterminants des choix de localisation : les caractéristiques des biens immobiliers et du site, les services publics locaux et la fiscalité locale.
13La prise en considération des caractéristiques des biens est due à Lancaster [1966]. Elle a été précisée et développée notamment dans le cas du logement par Rosen [1974]. Selon cette conception, les biens immobiliers sont désirés pour leurs caractéristiques, dites « hédoniques » parce que ce sont ces caractéristiques qui sont à l’origine de la satisfaction que procure le bien. Ces caractéristiques ne se limitent plus à la taille et à la distance au centre. Ce peut être la taille moyenne des pièces, la distance à un lycée réputé, l’isolation thermique ou acoustique, la vue, etc. Les ménages arbitrent entre ces caractéristiques en fonction de leur prix. Ces prix ne sont pas observables puisque le seul prix observé est celui du bien dans son ensemble. Mais des méthodes statistiques, économétriques, permettent d’évaluer les prix implicites ou fictifs de ces caractéristiques (méthodes de régression hédonique). Avec des observations suffisantes on peut aussi déterminer les préférences des individus à l’égard des caractéristiques sous la forme de prix d’enchères de chaque caractéristique.
14Cette conception des biens immobiliers a fait l’objet d’un grand nombre de travaux dont la majorité tend à déterminer la fonction de prix hédoniques. Seule une minorité va jusqu’à calculer les prix d’enchères des caractéristiques. Cette démarche permet alors de déterminer combien les ménages sont disposés à payer en plus pour se rapprocher de tel équipement ou service public, ou combien ils sont disposés à payer en plus pour disposer de telle caractéristique du bien immobilier, ou combien ils sont disposés à payer pour bénéficier de telle aménité d’un site. Ces aménités peuvent être celles du centre-ville, ce qui explique par exemple que le centre de Paris est riche alors que celui de Detroit est pauvre [Brueckner et al., 1999], mais aussi celles de la périphérie urbaine [Cavailhés et al., 2003].
15Le modèle de base a été amélioré en relâchant certaines des hypothèses restrictives retenues. Papageoriou [1976] abandonne l’hypothèse de centre unique pour envisager des agglomérations pluricentriques. Strazheim [1975] et King [1975] introduisent la conception des logements comme ensemble de caractéristiques qui obligent les ménages à effectuer des choix discrets entre des ensembles de caractéristiques, parmi lesquelles la localisation, et non plus un choix sur des variables continues. Cette approche est complétée par Luk [1993] par la prise en considération de l’offre dans un modèle d’équilibre général. Richardson [1977] intègre le choix de localisation dans un modèle en prenant en considération la localisation des emplois, les aménités environnementales et les déplacements autres que ceux de travail. Fujita [1989] élargit le modèle de base du côté du ménage, en considérant les effets de la diversité de composition du ménage sur la localisation.
16Un autre type de travaux prend en considération un autre déterminant des choix de localisation, l’offre de services publics locaux et de la fiscalité locale. L’idée initiale revient à Tiebout [1956]. Elle repose sur le fait que, au moins dans certains pays, les communes ou des entités locales peuvent fournir et faire payer des services publics différenciés. La référence la plus fréquente est celle de l’école élémentaire ou secondaire. La concurrence entre les communes et la mobilité résidentielle conduisent au regroupement des ménages qui ont les mêmes préférences à l’égard du service local et sont donc disposés à payer le même « prix », en l’occurrence le même impôt, pour ce service. Il y a ainsi un phénomène d’auto-sélection qui conduit au regroupement des ménages présentant des caractéristiques identiques. Ce mécanisme permet d’expliquer l’homogénéité sociale des communes. Pour que sa mise en œuvre soit possible il faut cependant que les communes soient autonomes dans la définition du niveau de prestation du service public considéré ainsi que dans la taxation correspondante. Cette situation peut se présenter en Amérique du Nord, elle n’est pas la règle en France. Les caractéristiques d’un certain nombre de services locaux y sont définies par l’État, ce qui en assure une certaine homogénéité dans l’espace. Par ailleurs, en France tout au moins, la fiscalité locale dépend également d’autres facteurs que la qualité des services, surtout avec le développement de l’intercommunalité.
17Ces analyses des choix de localisation peuvent contribuer à expliquer des phénomènes couramment observés en matière d’habitat, l’étalement urbain et la spécialisation sociale de l’espace1.
1.2. Les effets des choix de localisation : étalement urbain et spécialisation sociale de l’espace
18L’application de la conceptualisation de base des choix de localisation conduit à un mode de développement urbain illustré par un volcan. L’expansion de la population et des activités s’opère du centre vers la périphérie. Comme les espaces centraux sont fortement occupés, l’expansion s’effectue davantage dans les zones périphériques. Dans ces localisations, les ménages et les autres agents économiques peuvent davantage satisfaire leur goût pour l’espace. D’où le double phénomène d’expansion spatiale des agglomérations en cas de croissance et de moindres densités dans les zones périphériques que dans les zones centrales. Des analyses factuelles permettent de préciser ces phénomènes prédits par le raisonnement.
19Sauvant et Rouchaud [2003] montrent dans le cas de l’Île-de-France qu’il y a bien une extension de l’agglomération parisienne qui se traduit par une augmentation de la distance moyenne au centre des logements de l’ensemble du parc, tant collectif qu’individuel. En revanche cette extension ne résulte pas d’une augmentation de la distance au centre des constructions neuves. Toutefois, les maisons individuelles sont construites à une plus grande distance du centre que les constructions neuves. Par ailleurs, la création d’une ligne de transport collectif a un effet significatif sur la construction de logements. Pouyanne [2006] souligne que l’étalement urbain s’explique également par le fait qu’il est moins onéreux de construire en périphérie que de réutiliser l’espace déjà construit. Ceci complique la politique de construction de la ville sur elle-même qui est à l’ordre du jour dans le cadre du développement durable.
20La spécialisation sociale de l’espace ou ségrégation n’est pas pour autant liée de manière monotone avec la densité. Pendall et Carruthers [2003] montrent sur les agglomérations urbaines des États-Unis entre 1980 et 2000 que la ségrégation selon le revenu des ménages mesurée par deux indicateurs différents n’est pas liée de manière monotone avec la densité mais que, pour des densités basses, la ségrégation augmente quand la densité augmente, puis décroît avec la densité pour des densités plus élevées.
21Dans un pays comme la France, la différenciation sociale de l’espace a pu être accrue par l’intervention publique en matière de logement. Les aides publiques au logement neuf ont en effet été fréquemment assorties de plafond de prix. Ce plafond de prix a une incidence directe sur la localisation des logements bénéficiant d’aide. Comme les prix croissent avec la proximité du centre, l’existence de prix de revient plafond conduit à créer un plafond à l’accès des ménages les plus modestes aux localisations plus centrales. Ils sont rejetés au-delà de la limite de charge foncière résultant du plafond de prix. Ce mécanisme a joué en accession aidée par les PAP. Le même mécanisme a été à l’œuvre dans la construction de logements HLM.
22Ce phénomène qui concerne les logements neufs a pu être accentué par la politique menée à l’égard du parc locatif existant. Dans les Grands Ensembles HLM le conventionnement2 s’est accompagné d’une revalorisation des loyers qui a été compensée par l’APL (Aide personnalisée au logement) pour les ménages qui en bénéficiaient, mais qui a incité les non bénéficiaires à quitter ces logements [Cornuel, 1995].
23L’autre dimension du choix du logement est celui du statut d’occupation, propriétaire ou locataire.
2. LE CHOIX DU STATUT D'OCCUPATION
24Il s’agit ici de trouver des explications économiques au choix du statut d’occupation. Ceci ramène souvent à la question : vaut-il mieux acheter ou louer ? Conformément à la démarche standard de l’économiste, la réponse résulte non seulement de la prise en compte des coûts financiers des deux statuts, qui sont des éléments objectifs, mais aussi de la prise en considération des préférences qui relèvent des goûts de l’individu.
2.1. Calcul financier
25Des travaux essaient de comparer les coûts réellement supportés par les deux statuts. Deux types de travaux existent : d’une part, des travaux qui effectuent une comptabilité des coûts et gains effectifs des différents statuts [par exemple, Thalman et Favarger, 2002 ; Choko et Hamel, 1999 ; Rioux, 1999] ; d’autre part, des calculs sur des cas-types effectués sur la base d’hypothèses d’évolution des différentes variables conditionnant le bilan financier [par exemple pour la France, Magnan et Plateau, 2004 ; La Vie Financière, 1999]. Dans ce cas, le résultat dépend de manière cruciale des hypothèses d’évolution. Par ailleurs, dans tous ces cas on ne prend pas nécessairement en compte tous les éléments de coût comme par exemple l’investissement personnel des propriétaires [Barakatt, 1998]. Les résultats de ces travaux sont loin d’être concluants. On est donc conduit à se tourner vers le raisonnement théorique.
26La question est donc : y a-t-il des facteurs financiers qui avantagent un statut plutôt qu’un autre ? La réponse passe par la comparaison des coûts de la location et de l’acquisition. Cette comparaison n’est pertinente que sous réserve de comparer ce qui est comparable. Ceci implique de comparer l’acquisition et la location d’un même logement3. En procédant de cette manière les coûts de fonctionnement sont les mêmes ainsi que la fiscalité liée à l’occupation (taxe d’habitation).
27On suppose d’abord que l’acquéreur dispose de la totalité des fonds. On prend ensuite en considération l’endettement.
– Acquisition sans endettement et location
28Dans cette hypothèse, l’acquéreur dispose de la totalité de la valeur du logement. Pour que le locataire soit dans une situation comparable, il faut supposer qu’il dispose de la même somme qu’il investit dans un actif. S’il l’investit dans un actif immobilier identique à celui qu’il loue, le rendement de son investissement sera égal au loyer qu’il aura à payer. Dans ce cas les deux statuts sont équivalents. L’acquisition ne constitue qu’une location à soi-même. Cette équivalence révèle aussi que fondamentalement le prix d’un logement n’est rien d’autre que la somme des loyers futurs qu’il peut rapporter. Acheter un logement, c’est payer en une seule fois tous les loyers futurs. Ces loyers futurs doivent être actualisés pour tenir compte du fait qu’un euro dans le futur vaut moins qu’un euro maintenant puisque si on en dispose maintenant, sa valeur future sera augmentée des intérêts. En définitive, la valeur d’un logement, et celle de n’importe quel actif, est égale à la somme actualisée des recettes futures qu’il peut rapporter. Cette égalité exprime que les deux statuts d’occupation sont fondamentalement équivalents.
29Il se peut cependant que le traitement fiscal des deux statuts soit différent. Assez fréquemment le loyer qu’un propriétaire occupant se verse à lui-même, que les économistes appellent loyer imputé ou loyer fictif, est exonéré d’impôt. C’est le cas en France au moins depuis 1964 et dans nombre de pays occidentaux. Si le statut de propriétaire est plus avantageux dans ce cas, c’est donc la conséquence d’une intervention publique, non un état de fait économique. Par contre, s’il existe des formes d’investissement autres dont le revenu est également exonéré, l’avantage disparaît. De telles formes existent en France pour des placements dépassant une certaine durée sous le régime fiscal de l’assurance-vie. Dans ce cas le coût comparé des deux statuts d’occupation dépend du rendement des placements alternatifs. Or, si des placements procuraient des rendements plus avantageux que d’autres, à risques équivalents, les investisseurs y investiraient davantage, ce qui tendrait à augmenter leur prix et ramènerait leur rendement au même niveau que celui des autres investissements. Ainsi, l’arbitrage entre placements conduit à l’égalisation de leur rendement, aux risques près. Le bilan financier du locataire qui investit dans un actif est donc équivalent à celui du propriétaire occupant qui investit dans son propre logement.
30Il peut exister à court terme une différence entre les coûts de la location et de l’acquisition si les loyers et les prix évoluent de façon divergente. En tendance prix et loyers évoluent en parallèle si le taux d’intérêt est constant. Il se peut qu’à court terme des divergences d’évolution apparaissent et fassent donc apparaître un avantage à un statut. Mais ces évolutions ne peuvent être anticipées que par hasard ou par l’effet d’une information privilégiée. En effet s’il existait une information commune, d’autres intervenants feraient le même calcul ce qui annihilerait la différence par augmentation des prix ou des loyers. En règle générale, il n’y a pas de motif à anticiper un avantage à un statut. A priori, ou ex ante comme disent les économistes, les deux statuts sont équivalents. L’un des deux peut s’avérer plus avantageux ex post. Mais cette situation ne peut être ni prévue ni durable.
31Reste la question de l’impôt foncier (taxe foncière en France) que les propriétaires ont le plus souvent à acquitter. Le locataire n’a pas à la supporter mais le bailleur prend en compte la taxe foncière qu’il supporte dans la détermination du loyer de telle sorte que le rendement net fiscal de l’investissement immobilier soit le même que celui de l’investissement financier. On peut donc considérer que la taxe foncière est neutre sur les coûts comparés des deux statuts. À cette étape les deux statuts sont donc équivalents.
– Acquisition avec endettement
32Le plus souvent l’acquisition est faite avec un prêt en complément ou non d’un apport personnel (fonds propres). Pour comparer des choses comparables, on suppose que le locataire et l’accédant disposent des mêmes fonds initiaux. Le locataire va donc les placer et ne s’endettera pas. Le coût de la location est alors égal à la somme actualisée des loyers versés pendant la période d’occupation du logement augmentée des revenus tirés du placement de l’apport personnel. Le coût de l’acquisition est égal aux annuités du prêt diminuées de la plus-value du logement.
33Le rendement de l’investissement immobilier, comme celui de tout placement, n’est amélioré par un emprunt que si le taux du prêt est inférieur au taux de rendement du placement. Si c’est le cas, l’investisseur bénéficie d’un effet de levier. La question est donc de savoir si cet effet est possible dans l’immobilier indépendamment d’interventions publiques comme la déduction des intérêts des emprunts ou l’accès à des financements bénéficiant d’une aide publique (par exemple l’épargne-logement en France). La réponse passe par l’examen du mode de formation des taux des prêts et des rendements immobiliers. Les prêts sont effectués par des établissements de crédits qui collectent des ressources qu’elles prêtent au détail. Ces ressources sont constituées notamment de placements d’épargne qui doivent être rémunérés au taux du marché. Ce taux du marché est celui du rendement des différentes formes de placement, aux risques près. C’est donc aussi le taux de rendement des placements immobiliers. À ce coût lié à la ressource s’ajoutent les frais de l’établissement de prêt, frais d’intermédiation financière.
34En définitive, le taux des prêts est égal au taux de rendement du marché plus le coût d’intermédiation. Il est donc normalement supérieur à celui du rendement immobilier. Par conséquent il n’y a, en général, pas d’effet de levier. La situation actuelle est à cet égard tout à fait particulière puisque les taux des prêts immobiliers sont très bas, à un niveau historiquement exceptionnel.
35Par ailleurs, à supposer qu’un tel effet de levier existe, c’est-à-dire que le rendement immobilier excède le coût des prêts, comme les marchés immobiliers sont ouverts, cet effet de levier va attirer des investisseurs qui s’endetteront et vont renchérir sur les biens jusqu’au point d’annuler l’avantage de l’effet de levier. C’est la situation que l’on connaît actuellement où la baisse du taux des prêts immobiliers a été annulée, et peut-être même au-delà, par la hausse des prix. Il n’y a donc normalement pas d’effet de levier dans les placements immobiliers.
– La prise en considération des risques
36Les risques font normalement l’objet d’une compensation économique sous forme d’une prime de risque qui augmente la rémunération de celui qui prend le risque. Les deux statuts d’occupation supportent des risques, mais pas les mêmes. Le locataire ne supporte que le risque d’éviction. La réglementation, au moins en France, est très protectrice à cet égard, de telle sorte que les risques d’éviction en cours de bail sont quasi nuls, sous l’hypothèse que le locataire paye son loyer et respecte des obligations minimales à l’égard du logement.
37Les risques du propriétaire occupant sont liés à la nature d’investissement de son bien immobilier. Ils portent sur l’évolution physique du logement et sur l’évolution de sa valeur qui dépend, mais pas seulement, de l’évolution physique. L’évolution de la valeur est la principale dimension des risques liés à l’acquisition immobilière. Or la théorie financière expose que pour minimiser les risques, il faut diversifier ses placements [Copeland et Weston, 1983]. L’acquisition d’un logement pour occupation personnelle contrevient à ce principe puisque, ce faisant, on met « tous ses œufs dans le même panier ».
38Quand le propriétaire s’endette, il est exposé aux risques liés à son prêt qui dépendent des caractéristiques du prêt, principalement le risque de taux si celui-ci n’est pas fixe.
39Quand le propriétaire est bailleur, il supporte en outre les risques liés à son locataire, risques de départ, de défaut de paiement, de dégradation. Quand il est propriétaire occupant, ces risques disparaissent.
40Faute de données, le bilan des risques entre les deux statuts n’est pas net et n’a jamais vraiment été effectué.
– La prise en considération des interventions publiques
41Les interventions publiques peuvent modifier les calculs financiers de l’acquisition et de la location. En France, il en existe plusieurs. La plus importante du point de vue des montants est constituée par les aides personnelles au logement. Elles sont destinées aux ménages ayant une dépense de logement, soit en location soit en accession. Le montant de l’aide personnelle au logement est fonction inverse du revenu du ménage et fonction directe de la taille et du montant de la dépense du logement. Pour l’ensemble des locataires bénéficiaires le montant moyen de l’aide est de l’ordre de 2 000 € par an pour un loyer brut de l’ordre du 3 860 € [INSEE, 2003]. L’aide est donc importante. Pour l’ensemble des accédants, elle est un peu moins importante, 1 680 € en moyenne pour une dépense brute de 5 750 €.
42La comparaison des avantages entre les deux statuts est délicate dans la mesure où elle dépend de la durée du bénéfice de l’aide. Par définition, dans le cas de l’accession, cette durée est limitée à celle du prêt. Dans le cas de la location, elle n’a comme limite que la durée de séjour dans le logement, sous réserve de continuer à remplir les conditions requises pour en bénéficier. Elle a donc toute chance d’être plus importante en locatif.
43Dans le secteur locatif, il existe aussi des logements sociaux dont le loyer est en moyenne inférieur au loyer de marché, ce qui constitue un avantage significatif [cf. Le Blanc, Laferrère et Pigois, 1999]. Ces logements sont accessibles sous condition de ressources. Pouvoir y loger avantage le statut de locataire. Mais dans le secteur de l’accession, mise à part l’exonération des revenus fictifs que le propriétaire occupant tire de son logement, il existe également des aides spécifiques, des prêts aidés, notamment le prêt à taux zéro. Ces prêts sont généralement soumis à condition de ressources.
44Le fait que les aides aux locataires et aux accédants soient soumises à des conditions de ressources les réserve à une même catégorie de bénéficiaires, pour autant que les plafonds de ressources soient équivalents. Pour les ménages susceptibles de bénéficier des différents types d’aide, celles à l’accession et à la location peuvent être de même ordre et ne pas modifier l’équilibre financier des deux statuts.
45La situation est différente dans d’autres pays. Fréquemment, il existe un avantage financier à l’acquisition qui consiste non seulement dans la non imposition du loyer fictif tiré de la propriété d’occupation mais aussi dans la déductibilité des intérêts des emprunts contractés pour l’acquisition d’un logement. Cet avantage à l’accession est sans doute le principal facteur expliquant la disparité des taux de propriétaires en Europe occidentale et en Amérique du Nord.
46Ces calculs purement financiers doivent être intégrés dans un raisonnement qui prend en considération les préférences des individus.
2.2. Prise en considération des préférences
47La première question est de savoir sur quoi portent les préférences. On écarte l’idée qu’elles portent directement sur le statut, sinon le choix d’un statut non conforme au résultat des bilans financiers pourrait être imputé à un goût plus marqué pour ce statut. On considère que les préférences s’expriment à l’égard du temps. L’idée est que l’on préfère avoir quelque chose tout de suite plutôt que plus tard. On définit le taux de préférence du temps comme la réduction qu’on accepte de subir sur la quantité d’un bien pour le recevoir plus vite ou inversement comme le supplément qu’on demande quand on l’a plus tard. Ce taux de préférence du temps est donc un taux de préférence pour le présent. En équivalent monétaire, ce taux a la dimension d’un taux d’intérêt, mais c’est un taux subjectif qui peut différer du taux d’intérêt objectif du marché.
48Quand on prend en compte les préférences à l’égard du temps, la différence entre les deux statuts provient des profils temporels des flux de dépenses. L’accédant paie beaucoup au début de l’occupation du logement, mais ne paie plus une fois le prêt remboursé. Le locataire paie moins au début mais continue à payer pendant toute la durée d’occupation. Les profils de dépense de logement au cours du temps sont donc différents ainsi que les profils de consommation de biens autres que le logement, pour un même logement occupé.
49Si quelqu’un a une préférence plus marquée pour le présent, au moment de faire le choix du statut d’occupation il préférera payer moins maintenant et donc choisira la location. À capacité financière égale, ce sont donc les différences entre les préférences du temps qui orienteront les ménages vers un statut ou l’autre. Sur l’ensemble des ménages, les ménages accédants ont vraisemblablement une moindre préférence pour le présent que les locataires. Il est également concevable qu’un ménage choisisse un statut globalement plus coûteux si ses préférences compensent le surcoût du statut.
50De ce point de vue, l’achat d’un logement avec un prêt n’est pas différent de la constitution d’une épargne sous une autre forme. Le recours à un prêt conduit simplement à une épargne forcée, alors que l’épargne est non contrainte dans les autres cas. Par rapport aux autres formes d’épargne, l’accession à la propriété est vraisemblablement la plus facile, parce que l’on bénéficie tout de suite de son épargne sous la forme du bien immobilier, et parce que même dans le cas de perte de valeur, on peut au moins en avoir toujours l’usage.
51En définitive, entre les deux statuts d’occupation aucun n’apporte un avantage net. Fondamentalement, ils sont équivalents. Ponctuellement, l’un pourra être plus avantageux que l’autre, mais il est douteux que ce résultat puisse être anticipé. Au-delà de cette question microéconomique se pose la question de l’impact d’un statut sur les équilibres macroéconomiques. Les fluctuations fortes des prix immobiliers peuvent avoir davantage d’impact sur les propriétaires occupants que sur des propriétaires bailleurs dans la mesure où la propriété constitue pour les premiers l’essentiel de leur richesse. Une hausse des prix peut avoir un effet richesse qui réduit l’épargne et accroît la consommation, et inversement en cas de baisse des prix. Un tel phénomène peut donc contribuer à accentuer les cycles macroéconomiques.
CONCLUSION
52On a présenté les principaux résultats de l’analyse économique aux deux principales questions auxquelles renvoie l’expression de choix résidentiels. La démarche et le traitement des questions posent néanmoins des problèmes qui marquent les limites des résultats obtenus.
53En premier lieu, l’analyse économique traite séparément les deux questions. Ce mode de traitement n’est acceptable que si chacune de ces questions est relativement indépendante de l’autre. Ainsi, le choix de localisation est traité séparément du choix du statut. Or, en termes de produit logement, le résultat n’est pas indifférent. En effet, le plus fréquemment, on achète une maison et on loue un appartement. Or, les appartements sont plutôt centraux et les maisons plutôt en périphérie. Par conséquent le choix de localisation et le choix du statut d’occupation sont liés. Une partie de l’explication réside dans le goût pour la surface. Mais ceci n’explique pas qu’il y ait peu de maisons en location alors que la demande est réputée exister. Il faut peut-être chercher des raisons du côté de la logique du bailleur qui cherche à minimiser les risques. Ceux-ci se traduisent par des risques de défaillances mais aussi par le risque représenté par la volatilité du prix des logements. Les évolutions récentes tendent plutôt à montrer que la volatilité est plus forte en centre qu’en périphérie. Il y a donc encore des inconnues dans le fonctionnement des marchés immobiliers.
54En second lieu, le rôle des déterminants des différents choix vaut pour l’équilibre de long terme, autrement dit, en tendance. Les déterminants évoqués contribuent à expliquer les grandes tendances de l’occupation de l’espace urbain des grandes agglomérations : gentrification des centres-villes, exclusion de certains quartiers de banlieues, rurbanisation des périphéries.
55À un instant donné en revanche, le choix des ménages s’opère sur la base des logements existants disponibles offerts à la location ou à l’acquisition et ceux susceptibles d’être construits. Si les disponibilités foncières le permettent, les agents peuvent « faire construire » le produit immobilier correspondant à leurs choix dans la localisation résultant des facteurs évoqués. En réalité, il n’y a pas toujours les disponibilités foncières permettant la réalisation de leurs choix. Par ailleurs, les produits immobiliers sont réalisés le plus souvent par des professionnels qui doivent anticiper la demande des agents. Il est possible que ces anticipations ne soient pas correctes. Dans les deux cas les agents sont amenés à choisir parmi les biens existants, ce qui peut aboutir à un certain écart de l’allocation effective des biens par rapport à l’allocation optimale. Ainsi un ménage à haut revenu peut avoir comme choix préférentiel un appartement de grande taille en centre-ville. Il se peut que le produit correspondant à son choix optimal ne soit pas disponible au moment où il le souhaite. Comme il faut bien se loger, il devra adapter son choix à l’offre existante.
56Ces éléments font que l’adéquation de l’offre et de la demande de logement prend du temps. Ainsi Muth [1970] a calculé qu’un choc de demande exigeait six à sept ans pour être résorbé par la construction neuve. Dans ce délai d’autres facteurs ont pu intervenir pour modifier les choix optimaux des ménages. Il y a donc un continuel changement de l’optimum de logement des ménages qu’ils n’ont pas toujours le temps de réaliser. Ceci explique qu’à un moment donné l’allocation des biens immobiliers ne correspond sans doute pas exactement à l’optimum énoncé par la théorie économique. Ainsi, on trouve des couches populaires en centre-ville, des « exclus » un peu partout et des couches aisées en périphérie. La lenteur de la mise en adéquation du parc immobilier aux choix préférentiels des agents peut donc expliquer des situations qui à première vue peuvent paraître économiquement illogiques.
57Une dernière question reste à évoquer, celle de la possibilité et des effets d’une action publique sur les choix résidentiels. Il faut d’abord noter que la faible sensibilité de la demande de logement au prix et au revenu limite les effets d’une action sur les ménages par les incitations financières, notamment les aides à la personne. Une action publique directe sur l’offre de produits logements et un contrôle de l’affectation des logements peuvent avoir davantage d’impact : c’est le cas du secteur locatif social. Mais cette action présente également des limites. On le constate avec la concentration des ménages les plus modestes dans la fraction la moins attractive du parc locatif social qui résulte d’une allocation administrée mais n’est pas différente de celle qui résulterait de l’allocation par le marché sans intervention publique. Il n’y a en outre pas de garantie que les effets se maintiennent à long terme, par exemple que le profil défini initialement pour les occupants se maintienne dans le temps et que ne se manifestent pas des phénomènes d’éviction ou de rentes de situation.
Notes de bas de page
1 On emploie le terme de spécialisation sociale de l’espace pour éviter la connotation négative du terme couramment utilisé, ségrégation spatiale.
2 Le conventionnement consiste dans l’établissement d’un accord entre l’organisme HLM bailleur et l’État qui encadre le niveau des loyers mais ouvre droit à l’Aide personnalisée au logement (APL) pour les locataires.
3 En réalité les ménages n’achètent pas un logement de mêmes caractéristiques que celui qu’ils louent. En particulier, le plus fréquemment ils achètent une maison et louent un appartement.
Auteur
Professeur d’économie à l’Université de Lille 1, EQUIPPE, Institut fédératif de recherche sur les économies et les sociétés industrielles (IFRESI-CNRS, FR 1768).
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Aux origines du socialisme français
Pierre Leroux et ses premiers écrits (1824-1830)
Jean-Jacques Goblot
1977
L'Instrument périodique
La fonction de la presse au xviiie siècle
Claude Labrosse et Pierre Retat
1985
La Suite à l'ordinaire prochain
La représentation du monde dans les gazettes
Chantal Thomas et Denis Reynaud (dir.)
1999
Élire domicile
La construction sociale des choix résidentiels
Jean-Yves Authier, Catherine Bonvalet et Jean-Pierre Lévy (dir.)
2010