Introduction
p. 5-8
Texte intégral
1Ce livre est issu d’un colloque organisé à Lyon en 2010 par le comité de recherche « Sociologie urbaine : villes, sociétés et action publique » de l’Association internationale des sociologues de langue française. Ce comité cherche à poursuivre, si possible en la renouvelant, une interrogation déjà ancienne sur la spécificité urbaine du social. Pour cela, il s’efforce de jouer un rôle dans l’animation de débats internationaux sur la question et de constituer un lieu d’échanges stimulant pour les chercheurs, les doctorants et postdoctorants francophones qui s’y intéressent. Le colloque répondait à cette double préoccupation et s’interrogeait sur « l’actualité de la sociologie urbaine francophone ».
2Pariant sur un renouvellement de la sous-discipline par les travaux de jeunes chercheurs (qui n’en relevaient pas nécessairement), un appel à communications1, volontairement très ouvert, visait à recueillir des contributions permettant, à partir d’opérations concrètes de recherche, d’apporter un éclairage sur les évolutions actuelles de la sociologie urbaine : qu’en est-il aujourd’hui des thématiques, des objets, des terrains et des méthodes de la sociologie urbaine ? Comment les sociologues de la ville se situent-ils dans les évolutions théoriques contemporaines de la sociologie ? Comment les débats actuels au sein des sciences sociales marquent-ils la manière dont on fait de la sociologie urbaine aujourd’hui ? En quoi les travaux produits par les jeunes chercheurs participent-ils au renouvellement de cette sociologie spécialisée ? Au-delà des recherches officiellement répertoriées dans cette spécialité, quelles sont les démarches qui font sens par rapport à l’interrogation sur la spécificité urbaine du social et la renouvellent ?
3Le présent ouvrage rassemble des travaux qui répondent étroitement aux questionnements et aux attentes formulées dans ce texte d’appel. Il ne se contente pas d’en produire une transcription sous forme d’actes, mais procède d’une sélection seconde. Lors du colloque, dix recherches avaient donné lieu à des communications et trente autres avaient fait l’objet de présentations synthétiques organisées en quatre thèmes (« Les régulations urbaines », « La gentrification urbaine », « Manières d’habiter et mobilités », « Thèmes émergents »). Au travers de ces deux modes de présentation, il s’agissait de rendre justice à la multiplicité, à la qualité et à la diversité des propositions reçues tout en palliant l’impossibilité matérielle de donner la parole à tous. À l’issue du colloque, une nouvelle sélection a été menée pour construire un ouvrage cohérent et qui apporte une réponse aboutie à l’interrogation à l’origine de cette journée : en quoi la jeune sociologie contribue-t-elle au renouvellement de la sociologie urbaine ? Nous avons privilégié le critère de l’originalité sans négliger celui de la diversité ; nous avons été attentifs à la manière dont les jeunes chercheurs construisent leur démarche et proposent des approches nouvelles de questions qui le sont moins, en se situant, souvent, à la frontière de plusieurs champs. Douze contributions au total, centrées sur différents types d’espaces (urbains, périurbains…), ont ainsi été retenues. Elles ont été classées dans des sous-ensembles, composés chacun de quatre textes, qui forment les trois parties de l’ouvrage.
4La première, « Mobilités, ancrages, expériences citadines », réunit des travaux qui envisagent le monde urbain en mouvement, à travers une diversité d’expériences de la mobilité. Aurélien Gentil et Jennifer Bidet s’intéressent particulièrement à la manière dont la mobilité produit de l’ancrage et sous quelle forme. Le premier observe comment les travailleurs saisonniers, en fonction de leur situation professionnelle, de leur histoire, voire de leurs projets de vie, développent des stratégies d’usage, puis d’acclimatation et d’ancrage, vis-à-vis de leur lieu de travail. La seconde analyse le rapport complexe que développent de jeunes immigrés revenus dans leur pays d’origine, entre la ville familiale (le « bled »), les métropoles du pays et leur ville de résidence en France. Nicolas Oppenchaim définit la mobilité comme accessibilité, autrement dit comme le résultat de la possibilité d’accéder à des lieux ou des ressources, comme dispositions (non seulement la propension à se déplacer, mais la possession des outils divers, notamment sociaux, qui permettent de le faire) et comme épreuve (dont il faut triompher). Ce cadre d’analyse lui permet de mettre en évidence la diversité des expériences de mobilité chez les jeunes des banlieues françaises. Suivant une ligne assez proche, Anne Jarrigeon analyse les interactions qui forment l’expérience de la mobilité, en particulier dans le contexte anonyme de l’espace public et lorsqu’on est une jeune femme.
5La deuxième partie, « Agrégation, ségrégation, gentrification », regroupe des recherches centrées sur les comportements résidentiels et les pratiques urbaines de différentes populations, et sur la manière dont ces comportements participent aux processus d’agrégation et de ségrégation en milieu urbain (et périurbain). Violaine Girard étudie comment le périurbain est devenu, au cours des années 1980 et 1990, un lieu d’accueil privilégié pour de nombreux ménages des fractions supérieures des classes moyennes ayant accédé à la propriété. Clément Rivière repense la question de la ségrégation en s’intéressant aux stratégies d’encadrement des pratiques urbaines enfantines dans des contextes de mixité socio-résidentielle, à Paris et à Milan. Les deux autres auteurs, Anaïs Collet et Colin Giraud, traitent du processus de gentrification, qui associe des logiques d’agrégation et de ségrégation. Anaïs Collet s’intéresse à une catégorie de gentrifieurs, les « convertisseurs », qui ont élu domicile dans le quartier du Bas-Montreuil, dans des bâtiments en mauvais état qu’ils ont convertis en lofts. Colin Giraud observe une tout autre catégorie de gentrifieurs : les populations homosexuelles masculines qui ont contribué à la « gaytrification » des quartiers du Marais à Paris et du Village à Montréal.
6La troisième partie, « Production de l’espace et action collective », réunit des travaux qui s’intéressent aux acteurs et aux modes de régulation qui président à la production de certains espaces urbains. Chez Burcu Özdirlik, la production s’identifie à un projet de construction immobilière ; pour les trois autres, la création ou la transformation de l’espace matériel importe moins que sa gestion publique (Marie Muselle) ou privée (Maira Machado-Martins et Eleonora Elguezabal). Burcu Özdirlik propose une approche de la production de projets à Istanbul qui s’inspire principalement de la théorie de la régulation sociale. Le projet est ainsi analysé comme le produit de trois dispositifs de régulation, s’appliquant aux trois catégories d’acteurs concernés : les acteurs publics, les acteurs de l’industrie immobilière et les ordres professionnels. Cette approche est également celle de Marie Muselle qui, à propos de la gestion des espaces périurbains sur des terrains belges et français, prend également ses distances avec le point de vue de la science politique, pour montrer que la production de ces espaces dépend moins de décisions politiques que de modalités de gestion plus ou moins transformatrices. Maira Machado-Martins s’intéresse quant à elle à ce qu’elle appelle la « copropriété de fait », forme d’habitat à la fois proche et différente de la favela. Elle met en évidence le rôle des gestionnaires (syndics informels) dans la production de cet habitat et rejoint ici Eleonora Elguezabal, qui analyse quant à elle des copropriétés fermées à Buenos Aires et démontre à quel point les « frontières » définissant cet habitat résultent de pratiques de gestion (formelles cette fois) qui entretiennent des limites physiques et classent socialement.
7Chacune de ces trois parties correspond peu ou prou à un grand sous-ensemble de la sociologie urbaine. Elles permettent ainsi une première lecture de la façon dont les jeunes chercheurs traitent aujourd’hui de thématiques qui ne sont pas nouvelles mais dont ils contribuent à renouveler le traitement. En même temps, ce découpage comporte une part d’arbitraire. Certains textes auraient pu en effet être classés sous plusieurs entêtes : cette division ne doit pas dissimuler des proximités thématiques – la question de la ségrégation, par exemple, au cœur d’articles de la deuxième partie, est aussi présente dans deux textes de la troisième –, mais aussi d’autres types de proximités : dans la manière de mobiliser ou de « construire » son terrain, dans la manière de traiter sociologiquement l’espace… Ce sera l’objet de la postface : proposer, dans une lecture transversale des douze contributions, une vision des manières de faire de la sociologie urbaine caractéristiques des jeunes chercheurs d’aujourd’hui, et montrer en quoi leurs travaux contribuent au renouvellement de ce champ de recherche.
8Cet ouvrage offre ainsi à la fois un éclairage sur la recherche en sociologie urbaine « en train de se faire » et un point de vue sur l’évolution d’une discipline, sur les tendances qui se dessinent. C’est du moins le pari sur lequel a reposé sa construction.
Notes de bas de page
1 Parallèlement, plusieurs sociologues urbains confirmés, francophones ou liés à la sociologie francophone mais travaillant dans des pays qui ne le sont en rien, étaient invités à présenter les objets et les questions qui animent la sociologie urbaine dans leurs pays respectifs, ainsi que le cadre institutionnel où elle se développe et les rapports qu’elle entretient avec d’autres disciplines. Voir le dossier que nous avons coordonné : « Actualité de la sociologie urbaine dans des pays francophones et non anglophones », publié le 15 novembre 2012 dans la revue en ligne Sociologies : http://sociologies.revues.org/4164 (mai 2014).
Auteurs
Jean-Yves Authier est sociologue, professeur à l’Université Lumière Lyon 2, directeur adjoint du Centre Max Weber (UMR 5283, CNRS) et coresponsable de l’équipe de recherche MEPS (Modes, espaces et processus de socialisation). Ses travaux se situent au carrefour de la sociologie urbaine et de la sociologie de la socialisation.
Alain Bourdin, sociologue et urbaniste, est professeur à l’Institut français d’urbanisme (Université de Paris-Est) et codirecteur du Lab’Urba. Il coordonne la Plateforme d’observation des projets et stratégies urbaines.
Marie-Pierre Lefeuvre est professeure de sociologie à l’Université de Tours et membre de l’équipe Construction politique et sociale des territoires, au sein du laboratoire Cités, territoires, environnement et sociétés (Citeres, UMR 7324). Ses travaux portent sur l’habitat et la propriété immobilière, ainsi que sur l’action publique urbaine.
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La Jeune sociologie urbaine francophone
Retour sur la tradition et exploration de nouveaux champs
Jean-Yves Authier, Alain Bourdin et Marie-Pierre Lefeuvre (dir.)
2014