1897
p. 374-429
Texte intégral
217. EUGÈNE ROUART À ANDRÉ GIDE
1[Paris.] Mercredi [20 janvier 1897 1].
2Cher ami,
3J’ai perdu adresse < Becker 2 >, ai un besoin urgent de mes papiers, il me faudrait beaucoup de travail ennuyeux pour les reconstituer.
4Peux-tu me savoir au Mercure combien vaut la 1ère édition d’Aphrodite luxe en Hollande non coupée3.
5Délicieux les Laurens, tableau de P. Laurens, intéressant et très bien4.
6Comment vas-tu ?
7Ton
8E. R.
9Je croyais que tu n’avais plus d’affection pour moi, c’est pourquoi je tâchais parce que tu as des côtés terribles, de ne plus en avoir pour toi, il nous reviendra peut-être un peu de souplesse5.
10Mes respectueuses amitiés à Mme Gide.
218. EUGÈNE ROUART À ANDRÉ GIDE
Paris.
Mercredi [10 mars 1897 6].
11Mon cher ami,
12Je viens encore de me rencontrer avec Ernest Lajeunesse7 ; 10 minutes nous sommes restés l’un contre l’autre, le dos tourné à regarder des livres – parfois sa voix sifflait ; il était si près à un moment qu’avec un peu d’attention j’aurais senti son odeur. Je n’ai rien dit, j’en tremble encore – mais je t’ai regretté, t’ayant pas mal détesté, ces derniers temps, par excès d’amitié naturellement – et étant outré de tout le monde que j’ai vu, je ne sais plus où me réfugier pour trouver des choses propres, et un visage cher sur lequel je m’appuierais. < Frénelin 8 > a renvoyé une nouvelle lettre à peu près satisfaisante refusant de constituer des témoins – notre mission est terminée, plus rien à dire.
13Mon frère part demain pour les Landes avec sa femme ; mon père est toujours souffrant et presque désespéré, et moins agité.
14J’ai vu Bonheur tout à l’heure, qui voudrait te faire voir Port-Royal, il m’a surexcité en me parlant des L[aurens]. J’enrageais. C’est un ami sûr et charmant, les autres ont des côtés irritants ; peut-être vais-je brusquer les choses. Je suis outré de tout et de moi beaucoup ; je nous préférais l’un et l’autre voici des années lorsque nous nous sommes découverts, nous admettant ainsi, mais en sentant tout le terrible, qu’aujourd’hui trouvant tout bien. Où nous arrêterons-nous – beauté de l’intelligence qui te fait trouver Mr Lajeunesse intéressant, moi aussi bien sûr je le trouve intéressant, mais je ne veux pas le dire. Je souhaite, j’espère, je jure, je crie pour une réaction, société qui se liquéfie où l’on accepte tout : pire encore qu’une société sévère où l’on pourrait être cruel à ceux qui faiblissent – en suivant ces pentes malgré soi, on trouve des excuses à soi-même.
15Je me méprise aujourd’hui – et que veux-tu que je te dise sur ta nuit de mardi, carnaval et souper9, je ne me reconnais pas le droit de te faire des prêches, elles [sic] t’ennuieraient, et ce serait te donner des preuves d’une amitié que je ne tiens pas à te donner maintenant. Je n’ai pas la prétention de valoir plus que toi, plutôt moins ; ce n’est pas beaucoup et puis sur tout cela une impression, un frisson me travaille. Tu sais ce que je veux dire, je sais que me voilà pris, je ne sais si mon attitude de lundi ou mardi te l’a montré : par suite me voilà malheureux, tapant du pied dans la rue, pleurant en entrant chez moi, et guettant qu’un pas ne résonne pas dans le couloir ; et puis rien et je crierai, je suis las en plus. J’ai joué en t’en parlant comme si je n’y pensais pas et rien ne peut m’en distraire, c’est pourquoi je t’en ai voulu de m’avoir rendu maladroit lundi, et que j’ai voulu rester ici mardi.
16Quelle crise sera-ce, je la souhaite dénouable rapidement, je sens en moi l’agitation des profondes aventures.
17Quelle époque, tout tourne vers cela ; hier à la conférence sur l’Arménie j’ai eu des surprises10.
18Renseignements sur Robert S11... détestables, inquiétants, un peu répugnants ; cela m’inquiète ; y a-t-il là quelque chose ? Comment agir, je ne me sens capable d’aucune puissance attractive, me sachant sans extérieur suffisant pour séduire, et plein de timides maladresses. Que de mauvaises connaissances tu m’auras fait faire, cher ami, sauf ta femme et Drouin. Je souffre moralement et commence par la jalousie, contre ceux qui sont plus près, sentiments ridicules, injustifiables. Je te raconterai peut-être plus tard mes impressions, je n’en suis pas maître : quelque chose de très particulier, quelque chose comme le désir de mordre dans un morceau de bois parfumé, mais très dur, inattaquable – – je ne raisonne plus, je suis terrifié me retrouvant comme aux heures les plus dramatiques, les plus inquiètes, les plus crispées – excuse-moi je suis cahoté et rumine le désir de parler avec toi – ami patient, j’écris sans savoir, et pour savoir peut-être.
19Très affectueusement je te serre les mains.
20E. R.
219. EUGÈNE ROUART À ANDRÉ GIDE
21Paris
22Mardi [mars 1897 12 ?].
23Cher ami,
24Vraiment veux-tu que j’essaye de te faire entendre Sanson lundi 3 h13 ? Je ne t’y pousse pas trop si tu as mieux à faire. Ce serait cependant curieux et peut-être pas retrouvable, que cela dans un endroit fermé comme l’école ; dis-le-moi car j’écrirai le plus tôt possible.
25La journée m’a été bonne, dis-moi où est Urien 14 et mon jeune chien.
26Thèbes15...?
27Terrible d’être vibrant.
28E. R.
29Comme ta femme et toi m’êtes précieux, des amis je ne saurai jamais, même en étant désagréable avec vous, le dire.
220. ANDRÉ GIDE À EUGÈNE ROUART
Aujourd’hui soir.
[Mars 1897 16.]
30Cher ami,
31Je crois que je traverse une crise morale épouvantable. J’ai besoin de voir des honnêtes gens. Il y a certaine noblesse morale que j’ai peur d’avoir perdue pour toujours ; j’en sangloterais si je pouvais encore pleurer.
32Je ne me heurte plus à ma réprobation personnelle. Je crois vraiment parfois qu’il y a des choses plus importantes que le bonheur. – J’ai voulu te voir cette après-midi... oui, je viendrai lundi entendre Monsieur Sanson...
33Moralement je suis brisé – j’ai honte à l’avouer ; une fatuité coupable me fait ne désirer montrer de moi que la vaillance – c’est moi qui toujours console les autres – je ne sais aujourd’hui entre les bras de quel ami pleurer. Peut-être tout cela vient-il de mon excessive fatigue.
34Oui, allons lundi à Grignon, non point tant pour entendre Sanson que pour nous voir – j’en ai besoin et je t’en prie sois-moi doux. – D’ailleurs je ne serai plus fatigué.
35Je te raconterai l’énorme potin qui nous fait grouiller comme des pantins – c’est un peu fatigant17.
36Au revoir – après tout, comme dit le petit Lerolle18, je ne suis pas si triste que ça. Mais je t’aime beaucoup et je veux te revoir.
37Mais sois-moi doux.
38Au revoir.
39Je t’embrasse et suis
40André Gide.
221. EUGÈNE ROUART À ANDRÉ GIDE
Paris
[13 mars 1897 19.]
41Mon cher grand ami,
42J’ai à m’excuser d’avoir crié, de t’avoir troublé avant ton départ : je n’étais pas maître de moi, je me suis un peu repris, je suis encore respectable – et beaucoup près des autres, mais il faudrait l’être par rapport à soi, cela est le difficile.
43J’ai passé hier un mauvais jour, pris de coliques sitôt après t’avoir quitté, pour un peu je me serais roulé dans la rue, vers le soir j’ai été voir Bataille : décidément il me déplaît, il est triplement faux, on doit s’en défier comme d’un serpent, prêt à prendre un point d’appui sur vous pour mordre ; je ne retournerai pas chez lui, sauf des cas extraordinaires. Ses potins, sa manière de dire sont irritants, je t’en parlerai en nous revoyant20.
44Jammes parle de toi dans sa lettre, Louis aussi dans la sienne, que je te lirai – et moi je serai content de te revoir mon bon vieux, parce que mon hostilité contre toi est tombée et que tu m’aimes bien quand même. C’est la terreur d’être encombrant ou de trop à certains moments qui me rend inquiet et insupportable.
45Rui[jters] est venu me voir aujourd’hui ; je me plais à lui donner ce nom qui lui va bien. Je me sens toujours très attiré par lui, c’est un petit homme sérieux, qui me semble solide et droit avec des gentillesses d’enfant, des sortes de coquetterie loyales délicieuses 21. Sa visite m’a fait du bien ; je n’ai pas été très brillant, ému, mais aussi aimable que je l’ai pu, mais je n’ai plus de force d’attraction pour prendre et retenir une âme près de la mienne – autrefois j’y réussissais davantage.
46Papa va mieux, bonne nouvelle du voyage de mon frère et de sa femme, il y a eu un ciel et un soir digne d’Alger aujourd’hui et je me suis senti vers la fin du soir meilleur ; Dieu est bon dirait Jammes.
47J’ai bien compris la peinture que j’ai montrée à Rui et en ai causé suffisamment et j’ai écrit quelques phrases, et nous nous serrâmes la main avec bonheur bientôt, moi du moins. Ellis a embrassé Rui, elle le connaissait comme un ami d’Urien, de son parrain et comme un être doux.
48Jammes a envoyé une nouvelle pièce belle : « Je crève de pitié, d’aimer et de sourire22 » – et c’est vrai le pauvre ami que j’ai blessé dans les sables lointaines [sic], mais nous savons maintenant nous sourire sans souvenirs cruels ou mauvais.
49Cher vieux j’ai réfléchi à nous, à toi beaucoup et je dois te faire de ces reproches pas très grands, des reproches d’ami, qui ne te feront pas de mal moralement : je te souhaite heureux : je voudrais te voir, pour causer de ce que Bataille m’a dit de l’affaire La Jeunesse et Mauclair, et pour empêcher ce dernier de gaffer encore, et maintenir les jeunes Belges dans une ligne prudente : ils sont naïfs et bons enfants, il faut les protéger23. Il faut que nous commencions à avoir des dossiers, comme Paul Fort nous ferons ça à nous deux24.
50Pas nouvelles des affaires Cremnitz25.
51Mes très respectueux hommages et bonnes amidés à ta femme et crois-moi
52ton ami
53E. R.
222. EUGÈNE ROUART À ANDRÉ GIDE
54Lundi soir [16 mars 1897 26],
55Cher ami,
56Ci-contre la lettre intéressante de mon frère – écrite après la marche fatigante, mais ce qu’il dit de toi ne doit pas moins t’aller au cœur, il ne le dit pas de tous.
57Je vois Dusaussay27 demain, lui demanderai nouvelles de ta femme. Offre-lui mes respectueuses amitiés.
58E. R.
222 a. LOUIS ROUART À EUGÈNE ROUART
59Jeudi soir [11 mars 1897 28].
60Mon cher Eugène,
61Ton excellente lettre m’a fait le plus grand plaisir et m’a vivement intéressé. Tout ce que tu me dis sur Cremnitz m’amuse énormément ; je serais enchanté de le voir ! Que j’aurais voulu être là ! Quant à < Renioud > je l’aime toujours beaucoup malgré son épouvantable caractère ; je t’assure que j’ai fait tout ce que j’ai pu pour me rapprocher de lui ; si quelqu’un a été brutal ce n’est pas moi, mes moqueries l’ont exaspéré. Si tu peux faire quelque chose je t’en serai profondément reconnaissant car il y a en lui comme tu l’as deviné de très nobles qualités de cœur et d’énergie.
62Si vous aviez été samedi à St-Quentin tu n’aurais probablement pas pu voir mademoiselle < Leroy >, qui est malade en ce moment et retenue à la chambre par excès de fatigue. L’as-tu vue pendant ton séjour à Paris ? Comment l’as-tu trouvée ? André Gide cet excellent et sublime ami va-t-il mieux ? Je pense à lui souvent, à son admirable bonté, à son étonnante compréhension des autres. Je n’oublierai jamais la tendresse qu’il m’a témoignée cet automne quand j’étais malheureux. (Pardonne cette lettre un peu incohérente : je t’écris revenant de marche encore tout fumant et brisé de fatigue.) Les associations d’idées se font comme elles peuvent, je suis incapable de les diriger. Papa va-t-il un peu mieux ? Les lettres de Claire me tourmentent atrocement ; je voudrais savoir exactement ce qui existe [sic]. Tu serais bien gentil de m’écrire quelques lignes à ce sujet.
63Ce que tu me dis de Leblond ne m’étonne guère ; c’est un lâcheur ou plutôt un inquiet qui a toujours peur de se tromper – de ne pas dire ce qu’il veut dire. Quant à Montfort c’est une douce nullité – l’incident Mauclair-La Jeunesse m’amuse follement : ainsi le petit youpin a été fessé ! Quelle joie ! Si toi ou Ernest pouvez venir me voir dimanche je serai bien heureux ; essayez l’un ou l’autre d’amener Henri < Billot > à qui j’écris. Amenez d’autres amis si vous voulez tous.
64Je t’embrasse.
65Ton
66Louis.
223. EUGÈNE ROUART À ANDRÉ GIDE
Jeudi [18 mars 189729].
à J.D.V.30
67Grâce – j’ai pris plaisir à voir danser, tes yeux souriaient et c’est ta grâce que j’aimais.
68Je regardais tes mouvements et je souriais de tout mon désir.
69Les femmes s’abandonnaient lasses et entraînées dans tes bras – je ne remarquai que ton sourire clair ; tes yeux, tes lèvres et tes dents ; ton sourire comme les blés d’été, quatre heures par les jours tendres ; tes cheveux en broussailles, comme les arbustes épineux et cendrés du désert, qu’à des instants inattendus ma main a connus.
70Je t’aurais pris par la main et mené loin de la musique et de la danse, loin des femmes lourdes ; dans le parc à travers l’humidité, dans le calme sous la lune à voir les nuages qui vont – et je t’aurais aimé comme avant, mon bras à ton cou en de telles caresses, sans mots et tout ton corps contre moi. J’aime ta tiédeur délicieuse, odorant comme des soirs d’orient ; et la brusquerie de tes gestes maladroits, ton pas souple et balancé.
71Te revoilà, tes yeux savent retrouver les miens, c’est une attachante clarté.
72Dehors la lune.
73Ne ferme pas tout à fait ta fenêtre, que je te vois encore un peu remuer dans la chambre. Tu m’as dit au revoir dans le soir ; et j’ai marché sous la lune, c’était comme des draps frais où je me serai soûlé.
74Tu dors peut-être maintenant, la fenêtre est close, ta voix serait si vite là si j’appelais.
75Que dire – la lune est indifférente, elle a la tranquillité de ceux qui savent que des lèvres désirées ne refuseront pas leurs lèvres ; je suis resté accroupi sur les marches tout contre ta porte à t’entendre respirer...
76Au matin la pluie violente fouettait la plaine, tombait en bruit et tout était gris, la campagne mal réveillée ; plus rien de la féerie d’hier, ni les champs sous la lune, les lumières, la musique, les rires et ton sourire.
77Morose je suis retourné à ma vie coutumière, marchant encore dans le souvenir de ta grâce et de tes lèvres tant souhaitées.
78E. R.
79Sois chez toi – ou réserve-toi pour samedi et dimanche d’être chez toi entre 6 h moins le quart et 6 h un quart.
80Je peux avoir l’un de ces deux jours un service important à te demander.
81E. R.
224. EUGÈNE ROUART À ANDRÉ GIDE
Paris
Mercredi soir [24 mars 1897 31].
82Cher ami,
83Je te dois des remerciements ; je voudrais t’en devoir d’autres ; je sais que tu es à Paris, Mme Lerolle rencontrée hier me l’a dit.
84J’ai passé une journée heureuse, parce que je lis un beau livre, qui me fait me tordre de passion ou rugir de désir d’instant en instant – j’ai pensé à aller te voir pour cela pour te forcer à le lire32 ; mais tu ne m’aurais peut-être pas suivi sur un si pur et jeune enthousiasme, puis le soleil est chaud et les rues sont délicieuses. J’ai eu de bonnes nouvelles, des choses souhaitées possibles à réaliser plus tôt que je ne l’aurais cru – j’en ai pris une voiture découverte tant j’ai été heureux.
85On parle de l’article de Mr De St-Jacques, on dit que c’est un cuistre33, il faut savoir se draper de silence, et porter simplement la tête haute sans nervosité parce que des roquets aboient, c’est leur métier et le nôtre de passer indifférents, mon cher ami. Arrange-toi service intime pour me donner la soirée de samedi, tu dîneras avec moi et m’aideras dans un pas risqué. Tâche de venir me voir demain jeudi – – jusqu’à 4 h j’y serai, je t’expliquerai tout cela et d’autres choses encore, j’ai déjà beaucoup à te dire.
86Garde-moi dîner samedi ; chose curieuse, avant votre départ je voudrais bien repasser une soirée ou au moins quelques longs moments avec ta femme ; voici longtemps que je n’ai pas causé avec elle.
87Je crois que mon livre sera bien, les lignes se précisent, se rectifient34.
88Viens – je te serre très amicalement les mains.
89E. R.
225. EUGÈNE ROUART À ANDRÉ GIDE
Paris
Mardi [31 mars 189735].
90Cher ami,
91Les Chausson charmants me laissent libres pour jeudi36 – j’irai donc voir L’Asiatique 37 vers les 7 h.
92Valéry est venu, fort gentil et m’a entraîné chez Mallarmé délicieux, débordant de gestes et de phrases sous une claire et belle peinture de Monet – extraordinaire poète qui nous a lu son plus récent et fabuleux poème – j’en ai mal à la tête après la nuit d’hier en promenade38.
93Vu Willy39 chez Chausson, l’air pas méchant, je me suis laissé aller à lui serrer la main : ça m’embête.
94Entendu pour l’annonce de La Revue blanche, mais pas à ce moment, déjà à l’impression ; on va te renvoyer ton manuscrit40.
95Cherfils a laissé emporter son Wronsky par Thadée41.
96Nous reverrons-nous quelques instants avant que la mer ne te reprenne, Ménalque, tu sais que j’aimerai encore mettre ma main sur ton épaule.
97E. R.
226. EUGÈNE ROUART À ANDRÉ GIDE
98Train rapide 2 h 15 de Paris
99[Vers le 15 avril42.]
100Monsieur,
101Je viens de lire dans La Revue sentimentale une lettre de vous à Mr Bougrelas Golberg, Parsons (Léon) amici43. Ce Mr Bougrelas, malgré son intelligence et malgré toute la valeur (pas littéraire n’est-ce pas) que vous lui accordez, me déplaît – parce que Polonais, il crache sur notre drapeau ; j’admets encore ceci d’un Français, je ne le supporte pas d’un enfant adoptif. Je lui préfère Mr Barthou44, homme jeune, actif, ministre honnête et habile béarnais.
102Je comprends mal les sortes d’excuse que vous adressez à ce monsieur au sujet de vos livres. Urien est un admirable poème de la langueur ; Paludes habile et amusant ; ils n’ont besoin ni l’un ni l’autre d’être défendus, même d’une manière saugrenue et par vous-même. Vous n’avez qu’à les admirer, ou sinon n’en plus parler et vous taire45.
103Qu’entendez-vous par « comment il ne faut pas vivre46 » ?
104Alors vivre selon les Nourritures ; gagner à la peine des délectations d’estomac, des gastralgies, peut-être la syphilis et des nausées. Prenez plutôt un livre d’hygiène, sachez que l’on ne mange pas impunément de tous les fruits, Mr André Lemoyne, poète réservé, vous expliquerait ceci mieux que moi47.
105Vivre a pris un sens en littérature, par opposition aux Parnassiens d’argent pur et aux ruines et élégants fils d’or chers à Mr de Régnier. On montre Mr Verhaeren, qui nous ennuie, il a la lourdeur d’un gâteau de village suisse – pâte mal levée, je lui préfère Zola (au moins le souvenir que j’en ai, et cela malgré le marquis de Bouhélier) ou bien plutôt J.-F. Millet, grand peintre, admirable poète de vérité et de nature, sans rhétorique, sans autres artifices que la douceur du soir ou le calme de dix heures en été lorsque la messe est dite.
106Quoi vivre – vous nous amusez Monsieur – allez en Belgique, Octave Maus le nouveau devin vous présentera au public et vous parlerez sur les façons de vivre48. Mme Leblanc une turquoise au front frappera dessus avec son talon pour vous glorifier, et après avoir parlé vous fumerez de gros cigares qui pueront.
107Et pourtant il n’est pas nécessaire de monter sur une table de taverne un carafon d’alcool à la main et de chanter des obscénités pour vivre : les Romantiques, eux ont su vivre, littérairement, intelligemment et politiquement parlant, et nous vivons comme des oiseaux recouvés : j’aime mieux vivre à ma façon qu’à celle de Mr Lanson49, celle de Mendès, Retté50 grivois et soulard ; celle de Mr Louÿs, et encore mieux que selon les naturistes échauffés j’aimerais mieux malgré son mauvais caractère me promener avec Francis Jammes au bord du fleuve. Je ne m’attaque pas à vous spécialement mais à tous ces messieurs qui vous exilent tout en vous proposant des manières de vivre ; mais nous voulons faire notre salut sur la terre, c’est bien notre droit sinon notre devoir ; libre à Mr Lanson d’aller en enfer.
108Je t’en veux beaucoup d’écrire à tous sauf à moi, fais-le chez la Ctesse D’Aligny
10912 Rue Notre-Dame
110Autun.
111Fais envoyer ton volume
112à Pierre Lalo51 à Orsay, Seine-et-Oise
113qui m’a promis de faire un article dans les Débats
114à Paul Lafond52
115Avenue Porte-Neuve
116Pau (B.-P.)
117qui en parlera dans les journaux de Provence... aussi au Moniteur, à la Gazette, etc.
118De plus je fais annoncer dans la Revue d’Art Dramatique du 5 mai ton livre53.
119Je vais avoir de l’argent pour toi, où faut-il le mettre : te l’envoyer (comment), le garder ou le faire porter chez ton banquier ? Écris-moi vite pour cela.
120Dis à Mme Gide que je la remercie beaucoup de sa bonne lettre ; je vais lui écrire très prochainement.
121Je t’embrasse tout de même bien affectueusement.
122Bien affectueusement
123Eugène Rouart.
227. ANDRÉ GIDE À EUGÈNE ROUART
124Ravello, 20 avril [18]9754.
125Cher ami.
126Le désir que j’avais de t’écrire une « belle lettre », comme dit Athmann, a retardé, empêché jusqu’aujourd’hui celle-ci, toute simple où je viens parler de nous et de toi. En amitié la vanité littéraire est folie (comme ailleurs). Je n’écris plus – je ne peux plus écrire ; je me heurte à quelque extraordinaire difficulté, que je ne peux analyser encore et réduire : un véritable tétanos intellectuel. Je crois que je commence une maladie ; probablement celle que tu appelles : « La folie du chef-d’œuvre » ; celle qui empêche de le faire. L’apparition des Nourritures me redonnera, je pense, un peu de vif... mais, qu’ont-elles à ne pas paraître ? Je m’inquiète ; je fais mon Jammes55... excuse : Ravello est encore plus loin qu’Orthez.
127Il fait ici un assez sale temps ; Madeleine56 est toujours languissante et je m’inquiète surtout de ce qu’elle commence à en prendre son parti et n’a pas l’air de se souvenir qu’on puisse aller mieux. Je te souhaite beaucoup et presque sans cesse – je brame après une lettre de toi. Comment va ton père ? Es-tu déjà à la Queue ? Ton père pense-t-il y aller ? Et toi, comment vas-tu ? Écris-moi ; tu n’as pas de meilleur écouteur.
128Entre chaque phrase de cette lettre, je me lève ; je marche ; je vais donner des coups de pied aux meubles et regarder vers la terrasse si le nuage nous emmitoufle toujours. Peut-être ai-je trop marché ces derniers jours... ; courses énormes dans la montagne, cherchant surtout une fatigue pour me distraire d’un désir. L’air plus salubre des vallons s’emplit d’ombre et d’humidité dès que le soleil a passé la colline ; je lis Virgile tout en marchant : « Ah ! l’un des vôtres, que ne le suis-je, et plaise aux dieux ! enfants qui vagabondez sur ma route57... » Je connais maintenant un lieu retiré, dans ce vallon plus profond que d’abord il ne le semble, où le roc cesse et où, sous des ormeaux, la terre plus doucement s’incline ; une herbe, ici plus verte et plus profonde, croît, où je me suis étendu. Ce pâtre que je ne connaissais pas encore, mais qui m’a tout de suite souri, m’a cueilli des orchis et de ces cyclamens sauvages dont le creux des buissons rit et reste embaumé. D’ici l’on ne voit plus la mer, et le bruit de l’eau qu’on entend, c’est celui d’une fraîchissante cascade, dont je verrais l’écume si du haut de ce rocher je me penchais... Ah ! cher ami ! je te souhaite ! Ah ! si les larmes s’achetaient, comme je pleurerais pendant une heure58 ! Mais il y a dans mon cœur encore plus d’orgueil que je ne croyais ; plus de tendresse aussi. Voilà l’inconséquence dont je souffre... D’ailleurs je n’aime que les « inconséquents »... Seul, Valéry ; mais alors il souffre de l’estomac... Et, ici, la nature n’est point calme, mais au contraire d’une joie trop excitante et énervée pour que je puisse y prétendre au bonheur.
129Au revoir, ami très cher. (As-tu reçu la lettre de Madeleine ?)
130Je suis ton ami
131André Gide.
228. EUGÈNE ROUART À ANDRÉ GIDE
Autun
Chez Mme la Comtesse D’Aligny
12 Rue Notre-Dame
Saône et Loire
Mardi [sic, pour Lundi 26 avril 1897 59].
132Cher ami,
133J’attends avec une certaine impatience ta réponse à mon mot écrit en chemin de fer et adressé à Naples, poste restante, te demandant de me dire comment t’adresser les fameux 1500 frs : je voudrais bien être débarrassé de cette ennuyeuse affaire, qui m’a fait te gêner, qui m’a brouillé un instant avec Jammes que j’obligeais et qui me met en froid avec mon père ; tout ceci est irritant et pour une chose simple, donner à un ami un plaisir dont il était privé. Peut-être ai-je manqué de réflexion en compromettant nos deux amitiés, mais je croyais bien faire, et je ne regrette rien si ce n’est de t’avoir gêné ; mais tu me le pardonneras je pense. Écris-moi vite pour cela, plus vite tu auras ton argent et plus vite je serai tranquille : mieux cela sera.
134Je voudrais être auprès de toi alors que tu es délabré intellectuellement ; je serais très doux et je te promènerais dans des coins à l’ombre et nous parlerions légèrement en écoutant la vie du printemps ou l’eau couler.
135Je ne sais rien pour le moment des Nourritures.
136J’étais heureux ici à l’air, au silence, libre et circulant dans les verts ou au soleil ; je commençais à écrire, mon père vient de me refroisser ; je lui réponds affectueusement mais presque durement et je suis fatigué : je ne peux admettre que les miens agissent ainsi avec moi. Au fond les miens sont ceux que j’ai choisis ;... les trois, Y[vonne] nouvellement – et vous deux, Déodat avec les vôtres ; que m’importent ceux avec qui on m’a enfermé...
137Déodat est agité mais gentil et me laisse travailler cette fois-ci, mais l’orage me fatigue. Je vais travailler et reviendrai probablement à Paris au milieu de mai, pour diverses choses. Je souhaite vous y rencontrer : faiblesse que j’avoue à toi parce que tu es digne de la savoir, c’est que ton amitié m’est indispensable et que j’aime la retrouver, la sentir pas très loin.
138Je suis ennuyé de ce que tu me dis de la santé de ta femme. Il faut la fortifier, ne restez pas trop à Naples, la montagne lui ferait probablement plus de bien.
139Ah ami, comme lorsque mon héros sera au désert je saurai par moment faire pour le frisson du regret des heures de printemps fleuri, au soir voluptueux ; alors qu’en cercle de fleurs ardentes nos blouses étaient ouvertes là-bas au grand parc plein de roses rouillées.
140Faut-il que mon héros ait possédé sa femme et ait des enfants avant le passage de Ménalque avant de l’abandonner, ou l’abandonne avant de l’avoir possédée60.
141Écris-moi, il fait lourd.
142Amitiés affectueuses.
143Eugène Rouart.
229. EUGÈNE ROUART À ANDRÉ GIDE
Autun
Mardi [4 mai 1897 61.]
144Très cher ami,
145La correspondance à plusieurs jours de distance est irritante, elle devient impossible avec les missionnaires ; pourtant j’ai de bonne nouvelles, de terribles commissions, de mon Michel abyssin62.
146Je suis ennuyé mon bon ami, que j’aime, qu’une lettre déplaisante, impertinente, sotte te soit venue, lorsque tu étais inquiet, triste et que tu espérais des choses affectueuses de moi63 C’est une punition à mon amitié inquiète et jalouse, mais tu as dû depuis recevoir une lettre que j’espère meilleure. Au moins dans celle-ci, si tu ne l’y trouves crois bien que mon cœur tout ami y flotte.
147Donne-moi des nouvelles de ta femme meilleures, j’en veux ; je deviens comme les enfants, j’ai envie de pleurer. Demande-lui en grâce de faire attention à elle, les femmes sont terribles. Je suis content pourtant de vous voir gagner la Suisse, belle aussi en cette saison-ci (la montagne est délicieuse), mais qui surtout sera hygiénique, plus saine, plus fraîche, plus calmante que Naples ; pour toi aussi, je crois, il sera préférable.
148Je te faisais de petites scènes en t’écrivant, parce que je craignais que tu ne tires pas le parti nécessaire des Nourritures, et mes portions de rage venaient de trop d’intérêt, d’amitié assommante, genre de celle de la pauvre Marie64 – pour toi – ; mais j’espère que cela ira bien. Je rentre à Paris pour le 15, il sera temps encore de faire parler des Nourritures si je le puis.
149Ici le temps passe, j’écris un peu, surtout je me porte bien dehors longtemps chaque jour. Les choses humaines se rapetissent et paraissent de plus en plus méprisables – si ma santé – et si je n’avais l’espoir et donné l’espoir à Y[vonne] de vivre avec elle, je crois vraiment que je fermerais sur moi la lourde porte d’une trappe ; cette demi-mort adoucit l’autre et plus personne ne vous détourne de Dieu – le silence est obligé.
150Mauvaise éducation la nôtre, vraiment notre époque est trop bête : le protestantisme et la Troisième République, compris par les Floquet65, Ferry66, Brisson67 et Carnot68 est une infamie. Je n’attaque pas la religion protestante qui a sa beauté et qui comme les autres sait survoler mais l’allure rigide de certains hommes.
151Quel peuple aurons-nous demain ? Et nous qui tremblons sans Dieu, qui ne savons où mettre les pieds, à qui les revers, la vie, la mort sont terribles ; que sera-ce pour ceux qui, élevés par des cerveaux étroits, n’auront d’autres emblèmes qu’une tête niaise de République épaisse et l’admiration d’un martyr républicain Carnot, polytechnicien sans élévation, sectaire, descendant d’un homme de plâtre69 lui l’homme de bois pas si dur pourtant qu’un baron de Reinach70 n’ait pu pour l’adoucir en vue du Panama introduire dans ses poches intègres de lourdes et nombreuses pièces d’or.
152Mon ami, nous serons obligés d’aller prêcher aux carrefours des rues et de mourir sous les pierres et les crachats pour essayer de montrer à « ce peuple libre » sa bassesse71.
153L’idée républicaine était belle, ils en ont fait un vomitif, il nous faut la rétablir. Ces bourgeois sont trop gros, il faudrait leur faire faire de sévères carêmes ; ils sont trop bêtes, il faudrait les mettre dans les près avec leurs chevaux.
154Et puis cela t’ennuie et tu as raison.
155Je n’ose t’envoyer l’argent à Florence, il est à Paris prêt à partir ; mais écrire là-bas ? Ta lettre est datée déjà des 25, 26 et 2772 ; tu me dis partir dans 2 jours pour Florence et nous voici le 4 : j’ai peur qu’avec les 2 jours pour aller et partir de Paris il arrive toi parti. Écris où télégraphie selon tes besoins d’argent s’il faut quand même l’adresser à Florence ou en Suisse, et dans ce cas donne-moi une adresse que le paquet ne s’égare pas. Désolé de ces quelques jours de retard mais je crois cela plus prudent.
156Jammes envoie de beaux vers, mais souffre de tristesse73.
157Mauclair m’envoie son livre74, fouillis et je crois plein d’idées ; t’ai-je dit la bonne journée que j’ai eue avec lui ? Ruyters charmant m’écrit de venir à Bruxelles – et parle bien d’Adolphe 75.
158Écris-moi vite où envoyer l’argent et portez-vous bien. Mais que devient le pauvre Drouin entre les jambes des « Louis Lambert76 » ? SVP fais-lui mes amitiés.
159Je n’ai pas entendu parler de Claudel depuis assez longtemps.
160Ruyters m’envoie une plaquette assez bien écrite mais dont je ne sentais pas le besoin77. Et toi ?
161Pardonne-moi pour Golberg, nous en reparlerons, je ne te ferai plus de scènes à distance, cher ami, je ne peux pas les réparer assez vite.
162Je suis un peu las d’une journée de plein air hier, commencé avant 6 heures et terminée vers les 9 heures, une grande portion en voiture découverte.
163Les Chausson parlent de louer cet été une maison au bord du lac d’Annecy78.
164Affectueusement,
165Eugène Rouart.
230. EUGÈNE ROUART À ANDRÉ GIDE
166Autun
167Mercredi [19 mai 1897 79].
168Cher ami,
169J’ai écrit à Paris que l’on t’envoie 1500 frs à Genève, la Caisse Générale de l’Industrie et du Bâtiment te fera l’envoi. Tu voudras bien leur en accuser réception.
170Je te remercie encore et te demande pardon de t’avoir privé si longtemps de cette somme, mais tu as vu comment les choses se sont arrangées.
171Maintenant le compte est simple à arranger entre nous : je tiens à te payer l’intérêt de l’argent à 5 1/2 % de manière à ce que tu n’aies pas perdu à sa sortie de chez le banquier, chez qui tu ne dois pas l’avoir placé à un taux supérieur – et de manière que je te paye l’intérêt analogue à celui que j’aurais payé à une banque.
172Je te dois donc :
1731° 1500 frs (touché mai dernier) + 0,45 (intérêt des 10 frs rendus 1 mois après le prêt par Jammes) + 2 fr, 70 (intérêt des 100 frs rendus par moi 6 mois après le prêt) + 1 fr, 50 (intérêt des 59 frs rendus par moi 10 mois après le prêt sur les livres vendus) + 69 frs intérêt des 1247 frs pendant 1 an + 5 fr, 75 intérêt des 1247 pendant 1 mois ce qui nous fait 1579 fr, 40 – mais là-dessus Jammes t’a rendu lui-même [le] reste de son voyage 100 frs, moi 100 frs en septembre dernier
174179 fr, 60 que je te serai obligé d’envoyer dès que tu le pourras à Déodat D’Aligny, 12 rue Notre Dame à Autun (Saône et Loire) – cela nous servira à acheter des moutons pour brouter des pâtures80.
175Maintenant en dehors de cela sur ces 1500 frs j’ai encore versé à Vallette 150 ou 200 frs, je ne me rappelle plus au juste mais j’ai les papiers à la maison, pour le solde d’Un Jour- – qu’est devenue cette affaire-là ? Nous n’en avons jamais reparlé : je ne sais pas où elle en est et comment était engagée la somme81.
176Ça m’embête et me fatigue de t’écrire comme un banquier ; j’aurais bien besoin de te voir, j’espère que ta femme va aller mieux en Suisse82. Je vais quelques instants à Paris la semaine prochaine puis reviens vite ici. Si tu n’es encore revenu passe par ici (ce ne vous allongera pas trop) ou sinon je grimpe en Suisse vous voir un peu.
177Je te serre les mains.
178Eugène Rouart.
231. EUGÈNE ROUART À ANDRÉ GIDE
Autun
Jeudi [27 mai 189783].
179Cher ami,
180Merci pour l’envoi d’argent à Déodat, cela nous sert à des frais de culture et pour l’instant à l’achat de moutons que l’on revend peu après.
181Je ne pense pas te faire affront en te demandant d’accepter des intérêts pour la somme que tu as retirée et laissée plus d’un an entre mes mains, cela se fait couramment et je ne voulais pas te faire du tort en te privant d’un revenu ; c’est déjà trop que j’ai dû t’en faire attendre la rentrée plus que je ne l’espérais.
182Prends tes précautions dans cette affaire avec la banque de Bourgogne84, songe que tu vas probablement être obligé de mettre de l’argent à La Roque si tu veux que ça marche bien ; il ne faut pas trop t’aventurer.
183Je ne pourrai aller vous voir en Suisse maintenant, je me suis mis aux économies sous la poussée de Déodat et nous achetons des moutons. Je serai à Paris dans deux ou trois jours revoir les amis, ma famille, entrevoir le médecin : je vais bien mais une petite conversation avec lui de temps en temps me donne du calme, souvent de la satisfaction. Viens donc à Paris le plus tôt possible ; nous y serons quelques jours ensemble. J’aimerais mieux te voir ailleurs, car dans les rues et les salons, tu es toujours affairé et précipité et nous ne nous voyons qu’à moitié : j’aurais aimé nous voir ici.
184Les Lerolle ne seront au lac d’Annecy que vers le 22 juillet, les Chausson y partent ces jours-ci.
185Pour ton beau-frère du Havre85, je tâterai le terrain à Paris – mais je crois qu’il a beaucoup de chance d’avoir la place, souviens-toi de la lettre de Mr Marin86 ; elle était significative. Le Docteur chef de service a dit du bien de Mr Bernardbeig à Mr Marin, et ce chef de service sait maintenant que le directeur de la compagnie à cause de nous s’intéresse à ton beau-frère, tout est donc en bonne voie – je verrai. En tout cas je n’ose écrire d’ici, trop de précipitation importunerait peut-être et serait plus nuisible qu’utile. Je sais qu’il a beaucoup de chance, je souhaite qu’il réussisse.
186Athmann m’a aussi longuement écrit.
187Je sais qu’on discute les Nourritures87.
188Je savais Wilde en liberté, les journaux l’ont annoncé, le voilà grand homme88. Il a été martyrisé pour ses vices ; de méprisable qu’il aurait pu être, le voilà grandi ; Jammes ne comprendra jamais ça.
189Que fait Lord Alfred – l’as-tu vu à Naples89 ?
190Je te serre bien les mains – hommages et souvenirs à ces dames.
191Eugène Rouart.
232. EUGÈNE ROUART À ANDRÉ GIDE
Paris.
[29 mai 189790]
192Cher ami.
193Le Crédit Lyonnais de Genève écrit à la caisse qui nous écrit pour nous demander si ton adresse est bonne, je réponds oui de suite et j’espère que bientôt sera fini cet embrouillamini.
194Je suis à Paris depuis quelques heures : j’y étouffe déjà et resouhaite de la verdure, de l’air et mes amis. Je pense rester juste pour mes affaires soit 8 jours et regagner les champs : tâche de venir pas trop tard pour que nous puissions nous voir. Si je n’avais été poussé par les circonstances, les arrangements, j’aurais tardé de quelques jours pour être sûr de te voir, mais j’avais besoin de passer sans tarder par Paris.
195Écris-moi.
196Je vous serre les mains.
197Eugène Rouart.
233. EUGÈNE ROUART À ANDRÉ GIDE
Paris
Lundi [31 mai 1897 91],
198Cher ami.
199Tes projets je t’en prie92 ; j’aimerais tant te voir ici ou sur le chemin du Morvan. Dis-le-moi un peu.
200Je ne compte pas rester beaucoup de jours, j’étouffe ; il fait chaud, et je perds mon temps ; il ne faut pas déranger tes projets pour moi, mais les faire concorder le mieux possible.
201Je t’embrasse bien tendrement.
202Eugène Rouart.
203Vu Mme Brandon aujourd’hui. Papa de nouveau un peu souffrant, sans gravité. Ma belle-sœur très bien.
234. EUGÈNE ROUART À ANDRÉ GIDE
Autun
Mercredi [16 juin 1897 93].
204Cher ami,
205Je regrette de ne pas te voir maintenant ; j’espérai un peu te rencontrer au détour d’une rue.
206Je comprends trop cher ami que tu aies le désir de rester le plus longtemps possible avec ces dames pour que mes regrets ne soient pas de peu d’importance ; j’aurais été encore plus content que de ta simple venue, si elles t’avaient rejoint à Mâcon ou ici94 – mais comme vous êtes gentils et bons (comme toujours) d’arranger cette rencontre avec les Lerolle à La Roque ; je crois que ce sera délicieux95. Ta pensée d’avoir mon ami D’Aligny avec nous est faite pour me ravir : j’espère le décider à venir mais ce n’est pas très sûr parce qu’il a beaucoup à faire96 ; surmené, il se reposerait chez vous, je ferai tout mon possible pour l’amener. Mais comme je te remercie de tout cela ; remercie pour moi aussi ta femme.
207Je ne sais pas beaucoup comment s’arrangeront nos affaires, ni ce que je ferai cet été, cela dépend beaucoup.
208Admirable temps, les foins commencent.
209Vois les Lerolle en passant à Paris, ils te réclament beaucoup97.
210Très affectueusement ta main.
211Eugène Rouart.
212Ghéon m’envoie son petit livre, je vais lui écrire98.
235. EUGÈNE ROUART À ANDRÉ GIDE
Autun
Mardi [29 juin 189799].
213Cher ami,
214Dans toutes les lettres on me parle de toi – toi seul ne m’écris pas. Paris comme toujours je pense t’a donné la fièvre ; Mr Cherfils écrit voici peu de jours une lettre élogieuse que je te communique : il a du goût – son appréciation peut te faire plaisir100.
215Jammes écrit, parle de souscription etc101. : nous verrons ça ensemble. On me dit que le séjour à La Roque est retardé – je le regrette un peu, nous nous verrons moins tôt, tes herbes auraient été délicieuses par ces temps de grandes chaleurs. J’espère un peu cher ami (vois comme je suis mal élevé) que tu n’auras pas en même temps que nous d’amis littéraires ni de camarades d’art – ma situation serait alors difficile. Vis-à-vis de vous et de ta famille, ça m’est égal, je saurais me tirer d’affaire, mais l’art me fait peur – les langues y sont trop dures.
216On travaille ici, la chaleur est admirable, les foins sont grisants et Ellis est enchanté de la campagne. Continues-tu le roman dont je t’ai écrit des phrases ?
217Je suis embêté parce que rien comme situation matérielle pour moi ne se précise : une affaire intéressante nous est coulée des doigts.
218De Heredia nous propose l’établissement d’une grande société pour exploiter en Afrique avec d’anciens camarades, ce serait très intéressant, les études premières y sont faites, mais il faudrait beaucoup d’argent et ce n’est pas certain102.
219Je lis du Fénelon.
220As-tu lu la fameuse lettre de Lugné-Poë dans Le Figaro 103 ?
221Comment va ta femme et toi – et Drouin ?
222Valéry est devenu ministériel104, côté politique très intéressant, mais de plus en plus toc, en littérature-art, il y veut de la mécanique – et nous, nous y cherchons seulement des soutiens, barres d’appui, des rires, et des danses.
223Bonnes amitiés à ta femme, souvenirs respectueux à Mlle Jeanne si elle est près de vous.
224Je te serre les mains.
225Eugène Rouart.
226Cher ami, je voudrais te récrire, je ne peux, je rouvre ma lettre pour te dire mon affection.
236. EUGÈNE ROUART À ANDRÉ GIDE
Autun
Samedi [10 juillet 1897105].
227Cher ami,
228Je compte partir le 15 d’ici, m’arrêter à dîner et une matinée à Melun, circuler entre Paris et La Queue en deux jours voir mon père, Sanson, des amis, et arriver le 19 à La Roque, ce serait bien je crois. Ne me place pas dans une tourelle trop isolée, j’aurai peur la nuit106.
229Je travaille beaucoup, ce milieu me pèse, Déodat se ferme de plus en plus à ce qui n’est pas le détail de son métier ; ne m’abandonne pas, je mourrai d’ennui.
230Je t’expliquerai tout ça.
231Voilà encore des orages, la vie est terrible, je crois vraiment que je n’étais pas fait pour la vivre ; je n’ai encore presque rien accepté, te voir me fera du bien, mais nous [ne] sommes toujours ensemble que par à-coup. Je suis aussi faible peut-être plus moralement que physiquement.
232Je te serre les mains, bien cher ami.
233Eugène Rouart.
237. EUGÈNE ROUART À ANDRÉ GIDE
La Queue-en-Brie
Seine-et-Oise
Jeudi [12 août 1897 107].
234Mon bon, mon cher ami,
235Je n’ai pas pleuré après t’avoir quitté, non pas que Chanvin108 m’ait distrait de toi à travers les secousses de la voiture où Désaunay109 crécellait – non, je me souviens d’un autre départ de La Roque110 en compagnie du bon Drouin où malgré notre bonne volonté nous ne pûmes dire un mot, car sitôt nos gorges se prenaient et nous étions silencieux sous la toujours vibrante crécelle. Je n’ai pas trop cru cette fois-ci, comme généralement, que nous ne nous reverrions plus, – est-ce parce que je suis moins éloigné de Dieu, ou parce que nous ne devons plus nous revoir vraiment, que l’affre cette fois m’a été épargnée ? En tout cas ce n’est pas parce que je t’aime moins, au contraire mon bien cher ami jamais ma tendresse pour toi n’a été plus stable – et je m’en veux des légères irritations, des contrariétés que je t’ai données : c’est un côté maladif de mon esprit d’aimer contredire (est-ce une sorte d’esprit de justice qui me fait sitôt voir les qualités souveraines de celui qu’on trouve médiocre – et sitôt sentir les côtés médiocres de celle qu’on affirme sublime). En tout cas ce sont des sentiments mièvres et puérils dont j’ai encore l’espoir de me débarrasser ; j’aurais je t’assure mis bien vite affectueusement ma main sur ton front au moment où je t’énervai le plus – je n’avais pas la force de me taire et cependant de telles discussions me conduisent aux extrêmes, m’usent.
236J’ai trouvé Chanvin d’une grande douceur, charmant et dégagé de tendances, dans le train ; si bien que je l’ai emmené chez moi à Paris – nous sommes restés ensemble jusqu’au dernier moment à la Gare de l’Est. Mais, mon ami, si charmant qu’il soit, séduisant et relativement sage, je te reprocherai cependant d’avoir livré des secrets qui ne sont pas les tiens – il m’a dit à un moment tels mots qui m’ont fait sursauter, et j’ai fait d’abord comme si je ne savais pas de quoi il s’agissait, c’était au sujet du Prince et de ta belle-sœur J [eanne]111... La chose est admirable, mais elle ne t’appartient pas, au moins avec les noms propres112. Cette chose m’a remuée profondément, lorsqu’après l’avoir pressentie de moi-même, je l’ai devinée sur tes lèvres mais j’ai tu au fond de moi les héros et n’ai retenu que le sentiment, le penchant vers un souffrant. Je t’ai livré bien des côtés de mon être, j’aime le mystère, quelle confiance me donnes-tu, ma très profonde amitié aurait de la peine à ne pas être froissée par de telles révélations : penses-y mon bon vieux, je t’assure qu’il y a une part de vrai dans ce que je te reproche.
237J’ai retrouvé ici une grande table de famille, et encore Louis manque – je ne nous aurais pas cru si nombreux : tous allaient bien et on m’a beaucoup demandé de vos nouvelles. Les arbres et les pelouses m’ont semblé très beaux, et plus heureux avec les cris des enfants – il est triste pour moi de n’avoir pas encore le droit (ou plutôt pour toi, que je ne me sois pas encore donné le droit) d’y amener ma petite princesse : elle y serait à l’aise et dans son décor.
238J’ai déjà retravaillé hier et je pense aux modifications à faire. Je donnerai des tours de vis et un peu d’ampleur, vous m’avez encouragé au travail, et je voudrais que mon livre soit vraiment bien pour être digne de ton amitié113.
239Je relis Paludes, j’ai un grand plaisir à le lire et je le trouve parfaitement bon, j’attends pas mieux de toi, mais plus, dans un sens plus étendu, je veux dire pour les livres que tu prépares. Je suis heureux de pouvoir autant me plaire à cette lecture, d’aimer à ce point cette œuvre que tu m’as donnée ; je te félicite et te remercie, il n’y a pas là l’ombre de flatterie, d’ailleurs la flatterie n’a pas de place dans des amitiés comme la nôtre.
240Quels délicieux souvenirs j’ai de La Roque, j’écrirai à ta femme pour la remercier de ses bontés pour nous.
241J’ai perdu en chemin de fer, on m’a volé je crois plutôt : Le Coup d’État et La Supériorité des Anglais 114 – le second était plein de notes pour des études que j’ai l’intention de faire plus tard : ça m’ennuie. J’ai rapporté Platon avec Paludes / Urien 115, une mission d’Abyssinie116, de la laiterie – et Floury117 m’a envoyé le 1er volume de l’Histoire d’Israël avec Les Travailleurs de la Mer : tu vois, je tiens compte de tes dires mon bon pâtre118.
242J’ai dit à Adrien d’adresser en gare de Lisieux un petit songeur de Rops119, ce n’est pas grand’chose, mais comme tu aimes assez Rops, j’ai pensé que cela t’amuserait d’avoir un original, mais un petit, de lui.
243Je t’embrasse bien tendrement, je vais écrire demain sans doute à ta femme, dis-lui ma bonne amitié affectueuse.
244Eugène Rouart.
245Pardonne-moi d’avoir été si embêtant. Je t’aime bien.
246P.S. J’ai causé avec la bibliothécaire gare de Lisieux, elle connaît tous nos amis depuis les Ménard-Dorian120 jusqu’aux De < Moruel121 > – son fils le docteur < Lesurier 122 > s’occupe de la neurasthénie. Il est très remarquable, il a été le secrétaire du docteur Brissaud123 – le meilleur médecin nerveux de France, qui en fait grand cas – il est probable que lui aussi sera un grand médecin.
238. EUGÈNE ROUART À ANDRÉ GIDE
La Queue-en-Brie
Jeudi [19 août 1897 124].
247Cher ami.
248J’ai ta lettre en rentrant de quelques jours de courses dans le Centre, pour mes affaires prochaines ; je suis fatigué et fâché de t’avoir manqué mardi, j’aurais déjà beaucoup aimé te revoir ; si tu y repasses préviens-moi je t’en prie – si toutefois cela te fait plaisir aussi de me revoir.
249Nous [nous] sommes entendus avec les D’Aligny il n’y a plus qu’à signer125. Après avoir été chez sa mère dans le Bourbonnais, j’ai été le voir lui à Autun, je l’ai trouvé fatigué par sa culture et nerveux ; dès le deuxième jour nous ne nous sommes plus entendus et avons eu des mots pénibles déclarant qu’il était préférable que nous allions chacun de notre côté et chacun s’exaspérant que l’autre ait l’air de trouver cela très simple. Nous avons beaucoup souffert chacun séparément jusqu’au soir ; puis en faisant mes paquets je défaillais, et lui de son côté, lui qui ne pleure jamais, éclatait en sanglots. Nous sommes plus liés qu’avant, cela ne doit pas nous être nuisible pour la vie l’amitié si forte. Une attraction si puissante alors qu’il n’y a que cœur, puisque nous n’avons pas la sympathie intellectuelle, est au-dessus des hommes, c’est effrayant. Je m’y soumets heureusement comprends-moi, le côté primitif est diminué, s’atténue de plus en plus – donc élévation je crois ; je suis encore ému de tout cela.
250Jammes écrit – as-tu vu Vallette, que faisons-nous ?
251Salue le Prince si tu le vois ; donne-moi des nouvelles de tous, de Drouin, j’aimerais lui écrire et n’ose, cela dépend de l’état d’esprit dans lequel il est.
252Je vais envoyer au galop un domestique pour le petit bout de Rops, il devrait déjà être à destination.
253Dis-moi où tu es, comment et quand tu repars à Paris. Moi j’y reste probablement jusqu’à la fin du mois.
254J’allais oublier, demande pour vaches – livre s. t. pl.
255Je vais aller en Suisse vers le 8 septembre, pour visiter et me mettre en relation avec des laitiers-éleveurs.
256Je t’embrasse.
257Eugène Rouart.
258Lettre de Jammes admirable.
239. EUGÈNE ROUART À ANDRÉ GIDE
Paris
Jeudi [26 août 1897 126].
259Cher ami,
260Je sors de chez Vallette charmant – m’a promis de la discrétion ; je devrai présenter mon volume127 au comité Gourmont, Dumur, Régnier, Hérold ; si j’étais prêt de suite je n’aurais pas affaire aux deux derniers, mais je ne suis pas prêt ; Gourmont dont je sais l’admiration sera bien disposé pour moi ; Dumur128... les deux autres me détesteront, je ne sais pas porter le monocle... et puis Hérold qui justement n’aime pas la nature ; ils tomberont dans mes champs labourés, ils seront furieux après moi, à moins que tu ne m’aides près d’eux, ou bien que l’oncle Eugène soit d’ici là élu à l’Académie, et qu’ils sachent que c’est mon parrain129, sinon je suis fichu. S’il y a des difficultés je prie Halévy130, il ne pourrait pas trop me refuser, de me présenter aux Lévy131, ce qui est le rêve de tout arriviste, Tinan et Cie – mais j’aurais l’air du fils du célèbre amateur, ça m’embêterait, j’aimerai mieux faire mes affaires seul avec le Mercure.
261J’avance, j’avance, je recopie, je suis content : ça a je crois une forme et de l’amour ; si le comité m’accepte je leur soumettrai mon livre en novembre, je paraîtrai en janvier, en même temps que Jammes132, vers le 20 – il faudrait que tu me donnes 8 jours, où tu voudras dans les premiers jours de novembre, pour revoir mon manuscrit, tu ne peux pas me refuser ça, je te dédierai Mr Bonfils ; car j’écrirai pour toi cette satire de quoi133 ?
262Si je meurs je te lègue mon manuscrit, ami très aimé, tu en feras ce que bon te semblera.
263J’ai rendez-vous avec Guy pour parler vaches, culture et lait134, je dînerai avec Valéry et je rentrerai travailler cette nuit à La Queue.
264Je me couche entre 11 1/2 et 1 h 1/2 dans la nuit sans même Ellis pour m’embrasser avant de me mettre au pieu ; j’aimerais une poitrine où mettre mes mains lasses d’avoir écrit.
265Bonnes amitiés à ta femme, souvenirs respectueux à Mlle Jeanne et à Mme Bernardbeig135, les mains à ton beau-frère.
266Le [un mot illisible] fille de [un mot illisible] est hystérique, affectueux et délicieux – je t’embrasse et aussi le petit [un mot illisible] s’il le veut bien, mais pas Pierre Louÿs si vous le rencontrez.
267Eugène Rouart.
240. ANDRÉ GIDE À EUGÈNE ROUART
268[Cuverville, 26 août 1897136.]
269Cher ami,
270Tout ici va doucement bien ; Marcel et Jeanne137 par leur bonheur aident au nôtre ; du vent de la mer et des landes notre maison est protégée.
271Je travaille un peu ; je lis ; je médite ; je laisse mes passions se reposer, devenir lentement des pensées ; je me prétendrais sage, sans quelques mauvais souvenirs. Sur ma cheminée, au lieu d’une pendule, ton petit pâtre des berges, de Rops, me semble refléter mon âme ; il est là, ni triste ni gai, énormément contemplatif ; l’olivier trop léger qui l’abrite ne le préserve que peu du soleil ; son manteau large qui l’enveloppe est lourd de pluies ; il regarde la mer ; il ne pense exactement à rien ; il pense confusément à tout ; il t’aime bien.
272Je reçois la lettre de Jammes que publie le Spectateur ; elle est trop belle pour ne pas me navrer. « Qu’importe, s’est écrié Ménalque – et s’il est déchiré, le manteau qui couvrait ma nudité frileuse, qu’importe, dis, que ce soit de la pourpre138 ? » – Il s’est écrié d’autres choses encore que j’ai tout aussitôt notées.
273Tout s’arrange au Mercure pour Jammes qui « m’en » écrit... Et pour toi ? Raconte : as-tu vu Vallette139 ?
274Louis, ton frère, m’écrit une lettre délicieuse, mais courte encore et timorée... il dit ne demander pas mieux [que] de venir à sa sortie du régiment – cela va bien ; précisément Rosenberg serait là140.
275Au revoir mon ami très aimé. Je suis heureux de t’avoir revu à Paris ; tu paraissais aller si bien.
276Travaille.
277Je suis ton ami
278André Gide.
279Madeleine écrit aux Charles Gide pour te recommander à Mme de Wattenville141 si tu vas voir des laiteries en Suisse.
241. EUGÈNE ROUART À ANDRÉ GIDE
Veyrier
Haute-Savoie
Lundi [20 septembre 1897 142].
280Mon cher ami.
281As-tu reçu mon manuscrit, 2 premières parties de mon livre ? Je l’avais expédié à Paris en le recommandant, ce me serait extrêmement désagréable de le recommencer, je crois que je n’en aurais pas le courage.
282Dis à Madame Gide que mardi dernier le soir dans le wagon-restaurant qui m’emportait en Suisse j’ai pensé à elle, j’avais plus mal au cœur que dans la traversée d’Alger, c’était effrayant – je déteste de plus en plus le voyage ; dis-lui que j’ai souhaité qu’elle ne se tourmente pas trop de l’avenir ; il y a des choses que Dieu réunit malgré tout ; et il faut s’incliner sans frémir ; je voudrais qu’ils aient le bonheur dû à ceux qui sont bons, à ceux qui savent aimer143.
283J’ai vu un coin de Suisse délicieux, près du lac ; la maison où j’habitais avait un grand charme, sous de très hauts arbres humides et avec une vue admirable ; sous le grand châtaignier j’aurais certainement fait une vaste salle de travail si j’avais dû rester et s’il avait fait moins humide, mais je n’avais que peu de jours à donner. J’y ai étudié des personnages et certes mon prochain grand ouvrage, ma plus belle œuvre dirait Jammes à travers des éléments étranges et passionnants. Moi aussi je suis quelquefois confesseur, je l’ai été vraiment beaucoup ces temps : un mari d’une grande famille ayant un peu bu s’est confié à moi – une femme jeune et isolée.
284Irez-vous chez les Salvador, moi pas, papa y part au début d’octobre, mais j’irai probablement ou Déodat à Montigny.
285Tu vas je crois avoir mon frère chez toi, j’en suis très aise pour toi et pour lui mais je te demande de faire très attention aux confidences, tu es prévenu, tu peux très bien me fâcher avec lui, cette fois je ne te le pardonnerais pas, n’ouvre la bouche sur aucun fait de moi ni mon livre, ma vie, mes projets, j’ai à dire ces choses-là moi-même lorsque ça me plaît ; tu es avec Déodat l’un de ceux à qui je me suis le plus confié ; tâche de ne pas achever de me désillusionner sur toi – recommande même chose à Rosenberg.
286Trouvé lettre de ta tante à Genève, lui répondrai, ne pourrai probablement pas aller à Berne, je n’ai même pas pu voir Lausanne ; remercie Mme Gide de m’avoir fait avoir ce mot.
287J’ai un très lourd travail ces temps, je vais peut-être avancer le remaniement de mon livre ici.
288Écris-moi un mot pour manuscrit, sois discret.
289J’ai entrevu sans relire lettre Jammes, voir Spectateur catholique.
290Hommages et bonnes amitiés à Mme Gide, affection à Rosenberg mon < pasteur > [un mot illisible].
291Je t’embrasse bien.
292Eugène Rouart.
242. EUGÈNE ROUART À ANDRÉ GIDE
Veyrier
Haute-Savoie
Samedi [25 septembre 1897 144].
293Mon bon et cher ami,
294J’ai reçu ta lettre aussi bonne et douce que la mienne était acariâtre. Je t’aime bien, et comme Valéry, j’aime bien te contredire mais je ne voudrais pas te faire jamais de peine parce que tu n’en mérites pas. Je voulais en t’écrivant, pardonne-moi si j’ai dépassé le but, te mettre en garde contre tes faciles confidences car étant données mes relations craintives avec mon frère cela aurait pu être nuisible pour nous. Tu penses bien mon cher ami, que c’est pour échapper à une influence écrasante que je me suis résolu à aller habiter Autun et à y être un modeste vacher, mais je préfère être là moi, plutôt qu’uniquement un fils Rouart dans mon monde à Paris, mais je veux que ma retraite et les amis auxquels je me suis livré soi[ent] sacrés pour ceux que j’aime bien pourtant mais qui m’étouffent dans des allures limitées et étouffantes.
295Je suis ici chez les Chausson, très heureux d[’être] près qui tu sais ; j’y prolonge mon séjour. Mon livre avance, j’ai confiance en toi, je t’enverrai le reste prochainement. Faut-il aller revoir le tout avec toi en octobre avant de l’envoyer à copier, ou faut-il le revoir avec toi une fois recopié ? Il me semble que le 1er serait le bon, j’irais alors passer 3 jours avec toi où tu serais et Lacoste s’attellerait, si ce n’est pas abuser de toi – je pense que Lacoste me ferait cela, dis-moi ta pensée là-dessus.
296Je n’ai jamais eu l’intention d’aller à la Commanderie, je n’en ai pas le temps ; Autun se monte et absorbera beaucoup de mon temps.
297Je voudrais donner mon livre à Vallette vers le 10 novembre et en être délivré.
298Nous sommes assis avec Mlle Yvonne, sous l’ombre d’un noyer et non d’un pommier145 au bord du Lac, elle vous envoie à tous deux ses amitiés, moi aussi.
299Je t’embrasse tendrement.
300Eugène Rouart.
243. ANDRÉ GIDE À EUGÈNE ROUART
301Cuverville. [Début octobre 1897146.]
302Excuse ce silence après ta lettre si bonne ; je viens d’être assez dérangé ! Jeanne n’était pas bien ; j’ai dû aller la voir à Rouen ; Madeleine y était allée deux jours avant et Mademoiselle Siller147 y restait auprès d’elle. Elle s’était trop fatiguée de ce court voyage de noces qu’ils ont fait et on a pu craindre même une péritonite. Le mot est un peu gros et je pense que nous sourirons bientôt de l’avoir employé... – mais n’importe, je ne suis pas encore bien rassuré et les fatigues du déménagement à Alençon148 arrivent par là-dessus.
303Je pense que nous sommes encore à Cuverville pour un mois, de sorte que : viens quand tu veux. J’ai demandé à ton frère149, puisqu’il disait être libre jusqu’à la fin d’octobre, de retarder jusqu’au 8 son arrivée. Je lui demandais cela pour tâcher de le voir un peu mieux, mais encore à ce moment je serai très occupé par Rosenberg avec qui j’ai beaucoup à travailler (beaucoup plus même que je ne croyais150) – puis il me faut faire la lecture à M[adeleine] pendant qu’elle pose pour le portrait de Paul151. Tout cela durera encore assez longtemps – mais ici tu es l’ami de nous tous et tu peux venir quand tu veux. Naturellement au milieu de tout cela Saül152 n’avance plus ; j’ai même parfois peur qu’il ne soit enrayé pour longtemps... car qui sait comment va aller Jeanne... Mathilde Roberty153 est auprès de nous, délicieuse et à peine résignée.
304Il me tarde de voir la suite de ton bouquin154 ; Cuverville, les champs vastes, les labours tardifs, la langueur des travaux du soir, tout cela semble une page de cette histoire et l’atroce Ménalque est près d’y sangloter d’angoisse. Dans ma Proserpine, Cérès parlera des terres labourées, des sueurs, de l’admirable fatigue des hommes155.
305Vallette est en possession du volume de vers de Jammes156. Salue de la manière la plus charmante ceux qui sont près de toi. Je pense que ce sont les Lerolle157, les d’Aligny158... à moins que tu ne sois déjà de retour à La Queue... Dis quand tu viens. Madeleine t’attend et t’envoie ses amitiés. Je suis ton ami
306André Gide.
244. EUGÈNE ROUART À ANDRÉ GIDE
Autun (Saône-et-Loire)
12 rue Notre-Dame
Lundi [11 octobre 1897 159].
307Cher bon ami,
308Déodat est tellement insupportable que je ne sais pas si je pousserai plus loin les affaires qui pourtant étaient bien emmanchées ; en tout cas ne dis pas cela c’est une confidence (et comme elle ne peut pas particulièrement faire apaiser le héros... n’est-ce pas). Tiens ta langue dans ta main et ton cœur dans tes dents ; je t’aime bien quand tu n’es pas littéraire, alors tu es mon bon frère...
309À propos de frère : Louis a refusé de venir ici, est-il chez toi160 ?
310Je ne peux bouger si je continue à vouloir « avoir » une vacherie. Les Lerolle vont peut-être venir cette semaine et dans peu je partirai dans le Doubs acheter des vaches comtoises.
311J’ai écrit à Lacoste pour lui demander de recopier mon manuscrit. Veux-tu donc y supprimer ce qui te choque trop en tournure de phrase, mais pas comme épithète, cela nous pourrons le voir ensuite sur la copie de Lacoste ou sur les épreuves. Je t’écrirai ou te télégraphierai pour en porter les deux premières parties au peintre du n° 7 de la Rue Honoré Tessier, Bordeaux.
312Je vais t’expédier incessamment la 3ème partie, je n’ai qu’à la relire et à te l’envoyer ; je vais me mettre à la quatrième partie (lamentations désertiques).
313Jammes (et j’en suis ravi et heureux pour lui, il a besoin de cela) devient à la mode : Coppée, journal de mercredi dernier161 ; Mercure / Gourmont162 : tu pourras convaincre le charmant et < seringuero163 > Chanvin que Gourmont sait mieux que les autres voir le talent, son article sur Jammes est de beaucoup le meilleur de ceux parus jusqu’ici ; ni Ghéon164 ni Pascal et Pascalin, ni Viollis165 et Violinos, ni Chanvin et quelques Le- 416 1897 Correspondance blond166 youlétiques167 n’ont été foutus de le comprendre aussi bien et de l’exprimer.
314Jaloux m’envoie son article sur Jammes dans Indépendance républicaine de Marseille qui n’est pas mal non plus168.
315Voilà notre cher poète en bonne voie, son livre sera je pense bien accueilli – et il sera plus génial « dans sa nouvelle maison de plein air et de lierre » dont il me parle.
316Dès que j’aurai un moment j’écrirai à ta femme ; mon excellente amie qui subit en ce moment le martyre « pictural » a eu la bonne pensée de m’envoyer une photographie de la promenade de Témecin, cela m’a été très doux.
317Écris-moi comment va ta belle-sœur, j’espère que l’ennui n’a rien été ; mes hommages affectueux à ta femme, mes amitiés et souvenirs à ceux qui t’entourent et plus particulièrement et tendrement à notre ami Rosenberg.
318Je t’embrasse bien amicalement.
319Eugène Rouart.
320Pierre Louÿs contre ton oncle est pouffant : voir Note, Mercure, dernier n° p. 9169.
245. EUGÈNE ROUART À ANDRÉ GIDE
Paris
Mardi soir [12 octobre 1897 170].
321Cher bon ami,
322Des ennuis encore m’accablent pour mes affaires agricoles – je passe 2, 3, 7 ou 8 jours à Paris. Crois-tu utile que je pousse à Cuverville pour relire bouquin avec toi, – malgré le désir de te voir je suis las, j’ai beaucoup à faire là-bas et me voilà forcé d’être ici.
323Je t’embrasse.
324Eugène Rouart.
246. ANDRÉ GIDE À EUGÈNE ROUART
325[Cuverville, mercredi 13 / jeudi 14 octobre 1897 171.]
326Cher Eugène,
327Je reçois en même temps ta lettre et ta carte-lettre. Toutes tes indications seront suivies. Je te demande seulement quatre jours pour revoir encore ton manuscrit avant de l’envoyer à Lacoste172 – car ton frère est ici depuis mardi et sur ta demande je ne veux pas qu’il me voie le lire. Je crois que ton frère serait très heureux de te revoir ; il s’est beaucoup informé de ce que tu comptes faire : il parle de partir vendredi173 et je suis tellement pressé par mon travail avec Rosenberg et par d’autres besognes etc. etc. – que je ne le retiens pas trop – lui, d’ailleurs, disant avoir aussi beaucoup à travailler avant la rentrée –. Mais si tu pouvais venir, ne fût-ce que deux ou trois jours, je le retiendrais sur tes indications de façon à faciliter votre revoir. Dans ce cas, ne pourrais-tu venir vendredi ou samedi.
328Cher vieux, tu sais le plaisir que j’aurais de te revoir, – mais je suis trop perclus de besognes, moi-même, pour ne pas admettre que tu le sois aussi. Il me semble que, sur la partie de ton livre que tu m’as envoyée, je n’ai rien à te dire qui nécessite une entrevue et la conversation – si ce n’est pour pouvoir mieux te féliciter. Envoie-moi le reste et si je crois qu’une entrevue est nécessaire pour retaper quelque passage clocheux, je t’appellerai franchement ou m’arrangerai pour te retrouver quelque part. MAIS naturellement, si tu peux venir quelques jours sans trop te déranger, viens (pourtant, ne compte pas trop, avec ton frère, Paul Laurens174, et Rosenberg, pouvoir trouver beaucoup d’heures à causer seul à seul avec moi, ni surtout pour pouvoir me lire ton bouquin). Il vaudrait mieux alors attendre un peu que Paul ait fini le portrait et que ton frère m’ait quitté. La visite que tu me ferais maintenant considère-la comme une visite d’agrément, seulement. Et qui d’ailleurs serait d’autant plus agréable que Mathilde Roberty va revenir aussi pour 3 jours (du samedi au lundi175) – et qu’elle est absolument charmante (elle vient de passer 15 jours près de nous). Rosenberg est exquis – mais tu le sais.
329Au revoir vieux cher – à peine si je trouve le temps de t’écrire, mais je suis toujours ton excellent
330André G.
247. EUGÈNE ROUART À ANDRÉ GIDE
Autun
Dimanche [24 octobre 1897 176],
331Cher bon ami,
332Excuse-moi près de ta femme ; je ne peux plus vous écrire, je suis bourré d’affaires ; j’ai la joie d’avoir les Lerolle quelques jours ; et je les ai accompagnés jusqu’à Dijon pour voir Quillot dont les affaires prennent une très bonne allure, cela je pense te fera plusieurs fois plaisir ; il a été délicieux selon son habitude.
333Je trouve stupide de laisser jouer Un jour ; je n’ai pas assez de temps pour l’écrire à Jammes comme il le faudrait, ce n’est pas fait pour la scène ; Lugné est de mauvaise foi. Cela nuira pour son livre de poésie bien préparé pour le public par Coppée et autres – il serait plus prudent de renoncer – en tout cas je ne m’en mêle pas. Lugné a été assez inconvenant avec moi l’année dernière, tant pis pour lui. Que fais-tu177 ?
334Comment trouves-tu ma 3ème partie ? Est-elle acceptable, pointue, je t’en prie ? Et rétablis les temps, j’en perdrais la bobine. Comme tu es gentil de bien vouloir m’aider à cela et Lacoste aussi délicieux : envoie-lui dès que tu le pourras. Comment va Saül, ce vieux saligaud comme dit Valéry. Je t’enverrai la dernière partie d’ici huit jours.
335Eugène Rouart.
336Je crois que Bonfils sera épatant ; il se fait doucement comme un bon fromage.
337E. R.
248. ANDRÉ GIDE À EUGÈNE ROUART
338[La Roque, 26 octobre 1897178.]
339Cher Eugène,
340Ton manuscrit est ici depuis trois jours. Paul Laurens nous a quittés de sorte que j’ai plus de temps pour te lire et une attention plus soutenue. Je n’ai pourtant pas encore achevé cette lecture ; j’en suis resté hier soir au départ de Ménalque après la profession de foi de ton douloureux héros179. Je te lis le crayon en main et rajoute partout des s, des, des ; ou en supprime. Tu penses bien que ce livre me prend de toutes parts et qu’il agit sur ma pensée ; ton style donne rarement l’impression de maîtrise, mais à force d’insinuances180, de fluidité, de grâce, il enveloppe l’émotion ou la pensée d’une manière souvent extraordinairement précise – indépendamment de la valeur du livre, il y a là des pages et des suites de pages que je serai heureux de lire à n’importe qui. J’aurais voulu pouvoir te parler : il y a deux passages de ton livre que je me suis permis de retaper... avec la certitude que j’avais raison : tu sais que j’ai pour cela des scrupules infinis : bien m’en prend, car telle phrase de toi qui d’abord put me paraître veule est devenue par l’affirmation continue des autres dans le même sens, une affaire de personnalité et très vraiment ce que l’on appelle le « style » de quelqu’un. Comme dit le capitaine Franck : « Il y a des gens qu’a un style ; il y a des gens qu’a pas de style » – toi, tu as un style, cher vieux, – que les dieux me gardent d’y toucher. MAIS les corrections que tu verras ont trait à des fautes d’un tout autre ordre et qui sont des erreurs de psychologie... je les regarde comme très importantes et regrette de ne pouvoir en parler avec toi. Tant pis : si je ne puis te revoir d’ici peu, j’enverrai ton manuscrit bien corrigé à Lacoste, qui le recopiera tel que je te l’ai apprêté. Libre à toi ensuite d’y retoucher à ton tour... Mais d’ici là nous nous serons revus.
341En général je ne peux te cacher que je suis ENCHANTÉ de ton livre.
342Écris-moi, vieux très aimé ; j’attends ici l’approche de l’hiver. Rosenberg est encore près de nous et bien que notre travail avance et que nous y donnions beaucoup de temps, il est loin d’être achevé181.
343Au revoir. J’attends de toi une de ces bonnes lettres qui font époque.
344Je suis ton ami véritable
345André Gide.
249. EUGÈNE ROUART À ANDRÉ GIDE
Autun
Mercredi [27 octobre 1897182].
346Mon cher ami,
347Merci et du fond de mon amitié du mal que tu prends pour mon horrible et insupportable livre ; s’il ne m’avait fait souffrir je le détesterais entièrement. Tes légères critiques m’effraient : elles sont vraies. Tout sauf la 1ère partie longuement mûrie est écrit trop vite, mais il le fallait ; sans cela avec les autres nécessités je n’aurais pas écrit mon bouquin, mais le crois-tu digne d’être imprimé et de paraître en librairie ? Je le garderai très tranquillement en monument sans cela et aurais la force de me mettre de suite à d’autres œuvres importantes et plus générales auxquelles je pense depuis quelque temps ; dis-moi ton sentiment sur ceci. Pourtant ce livre s’il était mieux écrit et s’il avait plus de tenue aurait pu être intéressant comme début ; je serais navré d’être dès le début classé entre un De Tinan et un Lebey183, dans ce cas j’aimerais mieux rester dans ma ferme.
348Qu’appelles-tu maîtrise ? Est-ce Louÿs, Valéry, Jammes, Quillot, Beaubourg, Ruijters, Chanvin, Bachelin184, Halévy ou Bourget, ou Hervieu185 – j’aimerais m’expliquer de cela avec toi, mais je tâcherai dès que Lacoste aura fini d’avoir 3 ou 4 jours à Paris pour revoir cela avec toi. J’accepte d’avance toutes tes observations, sauf à t’expliquer plus tard si c’est maladroit ou volontaire.
349Je suis très pris, il me faut beaucoup d’énergie pour me mettre à continuer mon bouquin.
350Je te prie de communiquer toutes sortes d’amitiés à ta femme et à Rosenberg, que je suis heureux de savoir près de toi et je l’embrasse.
351Eugène Rouart.
250. ANDRÉ GIDE À EUGÈNE ROUART
352La Roque, 10 nov[embre 18]97 186.
353Mon bon vieux,
354Je reçois la fin de ton bouquin et t’en remercie – mais je ne te cacherai pas qu’elle n’y est pas du tout. Tu l’as terriblement bâclée ; il faut la refaire complètement ; – je dis COMPLÈTEMENT, c’est-à-dire sans chercher à tirer parti d’une seule phrase, car c’est le ton même qui n’y est pas lors même que la phrase est correcte. – Ne t’effraie pas, et si tu veux, et tant que tu voudras je t’aiderai à la FAIRE (je ne te dis même pas à la refaire) – mais, en attendant une lettre de toi, j’intercepte ce dernier morceau de manuscrit, jugeant inutile que Lacoste voie un tâtonnement raté. Une telle fin ne doit pas abîmer un excellent livre. Peut-être ne sens-tu pas toi-même assez combien il est bon et remarquable ; sinon tu ne lui aurais pas bâclé sa fin comme ça. – J’ai peur de t’embêter beaucoup en te disant tout ça ; surtout si tu es très occupé maintenant ; mais n’empêche ; il faut que tu prennes sur toi de faire une coda REMARQUABLE, à un livre remarquable187 Du reste ne t’en inquiète pas, en attendant que nous ayons pu nous revoir ; inquiète-toi plutôt de favoriser une rencontre. Nous allons à Alençon après-demain et ne rentrerons à Paris que dans une quinzaine de jours, et que pour très peu de temps, je pense.
355Au revoir en hâte car je suis très occupé. Écris-moi vite que tu n’es pas fâché contre moi pour te dire des duretés. Je t’embrasse et suis ton ami
356André Gide.
251. EUGÈNE ROUART À ANDRÉ GIDE
École de Mamirolle
Lundi soir [15 novembre 1897188],
357Mon cher ami,
358J’ai trouvé ta lettre hier en arrivant de Paris à Besançon189 ; je te remercie beaucoup de ce que tu me dis et ne doute pas que cela soit juste, mais la fin du bouquin est ce que j’aime le mieux : elle est peut-être ratée ; mais ce que j’ai voulu y mettre est le mieux, je suis incapable de la refaire, fais-la si tu veux, mais j’en ai souffert et ne veux plus en entendre parler. C’est fini, mon livre ne paraîtra pas, ça ne m’ennuie pas, j’aimerais bien te voir ; je ne peux bouger, mon industrie se prépare. Je rentre à Autun le 19, viens-y si tu veux : à partir de ce moment nous serions heureux de t’y voir.
359Hommages respectueux et amitiés à ta femme – aussi à Mme Drouin ; amitiés à notre cher Drouin.
360Les Déracinés, les Lorrains me passionnent, voilà un livre : je comprends maintenant l’intérêt de Barrès et suis prêt à le glorifier190.
361Je t’embrasse.
362Eugène Rouart.
252. EUGÈNE ROUART À ANDRÉ GIDE
Hôtel Lion d’Or
Maiche (Doubs), le mardi [16 novembre 1897191\.
363Cher pâtre ami de mon cœur,
364Voici la haute montagne, une diligence boiteuse nous a menés des heures durant à travers les épicéas, les prés où sont les beaux bestiaux ; nous sommes partis dans le brouillard, maintenant le ciel est très beau.
365Je ne peux pas, je ne veux plus écrire rien pour la Piètre Moisson 192. Elle est terminée ou pas faite, car j’en suis las, elle me déçoit, Laurent est horrible et c’est lourd, je n’aime plus que le ciel clair et les Déracinés du Barrès de Quillot193.
366Viens me voir ; je t’embrasserai aussi affectueusement que je le fais aujourd’hui, j’ai besoin de te voir ; hommages à Drouin, ces dames etc.
367Déodat fait un poème en prose sur l’activité humaine et sur les beautés pernicieuses.
368Ton ami
369Eugène Rouart.
253. ANDRÉ GIDE À EUGÈNE ROUART
370Alençon. [20 novembre 1897 194.]
371Cher vieux,
372C’est chez le vieux Marcel que je reçois tes lettres, tes deux dernières qui me sont d’une douceur délicieuse.
373Je recommence à souffrir un peu beaucoup des nerfs de sorte que je m’inquiète et soupire après une fuite nouvelle vers quelque nouvelle Jouvence195. Madeleine aussi traîne un rhume depuis une quinzaine de jours ; tout cela m’ennuie. Nous ne ferons que traverser Paris ; et, vu cet état de choses, je ne réponds pas de m’arrêter nulle part – fût-ce pour t’embrasser cher vieux – ce qui me serait bien doux.
374quatre jours après
375N’avoir rien à faire et ne pas trouver le temps de t’écrire quatre pages. Je ne t’ai pas envoyé les deux pages d’hier en simple accolade parce que je voulais encore te parler de ton livre... et des Déracinés 196.
376Je pense que pour ton livre tu traverses une crise : je ne peux admettre que ton dédain vis-à-vis de lui soit définitif : à notre première entrevue, tu recomprendras la valeur de ton livre et à nous deux nous rafistolerons une petite coda de la meilleure manière...
377Je lis Les Déracinés : d’excellents passages n’empêchent pas le livre entier de m’exaspérer : ce qui m’exaspère aussi c’est de songer sans cesse à toi le lisant, de faire coïncider la lecture de ce livre chez toi avec le dégoût et l’ennui de ton livre à toi : j’ai peur (lorsque tu dis que tu as hâte d’écrire des œuvres plus générales) que tu ne comprennes pas combien ton livre (toute qualité littéraire mise hors question) est plus intéressant, plus OUVERT, plus GÉNÉRAL que cette thèse exaspérante, cette mise en valeur de théories d’autrui, épaisses comme pour une affiche électorale. J’ai dit. – Le jour où tu écriras un bouquin pour mettre en valeur les théories de Taine, ou de Darwin, ou de Karl Marx, ou de Mr Sanson, tu croiras peut-être avoir fait une œuvre plus importante et sérieuse et intéressante – mais je t’affirme déjà qu’elle sera locale, et que dans 50 ans t’apparaîtra combien plus général un roman où la question du bonheur du crime, de l’impossible vertu seront traitées avec la candeur de ton petit livre – où même il n’y aura pas de question du tout : où du moins on n’aura pas l’outrecuidante prétention d’en résoudre.
378Ne crois pas d’ailleurs que197 j’aime ton livre plus que toi [...198] – Madeleine est toujours sur le point de t’écrire. Au revoir, je suis ton ami très fidèle
379André Gide.
254. ANDRÉ GIDE À EUGÈNE ROUART
380[Paris.] Samedi [27] novembre [18]97199.
381Quitté Alençon ce matin à 11 heures. Em. tâche de retenir ses larmes ; n’y parvient qu’en se donnant la migraine. Les autres ont besoin de nous pour être heureux ; nous n’avons pas besoin des autres. Je continue à lire Les Déracinés. Ces gens-là me suppriment ; je n’ai de raison d’être qu’en leur étant hostile. Je cherche sous quelle formule religieuse ou morale je peux abriter mon opposition ; et comment la légitimer. Je trouve celle de Prométhée : « Se dévouer à son aigle ; et... suffit ! » L’autre dit : « C’est tout ce que vous avez trouvé ? » On répond : « Oui ; ce que j’ai trouvé de mieux. »
382Lassitude et tristesse. Vouloir servir l’État ; sentir sa force et ne comprendre point quel service on peut lui rendre. Il semble qu’il n’ait pas besoin de nous. Il devrait avoir besoin de nous. Mais comment lui faire sentir ce besoin. Un énorme orgueil non contenté se retourne en moi comme un démon qui ne peut ni agir ni dormir. « Le démon de mon cœur », disait René200.
383Sitôt à Paris, je cours chez P[aul] V[aléry]. Je ne le trouve point chez lui mais sous l’Odéon, avec Schwob et M[arguente] 201. P[aul] V[aléry] et moi, causerie presque difficile : des faits divers. Je m’excuse interminablement de ne lui avoir pas écrit. Il semble peiné de cela et m’en voilà aussitôt tout désolé. Je rentre à la maison complètement défait. Que faire ? On s’en va : la société se referme. On ne sait plus parler, et ce qu’ils disent ne vous intéresse plus que par la curiosité. Ils vous en veulent d’avoir su se passer d’eux. On leur devient étranger ; donc ennemi. On ne s’en aperçoit pas tout d’abord. De longs mois de solitude vous font croire toute figure amie ; on voudrait lui sauter au cou ; elle sourit, vous observe, vous dit : « Oh ! oh !... ». On a perdu le sens des nuances, des mesures. On manifesterait comme un chien. Là-bas, au grand air, rien n’empêchait votre fougue ; il n’y avait que des contraintes naturelles ; ici, elles sont cachées en les hommes : ce sont leurs réprobations, leurs jalousies, leurs haines. Tant que je n’aurai point osé entrer en haine ouverte contre les autres, je me sentirai vis-à-vis d’eux penaud, flatteur et mensonger. Là n’est point ma valeur, et si je n’agis point dans le sens de ma valeur, c’est comme si je me supprimais.
384Qu’arrivera-t-il ?... Ce n’est point aujourd’hui que c’est tragique, après quelques mois d’absence seulement. Mais dans trois ans, quatre ans, quand je voudrai reparaître. Les occupations des autres ne m’intéresseront plus. J’arriverai en étranger, en ennemi ; je ne trouverai pas ma raison d’être parmi eux. Ma seule possibilité sera de me poser contre eux ; étant seul il faudra alors que je soye [sic\ énorme... ou que je ne soye pas.
255. ANDRÉ GIDE À EUGÈNE ROUART
385[Paris, novembre 1897 202.]
386[...] Ton manuscrit est envoyé à Lacoste. J’y ai encore quelque peu travaillé. Je crois avoir rafistolé quelques passages défectueux. Je suis profondément pris et épris par et de ton livre. Je crois qu’il est bien plus étonnant que tu le crois. Il prend par ce qu’on a de plus secret en soi-même et console à la fois. J’attends son apparition dans le microcosme littéraire avec une grande impatience. Je te certifie qu’il épatera bien des gens. Moi, il me rend presque malade, mais c’est qu’aussi je sens que je t’aime terriblement [•••]
256. EUGÈNE ROUART À ANDRÉ GIDE
Autun
Jeudi [2 décembre 1897203\.
387Mon cher ami,
388Veux-tu envoyer la fin du manuscrit à Lacoste ? J’ai hâte de voir l’affaire terminée, bien ou mal tant pis, il faut qu’elle s’achève204.
389Tu as de la chance de pouvoir songer à partir, moi j’ai un collier, il m’est plus doux que les projets de Ménalque errant.
390Les juifs que nous avons insultés dans la montagne, les nobles caractères de paysan français que j’y ai vus, – l’affaire Dreyfus205, tout cela me fait aimer encore mieux Les Déracinés : l’auteur a de la race, il est français ; je me reprends aussi à aimer Drumont206, c’est un prophète malgré tous ses côtés déplaisants.
391Hommages à ta femme et aussi à toi.
392Je t’embrasse.
393Eugène Rouart.
257. ANDRÉ GIDE À EUGÈNE ROUART
394Lausanne, 18 décembre 1897207.
395[Allusions aux amis – les Lerolle, Charles Gide, André Ruyters ; nouvelles de son travail\ que je veux faire et que je n’arrive pas à faire ; [il me fatigue l’esprit et le corps comme une éruption rentrée. Je suis d’ailleurs en très bonne disposition de travail et m’y réattelle à chaque demi-journée qu’on me laisse libre. Je voudrais ne rentrer point dans la circulation avant d’être venu à bout de plusieurs choses. [Enfin il est question du propre livre de son ami, dont Gide a critiqué la forme, mais ce n’était pas une] divergence d’opinion morale qui me faisait en blâmer la fin... je signerais assez volontiers l’intérieur de toutes tes pages.
396En route pour Rome, André et Madeleine passent par St-Raphaël où ils rendent visite à Mme Brandon qui séjourne à la Villa Aurélienne. Le texte qui nous renseigne sur cette rencontre a été rédigé par Gide en 1945 et l’auteur se trompe en datant la visite de l’époque de son voyage de noces ; car la conversation capitale qu’il a eue alors avec Mme Brandon porte sur l’affaire Dreyfus.
397« Je venais de me marier et, au cours d’un voyage de noces, m’arrêtai deux jours, aux environs de Saint-Raphaël, dans la grande villa de Mme Lepel-Cointet. Mme Brandon-Salvador l’occupait alors et nous avait invités à l’y rejoindre. J’étais heureux de présenter ma femme à cette ancienne amie de ma mère. En ce temps l’affaire Dreyfus divisait la France et précipitait dans un même camp la presque totalité des juifs et grand nombre de protestants (de catholiques aussi, il va sans dire). Dans les salons de Mme Brandon et de sa sœur, Mme Alphen, rue Le Tasse, ils venaient, les uns et les autres, conjuguer leurs plus ardentes passions. L’atmosphère y était si chargée qu’elle me serait devenue vite irrespirable et, d’avoir assisté à quelqu’une de ces réunions, m’eut rendu antidreyfusard, si je n’avais su m’en ressuyer bien vite. Cette abondance dans un seul et même sens avait de quoi terrifier.
398« Je me souviens de cette courte promenade que nous fîmes, à la tombée du jour, Mme Brandon et moi, sur ces hauteurs rocheuses qui dominent Saint-Raphaël. Nous parlions nécessairement de l’Affaire, car on y revenait toujours. Le soleil emplissait le ciel d’une mourante gloire. Soudain Mme Brandon s’arrêta et, posant sa main sèche sur mon avant-bras :
399« – Non, André, me dit-elle d’une voix sibylline, pas la charité : la justice.
400« Et je compris, je sentis que cette pure descendante des anciens juifs portugais, admirable représentante de sa race, exprimait ici, non plus seulement sa conviction personnelle, mais celle de tout un peuple opprimé. Ils signifiaient, ces quelques mots : ‘Nous n’avons que faire de votre charité. Gardez pour vous ces beaux sentiments chrétiens. Nous demandons seulement la justice ; rien de plus et nous serons satisfaits.”
401« Oui, c’est depuis ce jour que je compris l’opposition de ces deux éthiques et qu’en ces deux mots : Justice et Charité, s’affirmaient, s’affrontaient l’idéal juif et l’idéal chrétien. »
402(« Justice ou Charité », Le Figaro, 24 février 1945, pp. 1-2 ; reproduit dans RMG II, pp. 543-5.)
Notes de bas de page
1 BLJD. C.P. Paris Malesherbes 20 janv 97.
2 La lecture de ce nom étant douteuse, nous ne pouvons préciser l’identité de la personne.
3 Voir supra, lettre du 3 octobre 1895. Entre août 1895 et janvier 1896, Louÿs avait fait paraître dans le Mercure de France son roman L’Esclavage, qui vient d’être publié en volume en 1896 sous le titre d’Aphrodite. Rouart n’a manifestement aucune envie de lire l’exemplaire qu’il semble avoir reçu...
4 Il doit s’agir d’un des deux tableaux que Paul-Albert Laurens a achevés en 1896 : Hymne à Cérès, Automne.
5 C’est une période mouvementée pour Gide. Du 8 au 13 janvier il est à Bruxelles chez Ruyters ; de retour à Paris il travaille à consolider les nouvelles amitiés belges que lui a values ce séjour, ce qui exige un tact et des énergies considérables, paraît-il. En même temps il s’efforce de terminer Les Nourritures terrestres mais se plaint de ce qu’il dort mal et qu’il ne trouve plus où travailler à cause des ouvriers qui préparent la maison (André et Madeleine ont décidé de déménager et s’installeront 4 boulevard Raspail au mois de février). Il évoque « six jours de restaurants, de fuites » (VAL, p. 286) et fait de gros efforts pour protéger la santé précaire de sa femme, qui souffre depuis le début de l’hiver. S’ajoutent à ces ennuis des polémiques autour de Mallarmé, avec les Naturistes (il publie dans le Mercure de France de février 1897, pp. 428-9, sous forme d’une lettre à Alfred Vallette, « Une protestation » contre l’attaque sur Mallarmé qu’a lancée Louis de Saint-Jacques dans La Plume de janvier), – et les contrecoups turbulents à Paris d’une situation politique internationale qui s’envenime... Ce qui n’empêche pas, une vie sociale active et vraisemblablement des soirées d’aventures en compagnie de Rouart – lequel, cherchant sa voie dans la vie, se sent mal dans sa peau, et s’en prend à son ami de ses incertitudes. Gide écrit à Jammes, début mars 1897 : « Chez les Lerolle, l’autre soir, Rouart nous a lu des pièces de toi. » (JAM, p. 110).
6 BLJD. Suscription : M. André Gide / 4 Boulevard Raspail / (partie côté boulevard St-Germain) / Paris. C.P. 11 mars 97.
7 Ernest Lajeunesse (1874-1917), ami de Christian Beck, est arrivé à Paris en 1895 ; son livre à scandale Les Nuits, les ennuis et les âmes de nos plus notoires contemporains (Paris : Perrin, 1896) épingle Bourget, Loti, France, Daudet, Maeterlinck... Personnage excentrique, adonné à l’absinthe, sa personnalité et ses saillies autant que ses écrits satiriques étaient de nature à provoquer bien des disputes et à motiver de nombreux duels. Voir Jean-Paul Goujon, « Ernest Lajeunesse », L’Étoile-absinthe, 23e et 24e tournée (Société des Amis d’Alfred Jarry), 1984, pp. 49-52. Beck écrit à Gide à son propos en mars 1897 (BEC, p. 38). Par ailleurs, de 1896 à 1900 Lord Alfred Douglas et Ernest Lajeunesse se voient continuellement et deviennent d’excellents amis ; pour « Bosie » la conversation de Lajeunesse est, après celle de Wilde, la plus brillante qu’il eût connue (Without Apology, p. 278). Quant à Gide, il ne faisait guère que railler le personnage. En novembre 1897 Gide écrivit à Lord Douglas de telle sorte, à propos de Lajeunesse, que Douglas lui répondit le 2 novembre : « Vous n’avez aucun droit de réprobation sur ma vie, quan[t] à Lajeunesse il est un de mes plus grands amis [...] vous n’avez aucun droit de le mépriser » (DOU, p. 494).
8 Personne non identifiée.
9 Le soir du Mardi gras, une bagarre restée célèbre mettra Beck aux prises avec Jarry, tandis que Lajeunesse se battait avec Mauclair. Il semblerait que la personnalité fougueuse de Lajeunesse l’ait poussé à proférer des propos outrés concernant les controverses politiques du moment : Camille Mauclair lui aurait rendu la monnaie de sa pièce, et à en juger d’après la remarque de Rouart, un duel aurait failli s’ensuivre. Jean de Tinan, témoin de la double algarade, réussira à entraîner Lajeunesse, qui, de sa voix criarde et suraiguë, ne cessait de glapir des injures contre Mauclair tout en battant en retraite. Une lettre que Gide écrit à Jammes en février 1897 nous éclaire quelque peu à ce sujet : « Ici nous avons des philhellènes, des comités d’action, des jours gras, des duels. Qu’eût fait le Faune ? On se demande, avec Rouart : qu’est-ce qu’il dirait à Lajeunesse ? Saurait-il ne pas lui serrer la main ? Aurait-il dit comme Mauclair : “Monsieur Lajeunesse, sortez d’ici” ? Aurait-il applaudi à ces paroles ? Aurait-il refusé de se battre ? Aurait-il eu recours à des témoins ? » (JAM, p. 110.)
10 Les années 1890 virent, en Arménie turque, plusieurs massacres d’Arméniens, perpétrés par les Kurdes soutenus par des troupes turques. Au cours de l’été 1896 des villages entiers furent annihilés et en août un commando de vingt-six militants occupa la Banque ottomane de Constantinople, réalisant ainsi le premier acte de terrorisme publicitaire contemporain, pour rappeler aux puissances d’Europe (la France, l’Angleterre et la Russie) les engagements que celles-ci avaient pris à l’égard des Arméniens lors du Congrès de Berlin (1878). En représailles, une émeute musulmane, encouragée par le gouvernement turque, égorgea quelque huit mille Arméniens. À Paris, les éditions du Mercure de France publièrent en volume Les massacres d’Arménie : Témoignages des victimes, livre qui eut au moins trois rééditions avant la fin de l’année 1896.
11 Personne non identifiée.
12 BLJD. Cette lettre porte la mention « 1897 ? » de main inconnue. La date que nous proposons est conjecturale.
13 Il s’agit manifestement d’une conférence donnée par le professeur à l’École de Grignon.
14 La réédition du Voyage d’Urien suivi de Paludes porte l’achevé d’imprimer du 16 novembre 1896 ; mais le millésime 1897 figure à l’intérieur du volume. On sait que le nom d’Ellis, que Rouart avait donné à son chien, est emprunté au livre de Gide.
15 Allusion possible à la crise qui fait s’insurger les « philhellènes » à Paris (voir lettre précédente, p. 376 note 2). La population grecque de l’île de Crète s’était révoltée contre la domination turque à plusieurs reprises au cours du dix-neuvième siècle. Fin 1896-début 1897 un soulèvement majeur se produisit, favorisé par le gouvernement d’Athènes qui, s’étant affranchi de l’empire ottoman en 1830, poursuivait une politique nationaliste dont la maladresse devait pourtant provoquer en avril 1897 une guerre entre la Grèce et la Turquie. A Paris les activistes « philhellènes » et autres organisèrent des manifestations et se constituèrent en comités d’action pour défendre les insurgés crétois comme les victimes arméniennes. Valéry, désabusé et cynique, fait remarquer dans une lettre du 15 mars : « Les affaires actuelles et les stupides philhellènes n’ont aucun sens. La France n’a plus aucun intérêt. Toute l’histoire actuelle est dominée par la peur, – qui fait le jeu des charlatans d’Athènes et des socios de Paris. » (VAL, p. 288.)
16 Lettre reproduite dans le BAAG n° 117, janvier 1998, pp. 84-6. La date que nous proposons est conjecturale.
17 Voir la lettre suivante, sur les « potins » que provoque Bataille autour de la pièce de Jammes.
18 Guillaume Lerolle, frère cadet de Christine et d’Yvonne, la future épouse de Rouart.
19 BLJD. C.P. Paris 13 mars 97.
20 Il s’agit des tractations qui continuent, malgré les craintes et la méfiance de certains amis de Jammes, pour faire représenter Un Jour. Voir JAM, pp. 100-4, février-mars, et notamment la lettre que Gide écrit le 16 mars 1897.
21 Ruyters écrira à Gide, le 2 avril 1897 : « Comme Rouart est beau [...]. J’ai reçu de lui une lettre si parfaite, si bonne que je ne puis répondre, par pudeur, de crainte de me montrer inférieur. Comme je voudrais m’en aller avec lui, dans la Brie. J’espère que les choses s’arrangeront et qu’il y aura entre les prochains événements assez de place pour que je m’y puisse glisser. Mon mariage demeure fixé pour mai » (RUY I, p. 33). Cette lettre de Rouart à Gide confirme la supposition de Claude Martin, selon qui Ruyters aurait « fait sa connaissance à Paris, grâce à Gide, le mois précédent ». Le mariage d’André Ruyters avec Georgina Lyon aura lieu le 4 août 1897 ; celui de Marcel Drouin avec Jeanne Rondeaux le 14 septembre. Les fiançailles de ces derniers s’annoncent début juillet (RUY I, pp. 56 et 299).
22 Ce poème apparaîtra dans De l’Angélus de l’aube à l’angélus du soir, collection qui sera dédiée à Eugène Rouart, quand elle sera publiée au Mercure du France en 1898 (achevé d’imprimer : 20 septembre 1898).
23 Sur les petits Belges voir l’introduction par Pierre Masson à BEC, pp. 24-5.
24 Paul Fort (1872-1960), fondateur en 1891 du Théâtre d’Art, poète des Ballades françaises, avait animé la revue Le Livre d’Arien 1896 ; il fondera Vers et Prose en 1905. Rouart fait allusion peut-être aux activités du poète depuis la publication dans Le Figaro, le 10 janvier, d’un article de Zola soutenant le « Manifeste des Naturistes » et citant les noms de Fort et Gide à côté des amis de Saint-Georges de Bouhélier, chef de file du nouveau groupe. Fort avait pris notamment l’initiative d’une protestation sous la forme d’une lettre ouverte, parue dans Le Figaro du 2 mars 1897, contresignée d’une vingtaine d’écrivains (y compris Gide) qui « refusaient toute étiquette ». Voir infra, lettre du 11 octobre 1897, p. 416 note 1.
25 Maurice Cremnitz (1875-1935), sous le nom de Maurice Chevrier, était poète et critique d’art. Gide a rendez-vous avec lui en compagnie de Louis Rouart : voir J I, p. 217, novembre 1897. Sur « les affaires » dont il est question ici on a peu d’indications : voir la lettre suivante.
26 BLJD. CP. Paris 16 mars 1897.
27 Ce nom désigne le médecin des Gide comme de Rouart, dont le cabinet se situait au 85 me Saint-Lazare. Voir infra, lettre du 7 février 1901, note 4.
28 BLJD. Dans une lettre à Gide du 10 octobre 1897, conservée à la BLJD, Louis Rouart dira : « Je vous aime comme le plus cher frère ». Gide rappellera cette déclaration plus tard dans J I, p. 1438.
29 BLJD. Enveloppe scellée à la cire. Suscription : M. André Gide 4 Boulevard Raspail / (partie côté boulevard St-Germain) / Paris. C.P. Paris 18 mars 97.
30 Nous n’avons pas pu identifier la personne que désignent ces initiales.
31 BLJD. C.P. Paris 24 mars 1897.
32 S’agit-il de la réédition du Voyage d’Urien suivi de Paludes ? Voir la note suivante.
33 Louis de Saint Jacques avait remplacé Adolphe Retté comme chroniqueur à La Plume en janvier 1897 et avait commencé par prendre Mallarmé pour « tête de Turc » (n° 185, 1er janvier 1897, p. 20). Gide publia dans le Mercure de France du 1er février, pp. 428-9, sous le titre « Une protestation », une lettre ouverte où il prit la partie de Mallarmé contre « les attaques de M. Retté, puis de M. Louis de Saint-Jacques ». Dans « Expertises, IV », La Plume du 1er mars 1897, pp. 150-54, le critique enfiellé rendit compte de façon hostile de la réédition du Voyage d’Urien suivi de Paludes. Puis dans La Plume n° 190, 15 mars 1897, pp. 179-186, sous le titre « La protestation mallarmophile de M. Gide et les Divagations de M. Mallarmé », il attaqua Gide avec brutalité et éreinta l’ouvrage de Mallarmé. Voir MAT, pp. 176-80.
34 La Villa sans maître sera terminé en décembre et publié en 1898.
35 BLJD. C.P. Paris 31 mars 97.
36 En 1883, le compositeur Ernest Chausson (1855-1899) avait épousé Jeanne Escudier, la sœur de Mme Madeleine Lerolle ; il avait donc pour nièce Yvonne Lerolle, à qui Rouart fait la cour.
37 Nous n’avons pas pu identifier cette œuvre.
38 Évocation de l’un des célèbres « Mardis » de la me de Rome.
39 C’est le nom de plume qu’avait pris Henry Gauthiers-Villars (1859-1931) : auteur d’un compte rendu peu intelligent sur Paludes (MAT, pp. 59 et 68-9), il venait d’écrire dans Le Musée des familles de février 1897, p. 126, un commentaire désobligeant sur la poésie de Jammes..
40 Il s’agit vraisemblablement d’annoncer la publication des Nourritures terrestres, qui paraîtront en mai au Mercure de France.
41 Cherfils espérait peut-être que La Revue blanche, dirigée par les frères Natanson, éditerait son dernier livre. Un Essai de religion scientifique, introduction à Wronski, philosophe et réformateur, paraîtra finalement chez Fischbacher en 1898.
42 BLJD. L’enveloppe n’a pas été conservée. Rouart est en route pour Autun.
43 Mécislas Golberg avait publié dans La Revue sentimentale, n° 10, janvier 1897, pp. 29-40, un article élogieux sur la réédition du Voyage d’Urien suivi de Paludes. Gide publia une réponse, sous le titre « Notes », Revue sentimentale n° 11-12, février-mars 1897, pp. 108-10 : MAT, pp. 167-8. Valéry, comme Rouart, reprochera à Gide de s’être abaissé à écrire à un jeune inconnu : VAL, p. 293, lettre du 19 avril 1897. Voir la suite de la lettre sur la querelle des Naturistes, Retté en tête.
44 Louis Barthou (1862-1934) sera très souvent ministre, et président du Conseil en 1913.
45 Gide tenait surtout à ne pas se laisser enfermer dans une seule interprétation de ses écrits, et ne proposait pas une « défense », mais plutôt une mise au point qui soulignait sa manière d’écrire chaque livre « par réaction » contre le précédent.
46 Gide avait déclaré que Le Voyage d’Urien et Paludes « indiquent tout au plus comment j’ai failli vivre ; sûrement : comment il ne faut pas vivre ».
47 Poète parnassien mineur, André Lemoyne (1822-1907) se classe parmi les « intimistes », qui continuèrent un certain romantisme en rimant de la prose et en se complaisant aux tableaux exigus et soignés.
48 Octave Maus (1856-1919) est le co-fondateur avec Edmond Picard (1836-1924) de la revue belge L’Art moderne, du groupe des XX et de la « Libre Esthétique » de Bruxelles.
49 Gustave Lanson (1857-1935), professeur français qui appliqua notamment la méthode positiviste et historique à l’étude des œuvres littéraires.
50 Adolphe Retté (1863-1930), symboliste à ses débuts, a abjuré et affiche dorénavant son hostilité envers Mallarmé. Collaborateur régulier à La Plume, il ne manque pas une occasion depuis le début de 1895 de poursuivre une campagne de vitupération. La publication en 1896 de son recueil de poèmes La Forêt bruissante a confirmé sa transformation : il se ralliera bientôt aux Naturistes, ennemis déclarés de celui que Gide admirait au-dessus de tous.
51 Pierre Lalo (1866-1943), fils du compositeur Édouard Lalo. Musicologue et homme de lettres, il commence à faire de la critique musicale au Journal des Débats en 1896 et deviendra chroniqueur musical au Temps de 1898 à 1914. On ne connaît pas d’article de lui sur Les Nourritures terrestres.
52 Paul Lafond (1847-1918), peintre et graveur né à Rouen, très lié avec Degas. Il s’était retiré à Pau, où il a été nommé conservateur au musée des Beaux-Arts. Dans son atelier du 2 de la rue Deveria, où travailla Carrière, se retrouvaient Coppée, Christian Cherfils et de nombreux lettrés. C’est là que Jammes fit la connaissance de Rouart qui lui parla de Gide. Sa fille Marguerite épousera en 1907 le vicomte René de Cazanove, second fils du vieux poète et châtelain de Sallespisse, Amaury de Cazanove. Par ailleurs sa deuxième fille, Marie-Thérèse, née le 25 mai 1882, épousera Déodat d’Aligny, ami de Rouart.
53 Aucune annonce des Nourritures terrestres ne parut dans cette revue.
54 3 ŒC II, pp. 479-81. Nous retranscrivons d’après le brouillon manuscrit qui est conservé dans les archives Catherine Gide. Au mois de mars les Gide partent en Italie, poussant jusqu’à Florence, avant de revenir vers la mi-mai en Suisse, où Madeleine fera une cure à Lostorf.
55 Le texte publié ne porte que les initiales.
56 Le texte publié porte « Em. ».
57 Virgile, Églogue X, vers 35-36 : c’est un passage que Gide affectionne, et qu’il se plaît à adapter aux circonstances :
Atque utinam ex vobis unus, vestrique fuissem
aut custos gregis, aut maturae vinitor uvae !
58 Le texte publié porte « des heures ».
59 BLJD. Étant en mauvais termes avec son mari qui résidait plus volontiers au château de Jully, la comtesse d’Aligny s’était séparée de biens d’avec lui et habitait l’hôtel Millery, me Notre Dame à Autun, dont elle avait hérité. Suscription : Hôtel Palumbo / Minori per Ravello / par Naples / Italie. C.P. Gare de [Illisible] 26 avril 97. Au dos, de la main de Gide : « Naples / Fontainas / Tante Charles / Claudel ».
60 Réflexions sur La Villa sans maître.
61 BLJD. Suscription : M. André Gide / Poste restante / Firenze / Florence / Italie. C.P. Autun 4 mai 97.
62 Charles Michel (voir supra lettre du 8 décembre 1894), revenu de la campagne de Madagascar, participa ensuite comme second à la mission Bonvalot / Bonchamps en Éthiopie et dans le Haut-Nil, qui dura de février 1897 à juillet 1898. La mission devait rejoindre à Fachoda celle du capitaine Marchand, mais échoua dans des conditions très difficiles et dut rebrousser chemin sans arriver au but. Michel dirigea le retour, en raison de la maladie de son chef. La lettre à laquelle Rouart fait allusion ne semble pas avoir été conservée. Pourtant, Albert Métin, dans un article sur « l’expédition dirigée au début par M. Bonvalot et dont le chef actuel est M. de Bonchamps » cite une lettre anonyme qui pourrait bien être de Michel : « Il ne nous reste que 31 chameaux : ces pauvres bêtes ont des blessures effrayantes [...] dans huit jours nous serons sortis du territoire abyssin et nous serons en plein dans l’inconnu [...] » (« Partage de l’Afrique », La Revue blanche, vol. XIV, 1897, pp. 454-6). De retour à Paris, Michel suivit les cours de l’École des Sciences Politiques ; peu après il commencera une carrière d’écrivain qui le verra publier de nombreux travaux dans les revues Questions diplomatiques et coloniales, L’Illlustration, le Bulletin de la Société des Études Coloniales et Maritimes, Le Nouvelliste de Lyon, La Géographie, etc. Il fera paraître en outre deux ouvrages importants : De Djibouti au Nil Blanc, à travers l’Ethiopie méridionale (atlas en 14 planches et une carte d’ensemble, qui devait obtenir une médaille d’argent à l’exposition universelle de 1900) et Vers Fachoda, à la rencontre de la mission Marchand à travers l’Éthiopie, avec des photographies et des dessins (paru en 1901, ce livre sera couronné par l’Académie française).
63 Voir supra lettre datée « vers le 15 avril ».
64 On se rappelle que Marie, la bonne de Mme Gide, avait l’habitude de faire des remontrances à André : voir supra, lettre du 26 février 1895, pp. 253-4 note 3.
65 Floquet, Charles Thomas (1828-1896), député de la gauche radicale, président de la Chambre en 1889, avait été appelé par Carnot à former un gouvernement pour faire bloc contre la montée du mouvement boulangiste. En 1892, il fut impliqué dans l’affaire du Panama.
66 Jules Ferry (1832-1893), connu surtout pour sa législation scolaire, avait été également l’auteur d’une politique coloniale marquée par des scandales qui provoquèrent sa chute.
67 Henri Brisson, député radical, présida la commission d’enquête parlementaire chargé d’éclairer l’affaire du Panama. Du 18 décembre 1894 au 31 mai 1898 il est président de l’Assemblée nationale. Anticlérical, il fera campagne notamment à partir de septembre 1897 contre le « gouvernement réactionnaire et clérical ». Président du Conseil en juin 1898 après la démission de Méline, il sera favorable à la révision de l’affaire Dreyfus.
68 Marie-François Sadi, dit Sadi Carnot (1837-1894), élu président de la République en 1887, assassiné le 24 juin 1894, républicain radical, s’était surtout distingué par son opposition au Boulangisme.
69 Lazare Carnot (1801-1888), député, sénateur, avait été notamment ministre de l’éducation. Salué comme héros républicain, en 1889 ses cendres avaient été transférées au Panthéon.
70 Le baron Reinach, agent financier de la compagnie du Panama, avait défrayé la chronique à l’occasion du scandale qui suivit sa mort subite en novembre 1892.
71 Les remarques de Rouart reflètent les incertitudes d’une période qui voyait des mutations importantes des forces politiques dans la société. Face à la montée des radicaux et des socialistes, les « progressistes », pourtant majoritaires à la Chambre, sont mal à l’aise, ce qui donne naissance à des organisations telles que le comité national du commerce et de l’industrie en vue des élections de 1898. D’autre part, le gouvernement de Méline ne satisfait pas les intérêts des catholiques, eux-mêmes partagés entre plusieurs courants. Mais une grande bataille se prépare entre catholiques militants et républicains partisans de la laïcité. Voir Jean-Marie Mayeur, ha Vie politique sous la Troisième République, Paris : Éd. du Seuil, 1984, pp. 167-73.
72 Cette lettre, belle sans doute, n’a pas été retrouvée.
73 Jammes est en train de rassembler tous ses nouveaux poèmes pour composer le gros volume De l’Angélus de l’Aube à l’Angélus du Soir. Il en envoie également à Gide au même moment : JAM, pp. 108-9.
74 Il s’agit de L’Orient vierge, « roman épique de l’an 2000 », qui vient de paraître.
75 Ruyters dira d’Adolphe dans sa lettre à Gide du 29 avril 1897 : « livre étonnant, d’une simplicité et d’un sentiment grandioses » (RUY I, p. 38).
76 Allusion aux affres sentimentales par où passe celui qui n’a pas encore réussi à décider Jeanne Rondeaux à choisir entre lui-même et Rosenberg.
77 II s’agit soit de La Musique et la vie, essai qui vient de paraître en avril 1897, soit du récit À eux deux, paru en 1896 et dont un compte rendu dans Le Coq rouge de février 1897 dira : « Il ne se fixe sur rien, il voltige tout le temps... » (RUY I, pp. 272-3).
78 Il a été convenu sans doute déjà qu’Yvonne Lerolle rejoindra la famille de son oncle au bord du lac d’Annecy – d’où l’intérêt d’Eugène.
79 BLJD. Suscription : M. André Gide, Poste restante Genève / Suisse. La lettre a été réexpédiée Villa Martin de Prunet / Montpellier. C.P. Épinac à Étang 20 mai 1897.
80 Rouart et Déodat d’Aligny s’associent pour exploiter ensemble la ferme des Plaines, propriété de la comtesse d’Aligny près d’Autun.
81 Ces précisions confirment combien Jammes est injuste lorsque dans l’« Élégie onzième » du Deuil des primevères il attribue à Gide seul le geste de payer les frais d’Un Jour (voir supra, lettre du 8 mai 1895, note 3). De même, dans ses Mémoires il écrira qu’André Gide « n’hésita pas à me proposer les quelques fonds que je n’avais point et que nécessitait l’édition d’une prochaine plaquette : Un Jour » [L’Amour, les muses et la chasse, p. 163).
82 La santé de Madeleine, toujours mauvaise, a poussé les Gide à consulter à Genève le docteur Andreae, qui a prescrit une cure d’eaux sulfureuses à Lostorfbad, près d’Olten, dans le nord de la Suisse.
83 BLJD. Suscription : M. André Gide / à Lostorf / Près Olten / Suisse. C.P. Autun 27 mai 97.
84 Lors de la fondation à Dijon d’une nouvelle maison de crédit sous ce nom en 1892, un certain Ernest Colot avait publié un pamphlet, La Vérité sur la banque de Bourgogne (Dijon, Imprimerie typographique et lithographique de F. Carné) où il dénonçait dans cette initiative une opération douteuse destinée à sauver la société des Docks de Bourgogne et une société immobilière La Foncière, qui possédaient les trois quarts des actions de la nouvelle banque et dont le cours des actions étaient « très bas, sinon nul ». Voir plus bas, lettre du 7 décembre 1902.
85 En mars 1896 Valentine Rondeaux, sœur de Madeleine Gide, avait annoncé ses fiançailles avec le Dr Charles Bernardbeig, ancien interne des Hôpitaux de Paris. Le mariage aura lieu le 24 juin : le docteur a son cabinet (et sa demeure) au Havre.
86 Il s’agit de M. Charles Marin (1833-1906), père d’Eugène Marin (1859-1899), qui avait épousé Hélène Rouart (1863-1928), la sœur d’Eugène. Charles Marin était directeur de la Compagnie des Chemins de Fer de l’Ouest.
87 Les Nourritures terrestres viennent de paraître aux éditions du Mercure de France (achevé d’imprimer le 4 mai 1897).
88 Wilde fut libéré discrètement et à l’insu des reporters le 19 mai 1897 ; mais Le Journal annonça sa remise en liberté le 20 mai 1897, et dans un article à la première page émit l’espoir que lorsque l’écrivain irlandais arriverait à Paris « on ne se montrera pas ce malheureux comme un héros de Gomorrhe, qu’il restera sans banquets ni manifestations ». Le 28 mai le même quotidien révéla qu’au lieu de venir à Paris Wilde « villégiature paisiblement dans un petit port de la côte normande » et qu’il avait « pris [...] un pseudonyme très balzacien ». On sait que Gide ira voir « Sebastian Melmoth » à Bemeval-sur-mer au mois de juin.
89 Alfred Douglas était retourné en octobre 1896 de Paris à Naples, où il louait la Villa Capella à Posilipo. Le 20 mars 1897, il écrit à Gide : « J’étais absent à Capri et les environs de Naples quand votre lettre est venue » – le revoir a donc été manqué. Douglas a passé deux mois avec sa mère et sa sœur à Rome, d’où il comptait aller à la fin de mars passer une semaine à Venise pour rentrer ensuite à Paris (DOU, p. 493). Gide ira l’y revoir fin juin après avoir visité Wilde à Berneval.
90 BLJD. C.P. Paris 29 mai 97.
91 BLJD. C.P. Paris 1 juin 97.
92 « Laissant Madeleine et Jeanne à Lostorf pour une semaine encore, André rentre le dimanche soir 13 juin à Paris, après une absence de deux mois. » (MAT, p. 217.)
93 BLJD. Suscription : Château de La Roque-Baignard / par Cambremer / Calvados, avec la mention « faire suivre s’il y a lieu ». C.P. Autun 16 juin 97 / Cambremer 18 juin 1897.
94 Gide est vraisemblablement passé par Autun en rentrant à Paris. Après un saut au Havre, il arrivera le 19 juin à Berneval-sur-Mer où il reverra Wilde.
95 Rouart séjournera à la Roque en juillet ; la présence des Lerolle favorisera la cour qu’il fait à Yvonne.
96 Il semble que Déodat n’ait pas assisté à la réunion ; mais Rouart a été accompagné de son ami Claudel (J I, p. 263).
97 Effectivement, Madeleine écrira à André le 17 juin : « Ne prends-tu pas beaucoup de Lerolle ? » (MAT, p. 221).
98 C’est en avril 1897 que Gide avait rencontré pour la première Henri Vangeon, en littérature Henri Ghéon (1875-1944). Celui-ci avait publié un compte rendu des Nourritures terrestres dans la « Chronique des livres de prose » de L’Ermitage, n° 5, mai 1897, pp. 347-8 ; et il rendit visite à Gide pendant la préparation d’une étude qui devait être la plus importante à lui être consacrée jusqu’alors, « André Gide » (Mercure de France, n° 22, mai 1897, pp. 237-62). Gide avait été enchanté dès la première visite chez lui de cet individu qui débordait de chaleur, d’enthousiasme, de sensualité. Il envoie un exemplaire de l’étude de Ghéon à Rouart, et celui-ci invite son auteur à venir le voir me de Lisbonne. Chansons d’Aube, premier recueil de poèmes publiés par Ghéon, vient de paraître sous forme d’une plaquette dédiée à Francis Jammes, en mai 1897 aux éditions du Mercure de France. Gide écrit à Ghéon une lettre élogieuse, la première de leur Correspondance, le « 3, 4 ou 5 juin 1897 » de Lostorf. Le
16 juin, Rouart écrit pour remercier Ghéon de l’envoi des Chansons d’Aube \ « Un nom que j’aime placé en tête me l’a fait ouvrir avec un sourire – et plus loin j’ai aussi retrouvé des amis – des amis qui partagent ma vie, et vous vous promenez dans mon monde en rencontrant les travailleurs au matin sur la route. [...] Ceci pour vous dire que j’ai aimé votre livre et que j’ai su en apprécier la fraîcheur matinale. [...] Merci de votre sympathie, croyez je vous prie à la mienne. » (BN.)
99 BLJD. Suscription : M. André Gide / aux soins de Mme Rondeaux / me de Crosne / Rouen. C.P. Autun 30 juin 97 / Rouen 1 juillet 1897.
100 Voici la lettre de Christian Cherfils conservée avec celles de Rouart à la BLJD :
235 a. CHRISTIAN CHERFILS À EUGÈNE ROUART
Pau, villa St-Hubert.
21 juin 97.
Cher ami.
Que devenez-vous ? Êtes-vous toujours à Autun, – ou à Paris, ou bien à La Queue, ou bien en Suisse, car la saison n’est pas aux Afriques. Et comment allez-vous ?
De près ou de loin, ma pensée vous suit comme elle peut, avec la tendre amitié que vous savez.
Je viens de lire Nourritures terrestres d’André Gide. Si vous voyez l’auteur, dites-lui que je trouve son livre franchement beau. Il y a, selon moi, progrès considérable sur Paludes ; et s’il y a égal progrès de Nourritures à ce qui suivra, il faudra, très décidément, crier : holà !
Si vous voyez M. Natanson, rappelez-moi à son souvenir. Vu Jammes il y a quelques jours, très en veine, car il fait des choses exquises.
Je travaille beaucoup, écriture et peinture : c’est lourd pour un seul homme.
Tous nos tendres souvenirs, et à toi de tout cœur, toujours, cher Eugène.
Christian Cherfils.
101 Le recueil De l’Angélus de l’aube à l’angélus du soir, qui sera dédié à Eugène Rouart en témoignage des efforts que celui-ci aura faits pour obtenir sa publication.
102 Le poète José-Maria de Heredia (1842-1905) était connu pour des aventures spéculatives qui n’étaient pas toujours très réussies.
103 Lugné-Poë se désolidarise avec éclat des symbolistes français dans une lettre au Figaro, publiée le lundi 21 juin, où il déclare que le symbolisme a fait faillite au théâtre et que le Théâtre de l’Œuvre « doit avoir une plus noble tâche que de servir des intérêts que les intéressés défendent si mal ». Désormais, dit-il, le choix de pièces à représenter sera dicté par la qualité des textes, et l’Œuvre « ne s’occupera pas de l’origine des pièces ». Il s’ensuit un tollé général, et une lettre de protestation dans Le Figaro du 24 juin signée par des collaborateurs bafoués (Henry Bataille, Romain Coolus, Louis Dumur, Paul Fort, A.-F. Hérold, Gustave Khan, Pierre Quillard, Rachilde, Henri de Régnier, Saint-Pol-Roux, Auguste Villeray) qui reprochent à Lugné-Poë son ingratitude et « ne lui permettent pas de rompre des relations purement fictives ». À quoi Lugné répond le 25 juin, se moquant de l’incapacité proprement théâtrale de ces auteurs et affirmant à nouveau « ce que je veux faire : me débarrasser de l’influence tyrannique des petites chapelles de lettres, accueillir toutes les bonnes pièces, qu’elles soient signées de noms français ou étrangers ». Le Mercure de France de juillet 1897, pp. 185-92, reproduira de nombreux documents, articles, lettres ouvertes, etc., suscités par cette affaire.
104 Valéry avait pris son emploi au Ministère de la Guerre le 5 mai 1897.
105 BLJD. Suscription : Château de La Roque-Baignard / par Cambremer / Calvados. C.P. Autun 10 juil 97.
106 Lorsqu’il présentera dans ses mémoires le récit d’un séjour qu’il aura fait à la Roque en 1898, Jammes évoquera « la chambre la plus fantomale, située dans une tourelle en ruine, isolée » et racontera une anecdote concernant « un ami du maître de maison, ayant opté pour ce repaire dont le macbéthisme l’avait séduit, [qui] fut pris d’une terreur panique au milieu des ténèbres, et poussa des clameurs telles que l’on crut à un incendie » (Les Caprices du poète, Paris : Plon, 1923, p. 21). Serait-ce Rouart qui fait les frais de cette histoire ? Ou ce dernier y fait-il allusion plaisamment dans cette lettre ?
107 BLJD. C.P. 12 août 1897. La lettre a été scellée à la cire.
108 Charles Chanvin (1877-1953), avocat, est un grand ami de Charles-Louis Philippe et un condisciple de Jules Iehl à la Faculté de droit de Paris : c’est par lui que Gide connaîtra ces deux derniers. Il devait publier des poèmes dans le Mercure de France et L’Ermitage avant de quitter la littérature pour la magistrature. Gide et Chanvin resteront liés jusqu’à la mort de l’écrivain.
109 Armand Désaunay (ou Désaunez) (1846-1913) est le régisseur de la Roque. Il sera souvent question de lui par la suite ; Gide le dépeindra sous le nom de Bocage dans L’Immoraliste et Si le grain ne meurt, et de Robidet dans « Jeunesse » (Feuillets d’automne). Il deviendra peu à peu conscient de ses malversations et finira en juillet 1909 par lui retirer la régie des fermes et l’usufruit d’une maison : voir plus loin.
110 Voir supra lettre du 21 août 1894.
111 On avait donné le surnom « Prince Muichkine » à Fédor Rosenberg, qui courtisait Jeanne Rondeaux, sœur de Madeleine Gide ; celle-ci hésitait entre Rosenberg et Marcel Drouin qu’elle finirait par épouser.
112 Gide s’empresse de se racheter dans une lettre à Chanvin en date du 22 août 1897 : « Rouart et Laurens ont pu s’étonner de vous voir mis au courant par moi de beaucoup de choses très intimes [...] Si vous aimez notre amitié, protégez-la en oubliant, en ignorant, devant quelqu’autre que ce soit Paul Laurens et Rouart tout ce que je vous ai dit de Drouin et de Rosenberg » (Inédite, collection particulière).
113 Ce sera La Villa sans maître, dont Rouart a lu une première version à Gide et à ses amis au cours de son séjour à La Roque. C’est sous l’effet de cette lecture que Gide songera à un ouvrage qui deviendra L’Immoraliste. Dans une lettre à Jammes il déclare : « J’écris [...] la vie de Ménalque (racontée par un autre) – qui, si le permet Rouart, voudrait t’être dédiée. » (JAM, p. 117, juillet 1897.)
114 Edmond de Moulins (1852-1907) avait publié en 1897, chez Firmin-Didot, À quoi tient la supériorité des Anglo-Saxons ? À cette publication devait répondre J. Crespins, Les Français sont-ils inférieurs aux Anglais ? À propos d’un livre récent de Edmond de Moulins, Verneuile, Imp. de J. Gentil, 1898.
115 La réédition du Voyage d’Urien, suivi de Paludes, porte l’achevé d’imprimer du 16 novembre 1896. Louis Rouart remercie Gide de l’envoi du volume dans une lettre du 13 décembre 1896.
116 Mission à laquelle participe son ami Charles Michel.
117 Il s’agit probablement de l’éditeur (1862-1961), qui avait sa boutique 1 boulevard des Capucines, et que Gide envisagera en 1910 d’associer à la NRF : voir ALI, p. 31.
118 Gide note dans son dossier De me ipse sa lecture de l’Histoire du peuple d’Israël (1887- 1893) d’Ernest Renan pendant l’été 1897 à La Roque. À La Roque il lisait aussi le William Shakespeare de Hugo, essai sur la nature du génie ; c’est en août-septembre 1892, au cours d’un voyage en Bretagne, que Gide avait lu le roman de 1866 (« Le Subjectif d’André Gide », p. 78).
119 Patrick Pollard a démontré que Rops avait inspiré certains passages des Cahiers d’André Walter : « Gide amateur de Félicien Rops », Écrire la peinture, textes réunis et présentés par Philippe Delaveau, Paris : Éditions universitaires, 1991, pp. 117-24. La Plume avait publié un numéro spécial sur Rops le 15 juin 1896. Voir aussi Hugues Rebell, « Félicien Rops », Mercure de France, décembre 1898, pp. 650-61.
120 Mme Aline Ménard-Dorian (1850-1929) tenait un salon à la « Faisanderie » (89 rue de la Faisanderie, XVIe) où aux moments les plus intenses de l’Affaire Dreyfus on affichait des sentiments dreyfusards. Anticléricale, républicaine d’extrême gauche, Mme Aline Ménard-Dorian fut Vice-présidente de la Ligue française des Droits de l’Homme. Son mari Paul Ménard-Dorian (1845-1907), député de l’Hérault 1877-89 et 1890-1893, fut un républicain passionné d’ésotérisme.
121 Ce nom étant de lecture douteuse, nous ne pouvons pas préciser l’identité de la personne.
122 Ce nom étant de lecture douteuse, nous ne pouvons pas préciser l’identité de la personne.
123 Rouart écrit : « Brissot » ; mais il s’agit vraisemblablement du docteur Édouard Brissaud (1852-1909). Préparateur d’anatomie pathologique de Charcot, puis chef de clinique médicale à la Pitié en 1881-82 avant d’être nommé en 1889 médecin à l’hôpital St-Antoine, de 1889 à 1892 Brissaud suppléa également Charcot à la Salpêtrière dans ses cours de clinique des maladies du système nerveux. Il avait fondé en 1893 la Revue neurologique. Avec Bouchard et Charcot il édita un Traité de médecine en 6 volumes, 1891-94. Il figure dans les Mémoires de Francis Jammes, qui le retrouvait en villégiature à Orion : voir L’Amour, les muses et la chasse, pp. 207-10.
124 BLJD. Suscription : 4 Boulevard Raspail / (partie côté boulevard St-Germain) / Paris, avec la mention « prière de faire suivre ». C.P. 19 août 1897.
125 Il s’agit toujours de la Ferme des Plaines près d’Autun, propriété de la comtesse d’Aligny, que les deux amis loueront pour l’exploiter ensemble.
126 BLJD. Suscription : Château de Cuverville / par Criquetot l’Esneval, Seine Inférieure. C.P. Paris 26 août 97.
127 La Villa sans maître, que Rouart s’efforce de terminer.
128 Rouart se rappelle sans doute que Louis Dumur (1863-1933), un des fondateurs du Mercure de France, dramaturge (Rembrandt, 1896/ et romancier (Un coco de génie, 1901), avait jugé « bizarre » la poésie de Jammes : Mercure de France, décembre 1893, pp. 364-5.
129 Il s’agit d’Eugène Guillaume – voir supra lettre du 30 août 1893, p. 114 note 2.
130 Daniel Halévy (1872-1962), fils de Ludovic, collaborateur d’Offenbach et ami de la famille Rouart.
131 Calmann-Lévy, éditeur, ancienne maison Michel Lévy frères, dont le siège social se trouve 3 me Auber.
132 De l’Angélus de l’aube à l’angélus du soir paraîtra en 1898.
133 Le deuxième roman de Rouart, où figure ce personnage, s’intitulera La Maison du bien-être. L’allusion à la dédicace de Paludes semble indiquer que Rouart envisage un texte ironique.
134 Alfred Guy est un professeur d’agriculture qui a publié des études sur Le Sahara et la cause des variations que subit son climat (1890) et sur les Famines périodiques en Algérie (1893). Il restera longtemps en relation avec Rouart, et jusque dans les années 1920 il sera Directeur du Service agricole à Foix.
135 Jeanne et Valentine, les deux sœurs de Madeleine.
136 Collection particulière. Un fragment de cette lettre a été publié dans le BAAG, n° 47, juillet 1980, p. 440, d’après un catalogue de libraire.
137 Jeanne Rondeaux, après avoir longuement hésité entre Fédor Rosenberg et Marcel Drouin, s’est finalement fiancée avec ce dernier. Gide annonce la nouvelle dans des lettres à Jammes (JAM, pp. 113-4, 4 juillet) et à Valéry (VAL, p. 299, 5 juillet) ; après un dernier recul sentimental dans les jours qui suivent, Jeanne se décide définitivement au début d’août. Voir la lettre joyeuse que Gide écrit à Drouin le 4-5 août, MAT, pp. 229-30. Le mariage aura lieu à Cuverville le 14 septembre 1897.
138 « En faveur de la simplicité chrétienne. Lettre à Ménalque sur Les Nourritures terrestres », Le Spectateur catholique, juillet 1897. Gide y répondra dans un texte intitulé « Réponse à la lettre du Faune », que publie la même revue en septembre 1897, et qui contient une version de la phrase que Gide note ici. Jammes reviendra à la charge dans sa « Réplique à André Gide », Le Spectateur Catholique, octobre 1897.
139 Il s’agit de De l’Angélus de l’aube à l’angélus du soir, que Gide et Rouart s’évertuent à faire publier par les éditions du Mercure de France. Mais en même temps Rouart compte envoyer au même éditeur La Villa sans maître, ce qui rend délicats ses contacts avec ce dernier.
140 La lettre de Louis Rouart est datée du « 26 août 1897 mercredi matin » : « Vous ne sauriez croire le bien que vous m’avez fait – j’ai reçu votre lettre dans un moment de crise aigue et de complet désespoir. Mais je suis bienheureux maintenant puisque vous voulez bien m’aimer un peu, j’accepte tout avec la plus grande joie, sans fausse timidité ; je serai trop heureux de passer quelques jours avec vous. Je reste confondu devant votre bonté et la délicatesse de votre cœur, vous avez divinement compris qu’à ma sortie du régiment où je ne trouvais pas un peu d’affection autour de moi ma tristesse deviendrait plus grande encore et ma maladie morale recommencerait. [...] Je serai libre au commencement d’octobre mais fixez la date vous-même je m’en remets entièrement à vous. [...] » (BLJD).
141 Elisa Magdalena Louis von Wattenwyl, née de Portes, est une amie des Charles Gide qu’André Gide a rencontrée en Suisse à Elfenau, en 1894. En juin 1895 elle avait écrit à Gide à propos de Paludes : voir J I, p. 566, 25 avril 1907.
142 BLJD. C.P. Veyrier Hte-Savoie, 20 sept 97.
143 II s’agit vraisemblablement de Jeanne Rondeaux et Marcel Drouin, mariés depuis le 14 septembre.
144 BLJD. C.P. Veyrier Hte-Savoie 25 sept. 97.
145 Allusion au Voyage d’Urien, où Urien retrouve Ellis sous un pommier.
146 BLJD.
147 Il s’agit de la gouvernante d’origine allemande de Madeleine : voir J I, p. 358.
148 Nommé d’abord au lycée de La Rochelle, Drouin avait protesté que cette affectation dans une province lointaine lui convenait mal : il vient d’obtenir le poste d’Alençon (Orne), et c’est donc là que le couple s’installe (MAT, p. 231).
149 Louis Rouart.
150 Gide et Rosenberg vont collaborer à une traduction du livre sacré des mages persans, l’Avesta, appelé aussi le livre de Zoroastre ou de Zarathoustra. Voir à ce sujet la lettre à Drouin, 29 octobre 1897, MAT, p. 228. Selon le Journal de Gide, la traduction en question sera finie le 27 octobre 1897 (J I, p. 267).
151 Sur ce portrait que faisait Paul-Albert Laurens, voir RUY I, p. 70, lettre du 19 octobre 1897.
152 Commencé à Rome au printemps de 1897, le drame de Saül a été conçu « en manière d’antidote ou de contrepoids » aux Nourritures terrestres. Le texte paraîtra d’abord sous forme de fragments dans La Revue blanche du 15 juin 1898, pp. 283-303.
153 Fille du pasteur Roberty, familier de la maison Gide, Mathilde Roberty est l’amie des trois filles d’Émile Rondeaux.
154 La Villa sans maître, qui n’a pas encore de titre...
155 Gide a déjà annoncé une Proserpine ou le Traité des Grains de grenade dès 1893, lors de la publication de La Tentative amoureuse ; il la rappellera dans l’épigraphe de la « Ronde de la Grenade », parue en 1896 dans Le Centaure et reprise ensuite dans Tes Nourritures terrestres ; il publiera des fragments d’un drame intitulé Proserpine dans Vers et Prose en 1912 ; et en 1933, à la demande d’Ida Rubinstein, il terminera un opéra, Perséphone, que Stravinski mettra en musique. Dans tous ces textes figure Cérès qui, à l’instar de l’Hymne à Déméter dont Gide s’inspire en partie, fait l’éloge des travaux des champs. Voir André Gide, Proserpine, Perséphone, édition critique établie et présentée par Patrick Pollard, Lyon : Centre d’Études Gidiennes, 1977.
156 De l’Angélus de l’Aube à l’Angélus du Soir, qui paraîtra au Mercure de France en 1898 (achevé d’imprimer 20 avril). Gide en discute un premier titre, qui ne lui plaît pas, dans une lettre à Jammes en juillet 1897 : JAM, p. 117.
157 Jammes avait écrit à Gide au mois de juillet : « [Rouart] m’annonce presque ses fiançailles » (JAM, p. 118). Il faudrait encore un certain temps avant que la simation soit confirmée, et ce ne sera pas sans difficulté...
158 Rappelons que Déodat Quarré de Château-Regnault d’Aligny sera le dédicataire de La Villa sans maître, dont un personnage important portera le nom de Gabriel – prénom originel de Déodat.
159 BLJD. C.P. Autun 11 oct. 97.
160 C’est au mois d’août que Gide avait invité Louis, qui venait de terminer son service militaire, à séjourner à La Roque. Dans une lettre du 26 août 1897 celui-ci dit qu’il serait heureux d’y passer quelques jours et annonce qu’il sera libre au commencement d’octobre. Le 10 octobre 1897 il prévoit son arrivée pour le 13 ; et le 23 il remercie Gide et Madeleine de leur « touchante hospitalité » (BLJD).
161 Dans Le Journal du jeudi [sic] 7 octobre 1897, p. 1, Coppée, sous le titre « Quelques poètes », salue ainsi les vers de Jammes, qu’il cite longuement : « Idylles ingénues, de naïves pastorales. Sont-ce des vers ? À peine, mais c’est assurément de la poésie [...] une pénétrante impression de campagne et d’été, quelque chose de très fin et de très doux. M. Francis Jammes a vraiment une âme d’enfant, et ses sensations sont d’une délicieuse fraîcheur... »
162 Dans le Mercure de France d’octobre 1897, sous la rubrique « Nouveaux masques », Remy de Gourmont avait consacré à « Francis Jammes » un article élogieux de cinq pages (pp. 67-72).
163 Rouart joue peut-être sur le mot « serin », qu’il emploie pour désigner certains poètes (voir p. ex. infra lettre du 7 octobre 1898), et tombe sur un terme signifiant un récolteur de caoutchouc par saignées des hévéas, au Brésil...
164 Ghéon avait dédié ses Chansons d’aube, parues en mai 1897, à Francis Jammes.
165 Henri d’Ardenne de Tizac (1877-1930), qui prit le pseudonyme de Jean Viollis, s’était laissé embrigader dans le mouvement « naturiste » et avait accueilli assez favorablement Les Nourritures terrestres dans son compte rendu « André Gide et la Sagesse », La Revue Naturiste, juin 1897, pp. 146-62. Gide louera dans L’Ermitage de septembre 1898 L’Émoi de Viollis, roman que Madeleine et lui avaient lu dès juin 1897 (MAT, p. 243).
166 Le Blond et les autres naturistes avaient voulu voir en Jammes un membre de leur nouvelle école. Ils avaient pu être dépités de lire, dans le Mercure de ’France de mars 1897, « Un manifeste littéraire de M. Francis Jammes : Le Jammisme », où le poète d’Orthez prenait ses distances vis-à-vis du mouvement malgré la sympathie que lui avaient témoignée Saint-Georges de Bouhélier dans son propre manifeste, paru dans Le Figaro du 10 janvier 1897, et Viollis, dans un article de février 1897. Néanmoins, Tristan Klingsor venait d’écrire dans L’Ermitage de septembre : « M. Henri Ghéon est naturiste comme le fut Francis Jammes [...] délicieusement ». Pour la suite de ces échanges, voir infra, notes de la lettre du 9 août 1898.
167 Sic.
168 Dans L’Indépendance républicaine du samedi 25 septembre 1897, l’article de Jaloux porte le titre : « La jeune poésie : I : Francis Jammes » : « Ici, tout souci de littérature est absent. [...] M. Jammes a gardé un peu la manière de voir des enfants. [...] C’est peut-être le poète qui donne le plus l’impression de la vie – de la vie normale, quotidienne. » Jaloux choisit de louer aussi en Jammes « un prosateur remarquable. [...] La Réponse à Ménalque est une page parfaite, et je regrette de n’en pouvoir ici donner des extraits ; ses Notes sur Alger et des oasis ont une grâce inoubliable. »
169 Charles Gide avait écrit un article sur le roman de Louÿs dans Le Relèvement social (n° 8, 4e année, samedi 1er août 1896, pp. 1-2). L’oncle d’André Gide décèle dans le livre de Louÿs « une sorte de guide pour les maisons de prostitution [...] enveloppé [...] d’une affabulation antique ». Louÿs, se plaignant de ce que les civilisations modernes aient dénaturé les mœurs antiques, « cherche, dit Charles Gide, à nous persuader que les mœurs qu’il décrit étaient la vie normale des citoyens d’Athènes et que notamment ils avaient la coutume d’aller tout nus ». Faisant allusion à une remarque de Louÿs selon qui à Genève, par exemple, on voit aujourd’hui « un peuple vêtu de noir circuler dans les mes », Charles Gide rétorque : « Où veut-il donc aller ? Chez les nègres d’Afrique ? Mais hélas ! ils sont en un sens aussi de noir vêtus. » Louÿs, dans son article « Plaidoyer pour la liberté morale » [Mercure de France, octobre 1897, pp. 7-15), ajoute une note pp. 9-10 : « En réponse à une phrase de la préface d’Aphrodite, où je déplorais de voir “un peuple vêtu de noir” parcourir les rues sales de nos villes du Nord, un professeur d’une faculté de droit du Midi, M. Charles G..., fit imprimer dans une feuille protestante un article où il dénaturait ce passage dans le sens d’un regret de la nudité universelle, et pour mêler l’esprit le plus fin à l’argumentation la plus solide, il ajoutait : “M. Pierre Louÿs n’admire que les nègres du Soudan : mais, dans un sens, ils sont vêtus de noir aussi”. C’est vraiment pour un jeune homme une joie sans mélange que de trouver chez les hommes d’âge des contradicteurs de cette force. » Voir CGLV, pp. 1605-8.
170 BLJD. Carte-lettre. C.P. Paris 12 oct. 97, Criquetot 13 oct.
171 HRHRC.
172 Il s’agit du peintre, ami de Jammes, qui été chargé de recopier le manuscrit.
173 Effectivement, Louis Rouart ne sera plus à La Roque le 26 (J I, p. 265).
174 Rappelons que celui-ci est en train de peindre un portrait de Madeleine.
175 Mlle Roberty ne sera pas de la partie lors du départ pour Étretat le mardi 26 octobre (J I, p. 265).
176 BLJD. C.P. Autun 24 oct. 97.
177 Jammes, ayant appris par l’Argus que Lugné-Poë allait reprendre son projet de mettre en scène Un Jour, avait écrit au directeur du Théâtre de l’Œuvre pour demander des renseignements. Il envoya à Rouart la réponse de Lugné, en lui demandant de communiquer cette lettre à Gide. (Voir ces documents dans JAM, pp. 122-5 et 331-2.) Le 1er novembre, Gide écrit à Jammes : « Rouart m’a écrit pour me dire qu’il n’a pas le temps de t’écrire, et pour me supplier de te supplier de ne pas laisser jouer Un Jour à l’Œuvre. Il dit que cela compromettra le succès de tes vers et comme je suis assez de son avis, je te supplie. » (JAM, p. 127.) Le Mercure de France de décembre 1897, p. 966, publiera une lettre ouverte de Jammes à Alfred Vallette « pour faire savoir que je renonce, pour le moment, à faire jouer à l’Œuvre mon poème Un Jour dont Monsieur Lugné Poe annonçait la représentation au programme de cette saison théâtrale » (JAM, p. 333). Dans un article nécrologique dans La République du
4 décembre 1938, reproduite dans Correspondance Jammes-Fontaine, p. 264, Lugné s’explique ainsi : « J’avais déjà cherché à l’amener au théâtre en 1897. On aurait dû alors jouer Un Jour. La chose se serait faite si Henry Bataille n’était pas intervenu et n’en eût à la dernière minute retiré l’interprète principale, Berthe Bady. »
178 HRHRC. De la main de Rouart : « 28 oct. 97 ».
179 P. 129, sur les 203 pages que contient le texte imprimé.
180 Sic.
181 Il sera achevé le 27 octobre 1897, d’après la lettre à Drouin, 29 octobre 1897, citée dans MAT, p. 228. Le Journal confirme que la traduction à laquelle ils collaborent est « finie hier soir 27 oct. 97 » (J I, p. 267).
182 BLJD. C.P. Autun 27 oct. 97.
183 André Lebey (voir supra, lettre du 7 novembre 1895, p. 307 note 8) a déjà publié un drame, Le Soir (Éd. du Mercure de France, 1895) et un recueil de vers. Automnales (Éd. du Centaure, 1896). Il collabore au Centaure et a envoyé à Gide une lettre très intéressante lors de la parution des Nourritures (DAV, pp. 131-3).
184 Henri Bachelin (1879-1941), d’origine nivernaise, fut l’auteur de poèmes (Horizons et coins du Morvan, 1904) et de romans (Pas comme les autres, 1906, Les Manigants, 1909, Le Village, 1919). Ami de Charles-Louis Philippe, il devait publier une étude biographique de celui-ci en 1929.
185 Paul Hervieu (1857-1915), avocat à la Cour de Paris, commença une carrière de romancier avec des œuvres tranchantes et cyniques (Diogène le chien, 1882, La Bêtise parisienne, 1884) avant de connaître un succès de scandale avec un pamphlet romancé contre la société aristocratique (Peints par eux-mêmes, 1893) et une satire sur les milieux financiers (L’Armature, 1895). Ce sont ses pièces de théâtre qui lui ont valu ses réussites les plus marquantes (La Loi de l’Homme, 1897 ; Connais-toi, 1900).
186 HRHRC. Suscription : Monsieur Eugène Rouart / 12 rue Notre Dame / Autun. C.P. Cambremer Calvados 11 nov. 97, Autun Saône et Loire 12 nov. 97.
187 À la publication de La Villa sans maître Gide y consacrera une partie de sa première « Lettre à Angèle » dans L’Ermitage de juillet 1898, pp. 53-9. Il y fera toujours le même grief : « Et brusquement, ici, le livre cesse ; et la fin n’y est plus du tout. » (EC, p. 13.)
188 BLJD. L’enveloppe est adressée à « Monsieur Marcel Drouin / professeur de Philosophie / au Lycée / Alençon. Pour remettre à Monsieur André Gide. » C.P. illisible à Besançon 16 nov. 97. Au dos, de la main de Gide : « Chanvin / 10 ou 11 me Duguay Trouin ».
189 Fondé en 1888, l’établissement qui s’appelle aujourd’hui l’ENIL de Besançon-Mamirolle (École Nationale d’industrie Laitière et des biotechnologies) a pour mission de former le personnel des entreprises agro-alimentaires et des biotechnologies.
190 Voir la réponse de Gide, datée du 20 novembre.
191 BLJD. Papier à en-tête de l’« Hôtel Lion d’Or / tenu par / Mme Vve. J. Nappey / Maiche (Doubs) ». Enveloppe à en-tête. Suscription : « Monsieur Marcel Drouin / professeur de philosophie au Lycée /d’Alençon / Orne / pour remettre à Monsieur André Gide ». C.P. Maiche, Doubs 16 nov. 97.
192 Titre primirif de La Villa sans maître.
193 Gide nous dit que Quillot « avait aménagé, dans sa chambre d’étudiant pauvre, une sorte de niche où, en place d’icône, une grande photographie du portrait de Barrès par Jacques-Émile Blanche recevait l’hommage de petits cierges allumés » (« Souvenirs littéraires et problèmes actuels », dans Feuillets d’Automne, SV, p. 915).
194 HRHRC. La date du 21 novembre a été ajoutée de la main de Rouart.
195 Fontaine de Jouvence, dont les eaux sont censées rajeunir celui qui s’y baigne.
196 Claude Martin déclare : « Nous devons au moins supposer que, de quinze en quinze jours, du 15 mai au 15 août [1897], il ouvre avec une vive curiosité les livraisons de La Revue de Paris pour y suivre le nouveau roman de Barrès : Les Déracinés. Mais il attendra la sortie du volume, et les articles de Doumic dans la Revue des Deux Mondes [15 novembre] et de Maurras dans La Revue encyclopédique [25 décembre 1897], pour réagir publiquement » (MAT, p. 223). Cette lettre semble indiquer plutôt que Gide a attendu la sortie en volume du livre, en octobre, pour lire le roman. Au demeurant, il a écrit son article en décembre sans avoir pris connaissance de l’article de Maurras, qu’il ne lira que beaucoup plus tard (voir EC, p. 953). « À propos des Déracinés de Maurice Barrès » paraîtra dans L’Ermitage de février 1898, pp. 81-8. Voir EC, pp. 4-8.
197 Sous ces premiers mots de la phrase on distingue un premier début : Je suis en train d’aimer ton. Les mots « j’aime ton livre » ont été rajoutés en marge après la modification du début de la phrase.
198 Ici deux lignes soigneusement biffées.
199 Cette lettre a été publiée dans le tome II des Œuvres complètes, ŒC II, 483-5. Claude Martin indique que le manuscrit du brouillon (Archives Catherine Gide) consiste en quatre petites pages de carnet dont rien n’indique qu’il s’agisse d’une lettre (MAT, p. 239).
200 On retrouvera cette méditation sous la plume de Gide lorsqu’il écrira le compte rendu de La Villa sans maître, dans L’Ermitage de juillet 1898, où il attribuera ces pensées à Ménalque : « “L’erreur est qu’aujourd’hui rien dans l’État n’assouvit le désir de gloire, en permettant la vraie valeur. Trop de courage est défendu sitôt que ce n’est plus pour se soumettre. Que peut être un Etat où plus que la vigueur, est prônée l’acceptation ?” / Et comme je m’étonnais de l’entendre parler politique, il ajouta : “Le temps vient où honte a celui qui ne parlera pas de cela !” » (EC, p. 11). Quant à la citation de Chateaubriand, elle est à rapprocher de la citation du même texte que Gide donne dans son compte rendu : « Levez-vous vite, orages désirés ! » (EC, p. 12).
201 Marguerite Moréno (1871-1948), actrice, est l’épouse de l’écrivain Marcel Schwob (1867-1905).
202 Un fragment de cette lettre a été cité dans le BAAG, n° 62, avril 1984, p. 305, d’après un catalogue de libraire, avec pour date l’indication « novembre 1897 ».
203 BLJD. Suscription : 4 Boulevard Raspail / (partie côté boulevard St-Germain) / Paris. C.P. Autun 2 Déc. 97.
204 L’explicit du roman est daté « Les Plaines, décembre 1897 ».
205 L’affaire Dreyfus rebondit le 15 novembre, jour où Scheurer-Kestner proclame l’innocence de Dreyfus dans une lettre ouverte au Temps. Le lendemain Le Figaro publie une lettre de Mathieu, frère d’Alfred Dreyfus, déclarant qu’il a découvert le nom de l’auteur du bordereau, le commandant Esterhazy. Le 25 novembre paraît dans Le Figaro le premier des articles de Zola en faveur de la cause dreyfusiste, « M. Scheurer-Kestner » ; le texte se termine par la célèbre phrase : « La vérité est en marche, et rien ne l’arrêtera. »
206 Édouard Drumont (1844-1917) avait publié en 1886 son livre retentissant La France juive. Chef de file de la presse antisémite, dans le journal La Libre parole qu’il avait fondé en 1892 il réplique à l’allégation contre Esterhazy.
207 Fragments d’une lettre cités d’après un catalogue de libraire dans le BAAG, n° 53, janvier 1982, p. 143. Gide et Madeleine passent les fêtes de fin d’année auprès des Charles Gide.
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