André Gide et Charles Péguy
Correspondance entre André Gide et Auguste Martin. 1917-1947
p. 169-185
Texte intégral
1Ce dossier comporte 17 lettres : 9 lettres d’André Gide et 2 lettres d’Yvonne Davet « pour André Gide », 6 lettres d’Auguste Martin. Quatre d’entre elles sont conservées à la Bibliothèque littéraire Jacques-Doucet (BLJD) ; le reste du dossier a été acquis lors de la dispersion des archives d’Auguste Martin : on y trouve, outre le brouillon de deux autres lettres d’A. Martin, le brouillon de deux des lettres conservées à la BLJD. Dans la présentation de ces lettres il n’a pas paru utile d’indiquer les variantes ou corrections que présentent ces brouillons.
2Je remercie Mme Catherine Gide d’avoir bien voulu autoriser la publication des lettres de son père, ainsi que M. Dominique Giraud, petit-fils d’A. Martin, qui a autorisé la publication de lettres de son grand-père. Je le remercie particulièrement pour l’obligeance avec laquelle il m’a fourni divers renseignements sur celui-ci.
3Je remercie aussi M. Alain Mercier qui a effectué, pour moi, à la Bibliothèque littéraire Jacques-Doucet la transcription des quatre lettres d’A. Martin qui y sont conservées.
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4En mai 1951, les Feuillets de l’Amitié Charles Péguy publièrent une note d’Auguste Martin où celui-ci mettait Gide en contradiction avec lui-même ; après avoir présenté quelques textes extraits du Journal de ce dernier peu favorables à Péguy et quelques remarques tirées de l’Anthologie de la poésie française, A. Martin leur opposait une lettre, alors inédite, adressée par Gide à Péguy le 8 novembre 1910. Il précisait, à propos de cette lettre, que Gide lui en avait donné « l’autorisation de publication le 25 mai 1941 » (rectifions tout de suite l’année : il s’agit de 1947). A. Martin avait donc demandé à Gide cette autorisation.
5Mais il n’avait pas attendu 1947 pour entrer en relations avec lui. C’est près de trente ans auparavant, en septembre 1917 semble-t-il (la réponse de Gide date du 3 octobre 1917), qu’Auguste Martin écrit à Gide.
6Né en juillet 1886, A. Martin1 est, dès août 1914, mobilisé. Il participe à plusieurs campagnes : Yser (1914), Artois (mai 1915), Champagne (mai 1915), Aisne (avril 1917). Il épouse, pendant la guerre, le 1er août 1917, Madeleine Pigelet, fille d’un grand imprimeur d’Orléans. Le mariage se fait à La Bédinière, maison louée en permanence par la famille Pigelet, à Saint Jean de Braye (Loiret).
7Il s’adresse à Gide parce qu’il connaît son œuvre qu’il a lue avec intérêt et plaisir. Dans des notes sur La Porte étroite, malheureusement non datées, mais que l’on peut penser antérieures à cette correspondance, il écrit ceci : « Gide est une telle personnalité que ce qui m’intéresse avant tout dans son œuvre c’est lui-même. Le suivre dans les diverses évolutions de sa pensée est un des plaisirs les plus rares que j’aurai trouvé dans la littérature. [...] Ce qui m’intéresse chez Gide, c’est surtout l’homme. L’être est exceptionnel et son œuvre pareillement. » Sans doute ces notes, intitulées « En lisant André Gide », témoignent-elles d’une lecture au premier degré – erronée – de La Porte étroite ; elles révèlent aussi une grande attention portée à l’œuvre de Gide : « La forme même de cet ouvrage est d’une qualité d’art remarquable de tact et d’intelligence et il nous faut admirer sans réserve le rythme de la pensée et des caractères qui concentrent notre attention sur les seules figures d’Alissa et de Jérôme. »
8Pourquoi, en pleine guerre, écrit-il à Gide ? L’occasion lui en est fournie par l’envoi d’un numéro d’un petit journal, On progresse, dont il est le directeur. Ce petit journal écrit, dessiné et polycopié au front, est destiné aux soldats qui combattent ; neuf numéros paraîtront, tirés à vingt exemplaires2. A. Martin a envoyé ce numéro dans l’espoir que Gide y apporterait sa collaboration, du moins si l’on en juge par sa réponse (n° 1).
9Plusieurs lettres sont alors échangées à propos de cette revue (n° 2) à laquelle, finalement, Gide n’a pas collaboré ; mais les liens entre les deux hommes ne s’en sont pas moins renforcés. Après un long séjour dans les tranchées, A. Martin a été évacué du front en novembre 1917, avec une affection aux poumons, due sans doute à un « gazage ». Le dimanche 30 décembre 1917 (n° 3-4) il rend visite à Gide, qui s’intéresse à lui et prend la peine de lire le roman de son frère, Jean Denis (n° 5).
10A. Martin s’attache à maintenir le contact ; en janvier 1918, il est toujours prêt à rencontrer Gide (n° 6) ; en mars il est heureux de lui montrer qu’il le lit avec beaucoup d’intérêt (n° 7) ; bien qu’éloigné du front – il est alors à La Bédinière – il continue à diriger On progresse, qu’il envoie toujours, en avril, à Gide (n° 8) ; sensible à la confiance dont il est l’objet (n° 9), celui-ci exprime encore, en octobre 1918, à son correspondant, qui a manifesté quelques inquiétudes, ses « sentiments d’affection et d’estime » (n° 10).
11Dix des lettres conservées – sept d’A. Gide et trois d’A. Martin (il en manque manifestement cinq ou six d’A. Martin) – datent ainsi d’octobre 1917 à octobre 1918, ce qui montre un échange suivi durant une année. Puis ce fut le silence.
12Les relations reprennent après la guerre, en décembre 1920, à l’initiative de Gide. A. Martin est alors installé à Orléans, où son beau-père possédait une imprimerie importante ; il s’initie aux différents métiers du livre. Et voici que Gide lui envoie un exemplaire de La Symphonie pastorale, pour lequel A. Martin le remercie longuement, le 21 décembre 1920 (n° 11) ; il ajoute qu’il trouve la ville où il vit froide, « provinciale à outrance » ; et surtout – scandale ! – « patrie de Charles Péguy, Orléans ne le connaît même pas ». Aussi n’hésite-t-il pas à demander à Gide d’écrire sur Péguy une étude. Gide répond sur-le-champ ; heureux de l’accueil réservé à son livre, il se dérobe au sujet de Péguy : « Oui, certainement je serais tenté par votre proposition [...] mais je suis surmené [...]. » (n° 12).
13Ce fut de nouveau le silence. A. Martin a sans doute compris qu’il était inutile d’insister. Déjà, à propos de son journal On progresse, Gide n’avait donné aucune suite à sa demande.
14Ce n’est qu’en 1945 que le contact est repris. A. Martin songe à développer l’Amitié Charles Péguy, fondée en 1941 par un petit groupe d’amis, et qui sera officiellement déclarée le 10 mai 1946. Pour l’heure, en 1945, il sollicite un certain nombre de personnalités, dont André Gide, qu’il souhaite voir entrer dans le comité d’honneur. Gide, une fois encore, répond par un refus ; si honoré qu’il soit de la proposition faite, il lui « paraît préférable et beaucoup plus significatif de ne réunir, dans cette sorte de comité, en plus de quelques rares intimes, que les collaborateurs des Cahiers de la XVe » (n° 13). Dans cette lettre du 19 mai 1945, il n’accepte pas davantage d’évoquer le souvenir d’Alain-Fournier, qui intéresserait tant A. Martin : « présentement, je suis si harcelé, si fatigué ; tout engagement nouveau m’épouvante et je ne songe qu’à m’y dérober. »
15A. Martin ne désarme pas. Près de deux ans plus tard, il sollicite de nouveau Gide, le 15 février 1947. Il lui demande l’autorisation de publier cette lettre adressée à Péguy le 8 novembre 1910 et il revient à sa demande de 1920 : « Comme j’aimerais pourtant que vous écriviez un jour sur Péguy. [...] Quel beau cahier nous ferions. » (n° 14). Mais Gide ne répond pas. A. Martin revient à la charge, le 19 mai (n° 15). Gide accorde l’autorisation de publication mais ne souffle mot du reste.
16L’obstination d’A. Martin n’aura pas eu raison de Gide. Il attendra, d’ailleurs, la mort de ce dernier pour publier la lettre de 1910 dans cette note du mois de mai 1951, qui sera suivie, deux ans plus tard, d’une autre note : « Péguy et André Gide (suite) »3, où il se plaît à relever quelques inexactitudes dans les souvenirs de Gide sur Péguy.
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1. – ANDRÉ GIDE À AUGUSTE MARTIN4
3 Oct[obre 19]17
74 Avenue Mozart
17Monsieur
18Que vous êtes aimable de m’envoyer votre revue. Ce N° que je conserve précieusement après l’avoir lu avec la plus attentive sympathie, se présente d’une manière exquise. Bravo.
19Si je parviens à extraire de mes notes quelques phrases qui ne me paraissent ni trop banales ni trop absurdes (ni trop tristes !) elles seront pour vous. J’aurais autant de joie à vous apporter ma collaboration – que j’ai de plaisir à me taire quand me sollicite une revue de l’arrière. Croyez à ma vive sympathie.
20André Gide
2. – ANDRÉ GIDE À AUGUSTE MARTIN5
Cuverville en Caux
18 Novembre 19]17
21Monsieur
22Je vous remercie bien cordialement de votre gracieux envoi. Ce nouveau N° de On Progresse, est, comme le précédent, de la présentation la plus heureuse et je vous applaudis bien fort. J’ai lu ce N° de la première à la dernière ligne, et sans rien sauter. Mais, à mesure que je lisais, je me persuadais davantage que l’adjonction des gens de métier, et de l’auxiliaire, compromettrait fâcheusement le caractère de votre revue – tout comme si vous vous avisiez d’y donner tout à coup quelque héliogravure – ou je ne sais quoi, d’un métier différent. Ne le trouvez-vous pas, vous aussi ? Et n’est-ce pas par gentillesse (dont je vous sais, au reste, grand gré) que vous m’invitez à collaborer ? Je me sentirais tout gêné, je vous assure, tout honteux de mes vêtements civils, et de mon âge, et des ternes couleurs de ma trop abstraite pensée.
23Croyez que c’est pour vous laisser parler que j’ai si grand appétit de me taire. Je vous serre la main avec les sentiments les meilleurs.
24André Gide
3. – ANDRÉ GIDE À AUGUSTE MARTIN6
Cuverville
15 Déc[embre 19]17
25Monsieur
26Vous m’avez écrit d’une manière exquise et ce mot est seulement pour vous dire combien j’en suis touché. Votre lettre m’apprend que vous êtes à Paris, en convalescence... si je puis quitter Cuverville dans quelque temps, peut-être trouverai-je un instant pour passer vous voir – si vous me le permettez.
27Bien cordialement
28André Gide
4. – ANDRÉ GIDE À AUGUSTE MARTIN7
Samedi
[29 décembre 1917]
29Cher Monsieur
30J’espérais qu’il me serait possible de passer vous voir. Mais mon temps est compté. Et puisque vous me proposez si aimablement de venir... Pouvez-vous me relancer demain dimanche à 10 h.
31Bien cordialement votre
32André Gide
5. – ANDRÉ GIDE À AUGUSTE MARTIN8
Cuverville en Caux
7. I.[19]18
33Cher Monsieur
34Je vous ai mal reçu l’autre jour. J’en ai comme une espèce de remords ; et de n’avoir su vous dire que des phrases si banales et si vagues. Je sentais que je vous laissais partir tout attristé, et si seulement j’avais pu rester un jour de plus à Paris, j’aurais été vous revoir.
35Et pourtant, même avec du temps devant moi et moins préoccupé que je n’étais précisément ce dimanche (vous l’avez bien senti) qu’eussé-je pu vous dire ? J’ai fait vœu de silence durant la guerre ; je n’ose livrer, quand je cause, que des substituts de pensées ; les vraies, celles que je voudrais me cacher à moi-même, me paraissent trop inopportunes, vraiment... et je sens qu’elles m’entraîneraient trop loin si je leur laissais libre cours.
36J’ai lu le livre de votre frère avec une émotion véritable9. Elle eût10 été plus vive encore si l’on pouvait s’intéresser davantage à l’enjeu de cette lugubre partie : je veux dire à ce que sacrifie Jean Denis, et particulièrement à l’amour de Berthe ; on souhaiterait la voir entrer aussi dans le jeu ; on souhaiterait aussi que la partie ne fût pas si vite perdue... mais le livre en eût été moins sincère sans doute et c’est pour sa profonde sincérité que je l’aime. La page qui le conclut est très belle (excellentes aussi les lettres de Michel Divan, qu’il cite – et particulièrement celle p. 191 et 92) – Enfin les qualités littéraires de ce livre sont indéniables et je me réjouis de voir annoncés en première page d’autres livres : en préparation11 ; (qu’il se défie de « l’imparfait »12 ; l’abus de ce « temps » donne parfois à son récit une allure un peu languissante.)
37Si vous le revoyez, vous lui redirez un peu tout cela, car je ne sais pas lui écrire – mais vraiment son livre force la sympathie, et je l’ai lu avec une attention tout amicale. – Au revoir Monsieur. Je ne puis croire que nous ne nous revoyions pas. Je vous serre la main bien affectueusement
38André Gide
6. – AUGUSTE MARTIN À ANDRÉ GIDE13
3914 janvier 1918
40Cher Maître
41Vous n’avez pas à vous excuser de votre réception.
42J’ai été très sensible à l’attention que vous avez bien voulu me témoigner, et c’est moi qui suis confus, au contraire, d’avoir accaparé votre temps et de vous avoir distrait de vos occupations.
43J’ai fait lire à mon frère votre lettre et lui-même vous répondra mieux que je ne saurais le faire. Votre critique montre un des points sensibles de son livre : le rôle de Berthe qui n’est là que pour situer l’action et qu’il n’a pas assez laissé dans l’ombre des sentiments qui bouleversent Jean Denis.
44Je comprends le silence où vous vous réservez depuis trois ans. Je vous dirai même que je l’admire car nous vivons en ce moment dans des idées fausses et étriquées qui paralysent l’individualité de chacun et vous devez en souffrir plus que tout autre.
45Je serai très heureux de vous revoir à votre prochain passage à Paris. Vous voudrez bien me faire signe un jour à l’avance. Je suis libre de mon temps et il est inutile que vous veniez vous égarer dans ce lointain quartier.
46Croyez, cher Maître, à mes sentiments respectueux.
47Auguste Martin
4815 rue Brezin
7. – AUGUSTE MARTIN À ANDRÉ GIDE14
49Lundi 18 mars 1918
50Monsieur et cher Maître
51C’est avec un plaisir toujours renouvelé que j’ai retrouvé votre signature dans deux numéros de La Revue de Paris15.
52En lisant Joseph Conrad je ressentais l’émotion que j’ai à vous lire et l’intérêt que je prenais au récit me portait plus vers le traducteur que vers l’auteur. Je ne doute pas, au reste, quelle part celui-ci vous doit d’avoir pu rendre avec un tel pathétique, une si précise adaptation, l’aventure du « Nan-Schan ».
53Vous avez su nous intéresser à Mac Whirr, mais encore plus à vous.
54Je reprends dans ma bibliothèque quelques-uns de vos livres que j’aime plus particulièrement avec le regret que votre long silence laisse tant de vide entre 1914 et l’année 19... (?)
55Croyez, cher Maître, à mes sentiments respectueux.
56Auguste Martin
5715, rue Brezin
58Paris 14e
8. – AUGUSTE MARTIN A ANDRE GIDE16
595 mai 1918
60Cher Monsieur
61Je vous ai continué l’envoi de On Progresse par l’intermédiaire du 74, avenue Mozart et j’espère que les divers numéros vous seront bien parvenus.
62J’ai bien un peu crainte de lasser votre aimable indulgence mais si je vous importune vous me le direz.
63Croyez, cher Maître, à mes respectueux sentiments.
64Auguste Martin
65La Bédinière par St Jean de Braye (Loiret)
9. – ANDRÉ GIDE À AUGUSTE MARTIN17
Cuverville en Caux
10 Mai [19]18
66Cher Monsieur
67Oui, j’ai bien reçu les derniers N° de On Progresse – et je vous sais le plus grand gré de votre fidèle attention.
68Je vous lis avec un bien affectueux intérêt. Votre lettre à Rachilde18 m’a laissé perplexe. Plus âgé vous ne l’auriez pas écrite, sans doute ; mais j’aime que, précisément vous soyez encore assez jeune (c’est à dire assez confiant) pour l’écrire.
69Votre nouvelle adresse me laisse espérer que vous êtes chez vous, en famille – et que le loisir vous permet de travailler pour vous. Veuillez me rappeler au souvenir de votre frère ; la meilleure façon pour lui de faire connaître son livre sera d’en écrire un second. Au revoir.
70Croyez à mes sentiments bien cordiaux.
71André Gide
10. – ANDRÉ GIDE À AUGUSTE MARTIN19
Cuverville
par Criquetot L’Esneval
S[ei]ne Inf[érieu]re
[12 octobre 1918]
72Cher Monsieur
73Vous m’avez écrit, n’est-ce pas ? Vous vous excusiez de je ne sais quel grief imaginaire que vous craigniez que je n’aille nourrir contre vous... Je voudrais ce matin vous écrire pour vous rassurer, et voici que je ne puis retrouver votre lettre, que pourtant je suis à peu près sûr20 d’avoir gardée – J’en suis ennuyé d’autant plus qu’il me semble qu’elle m’indiquait une nouvelle adresse – de sorte que je doute si cette lettre-ci vous atteindra. À votre tour de me rassurer par un mot.
74Je suis rentré d’Angleterre il y a peu de jours ; mille soins et demi-soucis attendaient mon retour, et je vous écris en courant – mais je ne voulais pas vous laisser vous tourmenter à mon sujet – n’ayant jamais connu pour vous que des sentiments d’affection et d’estime.
75Croyez-moi bien sincèrement
76André Gide
11. – AUGUSTE MARTIN À ANDRÉ GIDE21
77Orléans, le 21 décembre 1920
78J’ai bien reçu le rare exemplaire de La Symphonie Pastorale que vous m’avez si aimablement adressé22 et je m’ennuie d’être si pris à Orléans, en ce moment, pour ne pouvoir faire le voyage de Paris et vous remercier de vive voix.
79Il me plaît de me rappeler la sympathie que vous avez bien voulu me témoigner pendant la guerre et notre entrevue d’un triste matin d’hiver où je ne vous disais que des phrases vagues et banales, incapable que j’étais de surmonter l’émotion de vous voir et de vous parler.
80Vous venez d’écrire un bien beau livre, d’un style impeccable, et j’ai éprouvé à le lire le même délicat plaisir que vos précédentes œuvres m’apportaient.
81Mais vous cacherai-je que ce qui m’intéresse le plus dans votre œuvre, c’est vous-même. Vos livres ne vivent que de vous, vous éprouvez sur vous toutes les recherches de la vie, toute votre ardente curiosité de voir et de connaître. Votre œuvre est une perpétuelle interrogation et chacun de vos livres est un pas de plus que nous faisons avec vous.
82Que je suis loin ici de toute cette vie intelligente, il me faut lutter contre l’ennui d’une froide ville, provinciale à outrance, où rien de ce qui m’émeut ne parvient. Heureusement qu’un très intéressant métier m’occupe et m’empêche de trop penser à tout ce qui me manque loin de la capitale.
83Patrie de Charles Péguy, Orléans ne le connaît même pas, et j’ai pensé que vous ne me refuseriez peut-être pas une étude sur lui que je pourrais éditer dans sa ville même. Vos conditions seront les miennes.
84Croyez moi, Monsieur, bien vôtre.
85Auguste Martin
868, rue St Étienne
12. – ANDRÉ GIDE À AUGUSTE MARTIN23
8721 Déc[embre 19]20
88Cher Monsieur
89Votre lettre me touche – et mon plaisir à la recevoir est d’autant plus vif – que je n’étais pas bien sûr, en vous envoyant ce livre, que vous fussiez celui-là même avec qui j’avais eu le plaisir de causer il y a quelques années.
90Oui, certainement je serais tenté par votre proposition (un travail sur Péguy) mais je suis surmené, excédé – déjà je peste contre cette préface à Armance que j’ai accepté d’écrire pour la grande édition de Champion24... Et j’ai tant d’autres choses, et de si importantes en train...
91Au revoir. Croyez à mes sentiments bien cordiaux
92André Gide
13. – ANDRÉ GIDE À AUGUSTE MARTIN25
9319 Mai [19]45
94Cher Monsieur
95Votre double lettre accueille aimablement mon retour à Paris, près six ans d’absence. Je vous prie de me croire particulièrement sensible à votre proposition et ne pourrais être que flatté et honoré e voir mon nom parmi ceux des amis de Charles Péguy, mais il me paraît préférable et beaucoup plus significatif de ne réunir, dans cette sorte de comité, en plus de quelques rares intimes, que les collaborateurs des Cahiers de la XVe-, et, de ce fait, tous ceux que vous me nommez comptent parmi ceux-ci. Mieux vaut ainsi, ce me semble.
96Au sujet d’Alain Fournier, permettez que je diffère ma réponse. Le souvenir charmant que j’ai gardé de son séjour à Cuverville avec sa sœur et Jacques Rivière, et de nos conversations d’alors, ce souvenir est si vivant encore, que... mais, présentement, je suis si harcelé, si fatigué ; tout engagement nouveau m’épouvante et je ne songe qu’à m’y dérober. Bien cordialement tout de même
97André Gide
14. – AUGUSTE MARTIN À ANDRÉ GIDE26
Samedi 15 février 1947
Lettre à Gide
98Cher Maître
99Dans une vente récente, une lettre de vous adressée à Péguy était jointe à un livre de Charles-Louis Philippe.
100Pourriez-vous m’autoriser à la reproduire dans un bulletin – ou cahier – à paraître de notre association
101mardi soir (8-11-1910)
102Mon cher Péguy
103Et moi qui désirais...
104...
105Hier soir Ghéon est venu...
106...
107Autre chose : Bourdelle vient de terminer un buste de Philippe...
108...
109Voudrais me parler aussi des prix27
110Il apparaît que vous étiez plus enthousiaste de son vivant qu’actuellement. Lors de la publication du Mystère de la Charité vous aviez écrit dans la n.r.f. un remarquable article28. Comme vous sembliez alors près de lui et même près de son catholicisme mais c’est quand on croit vous atteindre que vous vous enfuyez.
111J’ai lu, presque avec peine parce que venant de vous ce que vous écrivez de lui dans votre journal 39-4229. Vous admirez l’homme, beaucoup moins l’œuvre.
112Sa place est pourtant grande, très grande. Il est des rares écrivains qui touchent directement le peuple et qui provoquent en nous une émotion que nous analysons peut-être mal mais que nous ressentons intensément.
113Comme j’aimerais pourtant que vous écriviez un jour sur Péguy. Je vous l’avais demandé en 1920 alors que j’habitais Orléans, vous étiez tenté par cette proposition. Je vous le redemande aujourd’hui. Quel beau cahier nous ferions. Vos conditions seraient les nôtres.
114Croyez mon Cher Maître à mes respectueux et sympathiques sentiments.
15. – AUGUSTE MARTIN À ANDRÉ GIDE30
115Paris, le 19 mai 1947
116Cher Maître
117Il y a 3 mois environ, je vous avais demandé l’autorisation de reproduire dans les Cahiers Charles Péguy à paraître votre lettre du 8 novembre 1910 à Péguy dont je vous avais donné copie.
118N’est-ce donc pas possible ?
119Veuillez croire, cher Maître, à mes respectueux sentiments.
16. – YVONNE DAVET À AUGUSTE MARTIN31
André Gide
Ibis, RUE VANEAU, VIIe
Paris le 20 Mai [19]47
120Monsieur,
121Au reçu de votre lettre du 19 mai, André Gide a tout aussitôt cherché dans ses papiers votre précédente lettre à laquelle était jointe, dites-vous, la copie de sa lettre à Charles Péguy du 8 novembre 1910 que vous souhaitez reproduire. Mais en vain. De fréquentes et longues absences tous ces derniers mois ont apporté quelque désordre et retard dans sa correspondance. André Gide vous prie de bien vouloir lui envoyer une nouvelle copie de cette lettre, car il n’en a pas gardé suffisant souvenir pour pouvoir vous donner aujourd’hui une réponse.
122Il me charge de vous transmettre ses excuses et l’assurance de ses sentiments les meilleurs.
123Pour André Gide :
124Y. Davet
17. – YVONNE DAVET À AUGUSTE MARTIN32
André Gide
Ibis, RUE VANEAU, VIIe
Paris le 25 Mai [19]47
125Monsieur,
126André Gide vient de retrouver votre lettre du 15 février contenant copie de sa lettre à Charles Péguy du 8 nov[embre] 1910, que vous souhaitez reproduire dans le Bulletin de votre Association. André Gide vous en donne bien volontiers l’autorisation.
127Veuillez croire, Monsieur, à l’assurance de mes sentiments distingués.
128Pour André Gide – :
129Y. Davet
Notes de bas de page
1 Anonyme [Auguste Martin], « Péguy et André Gide », Feuillets de l’Amitié Charles Péguy, n° 21, mai 1951, pp. 17-8.
2 D’après la « Bibliographie d’Auguste Martin », Feuillets de l’Amitié Charles Péguy, n° 216, décembre 1977, p. 4, et les renseignements communiqués par M. Dominique Giraud.
3 Anonyme [Auguste Martin], « Péguy et André Gide (suite) », Feuillets de l’Amitié Charles Péguy, n° 34, juillet 1953, pp. 30-2.
4 [Adresse : ] Auguste Martin / Directeur de On Progresse / 9e Dragons / 1er Escadron / S.P. 18 – [Cachet postal : ] Paris 3. X.17.
5 [Adresse : ] M[aréch]al des L[og]is Martin Auguste / [barré] 9e Dragons / [barré] 1er Escadron / [barré] S.P. 18 / [ajouté] 15 rue Brezin / Paris. – [Cachets postaux : ] Criquetot Lesneval 20. XI.17 – Trésor et Postes 26. XI.17.
6 [Adresse : ] Monsieur Auguste Martin / 15 rue Brezin / Paris – [Cachet postal : ] Criquetot Lesneval / 17. XII. 17.
7 [Adresse : ] Monsieur Auguste Martin / 15 rue Brezin / Paris – [Cachet postal : ] Paris 29. XII.17.
8 [Adresse : ] Monsieur Auguste Martin / 15 rue Brezin / Paris – [Cachet postal : ] [Tampon] MX.
9 Il s’agit de Louis-Léon Martin, qui à publié, sous le nom de Louis Léon-Martin, Jean Denis, roman de 230 pages, chez Grasset en 1917. C’est un roman de guerre, écrit de novembre 1916 au 15 mars 1917.
10 Les accents circonflexes des subjonctifs que Gide omet ont été rétablis.
11 Le livre annonçait : « Du même auteur », « en préparation : L’aube étroite, roman ; Danielle Guérin, 3 actes ».
12 Toute l’histoire, en effet, est écrite à l’imparfait et au passé simple.
13 BLJD, gamma 334-1.
14 BLJD, gamma 334-2. Le brouillon de la lettre a été conservé par A. Martin.
15 Il s’agit de Typhon de Joseph Conrad, publié dans la traduction d’André Gide par La Revue de Paris, 1er mars 1918, pp. 17-59 et 15 mars 1918, pp. 334-81.
16 BLJD, gamma 334-3.
17 [Adresse : ] Monsieur Auguste Martin / La Bédinière / par Saint Jean de Braye / Loiret – [Cachets postaux : ] Criquetot Lesneval / 11. V.18 / St Jean de Braye 14. V.18.
18 Allusion non élucidée.
19 [Adresse : ] Monsieur Auguste Martin / La Bédinière / Saint Jean de Braye / Loiret – [Cachets postaux : ] Criquetot Lesneval / 12. X.18 – St Jean de Braye 16. X.18.
20 André Gide a écrit : « sur », sans accent circonflexe.
21 BLJD, gamma 334-4. Le brouillon de la lettre à été conservé par A. Martin.
22 L’enveloppe (à en-téte de LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE) d’envoi du livre est conservée. Envoi recommandé à l’adresse de : « Monsieur Auguste Martin / 8 rue Saint Etienne / Orléans ». Le cachet postal date de décembre 1920 ; l’indication du jour n’est pas lisible.
23 Carte postale, envoyée sous enveloppe : « Biblioteca Vaticana. Ms. Vatic lat. 2867 – Virgilio (Ritratto). – Sec. V » – [Adresse : ] Monsieur Auguste Martin / 8 rue Saint Etienne / Orléans – [Cachet postal : ] Paris 23. XII. 1920.
24 Cette « préface à Armance » paraîtra dans La Nouvelle revue française, 1er août 1921, pp. 129-42. Elle sera publiée en 1925 dans la grande édition des œuvres de Stendhal : Armance, Paris Édouard Champion, 1025.
25 [Adresse : ] Monsieur / A. Martin / 4 rue Auguste Bartholdi / Paris XVe – [Cachet postal : ] Paris 19. V. 1945.
26 Brouillon de la lettre conservé par A. Martin.
27 A. Martin ne transcrit ici que les débuts de paragraphe. Cette lettre sera publiée pour la première fois dans les Feuillets de l’Amitié Charles Péguy, n° 21, mai 1951, peu après la mort d’A. Gide, dans une note d’A. Martin : « Péguy et André Gide », pp. 17-8. Elle sera reprise dans l’ensemble : « Correspondance André Gide – Péguy », publié par Alfred Saffrey dans les Feuillets de l’Amitié Charles Péguy, n° 65, juin 1958, pp. 3-28 (lettre citée p. 25).
28 Le Mystère de la Charité de Jeanne d’Arc a été publié dans les Cahiers de la quinzaine (XI-6) le 5 janvier 1910. Gide a écrit un article enthousiaste dans son « Journal sans dates », La N.R.F., n° 15, 1 mars 1910, pp. 399-410. Gide écrit : « L’étonnant livre ! Le beau livre ! Rien, depuis L’Arbre de Claudel, ne m’avait imposé davantage. » L’article a été repris dans Nouveaux Prétextes, Paris, Mercure de France, 1911, pp. 208-31.
29 Il s’agit du Journal 1939-1942 d’André Gide, publié par Gallimard en 1946.
30 Brouillon de la lettre conservé par A. Martin.
31 Lettre dactylographiée. Seules sont autographes l’indication finale « Pour André Gide » et la signature. Yvonne Davet était alors la secrétaire d’André Gide.
32 Mêmes remarques que pour la lettre précédente. [Adresse : ] Monsieur Auguste Martin / « l’amitié charles péguy »/ 4, rue Auguste-Bartholdi / Paris XV° – [Cachet postal : ] Paris 26. V. 1947.
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