Chapitre 6
Insérer ou contrôler les diplômé.e.s chômeur.se.s ?
p. 153-178
Texte intégral
1Les membres les plus anciens de l’Association nationale des diplômés chômeurs du Maroc (ANDCM) se souviennent encore du dénouement d’une des premières actions protestataires de diplômé.e.s chômeur.se.s : après des jours d’occupation d’un complexe artisanal à Salé, à la fin de l’été 1991, des postes dans la fonction publique sont obtenus (Bennani-Chraïbi, 1994). Aujourd’hui, le souvenir de cette action suscite des jugements disparates parmi les anciens de l’ANDCM, créée précisément quelques semaines après l’événement. Certains soupçonnent l’intervention du ministère de l’Intérieur d’avoir été à l’origine de toute l’opération, aussi bien de l’occupation que de son résultat final. D’autres y voient plutôt la première victoire des chômeur.se.s organisé.e.s, rendue possible par la nouveauté de la tactique employée. Quoi qu’il en soit, cette première intervention des pouvoirs publics auprès des chômeur.se.s protestataires donne le ton d’un style qui se poursuivra dans les années à venir, caractérisé par une combinaison d’officialité institutionnelle et de politique « des coulisses ».
2Des milliers d’adhérent.e.s à des groupes de diplômé.e.s chômeur.se.s ont bénéficié d’accords d’embauche depuis le début des années 19901. Doit-on voir en cela une conséquence de la pression revendicative de ces groupes ? Loin de là. La protestation intense et répétitive entretient la visibilité du problème public du chômage, mais elle n’est pas la cause unique de l’embauche des protestataires. En réalité, l’impact que les protestations peuvent éventuellement avoir dépend de la conjoncture dans laquelle se produit l’interaction conflictuelle et des calculs des décideurs publics.
3Depuis la création du Conseil national de la jeunesse et de l’avenir (CNJA) en 1991, les dispositifs gouvernementaux d’encouragement de l’emploi ont toujours été animés par l’épouvantail « du diplômé » en mal d’insertion professionnelle (Sadik, 2017), qu’il soit contestataire ou non. En 1998, après l’arrivée au gouvernement des partis de la Koutla ad-dimocratiyya, la réflexion sur les problèmes d’employabilité des diplômé.e.s s’ouvre à plusieurs partenaires sociaux : les syndicats, le patronat, les hauts responsables de l’administration, la banque, l’université, etc. Un consensus se dégage autour du fait que l’emploi public n’est pas la solution : c’est surtout au secteur privé de recruter et aux jeunes de se rendre attirant.e.s vis-à-vis des potentiels recruteurs. Cette vision se concrétise dans des mesures d’encouragement à l’emploi qui se déclinent autour de trois axes : intermédiation, formation et autoemploi.
4Au lendemain des révoltes dites du « printemps arabe » de 2011, et de leur déclinaison marocaine sous la forme du Mouvement du 20-Février (M20F), le jeune en mal d’intégration économique et sociale devient l’épouvantail inspirant la politique publique de lutte contre le chômage. Les faibles résultats obtenus par l’approche « intermédiation, formation et autoemploi » pratiquée entre les années 1990 et le début des années 2010 cèdent la place à une « Stratégie nationale pour l’emploi » (SNE). Malgré l’approche prétendument ambitieuse et transversale de la SNE, il s’agit, grosso modo, de la reconduction des trois axes d’intervention des années précédentes2.
5L’approche partenariale d’élaboration de la politique d’emploi défendue par le roi et le(s) gouvernement(s) va de pair avec le développement de profondes asymétries entre les différents acteurs concernés. Ainsi, les groupes de diplômé.e.s chômeur.se.s sont exclus des scènes officielles de discussion de la politique publique d’emploi. Leur participation à la fabrique de la décision publique se passe à un autre niveau, beaucoup plus informel et soumis au bon vouloir des autorités. Les protestataires négocient les conditions de leur (dé)mobilisation en échange de postes d’emploi dans des cercles de discussion informels avec les représentants du ministère de l’Intérieur et du Premier ministre.
6Ce chapitre analyse les ripostes publiques à la pression revendicative des diplômé.e.s chômeur.se.s et les contradictions dont font preuve les dispositifs publics de lutte contre le chômage. D’un côté, des mesures orientées vers l’insertion dans le secteur privé de l’ensemble des diplômé.e.s à la recherche d’emploi (et, à partir de 2011, des jeunes) sont promues par le ministère de l’Emploi et des Affaires sociales, dans une approche partenariale. D’un autre côté, les tractations entre chômeur.se.s protestataires et pouvoirs publics constituent une politique de l’ombre pour le moins opaque. En somme, l’élaboration des décisions publiques concernant les diplômé.e.s chômeur.se.s se place dans une zone grise entre la politique publique officielle d’emploi et la politique de gestion sécuritaire des mouvements sociaux et des oppositions. Cette zone grise favorise les pratiques irrégulières et arbitraires de la part des pouvoirs publics, ce qui produit un fort effet de disciplinarisation (ainsi que de concurrence) sur le mouvement des chômeur.se.s.
Les dispositifs d’aide à l’emploi depuis les années 1990
7Depuis le temps du protectorat, le pouvoir central s’est réservé des attributions dans l’organisation du marché de l’emploi. À travers les bureaux de placement créés le 27 septembre 1921, les services publics monopolisaient légalement les embauches, dont celles des salarié.e.s du secteur privé (El Aoufi & Bensaid, 2008). Mais la contribution réelle de ces bureaux en matière d’emploi est toute relative. Dans les années 1970, les embauches réalisées par ce biais ne dépassaient pas 5 %, alors que d’autres mécanismes – tels que les relations familiales ou sociales ou encore le mokef3 – constituaient les principaux moyens de rencontre entre l’offre et la demande de travail. Dans le contexte du plan d’ajustement structurel (PAS), l’intervention des autorités dans le domaine de l’emploi se concentre sur la faible employabilité des diplômé.e.s du supérieur. À la demande des organisations financières internationales, qui prônent depuis les années 1980 la rigueur budgétaire4, la réflexion gouvernementale sur la question identifie le besoin du désengagement de l’État en tant qu’employeur (Catusse, Destremeau & Verdier, 2010).
8L’intervention publique s’oriente désormais vers la fabrication de dispositifs visant à encourager l’autoemploi et à améliorer l’adéquation des diplômé.e.s au monde de l’entreprise. D’abord promus par le CNJA et après 1998 par le ministère de l’Emploi et des Affaires sociales du gouvernement de l’Alternance et ses partenaires, les dispositifs proposés sont alimentés par un discours médiatique et entrepreneurial qui célèbre la souplesse et l’adaptabilité des jeunes au marché de l’emploi et qui méprise l’esprit fonctionnarial des chômeur.se.s protestataires. Si ces dispositifs sont présentés et promus comme la véritable solution de rechange à l’embauche dans la fonction publique, l’analyse de leur déploiement à l’échelle locale révèle de nombreuses limites.
Le discours médiatique et entrepreneurial : l’imaginaire sous-jacent aux dispositifs d’aide à l’emploi
9Plusieurs titres de presse économique font irruption au Maroc dans les années 1990. Défenseurs d’une économie libérale, ils traitent le thème de l’employabilité des jeunes d’une façon qui laisse transparaître une vision négative des diplômé.e.s chômeur.se.s et de leur mobilisation. Cette vision, qui constitue sans doute une matière première en fonction de laquelle les décisions publiques sont conçues (Champagne, 1991), est reprise dans les analyses économiques réalisées par les différents gouvernements. Un des arguments qui révèlent la perception négative soulevée par l’action politique des diplômé.e.s chômeur.se.s est celui qui dénonce le décalage entre la formation et les besoins du tissu entrepreneurial. Ainsi, les connaissances et savoir-faire des diplômé.e.s du système d’enseignement public sont remis en cause ou considérés comme n’étant pas en mesure de satisfaire aux attentes des futurs employeurs :
Manque d’agressivité, déficit de communication, faible aptitude à se vendre... Ce sont notamment les principales caractéristiques que les patrons d’entreprise interrogés par L’Économiste n’hésitent pas à présenter comme principales faiblesses des diplômés marocains. [...] « Les facultés forment des profils totalement déconnectés de la réalité, affirme M. Karim Ayouche, directeur général de la société LGMC, opérant dans l’agroalimentaire. Les candidats qui se présentent chez nous sont tantôt arrogants, tantôt tête baissée. Or, ce qui nous intéresse chez un candidat, c’est sa capacité d’assimiler une relation de gagnant-gagnant entre fournisseur et client. »5
10La presse économique et, par son intermédiaire, le patronat exigent des diplômé.e.s du secondaire et du supérieur qu’ils et elles fassent preuve de valeurs « positives » : esprit d’initiative, goût du risque, audace et autonomie, ainsi que du sens des responsabilités et d’une forte capacité d’adaptation. Les expériences de vie qui témoignent d’une incapacité à s’adapter à l’éthos du « nouvel esprit du capitalisme » (Boltanski & Chiapello, 1999) font l’objet de traitements journalistiques condescendants :
Asmaa D., une jeune licenciée en gestion d’entreprise de l’Université Hassan II de Casablanca, endure depuis un an et demi le plus cruel des fléaux : le chômage. La dynamique mais surtout intelligente étudiante qu’elle était s’est soudain transformée en une véritable « jeune désespérée », comme plusieurs millions de chômeurs diplômés d’ailleurs. Même la brillance de ses yeux, secret de profonde intelligence, dit-on, a laissé place à un regard plein d’amertume6.
11Les chômeur.se.s, et tout particulièrement ceux et celles qui peuplent les rangs des groupes protestataires, sont soupçonné.e.s de passivité et d’attentisme vis-à-vis de l’État. La mobilisation est présentée, sur un ton normatif, comme la solution de facilité de ceux et celles qui se savent incapables de régler leur situation par le biais du marché. D’ailleurs, la situation dans laquelle se trouvent les diplômé.e.s chômeur.se.s apparaît comme l’aboutissement de parcours parsemés de mauvais choix, imputables à l’ignorance ou à l’insouciance. Par opposition, la presse évoque aussi des success-stories édulcorées qui, toujours sur le même ton normatif, célèbrent les héroïcités des self-made (wo)men :
Les jeunes de l’association Initiative urbaine de Hay Mohammadi en veulent. Les 384 adhérents font de leur mieux pour décrocher un job et améliorer leur niveau social. Alors, pas question de chômer. Aussi, l’une de leurs préoccupations est-elle de faire adhérer le maximum de jeunes, même ceux qui sont entrés dans l’engrenage de la drogue, la violence ou l’alcoolisme [...] Initiative urbaine n’a pas pour objet de trouver des emplois à ses adhérents mais de leur donner les moyens d’y parvenir. Leur formule : se former et en faire profiter les autres dans un esprit de groupe et de solidarité. C’est grâce à l’aide de Jamal Belahrach, directeur général de Manpower, Zineb Benabdeljalil, directeur général de Déo-Compétences et Amine Jamai, DRH chez Maphar, qu’ils ont pu bénéficier de séminaires sur des thèmes qui les intéressent. Les jeunes font des formations en informatique, ils font aussi du théâtre pour surmonter leur timidité et apprendre à communiquer7.
12La confrontation de ces images antinomiques (passivité des diplômé.e.s chômeur.se.s versus dynamisme des jeunes qui « se prennent en charge ») écorne la représentation du diplômé méritant sur laquelle les protestataires fondent la légitimité de leur mobilisation. Les discours prônant la réforme de l’administration mettent l’accent sur l’hypertrophie de la fonction publique comme s’il s’agissait d’un mal réclamant une intervention urgente8. Le ton du rapport de la Banque mondiale de 1995 sur l’état du secteur public était si pessimiste qu’Hassan II a annoncé la réforme de plusieurs secteurs (administration, privatisation d’entreprises publiques, réforme de l’éducation, révision de la politique monétaire), après avoir déclaré que « le Maroc était au bord de la crise cardiaque9 ». Le poids de la masse salariale dans la fonction publique (équivalent alors à 14 % du PIB) sur l’emploi total, jugé démesuré, est invoqué pour justifier les mesures restrictives10. Pourtant, les diplômé.e.s chômeur.se.s qui rejoignent la fonction publique à la suite des manifestations représentent une toute petite partie des recrutements prévus dans la loi de finances (moins de 10 % des nouveaux postes programmés)11. La proportion de diplômé.e.s chômeur.se.s protestataires qui réussit à décrocher des postes dans les municipalités est encore plus réduite sur l’ensemble des fonctionnaires municipaux.
13Devant cet état de l’opinion, l’opération d’embauche massive lancée par le CNJA peu après sa création et qui représentait le recrutement de 10 000 fonctionnaires parmi des diplômé.e.s sans emploi recensé.e.s par le Conseil, a provoqué une certaine confusion. Les gestes gouvernementaux qui ont suivi, néanmoins, sont allés dans la direction pointée par la presse économique : mettre fin à l’idée d’emploi à vie dans la fonction publique et céder progressivement la place d’employeur à un secteur privé auquel l’État offre des incitations pour former et embaucher des lauréat.e.s. La mise en place des dispositifs d’amélioration de l’employabilité de cette catégorie s’inscrit, en outre, dans une conjoncture politique de renouveau des élites gouvernementales.
L’invention d’une politique de l’emploi au temps de l’Alternance
14Comme il a été indiqué à la fin du premier chapitre, une des premières actions du CNJA en 1991 a été l’élaboration d’un recensement pour mesurer l’ampleur du chômage des diplômé.e.s. À partir de ce recensement, 10 000 personnes ont été embauchées dans les collectivités locales. Les protagonistes de cette macro-opération reconnaissent la motivation sécuritaire qui guidait cette solution :
La mission du CNJA était de trouver une embauche pour ces jeunes. Pour le ministère de l’Intérieur, il s’agissait de gérer une crise, de devancer une mobilisation... Parce qu’à ce moment-là, il n’y avait pas encore beaucoup de mobilisation, parce que tu sais que les gens, je m’excuse de le dire comme ça, étaient assez matraqués, ils n’avaient pas l’idée de faire des manifestations. En parallèle avec l’enquête de l’Intérieur, à la DGCL [Direction générale des collectivités locales] on a réalisé une autre enquête au niveau des cadres moyens et supérieurs, pour voir quel était le déficit au niveau des collectivités locales pour ce type de cadres. On a calculé qu’on avait un besoin de 32 000 cadres moyens et supérieurs, et 32 000 ont été embauchés par la DGCL12.
15De nombreux.ses militant.e.s ont vu dans la « générosité » du CNJA et des collectivités locales une confirmation de la force de frappe des chômeur.se.s. Et la réactivité (apparente) du régime aux premières actions des chômeur.se.s organisé.e.s a eu comme effet aussi bien de stimuler les protestations que de donner au CNJA une image d’« agence de l’emploi ». Avec le but d’atténuer cet effet encombrant, le CNJA a misé sa communication institutionnelle à partir de fin 1991 sur le besoin de stimuler les vocations entrepreneuriales, ainsi que sur le secteur privé comme niche d’emploi. Désormais, les publications du CNJA font de l’autoemploi la voie légitime d’insertion professionnelle pour les jeunes diplômé.e.s, ainsi que la garantie de leur épanouissement social et moral.
16À partir de l’automne 1991, le CNJA met en place deux programmes d’aide à l’autoentrepreneuriat : le Programme d’information et d’assistance à la création d’entreprises (PIACE)13 et le Programme pour la promotion des activités économiques en milieu rural (PROMAR). L’objectif déclaré est de réduire progressivement les attentes des jeunes vis-à-vis de l’administration et de les inciter « à ne pas trouver refuge dans l’assurance du travail salarié, mais à promouvoir la création de leurs propres entreprises » (Ojeda, 2001, p. 21). Le supposé manque d’audace des diplômé.e.s issu.e.s du système public d’enseignement est identifié comme une des causes de la faiblesse du tissu entrepreneurial. De même, les difficultés éprouvées par des employeurs à la recherche de profils intéressants sont évoquées lors du lancement du Programme national de formation / insertion (PNFI), qui visait à améliorer l’adéquation des formations aux besoins du marché de l’emploi. Pourtant, paradoxalement, le rapport qui donne naissance au PNFI ne plaide pas pour le ralentissement des embauches dans la fonction publique14. En effet, la fonction publique est loin d’y être considérée comme hypertrophiée et il est indiqué que son rétrécissement « risque de nuire à la capacité d’action de l’Administration en matière d’offre de service public15 ». Ainsi, le rapport conseille la création de 32 000 emplois par an entre 1992 et 1996, en particulier dans l’enseignement, la santé et les collectivités locales16.
17Lors des premières sessions du CNJA est proposée la création d’une agence de coordination pour l’emploi ; cette mesure aboutira quelques années plus tard à la création de l’Agence nationale de promotion de l’emploi et des compétences (ANAPEC). Avant cela, faute d’agence, le CNJA développe un réseau de commissions provinciales et préfectorales chargées de renseigner les diplômé.e.s universitaires sur les opportunités d’emploi. Cette fonction est assumée, en 1993, par les centres d’information et d’orientation pour l’emploi (CIOPE). Ces derniers s’adressent aux personnes à la recherche d’un emploi, titulaires du baccalauréat, d’une licence universitaire ou d’un diplôme de l’enseignement professionnel. Ils s’occupent de l’intermédiation en établissant des contacts avec les entreprises afin de connaître les besoins et de fournir un appui en matière de recrutement (diffusion des offres, recherche des candidats, présélection de candidatures, etc.)17. Les CIOPE ont été supprimés par le dahir du 5 juin 2000 promulguant la loi 51/99 portant création de l’ANAPEC.
18Malgré cette profusion de dispositifs, la gestion des diplômé.e.s chômeur.se.s protestataires tient, jusqu’en 1998 et l’arrivée de l’Union socialiste des forces populaires (USFP) à la tête du gouvernement, à un équilibre précaire qui oscille entre la répression et les recrutements arbitraires décidés par le ministère de l’Intérieur. Selon un ex-chômeur recruté en 1996 : « [Driss] Basri [alors ministre de l’Intérieur] nous visitait fréquemment. Il arrivait avec sa voiture. Il s’arrêtait devant notre sit-in. Il embauchait des gens directement ou il convoquait une réunion le lendemain avec les responsables des groupes18. » Driss Basri fut durant vingt-six ans une pièce maîtresse du système de sécurité et de renseignement du pays. Homme fort d’Hassan II, il est une des figures les plus sombres des années de plomb. Au moment de l’avènement du gouvernement de l’Alternance, sa permanence au poste de ministre de l’Intérieur incarne très symboliquement la concurrence entre deux sources d’autorité : celle issue du Palais (ce que les spécialistes du Maroc connaissent sous le nom de « Makhzen ») et celle issue des processus électoraux.
19L’entrée de la Koutla dans le gouvernement en 1998 complique la donne en faisant augmenter la concurrence pour le traitement du dossier des chômeur.se.s protestataires, qui jusqu’alors était quasi monopolisé par le ministère de l’Intérieur. Cette concurrence entre le ministère de l’Intérieur et la primature est renforcée par la désignation, après 1998, du ministère de l’Intérieur en tant que « ministère de souveraineté », c’est-à-dire dépendant directement du monarque. Après avoir été nommé Premier ministre, Abderrahmane Youssoufi crée la figure de « conseiller pour les Affaires sociales », chargé des négociations avec les diplômé.e.s chômeur.se.s. La tâche sera attribuée pendant longtemps (sous les gouvernements de Youssoufi, de Jettou et d’El Fassi) à Driss El Guerraoui, membre de l’USFP et enseignant d’économie à l’université19. Cette nomination instaure une coexistence, parfois coopérative, parfois concurrentielle, entre les pouvoirs publics impliqués dans la gestion de l’affaire : primature, ministère de l’Intérieur et conseillers du roi20. Des récits, plus ou moins fantaisistes, circulent sur des manœuvres du ministre de l’Intérieur visant à écorner l’image du gouvernement de l’Alternance, surtout pendant ses premiers mois. Selon une anecdote cocasse racontée par un ancien ministre socialiste de l’Éducation nationale à propos d’un sit-in mené par un groupe de troisième cycle devant ledit ministère, des fonctionnaires du ministère de l’Intérieur (encore dirigé par Driss Basri) auraient apporté des couvertures pour que les chômeur.se.s n’aient pas froid la nuit. Ainsi, le sit-in pouvait durer plus longtemps et son impact sur l’image de l’inexpérimenté gouvernement social-démocrate pouvait être plus nuisible. Peu importe la véracité de ces anecdotes : elles circulent entre des cohortes militantes et ont des effets performatifs. Concrètement, elles renforcent l’idée selon laquelle la mobilisation des diplômé.e.s aurait une valeur de monnaie d’échange pour des acteurs politiques en concurrence. Ces anecdotes aident les chômeur.se.s à effectuer des calculs sur les meilleurs coups à jouer, en fonction de la façon dont ils et elles comprennent les rapports de forces changeants et le degré de division entre les élites politiques (Meyer, 2004).
20Ainsi, à partir du gouvernement de l’Alternance, deux fronts de gestion du dossier des diplômé.e.s chômeur.se.s se dessinent, chacun avec des scénarios et des acteurs différents : d’un côté, une dynamique officielle, publique et partenariale, d’abord appelée « Assises pour l’emploi » et, à partir de 2015, « Stratégie nationale pour l’emploi » (SNE), qui s’incarne dans des rencontres réunissant des partenaires sociaux et institutionnels sous l’initiative formelle du ministère de l’Emploi et des Affaires sociales ; de l’autre, des rencontres privées entre les protestataires et des responsables publics, notamment du ministère de l’Intérieur et la primature.
21Les Assises pour l’emploi ont été des rendez-vous extrêmement mis en avant par le gouvernement. Les premières ont lieu à Marrakech en 1998 et les secondes à Rabat en 2005. Présentées comme des moments de formulation participative de la politique publique d’emploi, ces rencontres réunissent des syndicats, le patronat, des universitaires et les partenaires institutionnels du ministère de l’Emploi21. La première édition des Assises est présidée par l’usfpéiste Khalid Alioua, responsable du portefeuille de l’emploi dans le cabinet Youssoufi. Bien qu’elle ait été le dépositaire des espoirs de justice sociale, l’USFP, une fois installée au gouvernement, a repris à son compte le consensus dominant dans le milieu journalistique et patronal en faveur de l’insertion des diplômé.e.s dans le secteur privé. Les propositions promues par le ministère de l’Emploi et des Affaires sociales lors de la rencontre de Marrakech ne sont pas inédites et elles s’inscrivent dans la voie annoncée par le CNJA : rapprocher l’offre et la demande d’emploi à travers une agence d’intermédiation, proposer aux diplômé.e.s des formations orientées vers les besoins du marché et favoriser la création d’entreprises. L’argument selon lequel le chômage est la conséquence de l’inadéquation entre la formation du demandeur d’emploi et les besoins de l’employeur est à la base d’un programme de reconversion de diplômé.e.s (le Programme Action Emploi) et de crédits souples visant la création de petites entreprises (le Programme jeunes créateurs d’entreprises). Un pari normatif sur les bienfaits de la flexibilité inspire tous ces dispositifs : si celle-ci accroît certes l’incertitude de l’employé.e, au moins elle incite les entrepreneurs à recruter et à former des diplômé.e.s. Le rôle de la puissance publique est de contribuer à l’offre de formation. Le programme formation qualifiante a été conçu pour répondre à cette logique, en formant 15 000 diplômé.e.s dans les secteurs du tourisme et de l’offshore22.
22Les deuxièmes assises, appelées « Initiatives Emploi », ont lieu en septembre 2005 et sont présidées par Mustapha Mansouri, membre du Rassemblement national des indépendants (RNI)23 et ministre de l’Emploi à l’époque. Durant les sept années écoulées depuis la première expérience, la primature a connu le remplacement d’un Premier ministre usfpéiste par un technocrate, Driss Jettou, en 2002. Les protestations des chômeur.se.s sont devenues presque quotidiennes et les groupes de troisième cycle constituent la majorité écrasante des chômeur.se.s organisé.e.s. Dans les salles de négociation, l’ANDCM, beaucoup moins importante en nombre que les diplômé.e.s de troisième cycle et plus radicale, a été mise à l’écart24. Les « Initiatives Emploi » se tiennent en l’absence du CNJA, supprimé en 200325. Néanmoins, la continuité est assez évidente, car d’anciens programmes ressortent sous de nouvelles appellations : un programme d’appui à la création d’entreprises (Moukawalati : Mon entreprise), des mesures d’encouragement pour les employeurs visant l’embauche de diplômé.e.s (Idmaj : Insertion) et des plans de reconversion pour les profils « non adaptés » aux besoins du marché du travail (Ta’ahil : Formation). Les personnes éligibles à ces programmes, opérationnels depuis septembre 2006, sont toujours les diplômé.e.s de la formation professionnelle, de l’enseignement supérieur ou des bachelier.ère.s, qui ont entre 20 et 45 ans.
23Les programmes présentés à l’occasion des « Initiatives Emploi » de Rabat touchent, dans les années qui suivent 2005, des dizaines de milliers de diplômé.e.s inscrit.e.s à l’ANAPEC. Cependant, ils n’arrivent pas à réduire le nombre des protestations de chômeur.se.s ni, d’ailleurs, à apaiser la négativité des discours sur la jeunesse et l’emploi au Maroc. En 2011, le contexte des révoltes dudit « printemps arabe » expose au grand jour la situation alarmante des diplômé.e.s chômeur.se.s. À ce moment-là, les récits pointant la bombe à retardement du chômage des jeunes comme cause des révoltes et principal danger à la stabilité institutionnelle des pays de la région du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord battent leur plein. Au Maroc, les manifestations du M20F coïncident avec le lancement de deux autres programmes du ministère de l’Emploi et des Affaires sociales, certainement conçus un peu avant l’éclatement de la révolte : le programme Moubadara (Initiative) et le programme Taetir (Encadrement). Le premier vise à favoriser l’embauche de diplômé.e.s chômeur.se.s dans le secteur associatif et l’économie sociale par le biais de subventions de l’État, alors que le deuxième vise à relancer les possibilités d’employabilité de diplômé.e.s chômeur.se.s de longue durée par l’octroi d’une bourse annuelle. Encore une fois, ces deux nouveautés, qui s’ajoutent à l’ensemble des mesures publiques visant à améliorer l’intégration professionnelle des diplômé.e.s, ne parviennent pas à infléchir les tendances de précarisation et de marginalisation de la jeunesse dénoncées par le M20F.
24Mais la critique prononcée par le M20F n’est pas inédite. À partir de 2005, une vague de mobilisations locales, parfois nationalement coordonnées, dénonce l’augmentation du coût de la vie26, la dégradation des services publics27, la marginalisation à laquelle sont condamnées certaines régions, oubliées par les plans de développement social ou encore le mépris des autorités à l’égard des populations. Le M20F s’inscrit donc dans un cycle de mobilisation lancé en 2005 dont le trait distinctif est l’articulation de problématiques sociales et politiques28. Le climat de critique et de contestation n’est pas sans effet sur les positions des acteurs traditionnellement associés à l’élaboration de la politique publique d’emploi. Un des premiers acteurs à prendre position est la principale organisation patronale, la Confédération générale des entreprises du Maroc (CGEM). À partir de 2012, ses rapports énoncent des propositions concernant aussi bien les politiques publiques globales que des mesures à mettre en place dans chaque unité de production. Des appels sont lancés pour que le monde de l’entreprise assume la lutte contre la précarité, s’engage réellement dans la formation des travailleur.se.s et prenne au sérieux son rôle dans le développement d’un « civisme » économique (Sadik, 2017). Or les bonnes intentions de la CGEM se heurtent aux propriétés du tissu entrepreneurial marocain. La plupart des entreprises se caractérisent par leur petite taille et celles qui disposent des capacités pour répondre aux engagements proposés par la CGEM ne représentent qu’une infime portion de l’emploi au Maroc.
25Du côté du ministère de l’Emploi et des Affaires sociales et de ses partenaires institutionnels (ministère de l’Intérieur, ministère du Développement social et Initiative nationale pour le développement humain – INDH), l’ampleur des mobilisations oblige à recentrer l’analyse du chômage. À l’évidence, la focalisation de l’intervention publique sur le chômage des diplômé.e.s n’aurait fait que négliger les autres dimensions du problème et, en réalité, aurait contribué à son aggravation. Le problème mérite donc d’être posé sous l’angle du chômage des jeunes et de la précarisation rampante de larges pans de la population. Suivant cette logique, le gouvernement, présidé par le Parti de la justice et du développement (PJD), présente en 2015 la Stratégie nationale pour l’emploi, un nouveau plan d’encouragement de l’emploi pour la période 2015-2025. Le projet reprend les axes classiques d’intervention (création d’emploi, formation et intermédiation) et est présenté comme disposant d’une valeur ajoutée dont auraient prétendument manqué les plans gouvernementaux précédents : une approche globale, qui ne se limite pas à l’encouragement de l’activité économique, mais qui s’intéresse aussi à l’amélioration de la sécurité sociale ; une ouverture de l’échantillon cible à toute la population en mal d’insertion professionnelle29.
26Mais qu’en est-il des réalisations concrètes des différents programmes lancés par le ministère de l’Emploi ? Les chômeur.se.s protestataires dénoncent l’inefficacité des dispositifs ainsi que l’arbitraire qui préside au déploiement des programmes à l’échelle locale. Des faiblesses infrastructurelles et des obstacles administratifs (inerties, lourdeurs bureaucratiques et décentralisation incomplète) limitent aussi les réalisations des dispositifs.
Les dispositifs d’insertion professionnelle à l’épreuve du local
27Comment se traduisent localement, sur le terrain, les dispositifs du ministère de l’Emploi et des Affaires sociales ? Il est moins question ici de revenir sur les résultats quantifiables des dispositifs30 que d’analyser qualitativement le déploiement des programmes dans quelques petites villes. Concrètement, j’évoquerai les cas de Bouarfa, Sidi Ifni et Outat El Haj. L’échelle de mise en place des décisions publiques n’est pas sans effets, et l’observation des villes petites et moyennes apporte de la richesse à l’analyse de la mobilisation des chômeur.se.s. À Rabat, la présumée disponibilité de postes dans la fonction publique incite les diplômé.e.s protestataires à négliger les dispositifs de création d’emploi du ministère de l’Emploi. En revanche, l’offre d’emplois dans la fonction publique étant beaucoup plus limitée dans les petites villes, les diplômé.e.s chômeur.se.s n’ont d’autre choix que d’envisager les options proposées par l’ANAPEC. De plus, c’est précisément parce que l’emploi public y est moins disponible que les éventuels effets positifs en matière de réduction du chômage des jeunes des programmes du ministère s’y font sentir de façon plus saillante. Un dernier intérêt analytique des villes petites est qu’elles ont été des scènes importantes de la vague de mobilisation des années 2000. Dans les villes auxquelles je m’intéresse ici, les groupes de diplômé.e.s chômeur.se.s ont participé à de larges mobilisations, sans en être les initiateurs.
28Une ouverture plus importante des chômeur.se.s des villes de province à l’égard des dispositifs d’encouragement de l’emploi dans le secteur privé ne réduit pas pour autant les critiques qui leur sont adressées. Les chômeur.se.s attaquent surtout l’ambiguïté des critères d’évaluation utilisés par les conseiller.ère.s qui étudient les dossiers des candidat.e.s, ainsi que l’intromission du ministère de l’Intérieur dans le déploiement des dispositifs d’aide à l’emploi31.
29Selon le lieu, les guichets de réception des dossiers des demandeur.se.s d’emploi sont assurés par l’Office de la formation professionnelle et de la promotion du travail (OFPPT)32, par des associations de microcrédit (comme Al Amana ou Zakoura), par l’agence ANAPEC locale ou par le guichet de l’INDH33. En vertu des compétences en développement du territoire attribuées à l’Agence de développement social, le ministère de l’Intérieur est présent dans le processus d’évaluation et d’orientation des dossiers des chômeur.se.s. Il intervient aussi dans la constitution de comités régionaux, présidés par les walis de la région et auxquels participent les gouverneurs, les institutions financières, des élus régionaux, des experts techniques, ainsi que les centres régionaux d’investissement et les comités régionaux d’amélioration de l’employabilité (Bono, 2010). Ces comités contrôlent la sélection des candidat.e.s proposé.e.s par les guichets, notamment dans le cas des candidat.e.s du programme Moukawalati de création de petites entreprises. La transparence et la traçabilité des décisions concernant les dossiers de diplômé.e.s déposés dans les guichets ANAPEC (ou OFPPT ou d’autres partenaires) est mise à mal par la complexité des comités régionaux, qui réunissent une multitude d’acteurs et dont les attributions respectives ne sont pas claires. Aux yeux des diplômé.e.s, il est très difficile de comprendre les rouages administratifs des dispositifs censés les aider et de faire la part entre les responsables officiels des programmes du ministère de l’Emploi et les responsables réels de l’allocation de ressources.
30Une autre caractéristique du déploiement local des dispositifs est l’insertion problématique de nouvelles procédures au sein d’administrations qui fonctionnent déjà avec leurs inerties bureaucratiques. En novembre 2008, le panneau flambant neuf du guichet Moukawalati de Bouarfa resplendissait sur les murs, guère plus vieux, du centre OFPPT. L’accompagnement technique des candidat.e.s porteur.se.s de projets était venu s’ajouter aux responsabilités que les cadres avaient déjà au sein de l’OFPPT, sans aucune compensation salariale ou logistique. Ainsi, ces cadres manquent d’incitations pour faire fonctionner des dispositifs tels que Moukawalati. Et si les programmes n’aboutissent pas aux résultats escomptés, les conseillers justifient cela par le « manque d’esprit entrepreneurial » des jeunes de la ville : « Mais quel esprit d’initiative va-t-on développer ici ? Je le dis franchement : on est là, on fera notre travail, on s’est fixé des objectifs, mais on n’attend pas grand-chose. Là, les gens n’ont pas d’esprit d’initiative. Ça, c’est le Maroc inutile34 ! » La situation observée à Sidi Ifni ne contredit pas cet état d’esprit, et ce, bien que la région Souss-Massa-Drâa soit l’une des plus performantes quant à la création d’entreprises, selon les bilans de l’ANAPEC35. Le diagnostic du responsable du centre de formation de l’OFPPT et du guichet Moukawalati à Agadir apparaissait en décalage avec les bilans officiels :
À Sidi Ifni, les gens ne font rien. Soit ça, soit ils veulent émigrer aux îles Canaries, soit ils attendent des emplois de l’État... C’est l’empreinte du colonialisme. Dans les zones occupées par la France, les gens sont plus dynamiques ; mais dans les zones espagnoles... À Sidi Ifni, les retraités de l’armée reçoivent chaque mois leur pension et leurs enfants ont été éduqués dans cette attente36...
31Les trois villes étudiées – Sidi Ifni, Bouarfa et Outat El Haj – sont présentées aussi bien par les chômeur.se.s que par les administrateurs des dispositifs d’encouragement d’emploi comme des lieux emblématiques du « Maroc inutile37 ». Les dénonciations des militant.e.s à propos de l’ostracisme auquel leurs régions sont condamnées (Naciri, 1999) sont reprises par les acteurs de l’administration pour expliquer le fatalisme des jeunes et leur manque d’intérêt pour les dispositifs. Mais, en dépit des propos défaitistes, les petites villes peuvent être le berceau de quelques aventures entrepreneuriales réussies. Or le soutien institutionnel dévolu à ces expériences stimule les soupçons de népotisme fréquemment véhiculés par les chômeur.se.s protestataires. Du côté des agents institutionnels, le discours sur le manque d’engagement des chômeur.se.s protestataires qui « ont laissé tomber à la dernière minute un projet d’entreprise38 » foisonne. Du côté des protestataires, les dossiers ANAPEC qui réussissent ne peuvent être, de leur point de vue, que ceux de personnes qui auraient été « pistonnées ». Ainsi, les dispositifs ministériels d’encouragement à l’emploi au niveau local étant boudés tant par les protestataires que par ses administrateurs, leur impact est tout relatif.
32Comme il a été dit auparavant, le discours public pointe le besoin de réduire le poids de la masse salariale dans la fonction publique. Cependant, le traitement du dossier des diplômé.e.s n’exclut pas des recrutements extraordinaires dans l’administration. Les chômeur.se.s organisé.e.s ne sont pas dupes : sourd.e.s à l’annonce du retrait de l’État-employeur, ils et elles continuent à adresser leurs demandes à ceux qui, à leurs yeux, incarnent l’autorité et la capacité de débloquer des emplois publics. Dans l’interaction entre protestataires et interlocuteurs publics, les dispositifs sont négociés et assouplis, en même temps que les chômeur.se.s mobilisé.e.s sont poussé.e.s à la modération. La pratique des négociations révèle une continuité entre les dispositifs officiels et des solutions informelles proposées aux protestataires.
Les autres dispositifs d’insertion : négociations officieuses et disciplinarisation de la protestation
33Avec une certaine périodicité, une bonne partie des cohortes de diplômé.e.s chômeur.se.s qui manifestent à Rabat obtient un accord d’embauche dans la fonction publique. Ces accords profitent presque exclusivement aux membres des groupes de troisième cycle. Voici, à titre d’exemple, une synthèse des accords obtenus auprès du Premier ministre pendant la période 2005-2012.
Accords d’embauches collectives de diplômé.e.s de troisième cycle
Depuis le début des années 2000, les groupes de troisième cycle sont (presque) les seuls à bénéficier d’accords d’embauches collectives dans l’administration publique à Rabat. Organisés depuis 1995, les premiers groupes sont assez petits (entre 50 et 300 membres) et protestent pendant quelques mois avant d’obtenir un accord avec le ministère de l’Intérieur ou le Premier ministre : c’est le cas en 1996, 1998, 2000 et 2001. La taille des groupes explose en 2003, avec la fusion de trois structures regroupant environ 200 personnes chacun. En septembre 2006, l’Union des cadres supérieurs au chômage, Khams et Amal signent un accord d’embauche avec le Premier ministre Driss Jettou. 1 086 diplômé.e.s sont recruté.e.s, notamment au sein du ministère de l’Éducation nationale.
En août 2007, deux semaines avant le début de la campagne pour les élections législatives, Driss Jettou conclut un autre accord avec 25 groupes de diplômé.e.s chômeur.se.s. 2 600 personnes doivent en bénéficier. Afin d’assurer le respect de l’accord, un comité de suivi (composé par le ministère de l’Intérieur, celui de l’Emploi, la primature et des représentants des groupes) est mis en place. Les embauches ont finalement lieu en février 2008, mais elles ne bénéficient qu’à la moitié des membres des groupes (1 100 personnes). L’autre moitié, ainsi que les membres des nouveaux groupes apparus durant les derniers mois, est intégrée entre octobre et décembre 2009.
En 2011, à la veille des élections et dans le contexte des protestations du M20F, la primature s’engage à recruter quelques milliers de chômeur.se.s. Les protestataires actifs à l’époque croient que les promesses d’embauche pour 2012 les concernent, alors que ces promesses se limitaient aux diplômé.e.s lauréat.e.s de 2010. En 2012, l’AMDH dénonce le fait qu’une grande partie des recrutements de 2012 n’a pas profité aux membres des groupes protestataires, mais à des proches de partis politiques et du gouvernement.
Source : Différents entretiens menés entre 2005 et 2015.
34Quelle est la logique sous-jacente à la périodicité de ces recrutements ? Dans les pages qui suivent, j’essaie de retracer le cheminement des négociations entre les chômeur.se.s et les représentants des pouvoirs publics, et je tente de faire apparaître un modèle d’interaction entre ces acteurs. Comment les groupes de chômeur.se.s identifient-ils leurs interlocuteurs ? Est-ce que tous les groupes sont en mesure de rencontrer les autorités pour négocier sur une base régulière ? Comment se déroulent les négociations ? Qui est embauché.e ?
35Une partie de l’espace de mobilisation des chômeur.se.s demeure, depuis la fin des années 1990, assez marginalisée du point de vue de l’accès aux pouvoirs publics (c’est le cas de l’ANDCM). Cependant, une autre partie (les groupes de troisième cycle) arrive à s’insérer dans des espaces de négociation avec les autorités. Ce décalage, en plus de cultiver la fragmentation organisationnelle des chômeur.se.s, a des effets de disciplinarisation de l’espace protestataire. Dans les parties qui suivent, nous verrons également les positions que les chômeur.se.s sont susceptibles d’occuper dans les calculs des acteurs du pouvoir (ou avec des aspirations de pouvoir).
Qui sont les interlocuteurs des diplômé.e.s chômeur.se.s ?
36Le désengagement de l’État de son rôle d’employeur s’accompagne paradoxalement d’une prééminence indiscutable des pouvoirs publics dans le traitement des protestations pour l’accès à l’emploi. En 1991, avec la création de l’ANDCM, les diplômé.e.s protestataires sont vu.e.s comme des agitateur.rice.s de l’espace public et, à ce titre, le ministère de l’Intérieur s’attribue le traitement du dossier. Cette relation dyadique simpliste (protestataires versus ministère de l’Intérieur) se complique avec l’avènement du gouvernement de l’Alternance, en 1998, qui crée la figure d’un conseiller des Affaires sociales chargé par le Premier ministre du dialogue avec les chômeur.se.s. Comme indiqué plus haut, l’économiste et membre de l’USFP Driss El Guerraoui est le premier désigné à ce poste ; il gardera sa place jusqu’en 2008, et ce, malgré deux changements de gouvernement (en 2002 et en 2007). À partir de 2008, ce sont des conseillers directement liés au parti siégeant à la primature qui remplissent cette fonction d’interlocution avec les diplômé.e.s. Malgré la présence de la figure du conseiller des Affaires sociales, le traitement sécuritaire occupe une place privilégiée dans la gestion d’un dossier que les autorités présentent euphémiquement comme relevant du domaine humanitaire39.
37Le chapitre précédent montrait comment les chômeur.se.s ciblent tout acteur public qui pourrait éventuellement avoir une influence sur la création d’emplois. Le ciblage d’un acteur ou d’un autre à un moment donné répond à des critères d’opportunité, de facilité, de précaution et de réduction des risques sécuritaires. Quand l’occasion se présente, les protestataires essaient de tirer profit de l’émergence de « nouveaux » acteurs politiques capables de perturber les équilibres institutionnels traditionnels (Tarrow, 1994 ; Koopmans & Kriesi, 1995 ; Meyer 2004). C’est la raison pour laquelle, en avril 2008, les diplômé.e.s chômeurs placent de grands espoirs dans les réunions convoquées par le parlementaire Fouad Ali El Himma.
38En 2008, Fouad Ali El Himma est un ex-ministre délégué à l’Intérieur et un ami intime de Mohammed VI. Son entrée en politique électorale, avec la liste « Tradition et Modernité », a été l’un des faits marquants de la campagne pour les élections législatives de 2007. Beaucoup d’observateurs de la vie politique marocaine y ont vu l’amorce d’une réorganisation de la carte politique aux conséquences imprévisibles. Cette analyse a été renforcée par l’abondance de député.e.s transfuges qui ont abandonné leurs partis pour rejoindre « Tradition et Modernité ». Un des buts de cette réorganisation de la carte politique aurait été la formation d’une grande coalition pour freiner l’ascension du PJD (parti qui remportera enfin les élections en 2011). Bien que, officiellement, El Himma ne possédât que le statut de parlementaire, son pouvoir informel dérivé de sa relation privilégiée avec le roi a généré des attentes parmi les groupes de chômeur.se.s. En outre, l’homme politique investit le champ de la protestation comme une source de légitimation de ses aspirations politiques : Fouad Ali El Himma s’est érigé en médiateur entre les protestataires et le Premier ministre et le ministère de l’Intérieur, et il a invité les groupes de diplômé.e.s de troisième cycle à plusieurs réunions40.
39Ces réunions étaient organisées à la marge du processus de négociation établi par le conseiller des Affaires sociales. Mais le rang des personnes appelées à participer aux réunions d’El Himma témoigne du décalage entre le statut objectif du promoteur de l’initiative (un « simple » député) et les ressources symboliques et matérielles qu’il était en mesure de mobiliser grâce à sa proximité avec le cœur du Makhzen. Des responsables gouvernementaux de premier ordre et des figures du monde économique et social y étaient présents41, ce qui, bien entendu, a suscité un attrait indiscutable aux yeux des diplômé.e.s chômeur.se.s. El Himma a proposé aux diplômé.e.s de troisième cycle de quitter Rabat. Au lieu d’être reçue avec consternation, cette proposition a été interprétée par les protestataires comme une preuve de la capacité d’El Himma, en tant qu’ex-ministre de l’Intérieur, à mobiliser les appareils administratifs et économiques des provinces et des régions.
40Finalement, aucune suite concrète n’a été donnée aux trois réunions ; néanmoins, elles n’ont pas été sans effets sur l’entourage des chômeur.se.s. En effet, deux commissions de soutien, l’une syndicale et l’autre associative, ont été constituées en mai 2008. Le but affiché de ces commissions était d’apporter du conseil et du soutien politique aux diplômé.e.s chômeur.se.s afin d’empêcher l’instrumentalisation de leur cause par « El Himma, l’ami du roi ». Cette histoire d’aventurisme d’El Himma ne reste qu’une anecdote favorisée par le contexte électoral. Cependant, elle éclaire une logique qui aide à comprendre les rapports entre les protestataires et les pouvoirs publics, ainsi que les possibilités pour les premiers de voir avancer leurs revendications : la mobilisation des chômeur.se.s peut constituer une source potentielle de crédit politique convoité par différents acteurs politiques et, par conséquent, elle peut influencer les relations entre ces acteurs.
41Au lendemain des élections législatives de 2007, la nomination de l’istiqlalien Abbas El Fassi au poste de Premier ministre ne présumait en rien la restructuration du mode d’interlocution avec les chômeur.se.s, en place depuis 1998 et ayant survécu à plusieurs gouvernements. Or El Fassi a recomposé son équipe de conseillers et a écarté le vétéran Driss El Guerraoui. Avec cette opération, l’Istiqlal aurait cherché à faire table rase du passage controversé d’Abbas El Fassi à la tête du ministère de l’Emploi entre 2000 et 2002, au moment de l’explosion de l’affaire Annajat42. De plus, un modèle stable d’embauche de diplômé.e.s qui devait constituer la base de toutes les opérations futures a été annoncé par les nouveaux conseillers istiqlaliens : l’intégration de 1 000 diplômé.e.s tous les ans, indépendamment des postes prévus dans la loi de finances. L’idée était de vider la rue tout en rétablissant la croyance en un mécanisme stable et crédible de gestion des flux43.
42Le ministère de l’Emploi et des Affaires sociales est alors singulièrement absent des négociations avec les chômeur.se.s protestataires ou, le cas échéant, seulement convoqué à l’étape finale des discussions, à des fins d’entérinement. La présence de certains négociateurs publics et l’exclusion d’autres a priori concernés par la question de l’emploi confirment la bipolarité de la gestion des protestations, réalisée dans l’interstice entre la politique publique d’emploi et l’approche sécuritaire d’un « débordement du social » (Catusse, 2006).
La rhétorique et la dynamique des négociations
43Les négociations entre les protestataires et les pouvoirs publics se produisent à l’occasion de rencontres au siège de la primature, à Rabat, ou dans des instances déconcentrées du ministère de l’Intérieur. Le conseiller du Premier ministre, et d’autres responsables publics associés aux réunions, présentent ces rencontres comme une banalité découlant « tout simplement » du devoir de communication des responsables gouvernementaux vis-à-vis des citoyen.ne.s. Ainsi, ils insistent sur le fait que les diplômé.e.s chômeur.se.s ne sont pas reçu.e.s en tant qu’acteur collectif porteur de droits, mais en tant qu’individus touchés par le malheur du chômage44. L’argument de l’égalité de tou.te.s les citoyen.ne.s au regard de l’emploi dans la fonction publique, énoncé dans l’article 12 de la Constitution de 199645, est d’ailleurs brandi pour désactiver toute association entre une catégorie sociale (le ou la diplômé.e) et le droit à l’emploi. Ce faisant, c’est aussi le statut de sujet politique revendiqué par les groupes protestataires que les responsables publics persistent à nier.
44La rhétorique officielle sur l’universalité du droit à l’emploi permet aussi de dissimuler le nombre de personnes avec lesquelles les protestataires sont en concurrence pour l’emploi. L’information sur le volume total de candidat.e.s à l’emploi public est exclusivement détenue par les responsables publics46. Au-delà de ce qui demeure visible dans les protestations (le nombre de personnes qui participent aux manifestations de rue), les protestataires ne disposent d’aucune autre information pour estimer de manière fiable le poids de la concurrence et pour agir en conséquence.
45La fragmentation de l’espace chômeur est déplorée, considérée comme un obstacle pour la bonne gestion publique de l’affaire :
Les négociations sont un problème. Maintenant, on travaille avec cinq groupes ! L’un d’entre eux, Tansikiya, est formé de dix-sept groupes ! Et dix-sept personnes viennent chaque fois défendre leurs intérêts ; puis il y a un autre groupe formé de quatre personnes, puis un autre formé de deux, et après il y a encore deux autres groupes... Vous voyez, ça rend difficiles les conversations, parce que chaque groupe demande l’exclusivité ; l’un dit qu’il a la priorité parce qu’il a fait plus de manifestations47...
46Or il est fréquent que les groupes soient rencontrés séparément : les réunions bilatérales offrent l’opportunité de relayer des informations partielles et contradictoires, alimentant l’incertitude et la méfiance entre les chômeur.se.s. Cette démarche n’est pas sans rappeler la stratégie du « diviser pour mieux régner » qui caractérise le rapport de la monarchie aux partis politiques, analysé notamment dans les travaux de Rémy Leveau ou John Waterbury. Le caractère fragmenté de l’information que les autorités délivrent fait apparaître à tout moment les autres groupes comme des concurrents :
Je ne refuse pas de mener des actions coordonnées sur le terrain avec les autres groupes, mais après, au moment des négociations, il faut respecter la priorité des Quatre Groupes. C’est normal, non ? Tu crois que c’est juste que quelqu’un qui vient de s’inscrire puisse travailler, alors que moi cela fait déjà trois ans que kanakoul l’assa48 ? [au sens littéral : « je mange des bâtons » ; je souffre des interventions répressives]
47La régularité des rencontres avec les responsables publics finit par créer, aux yeux des protestataires, une sorte de proximité qui viendrait nuancer l’impression d’inaccessibilité de l’autorité49. Mais l’illusion d’une communication fluide résiste mal à la présence d’une hiérarchie bien instaurée : l’établissement du calendrier, les critères d’inclusion et d’exclusion d’interlocuteurs ou encore le contenu des rencontres sont toujours du ressort des pouvoirs publics. Tous les groupes de chômeur.se.s ne reçoivent pas l’invitation à participer à des négociations ; ceux qui sont effectivement inclus demeurent cependant dépendants de la bonne volonté des responsables publics pour négocier. Cette inégalité fragilise la capacité de planification et d’anticipation des manifestant.e.s. Confrontés à l’impossibilité de contrôler l’ordre du jour et la sélection des participant.e.s, les protestataires sont placés dans une position de domination.
48Pour que la mobilisation des chômeur.se.s soit une source potentielle de crédit politique, il faut que celle-ci contribue à temporiser la grogne sociale. Aux yeux des responsables publics, les rencontres avec les représentants des diplômé.e.s chômeur.se.s doivent permettre de contrôler la protestation, ou tout au moins d’anticiper ses possibles évolutions et ses connexions éventuelles avec des projets politiques subversifs50. Le contrôle de la mobilisation peut être opéré, en réalité, au sein même des lieux où la protestation se fabrique. Les assemblées hebdomadaires des groupes de chômeur.se.s (qui se tiennent dans les sièges d’organisations syndicales ou dans la rue) sont relativement ouvertes et publiques, et donc elles peuvent être infiltrées facilement par les services de renseignement51. S’assurer une prise sur la forme concrète des expressions du mécontentement est un enjeu important pour les pouvoirs publics, raison pour laquelle les discussions avec les chômeur.se.s portent souvent sur la gestion du fonctionnement interne des groupes. Ainsi, les négociateurs publics peuvent-ils imposer des conditions relatives à l’inclusion ou l’exclusion d’adhérent.e.s, à la fermeture des listes, à la fusion ou à la scission dans les groupes, etc. En outre, les réunions servent aux autorités pour exprimer des désaccords quant au calendrier des actions ou interdire directement les khoroj certains jours. Les collectifs en lice se montrent dociles vis-à-vis des autorités, plutôt enclins à accepter des accords a minima de crainte de se voir exclus de ces lieux de décision les concernant.
Qui est embauché.e ?
49Le recrutement des protestataires est en décalage avec les prévisions de la loi de finances annuelle. Une réserve budgétaire discrétionnaire du Premier ministre est mobilisée à ces occasions, le recrutement des protestataires impliquant l’entretien de pratiques non transparentes d’utilisation des ressources publiques. Dans les villes où des sections locales de l’ANDCM (ou d’autres groupes de chômeur.se.s) sont actives, l’intégration professionnelle des adhérent.e.s implique parfois la modification des budgets communaux par l’administration déconcentrée du ministère de l’Intérieur (pachas et gouverneurs). La charte communale de 2002 (et sa révision de 2009) a consolidé la relative autonomie financière des collectivités locales à l’égard du ministère de l’Intérieur, de sorte que le conseil communal profite d’une certaine marge de manœuvre dans la gestion des recrutements locaux. Pourtant, le réputé pouvoir de tutelle du ministère de l’Intérieur demeure dans l’imaginaire collectif et les diplômé.e.s ciblent leurs interlocuteurs en conséquence52.
50Dans les petites villes, comme à Outat El Haj, une des modalités d’emploi auxquelles aspirent les chômeur.se.s sont les bita’iq in’ach, des contrats temporaires de la Promotion nationale53 et originellement conçus comme des mesures de lutte contre la pauvreté54. Les postes de fonctionnaires à une échelle correspondant à leur niveau de scolarité sont beaucoup plus rares. Plus fréquemment, les chômeur.se.s diplômé.e.s sont dirigé.e.s par le pacha et le directeur du Centre de travaux agricoles vers la constitution de projets d’autoemploi. Des coopératives agricoles, des crèches et des associations de lutte contre l’analphabétisme féminin ont été créées, financées avec les crédits accordés dans le cadre du volet « activités génératrices de revenus » de l’INDH55. À Sidi Ifni et Bouarfa, le nombre d’agréments de taxis et d’autres licences commerciales accordées dépasse largement celui des postes offerts dans l’administration56. À Bouarfa, la mémoire militante locale retient 1996 comme une « année extraordinaire57 » au cours de laquelle six postes au conseil communal et à la province ont été pourvus. En revanche, les recrutements ont été faits au compte-gouttes les années suivantes. À la fin des années 2000 et au début des années 2010, des conversations entre, d’un côté, le gouverneur provincial et le caïd de la direction des Affaires générales, et de l’autre, les adhérent.e.s de l’ANDCM et du groupe local de licencié.e.s universitaires, avaient pour enjeu l’attribution de licences de magasins sous franchise d’un important groupe de distribution alimentaire (Asswak Assalam) dans le marché municipal. Quant à Sidi Ifni, les particularités géographiques de la ville ont permis une diversification des incitations visant à intégrer le secteur privé : des licences d’embarcations de pêche et des terrains destinés à l’exploitation agricole ou touristique. En 2005, la concertation entre le gouverneur de Tiznit et le wali d’Agadir s’est traduite par l’octroi d’une dizaine de kiosques, des locaux commerciaux à Agadir et des terrains dans les environs de Sidi Ifni. D’ailleurs, l’importante valeur marchande de ces dons ont incité quelques bénéficiaires à revendre leurs terrains et / ou licences. Certains ont investi l’argent dans des projets immobiliers (achèvement de la construction de la maison familiale) ou migratoires. C’est seulement après la vaste mobilisation de 2008 que les chômeur.se.s protestataires ont obtenu quelques postes dans la collectivité locale.
51Dans tous les cas, la prise en compte des revendications des diplômé.e.s favorise des pratiques népotistes. Il est fréquemment signalé par les chômeur.se.s embauché.e.s à la suite de processus de négociation que les accords d’insertion les concernant ont également bénéficié à des inconnu.e.s, parfois au détriment d’autres adhérent.e.s des groupes, qui sont mystérieusement effacé.e.s des listes ou recalé.e.s dans les classements58. De fait, l’acceptation d’un quota de postes et d’agréments pour des « anonymes » est une des conditions nécessaires à la conclusion des accords imposées aux groupes de chômeur.se.s59. De même, les embauches massives en faveur des diplômé.e.s de troisième cycle manifestant à Rabat dissimulent l’intégration professionnelle de personnes qui n’appartiennent pas aux groupes protestataires. L’ouverture du robinet des embauches sert également à amadouer les oppositions locales, voire à élargir le réseau de soutiens locaux des pouvoirs publics60.
52Selon le volume et les caractéristiques des personnes embauchées, les recrutements accordés par les pouvoirs publics peuvent avoir un effet démobilisateur sur les groupes de diplômé.e.s chômeur.se.s. À moins que les pouvoirs publics ne souhaitent les pénaliser pour leur militantisme, les adhérent.e.s les plus actifs et actives (et, par conséquent, les mieux classé.e.s sur les listes des groupes) sont susceptibles d’être embauché.e.s en premier. Cela prive les groupes de ses membres les plus expérimenté.e.s. L’effet démobilisateur de ces recrutements s’aggrave quand le groupe de chômeur.se.s ne s’est pas doté d’outils de transmission de compétences militantes et quand les modalités de division du travail ont fait peser sur les militant.e.s les plus expérimenté.e.s les fonctions de coordination. En tout état de cause, il faut constater qu’à chaque recrutement la rue est partiellement vidée de protestataires et que les groupes en sortent fragilisés.
53L’un des buts politiques de tout groupe de chômeur.se.s, préalable à l’obtention d’un emploi dans la fonction publique, est l’ouverture de négociations avec les responsables publics. Nous avons vu dans ce chapitre que tous les groupes n’y parviennent pas : à Rabat, par exemple, l’attention offerte par les autorités à l’égard des groupes de troisième cycle contraste avec la marginalisation de l’ANDCM et des groupes de diplômé.e.s handicapé.e.s. Les discussions aboutissent avec une certaine régularité à des embauches. Celles-ci répondent à des calculs d’acteurs qui sont en position de débloquer des postes d’emploi et qui peuvent permettre d’atteindre des objectifs propres à ces acteurs.
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54Les caractéristiques des discussions avec les pouvoirs publics analysées dans ce chapitre montrent que les groupes protestataires invités à négocier se retrouvent placés dans une position de dépendance face au bon vouloir des autorités et de méfiance face aux autres groupes de chômeur.se.s. Cette situation entraîne plusieurs conséquences, qui vont de la fragmentation de l’espace protestataire à la tendance à la modération discursive et tactique pour certains groupes. De plus, toute possibilité d’évolution de la mobilisation, dans son ensemble, vers des postures contestataires ou politiquement plus audacieuses se trouve désamorcée. Cela n’est pas sans effet sur l’image que les chômeur.se.s inspirent aux autres acteurs de l’espace des mouvements sociaux au Maroc.
Notes de bas de page
1 Lorsque les embauches ont lieu à Rabat, les accords sont signés par le Premier ministre. Bien que le rythme des embauches soit beaucoup plus lent dans les villes petites et moyennes, la protestation peut aussi déboucher sur l’attribution de quelques postes. Dans ces endroits, ce sont les représentants de l’administration déconcentrée du ministère de l’Intérieur qui accordent les postes.
2 Selon des rapports produits par le think tank spécialisé en politiques d’emploi European Training Foundation et du ministère de l’Emploi et des Affaires sociales, entre 2012 et 2014.
3 Selon Noureddine El Aoufi et Mohamed Bensaïd, il s’agit de « “places” où se croisent tous les jours des offres et des demandes de travail, organisées en petits modules autonomes sur la base de spécialisations plus ou moins claires et formant ensemble un véritable réseau » (2008, p. 70).
4 Différents rapports d’institutions internationales conseillent de démanteler un supposé modèle tenu pour révolu. Un exemple en est le rapport sur l’éducation de 2007 de la Banque mondiale, qui prône l’intervention du secteur privé dans la distribution de services éducatifs, voir « Un parcours non encore achevé : la réforme de l’éducation au Moyen-Orient et en Afrique du Nord », 2007, en ligne : http://siteresources.worldbank.org/INTMENA/Resources/EDU_Summary_FRE.pdf (janvier 2020).
5 Hassan Bouchachia, « “Les diplômés sont trop mous” : les patrons veulent des challengers », L’Économiste, 8 septembre 1999.
6 Aniss Maghri, « Chômeurs diplômés : Asmâa, licenciée en gestion », L’Économiste, 25 juin 1998.
7 Nadia Belkhayat, « À la recherche d’un job : comment les jeunes tentent de s’en sortir », L’Économiste, 20 septembre 2004.
8 Le ministère de la Fonction publique s’appelle désormais ministère de la Modernisation des secteurs publics. Ce changement est révélateur de la philosophie qui sous-tend les réformes : « Le ministère doit cesser d’être un ministère de notables, de “carrière” – dans le sens où c’est parce que j’ai un diplôme que j’ai le droit de travailler dans la fonction publique. Non, ça doit devenir un ministère “d’emplois”. » (Entretien avec Abdelaziz El Houari, chef de service du ministère de la Modernisation des services publics, Rabat, février 2009)
9 Saloua Mansouri, « Hassan II capitule devant l’économie », Challenge, 7 mars 2009, en ligne : www.maghress.com/fr/challenge/4236 (janvier 2020).
10 Selon le blog de la Ligue nationale des cadres supérieurs chômeurs, le taux d’encadrement de l’administration publique sur la population active marocaine n’atteint pas les 2 %, alors qu’il est de 20 % en France (source : http://al-rabita.blogspot.com).
11 Les prévisions de la loi de finances oscillent entre 8 000 et 16 000 nouveaux postes par an. Une moyenne de 1 000 diplômé.e.s chômeur.se.s (protestataires) est embauchée chaque année depuis 2003. Il est difficile de dire si ces embauches sont réalisées dans le cadre des prévisions budgétaires de l’année. Pourtant, le seuil de postes prévu dans la loi est l’un des enjeux des manifestations de chômeurs tous les ans.
12 Entretien avec Mostafa Ameur, ancien responsable de la DGCL, Rabat, janvier 2009.
13 Le PIACE visait la promotion de l’auto-insertion à travers l’information, l’accompagnement et l’assistance technique. Il s’accompagnait d’un Programme de crédit jeunes promoteurs. Des diplômé.e.s de la formation professionnelle pouvaient disposer de 500 000 dirhams de crédit, dont la prise en charge était répartie entre l’État et les banques. En 1995 a été mis en place un Fonds pour la promotion de l’emploi des jeunes, un programme spécifique de soutien à la création d’entreprises. Ce fonds s’adressait aux personnes entre 20 et 45 ans titulaires d’un diplôme d’enseignement supérieur, de formation ou de qualification professionnelle. Le crédit représentait 90 % du montant du projet, avec un plafond d’un million de dirhams. La durée du crédit oscillait entre douze et quinze ans. Le taux d’intérêt était de 5 % pour les prêts accordés par l’État et de 9 % pour ceux des banques.
14 Le but de PROMAR était l’identification de besoins économiques en milieu agricole, ainsi que la conception de projets agricoles et non agricoles dans les communes locales rurales. Le PNFI assurait des formations de courte durée permettant une première expérience professionnelle. Le programme s’adressait spécialement aux chômeur.se.s de longue durée (à la recherche d’un emploi depuis plus d’un an), titulaires au moins du baccalauréat et sans aucune qualification professionnelle.
15 CNJA, « Enquête nationale auprès des jeunes : analyse des résultats », Rabat, 1993, p. 69. Le rapport indique que la part de l’administration dans l’emploi total est de 9 %, alors que dans les pays développés, cette proportion varie entre 12 et 18 %.
16 Le rapport fait le constat du degré relativement bas de qualification dans les collectivités locales : une proportion relativement élevée d’employé.e.s subalternes ne dispose pas de formation précise et 30 % des fonctionnaires ne dépassent pas l’enseignement primaire.
17 Les CIOPE développent d’autres missions qui seront plus tard assumées par l’ANAPEC, telles que l’inscription des chercheur.se.s d’emploi, l’information sur les offres existantes, les concours, les formations et la prestation d’aide à la recherche d’emploi. Les CIOPE ont également la tâche d’informer les pouvoirs publics sur les données du marché de l’emploi et de faire des propositions pour faciliter l’insertion des chercheur.se.s d’emploi.
18 Entretien avec un ex-diplômé chômeur de troisième cycle, Rabat, avril 2005.
19 Driss El Guerraoui est chargé du dossier entre 1998 et 2008. Avec l’arrivée d’Abbas el Fassi au gouvernement en 2007, il est officieusement remplacé par Abdessalam Bakkari, personne de confiance issue de la jeunesse du Parti de l’Istiqlal (PI), également économiste.
20 Selon un ancien conseiller d’Abdallah Saaf au ministère de l’Éducation nationale (1998-2000), « on a tous toujours négocié avec les chômeurs. Le Palais et l’Intérieur, ils ont des réseaux de discussion directe avec les diplômés, soit à la marge du gouvernement, soit en son nom. Le gouvernement a commencé à percevoir ces relations comme quelque chose qui pouvait entacher son autorité » (entretien avec Omar Benbada, Rabat, février 2005).
21 Les principaux partenaires institutionnels du ministère de l’Emploi et des Affaires sociales en matière d’encouragement de l’emploi sont la Promotion nationale, l’Entraide nationale (qui dépend du ministère du Développement social), l’Agence de développement social (qui relève du ministère de l’Intérieur) et, à partir de 2005, l’Initiative nationale pour le développement humain (INDH), mise en place par le roi Mohammed VI. Ces différents organismes interviennent notamment dans des projets pensés par le prisme de la lutte contre la pauvreté.
22 Une partie des bénéficiaires du programme a effectivement été intégrée dans ces secteurs, tandis que d’autres milliers d’exclu.e.s ont grossi les rangs des groupes protestataires. Et cela jusqu’à leur démobilisation après une promesse d’embauche annoncée avant les élections législatives de 2002. (Entretien avec Hassan Benmoussa, secrétaire général du secrétariat à la Formation professionnelle, Rabat, mars 2007)
23 Le RNI est créé en 1978 autour du Premier ministre de l’époque, Ahmed Osman. Ces origines valent à la formation d’être qualifiée de « parti de l’administration ».
24 La dernière rencontre du bureau de l’ANDCM avec le ministre de l’Emploi date de 2001.
25 La réforme constitutionnelle de 1996 prévoyait déjà le remplacement du CNJA par un Conseil économique et social, dont la mise en place s’est longtemps fait attendre. Il a finalement été mis en place en février 2011, sous la forme du Conseil économique, social et environnemental.
26 C’est le cas de coordinations (tansikiyat) contre la vie chère, lancées par l’Association marocaine des droits humains (AMDH) en 2005.
27 À l’origine des tansikiyat, on trouve la mobilisation à Rabat contre la privatisation de l’eau au profit de la multinationale française Veolia. Dans certaines villes, comme Bouarfa, le but principal des tansikiyat était la remunicipalisation des services, à travers des actions collectives de boycott.
28 Les Hirak de 2017-2018 (Rif et Jerada) s’inscrivent dans ce cycle. Leur combustible est la précarité matérielle et professionnelle des jeunes. Pour rappel, le Hirak au Rif commence avec le meurtre d’un jeune poissonnier, broyé par un camion à ordures alors qu’il essayait de récupérer sa marchandise. Le déclencheur des protestations à Jerada est la mort de deux frères chômeurs qui s’étaient aventurés dans une mine abandonnée pour y extraire du charbon. Dans les deux cas, la gestion par le gouvernement islamiste a combiné les promesses d’emploi pour les jeunes et la répression policière et judiciaire visant à mater les mouvements.
29 Néanmoins, deux ans après le lancement officiel de la SNE, aucune réalisation concrète ne peut lui être attribuée, voir Noureddine El Aissi, « Emploi : enfin un plan national, mais pas de concret ! », L’Économiste, 29 août 2017, en ligne : www.leconomiste.com/article/1016742-emploi-enfin-un-plan-national-mais-pas-de-concret (janvier 2020).
30 Pour en avoir un aperçu, le ou la lecteur.rice peut consulter les rapports du think tank spécialisé dans le domaine de l’emploi European Training Foundation, voir par exemple Aomar Ibourk-ETF, « Les politiques d’emploi et les programmes actifs du marché du travail au Maroc », 2015, en ligne : www.etf.europa.eu/sites/default/files/m/84B798B18610CEC4C12580AE004BC362_Employment%20policies_Morocco_FR.pdf. (janvier 2020).
31 Malgré l’ambition d’attirer des catégories rétives à l’autoemploi (notamment des docteur.e.s et des ingénieur.e.s), deux ans après le lancement du programme Moukawalati, la répartition des nouveaux.lles entrepreneur.se.s par diplôme révèle la prééminence des titulaires de bac + 4 (39 % des bénéficiaires) et des diplômé.e.s de la formation professionnelle (32 %). Les titulaires de diplômes de troisième cycle universitaire ne représentent que 8 % des porteur.se.s de projets.
32 L’OFPPT est un opérateur public en matière de formation professionnelle, en fonctionnement depuis 1974.
33 L’INDH a été lancée par Mohamed VI en 2005 comme projet phare de son règne. Défini comme un projet « bâti sur les principes de démocratie politique, d’efficacité économique, de cohésion sociale et de travail, mais aussi sur la possibilité donnée à tout un chacun de s’épanouir en déployant pleinement ses potentialités et ses aptitudes » (discours de Mohamed VI, 18 mai 2005), il constitue un cadre cognitif et logistique pour la mise en œuvre des « projets de développement » (Bono, 2008).
34 Entretien avec le responsable du guichet Moukawalati de Bouarfa, Bouarfa, novembre 2008.
35 ANAPEC, rapport d’évaluation 2008.
36 Entretien avec le directeur du guichet Moukawalati d’Agadir, Agadir, novembre 2008.
37 Expression d’origine coloniale utilisée par des géographes (Jean Célérier, Georges Hardy) puis reprise par le général Lyautey, premier résident général de France au Maroc. Elle désigne le Maroc marginal, celui qui présente un moindre intérêt économique et stratégique pour les colonisateurs d’abord, et pour l’autorité souveraine ensuite.
38 Entretien avec le directeur du guichet Moukawalati d’Agadir, Agadir, novembre 2008.
39 À en juger par les propos de Driss El Guerraoui : « Les diplômés chômeurs, il faut faire quelque chose avec eux… Ce sont des gens qui souffrent. » (Entretien, Rabat, mars 2007)
40 Pourtant, son projet d’intervention sur le chômage n’a rien de novateur. Il se décline, dans un premier temps, en une proposition de formation dans les « nouvelles niches porteuses de développement » (tourisme et offshoring) et, dans un deuxième temps, en une proposition de « retour au bled » pour explorer les possibilités d’insertion professionnelle à un niveau régional et provincial.
41 Les ministres de l’Emploi, de l’Éducation nationale et des Finances, des responsables de l’ANAPEC et de la CGEM, ou encore des personnages médiatiques de la société civile (comme Kamal Lahbib, promoteur du Forum social marocain) ont participé aux réunions d’El Himma.
42 En mars 2001, l’affaire Annajat explose, éclaboussant le ministre istiqlalien. Celui-ci abandonne le département à la suite de la nomination de Driss Jettou à la tête d’un nouveau gouvernement, en novembre 2002 (voir le chapitre 2).
43 À partir de 2012, le nouveau gouvernement du PJD doit faire face à des manifestations de chômeur.se.s qui réclament le renouvellement de cette pratique de recrutements annuels réguliers.
44 Il s’agit d’une approche condescendante qui sous-estime l’origine politique de la situation dénoncée par les groupes : « Oh, ils vont finir par comprendre, et on va les convaincre. Mais, vous savez, les gens qui souffrent ne comprennent pas. » (Entretien avec Driss El Guerraoui, Rabat, mai 2005)
45 Ainsi que l’article 31 de la nouvelle Constitution (2011) qui proclame que l’État, les établissements publics et les collectivités territoriales « œuvrent à la mobilisation de tous les moyens à disposition pour faciliter l’égal accès des citoyennes et des citoyens aux conditions leur permettant de jouir de droits » tels que l’emploi.
46 Pour cette raison, les diplômé.e.s de troisième cycle s’étaient opposé.e.s à la réalisation d’un examen écrit dans le cadre d’un accord d’embauche en août 2007. Ils et elles considéraient que l’examen écrit impliquait de mettre en concurrence les membres des groupes avec d’autres candidat.e.s non protestataires.
47 Entretien avec Abdessalam Bakkari, conseiller du Premier ministre El Fassi, Rabat, septembre 2009.
48 Entretien avec un militant des Quatre Groupes, Rabat, juin 2008.
49 Tant les conseillers du Premier ministre que les représentants des groupes de diplômé.e.s chômeur.se.s soulignent la fréquence et le caractère non protocolaire, sans médiations ni « coupe-feux » institutionnels (par exemple, sans secrétaires) de leurs communications téléphoniques. Selon Mohamed Regraga, secrétaire général de la wilaya de Rabat-Salé, vingt-neuf rencontres ont eu lieu en trois mois, entre mai et août 2007.
50 Une crainte récurrente des autorités est de voir basculer la mobilisation dans le giron d’Al Adl wal Ihsâne. Si nous en jugeons d’après plusieurs entretiens avec des diplômé.e.s chômeur.se.s appartenant à ce mouvement et d’autres membres de la Jama’a, une telle réappropriation ne semble pas entrer dans la logique de l’organisation islamiste. Les membres de la Jama’a qui adhèrent à un groupe de chômeur.se.s sont sommés de garder sous silence leurs loyautés politiques.
51 Pour contrecarrer les effets de la présence de « mouchards », la discussion de certains sujets est réservée exclusivement aux réunions des bureaux. Une autre technique de contrôle de l’information concerne la manière dont les informations urgentes sont diffusées. Le programme d’actions du jour est communiqué au moyen de textos : d’abord, le bureau informe les chefs de cellule la veille des actions puis ceux-ci transmettent ensuite les informations, de la même façon, aux membres de leur cellule.
52 Les revendications sont adressées, dans la mesure du possible, aux départements de l’administration déconcentrée du ministère de l’Intérieur, en raison de sa supposée prééminence décisionnelle.
53 Institution rattachée au ministère de l’Intérieur, la Promotion nationale fut créée en juillet 1961. Selon le dahir qui l’a instituée, elle a comme objectif de « coordonner et de mettre en œuvre la réalisation du plein emploi des populations rurales pour promouvoir la mise en valeur du territoire national ».
54 L’expression bitaqat in’ach (littéralement « carte de la promotion ») fait référence au contrat que le bénéficiaire passe avec la Promotion nationale pour occuper un emploi à durée déterminée et peu qualifié dans l’administration.
55 À propos du volet « activités génératrice de revenus » de l’INDH et de ses implications sur le champ associatif rural, voir Irene Bono (2010).
56 Le président du Centre agricole est un interlocuteur fréquent des diplômé.e.s chômeur.se.s d’Outat El Haj. Lui-même m’a dirigée vers des figures de « repentis » qui ont créé de petites affaires. Avec ce terme très connoté, il faisait référence à des diplômé.e.s chômeur.se.s anciennement mobilisé.e.s et ayant opté pour la défection avant d’obtenir une amélioration de leur statut professionnel.
57 Aux dires de plusieurs interviewés.
58 Ceci se fait parfois au moyen de la manipulation des résultats des entretiens et des examens que les autorités imposent aux diplômé.e.s de troisième cycle bénéficiant d’accords d’embauche, pour donner un certain air de formalité à la procédure.
59 À Rabat, les diplômé.e.s de troisième cycle se font l’écho de soupçons sur le recrutement de militant.e.s des partis de tel ou tel responsable public, de membres de sa famille ou de connaissances.
60 L’embauche, après le recensement des diplômé.e.s chômeur.se.s par le CNJA, de 10 000 cadres municipaux en 1991 en est un exemple. Nulle évaluation des besoins des communes bénéficiaires n’avait été faite préalablement à cette opération, qui a favorisé le renforcement de rapports de loyauté, et ce, d’autant plus que le maintien de postes inutiles assure la présence d’obligé.e.s auprès des autorités locales, d’après les entretiens réalisés avec des fonctionnaires du ministère de l’Intérieur ayant participé à l’opération.
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