Ménalque aux multiples visages : intertextualité virgilienne, poétique gidienne et pratique de la lecture
p. 237-251
Texte intégral
1Le personnage de Ménalque apparaît d’abord dans les Idylles de Théocrite. Mais c’est le Ménalque des Bucoliques de Virgile que Gide reprend dans Ménalque, pièce publiée dans L’Ermitage en janvier 1896, et qu’il fait apparaître dans Les Nourritures terrestres en 1897. À la même époque, s’inspirant de Gide, Eugène Rouart met en scène un nouvel avatar de Ménalque dans La Villa sans maître. En 1898, dans la première « Lettre à Angèle », Gide fait de Ménalque une ancienne connaissance en même temps qu’il rend compte du roman de Rouart. Ménalque fait une brève apparition dans l’« Histoire de Tityre » du Prométhée mal enchaîné. Enfin en 1902, L’Immoraliste met aux prises le personnage de Ménalque avec un personnage réaliste, Michel.
2Le personnage de Ménalque que Gide construit passe d’un imaginaire à l’autre, d’un genre littéraire à l’autre, d’une fiction à l’autre : dans quelle mesure Gide peut-il dès lors rester fidèle à Virgile ? Le Ménalque gidien accepte en son sein plusieurs imaginaires : l’univers biblique contribue à en dessiner les contours, et dans le contexte socio-historique de la fin du xixe siècle, Ménalque est une figure exemplaire du détachement, état de l’individu dont les liens avec le monde ne sont pas donnés d’avance, et qui peut s’engager dans telle communauté sans s’y assimiler, adhérer à tel style de vie sans l’intégrer complètement1. Où résident alors l’unité et l’autonomie d’un personnage capable de transfictionnalité ? L’enracinement de Ménalque dans des textes donne-t-il au détachement qu’il représente une couleur particulière ?
UN EMPRUNT TRÈS CONSCIENT
3Gide, qui a lu et relu le texte latin des Bucoliques, en connaissait de nombreux passages par cœur2. Son Ménalque manifeste l’attention avec laquelle il a lu les Bucoliques, et d’abord sa sensibilité à la langue latine. Dans Les Nourritures terrestres, dans Le Prométhée mal enchaîné et dans L’Immoraliste, Ménalque est un personnage surplombant, voire dominant, et incitateur. Ces caractéristiques communes aux trois œuvres s’enracinent dans la réalité du texte et des intentions de Virgile. Dans les deux églogues des Bucoliques où Virgile met Ménalque en scène, l’ordonnancement des mots dans le vers d’une part, et les coupes d’autre part, soulignent des expressions et des mots significatifs3. Dans la troisième églogue, l’apostrophe « tu », mise en valeur par sa position, juste avant la coupe hepthémimère, est relayée par l’expression « perverse Menalca4 » (« vicieux Ménalque »), mise en valeur en fin de vers5. Au vers 14, les coupes penthémimères et hepthémimères isolent « puero », qui désigne ici le jeune Daphnis, puis au vers suivant la coupe penthémimère précède et met en valeur « nocuisses » qui renvoie au mal que Ménalque aurait voulu faire à cet adolescent. Dès le quatrième vers de l’églogue V6, Ménalque est en position de majesté, présent au début et à la fin d’un vers encadré par l’apostrophe « tu » de Mopsus à Ménalque, et par la seconde apostrophe « Menalca ». Ce même vers contient le terme « maior » (Ménalque est « l’aîné » des deux) et, curieusement juxtaposés, les termes « aequom » (« juste ») et « parere » (« obéir ») : l’âge de Ménalque rend naturelle l’obéissance qui lui est due. Ménalque n’est pas acteur dans la neuvième églogue, mais son nom fait quatre fois retour, et toujours en fin de vers7. Les deux protagonistes de cette églogue, Lycidas et Mœris, célèbrent les dons poétiques de Ménalque dont ils citent les vers. Quelques mots frappent ainsi l’esprit du lecteur et suffisent à esquisser le portrait de Ménalque : berger plus âgé, qui domine les autres par son âge, par son art de la parole poétique, par sa violence. Son nom seul évoque la force : en grec ancien ménos désigne l’âme, le principe de vie, d’où la force, la vigueur, le courage, et alkè désigne la force agissante, et par suite l’emploi de la force8.
4Le latin, langue morte exigeant de ses lecteurs du xxe siècle un déchiffrement pour pouvoir accéder au sens du texte, favorise une telle attention aux mots et à leur agencement9. Mais l’intérêt de Gide pour les bergers arcadiens aurait pu le conduire à se pencher sur la huitième et la neuvième des Idylles de Théocrite : le berger Ménalque y est mis en scène, de manière bien plus crue que chez Virgile10. Gide connaissait Théocrite, mais il ne chérissait pas n’importe quelle Antiquité et c’est dans le monde irréel et littéraire de Virgile11 qu’il s’est plongé. Notons également que si le nom grec de Menalkas ne dissone pas chez Théocrite, il est, pour Virgile et ses lecteurs, un emprunt à un monde étranger qui distingue fortement le personnage12. Virgile fait coexister dans ses Bucoliques des personnages imaginaires et empruntés à Théocrite, ainsi Ménalque et Tityre, et des personnages réels, tels Asinius Pollion dans la quatrième églogue, ou Cornelius Gallus dans la sixième. Le sentiment d’irréalité qui en découle est renforcé par la présence de symboles. D’une part, la multiplication des personnages et de leurs modes de présentation a pu faire penser que les personnages des Bucoliques étaient des masques derrière lesquels les commentateurs se sont efforcés de découvrir des personnes réelles13. D’autre part, Virgile fait de figures comme les Nymphes, les Muses, Apollon, des signes qui constituent « une idéalité que ne crée plus la crainte religieuse, mais les souvenirs littéraires14 ». Ce n’est donc pas seulement l’Arcadie et ses bergers que Gide emprunte à Virgile. C’est de tout ce dispositif et de cette construction littéraires dont il s’imprègne lorsqu’il lit les Bucoliques. D’ailleurs une seule fois le Ménalque de Gide est mis en scène en compagnie de bergers épris d’amour et de chant poétique : dans Les Nourritures terrestres, Hylas, Mœlibée et Mopsus, bergers des Bucoliques15, écoutent le récit de Ménalque et lui répondent par des chants successifs. Ailleurs, Gide le met en scène indépendamment du monde pastoral des Bucoliques, et en fait le support et l’objet d’une nouvelle construction littéraire.
APPROPRIATION DE MÉNALQUE
Autonomisation de Ménalque par rapport à l’univers virgilien
5Même en compagnie d’autres personnages empruntés aux Bucoliques, le Ménalque de Gide échappe à l’univers virgilien. Dans les Bucoliques, les bergers ne sont jamais seuls : ils dialoguent entre eux, participent à des joutes poétiques. Le Ménalque de Gide, au contraire, n’est d’aucune communauté. Dans Les Nourritures terrestres, il est interpellé à de nombreuses reprises par le sujet lyrique, mais l’échange du je disciple avec son maître Ménalque n’est jamais mis en scène. Lorsque Ménalque prend la parole au quatrième livre des Nourritures, c’est pour dérouler d’un seul tenant un long récit, qu’il juge inaccessible à ses auditeurs qui « ne sav[ent] pas », qui « ne p[euvent] pas savoir [...] la passion qui brûla [s]a jeunesse » (RR1, p. 379). Une fois le récit terminé, Ménalque coupe court à la discussion qu’il pourrait susciter16 et n’intervient pas entre les rondes et ballades qui se succèdent devant lui (p. 388) et qui sont pourtant une réminiscence des chants alternés dans les Bucoliques. Dans L’Immoraliste, Ménalque est d’emblée présenté par Michel comme à l’écart de la communauté des universitaires, peu apprécié, toujours en voyage (p. 647). Les discussions entre Michel et Ménalque ne sont pas équilibrées. Lorsque pour la première fois Michel vient trouver Ménalque chez lui, ce dernier a quasiment le monopole de la parole. Au cours du dialogue Michel répond aux propos et aux gestes de Ménalque, pose des questions, n’a jamais l’initiative, tandis que Ménalque parle de façon autoritaire17. Nous sommes loin des bergers virgiliens faisant alterner les vers de leurs chants et valoir une parole poétique propre.
6Le Ménalque de Gide est d’autant plus étranger à toute communauté que Gide semble le soustraire à toute réalité sensible. Dans Les Nourritures terrestres, seul le je réfère au monde des bergers, affirmant que la « vie nomade est celle des bergers » et disant à Nathanaël qu’il « mettr[a] dans [s]es mains [s]a houlette » et que ce dernier « garder[a] [s]es brebis à [s]on tour » (RR1, p. 417). Ce même je évoque des séjours en Algérie, décrit les lieux, les scènes qui s’y jouent, les sensations qu’il y a éprouvées18, tandis que la vie nomade de Ménalque se déroule en des lieux très divers dont il égrène les noms dans son récit sans que figurent ni l’Afrique du Nord ni la Grèce. Il est d’ailleurs remarquable que le « désert » et les « oasis » (p. 381) ne figurent dans son récit qu’à titre de métaphores19. Dans L’Immoraliste, Ménalque est un explorateur, mais la destination de ses voyages n’est jamais précisée. Il est allé à Biskra « [s]achant que [Michel] ven[ait] d’y passer », et rien n’indique qu’il a connu là-bas les mêmes jouissances que Michel ou que Gide lui-même. Bien plus, il a voulu y « rechercher » les « traces » (p. 648) de Michel, à la manière d’un historien archéologue ! Ménalque, pourtant maître du sujet des Nourritures terrestres et aiguillon pour un Michel avide de sensations, est chez Gide étranger non seulement au monde virgilien, mais à l’imaginaire arcadien que Gide déploie à partir de son expérience nord-africaine.
La « contamination20 » biblique
7Le personnage de Ménalque est construit à partir des Bucoliques, mais il prend corps à la faveur d’une inscription dans l’univers biblique, lui aussi familier à Gide. Ménalque est le lieu d’une contamination, c’est-à-dire d’un mélange, d’un fondu de plusieurs matières : la matière première virgilienne du personnage s’enrichit d’emprunts à la Bible. Dans Les Nourritures terrestres, la Bible constitue à la fois une origine (l’épigraphe du Ménalque publié dans L’Ermitage fait de l’Évangile une voie possible pour rejoindre l’éthique du personnage) et un horizon (le personnage de Nathanaël). Gide resserre le lien entre l’univers biblique et le personnage de Ménalque dans son Prométhée et dans son Immoraliste. Dans Le Prométhée mal enchaîné, Ménalque est une créature qui « m[e]t une idée dans le cerveau de Tityre, une graine dans le marais devant lui » (RR1, p. 502). Or « cette idée était la graine, et cette graine était l’Idée » et Tityre « remerci[e] Dieu de la lui avoir donnée » (p. 502), avant que la graine ne devienne un arbre et n’assèche les marais dans lesquels végétait Tityre. Autant de façons de dire qui renvoient à la parabole du grain de sénevé dans l’Évangile selon saint Matthieu, où l’on peut lire que « le Royaume des cieux est semblable à un grain de sénevé qu’un homme a pris et semé dans son champ » et que « c’est bien la plus petite de toutes les graines », mais que « quand il a poussé, c’est la plus grande des plantes potagères, qui devient même un arbre21 ». L’intervention de Ménalque dans l’« Histoire de Tityre » du Prométhée permet l’assèchement des marais et la construction d’une ville, et peut être assimilée à celle du Dieu créateur qui organise le monde et, au troisième jour de la Genèse, fait que « les eaux en dessous des cieux se rassemblent en un lieu, et que le sec paraisse22 ».
8Ménalque dépose une graine dans le cerveau deTityre, et ressemble en cela au Pouchkine que Gide prend pour exemple dans son étude « De l’influence en littérature ». Il écrit en effet que Pouchkine déposa « un jour dans [l’]esprit [de Gogol] » un « petit sujet », un « germe » dont Gogol fit Les Âmes mortes (EC, p. 412). L’influence est de fait le trait principal du Ménalque des Nourritures et de L’Immoraliste. Le personnage fut en effet le maître du je des Nourritures terrestres qui dit à son disciple Nathanaël (dont le nom le rattache à l’univers biblique) « ce que [lui] disait Ménalque » et ce que « [lui] disait encore Ménalque » (RR1, p. 355). Dans L’Immoraliste, nous avons vu que Ménalque n’était mis en scène que dans sa conversation avec Michel, où l’initiative lui appartenait quasi entièrement. Plus encore, les propos de Ménalque irritent Michel car ils « pré[cèdent] trop [s]a pensée » et la « mett[ent] à nu brusquement » (p. 657-658) : la rencontre qui s’opère entre le propos de Ménalque et les dispositions de Michel, qui ne demandent qu’à être actualisées, est celle que Gide décrit lorsqu’il parle de l’influence23.
9Gide construit donc un personnage paradoxal : figure de la liberté de choisir et d’abandonner ses attaches, il est cependant enraciné dans deux textes dont Gide fait une lecture à l’opposé du butinage et du détachement d’un Ménalque, et l’objet d’une véritable ruminatio. Cette rencontre entre une intertextualité choisie et une posture éthique font l’étrangeté du personnage de Ménalque. Dans la tension entre la lecture de deux textes anciens d’une part, et d’autre part la représentation d’une influence capable de réorganiser un environnement et un imaginaire, réside l’usage que Gide fait du personnage de Ménalque.
USAGE DU PERSONNAGE DE MÉNALQUE
Les mots de Ménalque
10Le récit de Ménalque se déploie à partir de certaines notions définitoires du dilettantisme : le fait de ne pas s’attacher, le vagabondage, la mobilité, le refus de s’attacher à une idée parce qu’à chaque raisonnement « s’en peut opposer un adverse qu’il ne s’agit que de trouver » (RR1, p. 381), la dépersonnalisation, l’accumulation des connaissances et le plaisir que tout cela procure (voir p. 380-382 et 384). Ces notions, déclinées en des termes divers, émaillent les premières pages du récit, où Ménalque raconte la conversion de ses 18 ans et explicite son nouveau mode de vie. Elles sont autant d’aspects que développe Paul Bourget dans le chapitre « Du dilettantisme » de son étude sur Renan24. Bourget présente celui-ci comme un exemple de dilettantisme et évoque son « détachement sympathique », « les inconstances de sa fantaisie mobile », « les contradictions où il s’est complu » puisque tout jugement doit laisser « sa place à un jugement sinon tout à fait contraire, au moins différent25 ». Il décrit « le rêve du dilettante » qui « serait d’avoir une âme à mille facettes pour réfléchir tous [les visages de la Nature]26 » ainsi que la diversité des connaissances de Renan qui étudia les « théologies les plus opposées », « cinq ou six littératures, autant de philosophies, toutes sortes de mœurs et de coutumes27 ». Enfin il n’omet pas de mentionner le plaisir qu’une telle posture procure au dilettante dont la disposition d’esprit est « très voluptueuse28 ». Mais ces renvois ne concernent par le seul Paul Bourget et sont en cela un jeu plutôt qu’un dispositif critique. L’orgueil dont Ménalque se réclame quatre fois (p. 382-384) est aussi bien un écho au Barrès d’Un homme libre. La description de l’appartement parisien aux « volets clos », à l’air « saturé d’odeur », à la bibliothèque bien ordonnée où Ménalque s’éclaire d’une « lampe allumée, bien que ce fût le jour » (p. 383), rappelle la réclusion du des Esseintes de Huysmans, dans À rebours. Les réunions musicales et amoureuses, dans des barques àVenise, ou sur le lac de Côme (p. 384 et 386), ressemblent à des scènes de fêtes galantes. Francis Jammes plaisantait d’ailleurs Gide sur ce patchwork, écrivant sitôt après la publication de Ménalque dans L’Ermitage : « je sais que Ménalque n’est pas toi. Tu nous as servi là de l’Anatole France aristocratique, du Barrès intelligent, de l’Henri de Régnier souple ; avec, entre les lignes, l’accompagnement invoulu de ton âme délicieuse et de ta poésie divine29 ».
11Le récit de Ménalque n’est pas seulement un patchwork de références, mais un maillage lexical. Son propos est émaillé de mots qui reviennent à intervalles réguliers. Les termes « vagabond », « attacher », « ferveur », « disponible », « fièvre », « foyer », « joie » et « délices », « orgueil », « beauté », « justice », sont non seulement récurrents, mais font l’objet de jeux linguistiques. Le verbe « attacher » se répète sur le mode du polyptote (« s’attache », « je ne m’attachai point » [RR1, p. 385]) ou de la dérivation (« attachements », « attache » [p. 380 et 387]). S’ajoutent à cet ensemble des synonymes (« fixer », « entravé » [p. 381]) et des antonymes (« détacher », « quitta » [p. 382]). L’adjectif « vagabond » est employé au sens figuré pour qualifier la fièvre ou l’âme, mais aussi au sens propre pour qualifier des « choses » (p. 380 et 382), c’est-à-dire dans le cadre d’une personnification. Gide semble traduire de manière fantaisiste ce qu’il a appris sur le langage au début des années 1890, alors qu’il se passionne pour la philologie et « le problème du langage30 ». La facture de son récit fait donc apparaître Ménalque comme celui qui peut prendre en charge tous les vocables et les articuler malgré les postures intellectuelles différentes auxquelles ils renvoyaient dans le champ littéraire à l’époque de Gide, et indépendamment des sens variés qu’un même mot peut revêtir selon les contextes – ainsi l’orgueil est l’un des sept péchés capitaux dans le cadre de la pensée chrétienne, et il est, sous la plume de Barrès, l’expression d’une posture ancrée dans la fin du xixe siècle.
12À l’image du Ménalque que La Bruyère met en scène dans ses Caractères31, le Ménalque des Nourritures se définit à la fois par une posture (la distraction chez La Bruyère, le détachement chez Gide) et par une manière de dire cette posture. Roland Barthes qualifiait de « faux récit32 » le portrait de Ménalque par La Bruyère, et le définissait comme la juxtaposition de termes d’un même lexique renvoyant tous à un même signifié qui pourrait être ici le détachement, ou encore le nomadisme éthique. Ce faisant, Barthes refusait à ce Ménalque le statut de personnage, faute de contours définis et d’unité. Or chez Gide, le bric-à-brac lexical et pictural du récit de Ménalque peut bien n’avoir pas de contours définis, il n’en a pas moins non seulement une unité (le nom de Ménalque et l’enracinement de cette création gidienne dans les textes virgiliens et bibliques), mais aussi un sens puisqu’il est ressaisi dans une instance de discours singulière qui est celle-là même du protagoniste : Ménalque ne représente pas seulement le détachement, il représente aussi une certaine liberté dans l’usage du langage. Reprenant à mon compte l’expression de « mimesis d’une abstraction33 » que forge Michael Riffaterre pour rendre compte du vrai manifesté par Les Caractères de La Bruyère, et la déplaçant de la représentation par le récit à la représentation par un personnage, je qualifierai Ménalque de mimesis du logos – logos entendu à la fois comme langage et comme capacité raisonnée à en faire usage.
13Au livreVI des Nourritures terrestres, le sujet lyrique dit à Nathanaël que « dans ce livre, [il] ne veu[t] pas faire de personnalités » car « dans ce livre il n’y [a] personne » (RR1, p. 422). Gide quant à lui écrit à Marcel Drouin que « Ménalque n’a jamais existé ; c’est une création parasite qui prend sa vie à même la mienne et l’affaiblit d’autant34 ». Le Ménalque des Nourritures n’est certes pas la mimesis d’une personne. Il est « sans entrailles » et il n’est pas même un « vivant35 », pour reprendre les mots de Paul Valéry, dans la mesure où il fonctionne plus qu’il n’existe dans la fiction des Nourritures terrestres. Cela a d’ailleurs déçu certains critiques qui ont reproché à Gide l’absence d’homme et d’action dans ce texte. Charles-Henri Hirsch écrit dans L’Ermitage que l’« homme est si totalement absent des Nourritures terrestres qu’on se demande qui elles nourrissent et s’il existe », et regrette de ne pouvoir qu’imaginer des « personnages réels » et des « figures agissantes36 » dans le décor décrit par Gide. Rachilde au Mercure de France exprime une opinion semblable et conclut que c’est « à des auteurs comme André Gide qu’il appartient de régénérer l’antique roman » et qu’« ils seraient coupables de n’en vouloir écrire que le nouvel évangile37 ». Or en 1898, le changement est radical : dans sa première « Lettre à Angèle », publiée elle aussi dans L’Ermitage, Gide s’amuse à faire de Ménalque l’une de ses connaissances récemment décédée et propose aux lecteurs une notice nécrologique (EC, p. 10-12). La mise en scène du personnage dans La Villa sans maître de Rouart38, roman publié en 1898, joue sans doute un rôle décisif dans cette évolution, en faisant participer Ménalque à une fiction romanesque et en en faisant non plus seulement un point de départ, un aiguillon, mais l’horizon fantasmatique de Laurent, protagoniste réaliste.
Ménalque, maître du logos
14Le protagoniste réaliste de L’Immoraliste, Michel, se caractérise par un rapport vicié au langage. Son récit, qui devrait être une explicitation de ce qu’il a vécu entre son mariage et la mort de Marceline, ne débouche sur aucune conclusion. Bien plus, il s’achève sur le renoncement à toute pensée et à toute « recherche » (RR1, p. 690). Un court passage seulement de son récit prend la forme d’un argument : lorsque Michel cherche à formuler une morale provisoire pour l’« être neuf » (p. 626) qu’il est devenu. Il part du constat que ce qui « importait » était que Marceline « ne troublât pas [s]a renaissance », et en déduit qu’il doit « donc » la lui « dissimuler » (p. 626). Il poursuit l’analyse de la situation en remarquant que ce n’est pas ce nouvel être que Marceline a épousé, mais au lieu d’en tirer cette fois une conclusion en bonne et due forme, il escamote la structure consécutive, et fait de la répétition de ce constat un aiguillon suffisant pour se « cacher » (p. 626). Ce n’est qu’après coup que le « donc » manquant apparaît, et non plus pour soutenir une conséquence logique, ce que cette délibération intérieure laissait attendre, mais une conséquence réelle, dans l’ordre des faits : « [m]es rapports avec Marceline demeurèrent donc, en attendant, les mêmes » (p. 626). De manière plus générale, le récit de Michel est saturé des verbes « croire », « penser », « sembler », « apparaître », qui ponctuent son discours et l’éloignent des faits qu’il est censé rapporter. Au début du récit, ces verbes d’opinion suggèrent plutôt la méprise qui fut celle de Michel, encore ignorant de l’être que son éducation a recouvert39. Puis ils traduisent l’illusion que Michel, pourtant archéologue et philologue habitué à déchiffrer les signes qui se présentent à lui, ne cherche jamais à percer. Michel emploie donc des mots pour qualifier des personnes et des situations qu’il ne fait pas l’effort de décrypter. Michel révèle ainsi l’inadéquation fondamentale de sa parole à toute réalité (puisqu’il n’en institue aucune) et à toute vérité (puisqu’il se satisfait d’opinions et de croyances).
15Les scènes réunissant les personnages de Michel et de Ménalque sont significatives à cet égard : la parole de Ménalque dénonce les manques de celle de Michel, en même temps qu’elle oppose à celui-ci le modèle d’un usage rigoureux du langage. Lors de leurs retrouvailles, Ménalque se borne à ce constat : « Je ne sais encore si je vous entends bien ; vous m’intriguez » (RR1, p. 647), prélude à une enquête. Ménalque a voulu « rechercher » les « traces » de Michel à Biskra, il a « cherché, fouillé, questionné partout où [il a] pu » (p. 648). Il collecte les indices (la maladie de Michel, ses sorties avec des enfants plutôt qu’avec sa femme, le consentement au vol des ciseaux par Moktir) et les interprète pour aboutir à une expression juste, adéquate à l’expérience singulière de Michel : c’est le « sens de la propriété » (p. 650) qui lui fait défaut40. Une deuxième rencontre a lieu, chez Marceline et Michel, à l’occasion de laquelle Ménalque critique l’imitation, c’est-à-dire l’adhésion à une apparence disponible, loin d’une lecture en profondeur de chaque individu – celle-là même à laquelle il s’est livré pour déchiffrer Michel. Il explique que « [c]hacun [...] accepte un patron tout choisi » alors qu’il y a « d’autres choses à lire, dans l’homme » (p. 653). Enfin lors de la soirée que Michel passe auprès de Ménalque, celui-ci parle par métaphores et comparaisons :
Regrets, remords, repentirs, ce sont joies de naguère, vues de dos. [...] j’abandonne au loin mon passé comme l’oiseau, pour s’envoler, quitte son ombre. Ah ! Michel, toute joie [...] veut toujours trouver la couche vide, être la seule, et qu’on arrive à elle comme un veuf. – Ah ! Michel ! toute joie est pareille à cette manne du désert qui se corrompt d’un jour à l’autre ; elle est pareille à l’eau de la source Amélès qui, raconte Platon, ne se pouvait garder dans aucun vase... (p. 657)
16Si Michel est littéralement frappé par ce discours, la suite de son récit suggère qu’il l’a reçu de manière littérale41.
17Face à Michel, pourtant narrateur, Ménalque est celui qui sait lire, c’est-à-dire interroger tout signe qui se présente à lui, et ne lui attribuer de sens, c’est-à-dire un nom, qu’après enquête. Ménalque est aussi celui qui n’est prisonnier d’aucune parole étrangère, à la différence de Michel qui a recours à des expressions toutes faites telles « bonne société », « se respectent » (RR1, p. 647), « sens moral » (p. 650), ou qui répète « mot pour mot » les propos de Marceline (p. 653). Ménalque est encore celui qui non seulement maîtrise les signes, mais peut les falsifier : il peut « ternir » (p. 648) des étoffes orientales pour les faire passer pour des pièces de musée. Enfin il est capable de décrypter et de nommer indépendamment de tout cadre de valeurs. C’est précisément ce que Michel est incapable de faire, ce qu’il ne comprend même pas lorsqu’il entend Ménalque, puisqu’il craint son jugement et croit que la finalité de son propos est le reproche (p. 648 et 650).
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18Dans le cas du personnage de Ménalque, l’intertextualité est une question d’usage dont les fins sont étrangères à Virgile comme à la Bible. Bien que fidèle au texte virgilien comme au texte biblique, Gide ne propose guère de nouvelle interprétation des Bucoliques ni de la Bible par le biais de Ménalque, ni n’invente de nouvelles histoires pour ce personnage qu’il abstrait de tout romanesque. L’originalité de la transfictionnalité de Ménalque tient à sa dimension philosophique. Son art de la lecture et son usage critique du langage l’apparentent au philosophe-philologue nietzschéen. Ménalque sait « ne pas rester lié42 », au nom d’une indépendance qui n’est pas une simple négation mais l’affirmation d’une capacité à lire et à interpréter.
19Cependant Ménalque ne se définissant par aucune action ni aucune parole individuelle, caractéristique d’une personnalité, il est un personnage posé face au lecteur comme un objet, dans toute son étrangeté. En cela Gide dépasserait la contradiction du personnage romanesque que Mallarmé dénonce, à savoir qu’il est à la fois semblable aux lecteurs et indépassablement fait de mots43. Gide exhibe la condition verbale de son personnage et en fait le support de la représentation d’une certaine pureté du langage, entendue comme état de la langue hors du cadre que lui impose un quotidien banal44.
20Mais contrairement aux Nourritures terrestres, la confrontation de Ménalque, dans L’Immoraliste, avec Michel, qui est aux prises avec une histoire, avec les autres et avec lui-même, constitue le cadre d’une mise à l’épreuve. Ménalque est la jauge offerte au lecteur pour apprécier les manques de Michel. Celui-ci est le répondant réaliste de Ménalque et permet d’interroger sa nature langagière au lieu de simplement s’y référer. Le personnage de Ménalque invite ainsi à réfléchir au rapport entre langage, morale et action. Héritier de la réflexion sur le langage de Nietzsche et de Mallarmé, Gide pose à travers lui les questions suivantes : quelle axiologie permet de décider de la justesse d’un nom ? Comment articuler d’un côté le rapport vicié de Michel au langage, et de l’autre la défaite de sa volonté ? Et plus largement : le rapport au langage de Ménalque est-il efficient dans le monde de l’action humaine, ou autrement dit : qu’aurait été le récit de Michel s’il avait su acquérir l’usage raisonné du langage dont Ménalque lui fait la démonstration ? Il s’agit de « provoquer le sens philosophique du lecteur », non « par certaines exagérations45 », comme l’envisageait Renan au seuil de ses Dialogues philosophiques, mais par l’étrangeté du chiffre.
Notes de bas de page
1 Thomas Pavel explicite la notion de « détachement » en l’inscrivant dans son contexte et en en décrivant les multiples facettes, tant littéraires que politiques et sociales, dans son ouvrage La Pensée du roman (Gallimard, « Essais », 2003, p. 357- 366).
2 Gide exprime son admiration pour les Bucoliques et sa familiarité avec ce texte dans son Journal, à la date du 22 novembre 1894 : « Je reprends les Églogues de Virgile. Je croyais les savoir par cœur ; il me semble que je ne les ai jamais lues ; merveilleux don de nouveauté du poète. » (J1, p. 189)
3 Les citations des Bucoliques deVirgile renvoient au texte établi et traduit par Eugène de Saint-Denis, avec une introduction et des notes de Jean-Pierre Néraudau (Les Belles Lettres, « Classiques en poche », 2002).
4 Virgile, III, v. 13.
5 Voici les vers 13-15 de la troisième églogue des Bucoliques : « fregisti et calamos ; quae tu, perverse Menalca, / et, cum vidisti puero donata, dolebas, / et, si non aliqua nocuisses, mortuus esses ». Eugène de Saint-Denis en propose la traduction suivante : « Quand tu as brisé l’arc de Daphnis et ses flèches ; quand tu as vu ces présents offerts à l’enfant, vicieux Ménalque, tu t’affligeais, et, si tu n’avais eu aucun moyen de lui faire du mal, tu en serais mort ».
6 « Tu maior ; tibi me est aequom parere, Menalca » ; « Tu es l’aîné ; à toi, Ménalque, je dois obéissance ».
7 Voir Virgile, IX, v. 10, 16, 18 et 55.
8 Gide a étudié le grec, il consigne dans son Journal ou dans Les Cahiers d’André Walter des citations originales d’Homère et des tragiques, mais il ne le pratiquait pas. Voir J1, p. 9 et 69 ; et RR1, p. 9.
9 Thomas Cazentre explique que « la lecture de référence trouve son accomplissement le plus pur dans [...] la lecture des langues mortes, c’est-à-dire (Gide n’ayant jamais maîtrisé le grec) du latin », car « la lecture du latin suppose d’être attentif à chaque mot, et surtout de pénétrer dans la structure profonde, sémantique et syntaxique, de chaque phrase ». La littérature latine constitue ainsi le modèle de la lecture de référence qui « aspire idéalement à lire n’importe quel texte, français ou étranger, comme on lit le latin, c’est-à-dire pour parvenir à une compréhension qui n’est jamais une consommation, une méditation qui n’est jamais un épuisement, et qu’il faut donc toujours recommencer » (Thomas Cazentre, Gide lecteur. La littérature au miroir de la lecture, Kimé, 2003, p. 49).
10 Leconte de Lisle souligne cette différence dans la préface à sa traduction des Idylles : Théocrite « possède de la nature un sentiment très vif et très vrai qu’il ne se plaît pas à dissimuler sous des formes toujours élégantes et monotones. C’est un grand paysagiste, large et sobre à la fois, plein de lumière et de vigueur, autant qu’un poète énergique et passionné. Les molles tendresses virgiliennes le décolorent, l’affadissent et l’énervent absolument » (Idylles de Théocrite et Odes anacréontiques, Leconte de Lisle (trad.), Poulet-Malassis & De Broise, 1861, p. V).
11 Le 22 novembre 1894, Gide « repren[d] les Églogues deVirgile » et précise : « Entre tous Virgile m’a ravi [...]. Théocrite, je ne le connais pas, malgré ce que j’en lus jadis avec Élie Allégret (et je le comprenais fort mal). » (J1, p. 189-190)
12 Dans le texte deVirgile, le nom de « Menalcas » porte la désinence -as caractéristique des noms grecs dont il suit la déclinaison spécifique.
13 Voir Léon Hermann, Les Masques et les visages dans les « Bucoliques » de Virgile, Presses universitaires de France, 1952.
14 Bruno Snell, Die Entdeckung des Geistes. Studien zur Entstehung des europäischen Denkens bei den Griechen, Vandenhoeck & Ruprecht, 1975, p. 273 ; je traduis.
15 Ils apparaissent respectivement dans les églogues VI, I et V.
16 Josèphe remarque que les « événements [...] ont disposé de [lui] d’une façon qu’[il] n’[a] pas approuvée » et Ménalque lui répond que « [t]ant pis », car il « préfère [s]e dire que ce qui n’est pas, c’est ce qui ne pouvait pas être » (RR1, p. 388). C’est sur ce propos de Ménalque que se clôt le deuxième chapitre de ce quatrième livre.
17 Ménalque affirme qu’« il faut être à jeun » pour « boire » du « vin de Chiraz » ; Michel accepte les liqueurs que Ménalque lui propose mais « voyant qu’on n’apport[e] qu’un verre, [il] s’étonn[e] : [...] Craindriez-vous de vous griser ? » Ménalque poursuit la série de ses affirmations : « je tiens la sobriété pour une plus puissante ivresse », fumer « est une ivresse impersonnelle, négative, et de trop facile conquête ». Michel rougit et deux fois demande à Ménalque de lui dire ce qu’il a appris sur lui à Biskra (RR1, p. 648-649).
18 Voir les livres II, III, VI et VII des Nourritures terrestres.
19 Au début de son récit, sans qu’il ait été question d’aucun pays désertique ni même chaud, Ménalque raconte pourtant que « [s]on bonheur venait de ce que chaque source [lui] révélait une soif, et que, dans le désert sans eau, où la soif est inapaisable, [il] y préférai[t] encore la ferveur de [s]a fièvre sous l’exaltation du soleil » et qu’« il y avait, au soir, des oasis merveilleuses, plus fraîches encore d’avoir été souhaitées tout le jour » (RR1, p. 381). La soif de jouissance dont il vient d’être question appelle le mot « source », et ces deux termes déclenchent seuls l’évocation du désert et de ses oasis qui ne peuvent dès lors être interprétés que comme métaphores.
20 Le terme trouve son origine chez le comique latin Térence. Gérard Genette en étend l’acception : voir Palimpsestes. La littérature au second degré, Éditions du Seuil, « Points essais », 1992, p. 370-372.
21 Matthieu, XIII, 31-32.
22 Genèse, I, 9-10.
23 Dans son étude « De l’influence en littérature », Gide affirme que « les influences agissent par ressemblance » et qu’elles nous montrent « non point ce que nous sommes déjà effectivement, mais ce que nous sommes d’une façon latente » (EC, p. 406).
24 Paul Bourget, Essais de psychologie contemporaine. Études littéraires (1883), André Guyaux (éd.), Gallimard, « Tel », 1993, p. 36-44.
25 Ibid., p. 37 et 39.
26 Ibid., p. 38.
27 Ibid., p. 41.
28 Ibid., p. 36.
29 Lettre de Jammes à Gide, 7 février 1896, citée par Yvonne Davet, Autour des « Nourritures terrestres » : histoire d’un livre, Gallimard, 1948, p. 93.
30 Dans son Journal, à la date du 1er janvier 1892, Gide fait de l’étude du langage une entreprise salutaire, opposant un éparpillement entre diverses émotions et la capacité à raisonner : « Wilde ne m’a fait, je crois, que du mal. Avec lui, j’avais désappris de penser. J’avais des émotions plus diverses, mais je ne savais plus les ordonner ; je ne pouvais surtout plus suivre les déductions des autres. Quelques pensées, parfois ; mais ma maladresse à les remuer me les faisait abandonner. Je reprends maintenant, difficilement mais avec de grandes joies, mon histoire de la philosophie, où j’étudie le problème du langage (que je reprendrai avec Müller et Renan). » (J1, p. 148)
31 Voir dans Les Caractères (1688) le chapitre « De l’homme », § 7.
32 Roland Barthes, « La Bruyère », Essais critiques, dans Œuvres complètes, Éric Marty (éd.), 3 vol., Éditions du Seuil, 1993, vol. 1, p. 1343.
33 Michael Riffaterre, « L’effet de vrai : La Bruyère à l’eau-forte », dans PFSCL, n° 44, numéro spécial « Le tricentenaire des Caractères », Louis Van Delft (dir.), 1989, p. 10.
34 Cité par Yvonne Davet, op. cit., p. 86.
35 Ibid., p. 569.
36 Ibid., p. 141.
37 Ibid., p. 142.
38 L’histoire narrée dans La Villa sans maître a pour protagoniste Laurent, personnage hésitant entre deux voies inconciliables représentées par deux personnages : Ménalque est un voyageur incessant ; Gabriel cherche à construire un foyer. Dans sa préface à La Villa sans maître, David H. Walker montre bien comment Eugène Rouart a enrichi le personnage de Ménalque en puisant dans la vie de Charles Michel, explorateur et ami de Rouart. Voir Eugène Rouart, La Villa sans maître (1898), David H. Walker (préf.), Mercure de France, 2007.
39 Par exemple au tout début du récit de Michel : « m’ignorant encore moi-même, je crus me donner tout à elle. » (RR1, p. 598) Ou : « Elle était catholique et je suis protestant... mais je croyais l’être si peu ! » (p. 598)
40 Dans Les Nourritures terrestres, Ménalque cherche déjà à déchiffrer, mais cet aspect du personnage est présent en mineur : « Chaque effet naturel nous devenait comme un langage ouvert où l’on pouvait lire sa cause ; nous apprenions à reconnaître les insectes à leur vol, les oiseaux à leur chant, et la beauté des femmes aux traces de leurs pas sur le sable. » (RR1, p. 383)
41 Il est intéressant de noter que les Nouvelles leçons sur la science du langage de Max Müller, que Gide lit au début des années 1890, comprend une leçon entière consacrée à la métaphore. La leçon s’ouvre par une longue citation de Locke où celui-ci rappelle « combien toutes sortes de sciences, de discours et de conversations sont infectées et embrouillées par la négligence et la confusion qui sont mises dans l’emploi et dans l’application des mots ». Voir la huitième leçon, « La métaphore », dans Max Müller, Nouvelles leçons sur la science du langage (1863), 2 vol., Georges Harris & Georges Perrot (trad.), A. Durand & Pedone-Lauriel, 1868, vol. 2, p. 50.
42 Friedrich Nietzsche, Par-delà bien et mal (1886), Patrick Wotling (trad. & éd.), Flammarion, « GF », 2000, p. 92.
43 Stéphane Mallarmé, Divagations, dans Œuvres complètes, Bertrand Marchal (éd.), 2 vol., Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 2003, vol. 2, p. 220.
44 D’ailleurs Gide fait une lecture mallarméenne des Bucoliques. Dans son Journal, à la date du 22 novembre 1894, il dit y admirer des lignes musicales qui lui demeurent incompréhensibles et extérieures (J1, p. 189-190).
45 Ernest Renan, « Préface », Dialogues et fragments philosophiques, Calmann Lévy, 1876, p. VI.
Auteur
Normalienne et agrégée de lettres classiques. Elle prépare sous la direction d’Éric Marty une thèse sur les personnages dans la fiction gidienne, en particulier sur la manière dont leur mode d’élaboration est articulé à une réflexion éthique.
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