La lettre-testament du président Getúlio Vargas
Généricité, structure compositionnelle et représentations1
p. 253-267
Texte intégral
1Aux premières heures du 24 août 1954, le président brésilien Getúlio Vargas (1882-1954) se suicidait en se tirant une balle dans le cœur. À côté de son corps, on trouva deux feuillets dactylographiés et signés, désormais appelés « lettre-testament ». Il s’agit d’un des documents les plus connus et les plus importants de l’histoire politique brésilienne, qui a eu, à son époque et jusqu’à nos jours, des conséquences véritablement historiques. En effet, quelques heures après le suicide, la lettre fut lue au téléphone – par le ministre de l’Économie, Oswaldo Aranha, très ému – et retransmise simultanément pour tout le pays par la Rádio nacional. Elle provoqua des manifestations populaires qui empêchèrent de concrétiser le coup d’État qui se préparait. D’ailleurs, comme le rappelle Thomas E. Skidmore : « Dans la mort, comme dans la vie, l’action de Vargas fut calculée pour provoquer le maximum d’effet politique. » (Skidmore, 2010, p. 180 ; nous traduisons)
2Nous proposerons ici une analyse linguistique de la généricité et de l’organisation de ce texte historique qui s’appuie sur les catégories d’analyse dégagées par Jean-Michel Adam dans le cadre de son analyse textuelle des discours, conçue comme théorie de la production co(n) textuelle de sens. Nous commencerons par une caractérisation générale du texte et nous nous interrogerons sur la double généricité affirmée par la désignation traditionnelle du document : lettre-testament. Ensuite, nous analyserons sa configuration compositionnelle, en regardant de plus près deux des moments de son plan : son ouverture et l’explication donnée au suicide. Enfin, nous considérerons la dimension sémantique en discutant une de ses principales représentations discursives : celle du « peuple ».
LE TEXTE
3La version de la lettre-testament que nous analysons est composée de deux feuillets, totalisant cinquante-quatre lignes organisées en six paragraphes, sans signature. Il y a au moins deux versions de ce texte (d’après certains auteurs, il y en aurait d’autres) : la version dite « officielle », dactylographiée en trois exemplaires – dont l’un, signé, a été trouvé sur la table de nuit du président –, lue à la Rádio nacional et à l’enterrement de Vargas2 ; une autre version, plus concise, manuscrite et signée, n’a été révélée qu’en 1967. C’est toute la problématique méthodologique de l’établissement du texte qui se pose ici et qui est, très souvent, extrêmement complexe (Adam, 2011, p. 48-55).
4La traduction de travail que nous proposons ci-dessous a pour but de permettre la compréhension des analyses par les non-lusophones. Elle est suffisante pour les besoins de cet exposé mais ne saurait constituer la base d’une étude plus approfondie3. Les paragraphes et les phrases sont numérotés pour faciliter les citations :
(1) Une fois de plus, les forces et les intérêts hostiles au peuple se coordonnent à nouveau et se déchaînent contre moi.
(2a) Ils ne m’accusent pas, ils m’insultent, ils ne me combattent pas, ils me calomnient et ne me donnent pas le droit de me défendre. (2b) Ils ont besoin d’étouffer ma voix et d’empêcher mon action, pour que je ne continue pas à défendre, comme je l’ai toujours défendu, le peuple et, principalement, les humbles. (2c) Je suis la destinée qui m’est imposée. (2d) Après des décennies de domination et de spoliation des groupes économiques et financiers internationaux, je pris la tête d’une révolution et je vainquis. (2e) Je commençai le travail de libération et instaurai un régime de liberté sociale. (2f) Je dus renoncer. (2g) Je retournai au gouvernement dans les bras du peuple. (2h) La campagne souterraine des groupes internationaux s’allia à celle des groupes nationaux révoltés contre le régime de garantie du travail. (2i) La loi sur les profits extraordinaires fut bloquée au Congrès. (2j) Contre la justice de l’augmentation du salaire minimum se déchaînèrent les haines. (2k) Je voulus établir la liberté nationale par le développement de nos richesses à travers la Petrobras, et à peine commença-t-elle à fonctionner que la vague d’agitation grandit. (2l) L’Eletrobras fut entravée jusqu’au désespoir. (2m) Ils ne veulent pas que le travailleur soit libre. (2n) Ils ne veulent pas que le peuple soit indépendant.
(3a) J’assumai le gouvernement, alors que la spirale inflationniste détruisait les revenus du travail. (3b) Les profits des entreprises étrangères atteignaient 500 % par an. (3c) Dans les déclarations de revenus de ce qu’on importait, il y avait des fraudes constatées de plus de cent millions de dollars par an. (3d) Vint la crise du café, notre principal produit se valorisa. (3e) Nous avons tenté de défendre son prix, et la réponse fut une violente pression sur notre économie, au point que nous avons été obligés de céder.
(4a) Je me suis battu, mois après mois, jour après jour, heure après heure, résistant à une agression constante, incessante, supportant tout en silence, oubliant tout, renonçant à moi-même pour défendre le peuple qui maintenant reste désemparé. (4b) Je n’ai plus rien à vous donner si ce n’est mon sang. (4c) Si les oiseaux de proie veulent le sang de quelqu’un, s’ils veulent continuer à sucer le sang du peuple brésilien, j’offre en holocauste ma vie. (4d) Je choisis ce moyen d’être toujours avec vous. (4e) Lorsqu’on vous humiliera, vous sentirez mon âme souffrant à vos côtés. (4f) Lorsque la faim battra à votre porte, vous sentirez dans votre poitrine l’énergie pour la lutte, pour vous et vos enfants. (4g) Lorsqu’on vous vilipendera, vous trouverez dans ma pensée la force pour réagir. (4h) Mon sacrifice vous maintiendra unis et mon nom sera votre drapeau de lutte.
(5a) Chaque goutte de mon sang sera une flamme immortelle dans votre conscience et maintiendra la vibration sacrée pour la résistance. (5b) À la haine, je réponds par le pardon. (5c) Et à ceux qui pensent qu’ils m’ont vaincu, je réponds par ma victoire. (5d) J’étais l’esclave du peuple et aujourd’hui je me libère pour la vie éternelle. (5e) Mais ce peuple dont j’ai été esclave, ne sera plus l’esclave de personne. (5f) Mon sacrifice restera pour toujours dans son âme et mon sang sera le prix de son rachat.
(6a) J’ai lutté contre la spoliation du Brésil. (6b) J’ai lutté contre la spoliation du peuple. (6c) J’ai lutté franchement. (6d) La haine, les infamies, la calomnie n’abattirent pas mon courage. (6e) Je donnai ma vie. (6f) Maintenant, je vous offre ma mort. (6g) Je ne crains rien. (6h) Avec sérénité, je fais le premier pas sur le chemin de l’éternité, et je sors de la vie pour entrer dans l’histoire.
LA DOUBLE GÉNÉRICITÉ DE LA LETTRE-TESTAMENT
5La désignation lettre-testament évoque deux genres textuels dont l’intersection serait identifiable surtout dans les sections initiale et finale : en-tête, lieu, date et signature (rappelons que celle-ci ne figure pas dans la version que nous analysons). Un troisième genre pourrait sans doute être convoqué, à savoir la lettre de suicide. Pour des raisons d’espace, nous allons nous concentrer sur les genres lettre et testament.
Le genre lettre
6En ce qui concerne le genre de la lettre, une grande partie des études linguistiques montre la diversité de ses buts communicatifs (Silva, 1997 ; Fonseca, 2005) et décrit ses caractéristiques linguistiques (Martins, 2012 ; Tavares, 2012). Ainsi, suivant la dénomination consacrée du texte (lettre-testament) l’hypothèse première est que, dans son aspect épistolaire, nous trouverons l’indication du lieu, la date, le vocatif et la signature. Ce sont ces éléments que Luiz Antonio Marcuschi (1983) désigne comme des facteurs contextualisants, lorsqu’il propose un schéma provisoire de catégories textuelles qui comprend, en outre, les facteurs de connexion séquentielle (cohésion), les facteurs de connexion conceptuelle-cognitive (cohérence) et les facteurs de connexion d’actions (pragmatique).
7Les facteurs de contextualisation d’une lettre typique ne sont pas tous réalisés dans la lettre-testament et ils doivent être relativisés selon la version considérée. En effet, à l’exception de la signature que l’on retrouve dans l’exemplaire de la lettre dactylographiée originale (dont on a deux exemplaires non signés), il n’y a, dans la version étudiée, ni indication de lieu, ni date, ni vocatif initial. Malgré cela, ces éléments sont aisément récupérables à partir des conditions de production et du contexte politique et historique. Il s’agit d’une lettre publique dont le destinataire est le « peuple brésilien », tel qu’il est explicité dans le paragraphe 4 (nous soulignons) :
(4b) Je n’ai plus rien à vous donner si ce n’est mon sang.
(4d) Je choisis ce moyen d’être toujours avec vous.
(4e) Lorsqu’on vous humiliera vous sentirez mon âme souffrant à vos côtés.
(4f) Lorsque la faim battra à votre porte, vous sentirez dans votre poitrine l’énergie pour la lutte, pour vous et vos enfants.
(4g) Lorsqu’on vous vilipendera, vous trouverez dans ma pensée la force pour réagir.
(4h) Mon sacrifice vous maintiendra unis et mon nom sera votre drapeau de lutte.
8Ces occurrences révèlent une interaction directe de l’énonciateur avec l’interlocuteur auquel il s’adresse et auquel il explique qu’il s’offrira en « holocauste » : le « peuple ». Celui-ci est exprimé par le pronom personnel « vous » et des déterminants possessifs (« votre », « vos »). L’interlocuteur est aussi référé au moyen des désinences verbales de même rang (« sentirez », « trouverez »). Ces marques linguistiques de l’interlocuteur nous permettent d’avancer deux remarques :
les formes d’adresse de l’interlocuteur instaurent une frontière syntaxique, sémantique et pragmatique d’intergénéricité ou une hybridation dans la composition du genre désigné comme lettre-testament. En effet, dans un testament, on ne s’attend pas à ce que le locuteur énonciateur s’adresse directement à l’interlocuteur, comme s’il était dans une situation de communication face en à face. Par contre, dans la lettre, il y a typiquement de telles occurrences ;
l’émotion domine le contenu de la lettre-testament : « (4a) [...] résistant à une agression constante, incessante, supportant tout en silence, oubliant tout, renonçant à moi-même pour défendre le peuple qui maintenant reste désemparé. (4b) Je n’ai plus rien à vous donner si ce n’est mon sang. »
9Le positionnement assumé de l’énonciateur – victime souffrant d’agressions constantes, continuelles – est renforcé par la présence de l’anaphore résomptive : « supportant tout en silence, oubliant tout ». Il s’agit de constructions qui, même si elles sont syntaxiquement indépendantes, ont une relation de dépendance sémantique puisqu’elles reprennent le complément de « résistant », c’est-à-dire « une agression constante, incessante » sous forme d’anaphore (« tout »), renvoyant aux énoncés précédents. C’est ainsi que la lettre-testament présente une narration dont la rhétorique accentue la charge émotionnelle – tant positive que négative – des conditions socio-historiques et des expériences personnelles qui précèdent et entourent la production du texte, étant donné que, « plus précisément, ce n’est pas la situation qui induit l’émotion dans l’interaction, mais la description sous laquelle elle est donnée. C’est le sens contextuel, et pas l’événement référence brut, qui est alors responsable de l’émotion » (Plantin, Traverso & Vosghanian, 2008, p. 148).
Le genre testament
10Plusieurs travaux importants sur le genre testament renvoient à une perspective historique qu’il convient de considérer ici. Ainsi, Pablo Rodríguez définit le testament de la façon suivante :
À l’origine [Moyen Âge], il s’agissait d’un document écrit dans lequel on confirmait sa foi et sa dévotion chrétiennes. Un moment où ceux qui étaient proches de la mort confessaient leur foi et mettaient leur âme en paix. Ils confessaient leurs péchés, réparaient les fautes commises et exprimaient leurs dernières volontés. [...] Dans un certain sens, le testament était la préparation du voyage vers l’au-delà. C’est à juste titre que Jacques Le Goffa appelé le testament un passeport pour le ciel”. Avec le temps, les testaments intégrèrent progressivement des matières profanes, comme la déclaration des biens et leur distribution entre les héritiers. Une espèce de rapport mondain à propos des gains et bénéfices économiques des personnes. C’est ainsi que les testaments finirent par réunir le spirituel et le matériel de la vie des individus. (Rodríguez, 2006, p. 18 ; nous traduisons)
11Complétant cette caractérisation du testament, Enrique Sosa Obediente et al. affirment :
Les testaments, ces documents notariaux de nature juridique dans lesquels un individu manifeste sa dernière volonté, disposant de ses biens et de tout ce qui le concerne pour après sa mort, constituaient à cette époque [xvie siècle] à la fois une pratique religieuse et une pratique sociale : ils étaient en effet un moyen de reconnaître le lignage du testateur. (Sosa Obediente et al., 2005, p. 36 ; nous traduisons)
12De son côté, suivant la conception contemporaine du genre, Heloísa Belloto définit ainsi le testament : « document authentique à valeur testimoniale d’enregistrement, horizontal, notarial. Disposition ou déclaration solennelle de la volonté du testateur sur ce qu’il souhaite que l’on fasse, après sa mort, de ses biens et de sa fortune. » (Belloto, 2002, p. 47 ; nous traduisons)
13Les deux premières définitions sont particulièrement intéressantes dans la mesure où elles soulignent le fait que, au moins à ses origines, le testament a une évidente dimension religieuse, de confirmation de « foi et dévotion chrétiennes ». Bien que cet aspect chrétien ne soit pas explicitement posé dans la lettre-testament parmi les aspects politiques, sociaux et historiques évoqués, le discours religieux est sans doute une des composantes fondamentales de construction et d’interprétation du texte.
14Il y a d’abord un élément de commisération, de compassion, souvent présent dans les approches religieuses portant sur les besoins des plus démunis. Ainsi, dans son parcours d’homme d’État, suivant la tradition politique populiste, le testateur Getúlio Vargas « a partagé » des biens matériels avec les plus démunis (le peuple auquel il s’adresse) – garanties et lois du travail, salaire minimum, lois de protection sociale – ainsi que des idéaux de justice, de solidarité et de soutien aux plus faibles de la société. Ces biens et idéaux ne sont pas présentés ou compris – discursivement – comme des conquêtes populaires, mais plutôt comme des dons, des libéralités de Getúlio Vargas. D’où vient qu’il ait été appelé – la machine de propagande du régime aidant – le père des pauvres. De plus, comme nous le verrons d’une façon plus détaillée, le locuteur construit soigneusement une image de lui-même comme martyr et sauveur, qui offre sa vie pour le salut du peuple.
15En examinant les caractéristiques testamentaires du texte, on constate qu’il va au-delà de l’expression des dernières volontés du président. Il constitue l’acte déclaratif de quelqu’un qui souhaite que certaines actions et attitudes se prolongent au-delà de la distribution des biens, ce qui rapproche le texte de la sphère du discours juridique. Mais, à la différence du propos communicatif du testament typique, qui vise à des changements de statut juridique de biens matériels, le testament de Getúlio Vargas se présente comme un vœu d’action politique et sociale, une promesse qui en même temps invite le peuple à lutter, résistant à l’humiliation et à la faim (4e-4g). Ainsi, en établissant son nom comme « drapeau de lutte » (4h), le président s’inscrit comme un symbole, un être transcendantal : (5a) « Chaque goutte de mon sang sera une flamme immortelle dans votre conscience et maintiendra la vibration sacrée pour la résistance. » La scène construite à partir du sang versé compose une image qui peut être rapprochée de la figure de Jésus, dont le sang versé est censé racheter les hommes dans la tradition chrétienne. Cela situe le texte directement dans le domaine du sacré, de l’immortalité : il propose une représentation mystique de la mort, où le sang figure comme une « flamme immortelle » alimentant une « vibration sacrée ».
16La lettre-testament constitue de ce fait un lieu d’intergénéricité et d’hybridation complexes dont nous avons signalé les principales pistes linguistiques, sans considérer même un troisième genre qui y serait à l’œuvre, à savoir la lettre de suicide, comme nous l’avons suggéré précédemment. Les articulations dégagées de notre étude de la généricité se retrouvent et se vérifient elles aussi lors de l’analyse de la composition du texte et des représentations discursives.
LA CONSTRUCTION COMPOSITIONNELLE DE LA LETTRE-TESTAMENT
17Pour examiner la construction compositionnelle du texte, nous recourrons aux notions de plan de texte et de séquence textuelle. Pour Adam, « un texte peut être constitué de morceaux successifs formant des sous-ensembles à l’intérieur du texte. La reconnaissance d’un texte comme tout passe par la perception d’un plan de texte, avec ses parties constituées ou non de séquences identifiables » (Adam, 2011, p. 203).
18Au niveau le plus général, la lettre-testament s’organise en deux parties, comportant chacune trois paragraphes. La première partie (1-3) décrit les attaques injustes dont le président est victime et fait une narration succincte de son histoire politique. La deuxième partie (4-6) justifie le suicide et, par-là, appelle à la résistance populaire. Dans cette économie, le paragraphe 4 constitue un véritable pivot du texte. Plus précisément, le texte s’organise en huit ensembles d’énoncés assertifs, structurés en séquences textuelles, ici perçues comme des macro-actes de discours associés à des objectifs argumentatifs. Ainsi, le locuteur-énonciateur décrit des situations et raconte des faits personnels et de gouvernement, argumente en faveur de ses idées, explique les motivations de son suicide et mobilise le destinataire-peuple brésilien avec des injonctions de résistance : tels sont les actes socio-discursifs visés par le document. Notons que, dans leur agencement, les ensembles qui constituent le plan de texte présenté ci-dessous ne correspondent pas à la configuration du texte en paragraphes :
ouverture (1-2b) : Description de l’état du gouvernement (situation adverse explicitée) ; base argumentative en faveur du locuteur-énonciateur (thèse présupposée) ; cadre initial narratif de la « lutte » de l’homme d’État ;
défense personnelle et du gouvernement (2c-4b) : argumentation en deux narrations (histoires de « révolution » et de « résistance » ; « sacrifice » en « holocauste » pour la « liberté sociale ») ;
explication du suicide (4b-4c) : tension entre deux agents du vouloir ; le don de son « sang » et l’offre de la « vie » ;
promesse et appel à la résistance populaire (4d-4h) : promesse de soutien ; appel à la résistance ; appel à l’adhésion à la cause populiste ;
choix et legs (5a-5c) : « Je choisis ce moyen d’être toujours avec vous » : pour le peuple brésilien (« résistance », promesse de liberté), pour l’opposition (« le pardon ») ;
évaluation du choix du suicide : (5d-5f) : description du legs ;
synthèse de son histoire (6a-6f) : synthèse argumentative en faveur du suicide ;
clôture (6g-6h) : fin de son histoire ; clôture implicite de la situation adverse initiale.
19Notre analyse se concentrera sur deux moments particulièrement importants de ce plan : l’ouverture et l’explication du suicide.
Ouverture, défense de soi et du gouvernement
20Le premier segment séquentiel (1-2b) fonctionne comme l’ouverture du texte et se compose d’une description de l’état du gouvernement au moment où la lettre-testament est produite. L’énonciateur construit le cadre dans lequel sont mis en scène les sujets et les actions directement rapportés aux faits et aux événements qui aboutissent au suicide. C’est là que se trouvent les énoncés actionnels qui « correspondent à une manière de décrire par l’action, en recourant à des prédicats fonctionnels habituels » (Adam, 2011, p. 175). Ce cadre est déterminant pour établir le double objectif communicatif du document, c’est-à-dire expliquer les raisons du suicide et transmettre les dernières volontés de Vargas quant à son legs. Cette hybridation d’objectifs correspond à l’hybridation de genres déjà signalée dans la section précédente.
21Allant à l’encontre des attentes du sens-commun devant de semblables situations (où l’on pourrait s’attendre à une explicitation assez directe des motivations du suicide), la lettre-testament retarde l’explication en décrivant la pression dont le président et son gouvernement sont l’objet. Cet état de choses construit une base explicative implicite pour le dénouement. La position initiale de ce segment lui permet de se projeter sur les attentes de lisibilité et d’interprétation du document tout entier.
22La lettre-testament débute en thématisant « les forces » de l’opposition politique (« les intérêts hostiles au peuple »). Il s’agit de la caractérisation d’un état de choses marqué par l’adversité d’actions où prédomine, dans un premier moment, un agent implicite ils, exprimé par la métonymie des « intérêts hostiles », dont le rôle est renforcé par la réitération des formes actives des verbes auxquels il est associé : « coordonnent », « se déchaînent », « m’insultent », « me calomnient », « étouffer ma voix », « empêcher mon action ». Ainsi, en position sémantique d’objet de ces actions opposées – « contre moi » – se trouvent deux instances explicites de discours : le je et le peuple. La première, lieu du locuteur-énonciateur, apparaît de manière récurrente sous forme des pronoms compléments « moi » (« se déchaînent contre moi ») et « me », celui-ci en occurrences successives, marquées par une négation réitérée (« (2a) Ils ne m’accusent pas, ils m’insultent, ils ne me combattent pas, ils me calomnient et ne me donnent pas le droit de me défendre »). Ajoutons à ces marques la valeur sémantique négative des verbes insulter et calomnier qui renforce les menaces visant le gouvernement du président Getúlio Vargas.
23Au centre de cette opposition, se situe la deuxième instance, le peuple, qui devient en (2b) l’objet d’actions positives et réactives de ce je qui, d’objet d’actions négatives associées aux intérêts contraires, se place explicitement dans la clôture de cette unité séquentielle comme promoteur d’actions positives devant des attaques qui le prennent pour cible (« défendre »,« j’ai défendu »). En tant que tel, il vient s’opposer aux actions négatives de ils, inaugurées par l’énoncé « les forces [...] se déchaînent contre moi », à partir duquel est introduit le thème initial des forces mobilisées par l’opposition politique.
L’explication du suicide
24Différée par la description initiale de l’état de tension et de menace dans lequel se trouve le gouvernement (1-2b), suivie de la défense argumentative sous forme de narrations de la « lutte » et de la « résistance » (2c-4b), l’explication du suicide sera seulement présentée en (4c), sous forme d’un énoncé séquentiel dans lequel le thème des forces d’opposition au gouvernement sera re-thématisé métaphoriquement comme « oiseaux de proie » qui « veulent le sang de quelqu’un », « continuer à sucer le sang du peuple brésilien ». Dans un rapport métonymique, les éléments « sang » et « vie » instituent une relation de similitude entre eux (« oiseaux de proie » et je / moi) et constituent le passage entre l’agent d’un vouloir (« veulent ») – l’instance discursive non explicitée ils qui synthétise les « forces hostiles » alors représentées comme « oiseaux de proie » – et l’agent d’un offrir explicite (« j’offre »). Ce passage de l’objet sang / vie s’accomplit aussi dans l’énoncé précédent (4b), où le je / moi s’adresse comme agent d’un donner à son interlocuteur, le peuple brésilien : « Je n’ai plus rien à vous donner si ce n’est mon sang. » On dégage de cette double action de donner et offrir une explication du suicide – représenté par le sang et la vie – comme étant motivé par un vouloir obtenir de la part des adversaires (ils / « les forces contre », « les oiseaux de proie »), mais aussi par un vouloir donner (« je choisis cette forme ») de la part d’un je / moi. Cela nous permet de percevoir que, sous-jacente aux énoncés de surface, il y a une attente de recevoir pour les premiers et une attente de donner pour le second. L’explication se construit, alors, dans une double relation de cause et conséquence, modalisée par le vouloir, mais opposée quant aux actions et au passage de l’objet de ce vouloir. L’explication du suicide peut donc être pensée selon deux formulations de rôles thématiques semblables, mais avec des significations différentes : un énoncé implicite, extrait de (4b), et un autre explicite, extrait de (4c). On se trouve alors dans la relation logique si a alors b, qui équivaut à b parce que a (Adam, 2011, p. 189-199). En d’autres termes : si ils « veulent » obtenir / « je choisis » de donner « mon sang » / « ma vie », alors je le / la leur (ils / « le peuple ») donne / offre ; je leur / vous donne / offre « mon sang » / « ma vie » [je me tue] parce qu’ils le « veulent » / « je [le] choisis ».
25Dans cette perspective, le suicide s’explique donc d’un côté comme étant motivé par le vouloir de l’opposition politique au gouvernement. Il apparaît alors comme une forme de résistance aux pressions qui mèneraient à la démission formelle, en vie. D’un autre côté, cependant, il s’explique aussi par le vouloir de Getúlio Vargas lui-même, de façon à laisser sa mort comme un héritage symbolique pour le peuple, la valeur symbolique du « sacrifice » étant associée à l’idéal de liberté sociale et de liberté nationale. Dans ce second cas, le suicide ne constituerait pas l’abandon du gouvernement, ni n’impliquerait de renoncer à sa charge, mais serait le résultat d’actions (menace de démission) d’opposition politique. Ainsi, à l’image du suicidé se superposerait et s’imposerait discursivement l’image de la victime des agents de l’opposition, avec leurs actions contraires au gouvernement et au peuple.
LA DIMENSION SÉMANTIQUE DU TEXTE : LA REPRÉSENTATION DISCURSIVE DU PEUPLE
26Comme nous l’avons vu dans les sections précédentes, le peuple est le destinataire premier de la lettre-testament et un participant essentiel des événements mis en discours. C’est pourquoi nous nous focaliserons maintenant sur la construction de sa représentation discursive, entendue comme élément de la dimension sémantique du texte. Dans l’analyse textuelle des discours, la notion de représentation discursive, bien que clairement posée et reconnue dans l’économie générale des catégories textuelles, est relativement peu développée (Adam, 2011, p. 84-90). Nous reprendrons le « postulat de représentation » de Jean-Blaize Grize (1990 ; 1996), selon lequel les activités discursives des interlocuteurs sont orientées par un ensemble complexe de représentations des thèmes traités, de la situation de discours et des interlocuteurs. Ainsi, tout texte construit, avec plus ou moins de détails, une représentation discursive de son énonciateur, de son interlocuteur et des thèmes qui y sont traités.
27En ce qui concerne les catégories pour la description des représentations discursives, nous pensons que les opérations de construction identifiées pour la période / séquence descriptive (Adam, 2011, p. 171-178) nous fournissent un point de départ adéquat. En effet, on constate que ces opérations sont à la base de tous les types de séquence (de leur contenu référentiel / descriptif) : il s’agit en fait d’opérations de textualisation très générales. Elles seront ici interprétées sémantiquement et complétées par les contributions de Grize (1990 ; 1996) sur les opérations logico-discursives, que nous adaptons pour notre analyse. Nous utiliserons trois catégories sémantiques principales, renvoyant aux participants, aux procès et à leur localisation : la désignation / re-désignation des participants, au sens large, ainsi que les rôles sémantiques qu’ils remplissent ; la prédication (verbale) entendue comme sélection de prédicats (actions, états, changements d’état) et établissement de la relation prédicative dans l’énoncé ; la localisation spatiale et temporelle indiquant les circonstances dans lesquelles se développent les participants et les procès4.
Occurrences du terme peuple, notions connexes et rôles sémantiques
28On trouve neuf occurrences du terme peuple dans le texte : c’est le nom le plus fréquent, présent dans tous les paragraphes. On paraphrasera les énoncés des occurrences en un ou plusieurs segments plus simples, de façon à faire ressortir plus clairement leurs relations sémantiques5.
occurrence 1 : il y a des intérêts contre le peuple ; les forces coordonnées par ces intérêts ont attaqué Getúlio Vargas (GV) (1) ;
occurrence 2 : GV a toujours défendu le peuple, principalement les humbles (2b) ;
occurrence 3 : GV est revenu au gouvernement dans les bras du peuple (2g) ;
occurrence 4 : ils ne veulent pas que le peuple soit indépendant (2m-2n), alors que GV a voulu créer la liberté nationale (2k) ;
occurrence 5 : GV a renoncé à tout pour défendre le peuple ; le peuple est délaissé (4a) ;
occurrence 6 : les oiseaux de proie veulent continuer à sucer le sang du peuple brésilien (4c) ;
occurrence 7 : GV était un esclave du peuple (5d) ;
occurrence 8 : le peuple ne sera plus l’esclave de personne (5e) ;
occurrence 9 : GV lutta contre la spoliation du peuple (6a-6b).
29Parmi les prédications se détachent celles qui réfèrent aux actions d’attaquer (GV et le peuple sont attaqués, agressés par les adversaires), de défendre (GV défend le peuple) et de lutter (GV lutte contre la spoliation). Ces prédicats présentent des traits duratifs et itératifs (l’expression continuer à est récurrente). Le prédicat d’état, être, se concentre dans deux énoncés (5d-5e) qui présentent la série : GV était esclave > GV a été esclave et il se libère > le peuple ne sera plus esclave.
30En ce qui concerne la localisation temporelle des événements, elle coïncide avec l’histoire même de Getúlio Vargas, depuis le début (« je pris la tête d’une révolution et je vainquis. ») jusqu’à la fin (« Maintenant, j’offre ma mort. »).
31Dans la linéarité textuelle, la représentation discursive du peuple est rapprochée d’autres notions, tout en n’y étant pas identifiée. Ainsi, l’occurrence 2 établit le rapport « peuple » / « humbles » (comme sous-ensemble).
32Les occurrences 4 et 9, au moyen de parallélismes de construction (« ne veulent pas... ne veulent pas » ; « J’ai lutté contre... J’ai lutté contre »), rapprochent conceptuellement les termes « travailleurs » et « Brésil ». Le texte construit de cette manière une série qui s’ouvre et se clôture par « peuple », formant un sous-ensemble spécifique : peuple > humbles > travailleurs > Brésil > peuple.
33Dans toutes ces occurrences le peuple est montré comme ayant une faible agentivité, dans les rôles sémantiques soit de Patient – victime des intérêts qui se trament contre lui –, soit de bénéficiaire, défendu par Getúlio Vargas, soit d’instrument, lors du retour au pouvoir de Getúlio Vargas « dans les bras du peuple ». L’agentivité du peuple n’apparaît pas dans les énoncés où celui-ci est désigné directement : elle ne surgit que par la médiation des anaphores pronominales, surtout dans le paragraphe 4 et dans le premier énoncé du paragraphe 5, comme on le verra par la suite.
Peuple, sang, vie et résistance
34L’énoncé (4a) constitue un point d’inflexion dans la construction sémantique du texte. En effet, si les premières composantes de cet énoncé synthétisent l’effort et l’épuisement de Getúlio Vargas dans la défense du peuple, la dernière établit une rupture et une anticipation de sa mort : le peuple « reste désemparé ». L’énoncé suivant exprime le renoncement final de Getúlio Vargas : donner son sang. Il s’instaure ainsi une isotopie du sacrifice qui mène à la résistance, soutenue par la triade peuple / sang / vie, développée tout au long du paragraphe 4 et d’une partie du paragraphe 5. Ce sont là les trois substantifs les plus fréquents de la lettre testament.
35L’image des « oiseaux de proie » qui « sucent le sang du peuple brésilien » métaphorise émotionnellement et redésigne les adversaires du peuple. Est activé ainsi un champ sémantique de prédateurs et de proies dans lequel le terme holocauste confirme, par son renvoi au rituel religieux de sacrifice de victimes, le rapport sacré qui existe entre Getúlio Vargas et le peuple, comme nous l’avons vu dans les sections précédentes.
36Les énoncés (4e-4h) expriment une plus forte agentivité du peuple, redésigné par des anaphores pronominales de cinquième rang, résistant à l’humiliation, à la faim et à la calomnie, grâce au sacrifice et au souvenir de Getúlio Vargas. Ceux-ci rendront possible l’énergie pour la lutte et la force pour la réaction. Ce rapport direct entre un sauveur, Getúlio Vargas, et son peuple se présente comme sacré, inviolable. Ainsi, la dimension religieuse exprimée dans la lettre-testament – où on reconnaît facilement des motivations et des actions chrétiennes – est une partie intégrante de la construction de la représentation discursive du peuple. Et, dans cette représentation, Getúlio Vargas est, dans le rapport direct avec le peuple, son défenseur pendant sa vie et son sauveur par sa mort.
*
37Notre analyse a abordé successivement trois aspects du texte, considérés du point de vue de sa production « co(n)textuelle de sens » : son genre, sa configuration compositionnelle et ses représentations discursives. La prise en compte du genre de la lettre-testament a fait ressortir des caractéristiques d’intergénéricité et d’hybridation, de sorte que le texte participe à la fois du genre lettre et du genre testament. Un troisième genre, la lettre de suicide, aurait pu être envisagé, s’ajoutant à la complexité générique du document.
38En ce qui concerne la configuration compositionnelle, on a proposé une première articulation binaire, très large, qui se précise en huit sous-parties, parmi lesquelles on s’est centré sur l’ouverture et sur l’explication du suicide. Pour cette dernière, la tension donner / offrir, ainsi que celle du vouloir – de l’opposition et aussi du président – offrent une grille d’interprétation dynamique qui permet de suivre de près les procédures linguistiques de construction du texte.
39Finalement, l’élaboration de la représentation discursive du peuple nous permet de toucher au niveau proprement sémantique du texte. Cette notion se constitue suivant une agentivité croissante qui lui permet de passer d’un rôle sémantique de patient / victime à celui d’agent / résistant, à partir du sacrifice du président, ainsi que d’établir une isotopie peuple / sang / vie, qui atteste de l’interdiscours religieux qui est une des caractéristiques du document.
40Ces trois aspects se soutiennent mutuellement et ils sont nécessairement redondants dans leur confirmation d’une production de sens particulière : les paragraphe 4 et paragraphe 5 sont exemplaires à ce propos. Au-delà de son analyse concrète en tant que document historique brésilien, ce texte nous engage à approfondir et à préciser les questions d’intergénéricité, de la relation entre plan de texte et séquences, ainsi que de la construction des représentations discursives. Surtout, il exige que nous nous interrogions sur les manières dont elles s’articulent concrètement pour produire des effets de sens, en même temps uniques et communs.
Bibliographie
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Références bibliographiques
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Annexe
Annexe : la lettre-testament de Getúlio Vargas
Mais uma vez, as forças e os interesses contra o povo coordenaram-se novamente e se desencadeiam sobre mim.
Não me acusam, me insultam; não me combatem, caluniam e não me dão o direito de defesa. Precisam sufocar a minha voz e impedir a minha ação, para que eu não continue a defender como sempre defendi, o povo e principalmente os humildes. Sigo o destino que me é imposto. Depois de decênios de domínio e espoliação dos grupos econômicos e financeiros internacionais, fiz-me chefe de uma revolução e venci. Iniciei o trabalho de libertação e instaurei o regime de liberdade social. Tive que renunciar. Voltei ao governo nos braços do povo. A campanha subterrânea dos grupos internacionais aliou-se à dos grupos nacionais revoltados contra o regime de garantia do trabalho. A lei de lucros extraordinários foi detida no Congresso. Contra a justiça da revisão do salário-mínimo se desencadearam os ódios. Quis criar a liberdade nacional na potencialização das nossas riquezas através da Petrobrás, mal começa esta a funcionar, a onda de agitação se avoluma. A Eletrobrás foi obstaculada até o desespero. Não querem que o trabalhador seja livre. Não querem que o povo seja independente.
Assumi o Governo dentro da espiral inflacionária que destruía os valores do trabalho. Os lucros das empresas estrangeiras alcançavam até 500% ao ano. Nas declarações de valores do que importávamos existiam fraudes constatadas de mais de 100 milhões de dólares por ano. Veio a crise do café, valorizou-se o nosso principal produto. Tentamos defender seu preço e a resposta foi uma violenta pressão sobre a nossa economia a ponto de sermos obrigados a ceder.
Tenho lutado mês a mês, dia a dia, hora a hora, resistindo a uma pressão constante, incessante, tudo suportando em silêncio, tudo esquecendo, renunciando a mim mesmo, para defender o povo que agora se queda desamparado. Nada mais vos posso dar a não ser meu sangue. Se as aves de rapina querem o sangue de alguém, querem continuar sugando o povo brasileiro, eu ofereço em holocausto a minha vida. Escolho este meio de estar sempre convosco. Quando vos humilharem sentireis minha alma sofrendo ao vosso lado. Quando a fome bater à vossa porta, sentireis em vosso peito a energia para a luta por vós e vossos filhos. Quando vos vilipendiarem, sentireis no meu pensamento a força para a reação. Meu sacrifício vos manterá unidos e meu nome será a vossa bandeira de luta.
Cada gota de meu sangue será uma chama imortal na vossa consciência e manterá a vibração sagrada para a resistência. Ao ódio respondo com o perdão. E aos que pensam que me derrotaram respondo com a minha vitória. Era escravo do povo e hoje me liberto para a vida eterna. Mas esse povo de quem fui escravo não mais será escravo de ninguém. Meu sacrifício ficará para sempre em sua alma e meu sangue terá o preço do seu resgate.
Lutei contra a espoliação do Brasil. Lutei contra a espoliação do povo. Tenho lutado de peito aberto. O ódio, as infâmias, a calúnia, não abateram meu ânimo. Eu vos dei a minha vida. Agora ofereço a minha morte. Nada receio. Serenamente dou o primeiro passo no caminho da eternidade e saio da vida para entrar na história.
Notes de bas de page
1 Nous remercions vivement Rodolf Ilari (Unicamp) pour sa lecture attentive d’une version préliminaire de ce texte, ainsi que pour ses suggestions d’analyse.
2 C’est le journaliste José Soares Maciel Filho – qui écrivait les discours du président – qui aurait dactylographié le texte, ce qui provoqua des doutes sur son authenticité. La répartition des paragraphes et la ponctuation diffèrent parfois d’une copie à l’autre.
3 Il suffit de penser à l’importance dans ce texte de l’opposition passé simple / passé composé, ou participe / gérondif, dont les formes et les fonctionnements sont différents en portugais brésilien et en français. Nous avons pris le parti de conserver tous les passés simples pour que l’alternance avec le passé composé soit perceptible, même si cela peut parfois paraitre artificiel en français. De façon générale, la traduction est la plus littérale possible. Voir infra le texte original, p. 266.
4 Parmi d’autres catégories sémantiques de construction des représentations discursives, on trouve l’aspectualisation (des participants et des prédicats), l’analogie et la connexion.
5 Bien entendu, d’autres paraphrases seraient possibles. Celles que nous présentons sont suffisantes pour notre propos.
Auteurs
Professeure associée au département de Lettres de l’Université fédérale du Rio Grande do Norte (Brésil). Elle participe notamment au master et à la formation doctorale en études du langage. Elle développe des recherches en analyse textuelle des discours ; elle est responsable du Groupe de recherche en analyse textuelle des discours et membre du Groupe de travail en linguistique du texte et analyse conversationnelle de l’Association nationale de formation doctorale en lettres et linguistique. Traductrice du français vers le portugais, elle siège par ailleurs au conseil éditorial de la maison d’édition Cortez.
Professeur associé au département de Lettres de l’Université fédérale du Rio Grande do Norte au Brésil, participe notamment au master et à la formation doctorale en études du langage. Chercheur en linguistique du texte et en analyse textuelle des discours, il dirige le Groupe de recherche en analyse textuelle des discours juridique, politique et éducatif (CNPq), et participe au Groupe de travail en linguistique du texte et en analyse conversationnelle de l’Association nationale de formation doctorale en lettres et linguistique.
Professeur titulaire de linguistique à l’Université fédérale du Rio Grande do Norte au Brésil. Son enseignement et sa recherche se développent dans le cadre du Programa de Pós-Graduação em Estudos da Linguagem (axe « Études linguistiques du texte »). Ses domaines de recherche couvrent la linguistique textuelle et la sémantique cognitive. Ses projets actuels portent sur la sémantique et le fonctionnement textuel des expressions (semi-)figées du portugais brésilien contemporain (collocations, locutions, expressions idiomatiques, phrases sans texte, dans différents univers de discours), les représentations discursives construites dans des textes politiques, juridiques, journalistiques, autobiographiques, les méthodologies linguistiques d’analyse de textes et leur utilité pour différents domaines des sciences humaines.
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L'Ordre des mots à la lecture des textes
Agnès Fontvieille-Cordani et Stéphanie Thonnérieux (dir.)
2009
La Prose de Samuel Beckett
Configuration et progression discursives
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Genres & textes
Déterminations, évolutions, confrontations
Michèle Monte et Gilles Philippe (dir.)
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