Démon de la définition
p. 461-482
Texte intégral
1Il m’est difficile de parler de mon entreprise littéraire, de définir le plus exactement possible la nature de l’autofiction que je propose. Sans doute parce que l’écrivain n’est pas le mieux placé pour évoquer ce qu’il fait. Ce sont souvent les autres, lecteurs ou critiques, à l’occasion d’articles de presse, d’études ou de débats, qui lui révèlent et donnent un sens à ce qu’il écrit. Aussi, parce que le texte résiste à une interprétation absolue, définitive, de soi par soi, ou ne s’y prête que partiellement, et il n’est pas dans la forêt herméneutique une interprétation de soi qui vaille plus qu’une autre, fût-elle celle de l’autorité première, celle de l’auteur. Enfin parce qu’on écrit justement pour ne pas avoir à expliquer cela même que l’on ne sait pas, ou que l’on sait mal encore, ou que l’on croit savoir, oui, on écrit pour suppléer un déficit du dire, un lieu où, souvent, notre passé s’est manqué, où l’on est resté, demeuré pour ainsi dire, dans l’absence des mots, comme englué dans une zone du langage où le taire prenait alors le pas sur la parole.
2Si j’éprouve tant de difficulté à parler de mes textes, c’est aussi que les histoires d’amour que je raconte sont ordinaires, se réduisent à la description d’états amoureux – de la rencontre à la séparation, de la passion à l’indifférence –, d’intermittences du cœur, et que mes textes ne peuvent se réduire à seulement passer pour des histoires, mais qu’ils tiennent, je crois, surtout par le style néoclassique, concis, attaché à l’essentiel, avec lequel j’essaie de les écrire. Le Normand que je suis reste l’héritier de Flaubert et de son vœu d’écrire un « livre sur rien ». J’admire les écrivains capables de parler pendant des heures des histoires qu’ils écrivent. Moi, j’écris parce que je n’ai jamais bien su raconter, jamais bien su parler. Voici sans doute la raison pour laquelle, ces dernières années, je me suis efforcé d’élaborer un discours critique, à vocation théorisante, qui s’appuie sur mon expérience d’écriture et, ce faisant, me donne en quelque sorte une « double casquette », un statut bâtard d’écrivain et de chercheur (par ma formation universitaire et mon affiliation à un centre d’études, CERACC, à l’Université Paris III). Cette formation m’a appris une discipline et, peut-être, à conserver une distance envers ma pratique d’écriture, comme s’il me fallait toujours rester dans une position de retrait ou de neutralité par rapport à la subjectivité que je m’efforce d’y engager. Entre pratique et théorie littéraire se localise ma schizophrénie, toujours peu ou prou dans une dimension réflexive de la littérature, en position d’excéder, par un métadiscours, ma propre entreprise littéraire.
3Au petit jeu de la rivalité entre l’écrivain et le chercheur, c’est encore une fois le chercheur qui a triomphé : je ne traiterai donc pas du sujet annoncé, intitulé « La part de soi », mais de ce que j’ai rebaptisé « Démon de la définition ». La faute, s’il faut trouver un coupable, en revient à Philippe Gasparini et à son récent et excellent ouvrage, Autofiction. Une aventure du langage1, m’invitant à reconsidérer, après bien d’autres, la définition de l’autofiction. En plus de stimuler la réflexion, son livre a le grand mérite de synthétiser les travaux en cours sur le genre, avec un souci de clarté, d’objectivité, donnant à l’autofiction l’assise théorique qu’elle exigeait depuis longtemps, en même temps qu’une dimension historique supplémentaire. Cet ouvrage aide à mieux comprendre les malentendus et incompréhensions suscités par l’autofiction, à voir combien le déficit d’image dont elle souffre tient en partie au caractère à la fois trop général et restrictif de la définition inaugurale, désormais canonique, donnée par Doubrovsky en 1977 lors de la publication de Fils2 : « Fiction, d’événements et de faits strictement réels ». Cette définition a été discutée par nombre de brillants théoriciens, parmi lesquels Vincent Colonna3 et Philippe Gasparini, qui se sont eux-mêmes risqués à donner une définition personnelle. Il est possible, en conséquence, que l’incompréhension suscitée par l’autofiction tienne à son caractère indéfinissable, au fait que sa définition soit l’enjeu d’un questionnement permanent, l’objet d’une tentative récurrente pour la préciser et l’affiner jusqu’à la rendre chaque fois un peu plus absconse au regard d’un lectorat non averti. L’autofiction est l’objet d’une surthéorisation qui paraît jouer en sa défaveur. Qu’est-ce donc que l’autofiction, ce genre mystérieux dont chacun parle, pense savoir ce qu’il est, sans pouvoir toujours le qualifier ou en cherchant à le surqualifier ?
L’INAUGURALE DE DOUBROVSKY
4Le terme « autofiction » s’est vu largement détourné du sens strict que lui avait assigné Doubrovsky dans sa définition inaugurale. Par mode, on nomme désormais ainsi à peu près tout ce qui relève communément de l’« autobiographique », sans prendre soin de distinguer les récits et romans autobiographiques de l’« autofiction » proprement dite. Que le terme soit passé dans le langage courant et fasse l’objet d’une définition différente dans le dictionnaire Robert ajoute à la confusion : « Récit mêlant la fiction et la réalité autobiographique ». Le succès que rencontre cette dénomination générale « autofiction » tient sans doute à l’usage du terme « fiction », aux intonations américanisantes, qui permet d’inscrire cette production dans sa pleine actualité et de placer le terme en concurrence avec celui de « roman » en littérature, comme avec celui de « film » à la télévision : tout est devenu « fiction », on regarde la « fiction du dimanche soir », on lit des « docufictions » ou des « actufictions », comme si le terme « fiction » permettait de mieux faire accepter la brutalité du réel et, concernant l’autofiction, de valoriser la part narcissique d’un texte. De manière générale, l’autofiction peut ainsi être entendue comme une vaste « fiction de soi » participant d’une tendance moderne de la littérature.
5L’autofiction conserve-t-elle alors une pertinence ? Quelles sont ses limites, ses aptitudes à renouveler le genre ? Victime de son succès, l’autofiction désigne tout et son contraire, sans respect pour la définition inaugurale de Doubrovsky. Le flou qui entourait la définition a conduit des théoriciens du genre à la repréciser, distinguant « l’autofiction référentielle » de « l’autofiction fictive », une « théorie restreinte » d’une « théorie étendue ». Il reste qu’élargir le terme à l’ensemble des fictions biographiques ne va pas sans problèmes dans la mesure où l’autofiction se trouve réduite à n’être plus qu’un simple avatar du roman autobiographique – auquel il m’est difficile de la comparer.
6Un tel désaveu de la définition inaugurale ne paraît cependant pas infondé tant cette définition réclame trop de critères d’appartenance pour être performante et crédible. Gasparini en dénombre scrupuleusement dix :
- l’identité onomastique de l’auteur et du héros-narrateur
- le sous-titre : « roman »
- le primat du récit
- la recherche d’une forme originale
- une écriture visant la « verbalisation immédiate »
- la reconfiguration du temps linéaire (par sélection, intensification, stratification, fragmentation, brouillages…)
- un large emploi du présent de narration
- un engagement à ne relater que des « faits et événements strictement réels »
- la pulsion de « se révéler dans sa vérité »
- une stratégie d’emprise du lecteur.
7Trop d’impositions rendent confuse et inopérante une définition qui semble exclusivement s’appliquer aux textes de son inventeur et à laquelle aucun texte ne peut entièrement répondre. Il y a presque quelque chose d’oulipien dans cette définition qui fixe, à qui voudrait écrire une autofiction, des contraintes excessivement rigoureuses.
8Ce serait cependant faire preuve d’ingratitude envers Doubrovsky, qui a défendu seul son concept contre la déferlante anti-autofiction, que de lui reprocher cet excès de contraintes, quand, à l’époque de son invention, il fallait tenter de définir le concept, avec toutes les imprécisions et inexactitudes qu’impose le caractère expérimental d’une telle ébauche définitoire. Depuis, Doubrovsky a d’ailleurs révisé sa position sur sa définition, et, disant qu’il voulait « se comprendre lui-même », il a pris certaines distances avec elle. Toute définition est faite pour être contredite. Vincent Colonna comme moi-même en faisons également l’expérience : nous écrivons et, chacun à notre façon, nous tentons de définir l’autofiction depuis notre entreprise, nous intellectualisons notre rapport à la littérature pour nous-mêmes avant tout, dans l’espoir que d’autres écrivains s’y retrouvent et s’y reconnaissent.
D’ARNAUD SCHMITT À PHILIPPE GASPARINI : L’AUTONARRATION
9Si l’ouvrage de Gasparini présente le plus objectivement possible l’aventure autofictionnelle depuis sa naissance à nos jours, néanmoins le souci d’objectivité qui y est manifesté finit par présenter autant d’inconvénients que d’avantages et par « avoir les défauts de ses qualités ». En effet, la définition qu’il donne de l’autofiction, à la suite d’Arnaud Schmitt, pose plus de problèmes qu’elle n’offre de solutions. Au-delà de l’intérêt intellectuel que je porte à la proposition de Schmitt qui envisage de substituer au terme « autofiction » celui d’« autonarration4 », il m’est difficile de partager une telle sensibilité théorique : comment comprendre la volonté de remplacer un terme qui, même contesté, connaît un succès évident, de distinguer – même si cette distinction s’avère judicieuse – « autonarration » et « fiction du réel » comme le fait Arnaud Schmitt en fondant son analyse sur une théorie de la réception (ce qui est sans doute plus contestable encore pour un écrivain dans la mesure où ce type de critique semble faire fi des intentions de l’auteur) ? Je ne suis pas pour accorder au lecteur cette autorité seconde, une place prépondérante quant au sens et à l’orientation à donner à un texte aussi indécidable qu’une autofiction, le soin de déplacer le curseur des possibles de l’autofiction sur un schéma (mis en place par Arnaud Schmitt) supposé désigner une tendance de lecture et indiquer le degré de l’autofiction telle que le ressentirait le lecteur – même si un texte, une fois écrit, n’appartient plus à son auteur, même si son auteur s’en sent toujours plus ou moins dépossédé.
10La définition de l’autonarration que Gasparini propose à la suite de Schmitt, en guise de synthèse, à la fin de son ouvrage, réclame, quant à elle, trop de traits ou de caractéristiques pour être convaincante :
Texte autobiographique et littéraire présentant de nombreux traits d’oralité, d’innovation formelle, de complexité narrative, de fragmentation, d’altérité, de disparate et d’autocommentaire qui tendent à problématiser le rapport entre l’écriture et l’expérience.
11Si on comprend le scrupuleux souci du chercheur visant à synthétiser les traits généraux de l’autofiction, à en dresser une sorte de bilan, il est difficile de souscrire à une telle définition, au moins pour trois raisons :
- Une définition se doit d’être indiscutable et donc d’exclure pour rassembler : par les largesses qu’impose cette définition synthèse, celle-ci rassemble pour mieux exclure. Que Gasparini ne reconnaisse pas à sa définition la nécessité de voir apparaître l’ensemble des traits qu’il recense prouve le caractère réfutable et réversible, contournable et modulable de sa définition, qui concernerait partiellement tout texte autobiographique. Une définition doit désigner exactement, absolument, totalement, et non désigner partiellement.
- D’autre part, la précision « littéraire » se justifie-t-elle quand l’estimation de la littérarité d’un texte, de sa valeur, s’avère sujette à des influences extérieures, souvent étrangères à la littérature, à des catégories sociales notamment pour lesquelles le « littéraire » n’a pas toujours la même signification ? Cela m’embarrasse qu’une notion aussi instable que le « littéraire » soit posée comme acquise, surtout lorsque certaines autofictions sont précisément l’enjeu de ce débat : soit de leur propre volonté (dans La Place, Annie Ernaux entend se situer « au-dessous de la littérature » pour s’inscrire, toute son œuvre en témoigne, dans une perspective sociologique et ethnologique), soit contre leur volonté (les textes de Christine Angot se trouvent littérairement contestés et assimilés à une vulgaire thérapie). Quels critères permettent-ils de décider que tel texte est littéraire ou non, notamment lorsque l’écrivain se place lui-même dans une position de marginalité par rapport au littéraire comme le fait Sollers – quand bien même il s’agirait de stratégies de distinction pour se placer en marge dans le champ littéraire ? Désigner l’appartenance ou la non-appartenance de tel texte à la littérature relève de la gageure.
- Enfin, le fait que n’apparaisse pas le composant majeur – « fiction » – qui, selon Gasparini, donne lieu à des « définitions contradictoires » et « faussait la compréhension du concept ». Cette omission, certes volontaire, en ce qu’elle permet de qualifier plus largement de simples récits autobiographiques qui ne mettent en place aucun dispositif de fiction, rend un peu plus incompréhensible encore le fait que l’autofiction se prive de sa dimension majeure de fictivité. On désignerait ainsi à peu près tout ce qui relève de l’autobiographique, aussi bien les récits factuels que les romans autobiographiques. Cette confusion risquerait de donner lieu à des situations rocambolesques au moment de qualifier d’« autofictions », par exemple, les textes d’écrivains qui, eux-mêmes, revendiquent leur non-appartenance au genre, voire leur refus catégorique de la fiction, comme Annie Ernaux : ses premiers textes (Les Armoires vides, Ce qu’ils disent ou rien5) s’apparentent surtout à des romans autobiographiques ; ils présentent des narratrices nommées différemment de l’auteure, dont les textes à partir de La Place6 sont des récits nullement intitulés « romans », dénués de fiction, ou, à tout le moins d’un fictionnement volontaire. Faut-il alors accorder le label « Autofiction » à des textes qui ne se présentent ni ne s’assument comme tels ?
12Sur la question de la « fiction », on peut regretter que les théoriciens s’enferment dans une glose d’initiés, souvent subtile, mais dont les praticiens – les écrivains, j’entends – ne se préoccupent pas, ou, en tous cas, pas dans de telles proportions. Écrire une fiction, pour un écrivain, se résume le plus souvent à l’action de feindre et de transformer le vécu en mettant en place différents dispositifs de déplacements spatio-temporels, modification, suppression, ajout, etc. En ce sens, c’est de l’entreprise proustienne que se rapproche surtout l’autofiction, entreprise selon laquelle il s’agit de « récolter » le livre comme pour Jean Santeuil et de « traduire » le réel. La fiction dans l’autofiction s’apparenterait davantage à une simple opération de traduction et de recréation du réel.
DÉFINIR, MALGRÉ TOUT
13On peut cependant définir l’autofiction de manière simple sans lui dénier son autonomie théorique. Le terme « autofiction » existe, faisons avec ! Il est trop tard pour l’abandonner en route. Plus le temps passe, plus je me représente l’autofiction comme une vaste maison en désordre ou, ainsi que Doubrovsky comptait intituler son dernier roman, comme un Cabinet de débarras auquel il conviendrait de remettre de l’ordre. De même, il ne faut pas remplacer l’autofiction mais bien la débarrasser de ses scories pour mieux la réordonner, en étant plus permissif que Doubrovsky, en modifiant sa définition et en la restreignant à deux critères fondamentaux – générique et nominal –, qu’il importe maintenant de simplifier et de nuancer.
14En premier lieu, le critère générique. Ce contrat de lecture est aussi essentiel que problématique. La difficulté éprouvée pour définir l’autofiction provient de son indécidabilité générique. Quelles sont les limites théoriques d’un roman à la première personne, dans lequel un narrateur, assimilé à l’auteur, prétend dire la vérité, décrire des événements et des faits réels ? Dans Le Pacte autobiographique7, Lejeune soulignait en termes d’ambiguïté le fait qu’un texte soit à la fois fictionnel et factuel, tandis que Doubrovsky évoquait lui l’hybridité du genre. Indécidabilité, ambiguïté, hybridité, ce sont là, sinon des synonymes, les termes barbares d’une même famille pour dire que l’autofiction joue de son « pacte contradictoire », de sa transitivité, de se donner à la fois comme absolument référentielle (elle se soumet à un principe d’exactitude factuelle) et non référentielle (revendiquée comme un roman, elle atteste son entrée en fiction). C’est ce régime de mitoyenneté, ou mi-référentiel, qui discrédite l’autofiction en faisant dériver sa lecture non vers une compréhension de son esthétique mais vers une interprétation, de moindre intérêt, de sa véridicité (résumée par la formule : « C’est vrai ? C’est pas vrai ? »). L’auteur d’autofiction est placé dans une position humiliante : sommé de justifier ses sources, de compléter par un discours péritextuel les lacunes référentielles du texte, il doit constamment se défendre, se justifier, rectifier des interprétations erronées, ajuster son texte à sa vie. Justification qui tend à ôter à l’autofiction une légitimité esthétique sérieuse et à la reléguer dans un champ littéraire marginal.
15Posons, à la suite de Doubrovsky, qu’une autofiction doit impérativement s’assumer comme un roman en s’appelant « roman » sur la couverture, sous peine de ne pas se distinguer de textes qui ne joueraient pas le jeu du pacte romanesque. Que le lecteur souhaite y lire autre chose qu’un roman ou y voir une photocopie de la vie de l’auteur demeure son problème : lorsque j’achète une bouteille d’Évian je m’attends non seulement à boire de l’eau, mais à boire une eau différente de l’eau de Contrex ou de Cristalline, mais si, un jour, s’écoulait de cette même bouteille d’Évian un liquide coloré différent de l’eau, je me sentirais trompé. L’eau représentant ici l’autofiction, les diverses marques des types d’autofiction. De même, lorsque je lis « roman » sur la couverture d’un livre, je dois m’attendre à trouver en lisant l’histoire racontée par une première personne censée en être l’auteur des éléments romanesques et à ce que cette histoire ne soit pas vraie dans son intégralité, enfin, à ce que sa vérité se situe ailleurs, à la fois dans sa vraisemblance, la particularité de son style et les principes de sa mise en fiction. Une incroyable, quoique évidente, conclusion s’impose : comme une bouteille d’Évian doit contenir de l’eau, une autofiction doit contenir de la fiction. Encore faut-il que cette fiction soit volontaire, présentée comme un choix esthétique, une intention de l’auteur ; le fait que cette fiction advienne involontairement, par le jeu de la mémoire et des amnésies partielles qui trahissent un auteur – ou dont cet auteur serait la victime comme dans certains récits autobiographiques qui réélaborent une fiction à l’insu de leur auteur –, devrait être questionné, considéré comme une fiction suspecte. La fiction vaut par son intention.
16En second lieu, le critère homonymique. L’autofiction requiert l’homonymat entre auteur, narrateur et personnage, l’identité nominale avérant la véridicité de la matière autobiographique. « Dans l’autofiction, dit Doubrovsky, il faut s’appeler soi-même par son propre nom, payer, si je puis dire, de sa personne, et non se léguer à un personnage fictif8 ». Cette clause distingue l’autofiction du roman autobiographique où un auteur lègue son nom à un personnage d’emprunt. Encore une fois, peut-être faut-il être moins théoricien qu’écrivain pour saisir de l’intérieur l’intérêt de modifier son vécu, le risque d’assumer les modifications en son nom propre, pour ressentir surtout la responsabilité qu’un tel engagement homonymique suppose. Alors que l’auteur d’un roman autobiographique se donne la possibilité de rejeter sur son personnage tout ce à quoi il ne veut pas être associé, celui d’autofiction l’assume : « Cela peut ne pas être moi ! » dit le premier, « C’est moi ! » ne peut que confesser le second. L’impossible alternative à laquelle se condamne ce dernier illustre bien, pour reprendre la métaphore de Leiris, la dimension tauromachique de l’autofiction qui pose en termes de « risque » et de « responsabilité » l’enjeu du critère homonymique. « Payer de sa personne » implique la mise en jeu essentielle de l’identité, l’exposition au risque de se punir soi-même par quelques révélations embarrassantes, peut-être de se déconsidérer envers le lecteur, d’être puni par lui. L’autofictionneur a obligation de tout assumer, de s’assumer jusque dans les replis étroits de sa fiction et de sa fabulation, constitutives du « moi ».
17Doit-on hasarder, pour faire une distinction supplémentaire, que l’autofiction serait l’écriture du « Moi » tandis que le roman autobiographique serait l’écriture d’un « moi », d’un « moi » possible parmi d’autres ? Enfin, conserver son nom permet de revendiquer une vision indistincte du « moi », selon laquelle, manière de Sainte-Beuve, le « moi créateur » ne se dissocierait pas du « moi créé », le « moi intérieur » producteur de l’œuvre du « moi extérieur » qui en est le produit.
18L’hypothèse, sinon d’une définition, d’un pacte définitoire minimal de l’autofiction pourrait, en conséquence, se formuler de la sorte : « Fiction homonymique qu’un individu fait de sa vie ou d’une partie de celle-ci. »
19Il semble cependant nécessaire de trouver un terrain d’entente sur ce critère homonymique afin d’élargir la définition à un type de fiction non homonymique – ou fiction biographique anominale –, sous-titrée « roman », dont la première personne serait une instance d’énonciation sans référence et renverrait implicitement à l’auteur sans le nommer. Ce que Doubrovsky appelle, injustement à mon sens, une « quasi autofiction ». Ne pas se nommer en disant je, procéder à une entreprise d’ensecrètement biographique, n’est-ce pas une façon de se nommer par défaut ? Je, s’il n’est pas nommé, n’en perd pas moins son identité en référant tacitement à l’auteur. Employant un je qui ne désigne pas nominalement un autre personnage comme dans le roman autobiographique, l’auteur n’a pas besoin de se nommer pour suggérer que l’histoire qu’il raconte le concerne. C’est même là une évidence qu’il serait superfétatoire de rappeler, voire artificiel lorsque le texte ne l’impose pas, de même que nous ne déclinons pas notre identité toutes les fois que nous prenons la parole et intervenons à la première personne, parce que celui qui parle est bel et bien lui-même.
20On l’aura compris, à travers ce critère anominal, c’est le nœud gordien de ma propre entreprise littéraire que je livre ou protège des insinuations émises ici ou là sur mon compte et selon lesquelles je ne pratiquerais pas l’autofiction, mais, comme le dit avec pertinence et affection Serge Doubrovsky, une autofiction particulière : « Philippe Vilain aime dire je mais ne parle pas de Philippe Vilain9 ». L’impression qu’on peut donner aux lecteurs n’est jamais inintéressante en ce qu’elle renvoie aux zones inconscientes de notre écriture, à des figures involontaires de nous-mêmes que nous livrons sans le vouloir parfois en souhaitant en livrer d’autres. Dois-je en déduire que l’impression que je donne à des lecteurs qui ne connaissent pas, ou peu, ou de loin, ma vie personnelle, puisse suffire à conclure que ma vie est bien celle qui ne se dit pas dans mes textes ou que cette vie s’avère si différente de celle que je consens à y livrer ? Parce qu’il est un excellent écrivain et qu’il a l’habitude des formules percutantes, Doubrovsky ne se doutait peut-être pas à quel point son insinuation me concernerait, me parlerait, peut-être parce ce que, sans dire juste, celle-ci repose sur un présupposé, un ouï-dire infondé, qui me replace dans la position inconfortable, que j’abhorre, d’avoir à me justifier.
21Lors du colloque « Genèse et autofiction » en 2005, j’avais déjà eu l’occasion de m’expliquer en montrant les ressorts romanesques, le travestissement du référentiel à l’œuvre dans mon quatrième roman, L’Été à Dresde10, où je racontais la relation d’un trentenaire avec une jeune est-allemande venue à Paris pour être modèle, et d’évoquer les libertés (décalages, déplacements spatio-temporels…) que je prenais par rapport à la réalité vécue11. Pour mon dernier roman, Faux-père12, comme pour mon premier, L’Étreinte13, la fiction provient moins d’un décalage référentiel que d’un prolongement poétique : Faux-père est l’histoire d’un homme qui, trompant son ennui avec différentes femmes, entretient une relation avec une Turinoise, Stefania, qui finit un jour par lui annoncer qu’elle est enceinte. Puisque l’insinuation de Doubrovsky m’y contraint, tout cela, je peux l’avouer, le garantir, a réellement eu lieu, à ceci près que la Stefania de la vraie vie (appelons-là « Stefania 2 » pour conserver la première place aux héroïnes) m’avait confié qu’il était possible qu’elle tombe enceinte. Ce qui ne s’est jamais déroulé, c’est la suite de l’histoire et l’avortement de Stefania 1. Autrement dit, je n’ai fait qu’amplifier une scène qui s’est réellement passée : Stefania 1 m’annonce un jour qu’il est possible qu’elle tombe enceinte, tandis que dans Faux-père, Stefania 2 annonce au narrateur qu’elle est enceinte. Ce n’est l’affaire ici que d’amplification et de supplémentation narratives. Toutes mes histoires fonctionnent ainsi, par ajout ou soustraction, et, de fait, sont toutes partiellement vraies : tout comme j’avais inventé la séparation dans L’Étreinte, j’ai inventé l’avortement dans Faux-père. La fiction s’origine chez moi dans et depuis un fait vrai – j’ai bien failli être père avec une Turinoise – auquel je donne un dénouement certes inventé, mais vrai dans le sens où je l’ai réellement vécu dans la peur de le voir advenir. Ces dénouements inventés de L’Étreinte ou de Faux-père sont de simples ajouts nécessités par l’exercice de la fiction.
22Pour nuancer le propos de Doubrovsky, il serait plus juste de dire que : « Philippe Vilain, disant je, parle bien de Philippe Vilain, même s’il s’arroge des libertés par rapport à sa propre histoire. » J’en dis peut-être davantage sur moi et mon fonctionnement psychique qu’en racontant fidèlement et factuellement mon histoire réelle, car mon histoire la plus vraie est celle qui allait avoir lieu, l’histoire que l’angoisse m’a volée et qui m’a fait inventer une suite, l’histoire qui m’a révélé une part inconsciente et mystérieuse de moi (la peur d’avoir un enfant), l’histoire qui aurait pu se passer si Stefania 2 n’avait pas failli tomber enceinte. (Dans L’Étreinte, cependant, la séparation inventée a eu lieu plus tard, comme si l’autofiction avait précédé la vie). En résumé, j’écris à la première personne et raconte une histoire depuis un fait réel, vérifiable mais transposé, à laquelle je donne un prolongement romanesque possible, un élargissement poétique sans toujours me nommer.
23Derrière son insinuation, Doubrovsky semble en fait contester une conception romanesque de la vérité telle que l’avait formulée Gide dans Si le grain ne meurt, douter aussi que la vérité du « moi » puisse advenir d’un simple principe de fiction, et accorder ainsi le primat à une vérité d’ordre référentiel, purement historique, assez proche finalement de celle recherchée dans l’autobiographie classique. Peut-être Doubrovsky est-il avant tout un autobiographe manqué – comme on dit d’une fille ou d’un garçon manqué – qui écrirait de l’autobiographie sous le masque de l’autofiction, quand je serais moi-même un romancier manqué qui écrirait de l’autofiction en faisant croire qu’il s’agit d’autobiographie. Les deux techniques participant au fond de la même élaboration d’une image de soi, visant pour des motifs différents la dissimulation plus que l’exposition.
24L’autofiction a eu le mérite de créer au moins deux écoles du « moi » : l’une privilégiant la fidélité d’un rapport historique à soi, l’autre revendiquant la recréation romanesque de soi. La première ne présente pas plus de crédit que la seconde, ni la seconde que la première, mais ces deux écoles évoquent deux manières radicalement opposées de concevoir la vérité du « moi », deux tendances inconciliables de l’autofiction qui confinent toujours à une saisissante irréductibilité des points de vue. De plus en plus, je rejoins la position fictionalisante élaborée par Vincent Colonna que j’avais rejetée dans un premier temps pour de bien mauvaises raisons : d’une part, je prenais, assez injustement du reste, pour une forme d’érudition vaine le fait de vouloir trouver à l’autofiction une ascendance dans l’Antiquité en la personne de Lucien de Samosate ; d’autre part, me déplaisait l’idée selon laquelle Colonna faisait de l’autofiction un simple avatar du roman autobiographique, déniant par là à l’autofiction nominale son existence et son autonomie théoriques. Ces deux réserves mises de côté, je me rapprocherais volontiers de la définition de Colonna, plus tolérante et plus claire ou, à tout le moins, sœur de ma démarche d’écriture. L’autofiction anominale ou nominalement indéterminée telle que je la pratique, en prenant des libertés avec l’autofiction doubrovskienne, pose ainsi un problème qui m’impose de préciser mon pacte définitoire : « Fiction homonymique ou anominale qu’un individu fait de sa vie ou d’une partie de celle-ci. »
QUOI DE NEUF SOUS LE SOLEIL « AUTOFICTION » ?
25Par des détours différents, cette reformulation de la définition me conduit à la même conclusion que Gasparini, c’est-à-dire à récuser le critère stylistique comme « critère de distinction de l’autofiction ». Ce critère posé par Doubrovsky, qui voudrait que la fiction advienne par « la manière de l’écrire », donc par le style, ne paraît pas pertinent dans la mesure où l’évaluation des « paramètres stylistiques » s’avère impossible et où ce souci d’innover par le langage, commun à tous les genres, n’est pas le propre de l’autofiction ; enfin, poursuit Gasparini, « pour la bonne raison que le développement foisonnant de ce que l’on nomme l’autofiction interdit toute généralisation formelle14. » De plus, on ne peut tenir pour garante du littéraire une fonction « innovante » dont la finalité serait de se démarquer d’autres styles plus convenus ou plus classiques, de s’en distinguer à toute force par une originalité aux critères d’exigence suspects, puérils même lorsque, abusant de cette fausse modernité qui consiste à s’approcher de l’oralité pour embrasser le langage de son temps, ceux-ci se réduisent à une narratique compulsive et artificielle, mimétique du flux de conscience, à une exaltation monologique clinquante, pauvrement flamboyante, dont le lyrisme l’éloigne peu de cette nouvelle poésie de proximité appelée aussi « Slam ». Si le langage fait l’autofiction, il la fait dans les mêmes proportions que dans le travail d’écriture d’un genre différent, d’un simple roman par exemple. Ce serait naïf et prétentieux de penser que l’autofiction détient le monopole de l’innovation, car s’affirmant elle-même comme un roman, elle en épouse les principes et les conditions de création, obéit aux mêmes lois qui régissent en secret le roman. Quand bien même l’autofiction innoverait, ce serait ainsi ni plus ni moins que dans un simple « roman » et ce ne pourrait être sa marque distinctive.
26Que par le passé certains auteurs d’autofiction se soient crus obligés d’innover était alors, autant qu’une nécessité formelle, un moyen d’échapper aux critiques qui ne manqueraient pas d’accabler leurs textes à teneur autobiographique, de légitimer la littérarité de ceux-ci par un souci formel et de replacer les enjeux de leur entreprise dans une perspective littéraire et plus théorique. Maintenant que l’autofiction est en passe d’être légitimée, grâce aux beaux travaux de Lejeune, Lecarme, Colonna ou Gasparini, ce souci d’innover paraît vain.
27Enfin – et je le dis sans polémiquer, mais pour faire preuve à mon tour d’objectivité critique à l’égard d’une notion qui m’est chère et d’œuvres dont j’ai déjà prouvé, en leur accordant une place dans mon travail de recherches, combien elles m’importent – peut-on raisonnablement parler de langage innovant quand ce langage, relevant de la prose oralisante, monologique, spontanée, « verbalisation immédiate » façon Christine Angot, qui avait déjà trouvé sa forme actuelle dans la littérature féminine des années 197015 n’a pratiquement pas varié dans ses productions les plus récentes, soit une trentaine d’années plus tard ? Quelle est la validité du critère d’innovation formelle quand la nouveauté n’est qu’un effet déjouant les modes, se répétant par des mécanismes scripturaux déjà anciens, pour ne pas dire usés ?
28Par ailleurs, ce type d’écriture prolixe, soumise aux aléas d’une pratique débridée, ne va-t-il pas à l’encontre de l’exigence même de sincérité qu’est supposée s’infliger l’auteur d’autofiction ? Oui, si on rejoint l’analyse pertinente d’Annie Pibarot évaluant l’exigence de sincérité de Leiris à :
la rigueur et la précision de l’écriture, aussi dénuée que possible d’artifices et de décorations. Il ne suffit pas d’essayer de dire la vérité, encore faut-il le faire sans complaisance, ni artifice de style. Michel Leiris parle à ce sujet de classicisme ou de non débordement du fond par la forme16.
29Michel Leiris écrit dans L’Âge d’homme :
Je m’imposais, en somme, une règle aussi sévère que si j’avais voulu faire une œuvre classique. Et c’est en fin de compte cette sévérité même, ce classicisme […] qui me paraît avoir conféré à mon entreprise […] quelque chose d’analogue à ce qui fait pour moi la valeur exemplaire de la corrida17.
30Il est intéressant de voir que l’idée du classicisme – l’économie de mots, stratégies discursives fondées sur la justesse, la concision et l’ellipse, mais débarrassées des artifices de langage visant l’imitation du parler – se rapproche le plus de l’exigence de sincérité et qu’elle se trouve, pour Leiris entre autres, porteuse de cette valeur. Le style serait peut-être moins le lieu, comme le pense Doubrovsky, où advient la fiction, que le lieu où advient la sincérité.
31Enfin, combien de textes peut-on qualifier de réellement novateurs sur la production totale des autofictions ? Si peu, en fin de compte. Cela veut-il dire que les textes non innovateurs ne sont pas des autofictions pour autant ? Non, évidemment, l’innovation est trop discriminatoire, trop aléatoire, trop prétentieuse aussi, pour être reconnue comme un critère sérieux.
32Sentant s’ébattre en moi le démon de la définition, j’en resterais à ce pacte définitoire minimal – « Fiction homonymique ou anominale qu’un individu fait de sa vie ou d’une partie de celle-ci » – qui, par sa simplicité, sa permissivité, et parce que ce pacte fait des critères générique et nominal des critères conditionnels peu restrictifs, me paraît mieux convenir. Cet élargissement définitoire à l’autofiction anominale ou nominalement indéterminée permettrait à l’auteur d’assumer les propos et les pensées de son narrateur, tout en allant dans le sens de l’impersonnalité et de la neutralité susceptibles de dépasser la simple quête introspective, de faire accéder à une dimension universelle – « l’universel singulier » sartrien – et de rendre appropriable le je par le plus grand nombre. Cette nouvelle définition ferait de ce je non nommé, rendu à une bâtardise toute nominale, une figure consentante de l’altérité, à la fois représentation de « l’humaine condition » (Montaigne) et « forme la plus fidèle de l’anonymat » chère à Barthes auxquelles chacun, homme ou femme, pourrait indifféremment s’identifier. Dans le cas où le nom serait cependant conservé, le travail autofictif serait de débarrasser ce nom du caractère anecdotique auquel s’attache son histoire de manière à la dépersonnaliser, à noyer l’individualité du je dans le domaine public et à rendre commun le nom propre, à se priver de soi-même, à s’autruifier pour reprendre la belle formule de Pessoa, à tendre son je vers une esthétique moins intimiste qu’extimiste, de sorte que le nom devienne à la fois celui de personne et de tout le monde, mais bien celui, essentiel, du « moi ». L’autofiction, nominale ou non nominale, se situerait à la croisée de deux formules célèbres – « Madame Bovary, c’est moi » de Flaubert et « Je est un autre » de Rimbaud – dont elle formerait pour ainsi dire l’équation amusante : « Je, c’est moi ».
Notes de bas de page
1 Philippe Gasparini, Autofiction. Une aventure du langage, Le Seuil, « Poétique », 2008.
2 Serge Doubrovsky, Fils, Galilée, 1977.
3 Vincent Colonna, L’Autofiction. Essai sur la fictionalisation de soi en littérature, thèse sous la dir. de G. Genette, EHESS, 1989 ; Autofiction & autres mythomanies littéraires, Tristram, 2004.
4 Arnaud Schmitt, « La perspective de l’autonarration », Poétique, no 149, février 2007, p. 15-29.
5 Annie Ernaux, Les Armoires vides, Gallimard, 1974 ; Ce qu’ils disent ou rien, Gallimard, 1977.
6 Annie Ernaux, La Place, Gallimard, 1983.
7 Philippe Lejeune, Le Pacte autobiographique, Le Seuil, 1975.
8 Serge Doubrovsky, « L’autofiction selon Doubrovsky », dans Philippe Vilain, Défense de Narcisse, Grasset, 2005, p. 205.
9 Serge Doubrovsky, « Le dernier moi », conférence de Cerisy-la-Salle, 26 juillet 2008.
10 Philippe Vilain, L’Été à Dresde, Gallimard, 2003.
11 Philippe Vilain, « L’épreuve du référentiel », dans Genèse et Autofiction, Jean-Louis Jeannelle et Catherine Viollet (dir.), avec la collaboration d’Isabelle Grell, Louvain-la-Neuve, Academia Bruylant, 2007, p. 185-195.
12 Philippe Vilain, Faux-père, Grasset, 2008.
13 Philippe Vilain, L’Étreinte, Gallimard, 1997.
14 Op. cit., p. 302.
15 Dans les années 70 s’est autoproclamé un groupe de « littérature femme », à tendance féministe, autour de Xavière Gauthier, Annie Leclerc, Marie Cardinal, Jeanne Hyvrard, Hélène Cixous… Comme le rappelle Brigitte Legars (Encyclopédie Universalis, Corpus 9, p. 291), « la première fonction de l’écriture [y] est de permettre la communication, l’explosion d’une parole enfin libérée du silence et d’un “bavardage” rendu à ses droits. L’accent est mis sur les caractères “spontané”, “direct”, prosaïque, ordinaire de cette parole : les femmes écrivent pour parler, simplement, à la première personne, entre elles ou pour se faire entendre d’un destinataire absent. Leurs écrits sont des confessions, proches en cela des journaux intimes […]. La répétition, de livre en livre, de témoignages et d’expériences identiques, presque interchangeables, l’importance du facteur quantitatif, l’accent mis sur l’expérience quotidienne […], la dominante “gynécologique” (récits de grossesse, d’avortements, etc.) sont autant d’éléments qui contribuent à créer une sorte d’“effet de foule”, d’un genre très nouveau. » Comparant les différents procédés d’écriture de ces textes avec ceux relevant de la littérature féminine contemporaine, il me semble voir une nette filiation d’écriture. Les premiers romans d’Annie Ernaux, datant de la même période (Les Armoires vides, 1974, Ce qu’ils disent ou rien, 1977 et La Femme gelée, 1981) peuvent être reliés à cette mouvance, tout comme les romans de certaines écrivaines (Christine Angot, Virginie Despentes, Claire Legendre, Marie Darrieussecq) qui prônent une écriture de l’affect, émotive, où le je manifeste peu de distance avec ce qu’il vit, opposée à une écriture classique ou de la rationalité (telle que pourraient l’illustrer, notamment, les textes de Simone de Beauvoir, Annie Ernaux – à partir de La Place, 1983 –, Camille Laurens, Élisabeth Barillé, Paule Constant, Catherine Millet).
16 Annie Pibarot, « Une autobiographie allégorique », Lectures de Leiris : L’Âge d’homme, sous la dir. de Bruno Blanckeman, P. U. de Rennes, 2004, p. 94.
17 Michel Leiris, L’Âge d’homme, Gallimard, 1939, Folio, 1973, p. 20.
Auteur
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