Introduction
p. 15-26
Texte intégral
SCÈNES DE LA VIE D’UN CENTRE COMMUNAUTAIRE
1L. est volontaire et militante. Elle n’a pas encore 40 ans, elle est employée de bureau. Depuis longtemps, elle vient au Centre lesbien, gai, bi et trans (LGBT) de Paris et Île-de-France1 une à deux fois par semaine, parfois plus quand elle se rend disponible pour remplacer un. e autre volontaire ou pour faire face à une défection de dernière minute. C’est une volontaire « experte », dépositaire d’un bagage d’informations précieuses et d’un savoir-faire certain. Lorsqu’elle répond à celles et ceux que l’on appelle au Centre les « usagers », ses gestes sont sans hésitation, sa voix droite et limpide, ne laissant transparaître aucune incertitude. Elle participe à de nombreuses activités, ne néglige pas de venir aux réunions mensuelles des volontaires, les fameuses « globales », et intervient activement dans la réflexion sur l’activité principale du Centre, l’accueil. Régulièrement, on lui propose d’entrer dans le conseil d’administration, mais elle refuse car elle préfère rester en contact avec les usagers et veut préserver sa vie privée. Elle participe aussi souvent au « vendredi des femmes », la soirée historique non mixte du Centre. Pendant ses heures de permanence, elle ne se ménage jamais. Elle fait des allers-retours permanents entre le banc d’accueil, le local des permanences psychologiques, sociales et juridiques pour accompagner les personnes ayant rendez-vous avec les professionnel.le.s, le bar et le bureau de l’administration – où je travaille quotidiennement – pour me demander un conseil, le numéro d’une association, pour vérifier une information, les horaires d’une réunion, etc. Elle s’en va généralement avec le même sourire généreux qu’elle affiche en arrivant. Aux yeux de toutes et tous son engagement est un exemple et sa présence réellement stimulante.
2G. vient au Centre quasiment tous les jours, généralement en dehors des horaires d’ouverture au public, pour rencontrer l’assistante sociale, faire un point sur sa situation et essayer d’avancer dans ses démarches administratives, de recherche de logement et d’emploi. Il a 19 ans, et depuis que son homosexualité a été révélée, il est en rupture familiale. Il est « monté » à Paris car il ne voyait pas d’autre endroit possible pour chercher de l’aide. Il a été orienté au Centre par les services sociaux de la mairie de Paris. Avant tout, il faut assurer à G. un toit. Dès le premier soir, il loge dans l’une des quelques chambres d’hôtel du dispositif d’hébergement que le Centre a mis en place, entièrement financé par la direction départementale des Affaires sanitaires et sociales (DDASS) et par la Caisse d’allocations familiales (CAF). Pour l’assistante sociale, il est important de garder le lien avec les usagers qui cumulent des situations économiques et morales extrêmement précaires. Malgré un emploi du temps surchargé, elle donne rendez-vous presque tous les jours aux personnes qu’elle suit. G. est assez grand et gaillard, semble plutôt serein, un « look » urbain, modeste mais soigné. Quand je monte la grille qui sécurise la vitrine lorsque le Centre est fermé, et qu’il franchit la porte d’entrée après avoir attendu un peu nerveusement sur le trottoir, il semble d’emblée apaisé, en sécurité, un peu comme s’il rentrait à la maison. Il a trouvé ses marques, a un coin où déposer ses affaires et mange souvent au Centre ; c’est moins cher, plus calme et moins froid. Un soir, aux alentours de 19 h 30, quelques dizaines de minutes avant que je m’en aille, il entre dans mon bureau pour me demander si l’assistante sociale est encore dans les parages. Il est tard, elle est déjà partie. Il semble agité et me demande s’il peut rester un peu dans la bibliothèque, juste en face de mon bureau. Après la fermeture du Centre, les associations utilisent la bibliothèque comme salle de réunion. Il me demande si je pense qu’elle va revenir, s’il peut prendre un rendez-vous pour le lendemain, s’il peut rester au Centre. Il est troublé et de plus en plus confus. Il panique. Soudain il se lève, entre dans mon bureau et me dit qu’il ne se sent pas bien, il ne sait pas ce qu’il a, mais il n’est pas bien, il n’en peut plus. Je l’invite à s’asseoir, à boire un verre d’eau et à respirer profondément, je tente de le rassurer : « Ça va passer. » Il craque, dit qu’il ne sait plus quoi faire, qu’il essaie de tenir bon mais n’y arrive pas. Il n’a plus rien. Il pleure tellement fort qu’il a du mal à respirer, s’effondre complètement sur la table. Je ne parviens pas à le calmer. J’appelle l’assistante sociale sur son portable, elle lui parle, cela le rassure : qu’il rentre tranquillement dans sa chambre d’hôtel, elle le recevra le lendemain à la première heure.
3B. a été l’une des premières personnes avec qui j’ai réalisé un entretien pour mes recherches. Il fait partie de l’association Bi’Cause. Il est bisexuel et le revendique, en dépit des remarques ironiques déplacées et des sourires sarcastiques qu’il lui arrive souvent d’endurer, partout et même au Centre. J’ai réalisé l’entretien chez lui, en banlieue parisienne. Alors que je le questionne sur le militantisme bisexuel, il revient toujours à ce que signifie vivre la bisexualité, et rappelle combien il a été difficile de faire comprendre à ses ami. e. s et à sa famille son désir et ses amours. Il vit avec un homme, pendant plusieurs années a eu une relation avec une femme, et il lui est arrivé de vivre sous le même toit à trois. Pour lui, cela n’a rien d’étrange, il aime aussi bien les hommes que les femmes, et s’il a participé à la mobilisation pour le Pacs (Pacte civil de solidarité) et comprend la difficulté de concevoir des configurations partenariales à trois, il continue de penser qu’il faudrait aller plus loin en demandant la reconnaissance d’autres modes relationnels. Il regrette que depuis la création du groupe en 1996, la cause bisexuelle ne mobilise pas plus de monde. Ce qui ne l’empêche pas de militer avec détermination, d’animer les réunions mensuelles au Centre, d’organiser des soirées conviviales, d’écrire dans le journal de l’association et de défiler sous le drapeau bisexuel à la Marche des fiertés LGBT. « La bisexualité doit être reconnue et les bisexuel. le. s cesser d’être stigmatisé. e. s », répète-t-il inlassablement. Sa démarche et son engagement sont ceux de la visibilité.
4T. anime toutes les semaines la permanence de l’association qui s’occupe des personnes transgenres en cours ou en demande de transition. Il est lui-même FtM (Female to Male). Pour lui, la solidarité et l’entraide sont des principes fondamentaux. Dans l’attente de lois qui reconnaissent pleinement l’autodétermination de l’identité de genre et mettent en conformité les dispositifs législatifs français avec les conventions et les textes européens, il poursuit son combat sur le terrain en accueillant, en informant et en conseillant toutes ces personnes qui se trouvent souvent piégées dans des protocoles médicaux contraignants et humiliants. Avec d’autres, il arrive d’habitude bien avant les horaires de permanence et ne part que lorsqu’il n’y a plus personne et qu’il est épuisé. Il passe du registre de la convivialité à celui de l’accueil avec une gaîté et un sérieux remarquables. Le jeudi après-midi, quand l’association est là, le Centre bouillonne de monde, c’est un va-et-vient permanent de volontaires et d’usagers qui bavardent, prennent un verre, s’informent, échangent, écoutent de la musique, fument une cigarette devant la vitrine sur le trottoir, juste en face de l’école de la rue Keller2. Ensemble, on discute souvent du Centre, de ses problèmes et de sa richesse. Ce qui le passionne, c’est de voir à quel point dans cet open space de plus de 100 m2, ayant pignon sur rue, se côtoient des vies et des expériences très diverses et pourtant unies par une volonté de faire bouger les choses, de lutter pour des changements. Il aime le Centre et venir au Centre, car on y milite en même temps qu’on y vit.
UNE PERSPECTIVE ARCHÉOLOGIQUE
5J’ai passé quatre années au Centre, entre 2002 et 2006. J’y suis tout d’abord entré comme stagiaire dans le cadre de ma première enquête d’observation participante, en même temps que je réalisais une maîtrise de sociologie puis un DEA, première pierre d’une thèse en études politiques à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS). Après six mois de stage, j’ai été engagé comme employé administratif puis comme assistant de direction. Mon travail de terrain était devenu, en somme, mon travail tout court. Cette position au cœur du monde associatif et militant LGBT, que je considérais comme privilégiée pour conduire une enquête sur la base d’observations et d’entretiens, allait finalement bouleverser le cours de mes recherches.
6En tant que salarié d’un des Centres LGBT les plus grands et les plus financés de France, non seulement j’avais accès aux informations relatives à la vie associative, mais j’étais en contact quotidien et permanent avec un grand nombre de militant.e.s et de responsables d’associations. Mon activité professionnelle impliquait un fort investissement dans le militantisme, dans la mesure où je participais activement aux réflexions, aux événements et aux processus décisionnels. Si je n’étais pas statutairement à même de participer aux délibérations, j’ai été pendant très longtemps la seule personne présente quotidiennement dans les locaux du Centre, l’élément central du fonctionnement des activités et l’informateur privilégié des volontaires et du conseil d’administration. La méthode de l’observation participante avec laquelle j’avais démarré mon enquête était devenue sans aucun doute une participation observante. Je pouvais questionner, me déplacer, interroger et enquêter sans aucune réserve (ou presque), bénéficiant d’une confiance certaine des responsables du Centre ainsi que des militant. e. s et des volontaires. Les mois passant, j’ai acquis un savoir-faire que n’avaient ni les militant. e. s, engagé.e.s plutôt dans des activités tournées vers l’extérieur de l’association, ni les volontaires, présent. e. s occasionnellement dans les locaux ou seulement à des heures tardives. Bref, les interactions se densifiaient et s’intensifiaient au rythme de l’urgence quotidienne de la pratique, ce qui contribuait à rendre mon terrain opaque à la réflexion que nécessite la recherche scientifique.
7Les débats académiques sur les coûts et les bénéfices pour la recherche des méthodes participatives font l’objet d’une abondante littérature, que l’on ne saurait ici résumer. Christophe Broqua (2009) a analysé les enjeux des rapports entre engagement scientifique et engagement militant, s’appuyant sur la recherche conduite au sein d’Act Up-Paris. Il a ainsi mis en évidence les stratégies subtiles – et les conséquences souvent inattendues qu’elles produisent – que les chercheurs mettent en place pour négocier un juste milieu entre dynamique d’engagement et dynamique de distanciation. Réfléchissant à cette tension, qu’il rattache d’ailleurs à des approches et à des épistémologies de la recherche sociologique différentes, Didier Fassin propose d’explorer une troisième voie « qui n’est pas moyenne, mais liminale », car le chercheur « fait partie de ce monde qu’il étudie et y est donc engagé, tout en travaillant à le constituer en objet, par conséquent en s’en distanciant » (2009, p. 201). Ce que note également Gérard Althabe (1990) :
L’ethnologue est confronté à une situation empiriquement constituée (le terrain) qui est le produit d’un découpage dans le social [...]. En même temps, il définit sa propre position : il se place à l’extérieur de cet univers social, il se regarde comme en dehors de la situation de rencontre. L’investigation (l’enquête de terrain) est un mouvement pour surmonter cette extériorité, un voyage qui l’amènera dans ce monde dont il produira une connaissance de l’intérieur.
8Si j’étais fortement engagé dans mon terrain car pris dans l’action et donc au plus près du matériau empirique, la distance nécessaire pour produire des données pour la recherche et pour l’analyse, et donc pour constituer en objet la réalité dans laquelle j’étais plongé, était plus difficile à trouver. Alors que j’étais pris dans le flux de l’activité et que j’occupais une position névralgique, ma prise de distance et mes interrogations auraient pu produire une rupture de confiance, voire une rupture dans l’activité militante. Ensuite, je constatais sur le terrain que la production d’un savoir « savant » sur le militantisme ne va pas de soi, du moins n’allait pas de soi pour certaines des personnes rencontrées, et finissait d’ailleurs par ne plus aller de soi pour moi-même. Car construire un savoir sur la réalité, c’est constituer en objet et donc rendre objectif – c’est objectiver des expériences, des actions et des paroles qui émanent de subjectivités s’affirmant et revendiquant une autonomie contre toute forme de détermination sociale et donc d’objectivation. Le militantisme LGBT est avant tout un militantisme qui touche à l’identité construite, choisie et revendiquée contre une structure sociale hétérosexiste dominante qui nie cette affirmation. Objectiver la réalité sociale de la position particulière qui était la mienne était associé, pour certain.e.s, à une opération abusive de production d’un savoir hétéronome. Ainsi, dans ce contexte, la production d’une connaissance, fût-elle produite de l’intérieur, demeurait une opération d’expropriation. J’étais donc confronté à un problème lié aux conditions mêmes de faisabilité et de légitimité de mes recherches, qui demandait une solution non plus seulement méthodologique mais aussi d’ordre éthique.
9Étant donné que je ne pouvais pas perdre mon travail, qui finançait mon doctorat – une stratégie qui aurait pu être profitable pour réaliser l’enquête dans des conditions distanciées (Landour, 2013) –, j’ai alors décidé de déplacer le regard porté sur la réalité pour me focaliser moins sur les sujets que sur les objets. Autrement dit, il s’agissait désormais d’étudier moins les sujets qui participent au mouvement, et notamment les trajectoires individuelles de la mobilisation (Cefaï, 2007), que le mouvement comme objet construit, sa genèse et les conditions de sa production militante. Ce qui revenait, selon l’expression de Michel Foucault, « à faire l’histoire de l’“objectivation” » (1978, 2001, p. 555), c’est-à-dire à faire l’histoire des constructions qui sont considérées comme données objectivement par celles-là et ceux-là mêmes qui les pensent et les pratiquent au quotidien comme instrument d’action et de lutte, et qui participent à leur production. Mon choix n’a pas été d’adopter une posture critique pour dévoiler les rouages de la domination que combattent les militant.e.s LGBT, ou une posture descriptive pour faire état de la grammaire militante et des agencements auxquels elle donne lieu. J’ai plutôt opté pour une prise de distance qui permettait de garder en même temps ma position privilégiée d’observateur participant et mon regard sur le temps présent : le détour par l’histoire. J’ai donc opté pour une perspective archéologique (Foucault, 1969). Il s’agissait d’observer le présent avec une profondeur historique, pour faire apparaître et comprendre les moments cruciaux d’émergence des mouvements, de production des identités et de construction des communautés LGBT.
UNE ANALYSE POLITIQUE EN TERMES D’HISTOIRE
10Le choix d’adopter une focale panoramique et de s’intéresser plus à la trajectoire historique qu’au terrain de l’actualité s’est révélé nécessaire pour comprendre les logiques productives d’un militantisme peu étudié. En effet, à l’époque où je démarrais cette recherche, pour le cas français, à l’exception de quelques travaux pionniers (Duyvendak & Duyves, 1993 ; Duyvendak, 1995), circonscrits à des groupes et à des mouvements précis, l’histoire politique de l’homosexualité demeurait encore inexplorée. Seul le livre de Frédéric Martel (2000) faisait office, pour le grand public, de monographie générale. S’y référaient non seulement les homosexuel. le. s et les militant.e.s pour y trouver le récit de leur histoire, mais aussi les étudiant.e.s et les lycéen. ne. s intéressé. e. s par le sujet. Or le biais idéologique que semble adopter l’auteur, au-delà des aspects polémiques de certaines de ses positions, rend difficile la déconstruction des catégories pensées et pratiquées dans le champ du militantisme LGBT. Plus précisément, les catégories centrales de mouvement, d’identité et de communauté sont abordées davantage dans une perspective politique universaliste, et donc a priori hostile et sceptique vis-à-vis du fondement identitaire et communautaire du mouvement, que dans une visée analytique.
11Il a donc fallu avancer une analyse politique archéologique pour mettre en perspective les catégories du discours qui structurent, orientent et soutiennent la pensée politique de l’homosexualité, et en premier lieu les catégories militantes de mouvement, d’identité et de communauté. La permanence sur le terrain au sein du militantisme LGBT m’a en effet conduit à identifier ces catégories comme des objets discursifs centraux, à la fois produits de l’activité militante et producteurs de partitions militantes diverses, variant en fonction du contexte politique et donnant à voir une histoire fragmentée, bien loin de la linéarité que l’on pouvait se figurer au premier abord.
12Cette recherche s’apparente donc moins à une sociologie qui donnerait à voir les trajectoires et les pratiques des militant. e. s, ou les cadres et les structures de la mobilisation, qu’à une étude politique de l’action collective LGBT. Comment les militant.e.s ont-ils/elles pensé l’homosexualité et comment ce savoir a-t-il participé à la construction des mouvements, des identités et des communautés en tant que réponses d’une minorité politique ? Et donc, quelles politiques ont été pratiquées par les collectifs, les groupes et les associations qui ont produit et mis en forme un mouvement social d’ampleur nationale enraciné dans des réseaux locaux identitaires et communautaires ? C’est cette histoire mouvementée que l’on voudrait ici retracer et discuter.
13Le projet d’une analyse politique qui s’appuie sur l’investigation historique, selon la proposition archéologique de Foucault, consiste à « déterminer quelle forme de relation peut être légitimement décrite entre ces différentes séries ; quel système vertical elles sont susceptibles de former ; quel est, des unes aux autres, le jeu des corrélations et des dominances ; de quel effet peuvent être les décalages, les temporalités différentes, les diverses rémanences, dans quels ensembles distincts certains éléments peuvent figurer simultanément » (1969, p. 18-19).
14Dans ce sens, les mouvements, les identités et les communautés peuvent être considérés comme des objets travaillés dans le discours et par les discours dont une « analyse en termes d’histoire » (Arendt, 1953, 2002, p. 968) permet de mettre en évidence les jeux d’alliances, de stratégies et de tensions qui les constituent et les traversent. Il s’agit d’analyser comment l’activité de production des mouvements, des identités et des communautés relève, avant tout, de la formulation et de la circulation de discours sur les mouvements, les identités et les communautés. Et donc :
ne pas – ne plus – traiter les discours comme des ensembles de signes (d’éléments signifiants renvoyant à des contenus ou à des représentations) mais comme des pratiques qui forment systématiquement les objets dont ils parlent. Certes, les discours sont faits de signes ; mais ce qu’ils font, c’est plus que d’utiliser ces signes pour désigner des choses. C’est ce plus, qui les rend irréductibles à la langue et à la parole. C’est ce plus qu’il faut faire apparaître et qu’il faut décrire. (Foucault, 1969, p. 66-67)
15Ces discours constituent dès lors un savoir militant, autrement dit un champ discursif à l’intérieur duquel les groupes construisent en objets politiques les discours qu’ils formulent et qu’ils pratiquent. J’ai donc procédé à une analyse des discours qui ont participé historiquement à la construction du militantisme LGBT en France, depuis l’invention de l’homosexualité au xixe siècle jusqu’à l’émergence d’une forme de militantisme inter-associatif au début des années 2000, marquée par l’introduction de la formule LGBT. Plus précisément, j’ai étudié les archives du militantisme LGBT au travers de la production discursive écrite dans les journaux et les revues militants, dans les tracts et les manifestes, dans les documents associatifs et dans les témoignages publiés.
16Organisé en sept chapitres, cet ouvrage tente de déconstruire quelques fausses évidences qui tendent à considérer la longue marche vers l’émancipation politique des minorités LGBT comme historiquement nécessaire et inévitable, en reconstruisant les étapes cruciales où des réponses collectives ont été discutées et mises en pratique, et donc stratégiquement choisies. Si la défense des droits des personnes LGBT et la revendication pour l’accès à l’égalité des droits constituent des stratégies politiques centrales et, pour partie, gagnantes, il apparaît que la construction d’un militantisme LGBT autonome et spécifique, conçu et mis en œuvre dans des espaces identitaires et communautaires, dont les Centres LGBT représentent probablement la forme la plus organisée, est en réalité un aspect souvent politiquement et médiatiquement moins visible mais bien plus mobilisateur en termes de ressources humaines et financières. J’ai donc tenté de passer pour ainsi dire derrière les politiques de revendication en termes de droit, afin de saisir les dynamiques et les logiques qui gouvernent la construction d’un espace du militantisme LGBT. L’ambition n’est pas d’établir ici une histoire générale de l’homosexualité ou une histoire exhaustive du militantisme homosexuel français, mais bien d’apporter une contribution à une histoire de la politisation de l’homosexualité par une analyse des moments-clés d’émergence, d’organisation et de transformation des mouvements, des identités et des communautés LGBT en France.
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Le Moment politique de l’homosexualité
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2014
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Études sur le genre, les sexualités et le sida
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