Renouveler les approches de la gentrification : le cas de la « gaytrification »
p. 137-152
Texte intégral
1La notion de gentrification est devenue un terme relativement banalisé et populaire dans les sciences sociales françaises et francophones (Authier & Bidou-Zachariasen, 2008). Géographes, sociologues et politistes l’utilisent généralement pour désigner les processus de réhabilitation et de requalification des quartiers anciens de centre-ville. Au-delà de cette définition, il existe des acceptions et des usages plus controversés et plus débattus de la notion elle-même, usages engageant bien souvent des postures théoriques ou des cadres d’analyse spécifiques. Certains envisagent ainsi la gentrification comme un levier actif et volontariste des politiques urbaines, d’autres étendent à présent la portée du concept aux espaces ruraux, tandis que des confusions persistent entre des termes et des processus pourtant distincts : gentrification, embourgeoisement, réhabilitation ou rénovation urbaine par exemple (Bourdin, 2008). En même temps que son usage s’est diffusé, le contenu de la notion même de gentrification a pu paraître parfois trop polysémique, et c’est l’une des raisons essentielles des critiques qui lui ont été adressées (ibid.). Si l’on s’en tient à son caractère descriptif et à son pouvoir idéal-typique, la notion de gentrification permet cependant d’étudier et de mieux comprendre certains processus du changement urbain des centres-ville aujourd’hui.
2C’est bien alors à des formes et des cas de gentrification que l’on doit s’intéresser et consacrer le travail d’analyse sociologique. Au-delà du repérage et de la mesure de l’ampleur de tels processus, souvent illustrés empiriquement à l’aide de données et de méthodes statistiques, le renouvellement des approches de la gentrification passe surtout par une compréhension plus fine des formes et des acteurs spécifiques impliqués dans ce type de mutations urbaines (Collet, 2008). C’est l’une des ambitions de cet article, qui s’intéresse à une forme particulière de gentrification mettant sur le devant de la scène une catégorie de population particulière, celles des hommes homosexuels ou gays, que l’on désignera par le terme gaytrification.
3Nous montrerons, en premier lieu, en quoi la sociologie francophone, notamment la sociologie urbaine française, a pu sembler « en retard » sur un tel sujet de recherche, en particulier lorsqu’on mobilise la littérature anglo-saxonne des Urban Studies et celle des Gay Studies. Tout autant empiriques que théoriques, ces contributions amènent à identifier de nouveaux acteurs et de nouvelles dimensions des processus de gentrification, et à interroger les liens entre homosexualité et gentrification. Une partie de ces résultats semble transposable dans des contextes urbains français et francophones, ce qui constitue l’objet d’une recherche que nous avons conduite à Paris et Montréal, dans les quartiers du Marais et du Village. Nous présenterons ensuite certains aspects de cette enquête en insistant sur les difficultés mais aussi les innovations méthodologiques auxquelles elle nous a amené. À partir de cette enquête, nous pourrons alors aborder un aspect peu connu de la manière dont les gays participent à la gentrification, à l’échelle du logement, de ses transformations et des spécificités d’un habitat gay sur nos terrains d’enquête. En quoi le logement lui-même peut-il être un poste d’observation privilégié d’un processus de gaytrification ?
LES GAYS ET LA GENTRIFICATION
4Dans la littérature scientifique francophone, en particulier française, les travaux sur la gentrification n’ont quasiment jamais abordé la question des populations homosexuelles et de leur relation avec ce processus. Depuis les premiers travaux français des années 1980, les questions de genre, de sexe et de sexualité n’ont d’ailleurs guère intéressé les sociologues français travaillant sur le sujet. C’est dans la littérature nord-américaine, essentiellement de langue anglaise, que de telles questions sont apparues. Il y a, d’une certaine façon, une forme de retard français dans l’analyse du rôle des homosexualités dans certaines mutations urbaines.
Gentrification, gentrifieurs et classes moyennes
5Sans mobiliser explicitement le terme de gentrification, les premiers travaux français qui identifient et étudient ce type de changements urbains datent du début des années 1980. Ces travaux décrivent l’installation de ménages appartenant aux « nouvelles classes moyennes » dans des quartiers parisiens populaires et les effets de cette présence résidentielle sur le quartier (Bidou-Zachariasen, 1984 ; Chalvon-Demersay, 1984). Depuis ces travaux pionniers, le terme de gentrification s’est diffusé dans la géographie et la sociologie urbaine françaises pour décrire la tendance des catégories moyennes et supérieures au « retour en ville » et dans les centres anciens. Dans les années 1990, de nombreux travaux ont précisé le rôle de ces populations dans la mutation des centres-ville à travers l’étude de leurs trajectoires socio-résidentielles, de leurs modes de vie et de leurs rapports au quartier (Authier, 1993). Ces travaux ont un lien plus ou moins étroit avec les débats sociologiques français sur les classes sociales, en particulier sur la définition et l’extension du groupe des classes moyennes en France. Si elles ont d’abord permis de décrire à la fois les catégories intermédiaires dans la stratification sociale et les citadins nouvellement installés dans ce type d’espaces, la catégorie de classes moyennes est rapidement apparue très hétérogène et très diversifiée (Bidou-Zachariasen, 2004).
6Dans ce contexte, plusieurs sociologues ont cherché à décomposer et disséquer cette vaste catégorie pour étudier plus finement le rôle de certaines de ses fractions dans la gentrification et identifier des catégories plus spécifiques de gentrifieurs. Cette tendance au raffinement des catégories est perceptible dans les travaux français et francophones depuis une quinzaine d’années. Différentes contributions ont montré notamment le rôle singulier des professions artistiques et culturelles dans ces processus, qu’il s’agisse des artistes eux-mêmes (Charmes & Vivant, 2008) ou plus généralement des professions de l’information, de la culture et des spectacles. Les travaux d’Anaïs Collet sur le Bas-Montreuil montrent bien les imbrications entre les milieux professionnels du cinéma et de l’audiovisuel et la capacité socialement située à gentrifier un tel espace, c’est-à-dire l’investir, se l’approprier et le mobiliser comme une ressource sociale, voire, ici, professionnelle (voir sa contribution ici même et Collet, 2008). D’autres travaux ont rendu compte d’autres sous-groupes des classes moyennes au statut particulier du point de vue de leurs pratiques urbaines, notamment certains jeunes employés des « nouvelles professions de service » qu’ont étudiés Nathalie Chicoine et Damaris Rose à Montréal (1998). De telles contributions évoquent aussi le rôle de l’âge, du cycle de vie et des parcours générationnels dans le plus ou moins grand investissement de ces citadins dans la gentrification d’un quartier. L’expérience de certaines socialisations militantes et de certaines trajectoires associatives accrédite par exemple le rôle particulier de certaines générations dans la réhabilitation d’un quartier comme le South End à Boston (Tissot, 2011). Les travaux francophones sur la gentrification ont ainsi rappelé la diversité des classes moyennes ; ils ont surtout mobilisé les grilles de lecture socioprofessionnelles et, dans une moindre mesure, générationnelles, pour expliquer et comprendre la sociologie des gentrifieurs. Mais, de fait, la gentrification est restée perçue en France à travers des oppositions socio-économiques entre anciens habitants des couches populaires dans le passé et nouveaux habitants issus des classes moyennes ou moyennes supérieures. À l’inverse, d’autres facteurs sociologiques restent beaucoup plus discrets dans cette littérature : c’est le cas des effets du genre, des types de ménage et de familles ou des identités sexuées.
Les apports américains
7De leur côté, les chercheurs nord-américains, surtout anglophones, ont été beaucoup plus prolixes à ce sujet. Sans doute moins classiste par tradition, le champ des Urban Studies a mis en avant d’autres leviers de la gentrification en mobilisant notamment les études féministes, les apports des Gender Studies puis des Gay and Lesbian Studies. Depuis le milieu des années 1990, une littérature importante a été consacrée au rôle des femmes, des mères et des femmes seules notamment, dans la transformation de certains quartiers en gentrification (Bondi, 1999). La gentrification n’y apparaît d’ailleurs plus seulement comme une « inversion » des structures sociales locales mais aussi comme un changement dans l’ordre des structures familiales et sexuées qui prévalaient dans des quartiers vétustes, paupérisées et populaires (Caulfield, 1989). À l’opposé, dans les approches sociologiques françaises où la gentrification a surtout été abordée à partir d’une grille de lecture du monde social en termes de catégories socioprofessionnelles focalisant l’attention sur le rôle des classes moyennes ou moyennes supérieures dans la transformation des centres-ville, l’homosexualité reste le plus souvent hors champ. Son irruption dans l’étude de la gentrification peut sembler bien curieuse ; pourtant, aux États-Unis, elle y est apparue dès le début des années 1980.
8Dès cette époque, un premier travail empirique est conduit sur le Castro District de San Francisco (Castells & Murphy, 1982). Ce quartier est sans doute le premier exemple, et aussi le plus frappant, de la « renaissance » d’un quartier sous l’impulsion des gays dans les années 1970. Au moment même où nombre d’entre eux s’installent dans les vieilles maisons victoriennes du quartier et les restaurent, les espaces de consommation et de loisirs fréquentés par les homosexuels se développent : commerces, nombreux bars... Castells et Murphy décrivent l’assise croissante d’une communauté gay qui se rend visible dans les limites d’un quartier disponible de fait, qui offre une forme de sécurité et de tolérance relative ainsi qu’une certaine tranquillité sociale. Si les gays s’emparent de ces espaces délaissés, ils contribuent surtout à leur transformation : rénovation du bâti dès les années 1970, organisation de fêtes de quartier à tonalité ouvertement gay, structuration et entretien de réseaux de relations regroupant des commerçants, des associations, des représentants politiques et des habitants gay du quartier. Si les quartiers centraux de San Francisco connaissent à l’époque un mouvement plus large de réhabilitation, l’originalité du travail de Castells est d’identifier les gays comme les acteurs essentiels d’une partie de ces changements (1983). Son texte fondateur ouvre la voie à plusieurs travaux qui examinent les effets et les raisons de cette participation des gays à la gentrification. D’un point de vue théorique, Larry Knopp et Mickey Lauria mobilisent les apports de la géographie féministe des années 1980 pour montrer que l’émergence de quartiers gay dans les grandes villes américaines constitue la réponse spatiale des gays face à l’oppression sociale dont ils sont victimes dans des sociétés hétéronormées (Knopp & Lauria, 1985 ; Knopp, 1990). Si ces auteurs envisagent surtout l’homosexualité dans sa forme communautaire et comme une identité politique, ils soulignent aussi certaines spécificités sociologiques de la population gay : faible contrainte familiale, engagement dans une sociabilité dense à l’extérieur du foyer, forte implication dans certains secteurs d’emploi de plus en plus concentrés en centre-ville. Les auteurs affirment dès lors la nécessité d’approfondir empiriquement ces hypothèses.
9De nouveaux travaux vont effectivement en ce sens dans les années 1990, aux États-Unis et au Canada. D’abord, l’étude de la localisation des « quartiers gay » révèle que ceux-ci se situent, dans leur très grande majorité, dans des espaces urbains en cours de gentrification ou ayant connu une telle transformation (Sibalis, 2004). Si les quartiers gay ne concentrent pas tous les homosexuels de la ville et ne comptent pas que des homosexuels, ils semblent constituer un révélateur important de l’engagement des gays dans les mutations urbaines des centres-ville. Plusieurs travaux monographiques analysent les effets économiques mais aussi symboliques de cette requalification singulière, du point de vue économique mais aussi symbolique, sur des minorités sexuelles qui trouvent dans certains quartiers centraux des ressources sociales et politiques de légitimation ainsi que des espaces de solidarité collective (Forest, 1995). Les modes de vie, les commerces et les activités qui s’implantent contribuent par ailleurs à revaloriser l’image de certains quartiers : longtemps abandonnés et dégradés, ils peuvent devenir attractifs et « branchés » (Nash, 2006). La gentrification est présente en filigrane : si, par définition, elle repose largement sur une inversion sociale résidentielle, elle se nourrit aussi de l’espace public (rues et commerces) comme support d’un retour en ville tous azimuts (Lehman-Frisch, 2002). Enfin, d’autres auteurs montrent que les gays ont pu être les acteurs décisifs d’une gentrification proprement résidentielle. Dans le quartier de Cabbagetown à Toronto, leur implication dans la réhabilitation du bâti dégradé améliore significativement la qualité des logements : ils bénéficient de revenus souvent importants et de contraintes budgétaires moindres, notamment en raison de l’absence d’enfants dans ces ménages (Bouthillette, 1994).
10Au regard de cet écart franco-américain dans les recherches et les publications, on peut d’abord penser que ce que l’on observe dans les villes nord-américaines n’est pas nécessairement transposable dans le contexte français. Autrement dit, si les sociologues et géographes ont travaillé aux États-Unis sur ces questions, c’est qu’elles étaient opératoires empiriquement et qu’elles ne le sont peut-être pas en France. Cette hypothèse est contestable pour deux raisons. D’une part, malgré leur allure et leur histoire différentes, il existe des secteurs gay en France, dont le plus important est le quartier du Marais à Paris. Son histoire est très spécifique, mais il a bien connu une phase de gentrification intense, au sens strict, du milieu des années 1960 aux années 1990 (Djirikian, 2004). Le bas des pentes de la Croix-Rousse à Lyon a été lui aussi le terrain de la rencontre, dans les années 1990, d’une présence homosexuelle spécifique et d’un processus de gentrification (Giraud, 2010). D’autre part, les enquêtes statistiques disponibles sur les populations homosexuelles françaises sont rares, mais elles en montrent les spécificités sociologiques1. La population gay y apparaît très fortement urbaine, plus jeune que l’ensemble de la population française, plus favorisée en termes de revenus, de PCS et surtout de niveau de diplôme. Vivant fréquemment dans un ménage de petite taille, les gays ont aussi, plus souvent que les autres, connu des trajectoires d’ascension sociale (Schiltz, 1997). Le profil sociologique dominant des gays français ressemble ainsi beaucoup à celui des gentrifieurs dans leur ensemble : en France aussi, ils apparaissent comme des « candidats » sociologiques à la gentrification. C’est dans ce contexte que nous avons voulu renouveler l’approche sociologique de la gentrification en France en nous saisissant d’un questionnement longtemps resté nord-américain et largement anglophone et en faisant l’hypothèse de la nécessité d’une enquête sur le sujet en France.
DE L’ENQUÊTE AUX RÉSULTATS
11Conduite entre 2005 et 2008 dans le cadre de notre thèse de sociologie, notre enquête avait pour objet l’étude comparée du rôle des populations homosexuelles masculines dans les processus de gentrification à Paris et à Montréal. Elle a d’abord montré que la faible visibilité d’un tel objet ne renvoie pas seulement à un manque d’intérêt des chercheurs français, mais qu’elle est sans doute également liée à des obstacles méthodologiques importants et spécifiques.
Questions de méthode
12Au-delà des problèmes méthodologiques propres à toute enquête empirique, travailler sur des « populations homosexuelles » accentue certaines difficultés. Le fait est particulièrement net dès lors que l’on tente de mobiliser les outils statistiques et quantitatifs, par exemple pour tenter d’évaluer l’ampleur des installations et de la présence résidentielle gay dans une ville, et a fortiori, dans un quartier. L’orientation sexuelle des individus ne figurant pas dans les enquêtes de recensement, on en vient rapidement à chercher à comptabiliser, identifier et atteindre des populations invisibles statistiquement. Cette première difficulté est la plus importante, elle est également spécifique à cette enquête. Sur ce terrain, nous avons cherché à innover et à renouveler certains outils de la sociologie urbaine française, quitte parfois à ne pouvoir formuler que des hypothèses ou des résultats partiels. Nous avons ainsi construit des données quantitatives en travaillant sur les localisations résidentielles d’un échantillon d’hommes parisiens abonnés à une revue homosexuelle spécialisée. Disposant de certaines informations sur cette population (arrondissement de résidence, âge, profession déclarée) et tenant compte des contraintes d’anonymat pesant sur ces données, nous avons pu reconstruire une géographie résidentielle gay parisienne et l’étudier au regard des caractéristiques sociologiques de cet échantillon (Giraud, 2011). Une des conclusions de ce volet de l’enquête est que les gays parisiens privilégient plusieurs types d’environnement résidentiels, dont une partie est bien située dans les secteurs phares de la gentrification parisienne, mais que ce type de choix est surtout celui de quarantenaires, nettement moins des plus jeunes et des plus âgés.
13Plus largement, le cas des populations gay amène à envisager une grande variété de matériaux empiriques pour tenter d’appréhender une « place » et un « rôle » dans des processus aussi complexes. Selon nous, les difficultés pour obtenir des données quantitatives totalement fiables au sujet des gays habitant dans les deux quartiers de l’enquête n’ont pas été seulement un problème méthodologique ou empirique. Pour étudier sociologiquement la gentrification d’une ville ou d’un quartier, bon nombre de travaux français mobilisent en priorité ce type de données. Si la dimension résidentielle du processus est centrale et même nécessaire pour pouvoir parler de gentrification, cette dernière ne s’y réduit pas. Depuis plusieurs années déjà, différents travaux ont souligné ses aspects multidimensionnels : les changements d’activités et de vie commerçante d’un quartier (Lehman-Frisch, 2002), les transformations de l’image et de la fréquentation du quartier (Tissot, 2011), les mutations des relations sociales locales autant que les structures sociales du quartier (Bidou-Zachariasen, 2008). Cela ne signifie pas que le concept de gentrification soit un fourre-tout désignant séparément ces processus. Il correspond au contraire à la conjonction de toutes ces dimensions.
14C’est ainsi que nous l’avons envisagé et que nous avons construit notre dispositif de recherche, qui mobilise plusieurs types de données et échelles d’analyse. En premier lieu, nous avons construit des données quantitatives de type résidentiel, mais aussi des données au sujet des lieux et des commerces gay dans les deux villes depuis la fin des années 1970, à partir des annuaires et index commerciaux disponibles dans la presse gay spécialisée. Un tel matériau permet d’observer historiquement l’émergence locale d’un « secteur commercial gay » et d’interroger ses liens avec les évolutions d’ensemble des commerces et des activités dans les deux quartiers en gentrification.
15Deuxième type de données, nous avons dépouillé des sources écrites sur la période 1978-2007 : un corpus de presse gay spécialisée et de presse généraliste plutôt locale, à Paris et Montréal. Ces 1 300 documents environ ont été mobilisés afin d’approcher certains processus médiatiques, discursifs et symboliques contribuant à la fabrique de la ville, de ses quartiers et de ses images. La gentrification repose aussi sur des dynamiques symboliques qui construisent la valeur d’un quartier à travers les nouvelles images qui lui sont associées, par exemple le quartier « village », le quartier « animé », « convivial », « alternatif » ou « métissé ». Nous avons cherché à identifier le rôle des gays dans ces processus : à la fois comme producteurs et diffuseurs de certaines images, mais aussi comme supports et objets de certains discours sur le quartier.
16Le troisième type de données paraît plus classique dans un tel contexte. Il rassemble 61 entretiens, dont 47 ont été conduits auprès de gays ayant habité à un moment de leur vie dans le Marais ou le Village. Ces entretiens permettent d’interroger les liens entre homosexualité et gentrification à une échelle plus microsociologique : celle des parcours socio-résidentiels, des pratiques et des rapports individuels à l’espace urbain et au quartier. On retrouve ici une méthode empirique déjà relativement éprouvée dans différents travaux francophones sur les gentrifieurs : la compréhension sociologique de la gentrification est indissociable de l’analyse des trajectoires et des modes de vie des gentrifieurs, dans leur singularité et dans leur diversité sociologique. Ce qu’il y a de nouveau, ici, c’est la prise en compte des trajectoires et des « carrières homosexuelles » dans la construction des rapports résidentiels au quartier. Enfin, nous avons complété ces matériaux par des données ethnographiques issues de séquences d’observation dans certains lieux des deux quartiers, en faisant l’hypothèse que certaines ambiances, certaines interactions et certains réseaux relationnels sont aussi des leviers plus fins mais décisifs d’un processus de gaytrification.
17Pris séparément, ces matériaux empiriques ne sont pas nécessairement innovants pour les sociologues de la ville ; ce sont plutôt leur association et leur articulation dans une recherche portant sur la gentrification qui sont ici structurantes. Ces démarches empiriques ne relèvent pas seulement de choix techniques ou méthodologiques. Puisque la gentrification nous paraissait relever de logiques plurielles et que le rôle des gays dans ces processus nous semblait plus difficile à circonscrire que d’autres facteurs plus « classiques », nous avons voulu multiplier, diversifier et croiser les démarches et les matériaux empiriques. Il en résulte un matériau conséquent et surtout extrêmement varié qui permet progressivement de décomposer et d’observer certains effets sociologiques de la présence gay sur les destinées du Marais et du Village, notamment leur gentrification. Nous avons choisi d’en présenter quelques-uns à travers une des échelles d’analyses de cette recherche, celle du logement.
Le logement gay en question
18Nous n’explorerons ici qu’une des dimensions résidentielles de la gaytrification à partir de l’investissement matériel du logement, c’est-à-dire les travaux, aménagements et réaménagements. Cette pratique est généralement massive chez les gentrifieurs, qui sont particulièrement investis dans leur logement et contribuent à la revalorisation du stock de logements dans les quartiers où ils s’installent (Lévy-Vroëlant, 2001). Qu’en est-il chez nos enquêtés ?
19Tout d’abord, l’ampleur, la nature et la possibilité même de ces transformations ne sont pas identiques pour tous. Dans le Marais comme dans le Village, l’état initial du logement, les moyens financiers disponibles et le statut d’occupation influencent, de manière relativement classique, la quantité et le type de travaux. Malgré ces effets indéniables, les enquêtés manifestent globalement de fortes propensions à l’aménagement, au réaménagement et aux travaux dans leurs logements, y compris lorsqu’ils sont locataires, en particulier dans le Village. Ainsi Raymond a-t-il souvent repeint ses appartements successifs ou refait certains parquets, mettant par là en conformité ses propres pratiques et ses représentations souvent stéréotypées au sujet des gays :
Tous les appartements, moi j’ai toujours repeint en arrivant, même si je restais pas longtemps, je prenais toujours le temps, je nettoyais les murs et les sols, j’ai dû refaire des parquets des fois [...]. Les gays n’habitent pas dans la saleté, ils vont essayer de ramasser, de rénover, de rajeunir, surtout ici, ils ont beaucoup fait pour les logements, ils ont mis des fleurs tout ça, ils aiment bien le propre, il faut bien que ce soit propre si on veut se rouler par terre. [Rire.] (Raymond, 62 ans, employé retraité, célibataire, locataire, Village)
20De même, une partie des enquêtés nous a relativement surpris au cours de notre enquête. Il s’agit des locataires les moins fortunés, qui sont souvent très mobiles et occupent de petits logements, mais qui réalisent malgré tout des travaux et bricolent de nouveaux aménagements. Ils le font d’autant plus volontiers qu’ils sont souvent eux-mêmes « un peu artistes » et qu’ils manifestent certaines dispositions de cet ordre. C’est le cas de Boris, jeune styliste locataire d’un deux-pièces dans le Marais :
Je me préoccupe pas mal de comment c’est chez moi, donc je change les meubles de place tous les mois par exemple, je suis un peu hystérique là-dessus, j’aime bien mettre des choses aux murs, accrocher un truc là, changer le tissu sur le lit [...]. Ça me prend, je vais vouloir changer le coin bureau en coin canapé, et puis après je rechange deux semaines après, bon donc j’y passe pas beaucoup de temps [chez moi], disons que j’aime bien, j’aime bien que ce soit mignon quoi ! Peut-être que c’est mon côté un peu artiste aussi, genre comment faire du design dans un appartement tout pourri ? [Rire] [...] Quand je suis arrivé, ça m’a excité, j’ai tout repeint, après j’ai peint ce mur-là en couleur, mais je me suis calmé parce qu’après j’ai vu de la moisissure partout, donc je me suis dit je vais pas repeindre tous les ans, donc bon, j’ai changé la moquette là, j’ai tout repeint en blanc une dernière fois, mais je peux pas faire grand-chose à part acheter des absorbeurs d’humidité et arranger un truc mignon. (Boris, 26 ans, styliste free-lance, célibataire, locataire, Marais)
21Dans les deux quartiers, des travaux plus conséquents sont visibles chez ceux qui achètent leur appartement et qui ont les moyens financiers les plus élevés. Ces investissements ont d’abord un effet brut d’amélioration du stock local de logements en revalorisant ceux qui sont vétustes. Le terrain montréalais illustre cet impact significatif dans certains secteurs très localisés du quartier où de nombreux édifices néo-victoriens ont été totalement réhabilités depuis la fin des années 1980, en grande partie par des gays, comme l’ont confirmé certains agents immobiliers du quartier, ou comme le montre encore le cas de Michel et de son ancien logement de la rue Plessis :
C’était une très vieille demeure, très sale, il y avait des rats qui passaient dans la cuisine quand je suis arrivé, j’ai fait beaucoup de travaux, j’ai tout refait les plafonds, les planchers, j’ai tout nettoyé les murs, même dehors j’ai fait nettoyer le devant parce que c’était si sale, j’ai changé les balcons après [...]. C’était un gros coup d’argent, j’ai vendu au triple quand je suis parti. (Michel, 60 ans, employé, couple non cohabitant, locataire, Village)
22De fait, les travaux sont souvent plus conséquents à Montréal qu’à Paris parce que les biens sont acquis en moins bon état. À l’image de Michel, certains des propriétaires que nous avons interrogés apparaissent typiques des nouveaux venus qui, arrivés depuis la fin des années 1980, ont participé à des réhabilitations rappelant de près celles qui ont été décrites dans des contextes équivalents (Castells, 1983 ; Bouthillette, 1994). À Paris, lorsque les gays interrogés arrivent dans leur logement, il est plus fréquent qu’il ait été déjà réhabilité, hormis le cas de quelques installations anciennes, au début des années 1980.
23Mais c’est surtout le logement en tant qu’habitat domestique qui révèle toute la subtilité des processus de gaytrification. Les aménagements intérieurs révèlent, en effet, des spécificités homosexuelles en termes de goût et de besoin en habitat, liées surtout à la structure particulière des ménages gay. De ce point de vue, les gays ne sont plus des gentrifieurs identiques aux autres : bon nombre d’entre eux innovent par les configurations d’habitat qu’ils choisissent et qui sont liées, en grande partie, à la spécificité des ménages qu’ils composent et de leurs modes de vie. Au-delà du choix des couleurs et de la réfection d’équipements usés, l’exemple le plus significatif de ces spécificités est celui de la distribution des pièces, de leur nombre et de leur taille. Après plusieurs mois de recherche dans le Marais, Gilles achète un appartement dont la configuration est exemplaire de celles que privilégient les enquêtés, une grande pièce, une seule chambre et une petite cuisine :
Ce qui est génial et ça m’a beaucoup plu quand je l’ai acheté, c’est la grande pièce, c’est une pièce de 30 m2, dans un appart de 55 m2, et ça c’est très agréable, la terrasse fait 7 m2, alors la cuisine est petite mais on s’en fout en fait de la cuisine ! (Gilles, 40 ans, directeur informatique, couple cohabitant, propriétaire, Marais)
24Tous les enquêtés ne trouvent pas ce type d’intérieur en entrant dans les lieux. C’est sur ce point précis qu’ils sont nombreux à s’engager dans une même opération, maintes fois décrites en entretien et observées chez eux : abattre des cloisons, réduire le nombre de pièces et étendre leur surface. S’il s’agit de gagner de l’espace ou de la lumière, cette démarche renvoie surtout à la taille du ménage, les enquêtés vivant seuls ou à deux, mais sans enfant et, surtout, sans projet explicite d’en avoir : la structure des ménages gay oriente leurs choix en matière d’habitat. Tony et Vincent ne sont « que » locataires d’un appartement réhabilité par le précédent propriétaire, gay lui aussi, mais ils ont conscience de cet effet :
Vincent. — Il était complètement refait, tout repeint en blanc, c’est un deux-pièces, c’est un hôtel particulier du xviiie siècle, avec une super cage d’escalier et l’appartement c’est le deuxième étage, donc c’est la galerie, c’est 65 m2 mais y a que deux pièces en fait, avec sept fenêtres, les deux pièces sont communicantes, donc ça c’est pas très pratique.
Tony. — Ben, tu peux pas avoir d’enfants dans un truc comme ça, tu passes par la chambre pour aller dans le salon, ça fait une aile, tu vois ça ressemble à ici, ça fait une aile où les pièces communiquent avec l’antichambre puis la chambre, et le salon. Y a un couloir qui fait communiquer les pièces à l’origine, la personne qui vivait là, quand elle recevait, elle pouvait passer par le salon, ce qui est plus le cas, ce petit couloir est devenu une sorte de buanderie, donc ça fait deux grandes pièces magnifiques, très lumineuses, sans vis-à-vis. (Tony et Vincent, 42 et 43 ans, designers, couple cohabitant, locataires, Marais)
25Les chambres traditionnellement attribuées aux enfants ou anticipées comme telles n’existent pas : elles sont soit absentes, soit supprimées par la destruction des cloisons. Les pièces sont ainsi ouvertes les unes sur les autres, les espaces intimes réduits à la chambre, la circulation plus libre, les espaces moins séparés :
Tout a été refait, j’ai fait casser la cloison pour amener de la lumière, j’ai déplacé une autre cloison pour agrandir la salle de bains. J’ai fait poser une cheminée, ensuite les peintures, la pose de la bibliothèque. C’était très important pour moi d’ouvrir l’espace. (Emmanuel, 34 ans, comédien, célibataire, propriétaire, Marais)
26« Ouvrir l’espace » est d’autant plus possible ici qu’il ne s’agit donc pas de penser à loger un ou plusieurs enfants, mais de penser aux amis que l’on reçoit ponctuellement :
On a beaucoup réfléchi, ça mettait en question toute notre façon de se projeter dans l’avenir en fait. Par exemple, on a une chambre et une toute petite chambre d’amis, et à un moment on se disait : « Est-ce qu’on veut pas une grande chambre ? » Jusqu’à ce qu’on se dise qu’on a plus de chambre d’amis après et s’il y a bien une chose qu’on voulait c’était recevoir nos amis de province, qu’ils puissent venir, jeter leurs affaires et se sentir libre quoi, ça c’est vachement important pour nous, de recevoir les amis quand ils viennent en week-end. (Simon, 48 ans, psychiatre hospitalier, couple cohabitant, propriétaire, appartement familial hérité, Marais)
27Ainsi la plupart des logements occupés comptent-ils deux ou trois pièces, avec des superficies parfois élevées. Une fois les travaux effectués, ils se composent donc d’une grande pièce à vivre, ouverte ou non sur une cuisine, d’une chambre, voire d’une pièce supplémentaire, attribuée aux amis ou au travail pour certains.
28L’appartement acheté et occupé par Éric a été reconfiguré par les propriétaires précédents, un couple gay. Si de tels logements peuvent ainsi passer d’un couple gay à l’autre, réciproquement, certains enquêtés reconfigurent plusieurs appartements successivement. Dans le cas de Yann, on pourrait parler dans ce domaine de dispositions durables : au cours de sa trajectoire, il a réaménagé plusieurs de ses appartements, notamment dans le Village et sur le plateau Mont-Royal, dont l’un sera photographié par un journaliste, lui-même gay, pour une revue de décoration :
C’était un appartement très beau, mais qu’il fallait rénover entièrement [...], alors je m’en suis un peu occupé, il est passé dans une revue de décoration, Décomag, c’était merveilleux, aujourd’hui le même appartement coûte 1 500 $ par mois ! [...] J’avais un ami qui travaillait pour cette revue, il est venu chez moi, il a trouvé ça sympathique et bien aménagé, donc il m’a proposé ça. (Yann, 48 ans, cadre responsable communication, couple cohabitant, propriétaire, Village)
29Ce type d’habitat gay aboutit parfois au modèle du loft, mais pour les Parisiens, cela suppose de quitter le Marais, alors qu’à Montréal, un tel logement peut se situer dans le Village. À Paris, Philippe a réhabilité un premier bien immobilier qu’il a acheté au début des années 1980 et occupé une dizaine d’années (1983-1992). Il quitte le Marais en 1992, avant d’acquérir finalement, en 2000, un plateau dans une ancienne usine du 20e arrondissement. À la différence d’autres lofts visités auparavant, ce bien lui convient en grande partie pour son aspect non familial :
J’ai visité pas mal de lofts, mais qui avaient déjà été aménagés avant, c’était souvent des familles donc c’était pareil, y avait plusieurs chambres, des salles de bains, des trucs dont j’avais pas du tout besoin et par hasard, je suis tombé sur cet immeuble-là, au moment où le marchand de biens venait de l’acheter, mais avant la transformation, et là, bon, j’ai visité, ça m’a beaucoup plu, l’immeuble était magnifique, avec ce côté usine, ce passé de béton et de ferraille aussi, puis dans les étages élevés t’as une vue sur Paris qui est quand même très chouette, au dernier étage t’avais la jouissance du toit qui correspond à la terrasse. (Philippe, 50 ans, consultant financier, couple non cohabitant, propriétaire, 20e arrondissement)
30Le cas de Philippe montre d’ailleurs que l’engagement des gays dans la revalorisation d’un stock de logements déborde largement les deux terrains étudiés et invite à penser le rôle des gays dans la gentrification de manière plus générale, ici celle de l’Est parisien des années 2000. À Montréal, l’existence d’un bâti industriel aux abords du Village permet d’habiter un loft dans le quartier gay. Stefan en fait l’acquisition en 2002, rue Amherst. Le loft est déjà aménagé mais correspond tout à fait à des goûts typiques de gentrifieurs :
En visitant un autre appartement, les gens m’ont dit : « Allez voir sur Amherst, on va commencer à transformer une ancienne usine en lofts », l’idée me plaisait déjà, le vrai loft dans un ancien bâtiment des années 1950, on a visité l’usine qui n’était pas encore transformée et je pouvais avoir le dernier étage avec la terrasse [...]. J’aurais envisagé d’autres quartiers, mais toujours des quartiers industriels où de tels volumes existent, l’idée du vieux bâtiment qui prend une nouvelle allure, oui, ça, ça me plaisait beaucoup, le problème était aussi de trouver le bon plan et de ne pas s’éloigner non plus du centre. (Stefan, 43 ans, cadre financier de banque, couple cohabitant, propriétaire, Village)
31Là aussi, les différentes options d’aménagement du loft mettent au jour la question de la gestion matérielle et domestique de l’intimité dans les ménages gay. Stefan aménage d’abord le loft avec son premier compagnon et, initialement, les travaux incluaient la destruction de toutes les cloisons et l’absence de chambre en tant que telle. Après la séparation du couple, Stefan rencontre François, qui vient rapidement vivre avec lui dans ce loft. C’est l’occasion d’un réaménagement caractérisé, entre autres, par l’installation d’un immense rideau et d’une séparation plus nette entre la chambre conjugale et l’ensemble :
Mon copain précédent était plutôt du type minimaliste, donc c’était très sobre, très blanc, béton brut, métal, tu vois, mais François est plutôt couleurs, lui, donc on a repeint pour qu’il y ait plus de vie, on a mis beaucoup de meubles aussi, il fallait combler les vides. [Rire.] [...] Bon, au départ, on a décidé de tout abattre, il ne devait même pas y avoir de chambre en fait, tout était ouvert, puis il se trouve qu’on a trouvé, avec François, que c’était quand même bien de conserver la séparation, alors on a ajouté un rideau, c’est quand même plus sympa si quelqu’un vient de pouvoir fermer un peu, d’avoir son intimité. (Stefan)
32La manière dont les ménages gay sont composés apparaît ainsi, à travers les entretiens, comme un levier spécifique de la transformation du bâti. Il faut encore faire deux remarques au sujet de cette spécificité. Comme on l’a vu, elle renvoie à l’absence d’enfants, plus probable chez les gays que chez les autres, mais surtout, dans notre corpus, à l’absence de projets de parentalité. Si de jeunes couples, qu’ils soient homosexuels ou hétérosexuels, peuvent transformer des appartements selon des logiques similaires, il est plus remarquable que nos enquêtés continuent à vivre dans de tels logements au-delà de 40 ans. D’autre part, ce ne sont pas le caractère représentatif ni les effets quantitatifs de ces réhabilitations qui nous intéressent ici, mais plutôt la manière dont le fait d’être gay infiltre subtilement et sociologiquement le champ des pratiques résidentielles et peut avoir une influence sur les destinées d’un quartier, y compris dans ses aspects les plus matériels et physiques. L’analyse des travaux et aménagements effectués par les habitants gay du Marais et du Village permet de comprendre, à cette très petite échelle, comment les gays peuvent participer aux processus de gentrification d’une manière qui leur est propre. L’ensemble du matériau produit déborde évidemment l’espace domestique du logement qui ne donne à voir, ici, qu’un exemple du type de résultats établis dans cette recherche.
33La gaytrification est ainsi une forme de gentrification particulière : elle comporte des dimensions classiques de gentrification, qui ne lui sont pas spécifiques et qui ont déjà été étudiées par ailleurs, mais aussi des caractères et des effets qui lui sont propres et dont nous avons donné une illustration empirique. Plus globalement, notre recherche s’inscrit elle aussi en continuité avec certains travaux français, en même temps qu’elle renouvelle en partie le regard porté sur la mutation des quartiers centraux dans les métropoles occidentales. À l’heure d’une spécialisation croissante des domaines d’investigation de la sociologie, enquêter sur le rôle des gays dans la gentrification amène alors à faire dialoguer les apports d’une sociologie urbaine « classique » et d’une approche sociologique des homosexualités qui est plus récente en France. C’est là sans doute l’une des pistes qui doivent permettre de renouveler la sociologie urbaine francophone, en croisant des domaines aussi variés que la sociologie de la famille, la sociologie politique ou la sociologie du genre et des rapports sociaux de sexe. De ce point de vue, la sociologie urbaine francophone ne constitue sans doute pas un champ univoque et homogène. Les travaux canadiens francophones offrent les approches les plus innovantes et les plus stimulantes sur ce dernier point2, la sociologie urbaine française restant quant à elle encore insuffisamment ouverte, parmi d’autres, aux études de genre.
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Notes de bas de page
1 Citons les « Enquêtes presse gay » réalisées depuis le milieu des années 1980 et l’Enquête sur la sexualité en France pilotée par l’INED (Bajos, Beltzer & Bozon, 2008), ainsi que des travaux de la revue Population (Messiah & Mouret-Fourme, 1993 ; Schiltz, 1997). La surreprésentation masculine dans tous les échantillons disponibles concentre l’attention sur les gays au détriment des lesbiennes. Notre enquête n’a porté que sur les hommes homosexuels : le cas des lesbiennes renvoyant à des problématiques bien différentes de celles des populations gay, il supposerait une recherche encore différente.
2 Notamment les Cahiers de géographie du Québec.
Auteur
Maître de conférences en sociologie à l’Université Paris-Ouest Nanterre La Défense, où il est membre du laboratoire Sociologie, philosophie et socio-anthropologie politiques (Sophiapol, EA 3932). Il est aussi membre du Centre Max Weber (Université Lumière Lyon 2). Ses travaux portent sur les transformations des centres métropolitains, les dimensions spatiales de la socialisation et la sociologie des homosexualités. À la suite d’une thèse soutenue à l’Université Lumière Lyon 2 sur le rôle des gays dans la gentrification à Paris et Montréal, il a fait paraître plusieurs articles et publiera en 2014 Quartiers gays, aux Presses universitaires de France.
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La Jeune sociologie urbaine francophone
Retour sur la tradition et exploration de nouveaux champs
Jean-Yves Authier, Alain Bourdin et Marie-Pierre Lefeuvre (dir.)
2014