L’histoire au présent
p. 153-192
Texte intégral
1« Le passé est fiction du présent », écrit Michel de Certeau1. La formule caractérisant le processus de sélection et d’objectivation à l’œuvre dans l’écriture de l’histoire vaut aussi pour sa performance, qui est d’une certaine façon le spectacle de cette écriture. Comédiens et spectateurs font ensemble l’épreuve sensible du temps, puisque « le théâtre est d’abord un spectacle, une performance éphémère, la prestation de comédiens devant des spectateurs qui regardent, un travail corporel, un exercice vocal et gestuel adressés2 ». Ainsi, de même que la fiction s’inscrit dans le réel, le spectacle d’un ailleurs temporel ou spatial ramène inéluctablement au présent dans lequel il est donné. Louis-Sébastien Mercier le constate avec les « tragédistes » de son temps. Son propos exprime à la fois de la satisfaction pour l’activité herméneutique du public et de la distance face à un biais qui ne rend pas toujours justice aux œuvres :
Il n’y a plus qu’un côté de la tragédie française qui puisse intéresser l’homme qui ne sort pas du collège ; c’est là qu’un parterre s’électrise en un clin d’œil et crée des allusions relatives aux circonstances publiques. Il y met une malice fixe et profonde ; rien ne lui échappe ; tout prête à l’interprétation. [...] dans tous les coins de l’ouvrage il fait dire bon gré mal gré, à la plus vieille tragédie, et dont les héros sont en Mauritanie, l’histoire du temps présent3.
2Bien que ce mouvement soit foncièrement impliqué par toute « représentation », les pièces historiques semblent tout particulièrement se prêter aux applications contemporaines. Si la naissance de la chronique théâtrale d’actualité à la veille de la Révolution fonctionne selon un régime illustratif direct, les pièces nationales des annales sont également des vecteurs d’une relation oblique grâce aux allusions qu’autorise « l’espace permissif4 » de la fiction.
Naissance du « fait historique »
3De la même façon que le « champ d’expérience » se transforme à la fin du xviiie siècle à travers l’essor de l’idée de progrès, dont l’historicité cumulative rompt avec une conception cyclique du temps, le théâtre construit un nouvel « horizon d’attente5 ». L’esthétique du drame exposée par Diderot, Mercier ou Beaumarchais, tout comme la trilogie de Figaro sont marquées par le rapprochement de la fiction et de l’espace-temps vécu par les lecteurs et les spectateurs6, jusqu’à leur devenir presque contemporains dans L’Autre Tartuffe ou la Mère coupable dont l’intrigue est située à Paris à la fin de 1790. La naissance du fait historique à la scène est un autre symptôme de ces mutations qui rejoint et favorise la promotion du peuple comme acteur de premier plan dans l’histoire. Les héros des temps présents promus par la nouvelle donne politique entraînent de nouvelles représentations, si bien que durant la période républicaine (1792-1799), les pièces de circonstance concentrent près de 95 % des créations portant sur l’histoire nationale. Ces pièces épousent leur époque, comme la plupart des ouvrages historiques contemporains. Situées « entre la comédie, le drame et la fête », elles constituent selon Pierre Frantz un « théâtre de l’urgence » qui « crée une légende immédiate7 ».
4Le fait historique et patriotique apparaît en 1786, lorsque Desfontaines, dans L’Incendie du Havre, et Dumaniant, dans Le Dragon de Thionville, célèbrent le dévouement de soldats qui incarnent un nouvel héroïsme « plébéien8 ». Le genre s’épanouit principalement sur les scènes secondaires des boulevards, le Théâtre-Français étant par tradition hostile à l’anecdotique comme aux effets optiques et sonores de la pantomime, qui parlent plus aux yeux qu’à l’esprit. C’est cette conception élitaire du théâtre qu’expriment les tenants du grand genre de la tragédie depuis Voltaire, dont le disciple Jean-François La Harpe se fait l’écho dans sa Correspondance littéraire en 1790 :
Une autre ressource à la portée de tout le monde, c’est de faire des espèces de pantomimes de certaines actions, qui, par elles-mêmes, n’ont rien de propre au théâtre, quoique fort belles dans l’histoire, comme le dévouement de d’Assas et celui du jeune Desilles dans l’affaire de Nancy. On a représenté l’un et l’autre en un acte, sous le titre de traits historiques, car les auteurs eux-mêmes n’osent pas donner des titres dramatiques à ces sortes de canevas qui sont, en effet, des monstres sans nom. Mais l’appareil militaire, les bonnets de grenadier, les baïonnettes, les mots de liberté et de patriotisme font tout passer pour le moment. On n’oserait siffler une sottise patriotique9.
5Mais la promotion du peuple, la perception épique de l’actualité et la démocratisation conjointe du public et des salles de spectacles transforment les répertoires et font éclater les hiérarchies traditionnelles10. Fabre d’Olivet se plaint ainsi, dans la « dédicace aux représentants de la Nation » qui ouvre Le Quatorze de juillet 1789, que les Comédiens du Roi aient refusé six mois plus tôt de jouer sa pièce pour des raisons « plus que frivoles : l’ouvrage, dit-on, présente des faits trop récents pour n’être d’aucun intérêt à la scène11 ». Tant pis donc pour ce « théâtre vain de son titre », auquel l’auteur préfère un « théâtre patriotique » : la pièce sera créée au théâtre des Associés en octobre 1790.
6L’essor des pièces d’actualité et leur instrumentalisation au théâtre durant la décennie révolutionnaire vont de pair. Dès le début de 1790, le Mercure de France explique la floraison de pièces de circonstance par le « riche et magnifique tableau de la révolution » qui « entraîne si fortement les esprits », étant donné que le public « est flatté des récits qu’on lui fait, parce que c’est l’histoire de ses conquêtes12 ». Les contemporains ont donc conscience de vivre (dans) la grande histoire et les législateurs républicains encouragent les artistes à se mobiliser pour en fixer la mémoire à des fins de propagande13. Par le décret du 27 floréal an II (16 mai 1794), le Comité de salut public « appelle les poètes à célébrer les principaux événements de la Révolution française ; à composer des hymnes et des poésies patriotiques, des pièces dramatiques et républicaines ; à publier les actions héroïques des soldats de la liberté14 ». Des cohortes de volontaires, un peu partout en France, répondent à l’appel. Le citoyen Thiébaut, chef du Bureau de l’administration de la Meurthe, broche par exemple deux pièces conçues « pour être représentées aux jours de fêtes civiques et décades par de jeunes citoyens15 ». Si La Révolution française est une fresque à dominante allégorique avec un défilé de figurants typiques, La Guerre de la Vendée brosse un tableau plus réaliste. Toutes deux s’ouvrent par un résumé didactique qui prophétise le triomphe de la Révolution sur ses ennemis : « Le premier acte retrace les horreurs de l’ancien régime ; le second acte, les efforts du patriotisme, et l’abolition de la royauté ; le troisième acte, l’établissement de la République française16. » Passé atroce, présent de lutte, avenir radieux : à travers cette valse à trois temps, le propos ne se départit pas du manichéisme faisant contraster le nouveau régime et l’ancien, comme Louis-Benoît Picard dans sa trilogie Le Passé, Le Présent, L’Avenir, reçue à l’unanimité au théâtre de la Nation en juillet 1791, mais non représentée. Le personnage du philosophe de Thiébaut s’enthousiasme ainsi, au début du troisième acte de La Révolution française :
Quelle différence ! autrefois, lorsque le despote ordonnoit une levée de troupes, qu’il imposoit tous les citoyens pour les frais de la guerre, on ne voyoit que des mouvements pour se soustraire à ses ordres ; les larmes les plus abondantes couloient des yeux des jeunes gens arrachés de leurs foyers, c’étoient avec les plus vifs regrets qu’ils se soumettoient aux exercices militaires ; maintenant l’amour de la liberté anime tous les citoyens, ils ne calculent pas les sacrifices, ils se dépouillent de tout ce qu’ils ont pour aider leurs frères combattants, ils se séparent de tout ce qu’ils aiment, ils volent à la défense de la patrie17.
7Écrite quelques mois plus tard, La Guerre de la Vendée exploite en revanche des personnages fictifs individualisés, mais le tableau construit un nouveau triptyque dialectique célébrant l’œuvre de la raison dans l’histoire : « Le premier Acte retrace les mouvemens qu’a excités le rassemblement des rebelles./ Le second, les combats, l’héroïsme et la victoire des patriotes./ Le troisième, la reconnaissance nationale distribuant les terres de la Vendée aux vainqueurs des brigands18. » Au surnaturel – la Liberté descend de son char pour galvaniser le peuple au dénouement –, la pantomime mêle des éléments authentiques : discussions des villageois, représentation dans le lointain de l’embuscade fatale au jeune Bara, lecture par le député d’une lettre qui annonce de nouvelles victimes afin de raviver l’ardeur des patriotes... Le réel pénètre constamment sur la tribune médiatique du théâtre : au début de la pièce est évoquée la figure de Gaston, « le garçon perruquier » qui a couru les villages en criant « Vive le roi ! » avant d’être tué par un paysan ; plus loin, ce sont la mort du maire de Machecoul au cri de « Vive la république ! » et celle du jeune Vinzelle ; à la fin, une lettre officielle révèle la mort héroïque des Richer père et fils près de Noirmoutier, tués par les hommes de Charrette19.
8Les incitations furent adressées à tous les artistes. En octobre 1793, la Commune des arts (qui remplace l’Académie) exprimait le souhait qu’« il soit enjoint aux peintres et sculpteurs de tirer désormais des sujets de l’histoire des Français », tandis que le rédacteur du journal Aux armes et aux arts ! arguait en ventôse an II (mars 1794) que l’héroïsme de l’armée républicaine valait autant, sinon plus, que l’héroïsme antique20. À la barre de la Convention, le 21 floréal (10 mai), Thibaudeau déclarait que les artistes devaient « propager l’amour de la gloire et de la patrie et immortaliser par des monuments les actions mémorables et les grands hommes21 ». Mais l’objectif ne porta visiblement pas ses fruits dans le domaine pictural. En témoigne après le 9 Thermidor le regret du ministre de l’Intérieur François de Neufchâteau : « les artistes, depuis la Révolution qui a tout fait pour eux, n’ont presque rien fait pour elle ». Il faut promouvoir les sujets militaires, au prix d’une refonte du canon esthétique : « Les batailles sont aujourd’hui les plus belles pages de l’histoire de la gloire française. En définition rigoureuse, ce genre rentre dans ce que l’on appelle l’histoire ; les innombrables monuments de la valeur nationale seront la leçon et l’étonnement de la postérité. Le gouvernement doit et veut en fixer la mémoire22. »
9Les « faits historiques et patriotiques » de la Révolution à l’Empire ont joué ce rôle sur les planches, en célébrant les sièges de Nancy, de Lille, de Verdun, de Toulon, la guerre de Vendée et aux frontières, les victoires napoléoniennes, notamment Marengo (juin 1800) et Austerlitz (décembre 1805). Nous observons plusieurs correspondances entre les sujets des tableaux historiques contemporains et la production théâtrale, en général plus réactive à l’actualité. La prise de la Bastille, sujet très productif au théâtre, donne lieu à quelques rares toiles immédiates, dont une du paysagiste Hubert Robert (voir l’illustration 9) et une gravure de François-André Vincent. Au premier Salon organisé par la Révolution en 1791, seul le Serment du jeu de Paume inachevé de David illustre un épisode révolutionnaire ; tous les autres tableaux d’histoire portent sur des sujets antiques. Les références monarchiques étant de plus en plus suspectes après Varennes, voire clairement malvenues après la prise des Tuileries (10 août 1792), retracer l’histoire de France suppose de peindre des événements contemporains, de manière à façonner l’identité de la nation régénérée et fixer pour la postérité ses événements glorieux. Il s’opère donc un « rajeunissement chronologique de la peinture d’histoire23 » qui, avec David, n’abandonne pas pour autant l’idéalisation des motifs. Philippe Bordes souligne que « c’est moins le sujet contemporain lui-même qui est critiqué que la menace qu’il représente pour l’esthétique idéalisante propre aux sujets antiques24 ». C’est ce contraste entre l’idéal et le réel, la volonté de sublimer ce réel dans un idéal de la représentation empreint de simplicité et d’universalité qui expliquent le triomphe de l’antique dans les arts25. L’instabilité politique peut aussi inciter les artistes à la prudence. Le Barbier attendra plusieurs années pour exposer Le Courage héroïque du jeune Désilles, le 31 août 1790, à l’affaire de Nancy, toile commandée par l’Assemblée nationale en 1790, mais présentée après la Terreur (voir l’illustration 10) ; ce soldat tué le 31 août 1790 alors qu’il s’interposait entre des mutins et les troupes loyalistes du marquis de Bouillé, est le héros du Nouveau d’Assas, « trait civique » de Dejaure créé en octobre et représentant la scène fatale à la Comédie-Italienne, avant que Desfontaines lui consacre un tombeau en janvier 1791 sur les planches du théâtre de la Nation26. La journée du 10 août 1792 heurte manifestement les critères de la commémoration : elle n’est traitée que par un inconnu (Berthaud) au Salon de 1793 et ne se retrouve au centre que de deux pièces non représentées, La Journée du 10 août 92 ou la Chute du dernier tyran de Darrieux et Saulnier (an II [1794]) et La Journée du dix aoust 1792 ou le Siège des Thuileries de Quiney (1797).
10Bien que les auteurs dramatiques abordent les événements politiques, militaires et sociétaux tous azimuts, nous pouvons repérer, à l’instar de Philippe Bourdin, quatre grandes phases dans le théâtre d’actualité de la Révolution et de l’Empire27 : d’abord une période marquée par la prise de la Bastille (1789-1791) que suit une phase où dominent les pièces anti-conventuelles (1791-1792), puis un temps reflétant les luttes des factions (1793-an III [1795]) et enfin, jusqu’à l’Empire, des pièces représentant surtout l’enrôlement des volontaires et les victoires des armées. Des phénomènes sériels sur des faits d’actualité apparaissent. La reprise de Toulon par les républicains aux Anglo-Espagnols et aux émigrés, en décembre 1793, est un bon exemple étudié par Hervé Guénot, qui note que « le théâtre n’est plus seulement alors le lieu d’un spectacle militaire, il devient en quelque sorte le journal des événements d’une bataille récemment gagnée. Le texte théâtral se métamorphose en texte journalistique28 ». Mais les auteurs relaient aussi plus directement les discours politiques, opérant une sorte de déterritorialisation de l’Assemblée. C’est le cas de l’opéra-comique de Louis-Benoît Picard et Nicolas Dalayrac où, une fois la victoire acquise, un député – non identifié dans cette pièce, contrairement à d’autres où figurent Fréron, Salicetti, Barras et Robespierre le jeune – s’inspire du rapport de Barère sur la marine (l’argent des émigrés compensera les destructions), puis se fait l’écho d’un rapport de Robespierre :
Mais écoutez : les succès endorment les âmes faibles, ils aiguillonnent les âmes fortes. Nous n’avons rien fait tant qu’il nous reste à faire. Laissons l’Europe et l’histoire vanter la prise de Toulon, et nous, courons, volons, faisons repasser les Pyrénées aux Espagnols ; qu’ils aillent raconter leur honte à leur tyran effrayé et qu’ils lui disent comment les esclaves des rois sont reçus sur le territoire de la République29.
11Ce procédé d’instantanéité, qui peut sembler banal à l’heure de Twitter et des chaînes d’informations en continu, assure non seulement une vulgarisation médiatique des discours politiques (relayant les journaux officiels tels que Le Moniteur), mais plus encore, il les « met en scène », les situe au cœur de l’histoire immédiate et leur donne ainsi une force et une intelligibilité bien plus grandes pour le spectateur qui vient d’assister au triomphe des soldats patriotes. Il est évident, aussi, que la reproduction de propos officiels est un gage de républicanisme présenté aux censeurs.
12Le même rythme endiablé ponctue les victoires de Bonaparte. En 1797, alors que sont créées plus de 200 pièces, les théâtres des boulevards célèbrent la campagne d’Italie, puis en octobre la Paix de Campo-Formio30. En février, Villars produit La Bataille de Roverballa ou Buonaparte en Italie au théâtre d’Émulation, intrigue de fiction dans laquelle le héros ne paraît qu’à la fin : Le Courrier des spectacles y voit « une de ces productions qui doivent plutôt leur succès aux circonstances qu’aux talents comiques. L’intrigue est rebattue, froide, le dénouement très ordinaire31. » Suivront des pièces sur la reddition de Mantoue (La Reddition de Mantoue au théâtre Molière, La Prise de Mantoue de Jean-Baptiste-Augustin Hapdé au Vaudeville), puis, en décembre, Le Pont de Lodi d’Étienne-Joseph-Bernard Delrieu et du compositeur Étienne-Nicolas Méhul au théâtre Feydeau :
[...] l’attaque du pont est exécutée avec effet ; en un mot, c’est du spectacle, c’est une pantomime qui peut piquer la curiosité par la manière dont elle est rendue. Tout le monde voudra voir des troupes, des canons véritables, une attaque, un combat à la mousqueterie, à la baïonnette ; c’est un bruit d’enfer !... C’est un spectacle nouveau ; il n’en faut pas d’avantage pour attirer tout Paris32.
13La ferveur patriotique se traduit par une floraison de pièces sur les victoires de la Grande Armée. Austerlitz notamment donne lieu dans les semaines et mois qui suivent à des spectacles joués dans de nombreuses villes comme Boulogne-sur-Mer, Rouen, Strasbourg, Lyon, Riom et bien évidemment Paris, mais la plupart de ces pièces recensées par Louis-Henry Lecomte ne sont que des prétextes à fêter indirectement l’événement militaire, à travers une intrigue et des personnages de fiction33. Par exemple, dans Les Français dans le Tyrol de Jean-Nicolas Bouilly, « fait historique en un acte et en prose » créé au Théâtre-Français le 1er février 1806, une comtesse étrangère séduite par les prouesses françaises clôt la pièce par cet éloquent couplet :
Comment, dans une bagatelle,
Tracer nos rapides succès ?
Messieurs, n’y voyez que le zèle
Et les sentiments d’un Français ;
Il est aisé de se convaincre
Qu’avec Napoléon le Grand,
Pour peindre comme il a su vaincre,
Il fallait écrire en courant34.
14Ces pièces sont généralement brochées dans l’urgence, parfois à plusieurs mains et sans prétention, comme l’expriment préfaces ou couplets d’ouverture. Dès le coup d’État du 18 brumaire an VIII (9 novembre 1799), neuf pièces, des comédies à vaudevilles pour la plupart, célèbrent le « sauveur » Bonaparte : le 22 novembre est jouée à la salle Favart Les Mariniers de Saint-Cloud de Charles-Augustin Sewrin, impromptu vivement applaudi, car « toutes les allusions relatives aux événements du 18 de ce mois, toutes celles relatives au général Bonaparte et à la paix ont excité le plus grand enthousiasme35 » ; le Vaudeville donne La Girouette de Saint-Cloud ; le théâtre des Troubadours (salle Louvois) La Pêche aux Jacobins ou la Journée de Saint-Cloud de De Chazet, Armand Gouffé et Léger, « vaudeville de circonstance, composé et appris en quinze heures36 ». Assumant de ne rien inventer et de ne pas composer de pièce sophistiquée selon les formes canoniques, les auteurs de faits historiques comme ceux de pièces biographiques se placent en retrait par rapport au grand homme qu’ils célèbrent, et il n’est pas rare de trouver des formules d’humilité telles que « Je désire seulement que la beauté du sujet et la pureté du motif fassent oublier la faiblesse de l’ouvrage37. » Plus qu’en poètes, ils s’affichent comme des citoyens.
15Cela est tout à fait perceptible chaque fois que les gouvernements sont renversés. Un exemple éclairera le propos : l’acte de bienfaisance de Cange, commissionnaire de la prison de Lazare, qui prétendit offrir à un détenu 50 F de la part de sa femme, et à cette dernière 50 F de la part de son mari, partageant en réalité son salaire entre les deux époux nécessiteux... Sedaine célèbre le héros dans un poème, tandis que deux toiles de Legrand de Lérant peignent « le vertueux Cange » en 1794 et 1795, seul ou auprès de ses obligés (voir l’image de couverture). L’attendrissement aurait pu suffire pour justifier un tel sujet, illustré en moins d’un mois par six pièces sur les scènes de six théâtres parisiens différents. Mais ce qui fait le sel de cette série et explique l’emballement des auteurs, c’est son inscription dans un événement de tournant de l’Histoire. En effet, le prisonnier – relativement flou à en juger par son nom, qui oscille entre « Durand », « Georges » et « Northel » –, victime de la Loi des suspects, est libéré grâce au 9 Thermidor alors que, comme le marquis de Sade, il devait être exécuté. L’une des pièces est intitulée à propos Le Commissionnaire de St Lazare ou la Journée du 10 thermidor38. Chaque opus de la série joue sur le soulagement produit par une action perçue comme providentielle au moment où les prisons parisiennes se vident d’environ 3000 détenus39, mais c’est en réalité une action mue par la révolte des hommes contre le « tyran » et la Terreur. L’insurrection n’est pas directement représentée, n’en sont perçues que les conséquences – elle est donc indirectement « mise en scène » par l’oralité des témoignages et le retour du prisonnier dans son foyer. Des personnages épisodiques (voisins, enfants...) colportent les rumeurs de la rue, au point que leur statut mimétique de témoin fait d’eux les représentants métonymiques des journalistes chargés d’informer le public en temps réel, voire des citoyens eux-mêmes mis en abyme par des effets d’oralité improvisée : « on dit qu’il y en a beaucoup d’autres de délivrés... on crie par-tout : à bas Robespierre ! le tyran ! le dictateur ! on assure... attends, comment est-ce qu’on dit déjà ?... ah !... que la justice va succéder à la terreur...40 » Dans la comédie de Julie Candeille jouée au théâtre de l’Égalité (ex théâtre de la Nation), la voisine Germaine annonce soudain des « bonnes nouvelles ! » : « Un grand complot est découvert, de grands coupables sont punis, la liberté respire, on ouvre les prisons, on interroge les détenus, on instruit les procès41... » Quelques minutes plus tard, le père de famille libéré retrouve ses pénates, sa famille, son bienfaiteur, et termine la pièce, juste avant le vaudeville sur l’air opportun de Veillons au salut de l’empire, par la célébration des nouvelles « vertus à l’ordre du jour » : « Prouvons à nos ennemis [...] que la bonté rustique, [...] l’amitié courageuse, [...] l’attachement conjugal, [...] et la bienfaisance désintéressée, sont les mœurs adorées de notre nouveau régime, sont les vertus à l’ordre du jour42. »
16Le soir du 30 octobre 1794, lors d’une représentation de la pièce de Gamas au théâtre de la République, Cange en personne est ovationné par le public : « Le public a montré par des applaudissements réitérés, combien il est ennemi de la cruauté, de l’oppression, et l’ami sincère des bonnes mœurs et de la vertu... Cange et son épouse assistaient à ce spectacle ; le public les a demandés, ils ont paru sur le théâtre aux cris redoublés de Vive la Vertu, Vive la République43. » Certes, la célébration des héros du peuple était alors officiellement encouragée par le pouvoir, en particulier par le député Léonard Bourdon qui consignait les traits de vertu de la France entière dans Recueil des actions héroïques et civiques des républicains français44. Mais si cet acte de bienfaisance n’avait pas coïncidé avec la chute du « tyran », si la générosité n’avait pas rencontré l’allégresse publique de la délivrance, bref, si la petite histoire ne s’était pas si bien fondue dans la grande, la figure de Cange n’aurait certainement pas ainsi suscité une telle fièvre de reconnaissance publique sur de nombreuses scènes populaires et été érigée en symbole d’une période de « révolution » dans la Révolution.
17La variabilité du temps est donc particulièrement sensible. Des auteurs anticipent même l’obsolescence des sujets et prévoient dans les textes des adaptations ultérieures. Dans Les Chouans ou la Républicaine de Malestroit, « trait historique et récent », une note préconise de substituer un air sur la légende du naufrage du Vengeur du Peuple par un autre : « On peut mettre à la place de ce couplet et du premier ceux que des circonstances récentes peuvent fournir45. » C’est donc un théâtre dont la portée est immédiate et qui pour durer, mais là n’est pas son but premier, doit sans cesse trouver un nouveau souffle dans l’actualité. Pour autant, le réduire à un « média de masse46 » destiné à des « spectateurs politisés » ou à sa fonction épidictique est réducteur : il élabore aussi, par menues touches, une légende nationale selon un processus mythographique qui déborde chaque saynète, et dont l’appréhension suppose une saisie sérielle ou globale. Remarquons enfin que ces ajustements de l’information à « l’ordre du jour » se retrouvent dans d’autres genres littéraires, à l’instar de l’épopée de François-Xavier Pagès de Vixouze, La France Républicaine ou le Miroir de la Révolution française (1793)47, où la nation se construit non plus sur la figure du roi mais sur celle du peuple, du début de la Révolution jusqu’à l’exécution de Louis XVI. Jean-Marie Roulin observe que Pagès invente « l’épique théâtralisé » en présentant les dialogues d’orateurs à la barre de l’Assemblée, tout en nimbant ces nouveaux héros de gloires allégoriques – ici la Liberté remet à Dampierre le glaive d’Harmodius, là ressurgissent les défunts précurseurs, Washington ou Guillaume Tell48... Mais l’actualité, tenace, affleure en deçà et au-delà du mythe : dépassé par la trahison de Dumouriez, l’auteur est contraint de remplacer le général vainqueur de Jemmapes par Dampierre au prix d’un révisionnisme flagrant, emblématique du rapport instable de la Révolution à l’Histoire. C’est pourquoi en 1801, fort d’un recul sur les soubresauts de la Terreur, Antoine Sérieys prête aux conjurés contre l’Incorruptible la conscience que le vent peut tourner à tout moment : « Aujourd’hui, sous tes coups, si le barbare expire,/ Il recevra demain la palme du martyre,/ Et ses ardents suppôts, en bénissant son nom,/ En pompe iront porter sa cendre au Panthéon49. » Le souvenir du « sacré cœur de Marat » puis de la « démaratisation » s’y surimpose ironiquement pour le public. Le théâtre d’actualité, embrassant le présentisme, a donc fait son miel de l’instabilité des citoyens et de l’imprévisibilité de l’avenir, saisie d’après les traces de son après-coup.
De la parodie au pamphlet : iconoclasme et charivari
18Si l’histoire au présent, myope, appelle des révisions ultérieures, le théâtre national a su intégrer et jouer avec ces transformations politiques et symboliques. Dès 1789-1790, des pétitions apparaissent pour transformer des noms de rues ou de sections. La destruction des symboles du despotisme, dont le premier est la Bastille, et leur remplacement sont mis en scène. Sur les tréteaux de la Révolution aussi, le peuple abolit ou réoriente les signes de l’Ancien Régime. Une nouvelle « culture des apparences » doit s’enraciner, jusqu’à la mise en place du Costume national dessiné par Jacques-Louis David sous le Directoire50. Pour honorer les vainqueurs de la Bastille, le cordon de l’ordre du Saint-Esprit et la croix de Saint-Louis sont obsolètes, car ils portent la trace d’un passé aristocratique mis à bas avec la forteresse. Dans Le Quatorze de juillet 1789, le grenadier Arné les rejette : « Longtemps la tyrannie employa leur crédit./ Mais si du peuple enfin la volonté suprême/ Veut de sa liberté symboliser l’emblème,/ Au lieu de tant de croix, s’il imprime un bonnet,/ Ce signe vaudra bien les croix qu’on lui donnait51 ». De même, dans l’opéra consacré à la libération de Thionville assiégée, le commandant Wimpfen dépose sur l’autel de la liberté sa croix, « marque d’honneur/ Qu’un despote accordait quelquefois au mérite,/ Mais que le plus souvent obtenait la faveur52. » La prise des Tuileries, le 10 août 1792, donne lieu à d’autres actes de vandalisme consignés. En l’an VI, Quiney intègre dans un « drame historique » non représenté la destruction de la statue de Louis XIV, place des Victoires :
Lepelletier
La statue d’un despote, au milieu d’un peuple libre !... Citoyens, que ce jour soit marqué par un nouveau trait de haine pour tous les tyrans : qu’il tombe ce bronze qui en perpétuoit la mémoire... Les arts brillent dans ce monument !... Ils étoient esclaves alors !... Ne détestons que la tyrannie, et retirons les arts de leur honteux esclavage.
Tamar
Que ses débris soient utiles à la patrie... Transformons-les en canons... Qu’ils portent la mort et l’épouvante au sein de nos ennemis... Plus de rois, pas même en simulacre.
(On renverse la statue, et l’on crie : VIVE LA LIBERTÉ ; on y place au-devant une pique surmontée du bonnet de la liberté)53.
19La veine satirique et pamphlétaire, propice pour exprimer les changements symboliques opérés par la Révolution, abonde aussi le fonds du théâtre national. Sauf de rares exceptions, ces pièces, dont les auteurs sont restés anonymes, n’ont pas été représentées. Un premier courant utilise la parodie dramatique comme un miroir déformant pour réfléchir l’étrangeté du réel et ridiculiser, par le burlesque, ses principaux acteurs en leur appliquant un langage tragique qu’ils usurpent et qui les écrase par sa majesté. Dans les pièces-pamphlets, l’enjeu satirique vise uniquement les cibles politiques ou les victimes comme le roi et la reine, donc les personnes réelles médiatisées par des personnages dérisoires, bouffons ou machiavéliques, et non les hypotextes de la trinité tragique Corneille-Racine-Voltaire54. L’Attentat de Versailles ou la Clémence de Louis XVI est une tragédie royaliste qui se situe au château de Versailles avant et pendant les journées d’octobre 1789 et dénonce un complot contre le roi, ourdi par Mirabeau et le duc d’Orléans, que révèle Calonne. L’auteur « offre à [ses] Concitoyens une pièce vraiment nationale, dont le sujet n’a point été puisé dans les annales obscures de l’Histoire, mais pris sur le temps même », disant avoir « voulu consacrer un des plus extraordinaires événements dont un Français puisse être le témoin dans sa Patrie55 ». Le texte de cette tragédie en alexandrins réguliers constitue donc un véritable patchwork citationnel : Corneille domine avec Cinna, Médée ainsi que des échos au Cid et à Horace (Mirabeau parodie les imprécations de Camille) ; nous retrouvons aussi des vers de Britannicus, Bajazet ou Athalie de Racine. En outre, l’auteur emprunte à Voltaire le célèbre vers de Zaïre, souvent cité au cours du siècle pour souligner l’héritage chevaleresque de la noblesse, ici subverti dans une exclamation indignée :
Le Duc de Guiche
Des Grands même, dit-on, dans ce désordre affreux,
Encourageant au meurtre un Peuple furieux,
Excitent à prix d’or sa rage sanguinaire.
Calonne
Des Chevaliers françois est-ce le caractère56 !
20La même référence revient dans Naissance de la très-haute, très-puissante et très-désirée Madame Constitution, « comédie héroï-comico-lyrique » de 1791 qui met en scène au premier acte le roi, la reine, Necker, La Fayette et le général Paoli aux Tuileries. Louis XVI est lucide sur sa faiblesse qu’il accepte au nom de la nécessité, espérant le bonheur de son peuple, tout en voyant que l’Assemblée et ses « fougueux démagogues » sapent le fondement de la monarchie. Necker paraît en chantant une parodie de la célèbre romance du troubadour Blondel dans Richard Cœur de Lion de Grétry et Sedaine (1784), qui devient : « Ô Louis ! ô bon Roi !/ L’univers t’abandonne ;/ Je ne donnerai pas, ma foi/ Un sou de ta personne57. » Ce n’est qu’au deuxième acte que la cible principale de la satire est exposée : Théroigne de Méricourt qui, portant « sous son jupon/ Un moule à Constitution58 », pourra mettre au monde cet enfant juridique procréé par la semence de Mirabeau, Barnave et consorts – ce qui advient au dénouement, ainsi que l’annonce Talleyrand. Tout ceci est agrémenté de vaudevilles. Une autre comédie présente Mme de Staël en nymphomane prête à tout pour détruire le pouvoir sacré de Louis XVI. Elle entend humilier Mesdames (les sœurs de Louis XV), dont l’émigration a été contrecarrée, en souhaitant que le roi, leur petit-neveu, soit contraint par l’Assemblée de signer le décret interdisant leur départ. Pour ce faire, au deuxième acte s’assemblent dans son salon les orateurs les plus influents de l’Assemblée auxquels elle promet ses faveurs. Mais Mirabeau et Chapelier trahissent la « nouvelle Circé ». Le troisième acte représente la « journée des poignards » au palais des Tuileries (28 février 1790), lorsque des aristocrates tentèrent de faire évader le roi, mais se firent désarmer par ce dernier qui céda aux pressions de la Garde nationale. Dans cette pièce, Germaine de Staël fait les frais d’une misogynie certaine (comme Anne-Josèphe Théroigne de Méricourt dans la précédente) : elle est décrite par les tiers comme « cette femme laide et ridicule, intrigante, et qui va promettant à chacun ses faveurs59 » et se révèle fort antipathique par son mépris de classe : « Le Peuple est bien comme l’a dit la Montagne, la bête de somme que chacun peut monter60 », enrageant à la fin : « Qu’ils sont bêtes ces Français ! Ils ne savent que voler au secours du Roi61 ! » La comédie d’actualité se conçoit ainsi à la manière d’une caricature à portée immédiate, comparable aux illustrations satiriques62. Même si la performance publique de telles pièces ne pouvait avoir lieu (sauf pour des happy few en société), le choix de la forme théâtrale rappelle la fonction critique traditionnelle du castigat ridendo mores (« il corrige les mœurs par le rire »), qui prend une nette coloration politique puisqu’il s’agit non de types, mais de personnalités réelles livrées en pâture à la risée publique.
21Les pamphlets pornographiques constituent un degré supérieur de violence symbolique et marquent l’aboutissement de la désacralisation de la royauté, dont les principaux acteurs sont animalisés, tant le corps et les attributs sexuels occupent le centre du tableau63. À mi-chemin entre la littérature érotique et les dialogues pamphlétaires ou les saillies d’un Père Duchesne, ces pièces offrent un cas limite de théâtre défouloir et foutoir, où le fantasme le dispute à la revanche du peuple sur les Grands. L’Autrichienne en goguette ou l’Orgie royale, pièce minimaliste de trois scènes, repose sur un dispositif voyeuriste : l’auteur serait un garde du corps ayant assisté par le trou de la serrure aux ébats lascifs associant la reine, la duchesse de Polignac et le comte d’Artois sur le corps enivré d’un Louis XVI roupillant. Dans une scène, le beau-frère enfourche sa belle-sœur dans un duo chanté jusqu’à l’orgasme. La duchesse de Polignac les rejoint, s’assoit sur le dos du roi endormi, se fait gamahucher par la reine, tandis que d’Artois se remet au labeur :
Il lève un léger jupon de linon, découvre deux fesses blanches comme la neige ; et écartant d’une main furtive la route de la volupté, il lance la flèche de l’amour dans le temple de la félicité. Pendant que les langues femelles s’agitent, que les secousses des reins élastiques cherchent de nouveaux plaisirs, la Confidente introduit un doigt léger sur le portique du Temple dans lequel le Comte s’introduit par une voie détournée64.
22La poésie n’est pas absente de ces descriptions, dont le lexique codé pastiche le style de la littérature libertine et érotique. Plus ample et plus tardive, La Journée amoureuse ou les Derniers Plaisirs de M.... Ant....... (1792) se déploie sur trois actes mobilisant un personnel accru et sociologiquement plus ouvert, car le peuple a sa part du gâteau. L’épigraphe donne le ton : « Dans l’olimpe, aux enfers, je veux foutre partout. » La reine se plaint de « [son] gros cochon » de mari qui « a mangé comme un ogre65 » ; pour mettre un terme à ses reproches, elle l’enivre et l’ensorcelle : « (Antoinette déboutonne le magasin aux iniquités du monarque, et trouve un vit flasque.) Branle-moi, ma chère belle amie./ Antoinette. Ah ! gros coquin, voilà ce que tu demandes. Tu veux que je te branle, tu veux que je chatouille tes couilles royales66. » Au premier comme au troisième acte, Marie-Antoinette s’adonne aux plaisirs lesbiens avec sa favorite, dans un style vif et alerte dont voici un échantillon :
La Princesse de Lamballe
Aimable coquine, tu prends bien du plaisir quand on te brandouille la motte. Que tu remues agréablement la charnière ! Va toujours : le foutre coule de tes belles cuisses blanches et ton con est brûlant d’amour.
Antoinette
Continue, je t’en prie ; gamahuche-moi le bout du téton ; je veux absolument mourir entre tes bras. Je sens dans tout mon corps un chatouillement... Ah ! ah ! ah !
La Princesse de Lamballe
Je pars aussi ; les forces me quittent. Je n’en puis plus. Je décha...a...a...arge67.
23Le bouquet final consiste dans l’initiation de la jeune suivante Mlle Dumont à l’art des tribades, couronnée par les bons et loyaux services du valet de chambre Dubois, bien fait de sa personne, dont la pénétration ravit la reine par sa nouveauté : « il manquoit à mon histoire galante d’avoir éprouvé la valeur des couilles roturières68 ». Le glissement des attributs royaux à ceux de la roture traduit la dégradation de l’image royale et accentue la condamnation du libertinage aristocratique dans un fantasme de profanation dionysiaque.
24Le théâtre révolutionnaire a plus aisément utilisé les saturnales carnavalesques, se rapprochant des fêtes populaires spontanées de l’an II, empreintes de violence. Ces fêtes de nature « freudienne » plutôt que « durkheimienne » selon l’analyse qu’en propose Mona Ozouf furent circonscrites, au pic de la déchristianisation, entre vendémiaire et ventôse an II (septembre 1793 et février 1794), entre les grandes fêtes officielles de la Raison (brumaire), de la reprise de Toulon (nivôse) et de la mort du roi (pluviôse)69. Cette « autre fête » échappe donc à la rationalisation des organisateurs et recourt au bestiaire ou à des mannequins géants personnifiant le Fanatisme ou la Royauté, ou à des guenilles sur une effigie de Marie-Antoinette. Le registre burlesque domine pour fédérer le peuple sans-culotte contre ses ennemis déchus, la catin et le cardinal entourent le cercueil du despotisme, ou bien le simulacre de la décapitation du roi est mis en scène avec une guillotine bien réelle. La fonction désacralisante s’accompagne d’une conjuration symbolique, selon Ozouf : il s’agit de « fuir la charge tragique de la Révolution, pour la brutalité parodique70 ». C’est pourquoi la voie de l’allégorie l’emporte en définitive sur le simulacre réaliste : la fête voile l’Histoire, ce qu’accentueront les fêtes commémoratives des années 1795 à 1797 et les fêtes morales désincarnées de la fin du Directoire71.
25On peut rapprocher les traits de la fête carnavalesque de pièces comme Le Jugement dernier des rois de Pierre-Sylvain Maréchal, « prophétie » jouée au théâtre de la République le lendemain de l’exécution de Marie-Antoinette, qui eut 21 représentations concentrées pour la plupart en novembre et décembre 1793. L’œuvre de propagande ne semble pas avoir suscité d’intérêt durable (bien qu’elle fût aussi jouée ou imitée en province comme à Rouen, Bordeaux ou Toulouse72). L’auteur, bibliothécaire de la Mazarine – plus tard proche de Gracchus Babeuf dans la tentative de renversement du Directoire en 1796, la Conjuration des Égaux73 –, expose son projet de subversion comme une revanche du peuple dans l’histoire. Si « au temps passé, sur tous les théâtres on avilissait, on dégradait, on ridiculisait indignement les classes les plus respectables du peuple souverain, pour faire rire les rois et leurs valets de cour », le temps est venu de « leur rendre la pareille, et de nous en amuser à notre tour74 ». Cette courte uchronie de huit scènes forme un diptyque : les quatre premières présentent le peuple sous toutes les coutures (le sage vieillard victime de l’arbitraire royal déporté sur l’île volcanique, les bons sauvages qui l’ont nourri pendant vingt ans et les sans-culottes de l’Europe entière qui affluent en navire), tandis que les quatre dernières introduisent les monarques détrônés, avec un crescendo burlesque qui fait terminer la pièce dans une mascarade digne du Grand Guignol, alors qu’elle avait commencé sur un registre sérieux, mêlant la robinsonnade et le discours militant des sans-culottes. La dignité du peuple émancipé détonne par rapport à l’infantilisation des rois, qui se chamaillent pour un morceau de pain noir et « se battent ; la terre est jonchée de débris de chaînes, de sceptres, de couronnes ; les manteaux sont en haillons75 ». L’iconoclasme est aussi métathéâtral : Jacques Proust a montré que les costumes, recyclés pour la plupart de pièces historiques, constituaient un véritable palimpseste dramatique76. Dugazon jouait le pape avec la soutane écarlate du Cardinal de Lorraine de Charles IX ; Baptiste, en roi d’Espagne, portait l’habit espagnol d’Henri VIII de Chénier ; Raymond, incarnant l’empereur François II, revêtait un costume hérité de L’Entrée de Dumourier à Bruxelles d’Olympe de Gouges ; parmi les autres détournements figuraient un cordon de l’ordre de Saint-Michel repris à la pièce Louis XII, père du peuple de Ronsin, un ventre postiche d’Arlequin ou encore le filet de résille de Figaro, faisant de la pièce une sorte de satire au second degré du répertoire77. C’est par la farce dionysiaque qu’elle se clôt, avec ces souverains de pacotille prêts à toutes les compromissions pour sauver leur peau :
Le Roi d’Espagne
Bonne Notre-Dame ! secourez-moi... Si j’en réchappe, je me fais sans-culotte.
Le Pape
Et moi, je prends femme.
Catherine
Et moi, je passe aux Jacobins ou aux Cordeliers78.
26Même si cette conversion relève du fantasme tenu à distance par la fiction et la farce, les spectateurs donnent libre cours à leur imagination pour appliquer sur la matière historique l’actualité politique. Cette activité vaut aussi pour les sujets plus anciens, exotiques, antiques ou étrangers.
Le public acteur ou l’illusion des allusions
27S’il est bien une constante qui rapproche le fonctionnement de la censure et les anecdotes qui ornent les commentaires des critiques de théâtre, c’est l’association entre une phrase ou un personnage fictionnel et une personne réelle au moment de la représentation. L’herméneutique analogique est permanente, même lorsque la pièce n’a a priori rien à voir avec l’actualité. Avec les sujets nationaux, le rapprochement est encore plus aisé, car la conscience de la temporalité dans la durée accentue le lien entre le passé et le présent, selon un versant ludique et un versant paranoïaque.
28Les figures de bons rois comme Henri IV, Louis XII ou Saint Louis sont de parfaits supports pour projeter les espoirs de la « régénération ». Les deux premiers sont les plus populaires. Louis XII, le « père du peuple » (1498-1515), fait l’objet d’une comédie héroïque de Collot d’Herbois et de la tragédie de Charles-Philippe Ronsin jouée sans succès au théâtre de la Nation le 12 février 1790, destinée, en vain, à pallier l’attente de la reprise du Charles IX de Chénier79. Louis XII sert de calque à Louis XVI. Dans Louis XII, père du peuple de Ronsin, le roi est absent en raison de la campagne d’Italie, le pouvoir des Grands (incarné par l’intendant Héroët) opprime le peuple, de sorte que le roi jouit toujours d’une bonne réputation et qu’on espère son retour : « Mais Louis est absent : d’un morne effroi troublé,/ Et comme une famille errante et désolée,/ Toute la France, en butte à l’audace des Grands,/ Sujette d’un bon Roi, gémit sous vingt tyrans80. » De retour avec le chevalier Bayard, il met de l’ordre en reprenant les rênes du pouvoir, libère les prisonniers et bannit le mauvais intendant – qui a tôt fait d’être démembré par le peuple furieux, tels Foulon et Bertier de Sauvigny en juillet 1789. Bayard / La Fayette et le roi exhortent alors les sujets à recouvrer le calme tout en restaurant la force des lois. Leur auditoire – image du peuple – renonce solennellement à l’usage de la violence : « Peuple, aux genoux du Dieu qui veille sur la France,/ Abjurons à jamais le meurtre et la vengeance ;/ Et quand notre bonheur fait ses vœux les plus doux,/ Rendons-lui le repos qu’il a perdu pour nous », prône un citoyen81.
29Sur le podium des bons rois, Saint Louis occupe la troisième place. En juin 1790 est créé à l’opéra de la Porte Saint-Martin Louis IX en Égypte de François Andrieux et Nicolas-François Guillard82. Cet opéra évoque la pacification avec le sultan égyptien, dit « Soudan » comme dans Zaïre. La sultane est favorable à la paix mais redoute un piège tendu au roi de France. Elle connaît l’inflexibilité de son mari, qui douze ans plus tôt a banni leur fils, nouveau Moïse. De fait, jaloux de la gloire du roi de France que chérit le peuple arabe, le Soudan projette de le faire assassiner par des Bédouins, mais c’est lui qui sera finalement immolé en vertu de la nécessité mélodramatique. Tout le deuxième acte reprend le motif de la visite incognito du roi auprès du peuple, popularisé par Collé. Même formule que dans La Partie de chasse de Henri IV : le roi français veut jouir du culte dont il fait l’objet, mais son attendrissement le dévoile, et Mosès, ancien chef des mameluks qui a secrètement préservé le fils du sultan, ainsi que ce dernier et les figurants, se jettent aux pieds du souverain reconnu :
Mosès
Oui, vous êtes Louis, je ne puis m’y méprendre ;
Venez tous, mes amis, embrassez ses genoux.
Chœur
Ah ! grand Roi !
Le Roi
Mes enfans, mes enfans, levez-vous83.
30Par un effet de métalepse significatif, le roi exprime sa reconnaissance qui parle au peuple de 1790 : « Parmi ces étrangers, sur ces rives lointaines,/ Ô mon peuple ! Ô Français ! n’en soyez point jaloux,/ J’ai cru dans ce moment être au milieu de vous,/ Et ces bois enchantés m’ont rappelé Vincennes84. »
31De nombreuses pièces historiques au début de la Révolution organisent cette projection imaginaire entre le proche et le lointain. Plagiant Maillard ou Paris sauvé de Sedaine, Jean-Louis Gabiot l’adapte à l’actualité de 1790 en mettant en scène (contrairement à l’hypotexte) le lit de justice présidé par le Dauphin pour pardonner à l’ancien prévôt des marchands destitué : « Le calme est rétabli », expose Maillard ; « les États Généraux travaillent librement et sans relâche au bonheur du Peuple, à la restauration de la France. [...] enfin, c’est pour faire renaître partout la confiance dans ses promesses, que le Dauphin vient à l’Hôtel-de-Ville apporter des paroles de clémence et de paix, et prononcer une amnistie générale85. » Soit un calque évident de la venue de Louis XVI dans ce même lieu le 17 juillet 1789, moment de liesse à la suite duquel l’Assemblée lui décerna le titre de « restaurateur de la liberté française ». Dans la pièce, le Dauphin lui-même annonce son lointain successeur :
Un jour viendra, peut-être, où les François plus éclairés connoîtront les droits de l’Homme et leurs limites, et jouiront d’une sage liberté qui ne dégénèrera point en licence. Alors, sans doute, on verra sur le Trône un Roi-Citoyen, plus jaloux du bonheur de ses peuples que d’une autorité despotique, ne rien épargner pour mériter le titre de père des François et Roi d’un peuple libre86.
32Dans Charles IX, Chénier ajoute à l’acte III seize vers de circonstance dans une apophétie (fausse prophétie déjà réalisée) de la prise de la Bastille par le chancelier de L’Hôpital, que l’auteur ne conservera pas dans la réédition de l’an VII puisque le souvenir du 14 juillet est émoussé et la célébration du « monarque », désormais impropre : « Ces tombeaux des vivants, ces bastilles affreuses/ S’écrouleront alors sous des mains généreuses :/ [...]/ On verra nos neveux, plus fiers que leurs ancêtres,/ Reconnaissant des chefs, mais n’ayant point de maîtres,/ Heureux sous un monarque ami de l’équité,/ Restaurateur des lois et de la liberté87. » Quant au Louis XII de Ronsin, pour le Mercure de France, « les réflexions et les récits, que l’auteur a fait entrer dans ce cadre, ont presque tous rapport aux événemens de la révolution88 ». Citons encore Marie de Brabant, tragédie nationale d’Imbert créée un mois plus tôt à la Comédie-Française, où Philippe III déjà en appelle à l’abolition du féodalisme : « Puisse un jour quelque bras, protecteur de la France,/ De l’hydre féodale abattre la puissance,/ Et voir l’heureux Français, sous une seule loi,/ Au lieu de vingt tyrans, ne servir qu’un bon roi89 ! » La tirade ne fait pas l’unanimité : « Les vers de circonstance nous reportant du temps de l’action au temps où nous sommes, refroidissent toujours l’intérêt, et détruisent l’illusion. Le public a redemandé ceux-ci comme un vaudeville90. » Malgré de telles critiques, fréquentes, le même mode analogique fonctionne lors de l’ascension de Napoléon, y compris dans des genres dits mineurs comme la comédie mêlée de vaudevilles, à travers des sujets qui n’ont aucun rapport avec la « grande histoire ». Ainsi, dans Collin d’Harleville aux Champs-Élysées, créée le 10 mars 1806 au théâtre de la rue de Thionville, le nom de l’empereur « électrise » Voltaire qui regrette, dans le couplet final, de ne plus être vivant pour composer une Napoléïde91.
33Or dans la majorité des cas, les applications échappent à l’auteur : elles sont le fait des spectateurs eux-mêmes qui réagissent via le prisme de l’actualité. Certes, ce rapport n’est ni nouveau ni spécifique aux sujets nationaux : c’est une pratique constante et prisée notamment par les « plaisants du parterre » durant tout le xviiie siècle, comme nous pouvons le mesurer (sans même avoir à fouiller profondément dans la presse) par les Anecdotes dramatiques des abbés La Porte et Clément92, ou encore dans certains passages du Paradoxe sur le comédien où Diderot donne des exemples cocasses d’interactions entre la scène et la salle93. Mais les pièces nationales offrent un terreau particulièrement propice à la germination impromptue de l’actualisation du sens, quel que soit le régime politique en vigueur. Par exemple, lors d’une reprise du Siège de Calais à la Comédie-Française en présence du Dauphin et de la Dauphine en juin 1773, le spectacle est moins sur la scène que dans la salle, dans une relation triangulaire entre les comédiens, les futurs souverains et les spectateurs qui réagissent ainsi à la pièce :
Au troisième acte, dans une scène où Aliénor disserte sur la loi salique, qui exclut les étrangers du trône, et n’y admet que les héritiers de la famille régnante, suivant l’ordre de la succession et le droit d’aînesse, Mlle Vestris, qui faisoit ce rôle, aux derniers vers : « Le François dans son Prince aime à trouver un frère,/ Qui, né fils de l’état, en devienne le père. » a regardé M. le dauphin en les prononçant ; ce qui a été suivi de longs et unanimes applaudissements.
Dans un autre endroit, il se trouve ces mauvais vers, mais vrais et sentencieux : « Quelle leçon pour vous, superbes potentats !/ Veillez sur vos sujets, dans le rang le plus bas,/ Tel, loin de vos regards, dans la misère, expire ;/ Qui quelque jour peut-être eût sauvé votre empire ! »
M. le dauphin et madame la dauphine ont pris leur revanche en cette occasion, et ont applaudi les premiers à la tirade ; et cette marque de sensibilité de leur part a été reçue avec des transports nouveaux de tendresse et de reconnaissance du public94.
34Ce chant amébée collectif, si l’on peut dire, révèle une expression sincère, et si le mythe du père du peuple se maintient malgré (ou grâce à ?) la désacralisation de la monarchie, c’est parce qu’il fonctionne comme un idéal politique auquel le peuple aspire : un modèle de proximité, de simplicité, de sollicitude et d’amour mutuel. Mais les pièces nationales peuvent tout aussi bien dérouter les spectateurs. C’est alors la représentation qui révèle en acte le potentiel critique inaperçu lors de la seule lecture, comme dans l’affaire du Connétable de Bourbon, tragédie du comte de Guibert écrite vers 1769, qui a déjà fait son petit effet dans les salons quand elle est répétée publiquement avec succès par la Comédie-Française pour être créée à Versailles lors du mariage de la princesse de Piémont, en août 1775. Cette idée de Marie-Antoinette s’avère désastreuse. Cette tragédie forme l’avers de Gaston et Bayard de De Belloy95. Le public mesure l’inconvenance du sujet en pareille occasion : le « héros » de Marignan, brimé par la duchesse d’Angoulême, Louise de Savoie, devient félon en passant au service de Charles Quint, malgré les tentatives de Bayard et de son aimée Adélaïde pour le retenir dans le giron de la patrie. Il révèle à Adélaïde que l’Empereur lui a promis le trône de Lombardie, exil qui apparaît comme une utopie propice à la renaissance dynastique : « Nous formerons de Rois une race nouvelle ;/ Une tige de lys et plus pure et plus belle./ Les Valois corrompus languiront dans Paris ;/ Les Bourbons vertueux régneront où je suis96. » Louis XVI avait beau être un descendant de cette lignée, la critique ouverte de l’autorité monarchique était en soi subversive, et celle de Louise de Savoie pouvait rejaillir sur la princesse de Piémont, faisant frôler l’incident diplomatique97. La réaction du roi fut sans appel :
Le roi, à la représentation du Connétable de Bourbon, s’est aperçu de la maladresse qu’il y avait à mettre sous les yeux et sous ceux de sa famille un semblable sujet, il s’est récrié qu’il avoit été trompé à la lecture, et qu’il ne souffriroit pas que cette tragédie reparût. En conséquence les comédiens François ont reçu ordre de remettre chacun leur rôle sur-le-champ, ordre de brûler les copies qu’ils en auroient tirées, défenses d’en tirer, et il leur a été déclaré qu’on les tiendroit responsables de ce qui en paroîtra en tout ou en partie98.
35La tragédie ne fut donc jamais jouée à la Comédie-Française comme espéré et la pièce parut uniquement en 1786 sans nom d’auteur. Mais Marie-Antoinette n’avait pas dit son dernier mot et soutenait contre vents et marées son jeune protégé. L’auteur lui rapporta le manuscrit de sa pièce remaniée à la fin de l’année et une seconde représentation eut lieu le 30 novembre à Versailles ; mais malgré la claque de courtisans acquis à la reine, des huées retentirent au cinquième acte, mécontentant Sa Majesté99.
36Plus fréquemment, des personnages ou des répliques cristallisent les passions populaires. Lors de la première disgrâce de Necker au printemps 1781, le premier acte de La Partie de chasse de Henri IV prend une actualité nouvelle. Le public projette Necker sur Sully, manifestant ainsi sa réprobation après son éviction :
L’engouement pour M. Necker s’est manifesté dans le public, dès le premier moment de sa disgrâce. Le dimanche, où la nouvelle s’en répandit, on jouoit aux François La Partie de chasse de Henri IV. On sait qu’il est beaucoup question de Sully ; qu’en un endroit, après lui avoir pardonné, le roi s’écrie : les malheureux, ils m’ont trompé ! une voix du parterre a répondu : oui, oui ; et à l’instant mille voix l’ont répété. Ce même tumulte a recommencé à chaque phrase où il étoit question de Henri100.
37Le lieutenant de police demande des comptes aux comédiens, qui prouvent leur innocence eu égard à ce brouhaha, faisant valoir « que le hasard seul avoit causé cet à-propos101 ». Même phénomène au fort de la Terreur, en novembre 1793 où Marat dans le souterrain ou la Journée du 10 août, « fait historique en prose et en deux actes » du citoyen Mathelin, est joué à l’Opéra-Comique. Au passage évoquant la chute de la monarchie, un spectateur superpose le jour même de la représentation, concomitant avec une autre chute, physique celle-ci :
Au second acte, un sans-culotte dit au domestique de Marat, en parlant du 10 Août : La journée d’aujourd’hui fera à coup sûr changer la carte. Ces mots furent à peine prononcés que le public se rappelant sans doute que le ci-devant d’Orléans venoit, dans le moment, de perdre la tête sur l’échafaud, applaudit à cette phrase qu’il fit répéter avec le plus grand enthousiasme, et qu’on cria, de toutes parts, vive la république102 !
38Mentionnons un dernier cas sous le pouvoir napoléonien. Alexandre Duval, trop échaudé par la censure d’Édouard en Écosse – drame applaudi en 1802 par les royalistes rentrés d’émigration, ce qui incita l’auteur à s’exiler en Russie plusieurs mois – ne cherche nullement, deux ans plus tard, à tresser des lauriers au Premier consul dans Guillaume le Conquérant. La préface de la pièce, écrite sous la Restauration, s’attaque aux « plats courtisans du nouveau maître » et repousse comme involontaire toute application, séparant donc hermétiquement la sphère artistique et le cadre politique contemporain : « Mon drame, conforme à l’histoire, loin d’offrir des allusions à Bonaparte, ne représentait que l’audace et la gloire de Guillaume : aussi le public des loges fut-il très mécontent de mon peu d’adresse ; et, si le parterre applaudissait avec enthousiasme quelques scènes intéressantes par leur singularité même, les loges s’en montraient courroucées103. » Quoiqu’approuvé par le ministre de l’Intérieur Chaptal et généreusement subventionné par le gouvernement à hauteur de 9 000 livres, le drame n’eut qu’une représentation au Théâtre-Français, le 4 février 1804, car Napoléon, superstitieux, n’aurait pas goûté au troisième acte la chanson du comte de Poitiers évoquant la mort de Roland à Roncevaux :
Mais j’entends le bruit de son cor
Qui résonne au loin dans la plaine...
Eh quoi ! Roland combat encor ?
Il combat !... Ô terreur soudaine !
J’ai vu tomber ce fier vainqueur ;
Le sang a baigné son armure :
Mais, toujours fidèle à l’honneur,
Il dit, en montrant sa blessure :
Soldats français !... chantez Roland,
Son destin est digne d’envie :
Heureux qui peut, en combattant,
Vaincre et mourir pour sa patrie104 !
39Ces quelques exemples anecdotiques pris dans une série bien plus ample permettent de saisir des éclats partiels, mais significatifs de la réception des pièces nationales, et révèlent l’importance de la presse et des témoignages de première main dans une telle enquête archéologique pour le spectacle vivant, métabolisé par la perception et l’imagination des spectateurs. Dans une telle perspective, comme l’écrit Sophie Marchand, « l’œuvre dramatique apparaît moins comme une forme achevée et autonome [...] que comme une forme creuse et en devenir, susceptible d’être investie par l’imaginaire culturel des spectateurs et redessinée par des époques et des circonstances ayant totalement échappé à l’intentionnalité de l’auteur105. » Quand les temps se télescopent, la performance prend une saveur insoupçonnée qui, tout en brisant plus ou moins momentanément la nature immersive de l’illusion théâtrale, façonne un autre enjeu de la représentation, simultanément ludique et civique, imaginaire et politique. La fortune dramatique contrariée mais pérenne du « bon roi Henri » le montre de manière plus régulière entre les années 1760 et la Restauration.
Une série : Henri IV et la censure
40« Resurrexit » : c’est par ce graffiti plein d’espoir au pied de la statue équestre d’Henri IV, joyau du Pont Neuf, que le peuple accueille l’avènement de Louis XVI106. Depuis La Henriade (1728), la figure du premier Bourbon est passée de l’histoire à la légende et de la légende au culte, comme l’énonce Grimm en février 1773 : « Depuis vingt-cinq ans l’amour de la nation pour Henri IV est devenu une espèce de culte et de religion ; on ne prononce pas ce nom sans attendrissement et sans admiration, et toute l’Europe a semblé partager cette passion107 ». La Henriade n’est pas seulement la source littéraire la plus productive quant au traitement historique et politique du roi, c’est également un important relais d’anecdotes comme le motif populaire de la « poule au pot » (invariant de la série théâtrale) ou ses amours avec Gabrielle d’Estrées. Cette dernière est l’héroïne éponyme d’une tragédie d’Edme-Louis Billardon de Sauvigny au seuil des années 1780 et d’un opéra-comique de Claude Godard d’Aucourt de Saint-Just sous l’Empire108. Plus largement, Henri IV est mis en scène dans la sphère privée ou au contact de son peuple qui l’aime. Nous sortons de la grande histoire pour pénétrer dans l’anecdote, zone frontière dont les auteurs comme Maximilien-Jean Boutillier revendiquent la légitimité et la véracité : « Tous les traits de la vie de Henri le Grand sont si admirables, tout ce qui peut rappeler le souvenir d’un Monarque si cher, dont le portrait vivant est encore sous nos yeux, a tant de droits de nous intéresser, que je n’ai pu résister à l’envie de mettre en scène une Anecdote tirée de l’Histoire de ce Prince, le père de l’humanité109. »
41Louis-Sébastien Mercier joue de la même manière sur le contraste entre la vertu bienfaisante, incarnée par le couple Henri-Sully, et le fanatisme des ligueurs, aiguillonné par des prêtres parisiens qu’il met en scène dans sa « pièce nationale » censurée, La Destruction de la Ligue ou la Réduction de Paris (1782). À l’instar de Baculard d’Arnaud qui avait personnifié le fanatisme dans la personne fictive d’Hamilton, curé de Saint-Côme et assassin de l’amiral de Coligny dans sa première tragédie en trois actes110, Mercier recourt à des personnages d’invention avec Guincestre, curé de Saint-Barthélémi – le toponyme n’est pas anodin – et Aubry, son confrère de Saint-André-des-Arcs : « Le feu du fanatisme, échappé de l’encensoir, brûle mieux que jamais. C’est un vrai plaisir que d’attiser ses flammes, que d’être témoin de leurs rapides progrès ; tant que les esprits seront enflammés à ce point, nous n’aurons rien à craindre111. » Le bourgeois Hilaire est progressivement dessillé de ses préjugés anti-huguenots qui lui faisaient considérer Henri et ses partisans comme de vils hérétiques. Le basculement s’opère lorsque sa mère lui révèle la scène d’imposture à laquelle elle a assisté, avant de rendre le dernier soupir. Mais Mercier prend soin d’opposer à ce tableau du fanatisme la vertu souveraine du couple Henri-Sully, sur lequel se focalise le deuxième acte. L’abjuration du protestantisme apparaît comme la manœuvre tactique qui permet de lever les dernières résistances des ligueurs et mettre un terme à l’éprouvant siège de Paris, car le roi de France est déchiré à l’idée de verser le sang de son peuple112. Il promet d’établir la tolérance dans ses états. Son « cher Rosny » lui trace les bons principes de son règne, où les Lumières puisent leur modèle de gouvernement idéal :
Point de remords, Sire ! les rois doivent dominer les religions, et ne s’attacher qu’à celle qui, composée d’éléments purs, découle du sein de la divinité, dont ils sont ici-bas les images, quand ils sont éclairés, fermes et bienfaisants ; ils doivent être au-dessus de ces pratiques superstitieuses qui avilissent la raison, abâtardissent les peuples, leur ôtent leur énergie et leurs vertus. C’est à eux de préparer de loin à leurs sujets un culte raisonnable, digne de l’homme et de faire tomber, soit par le mépris, soit par une sagesse attentive, ces querelles misérables qui ont tant de fois ensanglanté la terre ; c’est ainsi que, législateurs sublimes et prévoyants, ils deviennent les bienfaiteurs du genre humain113.
42Le « peuple » célèbre le libérateur triomphant et Mercier recourt au syntagme superlatif utilisé par la plupart de ses contemporains historiens (Hénault, Voltaire, Millot ou Viard) : « Sous des traits guerriers on reconnaît un bon prince, un cœur françois, le meilleur des hommes et des rois114 ».
L’affaire de La Partie de chasse de Henri IV
43Mais c’est à Charles Collé que revient le principal succès de la légende henricienne avec La Partie de chasse de Henri IV, dont les démêlés avec la censure attestent l’actualité analogique que pratique aussi le pouvoir à toute époque. Créée avec succès dans le giron du duc d’Orléans en décembre 1764, la pièce est interdite par le roi à la cour, malgré les sollicitations de son cousin. Philippe d’Orléans annonce à Collé que Louis XV a justifié son refus au motif que « cela étoit trop près, que l’on ne pouvoit point mettre Henri IV sur un théâtre public, mais seulement sur des théâtres de société115 ». Les Mémoires secrets lèvent le voile sur une véritable affaire d’État impliquant le pouvoir exécutif :
Malgré les espérances que le public avoit de voir jouer Henri IV, il est à craindre que ce drame n’ait pas lieu. Il s’est tenu ces jours derniers un grand conseil à Versailles sur cette matière : M. le duc de Choiseul, M. le prince de Soubise étoient pour en permettre la représentation ; M. de Laverdy, M. le duc de Praslin s’y opposoient ; enfin la pluralité a été pour qu’on ne traduisît point indécemment sur la scène ce grand roi116.
44Cette affaire relève d’une lutte d’influence à la cour entre le clan Choiseul et celui du maréchal de Duras, et révèle les limites de la censure officielle, puisque la pièce était jouée en province et que des Grands s’opposaient à la décision des censeurs et du lieutenant de police117. Ainsi en va-t-il du Maréchal de Richelieu, duc de Guyenne, qui fait jouer « par ordre » La Partie de chasse de Henri IV le 13 juin 1766 au théâtre de Bordeaux, alors qu’elle reste interdite à Paris jusqu’à la mort de Louis XV118. Comme le résume Hallays-Dabot, « le gouvernement [...] vit dans la pièce de Collé ce que le public y chercherait, une allusion par contraste, un prétexte à manifestation. Henri IV était alors ce qu’il a été plus tard, un drapeau, l’emblème de la royauté débonnaire, libérale, démocratique119. » Autrement dit, la racine d’une « droite orléaniste » déjà en concurrence avec la « droite légitimiste », pour reprendre la célèbre distinction de René Rémond120. Collé était le « lecteur et secrétaire » du duc d’Orléans, interprète naturel de Henri IV dans la pièce.
45C’est donc sur les planches des théâtres de société que le beau monde parisien, y compris la cour, fait fi de l’interdit royal. Ces espaces de « théâtre amateur, discontinu et non lucratif », tels que les définit Marie-Emmanuelle Plagnol-Diéval, « ne sont pas que le refuge de l’interdit sexuel, mais peuvent également déjouer la censure politique ou servir de théâtre d’essai121 ». Le Journal de Collé permet de retracer le cours de ces représentations, dont il doit se contenter pendant une dizaine d’années122. Après la publication de la comédie en février 1766, dès le 14 mai, le duc de Duras la fait jouer à l’hôtel des Menus-Plaisirs du roi, rue Bergère, puis à Villers-Cotterêts en l’honneur du prince héréditaire de Brunswick, avec le concours des Comédiens-Français Brizard (Henri IV), Grandval (Sully) et Préville (le meunier Michaut)123. Lors des répétitions privées, en revanche, des comédiens amateurs de la première condition donnent de leur personne : le 9 juin 1766 chez le duc d’Orléans, le vicomte de la Tour-Dupin joue Henri IV, le chevalier de Clermont-d’Amboise, Sully, le vicomte de Rochechouart incarne Bellegarde, le jeune duc de Chartres se charge du paysan Lucas, Mme de Montesson tient le rôle d’Agathe, la marquise de Ségur celui de Catau, et la comtesse d’Usson interprète Margot124. En avril 1767, la comédie est jouée au théâtre des Porcherons (rue de Clichy) par la troupe du duc de Grammont, en juin, Mlle Montansier la monte à Saint-Germain-en-Laye et en novembre vient le tour de la duchesse de Villeroy (sœur du duc d’Aumont, premier gentilhomme de la chambre du Roi). Le 13 septembre 1769, La Partie de chasse sera encore à l’honneur chez la duchesse de Mazarin à Chilly, en présence de Mesdames, sœurs du roi, qui en ressortent charmées : « Elles n’ont pu s’empêcher de marquer de la surprise de ce qu’on n’avoit pas permis de représenter ce drame à Paris où il auroit fait encore plus d’effet que dans la province, où il est joué avec le plus grand succès. Elles se promettent d’obtenir la permission qui a été refusée jusqu’à présent125 ». C’est encore cette pièce qui doit servir à l’inauguration du théâtre privé de Mlle Guimard à la Chaussée d’Antin en décembre 1772, devant près de 500 personnes, dont le duc de Chartres et le comte de La Marche126. Ce succès d’abord privé rappelle l’attente du Tartuffe de Molière entre 1664 et février 1669.
46Interdite dans les « théâtres officiels » avant septembre 1774, La Partie de chasse de Henri IV court donc les théâtres de société et ravit aussi « avec fureur dans les provinces » : « elle a été représentée vingt-huit fois à Lyon ; à Bordeaux, elle l’a été trente-trois ; elle a fait une sensation singulière à Bruxelles127 », écrit Collé en avril 1767. Elle fait aussi indirectement les choux gras des théâtres des boulevards à Paris, à travers diverses adaptations pantomimiques ou en opéra-comique. Nicolas-Médard Audinot présente dès le 9 juillet 1769 La Partie de chasse ou le charbonnier est maître chez lui. Jean-Baptiste Nicolet lui emboîte le pas en 1775, après avoir pu mesurer le succès de l’hypotexte enfin joué à la Comédie-Française, avec la pantomime Charbonnier est maistre chez lui ou la Partie de chasse de Régnard de Pleinchesne. Entre-temps, Boutillier a dédicacé Le Laboureur devenu gentilhomme à M. Bignon, bibliothécaire et maître de cérémonie des ordres du Roi, et fait l’éloge d’Henri IV dans la préface tout en reconnaissant que Collé et Sedaine ont lancé une mode128.
Henri IV au théâtre, de la Révolution à l’Empire
47Au début de la Révolution, en effet, la mémoire d’Henri IV est toujours chérie. Chénier fait déclarer au roi de Navarre, double antithétique de son beau-frère Charles IX : « Rendre son peuple heureux est un bonheur si doux129 ! », et lui confie une tirade où il donne libre cours à sa nostalgie pastorale, attisée par le décalage corrupteur entre le Louvre et son Béarn natal :
Que les lieux où jadis s’écoulait mon enfance,
Avec un tel séjour ont peu de ressemblance !
Et combien je rends grâce aux généreux humains
Qui des mâles vertus m’ont ouvert les chemins !
Je ne ressemblais point aux enfants des monarques,
Corrompus, en naissant, par d’éclatantes marques [...].
Au lieu de serviteurs à mes ordres soumis,
Je voyais près de moi des égaux, des amis. [...]
Durant plus de cinq ans, défenseur de nos droits,
J’ai connu l’infortune, école des grands rois130.
48Desprez-Valmont, réécrivant la pièce de Boutillier, fait de lui « le père de l’humanité » qui a à cœur de partager avec ses sujets le pain et le vin de l’eucharistie politique :
Qui moi ? je refuserois de partager le souper d’un honnête laboureur, d’un brave citoyen ? Non. Jamais je n’écarterai de ma personne ceux qui en sont les premiers soutiens. Je voudrois pouvoir admettre tout mon peuple à ma table. (Avec chaleur) Oui, François, loin de vous éloigner, Henri voudroit s’environner de tous vos cœurs, les fixer près de lui, et vous montrer, dans votre Roi, un père sensible et tendre, empressé d’assurer le bonheur de ses enfants131.
49Lorsque cette pièce est créée au théâtre de Monsieur à l’automne 1789, c’est un succès considérable que le Mercure de France justifie à la fois par les « choses agréables » et les « allusions aux circonstances présentes » : « On ne met pas au Théâtre un Roi bon, sensible, et ami de ses Peuples, que le Public n’y voye tout de suite le portrait de notre Monarque bienfaisant. Lorsque l’on boit à la santé du Roi, le Public répond aux Acteurs avec une ivresse qui n’est ralentie que par le regret de n’avoir pas pour témoin dans la Salle même l’objet de ces transports132. » La Chronique de Paris confirme l’anecdote un mois plus tard : « Tout ce qui exprimoit la bonté du roi, son attachement pour ses peuples, l’amour du peuple pour son roi, et sa haine pour les ligueurs, a excité un bien juste enthousiasme. Le moment où les acteurs ont bu à la santé de Henri, le public s’est mis, pour ainsi dire, en situation avec eux, et la salle a retenti des cris répétés de vive le Roi133 ! »
50Partout ce roi apparaît en père du peuple bienfaisant et sensible. Villemain d’Abancourt s’inspire de la comédie de Collé pour Une journée de Henri IV, créée le 12 octobre 1791 au théâtre Molière. Il procède par symétrie et contrepoint, en inversant l’ordre du public et du privé, en ce que la pièce commence par la dérive du roi dans un village à deux lieues du château d’Anet, où il s’est fourvoyé en se promenant à cheval, avant que le deuxième acte ne présente la salle du Conseil au château. Sully déchire la promesse de mariage faite à Gabrielle d’Estrées, invoquant le devoir d’un bon roi : « Un Roi doit se sacrifier entièrement à l’avantage de ses peuples : le trône a ses épines ; il n’est point de condition qui n’ait les siennes134 ». L’allusion christique dessille le Prince : la politique prévaut sur la passion, Henri renonce à Gabrielle et décide de convoquer les états généraux. Le troisième acte est placé sous le signe de la concorde nationale, avec le retour au village de l’ensemble de la cour pour célébrer le mariage d’Alain et Colette. Tout finit par des chansons, avec l’indispensable Vive Henri IV emprunté à Collé : la pièce présente une structure circulaire, puisque cet air du dénouement, qui suit « Où peut-on être mieux qu’au sein de sa famille » en vogue sous la Révolution, fait écho à l’entrée en scène de Colette au premier acte, qui fredonnait la fin de Charmante Gabrielle. En outre, le paysan Nicolas, qu’Henri IV ramène avec lui au château au deuxième acte, entrait à la fin du premier en chantant : « Je dirais au Roi Henri :/ Reprenez votre Paris,/ J’aime mieux ma mie,/ Ô gué ! J’aime mieux ma mie135 ». L’auteur suggère donc un retour volontaire du roi auprès de son peuple, dans cette pièce qui opère une « mise à jour » de la figure à l’heure de la monarchie constitutionnelle.
51Mais bientôt la tentative de fuite de la famille royale, dont l’impact psychologique a été sondé par Timothy Tackett136, brise le contrat scellé lors de la Fédération. Comme dans la capitale, à l’automne 1791, La Partie de chasse génère des frictions idéologiques au théâtre de Lyon entre les loges et le peuple du parterre : « Les loges applaudirent beaucoup les couplets de M. Dazincourt ; le parterre les siffla137. » Néanmoins durant la Révolution, ce personnage historique de premier plan reste visible dans 12 pièces représentées bon an, mal an pour un total de 489 représentations parisiennes. Ces pièces se répartissent entre, d’une part, des comédies antérieures restées au répertoire, telles que la célèbre Partie de chasse de Henri IV de Collé (qui cumule 117 représentations dans divers théâtres), Henri IV ou la Bataille d’Ivry de Durosoy ainsi que Le Souper d’Henri IV ou le Laboureur devenu gentilhomme de Boutillier et Desprez de Valmont ; et d’autre part, une dizaine de pièces nouvelles, dont le texte n’a pas toujours été conservé, comme La Nuit de Henri IV ou le charbonnier est maître chez lui de Destival de Braban (46 représentations au théâtre de la Gaîté), Henri IV à Meulan de Jolly de Saint-Just (22 également dans la salle de Nicolet), Le Berceau de Henri IV de Leblanc et Léger (37 au Théâtre-Français Comique et Lyrique), L’Arrivée de Henri IV à Paris (47 entre 1790 et 1791 aux Grands Danseurs du roi, futur théâtre de la Gaîté)138. Mais avec la chute de la monarchie s’engage une progressive damnatio memoriae, rendant obsolètes la section et le théâtre qui pavoisaient au nom d’Henri IV : ouvert le 20 octobre 1792, le « théâtre d’Henri IV » prend très vite le nom de Palais-Variétés puis théâtre de la Cité-Variétés139. La statue du Pont-Neuf est renversée, partiellement refondue en canons, le reste est jeté dans la Seine, tandis que David propose de la remplacer par un Hercule gaulois foulant aux pieds la tyrannie. L’exécution de Louis Capet ouvre la voie à la profanation de la nécropole royale de Saint-Denis, renommée Franciade. La momie d’Henri IV, pourtant fétichisée par Alexandre Lenoir, ne sera pas épargnée140. Ces gestes iconoclastes ont été interprétés comme la volonté de « tuer le mort » et de liquider le sacré des « deux corps du roi »141. L’éclipse scénique d’Henri IV est toutefois moins flagrante que son absence picturale durant la Révolution : aucun tableau exposé au Salon entre 1790 et 1804 ne le peint142. Le seul genre artistique où il perdure durant la Terreur, de manière indirecte, est la chanson grâce aux airs repris dans des couplets de circonstance : « Une Chanson pour le 14 juillet 1792 se conforme à Vive Henri IV ; c’est encore sur Charmante Gabrielle que se modèle Favoris de la Gloire, intrépides guerriers ! ou même un Hymne à Marat et Le Pelletier, en 1793143. »
52La série henricienne se prolonge par intermittence sous l’Empire. Deux pièces sont créées le 25 juin 1806 : l’opéra-comique de Godard d’Aucourt de Saint-Just et Méhul, Gabrielle d’Estrées ou les Amours de Henri IV, et La Mort de Henri IV, roi de France de Gabriel Legouvé. Cette tragédie, dont l’autorisation fut obtenue de l’Empereur en audience privée après une lecture de Talma, eut l’heur de ne voir qu’un vers retouché. Napoléon demanda que « Je tremble, je ne sais quel noir pressentiment... » agitant le roi quelques minutes avant son assassinat fût remplacé par une expression plus digne de la majesté royale : cela devint « Je frémis... Un noir pressentiment/ Glace, agite, remplit mon âme consternée.../Il me semble enfin voir ma dernière journée144. » Pourtant, des vers autrement plus politiques auraient peut-être pu être saisis dans une intention maligne, alors que les guerres étaient loin d’être terminées : « Je combats pour fermer le temple de la guerre ;/ Pour finir sans retour ces démêlés affreux/ Où s’épuise le sang des peuples malheureux145. » Legouvé expose les ravages du fanatisme, en se servant de ses propres armes : « Courez du fanatisme aiguiser les poignards », ordonne le duc d’Épernon, machiavel de la pièce, dans le dernier vers du premier acte146. À cette métonymie, le duc joint ensuite les ressources de l’antithèse sacrilège dans les derniers mots du quatrième acte : « Entraînons-la [la reine] soudain dans l’enceinte sacrée/ Où des prêtres vendus à ce sanglant dessein/ Mettront au nom du ciel tout l’enfer dans son sein147. » Les premiers vers du dernier acte y répondent et forment la catastrophe tragique, puisque Marie de Médicis, jalouse, a cédé aux rumeurs calomnieuses et à l’endoctrinement fanatique. C’est à présent la syllepse de sens sur le verbe « trancher » qui recèle la force obscure de la parole manipulatrice : « Nous triomphons ; la reine, aux autels entraînée,/ Nous laisse de Henri trancher la destinée148. » La tragédie eut 20 représentations au Théâtre-Français, et Mme de Rémusat s’enthousiasma devant cette « pièce remarquable et tellement bien entendue que les moyens de rapprochement sont tous sentis sans être indiqués et qu’il serait impossible en ce moment, en applaudissant Henri IV, de ne pas penser tout de suite à l’Empereur149 ».
53Aussi jouées en province, les tragédies nationales n’ont guère la faveur du public : Les Templiers et La Mort de Henri IV, mises au répertoire de quatre troupes en dix ans dans le Massif central, ne comptent que cinq représentations chacune150. Mais l’établissement du culte impérial, en 1806, suscite de nouvelles analogies avec le roi Henri. À Moulins sont données Le Souper d’Henri IV de Boutillier et Desprez-Valmont, La Partie de chasse de Henri IV de Collé et La Mort de Henri IV de Legouvé, mais la vogue est de courte durée, car la censure impériale se méfie des figures de souverains susceptibles d’être captées par les royalistes, comme l’explique Odile Krakovitch : « Les censeurs furent en effet partagés entre le souci de rapprocher les deux chefs de l’État réformateurs et de donner ainsi à l’usurpateur une légitimité royale, et celui de ne pas porter ombrage à Napoléonen le rapprochant d’une dynastie récemment honnie151. » Le pouvoir privilégia à la place Charlemagne ou François Ier, tandis que toutes les pièces de la série henricienne, anciennes ou nouvelles (comme Henri IV et d’Aubigné de Balisson de Rougemont en 1810), demeurèrent interdites jusqu’à la Restauration, à Paris comme en province. Ce roi ne fait toutefois pas exception : dans les genres lyriques, par exemple, Sargines ou l’Élève de l’amour est interdite à cause de la présence de Philippe Auguste, et les opéras que l’Empereur applaudit ont des héros étrangers, tels Le Triomphe de Trajan (créé en octobre 1807 pour célébrer la clémence accordée au prince de Hatzfeld et qui eut plus de 120 représentations) et Fernand Cortez ou la Conquête du Pérou (1809), deux opéras écrits principalement par l’habile censeur Joseph Esménard152. En effet, l’histoire nationale présentait le risque d’offrir une critique politique, or « tout parallèle avec l’Ancien Régime était intolérable à Napoléon qui prétendait fonder une nouvelle dynastie sur les ruines de l’ancienne153 ». Sa défiance explique le peu de cas qu’il prête au répertoire historique français dans les circonstances officielles : parmi les spectacles auxquels l’Empereur se rend à Paris ou qu’il fait venir à lui dans les provinces conquises figure une seule pièce nationale importante : le 19 février 1806, il assiste à Gaston et Bayard au Théâtre-Français, où, « après les applaudissements et les cris ordinaires, on fait recommencer la pièce dont le premier acte allait finir, et l’on s’évertue pour saisir les allusions flatteuses que peut offrir l’ouvrage154 ». Napoléon préfère de toute évidence les « classiques » du xviie siècle – fait révélateur, lors de son voyage à Mayence en 1804, la troupe du Théâtre-Français en tournée donne entre le 22 et le 30 septembre Iphigénie, Phèdre, Cinna, Andromaque, Horace et Bajazet155. Cependant Les Templiers et La Mort de Henri IV sont jouées à la cour à Saint-Cloud peu après leur création parisienne : Les Templiers y fut représentée le 25 juillet 1805 (moins de deux mois après la première), et la tragédie de Legouvé le 29 juin 1806, quatre jours après la création parisienne156.
54Le passé représenté colore ainsi constamment le présent, quel que soit le régime. La situation de la Révolution, dont nous pourrions croire qu’elle aspire à s’affranchir du souvenir monarchique, mérite un nouvel examen afin de nuancer cette perspective trompeuse, que révèle le maintien paradoxal et contrarié des sujets du passé ancien (autrement dit la catégorie des annales) à travers la décennie.
Les annales et la Révolution
55Au seuil de la Révolution, deux positions s’affrontent sur les conditions de représentation de l’histoire de France. Du côté conservateur, les partisans du respect de l’autorité prônent le maintien d’une censure théâtrale « tempérée » ; de l’autre, d’énergiques patriotes désirent que des pièces censurées jusque-là soient enfin représentées. C’est l’un des enjeux au cœur de la « bataille » de Charles IX, par laquelle Chénier vise aussi à affirmer un « théâtre pour le peuple157 ». Lorsque le vent tourne grâce à la campagne de presse et de tracts menée par Chénier et ses proches, la Chronique de Paris, d’orientation girondine, réclame une série de pièces mises au ban de la société théâtrale depuis plusieurs décennies, les pièces historiques constituant la majorité du lot :
Qu’importe que [la censure] soit exercée par le ministère, la police ou la municipalité : c’est cette censure elle-même qui est odieuse ; c’est contre elle que nous devons nous élever. [...] Non seulement il nous faut Charles IX sans approbation, mais le public doit demander encore : Robert, par M. Gudin ; don Carlos et Jeanne Gray, par M. le Fèvre ; Libertat ou Marseille sauvée, par M. le Blanc ; Marie Stuart, par M. Doigny ; Henri VIII, par M. de Chénier ; Marie de Brabant, par M. Imbert ; le Connétable de Bourbon, par M. de Guibert ; Maillard, par M. Sedaine ; le comte de Stafford, par M. de Lally-Tollendal ; l’honnête Criminel et les Jammabos, par M. Fenouillot de Falbaire ; Constantin d’Écosse, par M. Dubuisson ; Mélanie, par M. de la Harpe ; le comte de Comminge, par M. Darnaud, etc.158.
56Marie de Brabant, justement, ouvre le bal. Dans l’un des derniers numéros des Costumes et annales des grands théâtres de Paris, Levacher de Charnois réagit à cette représentation dans un long article intitulé « Sur la liberté du Théâtre », qui, sans pour autant y faire allusion, prend le contrepied de la brochure « De la liberté du théâtre en France » publiée par Chénier le 15 juin. Levacher de Charnois arrive à la conclusion que « la liberté indéfinie de la scène seroit une absurdité très-fâcheuse ; qu’il faut aux pièces de théâtre, non pas la censure d’un seul homme, mais celle d’un tribunal responsable au public de ses raisons d’acceptation ou de refus159 ». Cette idée d’un examen collectif ne verra le jour qu’en 1804, lors du rétablissement officiel du bureau de censure dépendant du ministère de la Police, avec le quatuor de rapporteurs Brousse-Desfaucherets, Lemontey, Lacretelle jeune et Esménard qui restera en place jusqu’en 1815, le ministre ayant la décision ultime160. Plus que cet aboutissement prématuré, c’est l’argument du déshonneur national qui retient l’attention ; représenter des crimes ne devrait pas être permis et les auteurs feraient mieux de s’autocensurer :
[...] il faut convenir aussi qu’il est des traits, même historiques, qui peuvent souiller la scène de leur représentation, et que, pour la gloire même du Peuple François, il seroit prudent de laisser enfouis dans l’Histoire. Il est déjà assez fâcheux qu’on ne puisse pas les en faire disparoître, qu’ils soient si généralement connus que personne ne les ignore, sans qu’on se permette de les mettre dans un jour nouveau, et que l’on choisisse l’appareil des représentations théâtrales pour dire à une grande Nation : « N’oublie pas que tu fus vile, injuste, cruelle, féroce ; que tu as oublié toute pudeur à telle époque ; que tu as outragé tous les sentimens qui honorent l’humanité, et que, dans tes fureurs fanatiques, tu t’es mise au-dessous de la brute même, au-dessous des monstres les plus sanguinaires. » [...] nous pensons qu’il faut qu’une Nation se respecte, et qu’elle cessera de se respecter lorsqu’elle consentira à voir représenter sur ses Théâtres les faits atroces qui l’ont, un temps, déshonorée, et que les Nations étrangères lui reprochent161.
57Mais la liberté l’emporte selon un mouvement ambivalent de substitution et de conservation. La loi Le Chapelier du 13 janvier 1791 autorise tout citoyen à « élever un théâtre public et y faire représenter des pièces de tous les genres », rendant accessible le répertoire désormais « nationalisé » des chefs-d’œuvre162. Cela permet une vulgarisation et une démocratisation du théâtre, dont les pièces nationales vont bénéficier. Pour preuve : jusqu’en 1800, Charles IX totalise 90 représentations parisiennes, dont 29 (soit près d’un tiers) sur les théâtres des boulevards, nombre considérable pour une tragédie, surtout quand l’on se souvient du succès contrarié de cet événement théâtral et politique à sa création (36 représentations au seul théâtre de la Nation entre l’automne 1789 et la fermeture de la salle en 1793). Après le succès initial (quoique le nombre de séances soit nettement inférieur à la demande du public, en raison des tensions au sein de la troupe), la pièce s’est répandue dans les salles secondaires où le peuple a pu la (re)voir. De plus, à travers le vaudeville, la féérie et la pantomime, une permanence de la gaîté, de l’enchantement et de l’admiration pour les héros nationaux des annales caractérise les répertoires de ces salles accessibles à un public plus populaire, en particulier chez Nicolet (dont le théâtre des Grands Danseurs du roi se mue en théâtre de la Gaîté en 1792) et Nicolas-Médard Audinot, auquel succèdent Hector Chaussier et Nicolas Cammaille-Saint-Aubin à l’Ambigu-Comique. L’engouement de ces institutions se prolonge sous la Révolution avec des créations comme L’Homme au masque de fer de Jean-François Mussot dit Arnould, qui comptabilise 65 représentations entre sa création en janvier 1790 et la proclamation de la République (21 septembre 1792), total qui ne faiblit pas sur la période suivante jusqu’en octobre 1795 (67 représentations), même si les données par année montrent des fluctuations : il y a un premier pic de 57 représentations dans la nouveauté, qui décroît à 8 l’année suivante et connaît une éclipse totale en 1792, mais un étonnant regain de faveur se manifeste en 1793 (45 représentations), suivi d’une stabilisation : 17 en 1794, 13 en 1795 et 13 autres jusqu’à sa belle mort en juillet 1796.
58Un même processus de dissémination est à l’œuvre avec des pièces nationales plus anciennes. Du début de la Révolution à la proclamation de la République, des pièces emblématiques de la fin de l’Ancien Régime continuent d’être jouées sur de nombreuses scènes parisiennes : Adélaïde Du Guesclin (58 représentations), Tancrède (43), Le Siège de Calais (20 jusqu’en 1791), Gaston et Bayard (33), La Partie de chasse de Henri IV (89), Raoul, sire de Créqui (80)163. Depuis sa création le 24 avril 1771 à la Comédie-Française, Gaston et Bayard de De Belloy comptabilise 80 représentations jusqu’en 1792, et de nombreuses autres à partir de 1796, restant un succès du répertoire sous l’Empire164. Tancrède, tragédie de Voltaire, demeure d’abord dans son institution d’origine qu’est l’ancienne Comédie-Française, avant d’essaimer vers les salles secondaires : du théâtre de la Nation (13 représentations jusqu’en 1792), elle passe à la rue de Richelieu (6 autres entre 1791 et 1793), mais apparaît aussi aux Délassements comiques (14), au palais Montansier-Égalité (12), au théâtre du Marais (5) et même une fois à la foire Saint-Germain puis au théâtre de l’Estrapade. Mais c’est au théâtre Patriotique du sieur Sallé que les données sont les plus étonnantes, puisque la tragédie compte 15 représentations, dont la majorité à l’époque de la Terreur. Adélaïde Du Guesclin évolue aussi du théâtre de la Nation (9 séances jusqu’en 1791) vers celui de la rue de Richelieu (3 en 1792), mais gagne également le théâtre Patriotique (14 représentations en 1791-92), les Délassements comiques (9), ainsi que huit autres salles. Alors que les républicains tâchent d’imposer de nouvelles références, des vestiges du passé national sont conservés par une grande partie de la bourgeoisie et du peuple qui aime à revoir les pièces historiques à succès comme La Partie de chasse de Henri IV, nous l’avons vu : en 1791-1792, outre au théâtre de la Nation, elle est jouée aux Délassements comiques (14 fois), au théâtre Molière (14 fois), dans une salle de la rue Renard-Saint-Merri, sur quatre baraques de la foire Saint-Germain (19 représentations), ainsi qu’une fois au théâtre du Marais et au Lycée dramatique.
59Reste que la censure a mis de sérieux obstacles à la représentation des annales à partir de l’enracinement de la République. Jusqu’à l’été 1792, les intrigues empruntées à l’histoire de France sont jouées sans obstacle particulier, même si plusieurs œuvres tirées dans le sens des royalistes agacent les spectateurs, qui font grief au couple royal d’avoir tenté de fuir et de jouer un double jeu. En avril 1791, les « Rouges », scindés de la troupe de l’ancienne Comédie-Française, s’installent dans l’actuelle salle Richelieu, qui prendra le moment venu le nom de théâtre de la République. Tandis que cette troupe s’illustre dans la tragédie et les pièces à l’unisson de la Révolution (le 3 septembre 1791, ils redonnent Charles IX), leurs anciens camarades restés dans la salle du faubourg Saint-Germain reprennent deux jours plus tard La Partie de chasse de Henri IV ; la séance est houleuse. Étienne et Martainville rappellent que « ce charmant ouvrage de Collé renferme des allusions que les amis de Louis XVI saisirent avec transport, et que sifflèrent impitoyablement ceux qui ne voyaient qu’avec indignation l’espèce d’oubli dont l’Assemblée nationale avait couvert son voyage à Varennes165 ». De même, lors d’une reprise de Richard Cœur de Lion de Sedaine et Grétry à la salle Favart, le 19 septembre 1791, le comédien Clairval brode sur la romance de Blondel « ô Richard ! ô mon roi ! » des couplets de circonstance, substituant Louis à Richard. La Chronique de Paris s’insurge :
Les prétendus amis du roi, qui sont ses véritables ennemis, emploient tous les moyens possibles pour le compromettre. On cherche à corrompre l’esprit public en lui donnant des pièces pleines de ces pensées, non pas de ce royalisme constitutionnel que tout bon Français porte dans son cœur, comme l’amour de la loi, mais de ce royalisme stupide qui a fait calomnier la monarchie. Tel est, sans doute, le but de la représentation de Gaston et Bayard. Les Comédiens-Italiens ont aussi représenté Richard cœur de lyon [sic], pièce qui rappelant une époque douloureuse, auroit dû demeurer encore quelque temps dans leur répertoire. Aussi le tumulte a-t-il été extrême : on a jeté sur le théâtre des vers qui auroient sans doute excité encore plus de murmure, et que la prudence de l’officier municipal a empêché de lire. [...] les bons patriotes, les amis de la liberté, sont ceux qui aiment véritablement Louis XVI, non pas parce qu’il est le successeur de St Louis, mais parce qu’il est le roi de la constitution166.
60Le contrôle du répertoire, rétabli dans les faits avec le décret du 2 août 1793 et accentué par l’instauration de la commission de l’Instruction publique en avril 1794, a entraîné des réécritures partielles (16 % des pièces du répertoire) ou des interdictions totales (21 %), mais cela reste une part minoritaire167. Un exemple permet de bien prendre la mesure des reconfigurations textuelles imposées à cette époque. Il s’agit de Raoul, sire de Créqui, opéra-comique de Monvel et Dalayrac, perçu comme une pièce royaliste (malgré le républicanisme affiché du comédien et auteur), qui eut entre 120 et 135 représentations à Paris durant la décennie révolutionnaire. Au moment du procès et de la mort du roi, en janvier 1793, les applications que peut susciter le sujet se perçoivent plus que jamais, comme le révèlent les Annales patriotiques et littéraires :
Les Italiens, par exemple, ont donné ces jours derniers Raoul, sire de Créqui : cette pièce, où l’on voit un homme emprisonné par un ennemi féroce, sa femme et son fils partageant ses malheurs, présente différentes situations précieuses pour les amis du ci-devant roi. Les habitués de ce spectacle ont beaucoup applaudi les choses les moins saillantes dans les circonstances ordinaires ; le moment surtout où le prisonnier s’échappe a excité des applaudissements d’une affectation scandaleuse ; il en a été de même du passage suivant : J’ai sauvé son enfance ;/ Heureux si j’obtiens le trépas/ En sauvant l’innocence. Si les comédiens ne veulent pas se respecter eux-mêmes, il est temps qu’on leur apprenne à respecter du moins l’opinion publique168.
61La pièce dut alors s’adapter, prenant durant la Terreur le titre moins noble de Bathilde et Éloi, qu’elle conserva parfois sous le Directoire à en croire le Calendrier électronique des spectacles169. Autrement dit, même après la Terreur, la pièce restait épineuse. Un rapport de police du 8 octobre 1798 permet de se faire une idée des risques d’allusions qui hantaient les observateurs tatillons. La représentation est permise à condition de neutraliser plusieurs signes connotés : il faut estomper les accusations de soldats, au motif que « ce qui convenait en 89 aux satellites de la cour, serait un outrage pour nos guerriers republicains » ; le nom de « Créqui » doit être supprimé au profit de « Raoul », car « si les ci-devant seigneurs de ce nom sont émigrés, il seroit impolitique de représenter leurs ayeux sous des traits interessants » ; cependant, désormais « on ne peut craindre aucun rapprochement et nul rapport entre ce prisonnier et ceux du temple170 » – référence à la prison de la famille royale après la chute de la monarchie.
62Sous le Directoire se fait jour dans la presse une réaction contre la censure, par exemple dans Le Courrier des spectacles à l’été 1797, au moment où des pièces nationales de l’Ancien Régime sont remises à l’affiche par la troupe de la Comédie-Française reconstituée sous les auspices de Mlle Raucourt. Lorsqu’elle reprend Adélaïde Du Guesclin en juillet, le rédacteur en chef Le Pan marque sa désapprobation par rapport aux « mutilations » des textes :
Nous avons été indigné de l’étude que l’on a mise à ôter de cette pièce différens passages qui pouvoient rappeler l’amour que les Français avoient autrefois pour leur roi, et à en remplacer jusqu’au titre lorsqu’on l’a pu sans ôter la rime, au risque même de choquer la raison, comme dans ces vers :
Vous le priez ! plaignez-le plus que moi !
Plaignez-le, il vous offense, il a trahi son Roi.
Que veut dire il a trahi sa foi, que l’on a mis à la place ? Est-ce sa religion que Vendôme a trahi ? est-ce sa maîtresse ? non, c’est son Roi ; il n’y a donc pas d’autre mot à mettre à la place171.
63De nouveaux reproches fusent lors de la reprise de Gaston et Bayard le mois suivant. Le même critique déplore les retranchements de vers ou de tirades entières et les substitutions de « Louis » par « la France » ou « mon pays ». « L’amour de l’art est le seul motif qui nous porte à nous élever contre ces changemens dont nous ne connoissons pas l’auteur. Si nos observations sont trouvées justes, elles devront engager les acteurs à mieux choisir ceux à qui ils confient le soin de restaurer nos pièces anciennes172. » Du reste, la salle Louvois est fermée dès le 7 septembre, durant la réaction jacobine.
64Malgré cette vigilance policière, le genre troubadour s’est maintenu et les salles des boulevards ont joué une part importante dans sa diffusion. Les injonctions du directeur des Délassements comiques, Plancher de Valcour, dit « Aristide », ne furent donc guère suivies. Dans la véhémente Réflexion sur les théâtres parue en septembre 1793, il s’en prenait aux comédiens aristocrates, qui, « à force d’endosser le costume de Vendôme, de Bayard, ou l’habit brillant du Glorieux et de chausser l’escarpin à talons rouges de nos petits marquis, se sont bêtement identifiés avec leurs rôles, se sont cru des personnages ». Cela justifiait selon lui l’interdiction des pièces antérieures à 1789 : « Ce n’est point assez d’avoir décrété qu’on ne représenterait plus de pièces contre la Révolution ; il faut, comme je l’ai déjà dit, savoir se passer de beaucoup de nos chefs-d’œuvre pendant dix ans au moins173. » Mais concernant le répertoire national, en dehors de quelques éclipses et de métamorphoses durant la période jacobine, la tabula rasa n’aura pas lieu. Les théâtres secondaires ont joué un rôle de conservatoire paradoxal, relayant et se substituant parfois, pour le maintien du répertoire traditionnel, aux grands théâtres que la censure et les scissions, la concurrence et les faillites fragilisaient. Tout autant que d’une concurrence bien réelle, il convient à cet égard d’évoquer une forme de complémentarité systémique pour les publics et ne pas sous-estimer la permanence d’un répertoire d’Ancien Régime, de sorte que l’Histoire et le patriotisme se conjuguent simultanément au présent et au passé sur toute l’étendue de la période, en deçà, pendant et au-delà de la Révolution. La célébration des héros anciens comme des nouveaux va de pair avec le développement des biodrames et des apothéoses, destinés à rassembler le peuple dans l’énergie partagée de la commémoration.
Notes de bas de page
1 Michel de Certeau, L’Écriture de l’histoire, Paris, Gallimard, 1975, p. 17.
2 Christian Biet & Christophe Triau (dir.), Qu’est-ce que le théâtre ?, Paris, Gallimard, 2006, p. 7.
3 Louis-Sébastien Mercier, Tableau de Paris [1781], Jean-Claude Bonnet (éd.), Paris, Mercure de France, 1994, vol. 2, p. 750-751.
4 Jean-Marie Apostolidès, Héroïsme et victimisation : une histoire de la sensibilité, Paris, Exils éditeur, 2003, p. 73.
5 Reinhart Koselleck, Le Futur passé : contribution à la sémantique des temps historiques, Jochen Hoock & Marie-Claire Hoock-Demarle (trad.), Paris, Éditions de l’EHESS, 1990.
6 Voir Matthew S. Buckley, Tragedy Walks the Streets: the French Revolution in the Making of Modern Drama, Baltimore, Johns Hopkins University Press, 2006, p. 43.
7 Pierre Frantz, « Les tréteaux de la Révolution », dans Jacqueline de Jomaron (dir.), Le Théâtre en France du Moyen Âge à nos jours, Paris, Armand Colin, 1992, vol. 2, p. 24.
8 Voir Renaud Bret-Vitoz, L’Éveil du héros plébéien (1760-1794), Lyon, Presses universitaires de Lyon, 2018.
9 Cité par Félix Gaiffe, Étude sur le drame en France au xviiie siècle, Paris, Armand Colin, 1910, p. 239-240.
10 Voir Vincenzo De Santis & Thibaut Julian (dir.), Fièvre et vie du théâtre sous la Révolution française et l’Empire, Paris, Classiques Garnier, 2019.
11 Antoine Fabre d’Olivet, Le Quatorze de juillet 1789, Paris, Laurens, 1790, p. 2.
12 Mercure de France, 20 février 1790.
13 Voir Jean-Claude Bonnet (dir.), La Carmagnole des muses : l’homme de lettres et l’artiste dans la Révolution, Paris, Armand Colin, 1988 ; Philippe Bourdin, Aux origines du théâtre patriotique, Paris, CNRS Éditions, 2017.
14 Cité par Serge Bianchi, La Révolution culturelle de l’an II : élites et peuples (1789-1799), Paris, Aubier, 1982, p. 188.
15 C. Thiébaut, La Révolution française, Épinal, Haener, 1793, page de garde.
16 Ibid., p. 7.
17 Ibid., p. 25.
18 C. Thiébaut, La Guerre de la Vendée, Nancy, Bachot, an II [1794], p. 2.
19 Ibid., p. 31.
20 Édouard Pommier, L’Art de la liberté : doctrines et débats de la Révolution française, Paris, Gallimard, 1991, p. 193.
21 Ibid., p. 202.
22 Ibid., p. 280. François de Neufchâteau fut l’avant-dernier ministre de l’Intérieur du Directoire, du 17 juin 1798 au 22 juin 1799. Ce propos est extrait de son adresse au jury des Arts, le 30 pluviôse an VII (18 février 1799).
23 Philippe Bordes, Le Serment du Jeu de Paume de Jacques-Louis David : le peintre, son milieu et son temps, de 1789 à 1792, Paris, Réunion des musées nationaux, 1983, p. 38.
24 Ibid., p. 34.
25 Voir Hugh Honour, Le Néo-classicisme [1968], Pierre-Emmanuel Dauzat (trad.), Paris, LGF, 1998 ; Jean Starobinski, 1789, les emblèmes de la raison, Paris, Flammarion, 1979.
26 Jean-Élie Bédéno Dejaure, Le Nouveau d’Assas, Paris, Vente, 1790 ; François-Georges Desfontaines, « Le Tombeau de Désilles », dans André Désilles : un officier dans la tourmente révolutionnaire, Pierre Le Bastard de Villeneuve (éd.), Paris, Nouvelles éditions latines, 1977.
27 Philippe Bourdin, « Le passé, le présent, l’avenir », dans Philippe Bourdin (dir.), La Révolution 1789-1871 : écriture d’une histoire immédiate, Clermont-Ferrand, Presses universitaires Blaise Pascal, 2008, p. 17.
28 Hervé Guénot, « Le théâtre et l’événement : la représentation dramatique du siège de Toulon (août 1793) », dans Richard Brau et al. (dir.), L’Inscription de l’histoire dans les œuvres directement ou indirectement inspirées par la Révolution française, Paris, Les Belles Lettres, 1987, p. 282.
29 Louis-Benoît Picard, La Prise de Toulon, Paris, Huet, 1794, p. 31. Une note de bas de page précise « Rapport de Robespierre ».
30 Patrick Berthier, « L’année théâtrale 1797 », dans Philippe Bourdin & Bernard Gainot (dir.), La République directoriale, Paris, Société des études robespierristes, 1998, vol. 2, p. 563-589.
31 Le Courrier des spectacles ou Journal des théâtres, 11 février 1797.
32 Ibid., 18 décembre 1797.
33 Louis-Henry Lecomte, Napoléon et l’Empire racontés par le théâtre, 1799-1899, Paris, Raux, 1900, p. 125-136.
34 Jean-Nicolas Bouilly, Les Français dans le Tyrol, Paris, Barba, 1806, p. 40.
35 Journal de Paris, 24 brumaire an VIII [15 novembre 1799].
36 Ibid., 25 brumaire an VIII [16 novembre 1799].
37 Henri-François Dumolard, Vincent de Paul, Paris, Mme Cavanagh-Barba, an XII [1804], p. IV.
38 Auguste & Charles, Le Commissionnaire de St Lazare ou la Journée du 10 thermidor, Paris, Maret, 1794.
39 Antoine de Baecque, La Révolution terrorisée, Paris, CNRS Éditions, 2017, p. 179 : « entre juillet 1794 (thermidor an II) et novembre de la même année (brumaire an III), le total des détenus parisiens passe de 7295 à 4208, et ces “élargissements” sont régulièrement l’occasion de réjouissances et de cortèges allègres ».
40 Armand Gouffé & Pierre Villiers, Cange ou le Commissionnaire bienfaisant, Paris, Plassan, an III [1794], p. 34.
41 Julie Candeille, Le Commissionnaire, Paris, Maradan, an III [1794], p. 27.
42 Ibid., p. 33.
43 Adolf Schmidt, Tableaux de la Révolution française, publiés sur les papiers inédits du département et de la police secrète de Paris, Leipzig, Veit, 1867, vol. 2, p. 242-243.
44 Léonard Bourdon & Antoine-Clair Thibaudeau, Recueil des actions héroïques et civiques des républicains français, Paris, Imprimerie nationale, an II [1793-1794].
45 Joseph Pain & François-Marie-Joseph Riou, Les Chouans ou la Républicaine de Malestroit, Brest, Audran, 1794, p. 8.
46 Annette Graczyk, « Le théâtre de la Révolution française, média de masse entre 1789 et 1794 », Dix-Huitième siècle, no 21, 1989, p. 395-409.
47 François-Xavier Pagès de Vixouze, La France républicaine ou le Miroir de la Révolution française, Paris, Célère, 1793.
48 Jean-Marie Roulin, L’Épopée de Voltaire à Chateaubriand : poésie, histoire et politique, Oxford, Voltaire Foundation, 2005, p. 130 et suivantes.
49 Antoine Sérieys, La Mort de Robespierre, Paris, Monory, an IX [1801], p. 10.
50 Lynn Hunt, Politics, Culture, and Class in the French Revolution, Berkeley, University of California Press, 1984.
51 Antoine Fabre d’Olivet, Le Quatorze de juillet 1789, op. cit., p. 32.
52 Dutilh & Guillaume Saulnier, Le Siège de Thionville, Paris, Maradan [1793], p. 11.
53 J.-S. Quiney, La Journée du 10 aoust 1792 ou le Siège des Thuileries, Paris, Benoist, 1797, p. 29-30. Tamar est l’anagramme de Marat.
54 Thibaut Julian, « Quand l’actualité prend Racine : parodies de tragédies “classiques” au début de la Révolution (1790-1791) », Théâtres du Monde, hors-série, 2017, p. 199-214.
55 Anonyme, L’Attentat de Versailles ou la Clémence de Louis XVI, Genève / Paris, 1790, p. III.
56 Ibid., p. 59. Sur ce vers de Voltaire, voir le chapitre « Les trophées de nos ancêtres ».
57 Anonyme, Naissance de la très-haute, très-puissante et très-désirée Madame Constitution, Paris, Imprimerie constitutionnelle, 1790, p. 9. L’hypotexte est le début de l’ariette : « Ô Richard ! ô mon roi !/ L’Univers t’abandonne ; / Sur la terre il n’est que moi/ Qui s’intéresse à ta personne. » Voir Michel-Jean Sedaine, Richard Cœur de Lion, Paris, Brunet, 1786, p. 7.
58 Ibid., p. 27.
59 Anonyme, Les Intrigues de Madame de Staël à l’occasion du départ de Mesdames de France, Paris, au boudoir de Mme de Staël, 1791, p. 34. C’est Mirabeau qui parle.
60 Ibid., p. 16.
61 Ibid., p. 38.
62 Claire Trévien, Satire, Prints and Theatricality in the French Revolution, Oxford, Voltaire Foundation, 2016.
63 Stéphanie Massé, « La Révolution française ou le “triomphe de la fouterie” : le théâtre érotique clandestin », dans Martial Poirson (dir.), Le Théâtre sous la Révolution, politique du répertoire (1789-1799), Paris, Desjonquères, 2008, p. 458-468.
64 [François-Marie Mayeur de Saint-Paul], « L’Autrichienne en goguette ou l’Orgie royale », dans Chantal Thomas, La Reine scélérate : Marie-Antoinette dans les pamphlets, Paris, Éditions du Seuil, 1989, p. 205.
65 Anonyme, La Journée amoureuse ou les Derniers Plaisirs de M.... Ant......., Paris, Au Temple, 1792, p. 24.
66 Ibid., p. 38.
67 Ibid., p. 17-18.
68 Ibid., p. 55.
69 Mona Ozouf, La Fête révolutionnaire, 1789-1799, Paris, Gallimard, 1976, p. 109.
70 Ibid., p. 106.
71 Michel Vovelle, La Mentalité révolutionnaire : société et mentalités sous la Révolution française, Paris, Éditions sociales, 1985, p. 164 et suivantes.
72 À Toulouse, c’est la « pièce prophétique et révolutionnaire » d’Hippolyte Pellet-Desbarreaux, Les Potentats foudroyés par la Montagne et la Raison, qui fut jouée à la même époque. L’auteur, maire de la ville, prétend avoir eu connaissance de la pièce de Maréchal par les journaux, et puisé à la même source, la brochure Le Rêve d’un républicain.
73 Maurice Dommanget, Sylvain Maréchal : l’égalitaire, « L’Homme sans Dieu ». Sa vie, son œuvre, 1750-1803, Paris, Spartacus, 1950.
74 Pierre-Sylvain Maréchal, « Le Jugement dernier des rois », dans Théâtre du xviiie siècle, Jacques Truchet (éd.), Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1972, vol. 2, p. 1307-1308.
75 Ibid., p. 1324.
76 Jacques Proust, « Le Jugement dernier des rois », dans Approches des Lumières : mélanges offerts à Jean Fabre, Paris, Klincksieck, 1974, p. 371-379.
77 Ibid., p. 377.
78 Pierre-Sylvain Maréchal, Le Jugement dernier des rois, op. cit., p. 1325.
79 Michel Biard, « Être “père du peuple” en 1790, une tragédie ou une comédie héroïque ? », dans Martial Poirson (dir.), Le Théâtre sous la Révolution, politique du répertoire (1789-1799), op. cit., p. 364-380.
80 Charles-Philippe Ronsin, Louis XII, père du peuple, Paris, Pottier de Lille, 1790, p. 10.
81 Ibid., p. 52.
82 François Andrieux & Nicolas-François Guillard, Louis IX en Égypte, Avignon, Garrigan, 1790.
83 Ibid., p. 19.
84 Ibid., p. 20.
85 Jean-Louis Gabiot, Paris sauvé ou la Conspiration manquée, Paris, Cailleau, 1790, p. 9.
86 Ibid., p. 20.
87 Marie-Joseph Chénier, « Charles IX ou l’École des rois » [1790], dans Théâtre, Gauthier Ambrus & François Jacob (éd.), Paris, Flammarion, 2002, p. 115.
88 Mercure de France, 20 février 1790. Le désordre observé par le roi à son retour des guerres d’Italie est un calque de la situation politique française contemporaine.
89 Barthélemy Imbert, Marie de Brabant, reine de France, Paris, Prault, 1790, p. 53.
90 Chronique de Paris, 10 septembre 1789.
91 Joseph Aude, Décour & Defresnoy, Collin d’Harleville aux Champs-Élysées, Paris, Maldan, 1806, p. 19.
92 Jean-Marie-Bernard Clément & Joseph La Porte, Anecdotes dramatiques, 2 vol., Paris, Veuve Duchesne, 1775.
93 Denis Diderot, « Paradoxe sur le comédien », dans Œuvres, Laurent Versini (éd.), Paris, Robert Laffont, 1996, vol. 4, p. 1398-1399.
94 Mémoires secrets pour servir à l’histoire de la république des lettres en France, depuis 1762 jusqu’à nos jours, Londres, John Adamson, 1783-1789, vol. 7, p. 15-16.
95 Françoise Karro, « Le Connétable de Bourbon (Guibert, 1769) : du théâtre de cour au théâtre national », dans Roland Krebs & Jean-Marie Valentin (dir.), Théâtre, nation et société en Allemagne au xviiie siècle, Nancy, Presses universitaires de Nancy, 1990, p. 127-152.
96 Jacques-Antoine-Hippolyte de Guibert, Le Connétable de Bourbon, Paris, Didot, 1786, p. 41.
97 Mémoires secrets pour servir à l’histoire de la république des lettres en France, depuis 1762 jusqu’à nos jours, op. cit., vol. 8, p. 161 : « On est fâché qu’on ait fait une dépense évaluée à plus de cent mille écus aussi mal-à-propos. Sans le respect dû au lieu et à leurs majestés présentes, l’on n’auroit pu s’empêcher de huer en quantité d’endroits et de témoigner ouvertement son indignation. »
98 Ibid., p. 166-167.
99 Ibid., p. 269.
100 Ibid., vol. 27, p. 185 (23 mai 1781). Le 25 mai, le « brouhaha » se fait à la Comédie-Française lors d’une représentation du Misanthrope, où « les partisans de M. Necker ont encore trouvé dans cette piece de quoi faire des applications à ce qui se passe aujourd’hui relativement aux intrigues de cour » (ibid., p. 189).
101 Ibid.
102 Journal des Spectacles, 8 novembre 1793.
103 Alexandre Duval, « Guillaume le Conquérant », dans Œuvres complètes d’Alexandre Duval, Paris, Barba, 1822, vol. 5, p. 24.
104 Ibid., p. 112. Voir Sylvie Chevalley, « Théâtre et politique : Guillaume le Conquérant ou beaucoup de bruit pour rien », dans Dramaturgies, langages dramatiques : mélanges pour Jacques Scherer, Paris, Nizet, 1986, p. 513-519.
105 Sophie Marchand, « Pour une approche culturelle du répertoire : la lorgnette anecdotique », dans Martial Poirson (dir.), Le Théâtre sous la Révolution, politique du répertoire (1789-1799), op. cit., p. 215.
106 Louis-Sébastien Mercier, Tableau de Paris, op. cit., vol. 1, p. 1465.
107 Denis Diderot et al., Correspondance littéraire, philosophique et critique, par Grimm, Diderot, Raynal, Meister, etc., Maurice Tourneux (éd.), Paris, Garnier, 1877-1882, vol. 10, p. 196.
108 Edme-Louis Billardon de Sauvigny, Gabrielle d’Estrées, Paris, Robustel, 1778 ; Claude Godard d’Aucourt de Saint-Just, Gabrielle d’Estrées ou les Amours d’Henri IV, Paris, Mme Cavanagh, 1806.
109 Maximilien-Jean Boutillier, Le Laboureur devenu gentilhomme, anecdote de Henri IV, Amsterdam / Paris, Mérigot, 1771, p. V.
110 François-Thomas-Marie de Baculard d’Arnaud, Le Coligni [1740], Lausanne / Genève, Bousquet, 1744. La pièce, parue dès 1740, fut rééditée à plusieurs reprises jusqu’en 1789, notamment sous le titre Le Cardinal de Lorraine ou les Massacres de la Saint-Barthélemy (1756) puis Coligni ou la Saint-Barthélemy (à partir de 1780). Elle ne fut créée à Paris qu’en 1791 où elle eut 11 représentations au théâtre Molière entre le 30 juillet et le 26 novembre, bien après Charles IX de Chénier.
111 Louis-Sébastien Mercier, « La Destruction de la Ligue ou la Réduction de Paris », Martine de Rougemont (éd.), dans Théâtre complet (1769-1809), Jean-Claude Bonnet (éd.), Paris, Honoré Champion, 2014, vol. 2, p. 1458.
112 Joël Cornette, Henri IV à Saint-Denis : de l’abjuration à la profanation, Paris, Belin, 2010.
113 Louis-Sébastien Mercier, La Destruction de la Ligue ou la Réduction de Paris, op. cit., p. 1467.
114 Ibid., p. 1523.
115 Charles Collé, Journal et mémoires de Charles Collé sur les hommes de lettres, les ouvrages dramatiques et les événements les plus mémorables du règne de Louis XV (1748-1772), Honoré Bonhomme (éd.), Paris, Didot, 1868, vol. 2, p. 389.
116 Mémoires secrets pour servir à l’histoire de la république des lettres en France, depuis 1762 jusqu’à nos jours, op. cit., vol. 3, p. 49.
117 Anne Boës, La Lanterne magique de l’histoire : essai sur le théâtre historique en France de 1750 à 1789, Oxford, Voltaire Foundation, 1982, p. 107.
118 Henri Lagrave, Charles Mazouer & Marc Régaldo, La Vie théâtrale à Bordeaux des origines à nos jours, Paris, Éditions du CNRS, 1985, vol. 1, p. 268.
119 Victor Hallays-Dabot, Histoire de la censure théâtrale en France, Paris, Dentu, 1862, p. 87.
120 René Rémond, Les Droites en France, Paris, Aubier Montaigne, 1982.
121 Marie-Emmanuelle Plagnol-Diéval, Le Théâtre de société : un autre théâtre ?, Paris, Honoré Champion, 2003, p. 11 et p. 53.
122 Marie-Emmanuelle Plagnol-Diéval & Dominique Quéro (dir.), Charles Collé (1709-1783) : au cœur de la République des Lettres, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2013.
123 Charles Collé, Journal et mémoires de Charles Collé sur les hommes de lettres, les ouvrages dramatiques et les événements les plus mémorables du règne de Louis XV (1748-1772), op. cit., p. 96-98.
124 Ibid., p. 99.
125 Mémoires secrets pour servir à l’histoire de la république des lettres en France, depuis 1762 jusqu’à nos jours, op. cit., vol. 4, p. 312.
126 Ibid., vol. 6, p. 236-239.
127 Charles Collé, Journal et mémoires de Charles Collé sur les hommes de lettres, les ouvrages dramatiques et les événements les plus mémorables du règne de Louis XV (1748-1772), op. cit., p. 134.
128 Maximilien-Jean Boutillier, Le Laboureur devenu gentilhomme, anecdote de Henri IV, op. cit., p. V.
129 Marie-Joseph Chénier, Charles IX ou l’École des rois, op. cit., p. 143.
130 Ibid., p. 89-90.
131 Maximilien-Jean Boutillier & Desprez-Valmont, Le Souper d’Henri IV ou le Laboureur devenu gentilhomme, Paris, s. n., 1789, p. 30.
132 Mercure de France, 24 octobre 1789.
133 Chronique de Paris, 22 novembre 1789. La pièce aura 50 représentations jusqu’en 1792.
134 Jean-François Villemain d’Abancourt, Une journée de Henri IV, Paris, Théâtre de Molière, 1791, p. 37.
135 Ibid., p. 25-26. Collé reprenait déjà cet air fredonné par Alceste dans Le Misanthrope.
136 Timothy Tackett, Le Roi s’enfuit : Varennes et l’origine de la Terreur, Alain Spiess (trad.), Paris, La Découverte, 2004.
137 Chronique de Paris, 7 octobre 1791.
138 André Tissier, Les Spectacles à Paris pendant la Révolution : répertoire analytique, chronologique et bibliographique, op. cit. Décompte complété avec le calendrier électronique CÉSAR : https://cesar.huma-num.fr/cesar2/ (septembre 2022).
139 Voir Maurice Albert, Les Théâtres des boulevards (1789-1848) [1902], Genève, Slatkine-reprints, 1978, p. 75.
140 Joël Cornette, Henri IV à Saint-Denis : de l’abjuration à la profanation, op. cit., p. 235-254.
141 Voir Paul-Laurent Assoun, Tuer le mort : le désir révolutionnaire, Paris, Presses universitaires de France, 2015.
142 Voir Lucie Abadia, « Le thème henricéen dans les peintures de Salon de 1750 à 1880 », dans Paul Mironneau & Pierre Tucoo-Chala (dir.), La Légende d’Henri IV, Pau, Société Henri IV, 1995, p. 323-351.
143 Paul Mironneau, « Roi troubadour ou diable à quatre ? Henri IV et la chanson », dans Paul Mironneau & Pierre Tucoo-Chala (dir.), La Légende d’Henri IV, op. cit., p. 286.
144 Gabriel-Marie Legouvé, La Mort de Henri IV, roi de France, Paris, Renouard, 1806, p. 66.
145 Ibid., p. 3.
146 Ibid., p. 16.
147 Ibid., p. 61.
148 Ibid., p. 63.
149 Cité par Henri Welschinger, La Censure sous le Premier Empire, Paris, Perrin, 1887, p. 235.
150 Cyril Triolaire, Le Théâtre en province pendant le Consulat et l’Empire, Clermont-Ferrand, Presses universitaires Blaise Pascal, 2012, p. 344.
151 Odile Krakovitch, « Les mythes du bon et du mauvais roi : Henri IV et François Ier dans le théâtre de la première moitié du xixe siècle », dans Paul Mironneau & Pierre Tucoo-Chala (dir.), La Légende d’Henri IV, op. cit., p. 221.
152 Béatrice Didier, « L’opéra français et les héros nationaux, 1789-1830 », dans Gérard Lahouati & Paul Mironneau (dir.), Figures de l’histoire de France dans le théâtre au tournant des Lumières, Oxford, Voltaire Foundation, 2007, p. 328-329.
153 Michèle H. Jones, Le Théâtre national en France de 1800 à 1830, Paris, Klincksieck, 1975, p. 20-21.
154 Louis-Henry Lecomte, Napoléon et l’Empire racontés par le théâtre, 1799-1899, op. cit., p. 223.
155 Ibid., p. 271.
156 Ibid., p. 277.
157 Gauthier Ambrus, « Charles IX, 4 novembre 1789. La tragédie sur la scène du peuple », dans Olivier Bara (dir.), Théâtre et peuple : de Louis-Sébastien Mercier à Firmin Gémier, Paris, Classiques Garnier, 2017, p. 51.
158 Chronique de Paris, 25 août 1789.
159 Jean-Charles Levacher de Charnois, Costumes et annales des grands théâtres de Paris, Paris, Couturier, 1786-1789, vol. 7, p. 218.
160 Jean-Marie Thomasseau, « Dame Censure et ses tranche-pièces sous le Premier Empire et la Restauration », dans Mélodramatiques, Saint-Denis, Presses universitaires de Vincennes, 2009, p. 72.
161 Jean-Charles Levacher de Charnois, Costumes et annales des grands théâtres de Paris, op. cit., p. 214-215.
162 Maud Pouradier, « Le débat sur la liberté des théâtres : le répertoire en question », dans Martial Poirson (dir.), Le Théâtre sous la Révolution, politique du répertoire (1789-1799), op. cit., p. 65-76.
163 André Tissier, Les Spectacles à Paris pendant la Révolution, Genève, Droz, 1992, vol. 1.
164 Ces données et les suivantes sont issues du site des registres de la Comédie-Française, des calendriers d’André Tissier et de CÉSAR, qui dénombre encore 30 représentations entre 1796 et la fin 1799.
165 Charles-Guillaume Étienne & Alphonse Martainville, Histoire du théâtre français depuis le commencement de la Révolution jusqu’à la réunion générale, Paris, Barba, 1802, vol. 2, p. 148.
166 Chronique de Paris, 21 septembre 1791.
167 Serge Bianchi, « Le théâtre de l’an II (culture et société sous la Révolution) », Annales historiques de la Révolution française, no 278, 1989, p. 424.
168 Annales patriotiques et littéraires, 2 janvier 1793, p 7.
169 CÉSAR répertorie 17 représentations de cette pièce, entre le 9 octobre 1795 et le 16 avril 1798, à la salle Favart (où est jouée Raoul).
170 Archives nationales F/7/4334, rapport numérisé sur le portail Dezède : https://dezede.org/oeuvres/raoul-sire-de-cr%C3%A9qui/ (septembre 2022).
171 Le Courrier des spectacles ou Journal des théâtres, 2 juillet 1797.
172 Ibid., 6 août 1797. Larive jouait Bayard, et Saint-Phal, Gaston de Nemours.
173 Cité par Paul d’Estrée, Le Théâtre sous la Terreur (Théâtre de la peur), 1793-1794, Paris, Émile-Paul frères, 1913, p. 235-236.
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Scènes baroques d’aujourd’hui
La mise en scène baroque dans le paysage culturel contemporain
Céline Candiard et Julia Gros de Gasquet (dir.)
2019
« L’Arabe » colonisé dans le théâtre français
De la conquête de l’Algérie aux grandes expositions coloniales (1830-1931)
Amélie Gregório
2020