Discussion
p. 47-50
Texte intégral
1J.-R. Derré. – Après cet exposé rigoureusement construit, quelles sont les questions ?
2J.-F. Tétu. – Dans Le Candidat des pauvres et dans Souvenirs d’un Etudiant pauvre, il y a des femmes qu’on ne voit pas dans La Trilogie. L’activité amoureuse de Vallès s’y révèle beaucoup plus grande que dans la Trilogie. Comment expliquez-vous cela ?
3L. Czyba. – Il y a beaucoup plus de construction et de fabrication dans la Trilogie.
4R. Bellet. – La Trilogie obéit à un choix rigoureux ; Vallès a éliminé certains éléments, a procédé à une reconstruction sélective. Mais Le Candidat des pauvres et les Souvenirs d’un Etudiant pauvre posent des problèmes, avec leur écriture diluée et leur aspect de réécriture de L’Enfant, du Bachelier... Sont-ils les vestiges du vaste projet de Vallès, Histoire d’une génération ?
5J.-J. Goblot. – Mme Vingtras n’a-t-elle qu’un comportement de parvenue, de déclassée ? En fait, il y a évolution : au début de L’Enfant, dans une société en gros paysanne, Mme Vingtras reçoit à sa table, oblige Jacques à bien se tenir : elle lui impose l’éthos de la bourgeoisie, elle le fait souffrir. Plus loin, c’est l’inverse : elle fait souffrir Jacques par ses gestes de paysanne, par son accent ; elle souligne qu’elle a gardé les vaches ; elle est gênante parce que restée paysanne ; avant, elle était gênante par l’éducation bourgeoise qu’elle voulait imposer.
6L. Czyba. – Il n’y a pas de contradiction. Car elle ne parvient pas à être bourgeoise ; elle fait rougir l’enfant, elle le méprise.
7X... – Dans un milieu pauvre, elle pose, elle joue à la bourgeoise ; à Paris, dans les « classes supérieures », elle détone, elle pose à la provinciale pure.
8L. Czyba. – Oui. Mais toutes ces contradictions de Vallès écrivant sur la femme correspondent à l’image de la mère. Elles correspondent à des contradictions intérieures de Vallès.
9 J.-R. Derré. – On a vu, avec Cl. Burgelin, un premier Vallès : dominé par des pulsions ; avec M. Marotin, un second Vallès pratiquant le « jeu littéraire de la feinte ignorance ». Le Vallès de Mme Czyba est un troisième Vallès : il est composé, il a de l’harmonie. Lequel des trois est le bon ?
10L. Czyba. – J’ai tâché de voir comment des images diverses se composent. Y a-t-il un « bon Vallès » ?
11J.-R. Derré. – Comment concilier ces trois points de vue assez exclusifs 1
12L. Czyba. – Le propos de Cl. Burgelin n’est pas contradictoire avec le mien. Il fournit une sorte de soubassement au mien.
13Cl. Burgelin. – Non, il n’y a pas contradiction.
14J.-R. Derré. – Alors, Y a-t-il un Vallès mû par des pulsions ? et un Vallès « perméable », comme chez M. Marotin et Mme Czyba ?
15Cl. Burgelin. – La conquête de la lucidité n’est peut-être pas, pour moi, aussi nette que pour Mme Czyba.
16L. Cyzba. – Oui, c’est possible. Les choses ne sont pas si simples. La lucidité est certes plus grande après la Commune : les images de la femme en sont modifiées. Il n’y a peut-être pas conquête de la lucidité, mais il y a eu l’expérience vécue de la Commune et de la Révolution, avec ses conséquences.
17Cl. Burgelin. – Oui, mais, cette expérience, Vallès l’a quand il écrit L’Enfant. Ce qui est troublant, c’est que vous présentiez la femme comme compagne, avec son statut de compagne. Or, la femme garde une place annexe ; la Révolution reste une affaire d’hommes.
18L. Czyba. – Certaines images de la femme révolutionnaire sont peut-être mythiques. Mais il y a aussi un aspect lyrique dans les évocations de Vallès, qui n’est pas un théoricien de la femme révolutionnaire. Il y a, au moins, une espérance.
19Cl. Burgelin. – Je suis frappé, au contraire, par le caractère conventionel du rapport de Vallès à la femme.
20L. Czyba. – Je crois plutôt qu’il y a des signes, en Vallès, d’une tradition romanesque présentant la femme d’une certaine façon.
21Cl. Burgelin. – Oui, il y a des stéréotypes.
22J.-J. Goblot. – Les images de la femme obéissent typiquement à l’évolution historique et à celle de Vallès lui-même, à la fin du Second Empire. Si on compare Le Bachelier et L’Insurgé à L’Enfant, on voit que, dans L’Enfant, le monde n’a pas bougé.
23 Mais sur le fond de la question posée, je me demande si la réponse des deux points de vue complémentaires, un Vallès à pulsions et un Vallès « conscient », celui de Cl. Burgelin et celui de Mme Czyba, est une réponse suffisante. Reste toujours le problème de l’articulation entre le rapport aux parents et le rapport à la petite bourgeoisie ? Peut-on dire que ces deux rapports sont simultanés et égaux, comme le suggère la formule « en même temps » ?
24J.-R. Derré. – On voit que Vallès est un lieu privilégié des diverses approches critiques.
25P. Lejeune. – Je suis de l’avis de Goblot. Il n’y a pas de « bon » Vallès.
26J.-R. Derré. – Bon ! Mais quelle est la meilleure approche ?
27P. Lejeune. – Il faut plusieurs « bons » Vallès ; il n’y a pas de Vallès total.
28F. Marotin. – Je ne suis pas convaincu par les « figures mythiques » – Il y a, par exemple, deux parties dans L’Insurgé : jusqu’en 1866, des femmes « ordinaires » ; puis on trouve des femmes qui ont un mérite social, qui se vengent, etc. Cela, c’est le reflet typique de discussions politiques dans le mouvement ouvrier et dans l’Internationale. Dans L’Insurgé, lorsque Vallès se présente aux élections de 1869, les femmes ont changé. On a là un reflet des discussions de la fin de l’Empire.
29J.-F. Têtu. – Non. Je pense plutôt qu’il s’agit d’un reflet des luttes de 1848. Même dans Les Blouses, récit écrit par Vallès en 1880, on voit resurgir les conflits des socialistes de 1848 ; le mot même de « blouses » est quarante-huitard : après il devient périmé, comme le montre l’analyse lexicale effectuée à Saint-Cloud. Le vocabulaire de Vallès renvoie à des types d’opposition de 48.
30F. Marotin. – Il ne s’agit pas seulement de vocabulaire ; il y a aussi le contenu du vocabulaire. Vallès, dans Les Blouses, traduit, dans un vocabulaire peut-être dépassé, le fond de discussions très « actuelles », c’est-à-dire de la vertu de 1870. On le voit très bien dans les articles écrits par Vallès à l’époque. Il en est de même pour L’Insurgé.
31Cl. Labrosse. – A propos de la femme, en particulier Mme Vingtras, avec ses contradictions, on peut citer l’ethnologue Duvignaud dont l’ouvrage, Le Langage perdu, évoque le cas d’une Tunisienne hystérique depuis son passage de la steppe à la ville, de la campagne aux taudis. C’est une maladie de la rupture. C’est à peu près ce que vit Mme Vingtras. Vallès a vu, à propos de sa mère, un problème de l’acculturation, bien avant toutes les découvertes de l’ethnologie.
32L. Czyba. – L’idée est intéressante. Je la préfère à la formule de la « parvenue maladroite ».
33 C. Labrosse. – Oui, il s’agit là d’une parole qui porte.
34R. Bellet. – Au sujet des femmes révolutionnaires, Vallès, en 1864, prenant prétexte des Mémoires de Mme Roland, ne cache pas ses réticences, pour ne pas dire plus. Il fait l’éloge des femmes et des mères de Barbès et de Blanqui, qui attendent sagement, au foyer, le retour du révolutionnaire, mari ou père. Elles sont le repos du révolutionnaire. Mais, après 1871, les articles du journaliste Vallès révèlent une évolution considérable : elle est due à la Commune, et, en particulier, au spectacle et au souvenir des Communards, hommes et femmes. Il est vrai que ces articles sont, par nature, idéologiques ; ils n’empêchent pas forcément des restes de « misogynie » dans des récits où Vallès reconstruit un passé.
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Biographie & Politique
Vie publique, vie privée, de l'Ancien Régime à la Restauration
Olivier Ferret et Anne-Marie Mercier-Faivre (dir.)
2014