Hervé Guibert : fracture autobiographique et écriture du sida
p. 187-206
Texte intégral
1En février 1991, dix mois avant sa mort, Hervé Guibert déclarait lors d’un entretien avec Christophe Donner :
J’ai été frappé par l’introduction des Essais de Montaigne qui disait : « J’ai voulu me peindre nu », ça a fait tilt, je me suis dit que c’était quelque chose que je pourrais mettre en exergue à tout ce que j’ai fait, enfin de beaucoup de choses que j’ai écrites. J’ai eu l’impression, par la force des choses, d’être mon propre personnage1.
2Ce propos pourrait correspondre à l’idée qu’on se fait de l’autofiction. L’auteur constate qu’il a, à travers la majeure partie de son œuvre, tenté d’aller au bout d’un dévoilement de lui-même, de « se peindre nu », mais que cette « peinture » l’a amené à devenir, par cette écriture même, un personnage, « son propre personnage », c’est-à-dire, étymologiquement, sa personne mise en scène.
3Dans son journal intime, Le Mausolée des amants, Journal 1976-1991, Guibert avouait aimer dans son travail « le moment où il décolle imperceptiblement vers la fiction après avoir pris son élan sur la piste de la véracité2 ». Là encore, nous retrouvons par l’intermédiaire de ce jeu revendiqué entre fiction et véracité, entre fictionnel et factuel, une des caractéristiques de l’autofiction.
4Cependant, jamais Guibert n’employa le terme générique d’autofiction pour qualifier son travail. Même s’il disait parler « de la vérité dans ce qu’elle peut avoir de déformé par le travail de l’écriture » et tenir, de ce fait, « au mot roman3 », il préférait évoquer ses « récits de nature autobiographique4 », qualifiant Mes Parents « d’autobiographie de jeunesse5 ». Le mot autofiction n’avait pas, à l’époque, la notoriété qu’il a aujourd’hui. Même si on comprend ce qui se trame dans la plupart de ses textes, à savoir ce jeu entre fiction et réalité, tous ses livres ne constituent pas pour autant, à proprement parler, des autofictions, au moins au sens du terme défini par la critique. En ce qui nous concerne, nous entendrons par autofiction, avec Jacques Lecarme et Éliane Lecarme-Tabone, « un dispositif très simple, soit un récit dont un auteur, narrateur et protagoniste partagent la même identité nominale et dont l’intitulé générique indique qu’il s’agit d’un roman6. » À cette définition, ajoutons l’idée selon laquelle, dans l’autofiction, « la vraisemblance est un enjeu maintenu par de multiples “effets de vie”7 » comme le souligne Marie Darrieussecq, dans la mesure où le socle de ce qui est narré est vrai et vérifiable.
5Si tous les textes de Guibert ne peuvent donc être considérés comme appartenant à l’autofiction ainsi définie, il semble pourtant que son œuvre entière tende vers ce genre qui constitue l’aboutissement de son travail, à travers la trilogie du sida, À l’ami qui ne m’a pas sauvé la vie (1990), Le Protocole compassionnel (1991) et L’Homme au chapeau rouge8 (1992), trilogie qui répond de manière précise à la définition du genre que nous venons de proposer. L’autofiction est le dispositif littéraire, la posture énonciative qu’a trouvée Guibert pour dire le sida et la crise identitaire, puis la fracture autobiographique dont il est la cause, pour dire la disparition du sujet et sa mort proche.
6Nous envisagerons d’abord les dispositifs autobiographiques et autofictionnels – au sens large – à partir des textes antérieurs à 1990, date à laquelle Guibert révéla sa maladie. Nous étudierons ensuite ses textes proprement autofictionnels – la trilogie du sida – et la raison de l’apparition de ce genre à ce moment crucial de sa vie. Nous verrons enfin que le choix de l’écriture de soi par le prisme du genre autofictionnel ne constituait plus pour lui une réponse aux problèmes éthique, esthétique et existentiel auxquels il était confronté à la fin de sa vie, ses derniers textes relevant davantage de ce que nous nommerons des auto-fabulations.
« L’ENTREPRISE DE L’ÉCRITURE DE SOI9 » : VERS L’AUTOFICTION
7Hervé Guibert publia son premier recueil de textes, La Mort propagande, en 1977 aux éditions Régine Deforges. Il fut réédité en 1991, accompagné de textes d’adolescence et de jeunesse écrits entre 1971 et 1978. L’éditeur présentait alors cet ensemble comme relevant à la fois du « récit, [du] roman, [et du] journal intime », précisant que ces pages invitaient « à découvrir la naissance d’une œuvre10 ».
8Les textes de ce recueil peuvent paraître hétéroclites d’un point de vue générique, puisqu’ils relèvent, en plus des catégories annoncées par l’éditeur, aussi du conte et de la biographie (celle de Louise notamment, une des deux grand-tantes de Guibert). Ils trouvent cependant leur cohérence dans le traitement du corps, objet de toutes les attentions du narrateur, à la fois laboratoire de plaisir et de souffrances11, ainsi que dans la quête d’une identité sexuelle alors tourmentée. L’autre intérêt de ce recueil se situe dans ce qui n’apparaît encore que comme les premières tentatives d’une écriture du sujet. Si ces ébauches ne constituent que les tâtonnements ou les prémices de ce que deviendront les autofictions de l’auteur, elles éclairent le cheminement de Guibert et dévoilent sa volonté originelle d’une mise en scène de soi.
9Un texte de ce recueil nous a particulièrement intéressé. Intitulé « Sans titres12 », il se compose d’une cinquantaine de pages, elles-mêmes constituées de fragments qui paraissent parfois n’avoir pas de lien entre eux. Cet ensemble, difficile à résumer, regroupe à lui seul plusieurs tentatives d’une écriture du sujet qui emprunterait les multiples voies du genre autobiographique, traduisant les premières hésitations de Guibert quant à l’écriture de soi.
10Ces fragments font alterner passages à la première personne et à la troisième. Dans les premières pages, un narrateur autodiégétique évoque, à la manière de Perec, des souvenirs d’enfance : « Je me souviens d’un escalier plein de fraîcheur et d’ombre, avec des plantes, où tu étais assise, Maman comme une statue, lisant un journal, et me souriant. », ou, plus loin, « Petit garçon, je me souviens, j’étais un petit enfant maladif13. » Ensuite, un narrateur hétérodiégétique relate l’histoire de deux enfants, Aurélien et sa grande sœur Dominique, de leurs parents, M. et Mme Leplatenier et de leur grand-tante, Alice. Ce récit est entrecoupé d’autres fragments. À bien des égards, ces différents personnages évoquent l’univers familial du jeune Hervé : les points communs entre Hervé Guibert et Aurélien sont multiples, vérifiables à la lecture de Mes Parents ou du Mausolée des amants. Ils ont tous deux une grande sœur qui se nomme Dominique, ont vécu leur enfance à La Rochelle, leur père est vétérinaire, ils sont homosexuels et ont eu un amant nommé Philippe. Ces passages pourraient donc relever du roman autobiographique si à la page 108 n’apparaissait ce que nous pourrions nommer un pacte autobiographique au second degré. En effet, Aurélien est l’auteur d’« un conte pour enfants » intitulé « Thérèse et son crocodile ailé14 », texte d’Hervé Guibert qui se trouve précisément dans ce même recueil, La Mort propagande. Le narrateur résume le conte écrit par Aurélien qui correspond à celui écrit par Guibert. Plus bas, le narrateur ajoute qu’« Aurélien raconte son histoire à la troisième personne […]. Aurélien raconte des épisodes de sa vie, avec ironie, très sincère. À la troisième personne, sur la machine à écrire de son grand-oncle mort au sanatorium15. »
11On voit que le dispositif mis à l’œuvre dans l’histoire d’Aurélien relève d’une tentative de mise en fiction de soi. Guibert, en même temps qu’il masque son identité par le recours à la troisième personne et à l’emploi d’un pseudonyme, la dévoile par la référence à une des ses œuvres qu’il attribue à son personnage. Il révèle son propre jeu de masque en déclarant qu’Aurélien raconte sa vie à la troisième personne, ce que fait justement Guibert ici en relatant la vie de ce personnage derrière lequel il se cache. Enfin, dans certains des fragments qui entrecoupent le récit d’Aurélien, le narrateur fait apparaître un autre personnage, homonyme de l’auteur, et dont les éléments biographiques renvoient sans équivoque à la personne d’Hervé Guibert : « Hervé Guibert est arrivé à La Rochelle le 10 septembre 1970. Il n’y était jamais allé auparavant16. » Ainsi, nous retrouvons là l’auteur Guibert qui s’écrit à la troisième personne (comme le faisait le personnage d’Aurélien). Le personnage Hervé Guibert renvoie donc, dans un jeu spéculaire des plus intéressants, au personnage d’Aurélien, lui-même renvoyant à la figure de l’auteur.
12Sans être à proprement parler dans l’autofiction, dans la mesure où tous les codes du genre ne sont pas réunis, Guibert fait jouer son texte sur la tension entre fictionnel et factuel, sur l’indétermination, sur l’aveu et le masque. Ce qui relève du roman autobiographique, par les jeux métadiscursifs sur l’identité, semble chercher à s’affranchir du romanesque. En fait, il s’agit bien là, dès les premiers textes de l’auteur, d’emprunter les voies d’une autofiction qui s’ignore : Guibert n’a pas encore trouvé le moyen de romancer sa vie. Cependant, il prend conscience du potentiel de tels dispositifs autofictionnels quant à l’écriture d’une identité – sexuelle à ce stade de sa vie – tourmentée, en quête d’elle-même.
13En 1989, douze ans après ces fragments, Guibert publie L’Incognito17, roman autobiographique qui relate son séjour à la Villa Médicis, de 1987 à 1989. Alors qu’il est déjà allé loin dans le dévoilement de soi, à travers notamment Mes Parents, Les Gangsters18 ou Fou de Vincent19, il choisit de recourir à un pseudonyme, Hector Lenoir. Or ce nom ne masque que partiellement l’auteur puisqu’il était le pseudonyme qu’il utilisait pour l’écriture de ses premiers textes20. Comme dans les fragments envisagés précédemment, en même temps que le pacte autobiographique est nié, il s’énonce au second degré, a posteriori cette fois.
14Pourquoi ce retour du masque à ce moment-là de la vie de l’auteur ? Il semble avoir partie liée avec la prise de conscience de la maladie : en 1988, Hervé Guibert apprend qu’il est séropositif. Quel rapport entre le recours à l’hétéronyme Hector Lenoir et le sida ?
15L’intrigue du roman est basée sur deux ressorts. Le premier réside dans le récit de la vie au sein de l’Académie, les mesquineries quotidiennes des responsables et des pensionnaires. Le texte prend des tournures de roman à clé qui amusera le lecteur friand de rumeurs germanopratines. L’autre ressort narratif, annoncé en quatrième de couverture, repose sur une intrigue policière autour de la mort de Guido Jallo, professeur à l’Université d’Urbino. L’enquête menée a pour décor le club pour homosexuels qui donne son nom au roman, L’Incognito. Mais ces deux ressorts n’ont pour but que de fourvoyer le lecteur sur l’intérêt réel du texte, l’aveu par le narrateur de sa séropositivité. Dès les premières pages, le narrateur déclare « être persuadé d’avoir le sida », plus loin il dit avoir « peur du sida », il évoque ensuite une toux tenace, parle de la buanderie où « l’on chope des rétro-virus ». Dans la dernière partie, le narrateur déclare avoir une « salive infectée », que « les suicides […] se font par échange de fluides ». Enfin, il note : « j’attrape tout ce que je touche, tout ce que je lis qui existe. C’est en lisant les journaux que j’ai contracté le sida. Je suis immuno-déficitaire. » Tous ces éléments sont éparpillés dans le texte, se fondent dans les trames narratives pour finalement passer, suivant le titre du roman, littéralement incognito. L’Incognito est l’aveu incognito de la maladie d’un narrateur lui-même cherchant à passer incognito par le prisme du masque-pseudonyme. En ce sens, il constitue le tome aveugle de la trilogie du sida sur laquelle Guibert travaille déjà lorsqu’est publié ce roman.
16Le narrateur en vient à souhaiter que l’histoire qu’il raconte « soit fausse » sans qu’il précise s’il s’agit de l’intrigue policière ou d’une autre intrigue qu’il cacherait au lecteur. Ce brouillage de l’identité, ce brouillage de l’aveu obéit en fait à une dialectique entre une volonté de tout dire, de poursuivre le dévoilement de soi entrepris et la peur d’une autoreprésentation frontale et assumée d’un sujet malade qui se sait condamné. Car comme Guibert le note plus tard dans À l’ami qui ne m’a pas sauvé la vie,
L’aveu comprenait quelque chose d’atroce : dire qu’on était malade ne faisait qu’accréditer la maladie, elle devenait réelle tout à coup, sans appel, et semblait tirer sa puissance et ses forces destructrices du crédit qu’on lui accordait21.
17Ainsi, en masquant l’identité et l’aveu, Guibert refuse d’accréditer la maladie. Il est encore dans la vie, dans l’écriture. Il s’apprête à avouer, à s’avouer en toute transparence cette fois, le mal qui le ronge : ce sera la trilogie du sida.
DIRE LA CRISE IDENTITAIRE : L’AUTOFICTION
18Les tentatives d’écriture de soi, avant l’annonce du sida, tournent autour de l’autofiction sans répondre entièrement à notre définition dans la mesure où le critère de l’identité nominale n’est pas respecté. Guibert est à la recherche de sa propre identité dans ses premiers récits, refusant de la dévoiler et ainsi de s’avouer malade dans L’Incognito.
19Avec À l’ami qui ne m’a pas sauvé la vie, il se trouve dans de nouvelles dispositions quant au dévoilement de soi. Ce « que j’ai tenu secret pendant deux ans, déclare-t-il, voici que je le dis, que je le dévoile. Mes parents vont tout découvrir, ils ne savent rien, je ne les ai pas vus depuis deux ans22. » L’aveu qui n’avait pu être fait dans L’Incognito, qui avait été comme retenu, retardé, se délivre ici de manière radicale. Radicalisation dans le dévoilement rendu possible, voire nécessaire, du fait du contenu de l’aveu : « Le sida m’a permis de radicaliser un peu plus encore certains systèmes de narration, de rapport à la vérité, de mise en jeu de moi-même au-delà même de ce que je pensais possible23. »
20Cette progression dans le dévoilement se marque dans l’utilisation de l’homonymat entre narrateur et auteur. Au pacte autobiographique (auquel Guibert avait déjà eu recours par le passé) s’ajoute ce que Jean-Pierre Boulé a nommé un « contrat de transparence24 », une volonté de ne rien taire de l’expérience qu’il est en train de vivre. Ce contrat se manifeste dans la confession par Guibert à ses lecteurs de ce qu’il n’avait encore pas dit à ses parents. Il n’hésite pas non plus à trahir les secrets qui lui avaient été confiés, mettant ainsi en application la formule énoncée dans L’Image fantôme, « il faut que les secrets circulent25 ». L’auteur se met littéralement à nu dans ces textes, exposant jusqu’à son propre sang à travers les nombreux comptes rendus de ses analyses. Il admettra qu’À l’ami est le plus impudique de ses livres : « Raconter le processus de détérioration de son sang va au-delà de parler de son corps intime, c’est parler de l’intérieur de son corps. C’est un livre beaucoup plus impudique que tous mes livres dits érotiques26. » Dans Le Protocole compassionnel, il dit disséquer son « âme […] à chaque nouveau jour de labeur » puis note, gage ultime de transparence, aimer « que ça passe le plus directement possible entre ma pensée et la vôtre [celle du lecteur], que le style n’empêche pas la transfusion27 ». Il souhaite désormais ne plus rien dissimuler, fait tomber le masque du pseudonyme, déclare se livrer, corps, sang et âme à son lecteur.
21Cependant, malgré le contrat de transparence, À l’ami qui ne m’a pas sauvé la vie porte la mention générique « roman », selon la volonté de l’auteur. Nous nous trouvons là au carrefour de pactes contradictoires – pacte autobiographique/contrat de transparence vs pacte romanesque – que Guibert explique lui-même en partie.
22Dans une interview, il déclare à propos du rapport qu’entretiennent vérité et fiction dans le premier volet de la trilogie du sida :
Je parle de vérité dans ce qu’elle peut avoir de déformé par le travail de l’écriture. C’est pour cela que je tiens au mot roman. […] Je tiens à la vérité, dans la mesure où elle permet de greffer des particules de fiction comme des collages de pellicule avec l’idée que ce soit le plus transparent possible28.
23Toutefois il remarquait au début de cet entretien : « au moment où j’ai reçu les épreuves, j’ai eu un doute. Est-ce que c’était vraiment un roman ? Tout est scrupuleusement exact et je suis parti des vrais personnages, des vrais noms, j’avais besoin de leurs vrais noms pour écrire29. » Nous retrouvons là la dialectique décrite par Doubrovsky commentant ses propres textes : tout est vrai et vérifiable, mais l’écriture elle-même entraîne l’auteur au recours à des trucages, ce que Guibert nomme « particules de fiction ».
24La deuxième explication correspond à ce que Gasparini a appelé la « stratégie d’emprise du lecteur30 » caractéristique de l’œuvre de Doubrovsky. Évoquant ses autofictions, Doubrovsky déclarait que dans l’écriture « le désir est surtout de créer un texte attirant pour le lecteur, un texte qui se lise comme un roman, et non comme une récapitulation historique31 ». Comme le note Gasparini, « la technique du romancier est tout entière mise au service de son désir “d’emprise”32 ». De même que l’auteur du Livre brisé cherche à captiver son lecteur, Guibert, dans la même logique, affirme : « c’est une des choses dont je serais le moins fier, d’avoir ennuyé le lecteur, donc je suis assez pour le rebondissement, pour le soupçon de mensonge dans une fondation documentaire, c’est ça l’effet pour moi33. » Doubrovsky et Guibert ont en commun de chercher à relater leur vie de manière à emporter le lecteur, à le séduire, c’est-à-dire, suivant l’étymologie, à « l’emmener à part, à l’écart » (ce que Guibert nomme les « rebondissements »), et même à le « tromper » (ce qu’il désigne par « ressorts de mensonge34 »). Enfin, cette emprise sur le lecteur se manifeste par la thématique même de À l’ami : « Poser comme axiome de départ la menace de mort du personnage par un virus jusqu’à nouvel ordre mortel, c’est une donnée du jeu romanesque, comme l’argent ou le voyage35. » Cette menace, à de nombreuses reprises réactivée dans son récit, contribue, en la dramatisant, à fictionnaliser l’expérience vécue.
25D’autre part, et c’est là un point capital qui n’est cependant pas explicité par l’auteur, la dénomination générique « roman » a aussi et surtout partie liée avec le sida et ses conséquences sur la représentation de soi. Le traitement romanesque de soi correspondait d’abord à une quête d’identité, puis à une identité qui cherchait à se dissimuler. Avec le sida, le sujet traverse cette fois une crise identitaire due à ce que le narrateur, en un temps restreint, assiste, impuissant, à la modification de son corps. À la fin de À l’ami, il déclare : « Mes muscles ont fondu. J’ai enfin retrouvé mes jambes et mes bras d’enfant36. » Ce changement dans la représentation du corps entraîne des confusions, le narrateur ne sachant plus, par exemple, quel âge il a : « un corps de vieillard avait pris possession de mon corps d’homme de trente-cinq ans, […] j’ai quatre-vingt-quinze ans, comme ma grand-tante Suzanne qui est impotente37 ». Le corps est désormais à considérer de manière fragmentaire et morcelée, à l’image du regard médical qui se porte sur les organes, le sang, les cellules, les lymphocytes… Cette crise identitaire mène à ce que nous pourrions nommer une fracture autobiographique. Le sujet qui se représente n’est déjà plus lui-même, il est devenu autre, un personnage, son propre personnage, image fantôme de celui qu’il était. Aussi, pour tenter de se saisir dans le dessaisissement de soi conséquent du sida, l’auteur doit-il avoir recours à une distanciation pour exprimer l’indicible de ce qu’il vit, sa propre mort. Car c’est de cela qu’il s’agit, comme le révèle Guibert confiant être à la fois « déjà mort et en sursis38 ». La mort, la sienne, ne peut être envisagée que comme fiction. Se frotter à elle d’aussi près que Guibert le fait n’est de l’ordre du racontable que par le prisme fictionnel. Il imagine sa mort, la fictionnalise, pour ne pas la vivre ou par incapacité de la vivre.
26Enfin, ultime manifestation du sida, le narrateur, déjà dépossédé de son corps, se trouve aussi confronté à la dépossession de sa voix. Dans À l’ami, le lecteur assiste, crescendo, à l’emprise du style de Thomas Bernhard qu’admire Guibert. L’identité menacée du sujet se traduit alors par la menace sur l’identité littéraire comme l’observe le narrateur :
j’attends avec impatience le vaccin qui me délivrera du sortilège que je me suis infligé à dessein par l’entremise de Thomas Bernhard, transformant l’observation et l’admiration de son écriture […] en motif parodique de son écriture et en menace pathogène, en sida39.
27Il s’agit en même temps de lutter contre ce double phagocytage, celui du sang, celui du style, et de raconter cette lutte contre la dissémination, l’intolérable division. Ainsi il est plus aisé de comprendre le recours à l’autofiction à ce moment de la vie de Guibert. Cette posture énonciative permet dans un même mouvement d’authentifier l’aveu de la maladie tout en faisant de soi un personnage. L’écriture du sida postule une prise de recul afin d’être « le voyeur, le documentariste40 » de soi-même, selon la formule de Guibert. L’autofiction, plus qu’un choix, devient une nécessité : elle traduit l’expérience radicale du moi qui se sent désormais étranger à lui-même, elle donne à l’auteur le pouvoir d’écrire la fracture ontologique qui l’habite en se distanciant de celui qu’il est devenu et dans lequel il ne se reconnaît pas. L’autofiction est le genre qui permet d’exprimer à la fois la singularité du « je » et la multiplicité des Autres qui le menacent.
VERS L’AUTOFABULATION
28Comment, pourquoi poursuivre une écriture de soi alors même que ce « soi » s’échappe, qu’il n’est déjà plus, cela non de manière métaphysique ou psychologique mais de façon concrète, physique et donc d’autant plus cruelle ? Guibert se confronte à ce problème de l’autoreprésentation dans les derniers mois de sa vie à travers l’écriture de Mon Valet et moi41 et du Paradis42.
29Dans le dernier tome de la trilogie du sida, L’Homme au chapeau rouge, le narrateur déclarait ne plus pouvoir « entendre parler du sida43 ». Il affirmait souhaiter « passer à autre chose44 ». L’objet de l’écriture ne résidait plus désormais dans la tentative d’une saisie d’un sujet anéanti par le sida, mais dans l’essai de le cerner en faisant abstraction du sida, tout au moins en ne le mettant plus au centre de l’écriture. Guibert résumait cette problématique en déclarant se trouver dans « l’urgence de changer de peau45.» Il lui fallait donc inventer de nouvelles postures énonciatives pour pouvoir écrire encore, et par là, rester en vie.
30Premier moyen : la rédaction d’un court « roman cocasse » (c’est la mention générique choisie par Hervé Guibert), Mon Valet et moi. Ce texte, très éloigné de ses précédents livres, relate la singulière relation entre le narrateur, vieil homme de quatre-vingts ans ayant fait fortune en écrivant du théâtre de boulevard et son valet, jeune homme d’abord engagé pour endosser les flatulences de son maître lors des soirées mondaines, en rougissant, toussotant, mais qui finit par prendre une place très importante dans sa vie en remplaçant le médecin, l’infirmière, le conseiller financier…
31Assez rapidement, l’évocation de ce vieillard et des problèmes liés à son âge rappelle cette remarque du narrateur du Protocole compassionnel :
j’étais désormais incapable de faire aucun de ces gestes [déboucher une bouteille de champagne, décapsuler un Coca-Cola] sinon au prix de gesticulations et d’efforts grimaçants, un corps de vieillard avait pris possession de mon corps d’homme de trente-cinq ans46.
32Le narrateur de Mon Valet et moi déclare « mon bras ne me mène plus jusqu’à mon menton », évoque son « corps décharné », ses chutes, ses diarrhées, parle de la « somme de médicaments qui [le] maintiennent en vie » et qu’il est « tenté de ne plus prendre ». Tous ces éléments révélateurs de la sénescence du narrateur, Guibert les avait fait siens dans ses textes consacrés au sida. Outre ces points communs entre le narrateur et l’auteur, il faut s’arrêter sur l’indication figurant à la fin du livre : « Kyoto-Anchorage-Paris, Janvier-février 2036 ». Si les villes mentionnées sont, d’après les déclarations de l’auteur47, celles où le livre a été écrit, la date mérite remarque : l’ouvrage a été publié en 1991. Le narrateur est censé avoir quatre-vingts ans. En janvier 2036, Hervé Guibert aurait eu cet âge. Le vieillard doit donc être considéré comme le double de l’auteur48, comme une projection fictionnelle qu’il construit afin de traduire sa propre dégénérescence, sa déperdition, son impotence. L’auteur parlait de ce texte comme d’un « double autoportrait […] inconscient49 », c’est-à-dire qu’il s’était projeté dans ses personnages afin d’échapper à sa condition de malade pour renaître dans ces êtres d’encre et de papier. On pourrait objecter qu’en se peignant sous les traits d’un vieillard, Guibert ne s’offrait pas un changement de peau radical. Point de salut dans la création donc, car l’invention de ce double n’est qu’un moyen d’appréhender le même. Mais l’humour, la cocasserie deviennent un moyen de lutter contre le tragique qui unit le créateur à sa créature, à cette différence près que le personnage de Guibert aura vécu entre trente-cinq et quatre-vingts ans : s’inventer vieillard, c’est alors compenser cette absence de vie50.
33Guibert n’eut pas le temps d’achever Le Paradis, roman écrit durant l’été 1991, publié en 1992. Ce texte relate les trois voyages, en Afrique, en Océanie, aux Antilles du narrateur et de sa compagne, Jayne Heinz. Ce personnage se trouve être au centre du récit. Cette ex-championne de natation s’étant éventrée sur une barrière de corail est l’objet d’une enquête concernant les circonstances de sa mort mais aussi sur son identité. La police constate qu’elle n’est « fichée » nulle part, que son passeport est introuvable, qu’aucun document ne peut garantir son identité. Elle n’est personne, elle « n’existe pas », viennent à conclure les enquêteurs. Si l’analyse de ce personnage est très riche51 – il s’agit en fait du travestissement du personnage de Vincent, personnage principal de Fou de Vincent (1989) –, elle fait comprendre que Guibert se livre encore à un jeu de masque qui tourne autour de l’identité, jeu identitaire qui n’exclut pas le narrateur lui-même.
34Sur ce narrateur, nous n’avons d’abord que des informations lacunaires : il a « à peu près trente-cinq ans », est riche, de « nationalité suisse », et très affaibli par une maladie qui se trouve n’être pas le sida. La richesse du narrateur, sa grande faiblesse ainsi que la relation qu’il entretient avec Jayne ne sont pas sans rappeler le vieillard de Mon Valet et moi et ses rapports à son valet. Cependant, alors que tous les éléments précédemment cités permettaient de distinguer l’auteur du narrateur, des indications de plus en plus nombreuses viennent, à la fin de l’ouvrage, les rapprocher jusqu’à ce que soit déclinée son identité à l’intérieur d’un rapport médical : « Cher confrère, votre patient, Monsieur Hervé Guibert, né le 14/12/55, a présenté dans la nuit du 23 au 24 un accès d’angoisse avec impression de mort imminente et qu’il devait se protéger ». Le narrateur se nomme donc Hervé Guibert, et en outre, est né le même jour.
35Quel est donc l’enjeu de ce pacte autobiographique problématique ? Il semble que Guibert souhaite se livrer, dans ses derniers textes, à une expérience de dépersonnalisation. Lui qui désirait « changer de peau », après s’être fait vieillard soumis à son valet devient ici un riche hétérosexuel suisse52. Dans un passage qui prend un relief métadiscursif, le narrateur exprime ce qui se joue en lui :
Je suis un être double, écrivain parfois, rien d’autre les autres fois, je voudrais être triple, quadruple, un danseur, un gangster, un funambule, un peintre, un skieur, j’aimerais faire du delta-plane et me jeter dans le vide, foncer comme un bolide sur des pistes dont la neige serait de l’héroïne. J’ai fait de moi la victime d’un mécanisme de schizophrénie que j’ai moi-même installé en me dédoublant en deux personnages. (p. 117)
36Voilà ce que sont les autofabulations guibertiennes : des fables existentielles que l’on s’invente pour ne plus être ce que l’on est, pour s’offrir des vies impossibles, improbables. À la manière de Doubrovsky évoquant ses autofictions, Guibert aurait pu dire concernant ces deux derniers textes « ça dit VRAI mais EN FABLES53 ». Dans les ultimes tentatives d’écriture de soi, l’identité de l’auteur se sauve, dans les deux sens du terme : en fuyant, en s’évadant, elle échappe à la mort. Guibert ne mystifie plus seulement les lecteurs, il se mystifie lui-même. C’est son moyen de poursuivre l’écriture, d’autant plus important pour lui que, selon ses termes : « C’est quand j’écris que je suis le plus vivant. Les mots sont beaux, les mots sont justes, les mots sont victorieux54. »
37Ce rapide parcours dans l’œuvre de Guibert a mis en lumière la place qu’y occupe l’autofiction, mais surtout son enjeu. Guibert a d’abord expérimenté, dans ses premières tentatives, les différentes façons de se raconter et de se mettre en scène. Pour poursuivre une écriture de soi devenue impossible, après l’aveu du sida, il a ensuite eu recours à des fables de soi. L’autofiction, elle, s’est imposée comme posture énonciative traduisant la crise identitaire et par voie de conséquence la fracture autobiographique dont il était la victime, tout en lui permettant d’aller au bout du dévoilement qu’il s’était fixé d’atteindre. Doubrovsky déclarait, à propos de l’autofiction : « Je répète qu’il ne s’est point agi, pour moi, d’une pratique délibérément adoptée en vertu de quelconques attendus théoriques. Je ne l’ai pas choisie, elle s’est imposée à moi, de façon irrésistible55. » Il semble qu’il en soit de même chez Guibert. L’autofiction aura été, le temps de trois livres écrits en l’espace de deux ans, en même temps une synthèse de ses efforts précédents pour aboutir à la juste expression de soi et la forme la plus apte à exprimer la crise d’un sujet conscient de sa mort imminente. Pas une fin en soi donc, mais un moyen, qui aura revêtu un enjeu existentiel, à la fois le plus beau, pour l’autobiographe acharné que fut Guibert, mais aussi, peut-être, le plus vain : écrire sa propre disparition.
Notes de bas de page
1 Hervé Guibert, entretien avec Christophe Donner, « Pour répondre à quelques questions qui se posent… », La Règle du jeu, Vol. 3, no 7, mai 1992, p. 145.
2 Le Mausolée des amants, Journal 1976-1991, Gallimard, 2001, p. 410.
3 Hervé Guibert, entretien avec Antoine de Gaudemar, « La vie sida », Libération, 1er mars 1990, p. 21.
4 Hervé Guibert, entretien avec François Jonquet, « Je disparaîtrai et je n’aurai rien caché », Globe, février 1992, p. 108.
5 Mes Parents, Gallimard, 1986. Cette dénomination générique se trouve sur la quatrième de couverture de la première édition, dans la collection Blanche des éditions Gallimard. Elle disparaît sur la quatrième de couverture de l’édition Folio.
6 Jacques Lecarme et Éliane Lecarme-Tabone, L’Autobiographie, Armand Colin, 1997, p. 268.
7 Marie Darrieussecq « L’autofiction, un genre pas sérieux », Poétique, no 107, septembre 1996, p. 370.
8 Ces trois textes sont publiés aux éditions Gallimard.
9 Titre emprunté au livre de Jean-Pierre Boulé, Hervé Guibert : l’entreprise de l’écriture de soi, L’Harmattan, 2001.
10 La Mort propagande, présentation de l’éditeur, Le Livre de poche, 1991.
11 Ce motif nourrit l’ensemble de l’œuvre : il apparaît dans les textes de jeunesse et se retrouve dans les derniers textes du sida.
12 La Mort propagande, p. 81-130.
13 Op. cit., p. 81 et 83.
14 Ibid., p. 8-23.
15 Ibid., p. 108.
16 Ibid., p. 100.
17 L’Incognito, Gallimard, 1989.
18 Les Gangsters, Minuit, 1988.
19 Fou de Vincent, Minuit, 1989.
20 Voir À l’ami qui ne m’a pas sauvé la vie, Gallimard, 1990, p. 149-150.
21 À l’ami qui ne m’a pas sauvé la vie, p. 164.
22 Entretien avec Antoine de Gaudemar, « La vie sida », art. cit.
23 Ibid.
24 Jean-Pierre Boulé, « Guibert ou la radicalisation du projet sartrien d’écriture existentielle », dans Ralph Sarkonak (éd.), Le Corps textuel d’Hervé Guibert, Minard, La Revue des Lettres Modernes, 1997, p. 30.
25 L’Image fantôme, Minuit, 1981, p. 170.
26 Entretien avec Antoine de Gaudemar, « La vie sida », art. cit.
27 Le Protocole compassionnel, Gallimard, 1991, p. 80 et 105.
28 Entretien avec Antoine de Gaudemar, « La vie sida », art. cit.
29 Ibid.
30 Philippe Gasparini, Autofiction. Une aventure du langage, Le Seuil, « Poétique », 2008, p. 209.
31 Serge Doubrovsky, entretien avec Ph. Vilain, dans Philippe Vilain, Défense de Narcisse, Grasset, 2005, p. 209.
32 Op. cit., p. 207.
33 Entretien avec Christophe Donner, « Pour répondre à quelques questions qui se posent... », art. cit., p. 148-149.
34 Entretien avec Antoine de Gaudemar, art. cit.
35 Entretien avec Sophie Chérer, « Guibert gagne », 7 à Paris, 24-30 avril 1991. Cette « donnée du jeu romanesque » se manifeste dès la première page de À l’ami qui ne m’a pas sauvé la vie. Le narrateur se situe dans la certitude d’être « condamné par cette maladie mortelle » et croit en même temps pouvoir devenir « un des premiers survivants au monde de cette maladie inexorable. »
36 À l’ami qui ne m’a pas sauvé la vie, p. 267.
37 Le Protocole compassionnel, p. 10.
38 Entretien avec Jérôme Garcin, « J’ai l’impression de survivre », L’Événement du jeudi, 26 septembre – 2 octobre 1991.
39 À l’ami qui ne m’a pas sauvé la vie, p. 216-217.
40 Le Protocole compassionnel, p. 104.
41 Mon Valet et moi, Le Seuil, 1991.
42 Le Paradis, Gallimard, 1992.
43 L’Homme au chapeau rouge, Gallimard, 1992, p. 64.
44 Entretien avec Christophe Donner, « Pour répondre à quelques questions qui se posent... », art. cit., p. 143.
45 Entretien avec Jérôme Garcin, « J’ai l’impression de survivre », art. cit.
46 Le Protocole compassionnel, p. 9-10.
47 Entretien avec Jérôme Garcin, art. cit.
48 Pour plus de détails sur les rapprochements opérables entre l’auteur et le narrateur, se reporter à mon étude, Hervé Guibert. Vers une esthétique postmoderne, L’Harmattan, 2007, p. 261-274.
49 Entretien avec Jérôme Garcin, art. cit.
50 Mon Valet et moi peut constituer une « autofabulation » au sens où B. Blanckeman l’entend, à savoir « une histoire inventée qui énonce l’intime […] par la levée fictionnelle de certains mouvements intrapsychiques. » Il précise que l’autofabulation « permet de construire des hypothèses de connaissance en reformulant des données existentielles. » (Bruno Blanckeman, Les Fictions singulières, Prétexte éditeur, 2002, p. 144)
51 Cf. Hervé Guibert. Vers une esthétique postmoderne, op. cit., p. 48-50.
52 En ce sens, Le Paradis peut répondre à la définition de l’autofiction telle que l’entend Vincent Colonna, à savoir « une œuvre littéraire par laquelle un écrivain s’invente une personnalité et une existence, tout en conservant son identité réelle (son véritable nom). » (V. Colonna, L’Autofiction. Essai sur la fictionalisation de soi en littérature, http://tel.archives-ouvertes.fr/docs/00/04/70/04/PDF/tel-00006609.pdf, p. 30)
53 Serge Doubrovsky, feuillet 1645 inédit du Monstre, avant-texte de Fils. http://www.everyoneweb.com/doubrovskymanuscrit.com
54 Le Protocole compassionnel, p. 124.
55 Serge Doubrovsky, « Écrire sa psychanalyse » dans Parcours critique, Galilée, 1980, p. 181.
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