Introduction
p. 7-9
Texte intégral
1C’est le Professeur Y. Lequin qui eut, en 1976, l’idée de ce travail sur les hôpitaux. La date n’est pas indifférente puisque cette année vit la parution du « SURVEILLER ET PUNIR » de Michel Foucault. Il était tentant pour les historiens, tout à la fois séduits et irrités par l’ouvrage1, de vérifier concrètement certaines hypothèses exposées. Par leur importance et la richesse considérable de leurs archives, les Hospices Civils de Lyon fournissaient un exemple idéal pour ce genre de travail. Celui-ci fut d’abord entrepris dans cette optique, mais les recherches firent apparaître bien d’autres centres d’intérêt.
2Sociologues, médecins, historiens tentent tout naturellement de repérer, de dater et d’analyser la naissance de l’hôpital contemporain. Pour Foucault, c’est à la fin du XVIIIe siècle que les hôpitaux commencent à devenir des « machines à guérir », selon l’expression de Tenon. Les machines ne deviennent thérapeutiquement efficaces, selon la plupart des historiens de la médecine, que dans la deuxième moitié du XIXe siècle : l’anesthésie, l’asepsie, l’antisepsie et surtout les découvertes de Pasteur, fondent la naissance de l’hôpital moderne. Dans sa récente étude du budget des Hospices Civils de Lyon aux XIXe et XXe siècles, M. Garden2 montre le décalage qui existe entre l’invention et l’innovation, et situe après 1914, voire après 1945, les véritables changements. Quelle que soit la date choisie, l’hôpital au début du XIXe siècle semble épargné par l’histoire. Sans nier que les changements majeurs interviennent après 1850, on a délibérément choisi de traiter de la préhistoire de l’hôpital moderne et de délaisser les mutations les plus spectaculaires. Celles-ci ne peuvent se concevoir qu’après l’échec du modèle antérieur et l’apparition de conditions favorables à son remplacement. La genèse de l’hôpital moderne nous est apparue plus riche d’enseignements que sa naissance. Ce travail tente, pour un cas précis, de retracer la fin de l’hôpital ancien et les premières tentatives de réorganisation, préalable indispensable à des transformations plus apparentes.
3Entre le 28 nivôse an X et le 31 décembre 1845, les Hospices Civils vivent une période de stabilité. Après 1845,1e rattachement de l’Antiquaille fausse les comparaisons, et la période révolutionnaire nous a semblé plus liée au XVIIIe siècle, déjà analysé par la thèse de J.-P. Gutton3. Cette délimitation n’est donc pas seulement fondée sur des raisons pratiques. 1802 marque pour l’hôpital de Lyon le début de la Restauration, qui dans ce domaine n’attend pas le retour des Bourbons. Entre 1802 et 1845 on a la chance de pouvoir analyser en détail un débat essentiel de l’histoire hospitalière : l’hôpital doit-il continuer d’être l’asile des pauvres comme auparavant, ou limiter son rôle aux soins des corps malades ? Jusqu’en 1830 c’est la première tendance qui l’emporte, mais en 1845 la seconde l’a emporté dans les esprits, sinon dans les faits.
4Au fur et à mesure de la recherche, d’autres choix, et donc d’autres renoncements, se sont imposés. L’hôpital possède de multiples aspects. C’est une entreprise qui a son patrimoine et son personnel à gérer, son budget à établir, ses services à organiser. Comme toute entreprise c’est un lieu où se côtoient et s’affrontent direction et personnel. Comme l’hôpital héberge/renferme des hommes, c’est une institution qui pose des problèmes de même nature que l’école, la caserne, voire la prison. Lieu de distribution de secours gratuits, l’hôpital coûte cher mais ne peut laisser les pouvoirs publics indifférents, ne serait-ce parce que le maintien de l’ordre dépend partiellement de son bon fonctionnement. Cette fonction de régulation sociale est encore accentuée parce que l’hôpital est l’instrument des riches face aux pauvres. Instrument ambigu, car il apporte aux seconds secours et dépendance. Au XIXe siècle, la fonction strictement soignante n’est pas la plus importante mais elle compte néanmoins. L’hôpital est l’un des espaces privilégiés où s’élabore la médecine et la distribution massive de soins médicaux, ce qui en fait, en fait, un observatoire idéal pour connaître la pratique médicale et avoir un aperçu des habitudes et des visions populaires face à la santé, la maladie, l’hôpital.
5Fort heureusement de nombreux secteurs de l’histoire hospitalière ont été défrichés et les archives nous éclairent déjà sur de nombreux phénomènes extra-hospitaliers : gestion des patrimoines4, histoire économique et sociale5, histoire de la médecine et des médecins6, démographie historique7, etc... La description de l’institution hospitalière est largement entamée : les rouages administratifs sont bien connus et des sociologues américains8, et à leur suite français9, se sont interrogés sur le fonctionnement de ces rouages et les relations de pouvoir dans l’hôpital, sur le comportement des hospitalisés10. C’est l’hôpital psychiatrique contemporain qui accapare cependant la majeure partie de ces études, avec les travaux de Castel et Szasz. Toute une pléiade de philosophes et de sociologues a fait de l’hôpital l’un des théâtres principaux du drame de l’acculturation.
6De tels précédents réduisent le sujet et inclinent à la modestie. On se borne ici à l’étude des fonctions d’un hôpital. La clé de ce problème nous paraît résider dans l’étude des groupes humains présents dans la vie de l’hôpital. On y trouvera, bien sûr, les administrateurs et les médecins, mais aussi les autorités politiques et administratives. Le rôle fondamental appartient sûrement au personnel hospitalier et aux malades et administrés, sans lesquels l’hôpital n’est qu’une machine à élaborer des règlements. Leur présence souvent muette peut néanmoins être décrite et leur rôle estimé. Les fonctions de l’hôpital ne sont que le résultat de l’ajustement perpétuellement modifié entre des projets venus du haut et les attentes de la clientèle. Comment chacun des groupes a-t-il agi, consciemment ou non, pour figer ou modifier l’hôpital, et pourquoi ; telles sont les questions que l’on aimerait poser.
7On ne trouvera donc pas ici une étude exhaustive des Hospices Civils de Lyon dans la première moitié du XIXe siècle, mais un exemple des relations qu’entretiennent l’hôpital et la société. Pour mieux en rendre compte on a choisi de miser sur le concret, de laisser la parole aux témoins, à tous les témoins, même les plus obscurs, de préférer le fonctionnement réel aux règlements. Les sources hospitalières, et en particulier l’impressionnant courrier, ont seuls permis le respect de cette règle. Se dépouiller des schémas de pensée contemporains est le premier devoir de l’historien. Comme l’hôpital du XIXe siècle est bien loin du nôtre, on s’est souvent abstenu de donner une vision trop exclusivement statistique de ce monde foisonnant dont la rationalité n’est pas la caractéristique première. On s’est efforcé de regarder hors de l’hôpital, de jeter quelque éclairage sur les diverses conceptions de l’assistance et de la santé, de confronter les archives hospitalières et d’autres sources d’archives publiques, car l’hôpital est finalement tout autre chose qu’un monde clos.
Notes de bas de page
1 LÉONARD (Jacques), « L’historien et le philosophe », Annales historiques de la Révolution Française, 1977, n° 2. Voir le débat entre Foucault et les historiens in PERROT (Michelle), L’Impossible prison, Paris, 1980, 318 pages, pp. 29 à 59 ; et « L’œil du pouvoir », introduction à la réédition de BENTHAM (Jeremy), Le Panoptique, Paris, 1977, 219 pages, pp. 9 à 31.
2 GARDEN (Maurice), Le Budget des Hospices Civils de Lyon, 1800-1976, Lyon, 1980, 148 pages.
3 GUTTON (Jean-Pierre), La société et les pauvres : l’exemple de la généralité de Lyon (1534-1789), Paris, 1971, 504 pages.
4 DURAND (Georges), Le Patrimoine foncier de l’Hôtel-Dieu de Lyon (1482- 1791), Lyon, 1974, 401 pages.
5 DÉSERT (Gabriel), « Les Archives hospitalières, source d’histoire économique et sociale », Cahier des Annales de Normandie, 1977, 290 pages.
6 ACKERKNECHT (E.-H.), Medicine at the Paris Hospital, Baltimore, 1967.
7 GARDEN (Maurice), Lyon et les Lyonnais au XVIIIe siècle, Paris, 1970.
8 Par exemple, Rosen, Freidson, Freeman, Reeder (voir bibliographie).
9 François Steudler, Claudine Herzlich et Henri Hatzfeld surtout (voir bibliographie).
10 GOFFMAN (Erving), Asiles : études sur la condition sociale des malades mentaux et autres reclus, Paris, 1968.
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