Chapitre XI. L’hôpital au service de la médecine
p. 201-213
Texte intégral
1En apparence, il s’agit d’un recul des positions hospitalières en la matière. Responsable de l’ensemble de la formation médicale dispensée à Lyon, l’hôpital abandonne la direction de l’École de Médecine. Celle-ci nous échappe donc mais, rattachée au statut général, elle se développe plus largement. L’hôpital y gagne aussi puisqu’il est dégagé des charges administratives et financières de l’école et peut employer le temps et l’argent à des tâches plus directement liées aux soins.
2Le rôle de l’hôpital dans la formation médicale n’est cependant pas fini, bien au contraire. Accueillant les cliniques puis les stages externés, l’hôpital prend dès ce moment le rôle que nous lui connaissons.
3Cette intégration dans le cursus médical universitaire a des incidences ailleurs et le concours de l’internat est réformé. Il semble néanmoins que cette réorganisation est l’un des premiers pas de la prise en mains de l’hôpital par le corps médical.
1 – La réorganisation des études médicales
4Entièrement rattachée aux hospices, l’École de Médecine ne donne satisfaction à personne : elle coûte cher à l’hôpital, l’oblige à se disperser et ne profite guère aux élèves, pénalisés par son statut spécial. Dès la mise en place du nouveau régime, les critiques fusent à nouveau et l’administration hospitalière renouvelée accepte rapidement le principe d’une école de médecine gérée par l’Université. Dégagé de cette charge, l’hôpital veille à la construction de nouveaux locaux, organise, en liaison avec la nouvelle École, les cliniques.
a) La fin de la première École de Médecine (1830-183 7)
5Sans être franchement pire que dans les années précédentes, la situation de l’École de Médecine inquiète tout à la fois les autorités et l’hôpital. Les plaintes diverses montrent que tant pour les locaux, les cours que les enseignants, tout baigne dans l’illégalité et l’improvisation.
6Avant même la Révolution de juillet, le recteur s’inquiète de ce que le cours de médecine clinique qui doit ouvrir le 1er novembre ne l’est pas encore le 1er mars et que la situation n’est ni nouvelle ni exceptionnelle1. Avec le changement de régime, les mêmes accusations sont reprises et amplifiées : « on prétend que plusieurs professeurs et suppléants de cette école ont obtenu de façon peu régulière les chaires ou les places qu’ils y occupent. On ajoute même que quelques-uns d’entre eux manquent de capacité »2. Les réponses de l’administration à ces accusations ne sont guère convaincantes. Les cours sont assez peu réguliers et étendus à une partie de l’année seulement : « quelques professeurs ne font leur cours que pendant un trimestre, ... les études anatomiques ne sont pas continuées au-delà du premier avril » et les cours de clinique internes ne commencent qu’à cette date, « le professeur ayant quelquefois attendu pour l’ouvrir que le temps des grands travaux anatomiques fut passé »3. Beaucoup de professeurs ont été nommés illégalement comme le reconnaît l’administration.
7Indépendants du Conseil de l’instruction publique, les professeurs le sont aussi de l’hôpital puisqu’il existe, en fait, un doyen et un secrétaire général de l’école, nommés par les médecins à l’insu de l’administration hospitalière. Dans ces conditions, quel crédit accorder aux délibérations qui prévoient 6 cours annuels dont 3 sont quotidiens4. On souscrirait plus volontiers à la conclusion d’un rapport de mai 1832 : dans cette école « il n’existe ni direction, ni surveillance, ni ensemble, ni unité et la nomination des professeurs ne dérive point d’un système uniforme »5.
8Les locaux dévolus à l’École de Médecine sont délabrés, insuffisants, morcelés dans les différentes parties de l’hôpital. Les affectations varient selon les années et en 1829-30 « les nouvelles redistributions de salles retardées par la rigueur de l’hiver n’ont point encore (en mars) permis d’assigner au professeur de clinique un local convenable pour faire ses leçons »6. La description de ce qui tient lieu d’amphithéâtre de dissection fait frissonner : « cette interrogation (des cadavres) se fait dans diverses pièces au dessus du dépôt, lesquelles forment l’amphithéâtre de dissection... (il) est étroit, mal carrelé, mal propre, insalubre et manque de plusieurs choses nécessaires à un établissement de cette nature : le carrelage ne se prête point à un nettoiement complet. Il retient les matières liquides et infectes qui n’ont pas assez d’écoulement »... que l’on se figure des « corps tirés du dépôt et portés dans les étages supérieurs, montés et redescendus par un escalier fréquenté, laissant dans plusieurs pièces des signes dégoûtants de leur passage ou de leur séjour et l’on aura une idée de ce qui a lieu dans un des bâtiments de l’Hôtel-Dieu pendant toute la saison des dissections »...7.
9Malgré ses modestes prestations l’école est loin d’être gratuite et les frais d’inscription augmentent en novembre 1832. L’administration porte les droits à 100 F/an pour les élèves externes et 50 F pour les internes, ce qui représente une multiplication par 2,5 du prix exigé. La mesure reste cependant insuffisante puisque, par le jeu des exemptions, des retards, et de la diminution des inscriptions, les droits ne suffisent toujours pas à couvrir la totalité de la dépense. Les effectifs étudiants recommencent à stagner après une légère poussée en 1830 et 1831.
Année | Année | Année | Année | |
1829-30 | 1830-31 | 1831-32 | 1832-33 | |
(%) | (%) | (%) | (%) | |
1er trimestre | 93,00 | 117,00 | 134,00 | 117,00 |
2e trimestre | 84,00 | 98,00 | 124,00 | 101,00 |
3e trimestre | 82,00 | 99,00 | 122,00 | 82,00 |
4e trimestre | 84,00 | 88,00 | 105,00 | 84,00 |
Moyenne trimestre | 85,70 | 100,50 | 121,25 | 96,00 |
% de départs entre le | ||||
1er et le 4e trimestre | – | 24,78 | 21,64 | 28,20 |
10Seules les faibles exigences d’entrée peuvent expliquer que cette stagnation ne se transforme pas en débâcle. En 1832, on ne réclame encore des étudiants qu’un acte de naissance, une autorisation paternelle et un certificat de bonne conduite du maire de leur commune. La fréquentation d’une école publique n’est même pas exigée. Le contrôle des connaissances, réservé à ceux qui n’ont pas le baccalauréat ès-lettres, se borne à faire vérifier par deux fonctionnaires de l’université s’ils savent lire et écrire correctement le français, expliquer au moins les auteurs latins que l’on voit en 3e et s’ils possèdent les quatre règles de l’arithmétique »8. Avec de tels étudiants9, l’on ne s’étonne pas de constater que l’école perd entre un cinquième et un tiers de ses effectifs entre le 1er trimestre et le dernier.
11Si la situatio n’a guère changé, elle suscite, après 1830, une vague de projets de réorganisation.
12Médecins et chirurgiens réclament essentiellement le développement de l’école par la création de nouvelles chaires dont ils demandent, par ailleurs, à être pourvus. Imbert, major de la Charité, reçoit l’autorisation de faire un cours de médecine légale mais c’est une mesure de pure forme. Plus généralement, les professeurs de l’École exigent d’être consultés avant tout changement, ce qu’ils obtiennent.
13Le Ministère de l’instruction Publique témoigne des mêmes soucis en réclamant la création de deux nouvelles chaires (chimie et histoire naturelle), mais il veut en profiter pour reprendre le contrôle de l’école en se réservant la nomination de ces nouveaux titulaires ainsi que celle du directeur. Le ministre réclame aussi l’admission des élèves de 2e et 4e années à la pratique des accouchements dans les salles de la maternité, chose jusqu’alors empêchée par un souci officiel de moralité.
14Menacé par les critiques proférées en 1830-1831 par les autorités sur le fonctionnement de l’École de médecine et la nomination de ses professeurs, le conseil des hospices s’inquiète lui aussi de réformer l’enseignement médical. En 1831, il commence à établir un musée d’anatomie pathologique à l’Hôtel-Dieu, projette l’ouverture d’une bibliothèque pour laquelle il demande des ouvrages à la bibliothèque municipale. Il nomme aussi un prosecteur puis un aide. Obnubilé par le poids de la dépense, le conseil se résigne dès 1832 à l’abandon de la direction de l’École et souhaite la création d’une véritable Faculté de Médecine10. Il demande pour cela le soutien du conseil général qui le lui accorde, sans grand enthousiasme, dans sa session de 183211. Il y a dans cette démarche une véritable rupture avec les attitudes précédentes de l’hôpital, dans lesquelles le maintien du contrôle de l’école l’emportait sur toutes les autres considérations, financières ou scientifiques. La présence de médecins dans le conseil et les commissions chargées de l’École de Médecine n’est sûrement pas étrangère à ce revirement.
b) Le nouveau rôle des hôpitaux dans la formation médicale (après 1837)
15L’administration hospitalière se résout aisément à abandonner la direction de l’École de Médecine. Cette décision inaugure une nouvelle période dans laquelle les hôpitaux, loin de dédaigner toute formation médicale, y apportent une notable contribution, en organisant stages et cliniques.
16L’administration proteste encore le 14 octobre 1837 contre le projet ministériel de nommer, sans l’avis des hôpitaux, deux titulaires des nouvelles chaires de chimie et d’histoire naturelle, mais la résistance est de faible durée puisque l’administration accepte le 26 octobre la nomination du directeur par le ministre et met fin dès ce moment à tout acte de direction, refusant de présider à la séance d’ouverture des cours pour l’année 1837-1838. Elle propose néanmoins « sa coopération dans tout ce qui ne sera pas contraire aux statuts des hôpitaux, à l’ordre et à la régularité des services intérieurs »12. Cette offre n’est pas de pure forme et, pour l’année 1838, la dépense reste à la charge des hospices. C’est encore elle qui propose un projet de bâtiments pour l’École de Médecine, et le présente fin décembre 183913. Il consiste à construire un bâtiment offrant deux amphithéâtres de dissection, deux amphithéâtres de leçons, un laboratoire de chimie, un cabinet de préparations, une bibliothèque prévue pour 15.000 volumes et une salle de lecture, une salle de conférences et une salle de pièces anatomiques, sans compter les pièces réservées aux professeurs et au bureau du secrétariat. Approuvés par le ministre le 26 juillet 1841, les travaux commencent en novembre 1841 (démolitions), les adjudications sont signées en février 1842 et l’école peut être inaugurée en novembre 1844. Avant l’inauguration des nouveaux locaux, l’école reste à l’étroit : deux salles et deux amphithéâtres de dissection. Ceux-ci ont bien changé par rapport à ceux qui existaient en 1830. Certes, il ne s’agit que d’improvisation puisqu’une écurie et un hangar ont été transformés en amphithéâtre : l’écurie de 106 m2 a été divisée et accueille le cabinet du prosecteur, celui du major, un double rang de six tables de dissection, un cabinet d’autopsie. Dans la grande salle le sol est couvert de bitume, muni d’une pente pour l’écoulement, le jour est donné par un ciel ouvert. L’autre amphithéâtre contient également douze tables de dissection. Avant même d’être installée dans ses nouveaux locaux, l’École de Médecine nouvelle manière dispose d’un peu plus de place et d’hygiène14.
17L’hôpital prête également intérêt à l’aide qu’il peut apporter à la formation des futurs médecins et montre en la matière une largeur d’esprit inédite jusqu’en 1830.
18En 1840, le ministre recommande l’établissement de cliniques d’accouchements dans les écoles secondaires de médecine. Or Lyon, malgré son école de médecine, son hospice de maternité et sa taille, n’en possède pas. La commission spéciale convient que « pour exercer avec succès la profession d’accoucheur, il ne suffit pas d’une étude théorique ; il faut absolument avoir assisté des femmes en travail, les avoir accouchées soi-même et avoir été témoin des accidents qui compromettent souvent l’existence de la mère et du nouveau-né ». Elle note également le « paradoxe qu’il y a à autoriser la clinique d’accouchements pour les sages-femmes et non pour les élèves qui aspirent au doctorat et devront faire preuve de supériorité (sur les sages-femmes) dans un art qu’il leur est interdit d’étudier »15. Écartant habilement les préventions morales toujours possibles, la commission mentionne les possibilités d’exclusion, la présence des professeurs et la garantie que l’expérience peut être limitée aux filles qui donneront leur accord. La délibération montre le ralliement du conseil à ces arguments : les élèves de 3e et 4e années seront admis tour à tour pour trois mois à la clinique d’accouchements. Le seul point qui pose problème est celui du responsable de ce nouveau cours de clinique ; l’hôpital tient à ce qu’il soit confié au chirurgien major de La Charité car « il ne saurait y avoir un petit hôpital dans un grand »16.
19Ce même problème empêche la création, avant 1845, d’un cours de clinique externe, prévu dans les ordonnances de 1840-1841 sur l’enseignement médical17. L’hôpital, qui reçoit pourtant satisfaction avec la nomination de trois professeurs adjoints pris parmi les chirurgiens de l’hôpital, ne se presse guère d’établir les mesures propres à l’ouverture du cours de clinique externe.
20Paradoxalement, l’obligation faite aux élèves de médecine d’un stage annuel dans un hôpital, à titre d’externe, pose moins de problèmes, sinon de délais : prévenue le 29 juin 1842 de l’application à Lyon de l’ordonnance du 10 avril sur les stages hospitaliers, l’administration met près de 3 ans pour publier un règlement organisant les stages réservés aux élèves de 2e année de l’école, qui se subdivisent en deux semestres, l’un de chirurgie, l’autre de médecine. Soucieux de profiter lui-même de ce stage, l’hôpital l’exige pour pouvoir postuler au concours de l’internat. Malgré la peur que lui inspire les éventuels désordres liés à ces présences, l’hôpital accepte de devenir un lieu de formation pratique pour des élèves extérieurs à l’établissement et régis par d’autres lois. Hormis ces changements réels, non négligeables pour l’affirmation de la clinique, ces épisodes sont révélateurs de l’état d’esprit de la nouvelle administration. Désormais, les raisons scientifiques et médicales ont plus de poids à ses yeux que sa propre indépendance et que les considérations de moralité auxquelles tenait exclusivement la précédente direction.
2 – Un internat nouveau
a) Les modifications du concours
21L’internat suit naturellement l’évolution de l’École de Médecine et l’administration fait montre à son égard du même état d’esprit. Le concours se fait progressivement plus difficile et moins exclusivement orienté vers la mémoire, car les épreuves pratiques et cliniques occupent une place croissante. Par ailleurs, exigeante sur le plan de la discipline, l’administration sait faire des efforts pour améliorer la situation matérielle des internes.
22Peu de temps après son installation, le nouveau conseil tente de porter remède aux insuffisances du concours de l’internat et de lui donner « plus de garanties de vrai savoir que n’en donnait l’ancien mode qui laissait à la supériorité trompesue de la seule mémoire trop de chances de succès peu méritées ». Désormais, chaque candidat doit justifier de 8 inscriptions (2 ans d’études) et remettre une pièce d’anatomie ou d’anatomie pathologique pour être inscrit. Si les deux épreuves orales restent inchangées, la question de pathologie devient différente pour chaque candidat. La délibération ajoute également une interrogation orale sur l’un des sujets de pathologie interne que le candidat n’a pas traité à l’écrit18. Moins d’un an plus tard, un examen clinique, « meilleur moyen de juger des connaissances, de la capacité et du talent de chaque candidat », est ajouté aux épreuves existantes. Pour préserver « les suffrages de tout ce que la timidité, la partialité ou des affections particulières seraient tentées d’y introduire de contraire à la vérité », un vote motivé et exprimé à haute voix aura lieu dans chaque séance et sur l’ensemble du concours. Toutes ces mesures visent juste pour écarter les tares de l’ancien concours, le favoritisme et la mémoire. Après sept ans d’expérience, cet ensemble de réformes paraît insuffisant et toutes les épreuves sévèrement critiquées19 : la pièce d’anatomie n’est pas préparée sous les yeux des juges et les autres épreuves sont traitées dans des dictionnaires ou livres que les candidats apprennent par cœur. La philosophie du nouveau concours semble très moderne : « il s’agit surtout, puisque les internes doivent faire ce qu’on appelle la petite chirurgie, de prendre des mesures pour que tous n’arrivent auprès de nos malades qu’après s’être livrés aux travaux anatomiques indispensables à leur ministère ». Le concours se doit de privilégier « la pensée et le raisonnement et montrer le style de l’homme qui est tout l’homme lui-même ».
23Les épreuves ne doivent plus séparer « chirurgie et médecine, qui sont deux sœurs inséparables dont l’éducation se fait en même temps ». Le jury doit enfin limiter la présence des professeurs de l’École de Médecine car, par « cela même qu’ils forment d’excellents élèves et auxquels ils s’affectionnent, il est à craindre que de tels rapports ne nuisent à l’indépendance de leurs suffrages, surtout lorsqu’il s’agit d’élèves venus des autres grandes villes ». Or, le conseil veut attirer le plus possible les meilleurs, d’où qu’ils viennent. Les trois épreuves mises en place lors de cette délibération diffèrent complètement des précédentes : on y trouve une épreuve de dissection de trois heures, surveillée, suivie de dix minutes de description, une dissertation écrite de pathologie chirurgicale « sur une question qui serait la même pour tous et posée de manière à ce qu’aucune note, aucun article de traité ou de dictionnaire qui se trouverait dans la mémoire ou les cahiers d’un candidat ne put lui servir ». La troisième épreuve consiste « dans une série de questions adressées aux concurrents par tous les membres du jury sur divers sujets de pathologie chirurgico-médicale ».20 Les mesures pratiques coïncident de très près avec les principes précédemment définis : aptitudes pratiques, raisonnement, formation tant médicale que chirurgicale deviennent enfin les qualités nécessaires pour triompher au concours. Depuis 1838, le conseil exige des élèves de l’École de Médecine un service de six mois dans les salles de médecine et de chirurgie pour se présenter à l’internat21, « moyen de vérifier que les concurrents ont le degré de capacité qu’exigent les fonctions attribuées aux internes ». Ce nouveau concours mécontente les professeurs de l’École de Médecine dont la présence est réduite dans le jury. Leurs protestations sur d’éventuels abus graves, la perte d’éclat du concours, le manque d’émulation, l’absence d’épreuve de pathologie médicale semblent inspirées par le dépit d’avoir perdu le contrôle du concours. A l’inverse de la période précédente, c’est l’hôpital qui représente et défend la médecine moderne alors que l’école semble rester attachée à la séparation entre médecine et chirurgie et au rôle de la mémoire.
24Ces bonnes intentions et ces excellents principes ne sont pas toujours appliqués scrupuleusement mais il est indéniable que le concours devient plus difficile et que le niveau d’études des candidats s’élève.
25C’est l’impression que donne l’analyse des procès-verbaux des concours après la réforme de 1839. Après deux années d’adaptation, le concours prend une nouvelle forme : le nombre de postes offerts est pratiquement stable, le concours est annuel, le pourcentage de réussite tourne à partir de 1842 autour de 50 %. La comparaison avec les années précédentes ne manque pas d’enseignements : moins de postes offerts mais plus régulièrement, ce qui évite les expectances trop longues et le découragement des chirurgiens reçus, pourcentage de réussite diminué du quart, ce qui limite légèrement le nombre de candidatures.
1831-1837 | 1839-1845 | |
Nombre de postes/concours | 12 1/3 | 8 |
Nombre de candidats par concours | 18 | 15 2/3 |
% de réussite | 68,51 % | 51,06 % |
26Plus qu’avant 1839, il faut s’y reprendre à deux, trois ou quatre fois pour réussir, signe manifeste d’une difficulté croissante.
27Les candidats d’après 1839 semblent à la fois plus sérieux et plus qualifiés. Moins d’étudiants gyrovagues ayant fait leurs études à Paris, Montpellier ou à plusieurs endroits et qui viennent tenter leur chance à Lyon, au passage, moins d’inscriptions fantaisistes non suivies d’effets ou de candidats qui abandonnent après la première épreuve. Plus positivement, les candidats ont derrière eux de plus longues études médicales : si huit inscriptions trimestrielles sont exigées pour postuler au concours, plus de la moitié en ont effectué plus et un candidat sur cinq a plus de trois ans d’études derrière lui. De plus, l’exigence de huit inscriptions est désormais scrupuleusement respectée, ce qui n’est pas toujours le cas avant 1839 :
b) L’assiduité croissante des internes
28Si le profil intellectuel de l’interne se modifie, son portrait social ne subit que de rares retouches. Elles suffisent néanmoins à faire de l’internat une voie d’accès au doctorat pour des catégories sociales plus modestes que par le passé. L’interne reçu entre 1831 et 1845 est un peu plus âgé que ses prédécesseurs mais ceci s’explique aisément par des études antérieures plus longues. La plus grande homogénéité des âges montre aussi que le concours s’intégre au cursus universitaire et qu’il est plus sérieusement préparé.
L’homogénéisation des âges
1804-25 (%) | 1831-45 (%) | 1831-37 (%) | 1839-45 (%) | |
– 20 ans | 44,00 | 8,80 | 11,84 | 4,00 |
20 – 24 ans | 50,00 | 85,60 | 82,89 | 90,00 |
2 5 ans et + | 6,00 | 5,60 | 5,26 | 6,00 |
29Malgré un prestige grandissant, le concours attire et retient une clientèle de plus en plus locale et de plus en plus rurale. Aux départements de l’est lyonnais, traditionnellement fournisseurs, viennent s’ajouter, après 1839, des représentants de départements plus isolés, souvent situés à l’ouest du Rhône comme la Haute-Loire et l’Ardèche.
30La géographie extra-régionale se modifie également : plutôt que des natifs de régions éloignées, le concours recrute plutôt dans les régions proches (l’Auvergne) ou les pays voisins (la Suisse Romande, la Savoie). Dans cette aire géographique en voie de restriction, ce sont les villages et les bourgs qui l’emportent sur les grandes et petites villes et le phénomène ne fait que s’accentuer.
31Socialement, la comparaison est incomplète puisque la profession du père disparaît des renseignements demandés aux candidats après 1839. Les origines sociales des candidats entre 1831 et 1837 diffèrent sensiblement de celles de leurs prédécesseurs : la part des capacités s’amenuise nettement alors que progresse celle des propriétaires, des négociants, industriels et artisans.
Origines sociales des internes
1804-25 | 1831-37 | |
Propriétaires | 27,92 % | 32,00 % |
Négociants | 24,66 % | 27,00 % |
Médecins | 21,42 % | 11,00 % |
Hommes de loi | 8,44 % | 2,00 % |
32Leur origine géographique montre néanmoins qu’il ne s’agit pas d’un rétrécissement social mais au contraire d’un élargissement car ce sont des petits rentiers ruraux ou des maîtres artisans urbains. Voie de passage privilégiée pour les chirurgiens en mal de doctorat à l’époque précédente, le concours de l’internat permet désormais l’adlection dans le corps médical du premier ordre de gens issus de milieux éloignés de la profession et de son milieu privilégie d’exercice, la ville.
33Plus homogènes, plus ruraux, plus studieux, ces nouveaux internes posent moins de problèmes à l’administration. Tout n’est cependant pas sans nuages : les internes profitent du changement d’administration pour réclamer la liberté des entrées et sorties. Pourtant, l’administration reprend sur le chapitre de la discipline la même attitude que la précédente. C’est peut-être cette intransigeance qui entraîne des incidents en novembre 1831 à moins que la révolte des canuts n’ait donné lieu à quelque mouvement de solidarité. Ces incidents sont les derniers de la période, hormis des cas individuels. Des manquements moins visibles aux règlements persistent pourtant : les élèves se font remplacer dans leur service ; d’autres, las d’attendre, vont prendre leur grade de docteur et reviennent faire le temps de leur internat. Les élèves ne respectent guère non plus l’interdiction de découcher sans autorisation et négligent souvent de continuer à suivre les cours de l’École de Médecine.
34Si l’administration doit rappeler les règlements, elle n’emploie que rarement les moyens extrêmes. Il est vrai que la situation matérielle des internes peut expliquer ce mécontentement diffus et le conseil tente d’y porter remède. En 1837, l’administration consacre 9.000 F aux réparations du logement des internes. En 1839, elle décide de verser 12,50 F par trimestre à chaque interne pour le dédommager de la suppression du tarif spécial d’inscription lors de la prise en main de l’école par le rectorat.
3 – La stagnation de l’école d’accouchements
35Au moment où se réorganisent l’internat et l’École de Médecine, l’école d’accouchements poursuit une carrière discrète qui ne soulève guère d’intérêt. Elle est d’ailleurs mal connue : aucune délibération ne la concerne, aucun registre d’entrée ne semble exister aujourd’hui et on ne peut que déduire très approximativement le nombre des élèves jusqu’en 1842. Seules les élèves nommées par le préfet sont un peu mieux connues.
36Le nombre des élèves admises gratuitement reste fixé à six. Ce nombre est loin de suffire aux besoins, car il y a dix inscrites en 1831 et seize en 1832. Dès cette année-là, l’hôpital reçoit une élève surnuméraire et le chiffre de six semble dépassé, en particulier en 1845 où elles sont sûrement neuf. Contrairement à la période précédente, on ne trouve plus aucune élève d’autres départements, ce qui peut s’expliquer par l’ouverture de semblables écoles dans les départements voisins. Le conseil général continue à voter invariablement les 1.350 F annuels destinés à payer la pension de trois élèves nommées par le préfet. « Ces élèves sont destinées à être envoyées dans les communes dépourvues de médecins et de chirurgiens et elles doivent assurer à la classe indigente des ressources dont elle est privée dans une foule de localités car les honoraires des médecins, toujours proportionnés aux distances, sont presque toujours supérieurs aux facultés pécuniaires des habitants des campagnes » (21). Le conseil semble satisfait des sages-femmes ainsi formées et dont « le degré d’instruction a été fréquemment l’objet des justes éloges du jury médical »22. Il n’éprouve donc nul besoin d’augmenter sa contribution ou de discuter en profondeur du sujet.
37Malgré l’optimisme de commande il n’est pas du tout sûr que le diplôme donné aux élèves ait quelque valeur. La décision de faire passer les élèves sages-femmes du Rhône devant le jury médical de la Loire semble assez chargée de menaces à cet égard23.
38Cet échec montre finalement les limites de l’hôpital dans la formation du personnel médical. Poussé par les médecins, les autorités universitaires, l’hôpital choisit comme eux de faire porter l’essentiel de ses efforts sur le personnel médical du premier ordre.
39Il n’empêche que l’hôpital a su négocier entre 1830 et 1845 un changement fondamental. Avec l’organisation des stages hospitaliers pour les élèves de l’École de Médecine, l’hôpital joue déjà dans la formation des médecins le rôle qu’il occupe aujourd’hui. L’hôpital devient donc servant du corps médical. Cette inversion de la situation est une victoire non négligeable de la médicalisation... et des médecins.
Notes de bas de page
1 A.H.C.L., Courrier, Lettre du Recteur, 2 mars 1830, n° 13135.
2 A.H.C.L., série K, École de Médecine (liasse organisation : Professeurs, directeurs, prosecteur), Lettre du Recteur, 15 décembre 1830.
3 A.H.C.L., Courrier, Lettre de l’administrateur, directeur de l’École de Médecine, au Recteur, 3 mars 1830, vol. 18, pp. 152-153.
4 A.H.C.L., Délibérations, volume 38, 5 octobre 1836, cours quotidiens : anatomie, clinique interne, clinique chirurgicale ; autres cours : les lundis, mercredis, vendredis, cours d’accouchements et pathologie externe, les mardis, jeudis, samedis, cours de pathologie interne.
5 Id, , volume 32, 30 mai 1832, Rapport d’une commission sur l’École secondaire de médecine.
6 A.H.C.L., Courrier, Lettre au Recteur, 3 mars 1830, vol. 20, pp. 152-153.
7 A.H.C.L., Délibérations, volume 36, 8 avril 1835.
8 A.H.C.L., série K, École de Médecine, liasse non cotée, Projet d’affiche pour 1832.
9 A.H.C.L., Courrier, Lettre aux professeurs de l’École de Médecine, 1er mai 1830, « Aux motifs sur lesquels il se fondait (mon prédécesseur) viennent se joindre les plaintes de la Faculté de Strasbourg sur le peu d’instruction de la plupart des jeunes gens qui viennent de Lyon porteurs de certificats d’après lesquels ils devraient avoir des connaissances qu’ils ne possèdent pas ».
10 A.H.C.L., Délibérations, 30 juin 1832, volume 32.
A.H.C.L., Courrier, Lettre au Préfet, 6 juin 1832, volume 21, p. 52.
11 A.D.R., série 1 N, Délibérations du conseil général, Session de 1832, Avis de la commission sur la demande d’un nouveau tarif d’inscription à l’École de Médecine.
12 A.H.C.L., Courrier, Lettre au Préfet, 14 octobre 1837, vol. 25, pp. 205-206. et Lettre au Recteur, 26 octobre 1837, vol. 25, p. 209.
13 A.H.C.L., Délibérations, volume 41, 18 décembre 1839.
14 Id., volume 36, 8 avril 1835.
15 Id., volume 43, 24 février 1841.
16 Id., volume 43, 31 mars 1841.
17 LÉONARD (Jacques), Les études médicales en France entre 1815 et 1848, Revue d’Histoire moderne et contemporaine, 1966, n° 1, pp. 87 à 94.
TRÉNARD (Louis), Les études médicales sous Louis-Philippe, 91e Congrès des sociétés savantes, (Rennes 1966), t. III, pp. 167 à 214.
18 A.H.C.L., Délibérations, volume 30, 28 juillet 1831.
19 Id., vol. 41, 19 juin 1839.
20 Id., volume 40, 24 janvier 1838. On confie à dix externes (Internes expectants) parmi les plus anciens la charge du cahier de visite. Cette mesure suit la recommandation des médecins. A.H.C.L., série K, médecins, Comité médical de 1837.
21 A.D.R., Série 1 N, Délibérations du conseil général, Session de juillet 1834, pp. 44-45.
22 Id., 1838, Rapport du préfet sur les sages-femmes, p. 333.
23 A.H.C.L., Courrier, Lettre au préfet, 5 septembre 1845, volume 29, p. 185.
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