L’annonce faite à Alissa. Anorexie, lèpre et salut dans la porte étroite et l’annonce faite à Marie
p. 253-271
Texte intégral
1Nulle mention significative de L’Annonce faite à Marie dans le Journal de Gide. Qui plus est, la lettre, dans laquelle il aurait exprimé à Claudel son admiration pour la pièce, manque dans l’édition de leur correspondance. Entre le 21 juin 1911, date à laquelle le dramaturge avise son ami qu’à défaut de le trouver à Paris il confiera son manuscrit à Jacques Rivière, et le 10 décembre de la même année, seul figure un court billet de Gide du 14 août, où il n’est fait aucune mention de L’Annonce. En effet Claudel, l’ayant terminé en juin, et en l’absence de Gide, dépose son texte (que Stefan Zweig va bientôt lui acheter pour la somme de 500 francs1) chez Rivière en attendant qu’il paraisse dans les numéros de décembre 1911, janvier, février et mars 1912 de La N.R.F., au rythme d’un acte (le « Prologue » comptant comme acte) par livraison. C’est après avoir corrigé les épreuves du premier acte pour le numéro de janvier que Gide écrit à l’ami, qui commence déjà à obnubiler ses pensées : « j’ai bien failli vous envoyer ne fût-ce qu’un mot pour vous redire encore une fois mon admiration ; ce départ d’Anne Vercors est une des plus belles choses que je connaisse ; les larmes me venaient aux yeux en lisant cette scène à haute voix. Il faut qu’on porte cela au théâtre... et bientôt »2. Vœu exaucé un an plus tard, lorsque la pièce eut trois représentations les 20, 22 et 23 décembre 1912 à la Salle Malakoff, montée par Lugné-Poe et son Théâtre de l’Œuvre. Gide assista à la première3.
2Pour ce qui est de la réaction de Claudel à sa lecture de La Porte étroite, la correspondance échangée entre les deux hommes est plus révélatrice. Résidant alors à Tientsin, il lut le roman au fur et à mesure que lui arriva chaque livraison mensuelle de La N.R.F., dans laquelle le récit parut de février à avril 1909, rythme qui lui permit, écrivit-il, de « le porter plus longtemps en moi »4. Cette lecture le laissa à la fois ému et perplexe, touché aussi par ce qu’il appelle le prestige d’un style admirable : « c’est un discours suave et mûr, une suavité pleine d’angoisse. Une douceur dantesque, mais avec, au-dessous, quelque chose de terriblement amer, je n’ose dire de désespéré »5. Conscient du mérite esthétique du livre, il doute cependant de sa moralité chrétienne. L’image qu’offre le récit d’un Dieu sévère et caché lui est inadmissible. Il s’agit d’un « document inestimable sur le protestantisme »6, affirme-t-il, autrement dit sur les traquenards de la foi huguenote. Claudel trouve inadmissible une religion où l’individu cherche son dieu à l’aveuglette, sans dogme et sans l’intermédiaire matériel des sacrements. Trop souvent le protestant se fourvoie dans le chemin du perfectionnement, cette notion égoïste qui ne peut qu’éloigner l’âme de la sainteté pour la faire tomber dans les rets de l’hérésie quiétiste, selon laquelle plus la vertu est désintéressée, plus elle est méritoire. Gide ne peut qu’admettre à la fois les éloges de son ami et, jusqu’à un certain point, le bien-fondé de son analyse théologique : « Le protestantisme engage l’âme dans des chemins de fortune qui peuvent aboutir où j’ai montré. Ou bien à la libre pensée. C’est une école d’héroïsme dont je crois que mon livre dégage assez bien l’erreur ; elle gît précisément dans cette sorte d’infatuation supérieure, de capiteux mépris de la récompense qui vous offusque, de cornélianisme gratuit. Mais elle peut être accompagnée de réelle noblesse, et j’aurai fait suffisamment si j’amène quelqu’un comme vous à plaindre et à aimer d’un amour qui comporte un peu d’admiration – mon Alissa »7. Un an plus tard Claudel donnera à lire à sa femme La Porte étroite. « Cela lui a énormément plu [...] elle a lu tout le livre d’un trait, sans pouvoir s’en détacher »8. Lorsque surviendra entre les deux écrivains la brouille occasionnée par le « passage pédérastique » des Caves du Vatican, Gide blessé, aux abois, mais intraitable, suppliera son tortionnaire de ne pas oublier qu’il avait écrit aussi La Porte étroite9.
3Tout, hormis l’admiration mutuelle que ressentent les deux auteurs pour leurs deux ouvrages respectifs, semble séparer L’Annonce de La Porte étroite. Drame paysan médiéval qui valorise la liturgie romaine et la foi catholique d’un côté, récit contemporain campé dans la bourgeoisie protestante cultivée de l’autre. Roman d’analyse ultra-freudienne que celui de Gide. De la part de Claudel pièce symbolique, sinon symboliste, conçue sur le modèle du mystère péguyien et où s’articulent les thèmes connexes de la chute, de la nativité, de la passion et de la rédemption, à la fois de la France et de l’homme. Jeanne la Pucelle n’a-t-elle pas, maternité exceptée, et à la seule échelle d’une France fille aînée de l’Église, combiné les carrières de la Sainte Vierge et de son fils Martyr-Sauveur ?
4L’analyse des deux ouvrages révèle cependant de très nombreuses et fort curieuses affinités, dont seulement quelques-unes ont jusqu’ici retenu l’attention des critiques10. Nous sommes en présence de deux titres aussi bibliques l’un que l’autre et qui reflètent deux textes fortement imprégnés de la chose et du discours ecclésiastique. Chaque texte incorpore à son milieu une scène de Noël importante, termine avec l’obscurité envahissante du soir. C’est sur un banc du jardin qu’Alissa et Violaine font part à l’homme qu’elles aiment qu’elles renoncent à trouver le bonheur avec lui. Les deux drames se jouent dans un cadre rural, ferme d’un côté, manoir de campagne de l’autre, au milieu d’une nature abondante et belle. Autre élément commun, des murs protecteurs, le séparant d’un monde extérieur moins cultivé, y privilégient un espace domestique où s’apprête à couver la tragédie. C’est ainsi que la trouée dans le mur s’érigera en idée clef, et porteuse de signification sexuelle, dans les deux textes. Structures familiales analogues également ; père, mère et deux filles, ces dernières de caractère fort divers mais amoureuses toutes deux du même garçon, celui-ci travailleur, dévoué, vertueux mais singulièrement obtus en matière de psychologie féminine. Drames aussi qui se déclenchent du fait de l’absence de l’un ou des deux parents. Dans L’Annonce (en plus du roi et du pape démis) c’est le désistement, si admiré par Gide, d’Anne Vercors partant pour Jérusalem, dans La Porte étroite la mort des parents de Jérôme, la fugue de la mère d’Alissa et le décès subséquent de son père tant aimé. L’autorité et la sagesse absentes, l’ordre se dérègle, la tragédie s’engrène.
5Ce nœud tragique se présente sous forme de fiançailles entravées, l’obstacle, dans les deux cas, étant la sœur cadette, éprise du fiancé de l’aînée. On voit alors la plus âgée s’écarter en faveur de la plus jeune. Drame du sacrifice donc, thème chrétien par excellence, drame de l’ascèse et du renoncement qui vont conduire l’aînée par la souffrance solitaire jusqu’à la mort. Dans les deux textes deux schémas pour arriver à l’idéal chrétien, sinon à la sainteté, dont on pourrait dire que l’un représente une tentative catholique et réussie, l’autre une aspiration huguenote et vouée à l’échec, du moins si on les juge selon le critère de l’authenticité des intentions et des motivations ainsi que des effets obtenus. Célébration de la sainteté aveugle et inconsciente chez une innocente élue instrument de Dieu dans L’Annonce·, dans La Porte étroite, critique d’une âme complexe, cultivée, hautement volontaire et qui se trompe sur la voie de la sainteté dans le cas d’une Alissa non dépourvue de noblesse pour autant.
6Alissa-Violaine, portraits de deux jeunes femmes qui évoquent la Béatrice de Dante et dont les noms particuliers, et inventés de toutes pièces par leurs auteurs respectifs, annoncent déjà le rôle exceptionnel11, Alice se mouvant dans une contrée d’illusions, Clarissa la jeune fille vertueuse longuement courtisée, lys des champs et lys dans la vallée12, seul asile pour Jérôme et lisse au point que sur elle il n’aura jamais de prise... Alissa est un nom aux allures richement associatives. Violaine, humble fleur luisante, vierge victime d’une vaine agression sexuelle, mais dont la chair va être autrement violée, sujet d’amour mais objet de haine, instrument d’antan entre les mains de Dieu, doux agneau sacrificiel... le nom n’est pas moins évocateur.
7Vierges toutes deux, toutes deux entendent, mais non d’un archange, une annonce. Pour Alissa, elle sera prononcée par le pasteur au cours du sermon, stipulant que seules mènent au ciel une voie étroite et une porte étroite où il est impossible de passer à deux. De là sa décision d’assurer son salut et, avant tout, celui de Jérôme, seul à seul, au prix de leur bonheur terrestre. Violaine, elle, apprend aussi son destin de la bouche d’un homme pour ainsi dire d’église, mais d’une manière différente. Pierre de Craon (initiales aussi de Paul Claudel), constructeur de cathédrales et lépreux, fera d’elle, en la contaminant d’un baiser, sa bâtisse. C’est en connaissance de cause et d’effet que Pierre insuffle à Vilolaine le virus de son mal, sans résistance qu’elle le reçoit. Ayant auparavant convoité son corps en vain, il l’imprègne maintenant d’un acte de chair ersatz qu’elle accepte et reconnaît par le don de sa bague de fiançailles. Pseudo mariage macabre, célébré devant la porte et qui mène, non à l’épanouissement de la chair dans l’amour et la maternité, mais à la prise en charge de la carnalité en tant que pourriture. Alissa également tourne le dos aux plaisirs charnels, opte pour la macération de la chair, néglige cette chair au point où elle en tombe malade pour apparaître décharnée devant la porte étroite de son Dieu, si tant est que ce Dieu elle réussisse à le trouver.
8Dans la mesure où la structure de L’Annonce se calque sur les éléments de l’Évangile, le rôle de Violaine est prédéterminé, fait partie du dessein de Dieu. Les personnages de la pièce rejouent ainsi, transposée, l’histoire évangélique, remplissent bon gré, mal gré, leurs rôles alloués, même si leur volonté entre aussi en jeu. Aucun plan transcendental dans La Porte étroite, si ce n’est celui de l’écrivain. Le hasard seul fait que le sermon soit prêché ce jour-là, qu’Alissa l’entende. À partir de là, tout dépend de la volonté de la jeune fille, nourrie à des sources multiples et dont certaines lui sont cachées ; volonté qu’un Jérôme velléitaire ne peut ébranler. Psychologue des motivations secrètes, Gide dévoile les incertitudes de l’esprit, sa propension à se duper. Claudel célèbre les certitudes de la foi, l’âme chrétienne triomphante.
9Malgré cette différence et, bien entendu, d’autres encore (Mara et Juliette, par exemple sont des figures disparates13), le fait est que et Claudel et Gide nous offrent l’histoire d’une belle jeune femme qui, refusant l’homme qui l’aime et qu’elle aime en retour, opte pour la virginité, la solitude et la mort. Avec la lèpre, Violaine choisit un mal qui non seulement la met au ban de la société, fait d’elle une paria, un objet d’horreur, mais en même temps illustre, de manière morbide, la notion du reniement de la chair qui est au cœur du christianisme. Avec la lèpre se désagrège, lentement et matériellement cette partie d’elle qui, malgré sa beauté, représente le péché et la tentation, pour que se dégage et prenne essor son âme libre, cette partie d’elle qui, en termes chrétiens et claudéliens, appartient à Dieu. Il semblerait pourtant qu’Alissa, à la différence de Violaine, ne choisisse pas la maladie mais seulement y succombe, par hasard, vers la fin du livre. Est-ce cependant le cas et de quelle maladie meurt-elle ?
10Comme avec bien d’autres héroïnes littéraires du XVIIe au XIXe siècles on ne sait pas exactement quelle condition médicale termine les jours d’Alissa Bucolin. Vers sa fin, « sans être précisément malade, elle dépérissait », écrit Juliette14. Peu avant sa mort Alissa affirme, dans son journal, avoir été contrainte par autrui à consulter un médecin à Paris qui « parle d’une opération qu’il juge nécessaire »15, mais, affaiblie par l’émaciation, elle la remet, fait de sorte que le médecin ne puisse découvrir son identité ou son adresse, et meurt peu après. Juliette, en revanche, écrit à Jérôme, que « le docteur A... du Havre » jugeait qu’Alissa ne souffrait de « rien de grave »16. Comment concilier ces diagnostics apparemment si contradictoires ? Le médecin parisien était-il simplement plus compétent que son collègue de province ? La maladie avait-elle empiré entretemps ? S’agissait-il d’une opération mineure, encore qu’Alissa décède peu après ?
11Ce qui est certain c’est qu’elle meurt, pâle, épuisée et excessivement maigre peu après « une crise de vomissements »17. Le narrateur insiste sur cette maigreur d’Alissa. Jérôme, lors de leur dernière rencontre, la trouve « extraordinairement changée. Sa maigreur, sa pâleur, me serrèrent le cœur affreusement », affirme-t-il18. L’émaciation, due à un incontrôlable manque d’appétit, peut être le symptôme de plusieurs maladies somatiques, dont, par exemple la tuberculose, cette « consomption » tant prisée des écrivains du XIXe siècle pour la lente mise-à-mort de leurs héroïnes romanesques. Si l’un de ses médecins a parlé d’opération, c’est qu’il a pensé déceler chez Alissa la présence d’un mal physiologique quelconque. Interpréter ainsi la fin de la jeune femme serait cependant peut-être allouer à la pure contingence un rôle peu convaincant. Devant faire mourir son personnage pour les besoins de la pathétique littéraire Gide a-t-il simplement inventé un mystérieux mal non identifié qui arrive à point pour le faire disparaître ?
12Ou bien y aurait-il une autre interprétation de la maladie de la jeune femme ? À l’encontre de Violaine qui, elle, se fait une beauté pour refuser ou se faire repousser par Jacques, Alissa, afin de décourager l’amour de Jérôme, adopte une stratégie de la « dépoétisation » de sa personne19. Coiffure négligée, habits peu séants, refus de jouer du piano, de lire de beaux textes littéraires, accaparement par les tâches domestiques les moins attrayantes, rien n’est assez médiocre pour qu’elle s’y absorbe « au point que ses lèvres en perdissent toute expression et ses yeux toute lueur »20. Supposons qu’afin de ternir sa séduction aux yeux de Jérôme, elle ait poursuivi une même politique de rétrécissement et d’abaissement de soi avec son propre corps et ses appétits vitaux qu’avec ses apprêts extérieurs et ses talents culturels, alors sa condition physique à la fin du récit serait autodéterminée et son émaciation le résultat d’une stratégie d’amaigrissement voulue. La maigreur d’Alissa serait-elle due à une abstinence délibérée de nourriture ? Bref, Gide nous présente-t-il, dans La Porte étroite, la situation d’une jeune fille souffrant de l’anorexie mentale ? C’est là une hypothèse que la critique jusqu’à présent ne semble pas avoir avancée21.
13À l’exception de l’aménorrhée (dont il n’est pas surprenant que nulle mention ne soit faite dans le récit) la définition de la maladie qu’offre le Trésor de la langue française cadre parfaitement avec le cas d’Alissa : « Spéc. psychopathologique : Anorexie mentale : maladie qui s’observe surtout chez les jeunes filles adolescentes de 15 à 25 ans, qui a généralement pour cause profonde un conflit avec le milieu familial, en particulier avec la mère, et dont les principaux symptômes sont l’anorexie, l’amaigrissement, l’aménorrhée et un état mental particulier ». Manquent dans cette définition les outrages sexuels pendant l’enfance, facteur qu’on associe parfois avec ce syndrome, le seul incident de la sorte, dans le récit, étant perpétré, non sur Alissa, mais sur Jérôme par la mère de celle-ci22. Le conflit familial entre la fille et la mère adultère, en qui on s’accorde à voir la source principale des inhibitions sexuelles, sinon de l’attitude religieuse, à la fois d’Alissa et de Jérôme, est fortement appuyé dans le texte et résulte en un rapport approfondi entre la fille et le père. L’« état mental particulier » d’Alissa est manifeste, à partir surtout du moment où elle décide de s’éloigner de Jérôme et du monde, en notant dans son journal « Hic incipit amor Dei »23.
14L’amaigrissement d’Alissa (on la décrit au début comme n’ayant qu’un « frêle corps »24) s’inscrit à la fois dans l’esthétique du récit, dans le trope qui le gouverne et en fournit le titre, et dans l’éthique religieuse qui y prédomine. Il s’agit d’un récit bref, limité à l’essentiel, et où entre en jeu, à des niveaux différents, une métaphore du rétrécissement. À partir du sermon prêché par le pasteur Vautier et du texte évangélique qu’il y choisit de commenter « Efforcez-vous d’entrer par la porte étroite » (Luc, XIII, 24), qui fournit et le titre et l’épigraphe du livre, le critère du salut éternel se traduit comme le pouvoir de se glisser par une fissure étroite, dont seule une sorte de sveltesse spirituelle serait la condition préalable de passage et dont la contrepartie physique serait de maigrir pour se sauver – « la route que vous nous enseignez, Seigneur, est une route étroite, étroite à n’y pouvoir marcher deux de front »25. Jérôme également n’imagine-t-il pas son entrée au ciel comme une extase religieuse ressentie au passage d’un orifice réduit et qu’il confond volontiers avec la porte de la chambre d’Alissa26 ? Les associations érotiques de son imaginaire sont ici évidentes et, nonobstant la petite porte du potager, illuminent le symbolisme sexuel du titre. « Pour entrer je me réduisais... » continue Jérôme. Voilà une petite remarque aussi théologiquement apte que sexuellement contradictoire, et où l’on voit la métaphore réelle d’un personnage qu’ultérieurement Gide n’a pas hésité à qualifier de « flasque »27 . Pierre de Craon, responsable de la sainte et cruelle imprégnation de Violaine devant le portail du prologue dans L’Annonce, s’avère un enfonceur autrement robuste de portes toutes aussi équivoques, telle ce « flanc de Monsanvierge » qu’il est son métier de crever chaque fois qu’une novice veut accéder à la vie cloîtrée du couvent. La lèpre et la pourriture sont d’autres processus par lesquels se réalise la désagrégation du solide, mais, pour Claudel chrétien, sexualité et pourriture sont intimement liées.
15Dans la perspective théologique de La Porte étroite et de son titre, il convient donc qu’Alissa « se replie sur ses minima », opte pour le salut par la maigreur28. En plus, l’un des écrans idéologiques derrière lesquels elle légitimise sa sexualité refoulée, représente la notion que ses charmes physiques (qui reflètent ceux de sa mère adultère à qui elle ressemble) constituent un obstacle à la vertu de Jérôme et à son salut éventuel. Diminuer ces charmes, décourager Jérôme, contribuerait à le sauver. Quel meilleur moyen d’éviter de ressembler à sa mère qui, toute chair épanouie, avait brisé le bonheur familial en succombant au péché de la chair, que de procéder à la macération de cette chair en se désincarnant par une cure d’amaigrissement, cure en termes célestes peut-être, mais autodestruction terrestre ?
16L’anorexie mentale semble être associée à une attitude où la malade (à noter que la condition n’est pas limitée aux femmes), se considérant comme trop grosse, s’abstient obsessionnellement de se nourrir pour se conformer à un idéal de beauté féminine conçue par une société phallocrate et propagée par une industrie médiatique à prédominance masculine. Or La Porte étroite n’est pas sans receler des conditions idoines. Alissa (comme la Gertrude de La Symphonie pastorale) croit suivre les préceptes d’un « Seigneur » mâle et de son porte-parole sur terre, le pasteur. C’est l’Évangile selon Luc qui, dans ce contexte, constitue le message médiatique, renforcé aussi par un texte de Racine et les Pensées de Pascal qui prônent l’abnégation janséniste – « Qui veut sauver sa vie, la perdra »29. Alissa reconnaît en outre que lorsqu’elle était jeune, c’était pour Jérôme qu’elle voulait se faire belle et pour qui maintenant elle veut s’astreindre à la perfection30. L’on objectera qu’une stratégie d’Alissa de se faire moins belle en s’affamant ne cadre pas avec le projet anorexique qui veut que l’on maigrisse pour s’embellir. Il semblerait d’une part cependant qu’Alissa transfère cette quête de la beauté sur le plan spirituel, s’efforçant d’atteindre à l’éthique évangélique de l’étroitesse et espérant ainsi servir d’exemple spirituel à Jérôme tout en le repoussant physiquement. D’autre part il convient de prendre en considération le contexte historique et sociétal de la fin du siècle. De nos jours, le concept de la beauté féminine peut très bien se définir par la sveltesse ; il n’en était pas de même il y a cent ans. En se passant de nourriture donc, Alissa, encouragée par l’éthique protestante de l’austérité, poursuivrait une politique de la maigreur très compatible avec l’absence de grâce physique, convenons cependant que la mode de l’embonpoint féminin qui prévalait au tournant du siècle aurait concouru à une moindre fréquence de cas d’anorexie mentale, dans la mesure du moins où celle-ci a pour motivation l’amaigrissement pour la beauté.
17Contre l’hypothèse d’une Alissa anorexique mentale convenons que nulle part dans le texte on ne la voit en train de refuser de la nourriture. À la différence de sa mère, qui souvent ne descend pas manger, elle semble assister aux quelques repas qui sont mentionnés dans la première partie du récit. Des privations culturelles qu’elle s’impose Jérôme dira : « Je pensais qu’une intelligence habituée à de plus substantielles nourritures ne pouvait plus goûter à de semblables fadeurs sans nausée », mais ce n’est là que du discours figuré, bien que la nausée réelle survienne à la fin pour Alissa sous forme de vomissements31. Semblable langage métaphorique se présente dans l’hymne de Racine, citée par deux fois et qui célèbre le pain céleste en préférence aux nourritures terrestres32. Quoiqu’Alissa, que le culte protestant prive même de la nourriture minimaliste des sacrements, se montre profondément touchée par ce dernier texte, et jusqu’au point d’en être peut-être influencée, on ne sait qu’il la persuade de se passer d’alimentation. Au demeurant, à partir du moins des Nourritures terrestres, les thèmes connexes de l’alimentation et des repas sont une des constantes de l’œuvre de Gide, chargés de nombreuses associations théologiques, morales et psychologiques. C’est ainsi qu’il est permis de voir dans la fin de La Porte étroite une sorte de revers de celle du Retour de l’Enfant prodige, lui-même antithèse de L’Immoraliste : pauvre chère33 de Michel, veau gras du Prodigue, privations d’Alissa ; mouvement de la consommation vers l’abstinence, ensuite du maigre au gras, puis de nouveau de la plénitude à l’émaciation.
18Quel que soit le cas en ce qui concerne la nourriture, ce qui ne passe assurément pas les lèvres d’Alissa ce sont les paroles tant attendues par Jérôme et qui l’assureraient de l’amour qu’elle lui voue. À l’abstinence sexuelle qu’elle pratique s’ajoute ainsi une abstinence orale, les deux se rejoignant dans un même concept de lèvres closes. Il se peut donc que la métaphore de la porte étroite, aux résonances tout aussi freudiennes qu’évangéliques, s’applique également à la bouche d’Alissa, orifice dont le passage s’avère si difficile chez les anorexiques, non seulement dans le sens où Jérôme, malgré une tentative tardive et non agréée, ne réussira jamais à la pénétrer d’un baiser, mais en ce qu’Alissa même interdira de s’y former toute parole de largesse inviteuse propre à trahir sa passion et offrir prise à son prétendant34.
19Mais, à l’époque de La Porte étroite, que savait Gide si versé fût-il en psychologie morbide, de l’anorexie mentale, dont le syndrome ne fut reconnu et spécifiquement défini que dans les dernières décennies du XIXe siècle ? Qu’il ne connaissait pas le terme même c’est ce que nous révèle tardivement son Ainsi soit-il de 1951, où l’on peut lire : « J’ai fait connaissance d’un mot qui désigne un état dont je souffre depuis quelques mois ; un très beau mot : anorexie. De av privatif, et ορεξομαί désirer. Il signifie absence d’appétit ("qu’il ne faut point confondre avec dégoût", dit Littré), ce terme n’est guère employé que par les docteurs ; n’importe : j’en ai besoin »35, texte que le T.L.F. cite pour illustrer sa définition du mot « anorexie » dans son sens par extension de « manifestation du refus de vivre (cf. infra : anorexie mentale) ». Le fait de ne pas connaître le terme n’exclut cependant pas la possibilité que Gide ait rencontré le phénomène, soit directement, chez une personne de lui connue, soit indirectement par ouï-dire36. Dans le contexte des parallélismes entre La Porte étroite et L’Annonce on serait tenté ici de penser au cas de Camille Claudel dont on sait l’importance en ce qui concerne l’inspiration pour la figure d’une Violaine malade et proscrite. Il est cependant à écarter car, au delà du facteur commun de la dégradation d’un bel être talentueux (et encore jusqu’à quel point Gide était-il au courant des affres mentales de la sœur du poète ?), aucun élément commun ne relie les symptômes cliniques des deux cas, si tant est qu’il convienne de parler, à propos d’Alissa, d’un « cas »37. Plus intéressante pour notre propos serait la figure de Suzanne Ancel, petite-cousine de Copeau, qui s’est suicidée à Niort le 1er janvier 1908. Dans son Journal, il parle de « l’espèce de mal de langueur dont [elle] avait souffert depuis longtemps, son refus obstiné de prendre de la nourriture, son extrême démoralisation, son étrange coquetterie, la tyrannie souriante qu’elle exerçait sur sa mère et l’espèce de haine qu’elle portait à son beau-frère ». À Gide il écrira hâtivement, le 2 janvier, « je vous verrai à mon retour, car je pars. Oui, tout à l’heure. Un extraordinaire drame de famille [...] un suicide, je crois, une jeune fille de seize ans. Je ne veux pas manquer ça »38. Il est inconcevable qu’il n’en ait pas raconté les détails à son ami lors de sa rentrée à Paris.
20Une Alissa anorexique, tournant le dos à Jérôme et à la vie en refusant les nourritures terrestres et se condamnant à dépérir par la seule force d’une volonté aberrante, une telle Alissa nous offrirait une image plus proche de la Violaine de Claudel qu’une Alissa mourant par hasard d’une vague maladie inconnue survenue à point, coïncidence heureuse, pour les besoins de la tragédie. Nous serions alors en présence de deux protagonistes féminines qui choisissent de contrecarrer les faiblesses de la chair en s’en dépossédant, en s’y attaquant directement, par la voie d’une maladie librement choisie.
21Quoi qu’il en soit, on assiste, dans les deux textes, à la mise à mort, par Gide et par Claudel, de deux jeunes femmes, dans la fleur de l’âge et de la beauté, vierges toutes deux et qui toutes deux, autre affinité marquante, représentent une féminisation du Christ. L’une et l’autre vivent solitaire leur Passion. Par ses souffrances Violaine, dont le rôle bénéfique n’aurait pu se passer du mal apporté par Pierre et par Mara39, fait ouvrage de Rédemption. Réduite en poussière, elle redevient église, opère même le miracle de rendre la vie à l’enfant de Jacques et de Mara qui aurait dû être son enfant et qui le devient en quelque sorte par cette nouvelle naissance qu’elle lui donne. En mourant c’est ainsi que, tel le Christ, elle rachète la faute et renaît autre. De même, après la mort d’Alissa, vient au monde une autre petite Alissa, fille de Juliette et qu’Alissa à l’origine avait imaginée fille de Jérôme et sa propre filleule, autrement dit, l’enfant qu’elle aurait voulu avoir de Jérôme, comme Violaine aurait voulu avoir celui de Jacques40. Privées des possibilités de la maternité, et Violaine, et Alissa deviennent ainsi mères par procuration. Tel le Christ aussi Alissa vit son calvaire, criant à Dieu de ne pas l’abandonner dans sa détresse, mais sachant qu’elle doit aller jusqu’au bout, « Et s’il vous faut, Seigneur, pour le sauver de moi que je me perde, faites ! »41. L’on songe au « Consummatum est » du Christ, qui, sur les lèvres d’une anorexique, assumerait un sens particulièrement ironique.
22Alissa cependant, différente en cela de Violaine, n’est en rien rédemptrice. C’est ce que Claudel avait compris et annoncé sans ambages à Gide, doutant, avec la « mort désolée de votre noble Alissa » que La Porte étroite soit un ouvrage chrétien42. En s’approchant de sa fin Alissa s’achemine vers la solitude, le doute et le vide. Violaine, elle, en mourant, triomphe de la mort, réalise le rôle qui lui a été alloué. Quelque admirable que s’avèrent la droiture et l’abnégation de son attitude, Alissa reste destructrice. Violaine, en revanche fait oeuvre de construction. Inutile le sacrifice d’Alissa, qui, malgré tous ses efforts pour l’éviter, revit, bien qu’autrement, le destin de sa mère, abandonnant l’homme qui l’aime et semant le malheur. Violaine, au contraire, a toujours devant elle l’exemple des sœurs de Monsanvierge, dont le rôle aussi est celui du renoncement rédempteur et qu’il est le devoir séculaire de Combernon de servir. Désolation, perte et gâchis que la fin de La Porte étroite ; béatitude salvatrice que celle de L’Annonce.
23Des différences essentielles certes entre les deux textes donc, mais de solides coïncidences structurelles et de nombreuses imbrications, parfois surprenantes et jusque dans les détails. Qu’en conclure ?
24Avant de poursuivre ajoutons quelques éléments au film des événements que vous avons décrits, au début de cet article, concernant la publication des deux textes. En l’hiver 1908-09 le Nouveau Théâtre d’Art voulant monter La Jeune fille Violaine (première version de L’Annonce écrite en 1892, retravaillée en 1898-99, publiée en 1901 mais, en 1908, non encore mise en scène) Gide, le 31 janvier, se fait le porte-parole du jeune groupe ainsi que des admirateurs de Claudel et lui écrit à Tientsin sollicitant son assentiment. Le 18 février, Claudel, reconnaissant, répond néanmoins par un refus. Sa position comme fonctionnaire l’oblige à fuir toute publicité ; monter la pièce en son absence serait impossible ; même si « pénétrée de poésie », il en estime la facture dramatique « puérile »43. Poésie à part, Gide, après une deuxième lecture de la pièce, nourrit aussi de sérieuses réserves sur ses longueurs verbeuses et ses qualités dramatiques et ne peut que secrètement approuver la décision44. Le 24 février il annonce à son ami la parution dans La N.R.F. de sa Porte étroite – « puissiez-vous y trouver une qualité de piété point trop indigne de paraître à côté de l’Hymne du Saint-Sacrement »45. Le 10 mai, envoi de la longue lettre de Claudel exprimant sa profonde admiration pour le roman de son ami, ainsi que ses désaccords théologiques. Le 15 février Gide lui offre la Jeanne d’Arc de Péguy. Le 22 décembre, ayant terminé L’Otage, Claudel, entretemps muté à Prague, annonce qu’il travaille à une nouvelle version de La Jeune fille Violaine « plus empoignante et plus touchante que L’Otage, sans aucuns palabres philosophiques »46. Au mois de février suivant il écrit : « Je travaille avec ardeur à mon nouveau drame, L’Annonce faite à Marie, et j’en suis tout possédé. Il ne restera plus grand-chose de la pauvre Jeune fille Violaine. Même le IVe acte que je voulais laisser à peu près intact va sans doute être démoli »47. Au mois de juin 1911 la pièce est terminée.
25La question des influences réciproques en ce qui concerne les deux textes reste donc posée. Il semble peu probable que Gide, malgré les qualités poétiques de La Jeune fille Violaine, en ait été influencé huit ans après sa publication, vu, surtout, son opinion sur la faiblesse dramatique de sa composition. Et puis, dans La Porte étroite, campagne, jardin, porte secrète, angélisme d’une adolescence puritaine, fiançailles difficiles, même s’ils recoupent l’intrigue de La Jeune fille Violaine, sont autant de détails qu’il a puisés dans ses propres souvenirs de séjours de jeunesse passés à Rouen et à Cuverville.
26En ce qui concerne Claudel, en revanche, il est légitime de se demander si sa lecture de La Porte étroite a été pour quelque chose dans le remaniement qu’il a fait de La Jeune fille Violaine. Pour ce qui est de la transposition d’un drame paysan contemporain en un mystère médiéval ou de Pierre de Craon sourcier-ingénieur des eaux en maître-maçon bâtisseur d’églises et lépreux il n’en est évidemment rien. Pour la scène de Noël il se peut qu’influence il y ait eu. Le chapitre iv de La Porte étroite présente, comme on le sait, le groupement familial autour de l’arbre de Noël, la crise de Juliette, la déconvenue de Jérôme, dans un traitement ironique du bonheur saisonnier et de la promesse du salut. L’acte iii de L’Annonce, très différent de celui de La Jeune fille Violaine, où il s’agit bien de l’hiver mais non de Noël, permet à Claudel d’incorporer dans sa pièce les thèmes de la Nativité (ainsi que de la Passion et de la Résurrection) avec sonnerie de cloches et atmosphère liturgique, en même temps que l’arrivée du Roi de France en route pour Reims. On assiste (réponse à Gide ?) à une véritable célébration laïco-religieuse de la fête. De plus, en imaginant, pour la version finale de la pièce, le couvent-cloître de Monsanvierge tributaire de la ferme de Combernon, Claudel ajoute à son drame une dimension de la grâce et un exemple de la piété utile, un symbole aussi du renoncement au monde qui, pour austère qu’il soit, reflète celui qui échoit à Violaine, tout en en adoucissant l’horreur. C’est vainement et, en fin de compte, égoïstement qu’Alissa s’abrite derrière ses murs. Les occupantes de Monsanvierge, elles, s’entourent de pierres pour faire œuvre de grâce.
27Mais si L’Annonce diffère beaucoup de La Jeune fille Violaine, c’est surtout, comme l’indique assez le changement de titre, dans le développement du personnage central. De la jeune paysanne innocente et au bon cœur de La Jeune fille, aveuglée et ensuite tuée par sa sœur, Claudel fait une femme élue, dont la mission consciente est de rejouer, sur le mode féminin, le rôle du Christ. D’aveugle elle devient lépreuse, acceptant l’ultime mal de la chair que Dieu a assumé en devenant homme. Là où l’anorexie voulue d’Alissa constituerait une négation de l’humain, la lèpre de Violaine est présentée comme une charge positive propre à guérir de ses maux Pierre de Craon, l’enfant de Mara et le monde. C’est ainsi que dans L’Annonce Violaine est transposée sur un niveau transcendental dont la sainteté lui permet de faire figure de faiseuse de miracles et de rédemptrice, la manifestation divine d’une miséricorde qui reflète celle de la Pucelle pastourelle (béatifiée en 1909, notons-le) et du Christ. C’est comme si, à l’abnégation fière et inutile d’Alissa, à son « erreur » calviniste, Claudel avait voulu répondre par une Violaine d’un christianisme exemplaire, id est catholique.
28Il est ainsi permis de voir en L’Annonce, en même temps qu’un parallèle, une « correction » théologique à La Porte étroite, une annonce faite, en quelque sorte, à un Gide dévoyé. Il se peut, au demeurant, que ce dernier y ait été sensible, dans la mesure où, consolidant ensuite sa propre position anti-catholique, il a riposté en empruntant à la pièce de Claudel une bribe de texte qui convenait si bien comme épigraphe espiègle à un des chapitres de ses Caves du Vatican – « mais de quel Roi parlez-vous et de quel Pape ? »48. Car, dans sa prétendue sotie, centrée autour de l’idée d’un pape démis, Gide aussi commence à s’intéresser à l’architecture des églises, ou du moins aux soubassements des systèmes de croyance, religieux ou autres. Mais avec Les Caves, qui lui a fait perdre tout le crédit auprès de Claudel que La Porte étroite lui avait valu, l’on entamerait une autre étape dans le dialogue Gide-Claudel qui n’est pas de notre ressort ici.
Notes de bas de page
1 PC-AG, Correspondance, 1949, Gallimard, pp. 210, 357.
2 ibid., pp. 188-9.
3 Schlumberger en fit un compte rendu élogieux dans La N.R.F. de février 1913, pp. 309-11.
4 PC-AG, Corr., p. 101, 10 mai 1909.
5 ibid., p. 101.
6 ibid., p. 102. Dans Ainsi soit-il, Gide revient sur cette « étonnante lettre » reçue de Claudel, « Claudel a bien fait de m’instruire [...] dénonçant l’hérésie protestante » etc., ASI dans J, II, p. 1228. Voir aussi la lettre de Claudel du 8 juillet 1909, PC-AG, Corr., p. 106.
7 PC-AG, Corr., pp. 103-4.
8 ibid., p. 142.
9 ibid., p. 219.
10 Voir notamment le curieux rapprochement que fait Alfred Cismaru dans « Alissa et Mara : Gide and Claudel’s other "partie nulle" », Claudel studies (Claudel and Gide revisited), vol. 4, n° 1 (1977), pp. 68-75, volume qui, comme le Claudel studies, vol. 13, n° 1 (1986), est consacré aux rapports entre le poète-dramaturge et le milieu de Gide et de La N.R.F.. L’amitié/inimitié Gide-Claudel est remise en lumière aussi dans le livre récent de Gilles Comec, L’Affaire Claudel, 1993, Gallimard, coll. « L’Infini ».
11 Voir V. Rossi, « The Beatrice figure in the early works of Claudel », Claudel studies, vol. 4. n° 1 (1977), pp. 38-47 et E. Beaumont, The Theme of Beatrice in the plays of Claudel, London, 1954, Rockliff.
12 Pour les affinités entre Le Lys dans la vallée de Balzac et La Porte étroite, et notamment entre le comportement et la mort de Mme de Mortsauf et d’Alissa, voir plus bas la note 32. L’on constate que référence est faite, à ce propos, dans le texte de Balzac, aux « saintes Clarisse Harlowe ignorées », p. 107, Livre de poche.
13 Comme sa sœur, Juliette, par surenchère, choisit le sacrifice, tandis que à l’encontre de Violaine, Mara, concupiscente, pourchasse âprement ses intérêts. Mais si elles diffèrent sur le plan psychologique, elles se rencontrent d’autres manières. En renonçant à son propre bonheur Juliette détermine en partie le comportement d’Alissa en lui servant d’exemple et de défi, de même que la sauvage ténacité impie de Mara pousse Violaine vers le sacrifice et arrache d’elle enfin le miracle. Voir Jacqueline Broilliard, « La "réhabilitation de Mara" », dans Paul Claudel 2, éd. J. Petit, 1965, Minard, pp. 73-93.
14 PE, dans Romans, récits et soties, p. 579.
15 ibid., pp. 593-4. Gide songeait-il ici a Anna Shackleton, dont la mort en partie inspira le récit (qui, à l’origine, devait s’appeler La Mort de Mlle Claire) et qui, elle, est décédée à Paris des suites d’une opération pour une tumeur qui « depuis assez longtemps la déformait et l’oppressait », SLGNM, dans J, II, p. 507.
16 PE, dans RRS, p. 579.
17 ibid., p. 595.
18 ibid., p. 576, voir aussi p. 579.
19 Le terme est de Jérôme et, selon le Trésor de la langue française, aurait été inventé par Gide à partir du verbe « dépoétiser ».
20 PE, dans RRS, pp. 567-8.
21 À l’exception, toutefois de Naomi Segal qui, en passant et sans développer le terme, mais l’utilisant, apparemment dans son sens purement somatique, écrit : « Alissa’s famous self-destructiveness sets in at this point. But we can interpret it otherwise than as the inexplicable anorexia the narrator diagnoses », Narcissus and echo. Women in the French Récit, Manchester, 1988, Manchester U.P., p. 184. Voir aussi D.A. Steel, « Alissa Anorexia ? Sexuality, self-starvation and salvation in La Porte étroite », French Studies Bulletin, 1994, à paraître.
22 PE, dans RRS, p. 500.
23 ibid., p. 565.
24 ibid., p. 504.
25 ibid., p. 587.
26 ibid., p. 505.
27 Journal, 7 nov. 1909 – « le flasque caractère de mon Jérôme impliquant la flasque prose », J, p. 276.
28 C’est Gide qui applique cette expression de Barrès à Alissa, , voir RRS, p. 1547.
29 PE, dans RRS, pp. 569-71, 595.
30 ibid., p. 586.
31 ibid. p. 569.
32 ibid., pp. 543-6.
33 Imm dans RRS, p. 471.
34 Dans Le Lys dans la vallée, Balzac met l’angélique et vertueuse Blanche de Mortsauf (dont le nom même indiquerait qu’elle cherche son salut dans la mort), à qui Félix de Vandenesse voue une passion non gratifiée, dans une situation semblable de bien des points de vue à celle d’Alissa, quoique Blanche soit mariée et ait dépassé la trentaine.
Après un dernier entretien sur le banc de la terrasse de Clochegourde qu’on gagne par une porte dans l’enceinte du jardin et qui domine le paysage environnant, elle est prise d’une crise de vomissements. Peu après elle meurt, après s’être abstenue de toute nourriture pendant quarante jours, d’une maladie qui, selon son médecin, « est l’incurable résultat d’un chagrin [...] Cette affection est produite par l’inertie d’un organe dont le jeu est aussi nécessaire à la vie que celui du cœur [...] Mme de Mortsauf meurt de quelque peine inconnue [...] Riche, jeune, belle et mourir maigrie, vieillie par la faim, car elle mourra de faim ! Depuis quarante jours, l’estomac étant comme fermé rejette tout aliment sous quelque forme qu’on le présente ». Dans une lettre, que Félix ne lira qu’après la mort de son idole, elle lui confie : « Ah ! si dans ces moments où je redoublais de froideur, vous m’eussiez prise dans vos bras, je serais morte de bonheur ». On songe à Jérôme, après la mort d’Alissa, lisant tel passage de son journal intime. Plutôt que le cancer de l’estomac supposé par plusieurs commentateurs, la maladie dont souffre et meurt Blanche de Mortsauf ne serait-elle pas l’anorexie mentale ? Voir par exemple l’édition du Livre de poche, ed. R. Pierrot, pp. 291-2, 307-8, 319, 338 et les notes aux pp. 256 et 267.
35 ASI, dans J, II, p. 1164.
36 A l’époque le langage médical ne s’était pas encore fixé sur l’adjectif et l’on utilisait indifféremment les termes de fausse, hystérique, intentionnelle, élective, névrotique ou sympathique.
37 La maladie de Camille n’était aucunement associée avec la maigreur, comme l’indiquent les diagnostics médicaux ainsi que cette remarque de Claudel, « A Paris, Camille, folle [...] énorme et la figure souillée, parlant incessamment », Journal, I, 1968, Gallimard, p. 103, août-sept. 1909. Voir J. Cassar, Dossier Camille Claudel, 1987, J’ai lu. Pour Camille et Violaine l’on consultera l’intéressante postface par Bernard Howells au livre de Reine-Marie Paris, Camille Claudel 1864-1943, 1984, Gallimard, pp. 313-51, « Sur la trace de Camille Claudel dans l’œuvre de son frère ».
38 Copeau, Journal, I, 1991, Seghers, pp. 389-92, 22 janvier 1908 ; Corr. AG-JC, dans Cahiers AG 12, 1987, Gallimard, pp. 249-50.
39 Voir J. Broilliard, op. cit., note 13 plus haut.
40 PE, dans RRS, pp. 577, 592.
41 ibid., p. 590.
42 PC-AG, Corr., p. 102.
43 ibid., pp. 98-9 et 286-7..
44 Francis Jammes-André Gide, Correspondance, 1948, Gallimard, p. 255.
45 PC-AG, Corr., p. 99.
46 ibid., p. 157. Pour l’influence de son séjour tchécoslovaque sur la pièce voir le bel article de Vaclav Cerny, « La Bohême à un moment de l’évolution dramatique de Claudel : de La Jeune fille Violaine a L’Annonce faite à Marie », Cahiers Paul Claudel 9, 1971, Gallimard, pp. 94-118.
47 PC-AG, Corr., p. 160.
48 Gide avait demandé à Claudel l’autorisation d’utiliser, comme épigraphe au Livre iii des Caves, la réplique donnée par Violaine à Pierre de Craon dans le Prologue « mais de quel Roi parlez-vous et de quel Pape ? Car il y en a deux et l’on ne sait qui est le bon », morceau de texte qui a sauté dans la version de L’Annonce que Claudel a établie plus tard pour la scène. Avant même la parution du roman, il regretta d’avoir donné son assentiment et demanda à Gide de retirer la citation. Celui-ci n’obtempéra pas entièrement, maintenant l’épigraphe dans le prépublication de La N.R.F. mais l’omettant finalement de l’édition originale en volume. Voir Claudel, Théâtre, II, 1965, Gallimard, p. 18 et PC-AG, Corr., pp. 214, 224, 361, 365.
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