Chapitre III
Lire et écrire
p. 81-126
Texte intégral
Introduction
1C’est au cours préparatoire que le taux de redoublement est le plus fort à l’école primaire, c’est aussi le moment déterminant pour la suite de la scolarité, moment des premiers apprentissages scolaires de la lecture et de l’écriture. Ce que nous « disent » les données statistiques est parfois très bien perçu par des instituteurs ignorant les statistiques mais vivant des situations récurrentes (c’est-à-dire appréhendant la réalité que mesurent systématiquement les statistiques sur le mode de l’expérience pratique). Ainsi de ce directeur d’école primaire qui, à propos des difficultés scolaires de lecture et d’écriture, disait : « Moi, je les vois en CM2, il n’y a pas de mystère, tous les élèves qui ont 12-13 ans en CM2 : “— Et quelle classe tu as redoublée ? — CP”, “— Quelle classe tu as redoublée ? — CE1, — C’était la lecture ton problème ? — Oui”, ça, alors, c’est radical et ils traînent, ils traînent ce handicap jusqu’au bout1. »
2Le processus de l’« échec scolaire », pour de nombreux élèves, intervient très tôt au CP (« J’ai tout un niveau qui est au niveau maternelle, j’ai vingt-six élèves, j’en ai quatre qui devraient redescendre en maternelle, ils font pas mal de travail de graphisme, des choses comme ça de maternelle, mais ils ne suivent pas, hein ; Sur les onze CP, j’en ai deux où, c’est leur première année de CP, qui vont redoubler [...] moi, je pense que, quand c’est à ce point-là, il aurait mieux valu les maintenir en maternelle »). Cet « échec » est sanctionné parfois de façon irrémédiable par l’orientation en classe de perfectionnement première année (après passage devant une commission).
3L’ensemble de nos témoignages vont dans le même sens : tout commence par la lecture et l’écriture. De plus, on sait qu’au CM2 la lecture partage encore les élèves2.
4Ceci étant dit, il s’agit alors de comprendre le pourquoi de l’« échec » à ces premiers apprentissages scolaires. Que sont les pratiques scolaires du lire et de l’écrire ? Quel type de rapport au langage est tout à la fois façonné et supposé par les exercices scolaires proposés ? Comment se manifeste l’« échec scolaire » à l’apprentissage de la lecture et de l’écriture ? Quelle logique sociale est à l’œuvre dans cet « échec » ? Autrement dit, qu’est-ce qui rend possible cet « échec scolaire » ? Autant de questions auxquelles il est nécessaire de répondre si l’on veut dépasser le simple constat d’« échec » à une activité pas toujours très bien définie (lire-écrire).
I. Les pratiques scolaires d’apprentissage de la lecture et de l’écriture
1. Méthodes d’apprentissage de la lecture
5Deux méthodes d’apprentissage de la lecture sont généralement opposées : la méthode dite syllabique et la méthode dite globale. Opposition de moins en moins prononcée avec l’apparition des méthodes qualifiées de mixtes et qui, comme leur nom l’indique, disent s’inspirer des deux méthodes à la fois. Les Programmes et instructions de 1985 et les Compléments aux programmes et instructions du 15 mai 1985 énoncent que « la querelle des méthodes est une vaine querelle. Dans l’acte de lire, il y a à la fois saisie globale et activité analytique en vue d’une synthèse ultérieure3 ».
6Parmi les instituteurs et institutrices de notre échantillon concernés le plus directement par l’apprentissage de la lecture et de l’écriture (CP, classe de perfectionnement première année, classe d’adaptation), 11 sur 12 utilisent la méthode mixte que proposent des ouvrages tels que Au fil des mots4 ou Bigoudi et compagnie5. Ces derniers proposent de partir, dans un premier temps appelé « imprégnation », d’unités larges (le petit texte précédé d’une discussion, la phrase, les mots) pour décomposer et faire des synthèses alphabétiques et syllabiques dans un second temps : méthode globale puis méthode syllabique.
7Les enseignants se distinguent essentiellement par le temps plus ou moins long qu’ils accordent dans l’année scolaire à l’« imprégnation » (de dix jours à un mois et demi) et par ce qu’ils entendent par « imprégnation ». Celle-ci peut consister en une mémorisation de mots ou de phrases mis au tableau, une reconnaissance globale des signes graphiques (« Ça consiste à retenir des mots globalement, à les visualiser et à les reconnaître et à savoir les écrire ») ou en une discussion orale, préparée ou non (« On part des chants, de ce qu’ils racontent, on écrit des phrases, mais c’est surtout un départ oral, ils parlent beaucoup, on chante, on récite, on raconte des histoires et après, on met par écrit, on écrit des phrases, quelques petites phrases que les gosses trouvent aussi »), mais à partir de laquelle l’enseignant tirera une phrase comportant des mots avec les sons à étudier (« Quand on a un certain paquet de mots, un certain bagage de mots qui ont le même son, on tire le son commun qu’on entend dans tous les mots »). Puis, une fois l’analyse syllabique faite (« Ensuite on analyse, j’isole les sons, voyelles en premier » ; « Au bout de dix jours, quinze jours, on sort les phonèmes, voyelles, consonnes, sons »), les enseignants pratiquent la combinaison des lettres pour faire des syllabes et des mots (« Après on vient à faire la synthèse » ; « Après on recommence à l’envers, c’est-à-dire qu’on part avec la lettre, on fait des syllabes et on fait d’autres mots »).
2. Univers des exercices scolaires de lecture et d’écriture
8Dans le cadre de ces démarches générales, les enseignants disposent d’une série d’exercices scolaires qui, selon le moment où ils interviennent, jouent un rôle d’enseignement, de contrôle ou de correction. Cette palette est composée d’exercices de lecture et d’écriture, tirés de manuels scolaires ou « inventés » sur la base des expériences et des lectures passées. Nous présenterons donc ici l’univers des exercices pratiqués (reconstitué à l’aide des observations et des entretiens) et praticables (exercices proposés dans les manuels scolaires utilisés par les enseignants), l’ensemble des exercices pratiqués recouvrant pratiquement la totalité des exercices praticables :
- Exercices élémentaires de graphisme (faire des ronds, des cannes, des boucles, etc.).
- Copie de lettres, syllabes, mots ou textes.
- Copie d’un texte jusqu’à un mot donné.
- Relier les majuscules aux minuscules correspondantes.
- Entourer ou souligner dans une liste, le mot, la syllabe ou la lettre de référence (écrite ou dite).
- Séparer les syllabes par un trait.
- Taper dans les mains les syllabes d’un mot énoncé.
- Repérer des sons, des syllabes ou des lettres dans des mots (on demande de souligner, de réécrire, d’entourer, de colorier...).
- Dictée de syllabes, de mots, de phrases.
- Autodictée : écrire une petite phrase préalablement mémorisée.
- Écrire les syllabes formées avec la lettre...
- Classer les mots selon qu’ils contiennent telle ou telle syllabe.
- Chercher la place du son... dans des mots (au début, au milieu, à la fin).
- Exercices à trous : il manque une lettre (ex. : « m » ou « n »), une graphie (ex. : « on » ou « ou ») ou un mot (ex. : « crie » ou « trie »).
- Classer dans un tableau à double entrée des mots pour faire la différence entre ce qu’on voit et ce qu’on entend (dans « voiture » on voit « i » mais on n’entend pas « i »).
- Écrire des mots dans lesquels on voit... mais où l’on n’entend pas...
- Compter le nombre de fois qu’on entend le son... dans le texte.
- À partir d’une syllabe, trouver des mots.
- Trouver X mots contenant Y syllabes et se terminant par...
- Retrouver l’ordre des syllabes pour faire un mot.
- Chercher les mots dont les lettres ont été mélangées.
- Trouver pour chaque mot un mot nouveau en ajoutant ou en enlevant des lettres.
- Avec chaque groupe de lettres, faire X mots.
- Corriger l’erreur de frappe (ex. : Tu pleures ! As-tu beaucoup de reine ?).
- Dans des phrases, des mots se ressemblent, un seul son a changé, trouver ces mots.
- Avec les mêmes lettres du mot... faire un autre mot.
- Lire à haute voix un texte.
- Ranger les lettres, les mots par ordre alphabétique.
- Écrire un mot qui soit dans l’ordre alphabétique entre les deux mots indiqués.
- Trouver X mots commençant par telle lettre et dont la X-ième lettre soit différente, puis les ranger par ordre alphabétique.
- Détacher les mots d’une phrase (ex. : lepetitchatnoir)
- Avec des mots en désordre écrire une phrase.
- Écrire une phrase comprenant X mots correspondants à l’image.
- On dispose de X mots : faire avec ces mots une phrase de X mots, de X-1 mots, etc.
- Questions de lecture de type vrai / faux.
- Questions de lecture : cocher la bonne réponse.
- Questions de lecture : répondre par une petite phrase.
- Souligner des passages déterminés du texte (ex. : souligner ce que dit Béatrice).
- Barrer dans les phrases le mot pirate (ex. : je suis dans le j’ai jardin).
- Donner un titre au texte.
- Entourer ou classer les mots qui vont ensemble.
- Classer des mots selon un critère sémantique donné (animal / objet / être humain ou masculin / féminin, etc.).
- Barrer les phrases qui n’ont aucun sens.
- Ranger des mots dans l’« ordre » (ex. : les jours de la semaine).
- Exercice à trous : mettre le mot qui convient (ex. : sur, sous, dans...).
- Classer les mots en deux catégories, puis trouver le nom de chaque catégorie.
9On peut tout d’abord noter, étant donné l’univers des exercices pratiqués, que les débats pédagogiques à propos des méthodes de lecture ont eu pour effet de mettre l’accent sur la lecture-compréhension et de modifier, par là même, la définition sociale de l’acte de lecture. Les enseignants font tous la différence entre lire et oraliser, entre comprendre et déchiffrer (« Compréhension, moi j’insiste là-dessus parce que la lecture orale, c’est une chose, mais pour moi, c’est plus important que les enfants comprennent ce qu’ils lisent, même s’ils ont du mal à oraliser »), et ont le souci toujours présent de ne pas faire lire oralement sans poser des questions, de ne pas faire « copier bêtement » un texte, une phrase, mais d’expliquer et de faire expliquer par les élèves. Si l’on compare cette situation à celle d’une grande partie des écoles primaires jusqu’au xixe siècle, dans lesquelles on pratiquait essentiellement la copie (à partir d’un modèle ou sous dictée) et la lecture oralisée6, on se rend compte de l’évolution des pratiques scolaires, liée à l’évolution des populations scolarisées. Cependant, c’est dans la logique scolaire de la « raison » que les pratiques se sont peu à peu transformées. De même que les écoles mutuelles ont stigmatisé au xixe siècle le dressage effectué dans les écoles lassaliennes, de même que d’autres pédagogues vont condamner l’apprentissage de la grammaire sans explication ou la récitation de leçons apprises par cœur mais non comprises, les enseignants que nous avons interviewés condamnent tous l’« oralisation sans sens », la « copie bête » (on pourrait citer des textes de Gérando critiquant les « imitations machinales », l’élève « passif », dont on ne sollicite pas la « raison », etc., qui vont dans le même sens) et visent clairement la compréhension des textes par l’élève.
3. Conscience phonologique et sens scolaire
10Les premiers apprentissages de la lecture et de l’écriture consistent à faire acquérir par les élèves un ensemble complexe de savoirs : une maîtrise graphique, une connaissance des « correspondances » entre des graphies et des sons, la conscience de l’existence d’unités dépourvues de sens telles que la lettre, la syllabe, d’unités de sens telles que les mots ou les phrases, la connaissance des multiples combinaisons entre les unités dépourvues de sens permettant de produire une infinité d’unités de sens, etc. De plus, pour inculquer ces différents savoirs, l’école procède à l’aide d’exercices qui, à leur tour, impliquent des opérations langagières (et cognitives) particulières : ordonner selon un critère d’ordre particulier, mettre en tableau, relier, compter, etc.
11Une grande partie des exercices de lecture et d’écriture supposent, de la part des élèves, la prise de conscience d’une réalité particulière, la réalité phonologique, distincte d’autres réalités telles que la « réalité sémantique » ou bien encore la « réalité du monde » (des situations, des objets, des personnes...). Ces exercices scolaires visent à former, et supposent tout à la fois comme prédisposition, une conscience phonologique. L’ensemble des exercices sur la reconnaissance de syllabes, de lettres, sur la correspondance de certains sons et de certaines combinaisons de lettres, sur la construction des différentes syllabes possibles à partir d’une lettre, sur la construction de mots à partir de lettres ou de syllabes données dans le désordre, etc., supposent que le langage soit pris comme un objet étudiable en lui-même et pour lui-même, dans sa logique interne de fonctionnement et, en l’occurrence, dans sa logique phonologique de fonctionnement. C’est bien ce que montrent, de façon presque caricaturale, les premiers textes de lecture entièrement constitués dans le but de faire travailler sur certaines correspondances graphies-sons.
12C’est par l’écriture alphabétique, écriture analytique, qu’a pu être découverte cette réalité proprement phonologique et chaque génération d’écoliers doit faire l’expérience précoce, systématique et continue d’un rapport au langage tout à fait particulier, impliqué par l’apprentissage scolaire de la lecture et de l’écriture. En termes saussuriens, les élèves doivent centrer leur attention sur le signifiant en dehors de toute considération sur le signifié ou sur le référent. Alors que dans des productions orales de sens en situation l’enfant prononce des sons sans le savoir, sans en être conscient, parce qu’il est pris dans une situation d’interaction, dans son sens mouvant, qu’il contribue lui-même à produire, on ne lui demande plus désormais de se centrer sur le tout complexe d’une situation interactive, mais d’être comme hors jeu par rapport à ses jeux de langage et de considérer uniquement la chaîne sonore à partir de ce que l’écriture opère sur le langage oral7.
13Il faut insister ici sur la transformation radicale du rapport au langage et au monde qui est inscrite dans cette prise de conscience par l’écriture de ce qui est maîtrisé non-consciemment, à des fins sociales particulières, dans les multiples investissements sociaux quotidiens. En effet, il n’y a pas seulement explicitation de quelque chose qui restait implicite. Le terme de « prise de conscience » est sans doute trop faible pour décrire la situation qu’implique l’apprentissage de la lecture et de l’écriture. Il peut laisser entendre qu’il y a continuité entre une « réalité déjà-là » (la production sonore) et sa « découverte ». Or il s’agit d’une discontinuité radicale, d’un « changement de statut ontologique8 », qui le préparent à des jeux de langage impliquant le même type de rapport au langage et au monde. C’est historiquement par l’« invention » de l’écriture alphabétique que quelque chose comme du « signifiant » distinct du « signifié » et du « réel » a pu voir le jour, et il faut insister sur le fait que ces catégories n’ont de sens que par rapport à la pratique de l’écriture alphabétique.
14En se plaçant dans une telle position par rapport au langage, l’élève découvre un monde de relations tout à fait inédit. Il apprend à rapprocher des mots qui ont une syllabe ou une lettre en commun (table et tapis), qui se distinguent par une seule lettre (crie, trie), qui ont le même nombre de syllabes, qui ont la même syllabe placée à la même position, qui possèdent les mêmes lettres mais dans un ordre différent (lapin, alpin), dont l’un est composé en rajoutant une lettre ou une syllabe à l’autre (monde, onde) ; il apprend à ordonner des mots selon un ordre conventionnel (alphabétique, jours de la semaine, nombre de syllabes, nombre de lettres). L’élève apprend donc à classer des unités (signifiantes ou non) selon des critères morphologiques (plan du signifiant). Il éprouve très tôt, concrètement et de manière systématique, ce que Ferdinand de Saussure appelait les rapports associatifs ou paradigmatiques. Au CP, les enseignants utilisent des « mots-types », des « mots de référence » (fournis parfois par les éditeurs de manuels sous forme d’affichettes), qui contiennent des graphies particulières et qui sont constamment utilisés pour débuter des exercices (« vous me trouvez des mots avec le [an] de “maman” ») ou pour corriger (« tu t’es trompé, c’est le [o] de “tableau” »). Ces mots de référence, souvent affichés dans les petites classes (sous la forme de posters comprenant le mot de référence, un dessin « illustrant » le mot, la graphie importante, colorée ou soulignée et le signe phonétique), font éprouver aux élèves le caractère systématique du langage. Les divers exercices qui se fixent pour objectif de faire reconnaître aux élèves les combinaisons de lettres et de syllabes et leurs « équivalences » sonores les forcent, du même coup, à saisir les différents éléments du langage comme partie d’un système complexe de relations qu’ils ignoraient jusque-là.
15La plupart des exercices visent, de même, implicitement ou explicitement, à montrer aux élèves les discontinuités entre les unités de sens que sont les mots (les blancs entre les mots) et qui ne vont pas de soi (ils ne correspondent pas à des discontinuités du flux sonore)9. Le « mot », construit à partir de lettres et de syllabes, isolé, déplacé, classé, mis en relation avec d’autres pour faire des « phrases », n’a pas le même sens que le « mot » pris dans un énoncé verbal et dans une situation particulière. Le découpage en mots distincts les uns des autres et séparés par des blancs n’a de sens que pour celui qui prend le langage pour objet d’attention et de manipulation.
16À l’école, on a des unités linguistiques (des lettres, des syllabes, des mots, des phrases) et des règles de combinaison pour le passage d’un niveau à un autre (des lettres aux syllabes, des syllabes aux mots, des mots aux phrases). Combiner des lettres pour obtenir des syllabes ou des mots, puis combiner des mots pour obtenir des phrases suppose une logique de production de « sens » radicalement différente de celle qui est au principe de la production orale-pratique de sens en situation d’interaction langagière. Une fois que l’unité-mot est acquise, il s’agit de construire des phrases en les mettant dans tous les sens possibles : c’est le début de la grammaire. Ayant à construire des phrases avec des mots, l’élève est dans la même position que lorsqu’il a à construire un mot à l’aide de syllabes ou de lettres. « Il construit volontairement et intentionnellement le mot sonore à partir des lettres isolées. La syntaxe de son langage écrit est tout aussi volontaire que sa phonétique10. »
17Enfin, la lecture-compréhension d’une part, suppose que les élèves aient acquis la capacité à déchiffrer à travers l’ensemble des exercices précédemment évoqués et d’autre part, place les élèves dans une situation langagière particulière. Le « sens » n’est pas le fait d’une co-production de deux (au moins) interlocuteurs dans une situation particulière d’interaction, il est l’affaire d’un lecteur et d’un texte. Pour comprendre le texte, l’élève ne peut s’appuyer sur lui comme il s’appuie à chaque instant sur un interlocuteur au cours de l’interaction (sur ses gestes, ses mimiques, les éléments du contexte immédiat, ses énoncés, etc.). Il doit faire seul la démarche d’interrogation du texte en faisant revivre ce qui est, au sens propre du terme, à l’état de lettre morte. Il doit, par une activité propre, produire du sens avec un « interlocuteur » muet, qui ne confirme ni n’infirme, qui ne juge ni n’évalue les hypothèses que fait explicitement ou implicitement le lecteur pour donner du sens. Cet « interlocuteur » se présente comme un ensemble de formes morphologiques, syntaxiques, lexicales articulées entre elles. L’intonation, les gestes, les déplacements du corps, les mimiques, les éléments immédiats de la situation, tout cela a disparu au profit d’une construction formelle qui construit son propre contexte. Là encore, l’élève est placé devant une construction langagière qu’il doit saisir en tant que telle.
18Les questions de lecture que posent les enseignants (« Alors, je leur dis systématiquement : “Posez-vous la question : qui sont les personnages ? Où est-ce que ça se passe ? Quand ? Qui parle ?”, s’ils ne prennent pas l’habitude de se poser des questions, ils lisent sans comprendre, hein ») constituent bien, en ce sens, une aide à l’appropriation des textes par les élèves, même si elles prêchent d’abord des scolairement convertis.
4. L’annulation magique des contraintes effectives : la « motivation »
19Même si les tenants des méthodes globales ou mixtes déclarent vouloir ne pas perdre le « sens » des « mots » ou des « phrases » qui sont lus (dans Au fil des mots, le démarrage sur une « expression orale vivante » est pensé comme « permettant l’introduction de thèmes vivants, intéressants, de nature à concerner réellement la vie de l’enfant11 »), ils ne se rendent pas toujours compte du caractère particulier du « sens » dont ils parlent. Si quelques enseignants partent d’une discussion orale qualifiée par eux de « spontanée » (alors même qu’elles prennent des formes tout à fait particulières, comme on le verra au cours des chapitres iv et v) et qui peut débuter sur un événement vécu et partagé par les élèves de la classe (accident dans la rue, première neige, événement dans la cour de récréation...), une fois la discussion réduite à une phrase ou à un petit texte soigneusement choisi pour son contenu phonétique, le travail scolaire de découpage des mots de la phrase, de manipulation de ces mots, de leur décomposition en syllabes, fait subir aux éléments du langage un mode de traitement particulier qui n’a plus rien à voir avec celui qui consiste à employer le langage dans de multiples fonctions pratiques au sein de formes sociales orales, lorsqu’il n’est pas objet de conscience.
20On comprend alors ce que comportent d’illusoire les appels de certains pédagogues à des « situations vraies », « véritables », « naturelles », à la « motivation » ou au « vécu ». En méconnaissant ce que supposent les premiers apprentissages de la lecture et de l’écriture comme transformation relative (pour certains élèves) ou radicale (pour d’autres) du rapport au langage et au monde, certains pédagogues pensent pouvoir résoudre les problèmes d’« échec » en lecture en faisant fonctionner des couples de notions floues (vrai / faux, naturel / artificiel, fonctionnel / non-fonctionnel, etc.)12. Faute de se demander si une situation « spontanée », « naturelle », « authentique » a un sens sociologique, ces pédagogues n’opèrent rien d’autre que des incantations magiques qui n’ont de sens que replacées dans le champ (et donc dans l’histoire) des oppositions pédagogiques (formalisme / spontanéisme, abstrait / concret, structuration / motivation ou expression, artificiel / naturel...). La situation scolaire n’est ni plus ni moins « authentique », « naturelle » que d’autres situations sociales et elle est tout aussi « réelle » : les relations sociales et, par conséquent, le langage, y prennent des formes spécifiques et c’est cela qu’il s’agit de comprendre.
21Chez les enseignants, les « motivations » sont souvent contradictoires. Ce qui est « bon » et « motivant » n’est autre que ce qu’on croit « bon » et « motivant » pour les élèves : des instituteurs pensent que, parce que les enfants vivent dans une zone urbaine industrielle, ils ne peuvent pas s’intéresser à la campagne ; d’autres pensent que justement cela les intéresse parce que cela les change de leur milieu urbain.
22Le thème de la « motivation », de la « vie » et du « vécu » de l’enfant, repose sur l’idée d’un « vécu » qui serait comme un « en-soi ». Or, c’est le travail scolaire sur les éléments de « vécu » (la manière dont on le traite) qui est déterminant. Comme l’écrit Élisabeth Bautier-Castaing : « Si justement l’introduction du “vécu” de l’élève n’a pas semblé modifier de façon sensible la situation scolaire de communication, c’est sans doute parce qu’il ne s’agit de toute manière que d’un vécu “référentiel” qui se traduit linguistiquement par un discours représentatif et non par un usage du langage et un statut communicationnel spécifique13. »
5. Théories linguistiques et pratiques scolaires
23Dès les premiers apprentissages scolaires de la lecture et de l’écriture, l’école forme et fait appel tout à la fois à un type de rapport au langage tout à fait particulier se déployant à travers de nombreuses compétences et / ou expériences : conscience phonologique, conscience des découpages séparations entre unités de sens (espacements dans l’espace graphique, classements de mots isolés...), conscience de certains rapports formels, paradigmatiques entre les diverses unités de langue (par les rapprochements phonologiques ou sémantiques entre les « mots »), conscience de certains rapports syntagmatiques (dans les constructions de « phrases » à partir de « mots »), rapport du lecteur à des constructions formelles, textuelles.
24Comme disait Lev Semenovitch Vygotski, l’école force à pratiquer consciemment, volontairement et systématiquement ce qui est plus ou moins pratiqué non-consciemment, non-volontairement et non-systématiquement (il va de soi que c’est dans le « plus ou moins » que réside toute la différence entre des élèves socialisés dans des formes de relations sociales qui donnent une place plus ou moins importante aux usages réflexifs du langage au cours des situations les plus banales de la vie quotidienne). L’école, à travers les multiples pratiques d’écriture ou à travers les multiples pratiques langagières orales qui trouvent leur finalité et leur sens dans des formes sociales scripturales, décale et décolle le sujet parlant de sa propre « parole ».
25On est donc amené à faire un double constat concernant la façon de rendre raison des pratiques scolaires. Il apparaît tout d’abord que la linguistique saussurienne offre les concepts descriptifs les plus pertinents pour rendre compte de la réalité scolaire appréhendée au niveau de ses premiers apprentissages. Le signifiant, le signifié et le réfèrent, les rapports paradigmatiques et syntagmatiques, le caractère systématique des relations entre unités de langue, la distinction entre les unités dépourvues de sens et les unités de sens, tout ce vocabulaire rend parfaitement compte, jusque dans le détail, des exercices scolaires de lecture et d’écriture14. Cependant, on ne peut être saussurien jusqu’au bout. Saussure explicite fort bien le travail scolaire sur la langue, il théorise (et donc pousse à l’extrême comme seul peut le faire le discours théorique) dans son programme d’étude de la langue comme un système de signes clos sur lui-même, la logique de l’apprentissage scolaire de la langue. Pour comprendre l’école, il faut donc être saussurien sans l’être entièrement, c’est-à-dire sans appliquer la théorie saussurienne à toute situation sociale comme une théorie universelle.
26Deuxième constat, qui n’est que le corrélat du premier : les discours théoriques critiques de l’objectivisme abstrait saussurien (phénoménologies, interactionnismes, pragmatiques, etc.) ont « tort » de ne pas voir en quoi Saussure a partiellement « raison ». Les critiques phénoménologues (Maurice Merleau-Ponty) ou pragmaticiens (Mikhaïl Bakhtine), qui se rejoignent totalement, ne se sont pas rendus compte du fait que parfois le langage se présente comme une chose, un système de signes extérieurs aux individus, objectivés, déjà constitués avec règles, principes, etc. ; Merleau-Ponty pensait qu’« il n’y a pas d’analyse qui puisse rendre clair le langage et l’étaler devant nous comme un objet15. ». Or, c’est justement ce que fait systématiquement, quotidiennement l’école. Comme l’écrit Bakhtine, « La parole peut être tout entière perçue objectivement (quasiment comme une chose). Telle est-elle dans la plupart des disciplines linguistiques16 » ; et il faut rajouter, telle est-elle dans la forme scolaire de relations sociales. La phénoménologie ou la pragmatique, pourrait-on dire de façon condensée, ont « tort » dès qu’elles franchissent le seuil de l’école.
27Ayant saisi cela, on se trouve face à des langages philosophiques et / ou scientifiques tout à fait différents auxquels on peut faire appel intentionnellement selon les situations sociales dont on veut rendre compte, le plus intéressant et le plus amusant résidant dans la prise de conscience du fait que des philosophes, des théoriciens, apparemment à mille lieues de problèmes pratiques parlaient, sans le savoir, de l’école.
II. Les difficultés d’analyse de la chaîne sonore et de déchiffrage
1. Le discours des enseignants
28Les instituteurs et institutrices témoignent sur le mode du constat, de la déploration, voire même de l’exaspération, des difficultés régulièrement rencontrées chaque année par les élèves dans l’apprentissage des « correspondances » entre les graphies et les sons (« Ils inversent les sons » ; « Ils ne savent pas accrocher dans le bon ordre les lettres [...] quand il s’agit de transcrire, ils ont beau chercher, tout est affiché, ils ne retrouvent pas » ; « Il faut bien se dire que chaque année, il y a deux ou trois gamins qui en sont vraiment à la non-acquisition des voyelles, c’est-à-dire que, tous les jours pendant l’année scolaire, on peut le prendre à part, lui réécrire un “a”, un “o”, un “i” et lui dire “Qu’est-ce que c’est ?”, il dira autre chose ou il ne sortira pas ») ou dans l’analyse de la chaîne sonore (« Ils ne déchiffrent pas, ils arrivent, mais alors il faut être derrière eux, il y a des sons qu’ils ne connaissent pas, qu’ils n’ont pas mémorisés » ; « Des sons qu’on confond, par exemple le “b” et le “p” »). « Confusions », « oublis », « ignorances » sont les manifestations quotidiennes des difficultés éprouvées par de nombreux élèves. Elles sont, de plus, difficilement concevables du point de vue des enseignants qui les interprètent comme des signes de « manque » (d’« intelligence », de « travail », d’« attention ») ou même comme les signes de troubles (« Ce sont des gamins qui ne sont pas structurés, qui n’ont aucun repères, qui sont dans le flou, alors j’ai l’impression que tout ce qui se passe en classe, c’est vague, ils n’arrivent pas à avoir des repères, alors ils font n’importe quoi ») et ce, d’autant plus qu’ils ne cessent, comme ils le rappellent à chaque occasion, de répéter, de rabâcher les mêmes choses.
29La lecture du « Cahier de préparation » d’un ancien instituteur de CP-CE1 (1977-1978) d’un groupe scolaire observé nous révèle, de manière tout à fait intéressante, le processus de l’« échec scolaire » d’un petit groupe d’élèves en lecture-écriture. Dans le cahier, qui débute en septembre et s’achève en avril, le maître note méthodiquement et régulièrement tous les exercices de français prévus chaque jour (signe, à noter au passage, d’une planification méthodique des activités les plus banales). Le 7 novembre 1977, le maître fait figurer pour la première fois sur son cahier l’existence d’élèves ayant des difficultés d’apprentissage. Il semble, de toute évidence, les avoir déjà repérés dans la pratique, mais ils apparaissent explicitement pour la première fois dans son cahier de préparation :
7 novembre :
CP
– lecture du texte par les 3 plus faibles
– élaboration des ensembles consonants et lecture
– élaboration des ensembles consonants et lecture
– exercice de lecture
– écrire les mots des ensembles consonants
– construire des mots avec les syllabes : mo, to, cha, le, lo, peau, la, me,
– écriture cahier
30Le 10 novembre, le maître note des difficultés rencontrées dans un exercice :
CP
– collectivement et oralement jouer avec des syllabes (mauvaise compréhension de cet exercice, mardi) et construire des mots.
31Le 29 novembre, le maître indique clairement le partage entre deux groupes au CP :
CP
– lecture
– dictée
– jeu de lecture :
1. une phrase à remettre en ordre
2. loto
2 groupes se dessinent nettement (K..., M..., J...) très faibles et les autres.
32Le 14 janvier, le maître parle de ces élèves en disant « Groupe 3 » (sous-entendu le groupe des trois élèves les plus faibles). Il indique qu’un exercice n’a pas été fait par ce groupe :
CP
– langage
– jeu de lecture : mettre la phrase en ordre v.[oir] fiche
Groupe 3 : non fait
33Le 7 mars, les notes du maître indiquent que le « Groupe 3 » est toujours en apprentissage lecture-déchiffrage alors que les autres font des exercices de lecture-compréhension, de composition écrite, etc.
CP
– lecture : aux quatre bons
– lecture silencieuse puis terminer les phrases : les uns croient que..., les autres croient que...
– les trois autres : travail sur les syllabes : composition / décomposition.
34Le 13 mars encore, pendant que les « bons » écrivent des phrases, font des « jeux de lecture », les « faibles » font une dictée de mots :
– lecture
– écriture
– écrire une phrase
– jeu de lecture
Groupe 3 : dictée (citron, cerise, tasse, passe, piscine, sucre, sac, sel, sec, cirque)
35Même chose, enfin, le 23 mars :
1. lecture : écrivons « oralement » puis au tableau, un texte collectif
→ lecture
2. révision de mots avec s, c, on, dictée ardoise de ces mots
3. dictée (préparée)
Groupe 3 : dictée de syllabes
– li - nu - pu
– kai - mon - ton
– cai - par - pro
– era - dri
36À travers ce simple exemple, on voit tout à la fois que les difficultés de lecture-écriture commencent très tôt au CP, que les élèves acquièrent plus ou moins rapidement la lecture-déchiffrage et passent plus ou moins rapidement à des exercices de lecture-compréhension, de production de petites phrases, etc., et que l’instituteur commence par noter des différences entre « faibles » et « forts » aux mêmes exercices, puis finit par donner un nom au groupe (« Groupe 3 »), officialisant en quelque sorte dans le langage une situation, et par proposer des exercices différents au « Groupe 3 » et aux autres.
37Lorsque l’« échec » au cours préparatoire est trop important, les élèves sont suivis par des enseignants de classe d’adaptation ou sont orientés en classe de perfectionnement (« J’ai des enfants qui ne savent pas lire, des enfants entre huit et onze ans qui ne savent pas lire [...] ce sont des gamins, ça fait quatre ans qu’ils font de la lecture, quatre, cinq ans des fois [...] et ils ne savent pas écrire les mots, même phonétiquement, ils ne connaissent pas tous les sons, bon ils sont incapables de les écrire, ils vont commencer à écrire un mot et puis ils vont venir me demander le deuxième et puis ils ne savent pas écrire le troisième, il faut qu’à la limite, je leur écrive la phrase [...] il y en a qui sont à un niveau début de CP », institutrice, classe de perfectionnement 1).
38Les difficultés persistent au CE1 (« Il y en a qui ne savent pas lire, au début c’est passé dans le stade de l’oubli »), au CE2 et même jusqu’au CM1 (« En CM1, j’ai deux ou trois cas où, là, ce sont des problèmes de lecture de phonèmes, ils ne lisent pas ce qui est écrit ») et au CM2 (« Il y en a qui écrivent comme des cochons et j’en ai un ou deux qui déchiffrent péniblement »).
39La perception des difficultés scolaires concernant l’apprentissage de la lecture et de l’écriture est particulièrement aiguë chez les enseignants ayant des points de comparaison, par rapport à un enseignement antérieur auprès d’enfants de milieux scolairement plus « favorisés » ou, au même moment, lorsque se côtoient dans leur classe des élèves issus de milieux sociaux totalement opposés (« J’en ai une [père : ingénieur, mère : sans profession] par contre qui est vraiment très dégourdie, elle est jeune, elle va avoir six ans » ; « Alors il y a des enfants qui sont très, très mûrs, qui tout de suite “le” et “u” ça fait spontanément “lu” et puis il y en a, ça mettra pas mal de temps [...] il y en a qui lisent pratiquement couramment des mots formés d’éléments connus » ; « Le gros problème, c’est une différence de rapidité, il y en a dans le premier groupe qui lisent, je dirais, pratiquement comme des adultes, alors que d’autres lisent plus lentement »). La prise de conscience des différences est encore plus forte lorsque l’enseignant a affaire à des élèves de classes différentes. Il en va ainsi, par exemple, de cette enseignante à qui l’on a confié un CE1-CE2 composé volontairement de « bons-CP » et de « faibles CE1 » ou de redoublants du CE2 pour homogénéiser la classe et qui se retrouve, en fin de compte, avec des élèves de CE1 scolairement plus performants que les élèves de CE2.
2. Les classes de perfectionnement première et deuxième année
40Nos observations s’étendant sur trois années scolaires, nous avons pu observer des élèves scolarisés en classe de perfectionnement première année et, deux ans plus tard, en classe de perfectionnement deuxième année. En 1984-1985, la classe de perfectionnement première année était composée de 12 élèves dont la moyenne d’âge atteignait environ 10 ans. La même année, la classe de perfectionnement deuxième année était composée de 11 élèves dont la moyenne d’âge était de 11 ans. En 1986-1987, la classe de perfectionnement deuxième année était composée de 11 élèves (dont 4 qui étaient en perfectionnement première année deux ans auparavant) dont la moyenne d’âge atteignait 11 ans.
41Il est important de souligner l’âge de ces élèves pour faire ressortir le degré d’« échec scolaire » d’enfants qui « devraient » être scolarisés en classes de CM1, CM2, sixième, voire pour certains en classe de cinquième. Les élèves orientés en classe de perfectionnement première année ont connu des difficultés au CP et parfois même dès la grande section de maternelle. C’est ce qu’on peut lire dans les dossiers scolaires des élèves : « A. double le CP sans acquis supérieur par rapport à l’an dernier [...] A. ne fait rien en classe [...] Ne s’intéresse pas au travail scolaire [...] Aucun travail [...]. A. doit lire à la maison. » (9 ans, père : OS, mère : sans profession) ; « 1980/81, CP, Lecture : aucun acquis, ne sait pas écrire sous la dictée [...] Est resté au stade de la copie. » (11 ans, père : ouvrier, mère : sans profession) ; « P. en est resté au stade de la copie. » (11 ans, père : manœuvre, mère : sans profession)
42Ce qui est acquis dès le CP par certains élèves, à savoir une grande partie des correspondances entre graphies et sons, les combinaisons des lettres entre elles pour former des sons, l’aptitude à analyser les sons qui composent les mots, etc., reste très problématique pour les élèves des classes de perfectionnement première et deuxième année que nous avons longuement observés. La difficulté centrale rencontrée par ces élèves dans les multiples exercices scolaires de lecture-écriture réside dans l’analyse de la chaîne sonore. Les élèves manquent de cette conscience phonologique caractérisant les bons lecteurs, c’est-à-dire de cette capacité à prendre le langage pour objet de réflexion et d’analyse. De cette difficulté principale découle une série de conséquences et, notamment, le non-apprentissage ou « oubli » de certaines correspondances élémentaires entre graphies et sons d’une séance à l’autre, d’une année à l’autre, l’incapacité à écrire un mot composé de sons étudiés (même phonétiquement, c’est-à-dire en dehors des subtilités d’orthographe), les confusions de graphies, les inversions de certaines lettres (ex. : « li » au lieu de « il »).
43On comprend dès lors très bien les raisons pour lesquelles les instituteurs et institutrices sont souvent tentés d’expliquer ces non-apprentissages en termes de « débilité légère » ou de « trouble mental » : ils vivent quotidiennement la répétition de ce que nous venons de résumer en une phrase, à savoir que des choses, maintes et maintes fois répétées, revues et corrigées, continuent à poser les mêmes problèmes, à provoquer les mêmes « erreurs », de semaine en semaine et même d’année en année, chez les mêmes élèves, alors que tout est conçu scolairement de façon à ce que les premiers apprentissages scolaires de la lecture et de l’écriture soient perçus comme simples, élémentaires (« c’est le b-a, ba »). Ceux qui « échouent » au simple et à l’élémentaire, là où il « suffit » d’apprendre que telle lettre correspond à tel son, que telle lettre associée à telle autre forme tel son, etc., ne peuvent alors apparaître que comme des « simples » et des « élémentaires » d’esprit.
En qualité d’observateur-participant en classe de perfectionnement première année, les élèves viennent souvent vers moi pour me demander si ce qu’ils ont écrit est correct ou non. Lors d’une séance d’« expression écrite » consistant à remplir les bulles d’une page de bande dessinée, J. P. (11 ans, 2 CP, deuxième année passée en classe de perfectionnement première année, père : ouvrier, mère : sans profession) vient me demander si « au secours » s’écrit de la façon suivante : « osrere ». Je lui réponds que non en lui expliquant que cela s’écrit en deux parties et que les lettres employées ne correspondent pas à la chaîne sonore qu’il cherche à transcrire, et pour cela je lis exactement ce qu’il a écrit pour lui faire entendre la différence. Il part réécrire les mots et revient en me montrant ce qu’il a écrit : « au setre ».
Au cours de la même séance, F. (9 ans, 1 CP, deuxième année de classe de perfectionnement première année, père : ouvrier, mère : ouvrière) veut écrire « partout » (elle le prononce tout à fait correctement) et écrit « patou ». V. (8 ans, première année de classe de perfectionnement première année, père : ouvrier, mère : sans profession), qui travaille avec F., propose d’écrire « courons ». À elles deux, elles n’arrivent pas à analyser ce mot pour l’écrire. V. me dit que le mot commence par un « pe » puis, lorsque j’essaie de les aider à décomposer la chaîne sonore en insistant sur le « c », V. me dit « ça commence par “o” ! » Je lis ce que cela donne pour lui montrer que cela ne va pas mais elle répète « cou... ben si ça va ! »
44Dès lors que l’on commence à décomposer un mot, tout est possible, c’est la porte ouverte à toutes les lettres. Parfois, on parvient, à la suite d’une interaction plus ou moins longue, à faire écrire un mot par un élève, mais l’aide constante consistant à relire ce que l’élève a écrit pour lui faire entendre les différences par rapport à ce qu’il cherche à écrire ou à relire des parties de mots en l’aidant à découper et à localiser les sons est la preuve des difficultés que l’élève rencontre à opérer seul la même démarche, à se poser lui-même des questions dans une sorte de dialogue intérieur.
O. (11 ans, deuxième année de classe de perfectionnement première année, père : ouvrier, mère : sans profession) écrit « tuite » et vient me montrer :
O. : Ça va ?
Moi : C’est pas bon là. Qu’est-ce que tu veux écrire ?
O. : truite
Moi : Alors, t-ruite, qu’est-ce que tu entends ?
O. : « te » ?
Moi : Oui et après tr-uite ?
O. : « tre »... « re » y a un « re » ?
Moi : Oui, écris le.
(Il écrit « trite »)
Moi : Là tu as écris « trite » alors que c’est « uite », « truite ».
O. : Y a un « u » ?
Moi : Oui.
45Les mots qu’ils écrivent ou lisent correctement ne sont pas connus par déchiffrage mais globalement, par mémorisation. Le fait même qu’ils écrivent tout à fait correctement un ensemble de mots manipulés globalement pendant longtemps, écrits, découpés avec le dessin correspondant (comme pour les mots-repères affichés dans les classes), collés sur une fiche et rangés dans un fichier personnel et que, dans le même temps, ils ne parviennent pas à mémoriser des correspondances « élémentaires » entre graphies et sons, à extraire un son d’un mot, etc., montre bien que ce qui est su reste très partiel et ne peut être, comme l’attendent les méthodes mixtes ou globales, au principe d’une réflexion sur les éléments phoniques du langage. Beaucoup d’élèves des classes de perfectionnement, faute de pouvoir maîtriser le système des combinaisons entre lettres, ont un usage quasi idéogrammatique des mots.
46Non seulement il y a « non-acquisition », mais aussi des « oublis » importants d’une année à l’autre : ainsi L. (10 ans, 2 CP, deuxième année de classe de perfectionnement première année, père : ouvrier, mère : sans profession) qui savait écrire son nom de famille la première année, en est incapable l’année suivante. De même de J. P. (11 ans, 2 CP, deuxième année de classe de perfectionnement première année, père : ouvrier, mère : sans profession), que j’essaie d’aider à écrire « cahier » en lui disant que c’est le (é) de « Roger » (mot de référence abondamment utilisé l’année précédente, qui était affiché dans la classe) et qui me répond : « Ah ben ! j’m’en rappelle plus ! »
47En classe de perfectionnement deuxième année, l’apprentissage « élémentaire » est nécessairement poursuivi puisque les élèves continuent à avoir les mêmes problèmes de confusion de sons, d’analyse de la chaîne sonore, d’« oublis » de certaines combinaisons, etc. Ainsi, le maître de perfectionnement deuxième année en 1986-1987 est-il contraint à revenir constamment sur ce qui a été vu pendant au minimum quatre ans par les élèves (entre les années de CP et celles de classe de perfectionnement première année). Au cours des séances, le maître leur rappelle qu’il faut revenir de temps en temps au tableau de formation des sons, sur lequel on peut voir des syllabes étudiées au CP :
- l-a → la comme dans « lapin »
- l-u → lu comme dans « il a lu »
48Les élèves éprouvent encore des difficultés à analyser la chaîne sonore :
Ainsi de S. (10 ans, 2 CP, deux ans de classe de perfectionnement première année, actuellement en classe de perfectionnement deuxième année, père : ouvrier, mère : sans profession) qui lit correctement les mots « ci », « ce », « cy » mais qui, à la question du maître : « On entend « ce » ou « que » ? » répond « Que ».
O. (12 ans, 3 CP, deux ans de classe de perfectionnement première année, actuellement en classe de perfectionnement deuxième année, père : ouvrier, mère : sans profession) qui, à un exercice consistant à classer les mots en deux colonnes (1) on voit « u » et on entend (u), (2) on voit « u » mais on n’entend pas (u), commet 7 fautes sur 9 mots.
49Ils butent encore sur des associations de lettres qu’ils ont vues et revues :
K. (10 ans, 2 CP, deux ans de classe de perfectionnement première année, actuellement en classe de perfectionnement deuxième année, père : ouvrier, mère : sans profession) ne parvient pas à déchiffrer le son « au ».
L. (10 ans, 1 CP, deux ans de classe de perfectionnement première année, actuellement en classe de perfectionnement deuxième année, père : ouvrier, mère : sans profession) fait des confusions de « sons », omet des lettres, inverse des lettres : « calse » pour « classe », « gace » pour « glace », « couté » pour « gouter », « ric » pour « cri », etc.
50On peut donner une idée de l’état de l’apprentissage en classe de perfectionnement deuxième année en indiquant les résultats à deux dictées de mots et à une lecture-déchiffrage. Les deux dictées de mots mettaient en jeu des mots déjà lus, étudiés à propos d’un son : dans la première, il s’agissait du son (é) (les dix mots étaient les suivants : l’année, la fée, la poupée, se lever, s’habiller, se coucher, le nez, assez, l’été, la télévision) ; dans la seconde, il s’agissait du son (o) (les dix mots étaient les suivants : le bateau, le chapeau, le seau, l’eau, la chaussure, le restaurant, la hauteur, le potiron, le total, un copain). Seules les fautes aux différentes graphies des sons (é) et (o) étaient comptées. La lecture-déchiffrage comportait trois parties : une série de syllabes (ca, ba, ta... puis, crou, bri...), une série de mots (car, cabou, trouva, moto...), une série de phrases : (« Il a joué avec moi. », « Maman m’a acheté une paire de bas en laine rouge comme la crête du coq, ils sont beaux, ils me plaisent. »). Elle est appréciée globalement par l’institutrice à l’aide de lettres allant de E à A+ :
Classe de perfectionnement deuxième année 1985-1986
Dictée de mots | Dictée de mots | Lect.-déchif. | |
O. 12 ans, p. : ouv., m. : SP | lf/10 | 6f/10 | C |
M. 11 ans, p. : ouv., m. : SP | 0f/10 | 0f/10 | B |
M. M. 11 ans, p. : ouv., m. : SP | 3f/10 | 5f/10 | C |
L. 10 ans, p. : ouv., m. : SP | l0f/10 | l0f/10 | E |
M. C. 12 ans, p. : ouv., m. : pers. serv. | 2f/10 | 4f/10 | C |
L. M. 10 ans, p. : ouv., m. : SP | 2f/10 | 5f/10 | C |
K. 11 ans, p. : ouv., m. : SP | lf/10 | 0f/10 | B + |
A. Q. 12 ans, p. : ouv., m. : pers. serv. | 5f/10 | 8f/10 | C |
A. 10 ans, p. : ouv., m. : SP | 4f/10 | 8f/10 | C |
51On ne s’étonnera pas du fait que seuls deux élèves aient été proposés en fin d’année scolaire en LEP, à savoir M. (0f, 0f, B) et K. (1f, 0f, B +). Les autres ont leur cahier du jour ponctué d’expressions telles que : « Quel travail de cochon ! Tu n’as pas appris ta leçon ! » ; « O. s’occupe trop de ce que font les autres. Son travail est insuffisant. Il doit apprendre à devenir autonome et à travailler seul. » ; « M. travaille beaucoup trop lentement. Il faut qu’il fasse un gros effort d’attention et de concentration » ; « La leçon n’a pas été apprise. [...] Tu n’écoutes pas les consignes ! [...] Pourquoi autant de ratures ! [...] M. doit lire plus souvent à la maison. La lecture se dégrade. L’orthographe est très mauvaise. M. doit faire de gros efforts en français. » ; « L. ne fait attention à rien ! [...] Actuellement, le travail est insuffisant, elle ne pense qu’à s’amuser, c’est dommage ! Son rythme est très lent parce qu’elle ne fait pas attention à son travail mais qu’elle se laisse distraire par tout ce qui l’entoure ! » ; « A. n’écoute jamais les consignes ! Il ne fait attention à rien ! Tant pis pour lui, les résultats restent trop faibles ! [...] Tu écris n’importe quoi ! Tu n’as pas appris ta leçon ! [...] A. ne travaille pas assez, il pense surtout à embêter les autres et à jouer. Les résultats restent faibles. »
3. Cours préparatoire et classes d’adaptation
52Les difficultés que l’on repère en tout début d’apprentissage de la lecture et de l’écriture au cours préparatoire sont de même nature que celles rencontrées par les élèves de classe de perfectionnement. Les élèves les plus faibles ont du mal à prendre conscience des sons qui composent les mots et à les manipuler dans les jeux de langage scolaires. Nous avons observé de nombreuses situations de ce type :
Extrait d’une séance au CP
Institutrice : T. est-ce que l’on entend « ou » dans « bougie » ? (Elle insiste sur la première syllabe.)
T. : Non !
Institutrice : Tu n’entends pas « ou » dans « bou - gie » ?
T. : (silence)
Extrait d’une séance au CP
Le maître demande aux élèves de trouver des mots avec « ou ». Tout d’abord, il y a un grand silence, puis deux élèves commencent à proposer des mots (ours, moufle, etc.). Mais, en dehors de ces deux élèves, ceux qui proposent des mots donnent des mots qui ne comportent pas le son « ou » : radio, réfrigérateur, crayon, informatique, tableau, évier, cartable, un coq, un rideau (autant de mots qui n’arrivent pas par hasard, ils ont été vu en exercice de lecture lors des précédentes séances). Au début, le maître se contente de dire « non » puis demande à l’élève s’il entend le « son » dans le mot :
Instituteur : Dans « évier » t’entends « ou » ? (dit sur un ton neutre)
Élève : Oui
Instituteur : T’entends « ou » ! (dit sur un ton exaspéré)
Élève : Euh... non.
Instituteur : Vous dites n’importe quoi ! On réfléchit, on parle pas uniquement pour ouvrir sa bouche !
Le maître énervé se tourne vers moi et m’explique que depuis le début de l’année scolaire (nous sommes le 11 mars 1986), les mots en « ou » ont été « vus et revus » puis il me dit : « On a l’impression que quand ils se couchent ils oublient tout. Et alors quand ils partent pour le week-end, c’est pire le lundi ! ». Ensuite, le maître improvise, à l’aide d’un « imagier », une sorte d’exercice de vocabulaire pour faire retrouver des mots en « ou » :
Instituteur : C’est blanc, on le mange avec du sucre à la cantine
Élève : Yaourt
– Sur une voiture il y a des... → roues
– La poule a un petit, c’est le... → poussin
– La petite bête qui fait ZZZ, c’est la... → mouche
– Quand on mange on prend une... → fourchette
– Pour qu’il y ait de la lumière, il faut une... → ampoule
– Quand on se lave, on va sous la... → douche
– On s’assoit sur un... → tabouret
– On jette les ordures dans une... → poubelle
– Pour fermer la chemise, il me faut des... → boutons
53Contrairement à l’exercice précédent, les réponses sont dans leur grande majorité satisfaisantes. Cependant, le maître ne se rend pas compte qu’il a changé les conditions de l’exercice. Lorsqu’il s’agit de trouver des mots avec la seule information « contient “ou” », les élèves sont, dans leur grande majorité, en situation d’« échec » et c’est le silence. Dans ce second exercice, il s’agit bien pour le maître de faire trouver par les élèves des mots avec « ou », mais l’exercice fait appel à la connaissance du monde, il les ramène à des expériences de communication, à des situations ordinaires de la vie quotidienne dans lesquelles les mots en général (et les mots contenant le son « ou » comme les autres) sont pris. Les élèves n’ont plus à faire fonctionner l’axe paradigmatique du langage en cherchant des mots composés avec le son « ou », mais peuvent mettre en œuvre leur compétence pragmatique, leurs expériences dans lesquelles les mots sont partie prenante d’un « tout » (la preuve en est faite par les quelques erreurs commises par les élèves au second exercice telles que : « quand on veut boire on achète... → un verre » ; au lieu de « une bouteille »)
54Dès que le maître reprend le premier type d’exercice en disant : « Avec tous les mots qu’on vient de voir, chacun me dit un mot avec “ou” », les erreurs reprennent, moins nombreuses car les élèves se rappellent des mots qui viennent d’être énoncés (ex. : moto).
55Les élèves les plus « faibles » ne parviennent pas, de même, à mémoriser de façon durable les correspondances entre graphies et sons, les combinaisons entre lettres ou même à mémoriser durablement des mots manipulés de façon globale.
4. Les persistances des difficultés d’analyse de la chaîne sonore
56Outre les témoignages de certains instituteurs de CM1 et de CM2 qui se plaignent de quelques élèves qui déchiffrent péniblement (« ânonnent ») lors des lectures à haute voix, nous avons voulu vérifier une intuition de recherche à la lecture des textes écrits d’élèves. Il nous semblait, en effet, que chez certains élèves les problèmes d’analyse de la chaîne sonore persistaient jusqu’à la fin de leur scolarité primaire, de façon certes peu fréquente (dans le cas contraire ils ne pouvaient pas être scolarisés dans ces classes), mais significatives de leurs difficultés passées et toujours présente à traiter le langage comme un objet étudiable en lui-même et pour lui-même.
57Pour cela, nous avions à notre disposition le test d’« expression écrite » passé par des élèves scolarisés en CM1 et CM2 et provenant de milieux sociaux contrastés. Nous avons donc pris deux indicateurs :
- Le pourcentage d’élèves issus d’un milieu social particulier (selon la profession du père ou celle de la mère lorsque la mère élève seule son enfant) n’ayant commis aucune erreur relevant de l’analyse de la chaîne sonore (confusion entre graphies : « pateau » au lieu de « bateau », inversions de lettres : « prote » au lieu de « porte », omission de lettres : « cate » au lieu de « carte »).
- Le nombre total d’erreurs commises par les élèves de chaque milieu social, divisé par le nombre total des élèves du milieu social considéré : nombre moyen d’erreurs par élève du milieu social considéré.
58Les résultats sont groupés dans les deux tableaux suivants :
Résultats des élèves de CM1 selon la CSP du père (ou de la mère)
Milieu social | (1)-CM1 | (2)-CM1 |
Artisans, commerçants, n = 14 | 67 | 0,83 |
Cadres, professions intel. sup.*, n = 20 | 100 | 0 |
Professions intermédiaires, n = 25 | 88 | 0,16 |
Employés, n = 13 | 85 | 0,15 |
Ouvriers, n = 45 | 61 | 0,60 |
Résultats des élèves de CM2 selon la CSP du père (ou de la mère)
Milieu social | (1)-CM2 | (2)-CM2 |
Artisans, commerçants, n = 8 | 67 | 0,83 |
Cadres, professions intel. sup.*, n = 33 | 97 | 0,03 |
Professions intermédiaires, n = 25 | 92 | 0,07 |
Employés, n = 17 | 65 | 0,35 |
Ouvriers, n = 62 | 77 | 0,46 |
59Que peut-on dire de ces tableaux ? Tout d’abord, il est évident que ces résultats n’ont aucune prétention à la généralisation, les effectifs étant trop faibles (notamment en ce qui concerne les enfants d’artisans et de commerçants). D’autre part, à ce moment-là de la scolarité (CM1-CM2), ce n’est pas sur les problèmes de déchiffrage ou d’analyse de la chaîne sonore que se joue l’« échec » ou la « réussite » en « français » (axés sur l’orthographe, la grammaire et l’« expression écrite »). Ceux qui ont été en « échec » dans ces apprentissages ont déjà été écartés, en particulier dans les classes de perfectionnement.
60Ces précisions étant données, on peut retenir que le risque d’erreur d’analyse de la chaîne sonore est quasiment totalement écarté chez les enfants de cadres et professions intellectuelles supérieures et de professions intermédiaires en CM2 comme en CM1. En CM1, le pourcentage d’élèves n’ayant commis aucune « erreur » va de 100 % (cadres et professions intellectuelles supérieures) à 61 % (ouvriers) en passant par 88 % (professions intermédiaires), 85 % (employés) et 67 % (artisans et commerçants). En CM2, la hiérarchie est moins claire à établir, surtout entre enfants d’ouvriers, d’employés et d’artisans et commerçants, dans la mesure où les différences d’effectifs sont particulièrement fortes (respectivement 62,17 et 8). Cependant, les enfants de cadres et professions intellectuelles supérieures et de professions intermédiaires se distinguent toujours très nettement des enfants de tous les autres milieux. Lorsque l’on regarde les nombres moyens d’erreurs commises par les élèves de chaque milieu social, on s’aperçoit que, là encore, tout oppose les enfants de cadres et professions intellectuelles supérieures (parmi les 53 élèves de ce milieu social, un seul élève a commis des fautes et il n’en a commis qu’une) et de professions intermédiaires des enfants d’artisans et commerçants et d’ouvriers, les enfants d’employés occupant une position intermédiaire.
61Bien sûr, pour comparer des choses comparables, il faudrait que les élèves de tous les milieux sociaux aient produit des textes d’un nombre de mots équivalents. On pourrait penser, en effet, que les enfants d’ouvriers commettent plus d’erreurs, par exemple, que les enfants de cadres et professions intellectuelles supérieures parce qu’ils écrivent des textes plus longs. Or, lorsque l’on calcule le nombre moyen de mots par texte pour chaque milieu social (CSP du père), on voit que ce n’est pas aussi simple. Si les textes de CM1 des enfants de cadres et professions intellectuelles supérieures sont en moyenne les plus courts avec ceux des enfants d’artisans et commerçants (110 mots), ils sont par contre les plus longs de tous en CM2 (170). Les textes de CM1 des enfants de professions intermédiaires (135) et d’employés (135) étant plutôt plus longs que ceux d’artisans et commerçants (110) et d’ouvriers (130), cela ne les empêche pas d’être plus nombreux à ne commettre aucune faute que les enfants d’ouvriers et d’artisans et commerçants. De même, les enfants de cadres et professions intellectuelles supérieures de CM2 ont beau écrire des textes plus longs que tous les autres (170 mots pour les enfants de cadres et professions intellectuelles supérieures contre 140 mots pour les enfants des professions intermédiaires et ouvriers, 130 pour ceux dont le père est employé et 120 pour ceux dont le père est artisan ou commerçant), ils sont 97 % à ne commettre aucune faute. Les fautes commises ne sont donc pas qu’un effet de la longueur des textes.
5. Qu’est-ce qui est au principe de ces difficultés ?
62Il nous semble que ce qui est au principe des premières difficultés rencontrées par les élèves et notamment ceux issus de milieux populaires, est (d’un point de vue négatif) l’incapacité à traiter le langage comme un objet autonome étudiable d’un point de vue strictement phonologique. Ils « manquent » de ce que de nombreux chercheurs anglo-saxons ont appelé la phonological awareness17. Donnant un exemple de difficulté rencontrée par les élèves très proches de ceux que nous avons pu observer : « Teacher: Say the word “sand” without the “s”, Child 1: and ; Child 2: sand », deux chercheurs américains, Herbert D. Simons et Sandra Murphy commentaient :
Pour réaliser cette tâche avec succès, les enfants doivent avoir conscience de la nature segmentaire des mots anglais et ils doivent être capables de se centrer sur les propriétés phonologiques des mots, en dehors de leurs significations [...] le premier enfant montre ce qui a été appelé une conscience phonologique. Une telle conscience est importante pour apprendre à lire, parce que les premières acquisitions en lecture impliquent d’apprendre à transcrire des séquences de segments sonores sous forme de séquences d’unités graphiques18.
63De plus, des études portant sur des adultes démontrent que la conscience des unités phonologiques ne se développe pas spontanément durant l’enfance comme dans un processus psycholinguistique « naturel » (« phase » ou « stade » inéluctables, inscrits dans un développement naturel), mais est liée à des expériences telles que l’apprentissage de la lecture dans un système alphabétique19.
64L’ensemble des manifestations de l’« échec scolaire » à ces premiers apprentissages découle de cette « absence » de disposition réflexive-phonologique à l’égard du langage : les « oublis », les non-mémorisations, les « confusions », etc. Les enseignants évoquent souvent le « manque d’attention », le « manque d’effort », le fait que les élèves « n’apprennent pas », « ne retiennent pas ». Mais l’attention, l’effort, l’apprentissage, la mémoire doivent prendre à l’école une direction tout à fait particulière. C’est seulement lorsqu’on adopte la disposition adéquate à l’égard du langage que l’apprentissage de savoirs spécifiques peut avoir une efficacité réelle et que l’on peut mémoriser des éléments qui prennent sens. En posant le problème de cette façon, on peut comprendre sociologiquement le pourquoi de l’« échec » des élèves des classes de perfectionnement à qui on répète, inlassablement, depuis des années, les mêmes choses.
65Comme l’énonçait de façon pertinente Vygotski :
Si l’on demande à un petit enfant de prononcer une combinaison quelconque de sons, par exemple « sk », il ne le fera pas, car une telle articulation volontaire lui est malaisée, mais dans le mot « Moskva » (Moscou) il prononce involontairement ces mêmes sons avec aisance. À l’intérieur d’une structure déterminée ces sons apparaissent d’eux-mêmes dans le langage enfantin. En dehors d’elle, l’enfant sait prononcer n’importe quel son mais il ne sait pas le faire volontairement [...]. L’enfant maîtrise donc certains savoir-faire dans le domaine du langage mais il ne sait pas qu’il les maîtrise. Ces opérations ne sont pas devenues conscientes. Cela se manifeste par le fait qu’il les maîtrise spontanément dans une situation déterminée, automatiquement, c’est-à-dire lorsque par certaines de ses grandes structures la situation l’incite à faire preuve de ces savoir-faire, mais qu’en dehors d’une structure déterminée, c’est-à-dire de manière volontaire, consciente et intentionnelle il ne sait pas faire ce qu’il sait faire involontairement20.
66Cependant, compte tenu de ce que nous savons des taux de redoublement au CP selon les milieux sociaux, il faut là encore relativiser l’« enfant » dont nous parle Vygotski. Nous savons, en effet, que certains enfants n’éprouvent pas ou peu de difficultés à l’apprentissage de la lecture et de l’écriture. Les enfants des différents milieux sociaux possèdent, par conséquent, très inégalement cette capacité à maîtriser consciemment, volontairement, intentionnellement le langage en tant que tel et notamment dans son aspect phonologique. Vygotski analyse de façon remarquable les effets cognitifs spécifiques du travail scolaire de lecture, d’écriture, de grammaire, de conjugaison, etc., mais il oublie de penser l’école comme le produit historique d’une formation sociale particulière et, notamment, dans ses liens avec la constitution de groupes sociaux (et de nouvelles formes de relations de pouvoir). En ce sens, le point de vue ontogénétique du psychologue (la formation de la conscience d’un enfant au sein de l’école) ne peut être totalement compréhensible en dehors du point de vue historique et macrosociologique21 qui permet d’expliquer que des groupes sociaux se sont constitués comme tels avec la forme scolaire (en particulier). Pour dire rapidement les choses, l’enfant en difficulté que nous présente Vygotski est plutôt un enfant d’origine populaire socialisé « en marge » des formes sociales scripturales en général et des formes scolaires en particulier qu’un enfant socialisé dans des formes sociales scripturales.
67Si l’on peut rendre compte des difficultés scolaires considérées en termes de « manque » ou de non-maîtrise d’un certain type de rapport au langage comme nous venons de le faire, il faut aussi inverser le problème et saisir le rapport au langage qui est au principe de ces difficultés. Il semble que les élèves qui « échouent » ne saisissent jamais le langage indépendamment de l’expérience, des situations qu’il structure et dans lequel il trouve tout son sens et sa fonction. À partir d’un tel point de vue (à partir de formes sociales particulières), c’est-à-dire à partir du moment où le langage structure l’expérience mais se fond en elle, désigne des réalités mais s’ignore comme activité désignante, construit un point de vue sur le monde mais « est » le monde lui-même, on comprend sociologiquement que ce que distingue l’école (le phonétique, le sémantique et le syntaxique, par exemple) à partir d’autres pratiques du langage, d’autres formes de relations sociales et donc d’un autre type de rapport au langage, soit totalement dépourvu de sens pour ces élèves.
68Le long extrait d’une séance d’apprentissage de la lecture dans un CP a, en ce sens, une valeur de test dans la mesure où il montre que des élèves qui échouent lorsqu’on leur demande de rechercher des mots contenant un son, réussissent beaucoup mieux dès lors qu’on les place dans une tout autre position, à savoir celle consistant à chercher des noms d’objets en faisant appel à leur expérience sociale. Alors que sur la base du premier exercice on pourrait (et les instituteurs le font souvent) conclure à un manque de vocabulaire (« Ils ne connaissent pas ou très peu de mots comportant le son “ou” parce qu’ils possèdent plus généralement un vocabulaire très pauvre »), le second exercice nous indique que c’est le rapport au langage qui est en jeu et non un problème de vocabulaire en soi. Inversement, on se tromperait si l’on pensait que la réussite au second type d’exercice implique immédiatement la réussite au premier type d’exercice.
III. Les « mauvais découpages » de mots
1. Présentation du problème
69Au cours de notre recherche, nous avons remarqué qu’une des difficultés que rencontraient les élèves globalement en « échec » se situait dans le découpage des mots écrits. Soit ils détachaient ce qui devait être attaché (« ont sa muse » pour « on s’amuse », « qua lon » pour « qu’allons », « c’est tai » pour « c’était », « ça ma pran » pour « ça m’apprend », etc.), soit ils attachaient ce qui devait être détaché (« metonous » pour « mettons nous », « plécado » pour « plein de cadeaux », « quifé » pour « qui fait », « mamer » pour « ma mère », etc.). Ces « fautes », présentes au CP chez l’ensemble des élèves, disparaissent peu à peu chez les élèves qui suivent une scolarité normale et persistent dans les textes d’« expression écrite », les textes de dictée, les exercices pratiqués pour apprendre à détacher des mots d’une phrase attachés les uns aux autres, etc., des élèves des classes de perfectionnement ou des élèves les plus « faibles » des cours moyens première et deuxième année.
70Ce problème de « mauvais découpages » est à la fois reconnu comme un problème typique des premières difficultés rencontrées par des jeunes enfants ou des adultes analphabètes à l’école dans l’apprentissage de la lecture et de l’écriture, et étudié par un certain nombre de chercheurs (plutôt linguistes et psychologues que sociologues, plutôt étrangers que français). En 1979, dans une enquête nationale concernant l’évaluation de l’enseignement à l’école primaire et portant sur une population de 1 892 élèves représentative de la population scolaire du cycle préparatoire, le ministère de l’Éducation nationale indiquait parmi les exercices particulièrement difficiles celui consistant à « séparer les mots d’une phrase (écrite sans intervalles)22 ». Cela nous a donc incités à poursuivre l’investigation dans ce domaine et à tenter de rendre raison de ces « mauvais découpages ».
71En général, les enseignants sont conscients de l’existence de ce type d’erreur, aidés en cela par les exercices scolaires prévus précisément pour exercer les élèves aux « bons » découpages (« Chez certains enfants séparer le “le” de “canari”, c’est difficile, c’est un exercice difficile » ; « “écoute-là”, c’est attaché, “Papa va acheter”, c’est séparé, “qui a vo lé”, c’est séparé, “ce que papa va te dire”, “va te”, c’est attaché »). Les enseignants chargés des classes de perfectionnement ou d’adaptation sont encore plus sensibles que les autres du fait de la fréquence de ce type de problème dans leur classe (« Ils n’arrivent pas toujours à découper, moi, j’ai des problèmes aussi à ce niveau-là, par exemple, je donne comme ça une phrase à découper [...] bon, ils découpent pour me faire plaisir à la limite et puis ils ne savent même pas ce qu’ils ont découpé » ; « Il y a des enfants qui vont écrire tout d’un trait, je le faisais ce matin justement avec une phrase tout attachée, et trouver à quels endroits il fallait découper, bon, ce n’est pas évident, hein ! »). L’enseignant de CFA (centre de formation des apprentis) interviewé qui a affaire à des élèves passés par les classes de SES (section d’éducation spécialisé), de CPA (classe préparatoire à l’apprentissage) et de CPPN (classe préprofessionnelle de niveau) rencontre lui aussi chez des élèves beaucoup plus âgés les mêmes difficultés (« J’ai beaucoup de cas d’éclatement de mots, je rencontre aussi beaucoup de mots qui sont associés »).
72Les enseignants du CE1 au CM2 confirment eux aussi que le problème persiste chez certains élèves (« Ça va faire “Il ne peut pas faire ça” un seul truc, “ilnepeutpasfaireça”, j’en ai deux ou trois qui me font ça » ; « Voilà, alors, par exemple celui-là, il m’a écrit “Il y a vé” tout détaché, alors ça ce sont des enfants qui n’ont pas pigé le verbe « avoir », une fois qu’ils auront pigé, ils ne feront plus la faute, mais moi, je crois qu’il y a beaucoup d’enfants, quand ils écrivent, ils ne réfléchissent pas, ils ne font pas le travail de réflexion du mot et quelle est sa place, pourquoi il est là, etc. »).
2. Les classes de perfectionnement première et deuxième année
73Les élèves des classes de perfectionnement, lorsqu’ils sont mis en situation d’exercice explicite de découpage des mots attachés d’une phrase (mots longuement manipulés sous forme d’étiquettes) ou en situation d’« expression écrite » où ils doivent écrire des mots pas toujours connus, montrent une sorte d’insensibilité au problème du « bon découpage ». Le fait qu’un mot puisse être écrit de façons très différentes, en un morceau ou en plusieurs morceaux, isolé des autres ou collé aux autres, ne semble pas apparaître à leurs yeux comme un problème :
Ainsi, lors d’une séance d’« expression écrite », F. (9 ans, père : ouvrier, mère : ouvrière) veut écrire « partons ! » et écrit « par ton ». Puis, avec V., (8 ans, père : ouvrier, mère : sans profession) elles tentent d’écrire « Il faut que je parte ». Si je n’intervenais pas, F. (qui écrit) écrirait « il faut que je parte » sans aucun espacement. Je commence à lui dire que « il » est tout seul en lui rappelant la multitude d’exercices dans lesquels elle a manipulé le « il » ou le « elle ». Au fur et à mesure qu’elle écrit (avec de grosses difficultés d’analyse de la chaîne sonore), elle s’arrête pour me demander « C’est écrit en attaché ? »
Durant la même séance, S. (10 ans, père : ouvrier, mère : sans profession) et L. (10 ans, père : ouvrier, mère : sans profession) écrivent « li va nouzatapé » pour « il va nous attraper » ou encore « cachetue derée le l’arbre » pour « cache-toi derrière l’arbre ».
Au cours d’une autre séance d’« expression écrite », je demande à St. (10 ans, père : ouvrier, mère : sans profession) qui a écrit « le journal de vingtore » (« le journal de vingt heures ») ce que signifie ce qu’il a écrit. Ces explications montrent qu’il a parfaitement compris qu’il s’agissait du journal du soir qui a lieu à vingt heures (il compte sur ses doigts). Le fait qu’il attache « vingt » et « heure » ne l’empêche donc pas de « comprendre » que « vingt » est un nombre et « heure » sert à se situer dans le temps.
74Lors d’un exercice consistant (1) à tracer des barres entre les mots et (2) à réécrire la phrase avec les mots séparés, voilà ce que l’on obtient (sur les 10 élèves ayant fait l’exercice) :
Classe de perfectionnement première année 1985-1986
(1) | (2) | |
F. 9 ans, p. : ouv., m. : ouv. | Leclowna/unchapeau | leclownaunchapeau |
Ch. 10 ans, p. : ouv., m. : SP | Lec/low/na/u/nc/hap/eau | clownaunchapeau |
S. 10 ans, p. : ouv., m. : SP | Le/clown/aun/chapeau | le clown aun chapeau |
La. 10 ans, p. : ouv., m. : SP | Leclown/auncha/peau | Leclownaunchapeau |
An. 9 ans, p. : ouv., m. : SP | Le/clowna/un/chapeau | Le clowna un chapeau |
D. 10 ans, p. : ouv., m. : SP | Le/clown/aun/chapeau | Le clown aun chapeau |
V. 8 ans, p. : ouv., m. : SP | Leclownaun/chapeau | Leclownaun chapeau |
Lev. 8 ans, p. : ouv., m. : SP | Le/clowna/un/chapeau | Le clowna un chapeau |
K. 9 ans, p. : ouv., m. : SP | Le/clown/a/un/chapeau | Le clown a un chapeau |
J. P. 11 ans, p. : ouv., m. : SP | Le/clown/au/ncha/peau | Le clown au cha peau |
75Un seul élève a fait cet exercice (pratiqué au CP) correctement. Non seulement les découpages sont très aléatoires, collant le verbe avec le nom ou l’article ou avec les deux, les articles avec les noms, les éléments d’un même « mot » séparés, etc., mais lorsqu’ils écrivent la phrase, certains « oublient » les découpages qu’ils ont opérés comme si le premier exercice n’avait aucun sens pour eux.
76On peut donner une idée assez grossière des « erreurs » du type « mauvais découpage » commises par des élèves de classe de perfectionnement deuxième année, à partir d’une « expression écrite » faite par 11 élèves. On trouve des mots attachés (« édemi » [et demie], « sété » [c’était], « stai » [c’était], « dincou » [d’un coup], « letaindre » [l’éteindre], « létiendre » [l’éteindre], « leau » [l’eau], « lau » [l’eau], « suça » [jusqu’à], « sété » [c’était]), des mots détachés (« il y a voit » [il y avait], « qu’an » [quand], « il y a vai » [il y avait], « ily a vé » [ily avait], « a pré midi » [après-midi], « il n’été d’eau » [il mettait de l’eau], « nous saumes retour ne » [nous sommes retournés], « a pré midi » [après-midi], « Il a ver » [il y avait], « bou cou » [beaucoup], « a va » [avait], « il a vé » [il y avait]) ou encore des « mauvais découpages » (« ils s’ont mi » [ils ont mis], « ils son pri » [ils ont pris], « y-li-a » [il y a], « se qui il a » [ce qu’il y a], « il ma dit qui a vai » [il m’a dit qu’il y avait], « au reuseumen qui avais » [heureusement qu’il y avait]). Au total, 35 erreurs de découpage ont été commises sur un total de 684 mots écrits, soit environ 5 % d’erreur sur le total. On peut remarquer que le même mot peut être écrit par un même élève de façons différentes. Ainsi, D. écrit indifféremment « a va », « a vé », « a vai » et « avais » le verbe « avoir » à la troisième personne du singulier (« avait »).
3. Cours préparatoire et classe d’adaptation
77Séance en classe d’adaptation avec 6 élèves de CP
Une phrase entendue au magnétophone est répétée oralement par chaque élève (« Voilà la maman de Victor »), puis le maître trace cinq traits horizontaux plus ou moins grands au tableau représentant les cinq mots de la phrase. Ensuite, il demande ce qui correspond à chaque trait. Pour le premier trait, les élèves proposent « voi ». Puis, même exercice avec « Il est dans le jardin » = 1 - 2 - 3 - 4 - 5 - mais le maître demande dans le désordre :
Réponses fausses proposées par les élèves :
– 1 : « i » ou « ilai »
– 2 : « dans » ou « lai »
– 3 : « jar »
– 4 : « din »
Enfin, les élèves doivent écrire sur leur feuille : « Voilà papa, il est dans le jardin » qui leur est donné écrit sans séparation, au-dessus des traits et l’on trouve des réponses du type :
– Voilà papa il dans leja din
– Il est dans le jar din
– Voila papa il est dans le jardin
– Voila papa il est dans le jar din
78Séance au CP :
La maîtresse écrit des phrases au tableau. Elle fait chercher les mots par les élèves. Dans la phrase « Bébé éléphant enfile son pull », la maîtresse demande quel est le premier mot, puis le deuxième, le troisième et ainsi de suite :
M. : Quel est le premier mot ? (elle donne la parole à un élève qui lève le doigt)
Élève 1 : Bébé
M. : Bien, Bébé (elle l’écrit au tableau). Le deuxième maintenant (elle donne la parole à un élève).
Élève 2 : Éléphant
M. : D’accord (elle l’écrit), ensuite le troisième (donne la parole à un élève)
Élève 3 : Enfilesonpull.
Lors de la séance, les élèves proposent de découper les mots ainsi : « ilshabille », « tout seul », « na » (pour « n’a »), « ses habits » ou encore « se za bi ».
Lorsqu’un élève ne parvient pas à trouver le « mot », la maîtresse fait répéter la phrase par l’élève (ex. : Répète la phrase ! : « Bébé éléphant enfile son pull »). Cependant, ce n’est pas un problème de mémoire qui se pose à l’élève, mais celui d’extraire consciemment, volontairement un « mot » d’un énoncé globalement maîtrisé.
4. Du CE2 au CM2
79Dans une classe de CE2 composée à 80 % d’enfants dont le père est ouvrier, on relève dans les « expressions écrites libres » de nombreux cas de « mauvais découpages » plus ou moins « graves » (de « lélectricité » à « il ma vait » pour « il m’avait » ou « et crire » pour « écrire ») :
Attachés
– pas trojenti (trop gentil)
– masere (ma sœur)
– nest (n’est)
– jai (j’ai)
– aprémidi (après-midi)
– nous savonfai (avons fait)
– javai (j’avais)
– maleréveillé (mal réveillé)
– sé (c’est)
– nous faifer (nous fait faire)
– saraite (s’arrête)
– sanuse (s’amuse)
Détachés
– il a vais (il y avait)
– se maine (semaine)
– la premidi (l’après midi)
– de van (devant)
– par ti (parti)
– tour ne (tourne)
– par tie (partie)
– j’ai me bien (j’aime bien)
(Élève à l’heure, père : ouvrier, mère : sans profession)
80Étant donné l’origine sociale des élèves dont nous disposons des « textes libres », il est difficile de faire des comparaisons. Face aux enfants dont le père est ouvrier et la mère le plus souvent sans profession, nous avons une fille d’agriculteur, un fils de commerçants et une fille de père technicien et de mère institutrice. On peut toutefois noter que, si cette dernière commet des fautes de découpages elle aussi, ces fautes sont nettement moins « graves » que celles que commettent les enfants de milieux ouvriers. En effet, la quasi-totalité des fautes commises concernent des rattachements entre deux mots séparés par une apostrophe (14 f. sur 19) du type « ma » (pour « m’a ») ou « dargent » (pour « d’argent »).
81Pour avoir un point de comparaison, nous avons utilisé le test d’« expression écrite » comme dans le cas des problèmes d’analyse de la chaîne sonore. Là encore, les « mauvais découpages » qui sont comptés comme des fautes d’orthographe par les enseignants ne sont pour nous, à ce niveau de scolarité, que les indicateurs des difficultés scolaires passées (et persistantes) et comme les stigmates d’une scolarité difficile. Les résultats sont résumés dans les deux tableaux suivants :
Résultats des élèves de CM1 selon la CSP du père (ou de la mère)
Milieu social | (1)-CM1 | (2)-CM1 |
Artisans, commerçants, n = 14 | 58 | 0,66 |
Cadres, professions intel. sup.*, n = 20 | 81 | 0,3 |
Professions intermédiaires, n = 25 | 72 | 0,44 |
Employés, n = 13 | 62 | 0,54 |
Ouvriers, n = 45 | 51 | 1,14 |
Résultats des élèves de CM2 selon la CSP du père (ou de la mère)
Milieu social | (1)-CM2 | (2)-CM2 |
Artisans, commerçants, n = 8 | 83 | 0,16 |
Cadres, professions intel. sup.*, n = 33 | 90 | 0,13 |
Professions intermédiaires, n = 25 | 81 | 0,15 |
Employés, n = 17 | 82 | 0,23 |
Ouvriers, n = 62 | 57 | 0,73 |
82On peut retenir de ces tableaux que ce type d’erreur est largement évité par les enfants de cadres et professions intellectuelles supérieures et de professions intermédiaires, alors que les enfants d’ouvriers et d’artisans et commerçants sont encore nombreux à en commettre, les enfants d’employés occupant une position intermédiaire.
5. Qu’est-ce qui est au principe de ces difficultés ?
83Les « mauvais découpages » permettent de revenir sur une évidence de lettrés : les « mots », tels que l’écriture nous les fait percevoir, n’ont rien de naturel. Plus que cela, ce que l’on appelle « mot » n’a de sens que par rapport aux pratiques scripturales. Contrairement à ce que pensent tout à la fois enseignants et linguistes, tout le monde ne parle pas avec des « mots » ou plutôt, tout le monde n’est pas disposé à percevoir des « mots » dans ses énoncés (les linguistes commettant une erreur théorique là où les enseignants accomplissent un acte social, lorsqu’ils pensent l’écriture comme un simple enregistrement de la parole). Jack Goody a été de ceux qui ont remis en cause ces évidences par une étude des sociétés s’organisant hors des pratiques d’écriture23. Séparer des « mots » suppose que l’on objective le langage et qu’on le considère du point de vue de ses articulations spécifiques et de son fonctionnement propre au lieu de le faire fonctionner dans des situations n’impliquant aucun retour réflexif sur le langage comme objet et univers autonome particulier.
84Les espacements, les blancs qui, à l’écrit, cristallisent, objectivent des discontinuités n’ont aucun équivalent systématique dans ce qu’André Chervel appelait « la suite continue des sons de la langue parlée24 ». Le « mot », comme unité de sens isolée, a partie liée tout à la fois avec la réification du sens, sa stabilisation que les termes de signifié ou de dénotation (dénotation associée aux multiples connotations contextuelles, à partir d’un sens « premier », « fixe ») désignent bien, puisqu’ils sont eux-mêmes les produits d’une réflexion lettrée sur le langage (la mise en dictionnaire, les dictionnaires bilingues, etc., nécessitent que l’on gèle le sens d’un mot hors des multiples contextes de son emploi) et avec les associations syntagmatiques et paradigmatiques qu’explorent forcément tout pratiquant de l’écriture : pour connaître l’orthographe des mots, encore faut-il les avoir isolés, classés, avoir nommé des catégories différentes de mots selon leur fonction, etc., de manière à saisir les co-variations de l’orthographe des « mots » (le « verbe » s’accorde avec le « sujet du verbe »).
85Comme le rappelait Guy Vincent, « Si Lhomond nomme l’article, le pronom, la préposition, la conjonction, c’est pour habituer l’élève à les isoler graphiquement, alors qu’au xviiie siècle on avait tendance à écrire : j’ai entendu léglise25... » Cependant, Charles François Lhomond prenait sans doute les choses à l’envers : c’est au contraire par la pratique précoce de découpages, de manipulations de mots isolés (par la copie de mots isolés, les dictées de mots, les classements alphabétiques, sémantiques ou phonétiques d’unités graphiques, les « jeux » de construction de phrases à l’aide de mots écrits sur une étiquette, l’apprentissage des espacements graphiques entre les « mots »), que l’on prépare les élèves au savoir grammatical proprement dit. Et, de fait, dans les classes où les élèves ont le plus de difficulté à découper correctement, on ne pratique pas (classe de perfectionnement première année, classe d’adaptation) ou peu (classe de perfectionnement deuxième année) la grammaire dite explicite.
86Les problèmes d’acquisition du « mot » comme unité isolée ont, comme nous l’avons dit, été mentionnés par différents auteurs. Ainsi de Huttenlocher en 1964 – repris par Sylvia Scribner et Michael Cole – qui soulignait la difficulté des enfants anglais à séparer en mots26. De même, Jean Simon note que « L’examen de 50 devoirs de première année primaire permet de dénombrer 35 amalgames ou coupures dont les suivants : – ennalan : en allant ; – on ses tareté : on s’est arrêté ; – on éroparti ; on est reparti27 ». Mais comment peut-on rendre compte de ces difficultés souvent perçues comme irrationnelles par les enseignants (« ils écrivent n’importe quoi »)28 ?
87Les élèves qui ne découpent pas « correctement » semblent indiquer que pour eux, la fonction du langage réside dans son efficace pratique au sein de situations où il est ignoré comme tel. Ce qui compte pour eux, ce sont les situations d’énonciation où le langage agit et où l’on agit par le langage (agir étant à prendre au sens large du terme et non au sens plus restreint que lui ont donné les pragmaticiens, c’est-à-dire autant au sens d’informer, d’émouvoir, de faire peur, de commenter que de juger, promettre, condamner, etc.) et non le langage en tant que tel (per se) détaché des situations de production du sens dans les multiples échanges verbaux. C’est seulement lorsque l’on croit que tout sujet parlant parle avec des « mots », c’est-à-dire lorsque le lettré (enseignant ou linguiste) met dans la tête des élèves ce que lui-même a dans la tête du fait de ses propres pratiques langagières (et, en particulier, de ses pratiques d’écriture), que l’on peut penser à une pathologie de langage. Si, en effet, on pense que chaque « mot » renvoie à un signifié, alors les élèves qui écrivent « se té a rivé » (« c’était arrivé ») ou « se maine » (« semaine »), ne peuvent être perçus que comme des cas pathologiques (« S’ils écrivent “Il faut qu’il arrive”, celui qui écrit “il faut qui” plus loin “l’arrivé”, “l” apostrophe, ça prouve qu’il n’a pas compris la phrase » ; « Si on n’a pas le découpage correct, c’est que le sens n’a pas été saisi »).
88Or, comme nous l’avons vérifié au cours d’interactions avec les élèves, écrire des « mots » attachés ou les tronçonner en plusieurs morceaux n’empêche pas la compréhension. Et ceci ne peut s’expliquer que si l’on fait l’hypothèse que, pour eux, le langage agit toujours à l’intérieur de situations dans lesquelles il n’apparaît pas comme tel et que, par conséquent, l’idée d’unités de sens, d’association entre un signifiant et un signifié n’a pour eux guère de sens. Ces élèves ne vivent pas socialement des situations qui nécessiteraient la prise de conscience répétée et fréquente des éléments du langage, ils ne vivent pas les mêmes jeux de langage29 (au sens de Ludwig Wittgenstein) que ceux que suppose et développe l’école. L’insensibilité aux découpages « corrects » est l’indice d’un rapport au langage et au monde, et non l’indice d’une mécompréhension en soi.
89Là encore, dans le cas des « mauvais découpages », on peut dire que le modèle saussurien est adéquat pour rendre raison du travail scolaire sur les « mots » (isolés, classés), mais qu’il est insuffisant, dans la mesure où, se présentant comme un modèle théorique, général, universel, il ne permet pas de comprendre les « mauvais découpages ». Inversement, ce n’est pas un hasard si l’on peut trouver appui sur les phénoménologues pour comprendre les difficultés des élèves d’origine populaire face aux tâches scolaires. Merleau-Ponty (mais on pourrait citer aussi bien Bakhtine) écrivait ainsi que le sujet parlant « se jette dans la parole sans se représenter les mots qu’il va prononcer30 ». Mais la proposition du philosophe est invalidée à l’école et dans de nombreuses situations scolaires ou quasi scolaires hors école.
90Parmi les chercheurs ayant abordé le problème de segmentation en « mots », Scribner et Cole confortent nos propres hypothèses31. Leur recherche permet à la fois de relativiser la notion de « mot » en rapportant celle-ci aux types de pratiques d’écriture qui sont les « nôtres », à savoir les pratiques scolaires alphabétiques et grammaticales d’écriture, et de montrer que parler des effets cognitifs de l’écriture en soi comme l’ont fait de nombreux auteurs n’a guère de sens : il y a premièrement des écritures différentes et deuxièmement des pratiques d’écriture différentes, organisées dans et organisant des relations sociales différentes (ce que souligne notre concept de formes sociales scripturales).
91De même, au cours de plusieurs recherches, la psychologue argentine Emilia Ferreiro a mené des investigations très proches des nôtres auprès d’enfants d’âge préscolaire (entre 4 et 6 ans) et d’adultes analphabètes ou quasi analphabètes, pour tenter de comprendre de quelle façon des individus n’ayant eu que peu de rapport direct avec les pratiques d’écriture se représentaient l’écriture et, en particulier, les segmentations propres à l’écrit. Ce que montrent ses recherches, c’est l’extrême difficulté des adultes analphabètes et d’une partie des enfants à considérer le langage comme un objet composé d’éléments séparables les uns des autres qui a sa logique propre, un fonctionnement interne particulier, c’est-à-dire hors de toute référence au « monde », aux univers qu’il permet de construire32.
92Le testeur présente aux adultes une phrase écrite sans les séparations, lit le contenu de la phrase et leur demande quelles séparations ils considèrent « possibles ou nécessaires ». Ferreiro conclut : « Parmi les 34 cas pour lesquels nous possédons des données, il apparaît clairement que pour la plupart d’entre eux [...] il n’y a pas de raison qui s’impose, pour séparer33. » Ainsi Trinidad (55 ans) considère-t-elle que, si le texte « mi-compadre-come-tacos » (mon ami mange des tacos) est coupé alors c’est « qu’il ne mange plus », « Oui, je l’ai coupé, donc il ne mange plus34 ». Couper la phrase, c’est séparer, mettre une distance réelle entre l’ami et les tacos et, en tout cas, c’est comme cela que Trinidad interprète le discours du testeur qui, lui, suppose que soit considéré le langage en tant que tel. De même Reinalda (24 ans), à qui on demande si « ça ne fait rien que les lettres soient toutes ensemble ? » et si elle pense qu’il faut « mettre des séparations », répond : « Oui, si mon ami mange des tacos et pour... il sort dans la rue pour manger des tacos... là il s’éloigne. » Lorsqu’on lui fait remarquer qu’ailleurs (dans « L’enfant aide le grand-père ») on a écrit avec des séparations, elle explique que « là il y a l’enfant et le grand-père et là (mon ami mange des tacos) il n’y a que l’ami35 ». Là encore, les termes qui servent à désigner une activité exercée sur le langage en tant que tel sont interprétés en termes d’actions possibles du personnage que met en scène l’énoncé (il « sort », « s’éloigne »). Dans l’autre phrase, les séparations sont justifiées par la présence de deux personnages puisque Reinalda ne parvient pas à adopter une disposition vis-à-vis du langage qui lui permettrait de saisir les découpages entre « mots ».
IV. Les problèmes de compréhension en lecture
1. Présentation du problème
93L’étude de ce que l’on peut appeler la lecture-compréhension est sans doute, dans l’état actuel de nos connaissances scientifiques, l’une des plus difficiles à mener qui soit. En effet, l’acte de lecture est un acte à la fois très complexe et invisible. Complexe parce qu’il met en œuvre de nombreuses compétences : savoir déchiffrer, savoir produire du sens face à un ensemble de formes linguistiques, maîtriser les mots du texte, sa syntaxe, être en mesure de comprendre une construction langagière explicite qui construit son propre contexte, etc. Invisible parce qu’il laisse, en tant que tel, peu de traces étudiables : la lecture à haute voix informant mal sur la compréhension du texte, les réponses aux questions écrites sur le texte ou les entretiens avec les lecteurs n’étant que les produits finaux mettant eux-mêmes en jeu d’autres compétences, etc.
94Malgré tout, ce sujet a fait l’objet de multiples ouvrages spécialisés (pédagogiques, psychopédagogiques, linguistiques...) : la profusion des thèses, des interprétations opposées et concurrentes n’a de sens que par rapport à la difficulté d’accès à l’objet. Moins un objet est scientifiquement facile d’accès et plus les discours se multiplient ajoutant à la difficulté d’accès propre à l’objet leur propre effet d’obscurcissement36. Ce que nous allons donc tenter de faire, c’est d’essayer de délimiter certaines situations-types en matière de « difficultés scolaires » à la lecture-compréhension et de livrer des pistes permettant de rendre raison de ces situations.
95Comme l’indiquait très clairement le cahier de préparation d’un maître d’une classe de CP-CE1, la première limite que rencontrent les élèves pour produire du sens dans leur lecture n’est autre que leur difficulté à déchiffrer. Alors que les élèves du groupe « faible » continuent, du fait de leurs problèmes de déchiffrage et d’analyse de la chaîne sonore, à faire des exercices mettant en jeu la combinatoire, les élèves de l’autre groupe apprennent déjà à répondre à des questions sur des textes lus à haute voix ou silencieusement.
96C’est aussi ce que fait ressortir l’étude de James Collins aux États-Unis portant sur deux groupes de lecture, l’un composé d’élèves « forts » en lecture issus de familles exerçant des professions libérales et l’autre composé d’élèves « faibles » issus de familles ouvrières. Les différences précoces entre élèves des deux milieux sociaux font que les enseignants passent plus de temps avec le « low-group readers » à pratiquer des exercices de reconnaissance de sons (« extensive sound-word identification drill ») et à corriger les correspondances entre graphèmes et phonèmes qu’à poser des questions ou à centrer l’attention des élèves sur la compréhension sémantique. Ainsi, les enseignants passent-ils avec le low-group 3,5 fois moins de temps qu’avec le high-group aux exercices de questions sur le texte et presque deux fois plus de temps aux exercices de déchiffrage de lettres ou de mots isolés. Le high-group ne pratique plus du tout les dictées ou les copies de lettres ou de mots. D’un côté, les membres du low-group « lisent avec de longues pauses entre les mots et placent fréquemment des accents toniques sur tous les mots dans un passage. Le processus est comparable à la lecture des mots d’une liste37 », de l’autre les membres du high-group ont plutôt « certaines caractéristiques intonationnelles de la lecture adulte non saccadée à voix haute38 » et ne lisent pas mot-à-mot (« word by word »). De plus, lorsque les enseignants corrigent les élèves, ils font plutôt répéter des mots isolés de la phrase aux membres du low-group et plutôt l’ensemble de la phrase par le high-group. Du fait de leur difficulté de déchiffrage et d’analyse de la chaîne sonore, les élèves des familles ouvrières ont donc des difficultés à comprendre le sens des phrases :
les contextes de lecture dans les leçons du groupe faible sont généralement si fragmentés par les hésitations, les corrections des mauvaises prononciations, du dialecte et des échecs dans la reconnaissance des mots, de même que par les désordres venant de l’intérieur et de l’extérieur du groupe, que la compréhension synthétique est difficile à atteindre39.
97Mais savoir déchiffrer ne suffit pas pour comprendre ce qu’on lit. Lorsque les élèves sont capables de déchiffrer ou que le problème de déchiffrage ne se pose pas dans la mesure où les mots sont tous connus globalement des élèves, le problème de production du sens du texte n’est pas résolu pour autant, et ce, quelle que soit la classe considérée. L’élève peut déchiffrer sans sens. Au CP : « Ils déchiffrent, mais ils n’arrivent pas à faire le lien avec le sens » ; « J’ai vu des enfants ne rien comprendre à des phrases ultrasimples, ne pas pouvoir les lire, ce n’est pas parce qu’ils manquaient de technique de lecture, ils déchiffraient, mais je leur demandais “de quoi ça parle ?”, ils ne savaient pas » ; en classe de perfectionnement deuxième année : « J’en ai qui lisent bien, mais qui ne comprennent rien du tout, pas un mot de ce qu’ils disent, au niveau déchiffrage, c’est absolument parfait, on jugerait qu’ils comprennent, d’ailleurs j’ai bien dû mettre un mois à m’apercevoir qu’en fait ils ne comprenaient strictement rien » ; au CM1 : « Tu as des gosses qui vont lire très bien à l’oral et qui ne vont pas être capables de répondre à cinq questions de lecture sur dix, ils vont bien te déchiffrer, te lire, qui vont connaître tous les sons mais qui ne comprennent pas » ou encore parfois à 17 ou 18 ans en CFA : « Je fais entendre un texte enregistré et on essaye de déterminer quel est le sens du texte, et c’est là que c’est catastrophique, parce qu’il y a 80 à 90 % de la population qui n’est pas capable de déterminer le contenu général du texte, ils n’ont pas compris ».
98Le problème de lecture-compréhension ne s’arrête pas aux séquences de lecture proprement dites. En mathématiques, par exemple, la plus grande difficulté des enfants, et tout particulièrement des enfants des classes populaires, consiste à comprendre l’énoncé (« Vous leur donnez un texte, ils vous le lisent, mais le même qui a lu ne comprend pas un traître mot à ce qu’il lit, par exemple, les situations-problèmes en maths, là, c’est flagrant : “Lis ton problème”, impec., bonne lecture audible, articulée, pas d’hésitation. “Relis-le encore une fois, Bien ! Quel est le légume dont on parle, si c’est une histoire de marché, dont on te parle là-dedans ?” “Un légume ? Y’a un légume dans le problème ?”, “De quelle unité il est question dans ce problème, est-ce qu’on parle de masse, de longueur, de durée ?”. Rien [...] c’est très lié au français, la situation de problème, parce qu’un problème, on vous donne un énoncé qui est un texte de français à partir duquel on doit comprendre les renseignements, comprendre les questions qu’on vous pose, bâtir des réponses, c’est un sacré exercice de français et alors là, c’est criant, on n’arrive plus en CM2 »)40.
2. Les classes de perfectionnement première et deuxième année
99En classe de perfectionnement première année, tout est signe de désinvestissement par les élèves du « sens » des phrases qu’on leur fait manipuler : des exercices de vocabulaire aux exercices de constructions de phrases sans cohérence (et nous traiterons de ces aspects au cours du chapitre suivant) en passant par les exercices de lecture consistant à dire si la phrase a un sens ou non, etc. Les élèves de cette classe, du fait de leur problème de déchiffrage et des multiples exercices qu’ils subissent depuis le cours préparatoire pour y remédier, finissent par réduire les travaux d’écriture à la fonction de codage et à désinvestir peu ou prou la production de sens.
100En classe de perfectionnement deuxième année, les élèves éprouvent des difficultés pour répondre aux questions posées à propos d’un texte de lecture. Cependant, leurs difficultés semblent ne pas être spécifiques à la lecture proprement dite. En effet, dès qu’ils sont confrontés à un discours un peu long et formel de l’enseignant, les mêmes difficultés de compréhension apparaissent (« Quand ils ne comprenaient pas au début ce qu’ils lisaient, c’était drôle au niveau des explications que je leur donnais, j’avais l’impression qu’ils comprenaient ce que j’étais en train de raconter, alors que pas du tout, ils ne comprenaient rien du tout, alors je m’en apercevais au niveau des résultats des exercices [...] je crois que c’est l’ensemble de la phrase qu’ils ne comprennent pas. Des mots tous seuls, je pense qu’ils sont capables de les comprendre mais une phrase formulée en tant que phrase, alors là, ils sont perdus, je suis sûre que dès que je parle avec une phrase un peu longue, j’en ai qui ont complètement décroché, qui ne savent plus du tout où ils en sont »). Il semble que soit en jeu ici une forme de relation sociale (écouter un monologue, être face à ce monologue figé qu’est le texte écrit) et indissociablement un type de genre discursif qui permet d’établir une telle forme de relation sociale (avec ses caractéristiques socio-logico-linguistiques propres), davantage qu’une situation empiriquement saisissable comme acte de lecture.
101Les élèves, dans les questions de lecture, même lorsque le texte et les questions sont lus oralement par la maîtresse et / ou par eux auparavant, ne parviennent pas à répondre aux questions posées (« Ce sont des questions où on leur demande de chercher des réponses dans la lecture, ils ne sont pas capables d’aller, de retourner chercher dans un paragraphe un mot spécial [...] on fait beaucoup de lecture en silence et, soit je pose des questions oralement, soit je donne des fiches de questions, alors il faut qu’ils cherchent dans le texte parce qu’ils ne se rappellent plus, il faut retrouver, par exemple, si le chat était noir, blanc ou gris, ça fait relire et tout ça, ils n’aiment pas bien, ils répondent souvent n’importe quoi pour se débarrasser »).
102La situation de lecture silencieuse suivie de questions sur le texte n’est qu’un cas particulier de la situation typiquement scolaire de contrôle par examen. L’élève a un énoncé écrit de départ et des réponses (dont les formes varient) à apporter à une série de questions, individuellement et le plus souvent en temps limité. Or ce genre de situation sociale met particulièrement en difficulté les élèves des classes de perfectionnement comme nous avons pu le constater à de nombreuses reprises :
Ainsi, lors d’une séance, l’instituteur de classe de perfectionnement deuxième année leur explique que dans quelques jours ils passeront un contrôle (grammaire, orthographe, vocabulaire, mathématiques). Les élèves n’ont, en effet, pas l’habitude d’être mis en situation aussi formelle du fait même de leur situation d’« échec scolaire », car les enseignants responsables des classes de perfectionnement savent que ces situations sont plus sélectives. Le maître leur dit qu’ils devront travailler seuls et non en groupe comme d’habitude, qu’il ne répondra à aucune question et qu’enfin ils auront un temps limité pour réaliser les exercices de contrôle.
Le jour du contrôle, le maître fait lire les phrases, sur lesquelles porte l’exercice de grammaire, au tableau pour s’assurer que tout le monde les a entendues, puis expose oralement en quoi consiste l’exercice de grammaire (évitant ainsi les problèmes de déchiffrage des consignes : il s’agit de transformer des phrases affirmatives en phrases interrogatives, et ce, de deux façons, « Est-il allé ? », « Est-ce qu’il est allé ? ») et fait même un exemple au tableau. Puis, après avoir donné toutes les consignes et rappelé les erreurs à ne pas commettre, il fait changer les élèves de place pour les séparer. Malgré les consignes du maître, les élèves essaient de se « parler ». Le maître passe dans les « rangs » et leur donne tout de même des informations, se rendant compte que certains se trompent dès le départ : « Vous changez des mots ! ». Il refuse toutefois de répondre aux questions particulières. Après avoir refait un tour dans les rangs, il dit : « “Est-il passerez nous voir la semaine prochaine ?” est-ce que ça veut dire quelque chose ? » Les élèves essaient de discuter avec lui, mais il dit : « Non, c’est tout ! Relisez ce que vous écrivez ! » et il efface l’exemple qu’il a laissé au tableau car beaucoup d’élèves essaient de se « raccrocher » à la phrase de l’exemple et cela les amène à commettre des fautes. Le maître répond au cours de la séance tout de même à certaines questions :
S. : Maître, j’ai supprimé un mot, j’ai pas le droit ?
M. : Non !
Puis S. (12 ans, père : ouvrier, mère : sans profession) dit : « J’peux pas l’faire de tête ! »
Le maître, voyant que le contrôle est un « échec » total, finit par donner des informations individuelles : « Tu as oublié des petits mots », « Est-ce que cette phrase se dit ? », « Relis ce que tu as écrit ».
En fin de contrôle, le maître m’explique que ces phrases ont été vues à de nombreuses reprises auparavant et que le type d’exercice qu’il leur a donné a été pratiqué depuis le début de l’année scolaire (nous sommes le 9 décembre 1986) et me dit : « Le problème, c’est que je suis obligé de les mettre en échec pour leur dire qu’il faut faire quelque chose. Ils vont se retrouver en SES ou s’ils veulent aller au LEP, il faut qu’ils s’habituent à ce genre de situation. »
103Il faut bien préciser qu’en classes de perfectionnement première et deuxième année les élèves travaillent officiellement et / ou officieusement en groupe, et en rapport constant avec les enseignants. Ces pratiques vont de l’entraide (ils s’expliquent mutuellement) aux « copies » (les élèves vont voir les réponses des autres et les recopient sur leur cahier), en passant par les demandes d’information au maître ou entre élèves et les véritables ruses, tactiques (qui consistent par exemple à poser des questions au maître pour en déduire les bonnes réponses et, souvent, à « prêcher le faux pour savoir le vrai »). Il est inutile d’insister sur le fait que l’ensemble de ce fonctionnement permet aux élèves de vivre une vie de classe truffée d’enjeux et de compétences extrascolaires. Ainsi, par exemple, profiter de son prestige de leader pour forcer à donner une réponse, échanger des réponses contre des bonbons, prêcher le faux auprès du maître pour savoir le vrai, etc. Tout oppose cette situation, qui n’est relativement admise par les enseignants que parce que ces élèves sont déjà en « échec », permettant de multiples dérives extrascolaires et une réappropriation non scolaire du temps officiellement scolaire, à la situation d’examen ou de contrôle qui, de par ses modalités (examen individuel, réalisé en silence, sans communication entre élèves ou entre élèves et maître, en temps limité), élimine toute dérive extrascolaire ou plutôt n’en permet qu’une seule : la non-réponse.
104Les difficultés qu’éprouvent les élèves de ces classes dans les rares situations d’examen sont perçues par les enseignants en termes de « non-autonomie » ou de « non-attention », « éparpillement » comme on le constate à la lecture des remarques des enseignants insérées dans les cahiers (« O. s’occupe trop de ce que font les autres. Son travail est insuffisant. Il doit apprendre à devenir autonome et à travailler seul. » ; « Il faut qu’il fasse un gros effort d’attention et de concentration » ; « Son rythme est très lent parce qu’elle ne fait pas attention à son travail, mais qu’elle se laisse distraire par tout ce qui l’entoure. » ; « A. ne fait attention à rien [...] il pense surtout à embêter les autres et à jouer. »).
105Enfin, une série de difficultés rencontrées par les élèves des classes de perfectionnement en lecture-compréhension semble être liée aux particularités formelles des textes de lecture :
Les élèves de classe de perfectionnement deuxième année ont des difficultés à comprendre la question du maître lorsque celui-ci demande si, dans le texte de lecture, tel personnage parle ou non ; l’objectif du maître étant de faire appréhender aux élèves la différence entre le discours direct (la « parole » du personnage est mise en scène par le narrateur) et le discours indirect (dans le texte, un des personnages raconte en rapportant la parole d’un autre personnage : « L’institutrice me demanda de me lever et d’épeler le mot chat. »). Les élèves, eux, soutiennent que l’institutrice parle :
A. : « Demander », c’est qu’elle parle, hein !
Maître : Non, c’est toujours la petite fille qui raconte l’histoire.
[...]
Puis le maître propose de réécrire le texte en faisant parler l’institutrice elle-même (passage du style indirect au style direct) et S. dit : « Ouah ! Ça fait longtemps qu’elle parle ! »
Les élèves ne parviennent pas à distinguer ce qui est de l’ordre de la mise en scène textuelle, de sa construction formelle (la mise en scène d’une « parole »), de ce qui est de l’ordre de l’univers construit par le texte. Pour eux, si la petite fille dit « L’institutrice me demanda de me lever... », c’est que l’institutrice « parle ». L’instituteur, lui, veut montrer aux élèves que dans la construction formelle du texte, l’institutrice ne parle pas, sa parole n’est pas mise en scène. Ce type de dialogue de sourds ou de malentendu qui est souvent perçu comme un « défaut général de compréhension » par les enseignants, a pour principe (comme les dialogues de sourds entre adultes analphabètes et psychologues cités plus haut) une profonde différence dans le type d’usage qui est fait du langage (on use du langage pour comprendre ce qui est dit, pour reconstruire le monde possible auquel renvoie l’énoncé ou bien pour saisir les différences formelles de l’énoncé, les marques explicites, linguistiques laissées par le « locuteur ») et finalement dans le type de rapport au langage et au monde qu’on met en œuvre.
3. Du CP au CM2
106On retrouve les mêmes types de difficultés dans des situations analogues au sein des classes du CP au CM2. Les élèves répondent « n’importe quoi » aux questions écrites (« Il y a des questions écrites où ils sont complètement dépassés, ils n’y arrivent pas » ; « Alors N. il n’a rien compris, “Que fait-on après le ski ?”, il écrit : “Maître a mis un pull de laine”, il a mis n’importe quoi [...] il a pris n’importe quoi, il a pris un mot n’importe où » ; « Quand il y a une fiche à faire en maths, ils font, ils écrivent, mais c’est n’importe quoi, c’est du gribouillis, ils ne comprennent pas ce qu’il faut faire ») et recopient souvent les questions ou des morceaux du texte au hasard (« Quand il y a des mots à remettre dans l’ordre, il y en a qui écrivent “suis un je lutin” par exemple, qui se contentent de recopier » ; « Elle a copié des morceaux de lecture, mais, voyez, elle n’a pas compris » ; « Ce ne sont pas des choses idiotes qu’elle a écrit, elle a bien pris dans le texte, ça, elle a bien retenu que j’avais dit que les réponses étaient dans le texte, mais elle a pris n’importe où » ; « Ah, elle n’a absolument pas compris, elle a carrément recopié la question, elle a recopié, elle n’a même pas compris qu’il fallait aller chercher dans le texte, “Où est Carole ?”, elle écrit : “Carole où est camarade”, ça ne veut rien dire » ; « Si l’enfant n’a rien compris, il écrira n’importe quoi ou il se contente de recopier un petit bout de phrase pour avoir des mots sur la feuille »).
107Ils éprouvent, de même, des difficultés à reconstituer les relations que tissent les éléments et les articulations du texte (« “Qui a écrit une carte postale ?”, “Charlotte a reçu une carte postale”. Elle a bien pris dans le texte quelque chose, mais elle n’a pas compris que Charlotte a reçu une carte postale de sa camarade Carole » ; « Quand on fait le premier livre qui s’appelle Lis tout, les enfants peuvent tout déchiffrer avec les connaissances qu’ils ont, je leur fais rechercher qui c’est “il”, alors il faut retrouver un peu plus haut dans la lecture et ça, ils y arrivent difficilement »).
108Ils « échouent », enfin, en situation proche de l’examen, sans aide directe possible, sans dialogue avec l’enseignant (« On n’arrive plus vraiment à ce que l’ensemble des gamins se débrouillent seuls devant le problème, il faut toujours le lire ensemble, “t’as bien compris que... ? Bon d’accord, on te disait ceci ou cela”, il y a besoin d’un dialogue, enfin, en tout cas, l’enseignant en sent la nécessité, parce qu’autrement, c’est une catastrophe complète, alors de temps en temps, je me dis “Non, mais ce n’est pas vrai, tu ne vas pas leur dire ça”, alors des fois je dis “Bon, demain, on fait un test, on joue le jeu, photocopie, vous l’avez sur la table, vous avez une demi-heure”, on ramasse et on constate, alors je constate : cinq élèves n’ont pas zéro alors qu’avec le petit dialogue précédent ils vont tous faire un morceau du problème, c’est un phénomène ça ! Ils ne sont pas autonomes, ils ne savent pas tirer du texte écrit ce qu’ils ont besoin et on retrouve la même chose au point de vue lecture-document, en CM2, donnez un travail de groupe, donnez des documents en vrac et les gamins vont pouvoir en tirer l’objet de leur recherche, ça n’est pas triste, il ne faut pas être ambitieux, c’est-à-dire qu’il faut mâcher le travail avant »).
4. Rendre raison de ces difficultés
109Comme nous y invite Pierre Bourdieu, il est important de départiculariser l’acte de lecture pour le comprendre41. Mais on peut le départiculariser en le constituant comme une situation typique permettant de comprendre une série de situations sociales. C’est ce que nous avons fait en indiquant que la situation du lecteur face à un texte était proche de celle de l’élève écoutant un monologue un peu long et formel de l’enseignant ou l’enregistrement d’un texte de lecture. S’il s’agit de départiculariser, c’est contre toute conception empiriste-positiviste de l’acte de lecture comme acte engageant un individu et un texte écrit.
110On peut, dès lors, saisir comment, dans des situations « orales » particulières, des êtres sociaux se trouvent dans une position de lecteurs qui déchiffrent un message, une construction formelle, sans coproduction possible du sens. Comme nous l’avons remarqué, la situation de lecture, au sens restreint du terme, met en scène un lecteur et un texte, un être social et un ensemble de formes linguistiques mortes. Le lecteur a donc affaire à une construction discursive, un genre discursif qui a été produit avant et en dehors de son intervention, par un scripteur s’efforçant de produire un discours intelligible en lui-même, auto-suffisant, c’est-à-dire sans l’apport du contexte dans lequel il écrit, sans l’information que donnent les intonations, les gestes, les mimiques, etc.
111Si toutes ces conditions ne sont réunies que dans l’acte de lecture au sens restreint du terme, il faut toutefois remarquer qu’on les retrouve dans de nombreuses autres situations sociales : la conférence, le cours magistral, les discours politiques, religieux formalisés, etc. Ces situations de monologue long, formel mettent les auditeurs en situation de lecteurs, ce que montre bien à la fois le fait que le discours soit souvent lu ou produit par un être social ayant totalement intériorisé ce type de genre discursif écrit, et que les auditeurs, pour s’approprier un tel discours, soient souvent obligés de prendre des notes comme ils le feraient à partir d’un texte.
112De plus, si l’on pose que formes de relations sociales et pratiques langagières (genres discursifs) sont indissociables, la question : « Est-ce la situation sociale de communication qui est cause de la mauvaise compréhension en lecture ou bien est-ce plutôt une difficulté liée aux propriétés linguistiques caractéristiques des textes (leur “complexité”) ? » n’a plus aucun sens. En effet, les propriétés linguistiques des textes sont celles qui sont rendues nécessaires par la situation, c’est-à-dire par les formes que prennent les relations sociales et, inversement, quiconque est placé de façon récurrente dans de telles formes de relations sociales ne peut que produire de telles constructions linguistiques, les pratiques langagières étant constitutives des formes de relations sociales.
113Le fait que les élèves « en difficulté » dans les exercices de lecture-compréhension aient du mal tout à la fois à produire du sens sans dialogues, face à un monologue figé, et à maîtriser les articulations propres à un texte de lecture (par exemple, que « il » représente tel personnage dont le prénom a été énoncé plus haut, c’est-à-dire que « il » est en relation anaphorique avec le prénom du personnage) apparaît en ce sens tout à fait cohérent socio-logiquement. Le cas rapporté par une institutrice de CP à propos des difficultés à retrouver les liens entre « il » et le prénom du personnage, ce qu’« il » fait, etc., est tout à fait typique des problèmes rencontrés par les élèves face à des textes de lecture.
114L’enfant doit donc construire le contexte qui permet d’interpréter les différents éléments d’un texte. Cela suppose que l’enfant devienne « moins dépendant du contexte situationnel immédiat dans son usage du langage42 » et, par exemple, qu’il sache que des mots doivent être interprétés comme des déictiques qui trouvent leur ancrage spatiotemporel dans la situation du personnage dont la parole est mise en scène, et que d’autres doivent être interprétés comme des signaux de référence interne au texte (Marie marchait, elle allait...).
115Les questions que posent les enseignants aux élèves, ou bien les questions qu’ils demandent aux élèves de se poser face à un texte, même si elles ne prêchent que des scolairement convertis (ceux qui savent déchiffrer, ceux qui ont déjà une expérience de lecture dans leur famille, ceux à qui on a lu des récits écrits et qui en connaissent le genre discursif, ceux qui ont un usage explicite du langage, se rapprochant le plus des nécessités du récit écrit43) sont bien des « techniques » d’acquisition du mode d’appropriation adéquat des textes (« Quand on veut avoir l’essentiel du texte, il faut leur poser les questions précises pour arriver, avec leurs réponses, à obtenir l’essentiel et ça, je pense que c’est un carcan peut-être au départ, mais qui les aide, et c’est comme si on leur donnait une démarche d’esprit pour se poser des questions qui vont les aider à trouver, parce que c’est comme en grammaire, quand on veut qu’ils arrivent à trouver le sujet, le verbe, eh bien, on leur donne des habitudes, on leur dit “De qui parle-t-on ?” si on parle de quelqu’un, c’est lui le sujet, “Qu’est-ce qu’il fait ?”, la réponse à cette question, c’est le verbe ; c’est peut-être un dressage, mais jusqu’à ce qu’ils comprennent réellement le sens de ce qu’on veut faire, je crois que ça n’est pas sélectif, mais qu’au contraire, ça les aide... On peut leur donner des habitudes de travail, premièrement, toujours se demander de qui on parle, quels sont les personnages, où se passe l’histoire, qu’est-ce qui se passe, quelles sont les actions, est-ce qu’il y a des personnages qui arrivent en plus, comment se termine l’histoire ? »).
116L’enseignant, par ses questions, essaie de rendre explicite le temps, l’espace, les objets, les personnages, les relations entre événements pour faire passer les élèves d’un usage du langage dépendant de la situation à un usage du langage dépendant du texte et les aider à se détacher du fonctionnement langagier dans un contexte immédiat44. De même, lorsque les élèves de la classe de perfectionnement deuxième année interprètent la question du maître : « Dans le texte l’institutrice parle ou ne parle pas ? » dans le sens « Peut-on déduire à partir de ce que le texte nous dit si oui ou non l’institutrice a parlé ? » au lieu de comprendre « La parole de l’institutrice est-elle formellement – avec des guillemets, sous forme de dialogue – mise en scène par le texte ? » ils privilégient la dimension pragmatique (elle « demande », donc c’est qu’elle « parle ») par rapport à la dimension formelle (le style est indirect, l’auteur ne fait pas parler l’institutrice), montrant ainsi que, pour eux, le langage n’est jamais dissociable de la situation (imaginaire ou réelle) qu’il permet de raconter, décrire...
117Les situations d’« échec » face aux questions de lecture rencontrées par les enfants d’origine populaire montrent que ces derniers ont des difficultés à se comporter de manière adéquate, ne parviennent pas à adopter la bonne position face à un texte écrit. Les deux situations rapportées (l’une observée en classe de perfectionnement deuxième année, l’autre décrite par un enseignant de CM2), et qui ont valeur de test, dans le sens où elles montrent l’apparition de comportements radicalement différents dès lors que les conditions socio-langagières d’effectuation de l’exercice sont modifiées, sont tout à fait éclairantes à cet égard. En classe de perfectionnement deuxième année, les élèves s’avèrent incapables de faire seuls et correctement l’exercice de grammaire du contrôle. Ils tentent de parler entre eux, de poser des questions au maître, ils le forcent, peu à peu, à répondre à des questions, à faire des remarques générales pour donner des indices, etc. Le commentaire d’un élève (« J’peux pas l’faire de tête ! ») est aussi révélateur du besoin d’appuis extérieurs de ces élèves. En CM2, le maître s’étonne (« C’est un phénomène, ça ! ») de ce que les élèves placés en situation stricte d’examen soient dans leur grande majorité en situation d’« échec » total alors qu’« avec le petit dialogue » qu’il fait précéder et qui consiste à relire l’énoncé du problème, à expliciter certains éléments importants (« Tu as bien compris que... ») « ils vont tous faire un morceau du problème ».
118Les élèves en « échec » dans ce type de situation ne parviennent pas à traiter le langage comme une construction formelle explicite et à poser les questions adéquates qui leur permettraient de produire du sens en interaction avec un texte. Or, comme on sait par ailleurs que c’est dans les milieux où les parents sont dotés des plus forts diplômes que s’instaurent les échanges familiaux les plus étroits sur les problèmes de lecture45, on peut donc supposer que, très tôt, les enfants issus de ces familles apprennent les démarches discursives adéquates qui leur permettent de s’approprier des récits écrits. Une fois que l’enfant a formé dans l’interaction avec ses parents ces compétences, il peut faire face seul aux demandes scolaires. Comme dit Vygotski, l’aide que l’enfant reçoit dans son apprentissage devient « invisiblement présent(e) et impliqué(e) dans la résolution apparemment autonome du problème par l’enfant46 ». Ce n’est donc pas un hasard si les instituteurs qui enseignent dans des milieux populaires se plaignent rituellement de l’absence d’« autonomie » de leurs élèves.
119Toutefois, si l’on peut évoquer les aides directes à la lecture que sont susceptibles d’apporter les parents des milieux bourgeois et petits-bourgeois, il faut de manière plus générale (et contre les réductions positivistes) évoquer la disposition générale à traiter le langage comme un objet autonome, dans ses articulations spécifiques – disposition ou rapport au langage socialement inégalement possédés – que nécessite la lecture d’un texte. Se trouver face à une construction achevée de formes linguistiques (cette énonciation isolée-figée-monologuée47 dont parle Bakhtine) au lieu d’avoir affaire à des énoncés-réponses d’un interlocuteur présent dans une situation d’interaction verbale ; avoir à relier les différents éléments qui constituent le texte au lieu d’interpréter les énoncés d’un interlocuteur en fonction de son intonation, de ses gestes, de ses mimiques, des éléments du contexte immédiat, cela suppose qu’on porte à l’égard du langage une attention toute particulière et que l’on prenne conscience de l’aspect formel, c’est-à-dire de l’autonomie, du fonctionnement interne du langage. Inversement, les problèmes de lecture-compréhension que rencontrent les élèves en « échec scolaire » des milieux populaires sont le signe que, pour eux, le langage n’a le plus souvent de sens que dans son usage interactif, en contexte et dans son efficace pratique.
120L’extrême difficulté qu’il y a, pour le chercheur, à saisir ce qui se passe concrètement dans l’acte effectif de lecture, difficulté liée au fait que la plupart des opérations de lecture restent mentales et que ce dont on dispose n’est que le produit final « heureux » ou « malheureux » de ces opérations (les réponses « orales » ou « écrites » à des questions « orales » ou « écrites »), peut être compensée par l’analyse des productions écrites d’élèves48. En effet, lorsqu’il écrit un texte, l’élève se trouve dans la position de celui qui doit produire une construction formelle sans interlocuteur immédiat et pour un interlocuteur futur qui ne disposera que de cette construction formelle. Il doit donc, là encore, prendre particulièrement conscience de cette construction formelle en tant que telle. Les difficultés, pour de nombreux élèves, à produire un texte scolairement rentable seront donc une mesure tout à fait pertinente de leur capacité socialement constituée à s’approprier un texte scolaire par la lecture.
Conclusion
121Alors que les apprentissages scolaires de la lecture et de l’écriture sont perçus socialement comme des apprentissages scolaires « de base », les premiers degrés d’une instruction allant du simple au complexe (le b-a, ba), il apparaît, à l’observation et à l’analyse des pratiques scolaires de la lecture et de l’écriture, que, loin de constituer le degré le plus « simple » d’instruction, ces apprentissages engagent toute une disposition socialement constituée à l’égard du langage et sont d’emblée constitutifs de différences au sein de la population scolaire. Les forts taux de redoublement au cours préparatoire enregistrent la difficulté éprouvée par les élèves (surtout de milieux populaires) face à ces « premiers » apprentissages.
122Il faut donc saisir (par une reconstruction mentale que rend possible la construction sociologique de la situation scolaire) la spécificité des actes qui consistent à faire manipuler à de jeunes élèves (au moins à partir de l’âge de 6 ans) des lettres, des mots, des phrases, à jouer avec les sons ou avec les mots, à déchiffrer des signes graphiques, à les composer et à les décomposer, à expliciter le « sens » des énoncés écrits (mots, phrases, textes), etc. Ce n’est donc pas en naturalisant l’acte pédagogique d’apprentissage, c’est-à-dire en oubliant les contraintes spécifiques de cet acte, contraintes indissociablement techniques et sociales reconstruites par le sociologue, que l’on peut contribuer à le comprendre et à agir le plus efficacement possible sur lui.
Notes de bas de page
1 Tout au long de cet ouvrage, nous citerons des extraits d’entretiens d’enseignants dans une forme relativement réécrite par rapport à leur forme orale initiale. En effet, le discours peut vite devenir incompréhensible si on le transcrit en respectant au plus près le rythme, les prononciations, les hésitations, etc., des locuteurs. De plus, l’analyse des modalités d’expression des instituteurs et institutrices interviewés ne fait pas partie de notre objet d’étude.
2 C. Doublé, L’Apprentissage des mathématiques chez les enfants d’ouvriers, thèse de doctorat de 3e cycle, Université de Nantes, nov. 1984, montre (sur un effectif de 81 élèves de CM2) que l’écart est de 3,2 entre les enfants d’ouvriers non qualifiés et ceux d’employés et de cadres moyens en ce qui concerne la moyenne des notes de lecture (« lecture à voix haute » + « lecture-compréhension »).
3 Le Français à l’école, langue une et diverse. Compléments aux programmes et instructions du 15 mai 1985.
4 C. Tourayot, C. Rolland & C. Giribone, Au fil des mots. Méthode de lecture et apprentissage de la langue, Paris, Nathan, 1977.
5 A. Goupil, Bigoudi et compagnie. Méthode de lecture CP, livrets 1 et 2, Paris, Nathan, 1985.
6 S. Branca, « Histoire de l’enseignement du français », Le Français aujourd’hui, no 49, mars 1980, p. 85-96 ; « Histoire de l’enseignement du français (suite) », Le Français aujourd’hui, no 50, juin 1980, p. 95-108 et « L’enseignement du français dans les zones rurales au xixe siècle », Le Français aujourd’hui, no 58, juin 1982, p. 89-96.
7 L. S. Vygotski, Pensée et langage, Paris, Messidor / Éditions sociales, 1985, p. 260-261.
8 P. Bourdieu, « Habitus, code et codification », Actes de la recherche en sciences sociales, no 64, sept. 1986, p. 41.
9 A. Chervel, Histoire de la grammaire scolaire, Paris, Payot, 1981, p. 31-32.
10 L. S. Vygotski, Pensée et langage, op. cit., p. 262.
11 C. Tourayot, C. Rolland & C. Giribone, Au fil des mots. Méthode de lecture et apprentissage de la langue, op. cit., premier livret et fichiers d’exercices, no 2 et 3, p. 4.
12 On trouvera un exemple idéal typique à cet égard dans l’ouvrage de J. Foucambert, La Manière d’être lecteur. Apprentissage et enseignement de la lecture de la maternelle au CM2, Paris, OCDL / SERMAP, 1980, 2e éd. L’auteur oppose le « vrai », le « fonctionnel », le « véritable », l’« authentique » et même le « réel » au « pédagogique », pensé du côté de l’« artificiel ». Mais, dès qu’il s’agit de décrire les pratiques « véritables », « authentiques », etc., l’auteur livre des exercices scolaires classiques.
13 É. Bautier-Castaing, « L’authentique désauthentifié : la situation scolaire de productions langagières », Études de linguistique appliquée, no 48,1982, p. 88.
14 Voir B. Lahire, « Linguistique / écriture / pédagogie : champs de pertinence et transferts illégaux », L’Homme et la société, no 101, « Théorie du sujet et théorie sociale », 1991/3, p. 109-119.
15 M. Merleau-Ponty, Phénoménologie de la perception, Paris, Gallimard, 1976, p. 448.
16 M. Bakhtine, Esthétique et théorie du roman, Paris, Gallimard, 1978, p. 170.
17 Voir notamment J. Cook-Gumperz (dir.), The Social Construction of Literacy. Studies in Interactional Sociolinguistics, 3, Cambridge, Cambridge University Press, 1986.
18 H. D. Simons & S. Murphy, « Spoken language strategies and reading acquisition », dans J. Cook-Gumperz (dir.), The Social Construction of Literacy, op. cit., p. 186. C’est nous qui traduisons.
19 J. Morais, L. Cary, J. Alegria & P. Bertelson, « Does awareness of speech as a sequence of phones arise spontaneously? », Cognition, no 7, 1979, p. 323-331.
20 L. S. Vygotski, Pensée et langage, op. cit., p. 264-265.
21 C’est ce qu’a montré, tout au long de son œuvre, Norbert Elias.
22 C. Doublé, L’Apprentissage des mathématiques chez les enfants d’ouvriers, op. cit., p. 206.
23 J. Goody, La Raison graphique, Paris, Éditions de Minuit, 1979, p. 202.
24 A. Chervel, Histoire de la grammaire scolaire, op. cit., p. 31.
25 G. Vincent, L’École primaire française, Lyon, Presses universitaires de Lyon, 1980, p. 118.
26 « They find it hard to separate common English phrases such as “Ido” into words units. », S. Scribner & M. Cole, The Psychology of Literacy, Cambridge / Londres, Harvard University Press, 1981, p. 142.
27 J. Simon, La Langue écrite de l’enfant, Paris, Presses universitaires de France, 1973, p. 301.
28 On peut déjà écarter les explications d’ordre physiologique qu’invoque J. Simon pour rendre raison des coupures qui ne tiennent compte ni de la spécificité de réécriture ni des caractéristiques sociales des êtres sociaux qui découpent « mal » (La Langue écrite de l’enfant, op. cit., p. 303).
29 Voir le chapitre v.
30 M. Merleau-Ponty, Phénoménologie de la perception, op. cit., p. 461.
31 Voir S. Scribner & M. Cole, The Psychology of Literacy, op. cit., p. 146-147.
32 Soulignons toutefois le fait que ces analyses sont celles que nous faisons du matériau de ce chercheur.
33 E. Ferreiro, Los adultos no-alfabetizados y sus conceptualizationes del sistema des escritura, commission « recherche », une recherche d’Emilia Ferreiro, Lyon, nov. 1986, document dactylographié, p. 118. Notons que les mêmes adultes ont des difficultés à découper des mots en syllabes.
34 Ibid., p. 111.
35 Ibid., p. 112.
36 Cette proposition a presque la valeur d’une loi tacite dans l’état actuel du champ des sciences humaines et sociales : la tendance à se tourner vers des sujets difficiles qui apportent beaucoup de reconnaissance et peu à la connaissance est l’indice du fait que les exigences scientifiques – souvent frustrantes car forçant à une forme d’ascétisme et de modestie – sont loin d’être au principe du fonctionnement du champ.
37 J. Collins, « Differential instruction in reading groups », dans J. Cook-Gumperz (dir.), The Social Construction of Literacy, op. cit., p. 126. C’est nous qui traduisons.
38 Ibid., p. 126. C’est nous qui traduisons.
39 Ibid., p. 132-133. C’est nous qui traduisons.
40 C. Doublé, L’Apprentissage des mathématiques chez les enfants d’ouvriers, op. cit., p. 272.
41 P. Bourdieu & R. Chartier, « La lecture : une pratique culturelle », dans R. Chartier (dir.), Pratiques de la lecture, Marseille, Rivages, 1985, p. 218.
42 H. D. Simons & S. Murphy, « Spoken language strategies and reading acquisition », dans J. Cook-Gumperz (dir.), The Social Construction of Literacy, op. cit., p. 192. L’étude socio-linguistique de ces auteurs confirme totalement nos hypothèses.
43 Voir infra, chapitres v et vi sur l’« expression orale » et « écrite ».
44 H. D. Simons & S. Murphy, « Spoken language strategies and reading acquisition », art. cité.
45 F. Fouquier, Lectures de jeunes et pratiques culturelles de classes, thèse de doctorat de 3e cycle, Bordeaux, Université de Bordeaux II, juin 1976, p. 169.
46 L. S. Vygotski, Pensée et langage, op. cit., p. 281.
47 M. Bakhtine, Marxisme et philosophie du langage, Paris, Éditions de Minuit, 1977, p. 107.
48 Voir infra, chapitre vi : « L’architecture des textes ».
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