Conclusion
p. 119-128
Texte intégral
1La recherche dont nous rendons compte ici représente l’un des derniers volets des travaux que nous avons consacrés à la question des inégalités au sein du système éducatif français. Grâce aux recherches d’Alain Bihr et de Roland Pfefferkorn (2008), nous savons désormais que les inégalités de toute nature (liées à la santé, à l’habitat, aux revenus, etc.) se développent de manière interactive et constituent un système. Autrement dit, les inégalités observées au sein du système éducatif ne peuvent être déconnectées d’un ensemble plus vaste qui les englobe. De nombreuses études ont montré que les inégalités ont eu tendance à s’accroître au cours de la dernière décennie. Parmi l’ensemble des publications disponibles, l’ouvrage de l’économiste Thomas Piketty, Le Capital au xxie siècle (2013), fait sans doute figure de référence en la matière. Bertrand Badie, quant à lui, mentionne qu’au niveau mondial les écarts se sont creusés : en 1960, les 20 % les plus riches gagnaient 30 fois plus que les 20 % les plus pauvres et, aujourd’hui, l’écart est de 1 à 74 (Badie & Vidal, 2017). Pour la France, une étude de l’INSEE révèle qu’entre 2008 et 2011 le revenu après impôt des 10 % les plus riches a augmenté de 3,2 % alors que, dans le même temps, celui des 10 % les plus pauvres a diminué de 4,8 % (citée dans Badie & Vidal, 2017). Jules Falquet (2017) montre, pour sa part, que les inégalités entre les femmes et les hommes se sont creusées depuis une vingtaine d’années. Centrées sur la question de l’égalité professionnelle entre les sexes, nos propres recherches s’inscrivent dans ce contexte. Comme nous l’avons signalé dès notre introduction, ce thème est dans l’actualité politique de la plupart des pays européens. Depuis le début des années 1980, en France, de nombreuses dispositions législatives ont été prises. L’un des chapitres de la loi intitulée « Pour la liberté de choisir son avenir professionnel », promulguée en septembre 2018, revient sur cette question (voir le premier chapitre). Mais le caractère récurrent des mesures envisagées laisse penser que les objectifs fixés au départ ne sont pas vraiment atteints.
Questionnements
2Pour différentes raisons, nous avons choisi de nous intéresser à la question de l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes en étudiant l’accès à des postes qui supposent d’assumer certaines responsabilités dans le secteur public : les chefs d’établissement dans l’enseignement secondaire, les inspecteurs et les directeurs d’école dans le premier degré. Il s’agit d’emplois de la fonction publique qui sont régis par des règles garantissant une relative égalité entre les sexes (rémunération, promotions, etc.). D’ailleurs, les dernières dispositions officielles en faveur d’une meilleure égalité professionnelle entre les femmes et les hommes mentionnent à plusieurs reprises que la fonction publique française se doit d’être exemplaire dans ce domaine. L’ouvrage de Catherine Marry et de ses collègues, Le Plafond de verre et l’État (2017), montre que pour la haute fonction publique, ce n’est pas encore le cas. Les inégalités d’accès et celles qui affectent les déroulements de carrière demeurent relativement marquées. Les travaux d’Alex Alber (2013) vont dans le même sens : ils révèlent que pour les postes d’encadrement supérieur, le secteur public est plus inégalitaire que le secteur privé. Les emplois que nous avons retenus pour notre étude ne se situent pas du tout au même niveau dans la hiérarchie de la fonction publique. Même si nous pouvons discuter des dénominations, ils se positionnent au sein de l’encadrement intermédiaire et de l’encadrement de proximité – si tant est que l’on puisse parler d’encadrement pour les directeurs d’école du premier degré. Comparativement à la haute fonction publique, les enjeux sont sans commune mesure (rémunération, déroulement de carrière, prestige, etc.). Ceci nous a conduits à émettre l’hypothèse générale qu’en se positionnant à un niveau hiérarchique moins élevé, les inégalités entre les sexes pourraient être plus réduites. Le cadrage théorique de la recherche repose sur les travaux qui ont étudié l’articulation des différents temps de vie et, en particulier, la fameuse « conciliation » entre le travail et la famille. Les arbitrages qui interviennent dans ce registre différencient nettement les femmes et les hommes. Ces derniers investissent davantage la sphère professionnelle et, pour l’instant, leur engagement dans l’univers familial est plus mesuré que celui de leurs conjointes. Par ailleurs, les hommes recherchent davantage la mobilité (professionnelle et géographique), qui leur permet d’être mieux rémunérés et de bénéficier de progressions de carrières plus avantageuses. Ils consacrent également plus de temps à leurs activités extraprofessionnelles. Il s’agit ici des tendances les plus marquées. Une minorité de femmes – souvent dans des emplois de cadres supérieurs – opèrent d’autres choix. Elles sont fréquemment sans charge familiale et s’investissent intensément dans leur travail. Elles adoptent les attitudes et les comportements de leurs homologues masculins et n’hésitent pas à entrer en concurrence avec ces derniers. Une partie des femmes interviewées par Catherine Marry et ses collègues pour la haute fonction publique illustre bien ce cas de figure (Marry et al., 2017).
3Du point de vue empirique, notre recherche prend appui sur un dispositif composite alliant l’apport de données nationales exhaustives concernant les personnels étudiés et des matériaux originaux collectés lors de différentes investigations de terrain (entretiens et questionnaires).
Tendances principales
4Pour les chefs d’établissement du second degré et les inspecteurs du primaire, la part des femmes augmente régulièrement entre 1998 et 2018, passant d’un tiers à presque la moitié. Cette évolution touche également l’encadrement supérieur du système éducatif : la proportion de rectrices, d’inspectrices générales et d’inspectrices d’académie a doublé en deux décennies. En ce qui concerne la direction d’école, les directrices sont largement majoritaires. Entre 2005 et 2016, elles représentent plus des deux tiers. Si la recherche s’arrêtait à ce stade, nous pourrions conclure que nous sommes très proches de l’égalité professionnelle. Il faut pourtant rester prudent. L’apport des données nationales de cadrage est indispensable, mais il s’avère insuffisant. Une analyse plus approfondie montre que les femmes sont encore désavantagées pour l’avancement dans leurs carrières et pour leurs promotions. Elles dirigent moins fréquemment des établissements scolaires prestigieux et occupent plus fréquemment les postes d’adjoints. Elles accèdent moins souvent à des postes dotés de profils spécialisés. Pour le premier degré, les probabilités d’accéder à la direction d’une école sont plus élevées pour les hommes. Ici, les statistiques nationales masquent le fait que le vivier de recrutement est fortement féminisé. En tenant compte de cette répartition, nous montrons que les hommes ont plus de chances de diriger une école élémentaire. En outre, ils dirigent plus fréquemment des écoles de grande taille (avec de nombreuses classes). Ceci leur permet d’obtenir de meilleures rémunérations et une meilleure reconnaissance localement. Ce résultat mérite cependant d’être complété. Une partie des personnes que nous avons interrogées développe d’autres types de stratégies. C’est le cas de certaines jeunes femmes de notre échantillon, qui optent pour la direction d’une école de petite taille afin d’obtenir plus rapidement un poste fixe et de pouvoir ainsi se rapprocher de leur domicile. Certaines d’entre elles précisent que ce choix leur permet de s’occuper plus efficacement de l’éducation de leurs enfants.
5L’incitation à la prudence évoquée précédemment ne doit pas nous conduire à la conclusion que, pour les types de postes étudiés, l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes n’a pas progressé. Aujourd’hui, la parité est presque atteinte – voire dépassée – et, pour l’encadrement supérieur (recteurs, inspecteurs généraux et inspecteurs d’académie), la part des femmes est en progression constante depuis 1998. Il y a tout lieu de penser qu’à cet égard le ministère de l’Éducation nationale se distingue d’autres ministères – notamment les ministères régaliens – au sein desquels la représentation des femmes demeure encore à un niveau relativement faible.
Quelques pistes de réflexion
6La dizaine d’années de recherche que nous avons consacrée à l’étude de l’égalité professionnelle a permis de mettre au jour quelques tendances fortes. Pour autant, nous n’avons pas la prétention d’avoir épuisé le sujet. La présentation des différentes analyses au fil des chapitres a été l’occasion de soulever quelques pistes qui restent à explorer.
7La première concerne l’attitude de certaines jeunes femmes, et ceci nous invite à raisonner par le prisme des générations. Nous n’entrerons pas dans les débats complexes que l’usage de ce concept a suscités au sein des sciences sociales (Attias-Donffut, 1988 ; Devriese, 1989) et nous opterons pour la définition qu’en donnent Dominique Méda et Patricia Vendramin : « Une génération n’est pas seulement un groupe d’âge ; c’est une cohorte qui porte aussi les marques des mutations culturelles, économiques, sociales, technologiques, voire historiques. » (2010, p. 8) En ce qui concerne notre étude, une première rupture entre les générations semble apparaître quant à l’attitude des femmes et des hommes envers les procédures de recrutement. À cet égard, nous avons souligné le renversement de tendance que l’on observe chez les chefs d’établissement du second degré et pour les inspecteurs du primaire. Il y a deux décennies, les femmes étaient moins nombreuses à se présenter aux concours, mais leur réussite était plus élevée. À présent, c’est le contraire. L’interprétation de ce phénomène est sans doute complexe et ne peut se satisfaire d’explications simplistes. Sans avoir les matériaux empiriques pour étayer suffisamment notre raisonnement, nous avons néanmoins suggéré deux perspectives complémentaires. Plusieurs recherches montrent que les jeunes générations n’entretiennent pas le même rapport au travail que les plus anciennes. D’autres études révèlent que les jeunes femmes ont tendance à repousser l’âge de leur mise en couple et la venue des enfants. Elles souhaitent asseoir leur carrière professionnelle avant de s’investir dans les responsabilités familiales. Les mêmes travaux mettent au jour un changement d’attitude d’une partie des hommes jeunes. Certains sont prêts à freiner le déroulement de leur carrière professionnelle pour se consacrer davantage à leur famille. Pour compléter, il est intéressant de se pencher sur l’attitude des hommes qui sont un peu plus âgés. Comment perçoivent-ils l’accroissement de la part des femmes dans certains emplois ? À cet égard, nous avons évoqué à plusieurs reprises les analyses de Marlaine Cacouault-Bitaud (2001), qui montrent que pour les médecins, les enseignants et les magistrats, une féminisation accrue pouvait être interprétée par certains acteurs comme une baisse de prestige de ces professions. Tâchons de développer quelque peu ces orientations pour avancer sur la voie de l’interprétation.
8À partir d’une vaste enquête réalisée à l’échelle européenne, Dominique Méda et Patricia Vendramin (2010) montrent que les trois générations étudiées n’entretiennent pas le même rapport au travail. Les jeunes demandent des salaires plus élevés, une protection sociale plus efficace et davantage d’opportunités de développement personnel. La génération intermédiaire réclame de l’entreprise de nouvelles dispositions pour articuler plus harmonieusement le travail et l’investissement familial. Enfin, les plus âgés attendent une meilleure adaptation des conditions de travail, ils souhaitent également que leur expérience professionnelle soit davantage prise en considération. Par ailleurs, les deux sociologues suggèrent qu’il y a chez les plus jeunes un rapprochement des modèles de genre en matière d’engagement dans le travail. Il y aurait une « féminisation du modèle masculin et une masculinisation du modèle féminin » (p. 10). Elles ajoutent que les jeunes hommes sont plus présents dans leurs familles et qu’ils sont plus impliqués dans les soins qu’ils donnent à leurs enfants. Il faut cependant préciser qu’il s’agit de personnes dotées d’un haut niveau d’instruction.
9Pour cerner les évolutions qui touchent le rapport que les jeunes générations entretiennent à leurs carrières professionnelles, il est également pertinent de faire appel aux travaux des démographes. Certains montrent, entre autres, la tendance des jeunes femmes à reculer le moment où elles décident d’avoir des enfants. Pour l’ensemble de la population française, Gilles Pison souligne qu’il y a une baisse de l’indicateur de fécondité : en moyenne, 1,97 enfant par femme en 2014 et 1,89 en 2016 (2017, p. 2). Mais la baisse la plus forte – et c’est celle qui nous intéresse ici – concerne la fécondité avant 30 ans. Les femmes accouchent en moyenne de leur premier enfant à 30,5 ans en 2016, alors qu’elles avaient 26,5 ans en 1977 dans la même situation. Par ailleurs, l’enquête « Étude des parcours individuels et conjugaux » (EPIC) réalisée conjointement par l’INED et l’INSEE montre que les couples se forment de plus en plus tardivement (Costemalle, 2015). Ces tendances laissent supposer qu’une partie des jeunes femmes concernées souhaitent s’investir pleinement dans leur carrière professionnelle avant d’envisager leur vie familiale. C’est peut-être le cas de nos jeunes cheffes d’établissement du second degré et de nos inspectrices de l’enseignement primaire.
10Lorsque nous avons interrogé les chefs d’établissement du second degré à propos de l’accès des femmes et des hommes à ce genre de responsabilités, certaines personnes de notre échantillon ont déclaré que l’augmentation progressive du nombre de candidates au concours de recrutement risquait de conduire à une diminution des candidatures masculines. Ce type de raisonnement a été essentiellement tenu par les hommes les plus âgés (50 ans et plus). Ils ont indiqué que l’insuffisance des salaires, le manque de pouvoir réel et la féminisation du corps représentaient, selon eux, les principaux éléments alimentant le processus de dévalorisation de la profession. Ce genre de représentation est devenu relativement courant. En analysant la situation des médecins, celle des magistrats et celle des enseignants, Marlaine Cacouault-Bitaud (2001) montre pourtant que cette idée relève plutôt d’un mythe savamment entretenu. Prenant appui sur de nombreuses données empiriques, son étude révèle qu’il n’y a pas de relation de cause à effet entre la féminisation d’une profession et sa dévalorisation.
11Une autre perspective de recherche mérite d’être explorée. Elle concerne les inégalités de répartition des postes entre les femmes et les hommes selon les académies ou les départements. Sans revenir en détail sur nos résultats, rappelons rapidement quelques tendances. Pour plusieurs départements, nous relevons des écarts importants en faveur des hommes pour la direction d’école élémentaire (voir tableau IV en annexe) : département du Nord (23,3 %, contre 7,1 % pour les femmes), département du Rhône (19,5 %, contre 5 % pour les femmes), département du Maine-et-Loire (24,4 %, contre 11 % pour les femmes). Pour l’inspection dans le premier degré, nous relevons une tendance inverse. L’annuaire publié en 2019 par le syndicat UNSA Éducation révèle une surreprésentation des inspectrices du primaire pour les académies suivantes : Aix-Marseille (38 femmes sur 60), Créteil (58 sur 96), Paris (24 sur 34) et Versailles (84 sur 121). Par ailleurs, le Bilan social de 2016 du ministère de l’Éducation nationale montre que les femmes sont comparativement plus nombreuses parmi les chefs d’établissement du second degré dans les académies de Lille et de Versailles. À chaque fois que cela a été possible, nous avons tenté d’étudier les relations dialectiques qui existent entre ce que propose l’institution et l’attitude des femmes et des hommes à l’égard des opportunités offertes. Faute d’étayage empirique suffisant, nous avons laissé de côté les politiques de recrutement développées localement. Dans chaque académie, il existe désormais une mission dédiée à l’égalité entre les sexes (filles-garçons pour les élèves et femmes-hommes pour les personnels de l’Éducation nationale). Le cadrage national qui est notamment impulsé à travers les différentes conventions interministérielles signées depuis 1984 donne lieu à un travail de reformulation en fonction des spécificités locales (caractéristiques démographiques, bassin d’emploi, etc.). Les orientations qui en résultent dépendent aussi des interactions complexes qui se tissent entre les différents partenaires concernés au niveau de l’académie et du département. À cet égard, il ne faut pas mésestimer l’apport des structures associatives et des mouvements militants – féministes entre autres. Leur influence varie sans doute de façon importante selon les lieux concernés. Ajoutons que les différentes régions françaises n’exercent pas la même attractivité auprès des postulants. Pour les chefs d’établissement, Marlaine Cacouault-Bitaud (2008) a montré que les grandes métropoles – notamment la région parisienne – attiraient davantage les femmes séparées ou divorcées souhaitant bénéficier d’un environnement culturel stimulant. Si c’était possible du point de vue empirique, il serait également très pertinent d’étudier la manière dont sont nommés les personnels sur des postes jugés sensibles. La teneur des propos tenus par plusieurs chefs d’établissement que nous avons eu l’occasion d’interroger révèle la persistance du stéréotype selon lequel l’autorité est une qualité « naturellement » masculine. Par conséquent, il semble préférable, pour ces personnes, que la direction d’un lycée ou d’un collège jugé difficile soit assurée par un homme à poigne.
12Notre recherche ne concerne que la situation française. Il paraît intéressant d’engager des comparaisons avec d’autres pays. À titre d’exemple, l’étude de Lucie Héon et de Nancy Mayrand suggère que les inégalités d’accès aux postes de direction dans les établissements scolaires du Québec sont un peu plus marquées qu’en France. En 1998, 44 % des écoles du premier degré étaient dirigées par des femmes et seulement 27 % pour le second degré (2003, p. 162). Manifestement, les politiques en faveur d’une meilleure égalité entre les sexes qui ont été fortement développées dans ce pays depuis plusieurs années n’ont pas encore eu les effets escomptés. D’autres études concernent les directrices et les directeurs en Grande-Bretagne (Evetts, 1988 a ; 1988 b). Elles font état de points communs avec la situation française, mais elles révèlent également des spécificités inhérentes aux caractéristiques institutionnelles et culturelles du pays concerné. Ceci représente à la fois la richesse et la difficulté de toute comparaison internationale (Vigour, 2005). Le statut du chef d’établissement n’est pas identique d’un pays à l’autre. Les procédures de recrutement ne sont pas toujours comparables (Baudoux & Girard, 1990) et les fonctions assumées diffèrent parfois de façon sensible. Cela concerne par exemple le partage entre les tâches de gestion, d’administration et le rôle pédagogique. En outre, l’état des rapports sociaux de sexe n’est pas nécessairement au même stade d’évolution dans les pays qui pourraient faire partie de l’étude. Ceci représente bien sûr un intérêt majeur pour la recherche, offrant la possibilité d’une mise en perspective avec l’accès des femmes à des postes à responsabilités. Mais, dans le même temps, cela implique d’avoir une connaissance approfondie des caractéristiques sociétales de chaque pays étudié. Il n’est pas de notre propos ici de nier l’intérêt des comparaisons internationales mais, en la matière, il convient d’être prudent et d’être en mesure d’identifier précisément les objectifs et la faisabilité d’une telle entreprise. À cet égard, un projet de recherche réunissant des chercheurs de plusieurs pays semble constituer la solution la plus appropriée.
13Une autre piste de recherche nous semble digne d’intérêt. Tout au long de cet ouvrage, la notion de féminisation a été entendue au sens quantitatif du terme (en renvoyant à l’augmentation du nombre de femmes aux postes concernés par notre étude). Mais comme le fait justement remarquer Claude Zaïdman (2007), la féminisation peut également être analysée du point de vue des transformations qualitatives qu’induit une présence accrue des femmes dans telle ou telle profession. À cet égard, la perspective que nous avons ouverte à propos des chefs d’établissement du second degré mérite d’être développée. Nous avons montré que les femmes et les hommes interrogés dans le cadre de notre enquête ne définissent pas de la même manière leur rôle (Cacouault-Bitaud & Combaz, 2007). Une part des femmes met l’accent sur les aspects relationnels du métier à travers des expressions telles que « médiateur », « fédérateur », « régulateur », « négociateur » ou « arbitre » utilisées pour définir leur rôle ; un peu moins souvent, elles se dépeignent sous les traits d’un « chef d’orchestre ». Par contraste, les hommes se définissent plus souvent comme des « chefs d’entreprise » ou des « managers », mais aussi, pour d’autres, comme des « animateurs », des « catalyseurs » ou des « coordinateurs ». Ces représentations peuvent-elles correspondre à des pratiques professionnelles réellement différentes ? Seule une enquête ethnographique, telle que celle menée par Anne Barrère (2013), permettrait d’apporter des connaissances nouvelles dans ce domaine.
14Pour terminer, il nous paraît souhaitable de revenir sur le choix de notre objet de recherche, à savoir l’accès des femmes et des hommes à des postes d’encadrement intermédiaire et d’encadrement de proximité. Le dernier rapport de la Banque mondiale consacré à l’égalité entre les sexes révèle que sur les 187 pays étudiés, la France se situe parmi les 5 qui ont contribué le plus à l’égalité1. Ce résultat peut paraître très encourageant, mais il faut rester prudent. Sans nécessairement remettre en cause de façon radicale la validité des démarches méthodologiques mises en œuvre, il conviendrait d’analyser de façon critique la façon dont les indicateurs ont été construits pour établir cette tendance. Celle-ci contraste quelque peu avec le diagnostic posé par une partie des auteurs du récent ouvrage Je travaille, donc je suis. Ainsi, dès l’introduction, le ton est donné par Margaret Maruani :
Les inégalités entre hommes et femmes ? Résiduelles, dit-on, nous sommes sur la bonne voie. Mais non, il faut le dire et le répéter, il n’y a pas de pente naturelle vers l’égalité. C’est l’inégalité qui demeure l’évidence. Ses frontières sont mouvantes, certes, mais elles se déplacent plus qu’elles ne s’effacent. Elles se cumulent, s’entrecroisent et se redéploient. (2018, p. 10)
Prenant appui sur des données statistiques, la contribution de Thomas Amossé (2018) apporte d’utiles précisions. Elle montre qu’en France, l’égalité entre les sexes a progressé en l’espace de deux décennies, mais cette évolution concerne essentiellement les femmes les plus diplômées et celles qui se situent en haut de la hiérarchie sociale. En revanche, les inégalités de sexe restent bien présentes pour les milieux sociaux les plus modestes. Qu’en est-il pour les personnels du ministère de l’Éducation nationale ? Il y a tout lieu de penser qu’une tendance similaire puisse être mise au jour, en particulier pour les fonctionnaires les moins qualifiés. Il s’agit par exemple des personnels de la catégorie C : administratifs, techniques, ouvriers, de service. Un parallèle peut être établi avec l’enseignement supérieur. Un récent rapport a identifié les obstacles qui freinent les carrières des enseignantes-chercheuses2. Mais le retard accumulé est sans commune mesure avec celui qui pénalise les autres catégories : les personnels ingénieurs, administratifs, techniques, sociaux et de santé, de bibliothèque.
15En fin de compte, il est possible que les chefs d’établissement du second degré, les inspecteurs et les directeurs d’école du premier degré représentent les catégories intermédiaires du ministère de l’Éducation nationale pour lesquelles l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes a comparativement le plus progressé au cours des deux dernières décennies. Les évolutions sociétales en cours, le rapport que les jeunes générations entretiennent au travail et aux activités hors travail peuvent participer à l’accélération de ce processus.
Notes de bas de page
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Aux origines du socialisme français
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La fonction de la presse au xviiie siècle
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La Suite à l'ordinaire prochain
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1999
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2010