Pour une anthropologie poétique des expériences urbaines
p. 67-82
Texte intégral
1Objets classiques pour la sociologie et l’anthropologie contemporaines, la ville et plus généralement l’urbain suscitent l’intérêt de chercheurs de disciplines plus récentes comme les sciences de la communication. Elles contribuent à en renouveler l’analyse en permettant de saisir des dimensions qui ont été peu prises en compte jusque-là, comme la prégnance des médias ou les usages des technologies de la communication, pour lesquelles elles fournissent des méthodes d’investigation spécifiques. Par-delà l’introduction de thèmes porteurs dans le monde des études urbaines, ces approches reposent sur des constructions intellectuelles alternatives dans lesquelles les objets urbains catalysent les réflexions épistémologiques. Élaboré en dehors de la sociologie mais en dialogue avec elle, en particulier avec la tradition microsociologique américaine, mon travail cherche à décadrer les questionnements en faisant la part belle aux médiations matérielles, symboliques, sensorielles, en un mot esthétiques des expériences citadines. À l’instar de l’anonymat, auquel est consacrée ma thèse de doctorat, Corps à corps urbains, vers une anthropologie poétique de l’anonymat urbain (2007 a), initiée en sciences de l’information et de la communication et consacrée aux interactions dans les espaces publics parisiens, nombre de phénomènes urbains relèvent d’une véritable poétique. Non pas au sens des poètes et des rhéteurs ni tout à fait au sens de Pierre Sansot, qui accordait une importance cruciale aux rêveries des citadins et à l’expressivité des lieux (Sansot, 1971), ou encore de Jean-François Augoyard et Michel de Certeau, repérant les « figures de style » d’une rhétorique silencieuse (Augoyard, 1979 ; de Certeau, 1980). Il s’agit d’une poétique au sens étymologique d’une fabrication, c’est-à-dire d’un entrecroisement de perspectives, de pratiques, de dispositifs et de signes qui produisent l’expérience anonyme des sujets citadins.
2L’anonymat a les apparences d’un « corps à corps » structuré par une dynamique du regard. Le corps y opère selon une multitude de mises en jeu. On n’est effectivement pas pris dans les mêmes logiques du voir/être-vu selon son sexe, son âge, sa couleur de peau ou encore selon les lieux de la ville. Quels rôles jouent les apparences et les stéréotypes liés au corps et à ses nombreuses médiations dans la structuration des interactions en public ? Comment aborder l’esthétisation de la vie quotidienne affectant autant la ville que les corps, permettant ou interdisant de passer inaperçu dans la foule ? Comment se construisent en situation urbaine la coprésence et la visibilité réciproque des individus censées caractériser les espaces publics urbains (Joseph, 1998) ?
3J’ai choisi pour mes enquêtes d’aborder la ville par ses « espaces publics », et de ne retenir que des lieux véritablement ouverts à tous. L’indifférence théoriquement polie et mutuelle, cette forme de réserve à l’égard des autres autrement qualifiée d’« inattention civile » par Goffman (1959, 1973, p. 253), est en effet indissociable d’une théorisation de l’espace commun dans les sociétés démocratiques. De Georg Simmel à Isaac Joseph en passant par Richard Sennett, nombreux sont ceux qui ont mis en avant, pour penser l’urbanité, ces espaces dans lesquels l’étranger serait accueilli sans stigmatisation. Ces conceptions laissent assez peu de place aux singularités portées par les corps et appellent une description des événements ordinaires de la vie urbaine, description reposant sur une économie des regards qui en réalité produit de la différence.
4J’ai construit et expérimenté dans ma thèse une approche visant à analyser ensemble la production concrète d’espaces urbains spécifiques, l’imaginaire dans lesquels ils sont pris et les sociabilités ordinaires qu’ils rendent possibles. J’articule pour cela plusieurs démarches : la sémiotique (du corps, de l’architecture mais aussi des images qui composent nos environnements urbains), l’ethnologie critique et l’anthropologie visuelle. Le film et la photographie constituent en effet pour moi de véritables outils d’investigation1. Je propose de montrer ici en quoi l’attention portée à la circulation sociale des savoirs, au corps et au devenir-image contemporain contribue à la construction d’analyseurs pertinents au cœur d’une véritable anthropologie poétique des expériences urbaines. Je présenterai peu de résultats et préférerai adopter la perspective d’un dialogue théorique empiriquement nourri avec la sociologie.
L’URBAIN, LE CORPS, LE REGARD : DES ANALYSEURS EN JEU
5L’approche des phénomènes urbains en dehors des disciplines de référence que sont la sociologie, l’histoire ou encore la géographie doit passer par une redéfinition des objets scientifiques. En sciences de la communication, il n’y a pas de tradition épistémologique constituée. Tenter de se saisir des pratiques et des imaginaires contemporains dans ce champ caractérisé par son interdisciplinarité (Jeanneret & Ollivier, 2004) conduit de fait à l’élaboration de postures qui à la fois s’appuient sur les savoirs hérités et rompent avec eux.
6L’exploration du sort et des ressorts de l’anonymat urbain a supposé une certaine créativité, notamment méthodologique, pour penser cet objet d’autant plus flou qu’il semblait tomber sous le coup d’une évidence. L’anonymat est si facilement associé à la grande ville et aux espaces publics urbains depuis le xixe siècle qu’il n’est, curieusement, presque jamais interrogé. Il semble en réalité avoir aussi peu intéressé les penseurs de la ville qu’il a fasciné les artistes. La sociabilité a longtemps été pensée en référence à une convivialité de type villageoise ou communautaire. Essayant de se distinguer d’une « anthropologie des enclaves » (Joseph, 1983, 1996, p. 13), Ulf Hannerz critiquait déjà dans les années 1970 le regard porté par l’anthropologue en ville participant à la production symbolique de « villages urbains » (Gans, 1962).
7Observer la sociabilité des flux et des rassemblements publics permet de comprendre qu’il n’est pas si simple, en réalité, de passer inaperçu ni de susciter l’indifférence polie et mutuelle que théorisait Goffman. Le passage d’identités d’interconnaissance à d’autres formes identitaires, prises dans le ronronnement d’une inattention supposée généralisée, mérite qu’on s’y arrête, peut-être même qu’on aborde par-là certains des phénomènes urbains contemporains, suivant ainsi la voie ouverte par Colette Pétonnet dans les années 1980. Dans « L’anonymat ou la pellicule protectrice » (1987), elle invitait en effet les chercheurs à décrire cette forme particulière de réserve à l’égard d’autrui qui rend possible la vie individuelle au milieu de la multitude. Ce faisant, elle amorçait un déplacement du regard jusque-là très globalisant et le plus souvent négatif – sans être analysé, l’anonymat, comme catégorie unifiante, constitue le lieu commun de bon nombre de travaux sur l’urbanité contemporaine.
8L’objet de ma thèse a bien été d’analyser ce qui se joue dans les moments de l’urbain où la sociabilité repose sur l’évitement des corps dans la foule, sur l’échange ou l’absence de regards, sur une même orientation des visages dans des dispositifs architecturaux singuliers. Il s’agissait pour moi de prendre au sérieux ces situations urbaines quotidiennes dans leur trivialité et de déconstruire la manière dont se produisent les infimes ajustements identitaires nécessaires à ce que Louis Quéré nomme les « procédures d’accomplissement d’une étrangeté mutuelle » (Quéré & Brezger, 1993, p. 89). Plongeant l’individu dans un véritable corps à corps, l’anonymat des grandes villes conduit le chercheur à prêter une attention particulière aux dimensions sensibles et subjectives de l’expérience urbaine. Il le pousse du côté du discret, de l’éphémère, du fugitif, l’invitant à « observer les détails » (Piette, 1996) et à repérer de « tout petits liens » (Laplantine, 2003).
9Tenter de penser l’anonymat m’a poussée à confronter des objets particulièrement investis par les sciences sociales au xxe siècle : l’urbain, le corps et le regard. Cette triade constitue le cœur de mon travail, chacun de ces éléments se transformant tour à tour en analyseur des autres selon les moments et les lieux de ma recherche. La ville compose un cadre actif de contextualisation et de politisation de l’expressivité du corps et des pratiques de déchiffrement auquel il donne lieu. L’image constitue un accès privilégié à la discipline des regards qui affecte tout particulièrement les interactions corporelles anonymes. Le corps ancre l’analyse des pratiques sociales en ville dans une approche radicalement matérielle, par le double recours à l’anthropologie et à la sémiotique. Elles permettent de poursuivre les analyses là où la sociologie généralement s’arrête. Sur le plan méthodologique, l’ethnographie rend possible une sémiotique située, qui se distingue des plongées exclusives dans l’immanence de corpus construits de manière systématique, selon cette tradition disciplinaire (Fontanille, 2006.) La prise en compte des images comme autant de médiations du social permet à rebours de développer une ethnographie originale, donnant accès à des régimes d’expressivité du corps qui échappent à la seule situation observable, mais qui en organisent le fonctionnement.
LES ESPACES PUBLICS... URBAINS, DÉTOUR MYTHOLOGIQUE
10S’aventurer sur le terrain apparemment bien balisé de l’espace public urbain implique de lever le voile – théorique – d’une évidence, celle de la désignation de certains espaces comme « publics » dans un contexte de « franchisation » des villes (Mangin, 2004), d’extension des formes de « résidentialisation » et de généralisation de nouvelles procédures de contrôle dans les espaces juridiquement régis par une liberté de circulation2. Je propose d’analyser le statut et la portée discursive du concept d’espace public à partir d’un retour sur son introduction en sciences humaines.
Les vertus politiques d’une qualification philosophique
11On peut d’emblée remarquer le caractère paradoxal du concept d’espace public, introduit dans le champ urbain pour dénoncer une disparition (Tomas, 2002)3. Si l’appellation suscite des airs entendus, elle cache en réalité d’étonnants problèmes de définition que le Code de l’urbanisme ne résout pas, même partiellement. D’ailleurs, l’espace public ne figure pas en tant que tel dans les réglementations sur la ville ; seuls les espaces verts et les voiries font l’objet de textes spécifiques. L’espace public ne saurait être assimilé à l’ensemble de ce qui relève juridiquement du « domaine public » : espaces minéraux, espaces verts, mais aussi édifices publics qui en pratique peuvent être fermés au public. La notion d’espace public est en fait de plus en plus souvent utilisée par les urbanistes et les architectes d’une part, les politiques d’autre part, mais aussi les sociologues et les penseurs de la vie urbaine, pour désigner des lieux bâtis de droit privé comme les gares, les cafés ou les centres commerciaux.
12La polysémie de l’« espace public » contribue à en étendre la portée : il désigne aussi bien des lieux (agora, salon, café, place publique, parlement, etc.) que le principe constitutif découlant d’une action politique. Il renvoie à des notions empiriques comme la « cité grecque » ou la « société bourgeoise » et constitue en même temps une norme qui dépasse les particularités historiques. C’est d’ailleurs dans le contexte de la philosophie politique allemande qu’il est introduit par Habermas, s’appuyant à la fois sur les travaux de Kant et d’Hannah Arendt (Habermas, 1962, 1993)4. Qualifier un lieu d’« espace public » produit des transferts de sens positifs. L’expression est en effet porteuse d’une conception normative valorisante de la sociabilité et de la communication. Décrire des espaces comme « publics » revient à hiérarchiser les lieux en fonction des logiques sociales qu’ils abritent, l’ouverture et la circulation des personnes s’opposant au repli identitaire ou communautaire associé, depuis Hannah Arendt, au monde privé (Arendt, 1958, 1993 ; Sennett, 1979), puis, par extension, au territoire (Lamizet, 2002).
13Ce mouvement de politisation positive est déjà repérable dans le glissement discursif courant d’« urbanité » à « civilité », voire à « citoyenneté » – et ce quelles que soient les sphères : architecture, urbanisme, médias, mais aussi philosophie. L’espace urbain est d’ailleurs couramment présenté comme l’espace politique par excellence. On comprend dès lors les usages instrumentaux du concept pour défendre des projets architecturaux et urbains (et le succès d’appellations fortement connotées comme « forum », « agora » ou même « piazza »). Créer un espace public revient à promettre un espace de sociabilité pensée selon le modèle démocratique valorisé de l’équivalence formelle des sujets5.
14Qu’en est-il toutefois de la sociologie ou de l’anthropologie urbaine, plus attachées, a priori, à décrire et analyser des pratiques effectives qu’à porter un regard normatif ? Comment ne pas interroger l’inattention civile goffmanienne à partir d’une telle perspective ? Dans quelle mesure et de quelle manière le poids philosophique du concept pèse-t-il sur ses multiples évocations ? Entre un usage courant et un usage plus savant, pour lequel l’œuvre d’Isaac Joseph constitue une référence incontestée, usage qui convoque explicitement l’héritage philosophique et politique lié au concept d’espace public, se dessinent les contours d’une problématique qui rencontre celle de l’anonymat urbain.
15« Concept d’importation » pour les sciences humaines, selon les termes de Philippe Chanial (1992, p. 64), l’espace public est classiquement entendu selon deux conceptions : un espace de visibilité et de coprésence, ou un espace simplement commun. Les travaux portant sur les « espaces publics urbains », selon l’expression utilisée par les chercheurs de l’École de Chicago, sont, dans une telle optique, distincts de ceux qui portent sur l’espace public médiatique auquel s’est consacré Jürgen Habermas. Isaac Joseph lui-même participe à l’institution de cette coupure, en distinguant nettement une acception kantienne, dans laquelle l’espace public est un espace de débat et de controverse, acception formalisée dans une « éthique procédurale de l’“agir communicationnel” » (Joseph, 1998, p. 12), d’une conception plus sociologique, inspirée de la microsociologie américaine et dans laquelle l’espace public est un « milieu de visibilité et d’observabilité réciproque » (p. 211).
16« Le passage de la conversation à la rue n’est ni sans conséquence ni sans difficulté conceptuelle », souligne Isaac Joseph (p. 13), dont le travail propose en quelque sorte d’échapper à une « dégradation empirique des concepts en sociologie » (Chanial, 1992, p. 64). Isaac Joseph produit une définition de l’espace public restrictive mais opératoire pour les analyses microsociologiques : elle met en évidence que l’espace public urbain n’est pas seulement un espace libre, ouvert, « simple dégagement ou prolongement de l’espace privé du logement, ni même l’espace appropriable par une collectivité de voisinage » (Joseph, 1998, p. 15). L’espace public est au contraire un « dispositif de dramatisation de l’intersubjectivité pratique » (p. 14) dans lequel les identités sont problématiques.
L’étranger sociologique ou la différence sans qualités
17L’« utopie pratique » d’Isaac Joseph ouvre sur l’horizon de la rencontre du « tout un chacun », qui se transforme subrepticement en un autre « quelconque », un « quidlibet », c’est-à-dire « n’importe lequel », précise Giorgio Agamben dans son traité sur la « singularité quelconque » (1990, p. 10). La célèbre figure de l’« étranger » empruntée à Georg Simmel (1908, 1984) incarne d’une certaine manière cette altérité abstraite. Pour Isaac Joseph, un espace public est un espace soumis à un « droit de visite », non à un droit d’entrée, un espace où l’étranger peut être accueilli sans qu’il soit fait mention de son statut, c’est-à-dire dans l’indifférence. « Un espace public, écrit-il, est un espace où l’intrus est accepté [...]. C’est s’accorder le droit d’être négligé et le donner à tous » (Joseph, 1984, p. 41). Il s’inscrit ainsi dans la lignée de Goffman dont il reprend l’idée d’inattention civile. À la suite de Claudine Haroche, on peut chercher à comprendre la normativité implicite de ces conceptions à partir de l’idéal politique démocratique :
En supprimant les attentions inégalitaires, la démocratie, ignorant d’une certaine manière ce besoin d’attention, aurait de fait imposé une égale inattention. On touche ici à une des apories des sociétés démocratiques : le fait d’être « également regardé » entraînerait celui d’être regardé « dans l’inattention et l’indifférence ». (Haroche, 2004, p. 149)
18La focalisation sur l’inattention et l’indifférence fait disparaître ce qui relève au contraire de la remarque, de la distinction, de la stigmatisation à laquelle Goffman consacre pourtant une partie importante de son œuvre. La figure idéaltypique de l’étranger, récurrente en sociologie urbaine (même si tous les chercheurs ne la situent pas dans la seule tradition simmelienne), est une altérité sans qualités, désincarnée en quelque sorte, ni homme ni femme, ni jeune ni vieux, ni blanc ni noir... La variabilité des apparences corporelles règne pourtant en maître dans les interactions anonymes et soumet constamment la sociabilité au principe de l’« intrigue » identitaire (Abel, 2001, p. 265).
19En France, l’idéal démocratique pèse de façon symptomatique sur la définition et l’approche des espaces publics urbains, qui sont pris entre des conceptions utopiques et des approches plus concrètes les réduisant à des espaces d’interaction en public sans spécificité. Il semble dès lors important de faire appel à la microsociologie américaine, qui aborde d’emblée des questions encore trop souvent taboues en France comme les questions d’ethnicité (Wieviorka et al., 1996 ; Raulin, 2000), auxquelles je me suis aussi intéressée en n’éludant pas les modalités d’évocation de la « couleur de la peau » et des traits lus encore aujourd’hui comme « phénotypiques ». J’y consacre une part de mes analyses empiriques (2004 ; 2010). L’ethnicité n’est pas la seule entrée problématique sur le terrain de l’espace public. J’ai travaillé sur les formes de stigmatisations liées à l’âge en focalisant une partie de mon travail sur la perception des « jeunes » en ville, en particulier sur ceux qui sont triplement stigmatisés par leurs origines géographiques, sociales et ethniques supposées. J’ai également travaillé sur l’épreuve que constitue l’espace public urbain pour les jeunes femmes en me demandant, à partir des travaux d’Isaac Joseph, ce qu’il adviendrait de ces espaces publics si les « passants considérables » étaient tout simplement... des passantes (Jarrigeon, 2009).
DES INTERACTIONS À LA MIMESIS : UNE POÉTIQUE DU CORPS SITUÉ
20S’intéresser aux opérations symboliques de production de l’espace public urbain permet de nourrir une réflexion travaillée par ce que Roland Barthes nomme « la force fantasmatique en général du Vivre-Ensemble » (2002, p. 35). Lorsque j’ai abordé les interactions anonymes à Paris, j’étais plutôt guidée par le travail d’Isaac Joseph et convaincue de l’efficacité des outils forgés par Goffman pour analyser les « relations en public ». J’ai cherché à échapper à l’un des effets paradoxaux de leur perspective prenant la forme d’une double tendance à la neutralisation : celle des apparences singulières d’une part, et celle de l’espace urbain d’autre part – ce qui conduisait à faire bouger le cadre interactionniste.
L’espace, ni métaphore, ni décor
21Ce n’est en effet pas le moindre des paradoxes des travaux sur l’espace public inspirés par Hannah Arendt – elle-même attentive aux formes de la distance, à ce qui relève de la matérialité des dispositifs ou, pour le dire dans des termes plus contemporains, aux médiations humaines – que l’espace y soit souvent réduit à un simple statut métaphorique. L’espace public politique est caractérisé par un régime de réversibilité généralisée des positions et des perspectives plurielles qui s’y trouvent en présence. Isaac Joseph en fait un « ordre des interactions et des rencontres » présupposant une « réciprocité » (1998, p. 30). Se trouve en jeu, théoriquement du moins, la possibilité d’une approche énonciative de l’espace où les différentes places concrètes des acteurs demandent à être décrites puis analysées.
22J’ai tenté cette approche énonciative par le recours à l’observation située, à la description matérielle – souvent instrumentée par la photographie – et la mise en œuvre d’une sémiotique architecturale. Je me suis notamment intéressée à des lieux associés à de forts gestes architecturaux, comme la piazza Beaubourg ou le parc de la Villette, ou très décriés, comme le forum des Halles. De l’urbanité spectacularisée par le dispositif disciplinaire de la piazza Beaubourg6 à la superposition des entre-soi, que ponctuent des moments de fusion dans des collectifs éphémères, sur les pelouses du parc de la Villette, en passant par les déambulations souterraines et aveugles des limbes du forum des Halles, toute une esthétique des foules configurée par la matérialité urbaine se donne à lire dans les lieux de la capitale (Jarrigeon, 2012 a et c).
23En cherchant à analyser les effets des constructions et des ambiances sur les relations sociales qui s’y déploient, j’ai été étonnée de découvrir que peu de spécialistes de l’urbain s’y intéressaient directement. Dans mon travail, l’attention portée à la matérialité urbaine comprend aussi les images multiples qui composent le cadre perceptif des citadins. Cette approche sensible, délibérément phénoménologique, m’a rapprochée des recherches conduites au sein du CRESSON7 autour de Jean-François Augoyard, Rachel Thomas, Jean-Paul Thibaud et Grégoire Chelkoff. Les interactions visuelles et la poétique de la « présence » d’une sociabilité pensée comme « coprésence » sont notamment orchestrées par les multiples « mises en vue architecturales » qui structurent l’expérience corporelle de la ville (Chelkoff& Thibaud, 1992, p. 7). Les instruments de prise de vue (filmiques et photographiques) constituent des outils d’investigation particulièrement intéressants, parce qu’ils confrontent concrètement le chercheur-photographe aux configurations matérielles.
24Mettre en doute l’évidence de la coprésence dans les espaces publics urbains peut conduire à refuser d’en faire le modèle des interactions urbaines. C’est par exemple la posture de Ulf Hannerz (1983). La mienne a plutôt été de prendre au sérieux ce mythe de la sociologie urbaine et d’en expérimenter la portée pratique, parce qu’il nourrit un autre mythe, auquel est consacrée ma thèse : celui de la neutralisation des apparences anonymes. La critique de la neutralisation des espaces physiques rejoint celle d’une conception de l’homogénéisation des usages de l’espace et des expériences individuelles dans un anonymat collectif indifférencié. Il convient d’en arriver enfin aux corps urbains et d’indiquer comment mon travail se situe par rapport à l’interactionnisme goffmanien qui l’a fortement inspiré.
Le corps au-delà de l’interaction
25Le titre même de ma thèse indique son inspiration interactionniste ; il renvoie plus généralement au courant de recherche américain connu en sciences de la communication sous le nom d’École de Palo Alto (Winkin, 1981, 2000). Une part de mon travail sur le corps, sans doute la plus éloignée des problématiques proprement urbaines, consiste en une discussion théorique de la kinésique de Birdwhistell, qui m’a par ailleurs permis de mettre en évidence des ballets interactionnels et de repérer de véritables chorégraphies urbaines : des agencements et mouvements corporels, réalisés à des rythmes spécifiques, en lien avec l’espace urbain, et dont il est possible de reconstituer la partition invisible. J’ai mobilisé tour à tour les outils de la proxémique proposés par Hall et ceux de la « communication non verbale » synthétisés par Cosnier (2001).
26Le travail des apparences passe toutefois par des rhétoriques corporelles et des jeux interprétatifs qui invitent à ne pas céder aux tentations d’un certain réductionnisme éthologique. Toute une sémiotique ordinaire y est à l’œuvre et relève d’une analyse discursive de récits urbains, le plus souvent produits en dehors des interactions. J’ai réalisé des enquêtes par entretiens pour saisir la subtilité de ce registre interprétatif qui donne accès aux « attentes normatives », aux perceptions fluctuantes des « stigmates » (Goffman, 1963, 1975), mais aussi à leurs multiples renversements (Jarrigeon, 2010). Les matériaux ainsi produits ne font pas l’objet d’une analyse thématique de contenu, comme c’est généralement le cas en sociologie, mais d’une analyse de discours, qui se focalise sur la construction de la posture subjective du locuteur par rapport à ce qu’il évoque (Charadeau & Mainguenau, 2002). Mon travail sur le régime du stéréotype dans la perception des jeunes citadins a fait apparaître des savoirs de la désignation particulièrement subtils, sous la forme d’une rhétorique des « frontières ». Leurs discours comme leurs manières d’être, leur gestuelle ou leur façon de porter certains attributs du corps, livrent à l’observateur attentif de multiples indices de leur posture quant à ce qu’ils montrent d’eux. Lorsqu’on analyse, en parallèle de ces discours et des observations ethnographiques, un corpus de textes médiatiques et scientifiques et d’images ayant trait à ces « jeunes8 », le plus frappant est que ces compétences de distanciation leur sont généralement déniées par les adultes, y compris par certains sociologues ou anthropologues. Les « jeunes », quels que soient les univers de référence qu’ils convoquent en se présentant sur les scènes urbaines, sont le plus souvent réduits à n’être que ce qu’ils sont censés représenter, sans que les jeux et les écarts qui caractérisent pourtant le régime des apparences soient pris en compte. Ils ont beau emprunter d’autres traits, mélanger discrètement et parfois involontairement les genres, jouer avec des cartes stylistiques dissonantes, ils font l’objet d’une réduction identitaire commune qui révèle une forme particulière de déconsidération : celle de leur compétence de sujet (Jarrigeon, 2010).
27L’anonymat urbain se présente en fait comme un ensemble de performances individuelles qui actualisent un ordre des visibilités qui les dépassent et dans lesquelles intervient la lisibilité des corps selon des modalités qui ne permettent de toute façon pas d’y arrêter les analyses. Le corps à corps ne saurait être réduit à sa seule dimension interactionnelle. D’innombrables « doubles » entrent dans ce ballet communicationnel et méritent d’être pris en compte dans une approche intermédiatique qui permette effectivement d’analyser la manière dont se produisent les relations entre corps anonymes. Pour Goffman lui-même, l’interaction ne se limite jamais à une simple séquence d’actions-réactions limitée dans le temps et dans l’espace ; elle est toujours un certain type d’ordre social. S’il ne faut pas nier ni minimiser la part conscientisée des interactions, leur caractère instrumental, négocié, elle ne doit pas effacer ce qui échappe à l’individu, ce qui le prend plus qu’il ne se saisit, ce qui le pousse plus qu’il ne se meut. La métaphore théâtrale présente une forme de réduction que je qualifierai de scénique. D’autres métaphores analytiques peuvent servir l’étude des pratiques sociales, en faisant apparaître des modalités configurantes et des modèles de référence qui ne soumettent pas obligatoirement les comportements à des conduites stratégiques. Comme le soulignent Gunter Gebauer et Christoph Wulf :
Les stratégies et les calculs ne sont qu’un aspect des rituels sociaux, aspect qui dépend d’un second : celui qui montre comment les personnes se conduisent physiquement [...]. C’est là que le mimétique se développe. (Gebauer & Wulf, 1998, 2004, p. 35)
28Ils associent le recours à la mimesis avec la critique d’une sociologie désincarnée et font de l’analyse des processus mimétiques un enjeu particulièrement fort d’une approche du social qui n’en nierait pas la dimension esthétique. Des actes peuvent être définis comme mimétiques s’ils sont des mouvements « se référant à d’autres », s’ils peuvent être considérés comme des sortes de scènes physiques possédant un aspect représentatif et démonstratif. Cela suppose de penser un certain équilibre entre l’autonomie singulière et l’insertion dans le groupe. La foule anonyme invite tout particulièrement à étudier la circulation de références communes dans le télescopage ordinaire des modes de présentation de soi – gestes, vêtements, attitudes, objets... De ce point de vue, elle constitue un mode d’accès particulier pour l’analyse de ce qu’Yves Jeanneret nomme la « trivialité » (2008).
29Il est possible de tisser toutes sortes de liens, des plus évidents au plus évanescents, entre les corps observables in situ et les multiples figurations auxquelles ils ont donné et donnent encore lieu. Cette activité de tissage, pour être celle du chercheur qui instrumente parfois son regard – c’est mon cas, par le film et la photographie –, n’en est pas moins celle qui régit une partie des rapports au quotidien. De la « ressemblance » évoquée par tous à la mimesis reconstruite par l’analyse se joue le « parcours de la reconnaissance » (Ricœur, 2004) au cœur du régime de l’anonymat.
30Dans ma thèse, j’ai essayé de clarifier ce qui relève de la mise en œuvre de codes comportementaux, gestuels, vestimentaires, et de leur mode d’appréhension sur ces scènes urbaines spécifiques que sont les espaces publics parisiens, tout en ne négligeant pas ce qui se joue dans d’autres dimensions de la perception comme la résurgence de certaines formes, souvent des « poses », qui inscrivent le corps à corps vivant dans l’histoire occidentale de la perception et de la représentation des corps. De multiples figurations entrent dans la constitution de notre imaginaire contemporain. Les formes actuelles travaillent avec les formes anciennes dont la prise en compte permet de comprendre l’épaisseur historique des relations de corps à corps aujourd’hui. Les médiations redondantes, celles de la culture « commune » (médiatiques en général et publicitaires en particulier), trouvent une place à côté d’autres formes plus rares, plus personnelles, parfois plus savantes et souvent plus réflexives, qui relèvent plutôt des mondes de l’art. Les inclure dans l’analyse ne suppose pas une description exhaustive, nécessairement vouée à l’échec, mais la reconstitution de ce qui passe d’un espace de pratiques à un autre. Dans cette optique, j’ai étudié entre autres un mythe emblématique des cultures urbaines et associé à mon terrain des Halles : le style hip-hop et ses multiples vibrations. J’ai travaillé sur la circulation des attributs, des références vestimentaires et gestuelles, depuis le cercle des experts esthètes (le plus souvent des artistes associés « au mouvement » dès l’origine) jusqu’aux appropriations banalisées et moins savantes, liées à la massification culturelle du rap et au marketing qui l’accompagne.
31L’enjeu d’une approche en termes de mimesis est bien de déplacer la focale, depuis une conception trop extérieure, déterministe, ou trop abstraite, vers une prise en compte des individualités qui ne les réduise pas à la seule mise en œuvre de stratégies. La notion de mimesis invite à interroger les modèles, éventuellement figuratifs, de l’action sociale, ce qui provoque une rupture dans la tradition d’approche du corps. Penser le corps dans les sociabilités ordinaires implique précisément d’analyser les articulations subtiles, faites de reprises, d’imitations, d’inspirations, entre les corps vivants et les multiples figurations qui permettent de le saisir. Les rapports entre le vivant et le figuré sont loin d’être réductibles à une coupure radicale, ce que l’expérience de l’urbain rappelle constamment. La ville produit en effet de curieux mélanges de corps, elle organise la coprésence des citadins et d’une multitude de représentations du corps à toutes les échelles : sur les murs, les abribus, les kiosques à journaux, au milieu des fontaines, le long des couloirs du métro, soutenant les étages des bâtiments anciens, dans les vitrines de magasins, etc. J’ai réalisé plusieurs séries photographiques saisissant ces ensembles corporels et jouant avec les ressemblances vestimentaires ou gestuelles jusqu’à semer une forme de confusion perceptive entre les corps vivants et les corps figurés (2005).
32Il s’est finalement agi pour moi de comprendre les conditions dans lesquelles s’instaure la lisibilité des corps dans la ville. L’intelligibilité des apparences et les codes qui la construisent se situent en effet dans le champ de la pratique interprétative quotidienne et s’articulent avec les expériences visuelles plus généralement proposées par la ville. La surface des lisibilités, qui sert de support à toute une sémiotique spontanée, fournit un socle reconnaissable, rassurant même, à une autre approche du visible qui offre une perspective phénoménologique sur le rapport au monde au-delà des visibilités. Car c’est bien en dehors de la « tyrannie du lisible », selon l’expression de Georges Didi-Huberman (1990, p. 10), que se joue profondément l’expérience de l’urbain. Le voir/être-vu n’est soumis que de façon superficielle à des processus de décodage. Ce sont bien plus les « entrelacs » (Merleau-Ponty, 1964) qui travaillent profondément le corps à corps urbain : les écarts entre ce qui est soumis au regard et ce qui lui échappe, entre le visible et l’invisible, entre les impressions et surimpressions visuelles. Le refus d’une « fermeture du visible sur le lisible » (Didi-Huberman, 1990, p. 25) permet de distinguer, dans les relations anonymes, ce qui relève de l’apparition comme événement phénoménologique, de l’apparence comme modalité symbolique et du paraître.
LE CHERCHEUR ET SES DOUBLES : RÉFLEXIVITÉ ET EXPÉRIMENTATIONS PHOTOGRAPHIQUES
33L’économie des regards à l’œuvre dans les situations d’anonymat conduit à l’adoption d’une approche multifocale, attachée à rendre compte de la pluralité des pratiques interprétatives qui organisent la perception des corps anonymes. Cela suppose de la part du chercheur non seulement un certain décentrement – nécessaire à l’empathie qui permet de prendre en compte l’expérience d’autres sujets sociaux –, mais aussi la mise en œuvre d’une réflexivité radicale, au fondement d’une considération de l’autre comme alter ego. Mon travail propose une approche située, à partir de ma propre posture et de ce qu’elle me permettait d’expérimenter de l’anonymat comme expérience collective et individuelle.
34L’analyse des modalités concrètes de production de l’anonymat par certains individus multipliant les « stigmates » et celle des effets de ma propre présence de jeune femme dans les interactions anonymes, m’ont permis de mettre au jour certaines spécificités des performativités en jeu. Par exemple, les conceptions neutralisantes des interactions dans les espaces publics urbains ne résistent pas à une analyse des rapports sociaux de sexe qui s’y déroulent. La ville présente en effet des scènes d’exposition dans lesquelles les femmes, surtout si elles sont jeunes, ont beaucoup à faire pour se produire comme des présences légitimes (Jarrigeon, 2009). Elles expérimentent quotidiennement l’impossible « réversibilité » des perspectives et des « observabilités » qui sont pourtant érigées en principe de fonctionnement des espaces publics. Elles font l’objet d’une hyper-exposition aux regards, masculins comme féminins, et sont soumises à une discipline du corps particulièrement contraignante ainsi qu’à un contrôle de leurs propres manières de regarder. Cette approche genrée de la production de soi dans des espaces traditionnellement pensés à partir de leur accessibilité de principe a été d’autant plus intéressante à conduire qu’elle s’avérait relativement peu explorée, alors même que les murs des villes rappellent quotidiennement la construction des regards par une figuration obsessionnelle des corps féminins. Il m’a été permis d’échapper un peu à cette assignation à être regardée à laquelle sont soumises les jeunes femmes, lorsque j’ai commencé à parcourir la ville avec un appareil photo et une caméra. J’ai pu redéfinir les situations en me produisant moi-même comme un œil au cœur de la dynamique du voir/être-vu et en me soustrayant ainsi momentanément au régime des visibilités qui instituent le corps comme objet visuel.
35Cet usage expérimental de la photographie a nourri une réflexivité composite, tirée entre deux formes d’implications subjectives sur le terrain : celle, proprement corporelle, liée à ma condition féminine et celle, plus conjoncturelle, provoquée par mon statut apparent de photographe. Ma pratique du film et de la photographie se situe très souvent dans cette exploitation réflexive. Il ne s’agit jamais pour moi de documenter les situations urbaines sur le mode de l’enregistrement mécanique, à rebours d’un usage plus attendu de la photographie documentaire scientifique. Dans mon travail sur l’anonymat, faire des images me situait au cœur des interactions visuelles qui m’intéressaient. L’acte photographique lui-même servait l’analyse en catalysant la réflexion sur la légitimité et la fragilité de la présence dans l’espace public.
36Nourrie par un intérêt pour la plasticité du monde, l’anthropologie poétique dans laquelle ma pratique photographique trouve sa place ne peut faire l’économie de sa propre poéticité, c’est-à-dire de la matérialité de son énonciation. La circulation des signes auxquels s’accrochent les interprétations triviales dessine l’espace d’une intersémioticité qui, pour être celle de mon objet, n’en est pas moins constitutive de ma propre écriture, entre le texte (pris dans un sens classique) qui met en jeu une intertextualité scientifique et littéraire, et l’image qui s’inscrit dans un système plus ou moins contrôlé de références formelles.
37L’entrecroisement des savoirs à l’œuvre dans ce qui relève d’une véritable polyphonie des apparences implique bel et bien une démarche attachée à rendre compte du tissage des regards et des modes d’exposition du corps dans des cadres matériels actifs. Parti d’un double regard critique porté sur les conceptions des espaces publics urbains et sur les approches de l’expressivité du corps le plus souvent soumis à des procédures de décodage systématique, mon travail sur l’anonymat m’a conduit à élaborer une approche intermédiatique sensible et volontiers expérimentale. Les composantes de l’anthropologie poétique ainsi dessinée sont hétérogènes. L’urbain, le corps et le regard s’y rencontrent de façon dynamique. Je m’attache à la fois à la matérialité des dispositifs et des espaces, aux imaginaires, à la circulation sociale des savoirs et des catégories perceptives qui l’instituent. Par bien des aspects, les considérations esthétiques confinent au politique, tous deux travaillés par la question du sensible et du rapport à l’autre.
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Notes de bas de page
1 Ils peuvent donner lieu à des formes spécifiques de restitution comme dans le cas de mes films La Ville au téléphone (2004) ou La Villette-vies (2007), ou de mes expositions de photographies : Gerland, vues rapprochées, exposition en plein air, Lyon (2008), Gerland, état de lieux, exposition à la galerie La Librairie, ENS-LSH, Lyon (2009), ou encore Picturing Cities, avec Arnaud Brihay, Aurélie Pétrel et Lu Yanmin, musée Xuhui, Shanghai (2010).
2 Mon travail s’est appuyé sur la réalisation de plusieurs monographies d’espaces publics parisiens : les Halles, la piazza Beaubourg et le parc de la Villette. Ces monographies ont donné lieu à des publications sous forme comparée (Jarrigeon, 2012 a) ou séparément (Jarrigeon, 2007 b, 2012 c).
3 Les propos qui suivent s’appuient sur l’analyse discursive d’un corpus hétérogène de textes scientifiques, de discours politiques, d’articles de presse, d’extraits de cahiers des charges de projets architecturaux (en particulier liés à mes monographies parisiennes).
4 Habermas emploie le terme allemand Öffentlichkeit, traduit par « espace public » en français.
5 Ce volet discursif a un pendant plus ambivalent chez les politiques et les concepteurs qui, dans les projets, associent l’espace à la sécurité publique, ce qui participe par exemple à la production de nouvelles architectures défensives. De ce point de vue, méritent d’être prises en compte certaines formes architecturales, mais aussi l’ingénierie des lieux publics et l’évolution des systèmes de surveillance contemporains.
6 Les caractéristiques architecturales de la piazza Beaubourg répondent à l’interprétation du célèbre panoptique de Bentham par Foucault (1975) : l’ensemble de ce qui se passe au sol est rendu accessible aux regards ; l’échange des postures d’observateur et d’observés caractérise les interactions dans cet espace. La transparence du bâtiment et en particulier celle des coursives et des escaliers roulants renforcent cet effet de surveillance au cœur de l’autodiscipline analysée par Foucault. Cette matérialité urbaine joue un rôle important dans l’ordre impressionnant qui règne à Beaubourg malgré la foule.
7 Centre de recherche sur l’environnement sonore, laboratoire de l’école d’architecture de Grenoble créé en 1979 par Jean-François Augoyard.
8 J’emploie délibérément le terme et les acceptions qu’il comporte, car il circule sous cette forme et m’intéresse à ce titre.
Auteur
Anthropologue, docteure en sciences de l’information et de la communication, maîtresse de conférences en urbanisme et aménagement à l’Université Paris-Est, membre du laboratoire Ville mobilité transport (UMR Université Paris-Est Marne-la-Vallée, École nationale des ponts et chaussées, Institut français des sciences et technologies des transports, de l’aménagement et des réseaux). Soutenue en 2007 au CELSA (Centre d’études littéraires et scientifiques appliquées, Université Paris 4), sa thèse s’intitule Corps à corps urbains. Vers une anthropologie poétique de l’anonymat parisien. Ses recherches actuelles portent sur les pratiques, les représentations et les imaginaires de la ville et de la mobilité. Sa démarche se situe à la croisée de l’ethnologie, de la sémiotique et de l’anthropologie visuelle. Également photographe et vidéaste, elle s’intéresse tout particulièrement aux apports de la photographie et du film dans la recherche urbaine. Elle est notamment l’auteure de Gerland. État de lieux, ENS Éditions, 2012.
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La Jeune sociologie urbaine francophone
Retour sur la tradition et exploration de nouveaux champs
Jean-Yves Authier, Alain Bourdin et Marie-Pierre Lefeuvre (dir.)
2014