Chapitre I. L’Essai sur l’Indifférence et la Pensée des Lumières
p. 7-48
Texte intégral
« ... Ce qu’on appelle les lumières, c’est-à-dire le mépris du bon sens, et une curiosité démesurée de connaître pleinement ce qu’on doit croire fortement, un orgueilleux désir de juger ce qu’on doit respecter ».
Essai sur l’indifférence,
Paris, 1836-1837, éd. Daubrée-Cailleux,
t. I, chap. X, p. 273.
1Au terme de son étude sur la religion de Jean-Jacques Rousseau, P.-M. Masson notait qu’en bouleversant la société, la Révolution française avait laissé, dans l’élite de la nation, les intelligences presque intactes1. Nous croyons que la lecture de l’Essai sur l’indifférence, et singulièrement de ses dernières parties, permet de vérifier la pertinence de cette remarque. On a souvent et justement rappelé le triomphal accueil réservé en 1817 au premier tome, « ce gros volume anonyme, d’aspect et de titre tout ecclésiastiques, et qui se vendait assez cher ». L’éloquence de l’apologiste y avait sa large part, comme le laisse entendre le mot connu de Frayssinous : « Cet ouvrage réveillerait un mort2 ». Si le jeune Lamartine estimait que ces pages ardentes étaient, entre autres mérites, « pensées comme M. de Maistre3 », il semble bien que – plus que la doctrine encore mal définie – l’éclat du style avait surtout fait impression dans le premier moment et rallié les suffrages. Quand on put se reprendre et réfléchir à ce qu’on avait lu, lorsque surtout un second tome eut précisé les idées de l’auteur, l’enthousiasme se fit plus discret. Les critiques, voire les réfutations, ne manquèrent pas, venues d’un peu tous les bords, et Joseph de Maistre lui-même, dans la dernière lettre qu’il lui adressa, crut devoir avertir Lamennais des dangers du système qu’il exposait avec tant de rigueur : « Prenez garde, Monsieur l’abbé, allons doucement, j’ai peur, et c’est tout ce que je puis vous dire4 ». L’examen de la philosophie du sens commun ne justifie que trop ce sage avertissement. On y a souvent procédé, et nous n’avons pas dessein de le recommencer. Nous voudrions seulement montrer comment certaines insuffisances de la doctrine, et la méthode elle-même sur laquelle elle se fonde, peuvent s’expliquer par la fidélité que l’auteur conserve aux habitudes intellectuelles du dix-huitième siècle. Né en 1782, devenu prêtre dans les conditions mouvementées que l’on sait et sans avoir reçu de solide formation sacerdotale, il tient, au début de sa carrière, par plus d’un côté à l’ancien temps, même s’il réagit vivement contre lui. Et sans doute son attitude aurait-elle été moins passionnée s’il n’avait senti tout le premier combien sa culture profane le rattachait à cette philosophie détestée. L’hostilité peut ressembler à une dépendance, et impliquer l’aveu tacite d’une filiation.
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2Il est sans doute licite, et nous ne désavouons rien de ce que nous avons écrit en ce sens5, d’expliquer l’originalité et l’influence de l’école de la Chênaie par son désir de placer, dans toutes les directions, la réflexion religieuse en étroite liaison avec le mouvement contemporain des idées. Ses deux préoccupations majeures ont bien été, en attendant les campagnes de l’Avenir et la recherche d’une restauration chrétienne de l’ordre social, de dégager l’enseignement théologique de la tradition cartésienne du sens privé, et de réconcilier avec la foi les nouvelles préoccupations de l’intelligence moderne dans le domaine de la science et dans celui de la philosophie. Mais il faudra des années de travail et le poids des événements politiques pour prendre conscience de ces vastes desseins, que manifesteront avec éclat, en 1829, les Considérations de Gerbet sur le dogme générateur de la piété catholique, et tant le livre Des progrès de la Révolution que son complément, le Sommaire d’un système des connaissances humaines. Le polémiste qui, en 1817, lance l’Essai dans le public n’est pas encore chef d’école, et se montre d’abord pressé de dire son fait à l’époque. L’essentiel demeure pour lui d’attaquer sans ménagement les ennemis de la religion et – surtout – ceux qui prétendent se passer d’elle. Mais il ne peut manquer d’affronter les maîtres dont ces « indifférents » innombrables semblent fondés à se réclamer, parce que leur éducation ou les usages de leur milieu leur ont appris à les honorer. Il se trouve ainsi amené à recommencer contre la pensée des Lumières un combat qu’on aurait pu, après 1815, estimer dépassé. Le titre qu’il a choisi et le commentaire que, d’entrée de jeu, il en donne, précise son intention. « Le siècle le plus malade n’est pas celui qui se passionne pour l’erreur, écrit-il, mais le siècle qui néglige, qui dédaigne la vérité6 ». C’est en fait l’un des legs du dix-huitième siècle qui est ici mis en cause, et violemment rejeté par un homme sachant d’expérience personnelle son danger pour la vie religieuse. La colère du nouveau Bossuet devance – et justifie – l’analyse de Paul Hazard pour qui le déisme à la mode de Voltaire avait entraîné, chez nombre de ceux qu’il avait gagnés, une durable altération du sens de l’au-delà et de la notion même du divin ; « chaque sage interprétant à sa manière la nature du Dieu qu’il voulait bien garder encore, (...) il n’y avait plus la masse des fidèles et quelques rebelles parmi eux, il y avait des indifférents, un troupeau qui ne cherchait plus son bonheur que dans cette vie mortelle et qui l’interprétait bassement7 ».
3Si l’on s’en tient aux apparences, la France de Louis XVIII ne justifie guère ce diagnostic. Dès la Convention thermidorienne, la réouverture des églises avait, pour beaucoup de gens, marqué la véritable fin de la Révolution8, et, en 1801, la signature du Concordat avait été fort bien accueillie par l’opinion. La joie des évêques à célébrer, en 1814, le retour du roi Bourbon, la faveur officiellement reconnue à l’Eglise par le nouveau pouvoir, la place des mesures de réparation dans les préoccupations du gouvernement ou les travaux de la Chambre, paraissaient rejeter dans un passé révolu les pratiques antireligieuses de la dictature jacobine ou du césarisme impérial9. Tant d’égards mutuels laissaient prévoir le renouvellement, pour le bien des deux parties, de la traditionnelle alliance entre le trône et l’autel. Bientôt du reste, les premières productions de la jeune poésie, auxquelles le nom même de Lamennais était associé, devaient souligner avec éclat la réconciliation de la foi avec les lettres, et pour plus d’un libéral la préface de Genoude aux premières Méditations de Lamartine apparut sur le moment comme un manifeste quelque peu compromettant10. Il n’est pas douteux, cependant, qu’un examen plus attentif de la réalité justifie la mercuriale que, dès les premières pages de son livre, l’auteur de l’Essai adresse à son temps. Sans doute convient-il de nuancer le sombre bilan qu’aimaient dresser les publicistes ou orateurs du parti ultra. « Toutes choses allant comme elles vont, assure par exemple Chateaubriand en 1816, dans vingt ans d’ici il n’y aura plus de prêtres en France que pour attester qu’il y avait jadis des autels. » En fait, grâce à la multiplication des petits séminaires et à une sensible amélioration des traitements que l’Etat lui servait, le clergé put assez rapidement compléter ses effectifs après 1815, cependant que l’augmentation du budget des cultes et les dons recueillis auprès des fidèles lui permettaient de reconstituer ses biens11. Mais si la situation matérielle de l’Église devenait meilleure, la confiance ni même la compréhension ne semblent guère avoir été rétablies pour autant entre les prêtres catholiques et la masse du pays. Nous manquons malheureusement d’études permettant d’avoir une connaissance précise de l’état des esprits ; certaines indications donnent toutefois à penser que, pour avoir longtemps vécu en ignorant la messe parce que ceux qui la disaient étaient émigrés ou proscrits, les sujets du Roi très chrétien avaient perdu l’habitude de mêler la religion à leur vie12. Les manifestations du loyalisme épiscopal qui avaient marqué la première Restauration avaient eu pour conséquence un regain d’anticléricalisme lors des Cent Jours13. Des traces non négligeables en subsistèrent après Waterloo, chez les libéraux comme dans la jeunesse étudiante, assez vives pour que les autorités s’en inquiètent (en attendant les philippiques mennaisiennes). Quand une ordonnance avait prétendu imposer l’observation du dimanche, les difficultés d’application furent si vives que le pouvoir finalement recula, en partie parce qu’il était peu sûr des magistrats qui auraient eu à sévir. Une correspondance relative à cette affaire que publia, en 1816, l’Ami de la Religion fournit un commentaire particulièrement suggestif : « En me promenant le dimanche dans votre immense capitale (c’est un étranger qui parle et compare Paris à Londres), je vois avec étonnement que les marchés tiennent comme le reste de la semaine, que la plus grande partie des boutiques sont ouvertes, et que les travaux publics et particuliers ne sont pas interrompus (...). Si vous demandez pourtant à ces marchands si empressés à vendre et à ces ouvriers si actifs et si laborieux s’ils ont une religion, ils vous répondraient probablement qu’ils sont chrétiens... Notez, Monsieur, que vos boutiques qui sont généralement ouvertes le dimanche matin, sont fermées le soir. Je me suis informé pourquoi, et l’on m’a répondu que c’était l’heure des spectacles. Ainsi les théâtres seuls ont le privilège de faire observer la loi. L’heure des offices n’est rien pour vos marchands (...). Vos ouvriers ne sont pas moins inconséquents, et non moins hardis contempteurs de la loi. Ils travaillent le dimanche, et ils se reposent le lundi14 ». Les propos de ce voyageur expliquent le succès des pamphlets de Paul-Louis Courier... Il semble bien que, depuis la Révolution, le catholicisme avait – dans les villes au moins – cessé de dominer l’existence quotidienne, qui était laïcisée de fait. Ni l’enseignement ni les prescriptions du clergé n’étaient plus guère respectés. L’évolution apparaît particulièrement nette à Paris où, rappelle A. Daumard15, la bourgeoisie, au lendemain de 1815, est issue des récents bouleversements politiques et de leurs conséquences économiques et sociales. Attachée à la culture traditionnelle, fidèle à une morale où les souvenirs humanistes se mêlent à un christianisme très atténué, elle ne réserve à la religion qu’une place médiocre dans ses préoccupations. Peu de prêtres sont issus de ses rangs. La ville, en somme, ignorait la piété qu’affichait non sans ostentation la cour, et la province ressemblait sur ce point à la capitale. Dans un rapport au duc d’Angoulème, le préfet du Rhône soulignait la nécessité, pour la nouvelle administration, de ménager « cet esprit de grande égalité et d’indépendance que la Révolution avait implanté dans les âmes16 ». Dans ces conditions, loin d’aider l’Èglise à reconquérir son ancienne influence, le soutien que lui avait d’emblée accordé le pouvoir royal, en inquiétant, l’avait plutôt compromise. « De toutes les questions politiques qui peuvent être agitées à Rome, écrivait Richelieu en mai 1818 au représentant français Blacas, la plus grave, la plus digne d’une sérieuse attention est la liaison intime qui existe entre le sort de la monarchie légitime et celui de la religion catholique17 ». C’était traduire une clairvoyante inquiétude.
4Le public auquel s’adresse l’Essai sur l’indifférence est donc, dans une large mesure, assez indépendant de la foi traditionnelle pour justifier la colère de l’auteur. Mais chez ceux mêmes que la Terreur avait convertis, un catholique aussi sourcilleux que le Lamennais de cette époque pouvait retrouver certaines habitudes d’esprit qui trahissaient leurs anciennes sympathies pour la pensée des Lumières, et la fréquentation assidue de Voltaire. L’évolution d’un homme comme La Harpe est de ce point de vue significative. Chateaubriand, qui a laissé de lui un portrait plein de vie, le range avec bonheur parmi « les noms supérieurs au second rang dans le dix-huitième siècle, et qui, formant une arrière-ligne solide dans la société, donnaient à cette société de l’ampleur et de la consistance18 ». Il meurt en 1803, en « chrétien courageux, n’ayant conservé d’orgueil que contre l’impiété ». Est-il pour autant devenu un vrai catholique, au sens où Lamennais et ses pairs l’entendent ? Notons d’abord qu’avant que la prison le convertisse, et jusqu’au tout dernier moment, il répète fidèlement, dans ses articles du Mercure, la leçon de Voltaire. 7 août 1790 : « Pour les hommes raisonnables qui n’ont pas le bonheur d’être éclairés des lumières surnaturelles du christianisme (et l’on peut se demander si l’hommage ainsi rendu à la Grâce n’est pas de politesse), il ne peut exister d’autre Religion que la Religion naturelle, celle qui consiste dans l’adoration d’un Dieu rémunérateur et vengeur, dans la conscience du juste et de l’injuste, qui n’est que le témoignage intérieur de la raison que nous avons reçue de Dieu, et dans la croyance de l’immortalité du principe pensant, quel qu’il soit : c’est la Religion qu’ont prêchée tous les Sages depuis Confucius jusqu’à Voltaire19 ». 8 juin 1793 (en pleine Terreur), l’Évangile est réputé « rédigé par les disciples d’un sage de la Judée, qui lui-même n’écrivait jamais rien, mais dont ils ont rapporté les actes et les paroles (et) qui s’élevait contre l’hypocrisie des prêtres et contre la superstition avant d’être mis à mort par un peuple fanatique20 ». 23 novembre 1793 : La Harpe recommande à ses lecteurs de n’être « les disciples de Jésus, ni de Socrate, ni d’aucun autre », de se borner à prendre dans les écrits des grands moralistes ce qu’il y a de mieux pensé et de mieux dit, mais de ne jamais se fier qu’à la raison, avant de conclure : « Dieu et la conscience, voilà la religion des hommes libres21 ». On sait combien le changement de cap d’un philosophe si connu avait fait de bruit, et l’on avait noté par exemple le soin avec lequel il recommandait en juin 1795, à ses auditeurs de l’Ecole Normale, de « toujours mettre Dieu entre leurs élèves et eux22 ». Mais si résolu qu’il se montrât désormais dans la défense des prêtres persécutés, il préférait toujours se réclamer, pour ce faire, des droits de la justice et de la liberté plutôt que d’invoquer la Vérité des théologiens, et demeurait en métaphysique dans la ligne de Locke et de Condillac. C’est en partisan résolu de la tolérance que La Harpe semble avoir d’abord réagi devant la dictature montagnarde, convaincu par ce qu’il voyait – et éprouvait – que les autorités jacobines étaient, dans le domaine religieux, plus oppressives que le gouvernement royal23. Convient-il, dans ces conditions, de parler à son propos de conversion ? Plus que l’appel de la Grâce, l’horreur de la violence et l’attachement au libéralisme paraissent avoir provoqué le retournement de ses convictions. On a lieu de penser qu’une telle attitude a été fréquente et que, dans les classes dirigeantes au moins, la lassitude, la colère ou les deuils ont largement favorisé l’adhésion à la politique concordataire. Bien des années plus tard, George Sand écrira que la France d’avant Brumaire offrait « l’étrange spectacle d’une société qui voulait sortir de l’anarchie, et qui ne savait encore si, pour ce faire, elle se servirait du passé ou si elle compterait sur l’avenir24 ». Posée sous cette forme, la question concernait d’abord l’organisation des pouvoirs publics. Tout donne à penser qu’en matière religieuse, le choix était fait : le plus grand nombre préférait renouer, au moins d’apparence, avec la foi traditionnelle parce qu’elle semblait un gage d’ordre et, une fois la liberté des cultes inscrite dans les lois, de paix civile. Mme de Staël l’a noté, pour le déplorer, dans le Discours préliminaire de son traité De la Littérature : « Les contemporains d’une révolution perdent souvent tout intérêt à la recherche de la vérité... Tout lasse de l’espérance les hommes les plus fidèles au culte de la raison25 ».
5L’espérance, c’était pour elle le désir de « se relever sous le poids de l’existence », c’est-à-dire de réfléchir aux conséquences que les bouleversements récents impliquaient pour le sens et la conduite de la vie ; ainsi naîtrait la philosophie qu’appelaient les temps nouveaux. Le public, qui fit le succès du Génie du christianisme, n’en réclamait pas tant, et seuls quelques isolés26 relevèrent, avant Sainte-Beuve, l’insuffisance des chapitres dogmatiques qui, en bonne logique, auraient dû constituer la partie forte de l’ouvrage afin de décourager l’incroyance. Il suffisait au plus grand nombre qu’une suite de tableaux prestigieux ait réconcilié la poésie et la foi, qu’on vît celle-ci transfigurer la nature, ennoblir les passions, épanouir la sensibilité. On se contentait pour le reste de mettre les excès terroristes en liaison avec les principes du dix-huitième siècle, et de refuser les uns parce qu’on détestait les autres. Mais ni la pratique ni la connaissance du catholicisme n’étaient améliorées pour autant.
6L’attitude, quelques années plus tard, d’un homme comme Frayssinous illustre cet état de choses. Après avoir consacré ses conférences de 1808 à l’exposé des principes de la religion naturelle, il présenta l’année suivante les vérités surnaturelles de la religion révélée comme la suite et la sanction des premiers. C’est à cette occasion, rappelle A. Nettement, qu’il prononça la phrase célèbre, qui était un signe des temps : « La religion est aujourd’hui obligée de faire son apologie devant ses propres enfants, comme autrefois devant les Gentils et les Juifs27 ». Un pareil aveu en dit long. Vers 1817 encore, le catholicisme est honoré par le pouvoir, ses pratiques ponctuellement suivies par les nouveaux maîtres, mais il préoccupe assez peu les intelligences. Dans les premières années de la Restauration, Maistre et Bonald, pour ne citer que ces grands noms, sont peu lus, et l’auteur de la Législation primitive doit d’abord sa relative popularité à des raisons politiques : sa doctrine inspire les orateurs ultra de la Chambre introuvable. Seules des considérations d’opportunité expliquent le surcroît de respect témoigné aux croyances traditionnelles : celles-ci bénéficient du besoin de stabilité qu’éprouvent les classes dirigeantes, et de la démonstration a contrario que la Révolution, puis l’Empire avaient faite de leur importance sociale. On se souvient que la persécution des prêtres, la violence contre le pape ont été le fait de régimes qui avaient, d’autre part, proscrit la liberté. Les égards réservés au clergé entraînaient du reste des ralliements suspects, que Lamennais dénonçait tout le premier : « L’ambition et la politique font tout, la religion rien ou presque rien, écrit-il en 1816. Paris est le centre des plus viles intrigues ; il en est maintenant des places ecclésiastiques comme des places civiles ; on s’arrange pour être quelque chose et voilà tout ce qu’on voit dans la religion28 ». Ajoutons que celle-ci comptait, parmi ses ministres, peu de personnalités du premier rang. Les évêques, notamment, formaient un collège disparate et finalement assez médiocre29. Le nonce Macchi, en 1826, célébrera leurs vertus, mais ajoutera à ses éloges qu’on pourrait les souhaiter plus doctes30. Dix ans auparavant, la situation avait chance d’être pire, dans un corps secoué depuis des décennies par les secousses les plus violentes, et comptant dans ses rangs nombre d’émigrés peu au fait des réalités nationales. On ne voit pas que ces pasteurs aient jugé convenable d’inviter leurs prêtres ou leurs fidèles à méditer hardiment sur les choses de la foi, et leur autorité spirituelle apparaît incertaine. Si, comme l’avance P.-M. Masson, la Révolution avait souvent provoqué chez ceux qui la vécurent de la défiance pour les spéculations abstraites31 , l’engourdissement intellectuel consécutif au régime impérial, si vigoureusement dénoncé par B. Constant32, avait rendu cet état d’esprit plus commun encore, et bien peu semblent y avoir échappé du haut en bas de la hiérarchie ecclésiastique. Honoré par le pouvoir, toléré sinon respecté par la majorité du pays, le dogme catholique ne suscitait guère l’intérêt du public lettré, dans la France de 1815, et mobilisait peu les passions. Ce sera le mérite du premier tome de l’Essaz sur l’indifférence de ramener vers lui l’attention de ses nombreux lecteurs.
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7Il a d’abord pour objet de faire honte aux contemporains de cette apathie, et d’imposer à l’opinion un débat dont elle semblait ne pas comprendre l’importance ni même éprouver le besoin. Mais, compte tenu de la situation que nous venons de rappeler, c’est en fait au dix-huitième siècle que l’auteur s’en prend. On se souvient de l’exposé qu’il présente, dans son premier chapitre, des trois systèmes auxquels se réduit, selon lui, l’indifférence dogmatique, et qui vise tour à tour athées, déistes et hérétiques, ceux qui nient, ceux qui refusent et ceux qui choisissent. Un trait commun réunit ces erreurs, dans l’analyse qu’il en donne : la méconnaissance de la Révélation et des conséquences qu’elle implique. Si l’on admet avec P. Hazard que la philosophie des Lumières s’était choisi le Christ pour adversaire privilégié, et qu’elle n’a rien tant cherché qu’effacer l’idée d’une communication de Dieu à l’homme33, on est amené à conclure que c’est d’abord à elle que s’attaque le fougueux polémiste. Il s’agit pour lui d’imposer l’existence du dogme comme une évidence à laquelle tant la logique que les faits interdisent de se dérober. En définitive, si l’on se réfère à la thèse qu’il défend et plus encore aux prétentions qu’il affiche, le Lamennais de 1817 continue à sa manière le duel de Pascal et de Voltaire, commencé en 1734 avec la publication des Lettres Anglaises et poursuivi jusqu’aux Dernières remarques achevées en 1777, peu avant la mort du Patriarche. La durée de l’affrontement souligne son importance, que Cassirer, entre autres, a très bien reconnue34. Il ne s’agissait de rien de moins que de défaire les liens qui unissaient l’homme au Ciel. A ne prendre que l’essentiel, les quatre volumes de l’Indifférence marqueront avec éclat le dessein contraire. Le contraste apparaît encore plus net si, comme nous nous y emploierons, l’on compare le premier ouvrage de Lamennais avec l’Essai sur les mœurs et les petits écrits qui l’accompagnent. D’un côté l’historien conduit son lecteur à travers les peuples, les continents et les siècles sans jamais faire appel au Dieu des chrétiens, mais en montrant avec un zèle jamais las les turpitudes ou les crimes dont ses sectateurs se sont rendus coupables au même titre que les fidèles d’autres cultes ; de l’autre le penseur catholique réintègre l’enseignement de son Eglise au centre de l’aventure humaine comme le seul principe de vérité et de vie, tant individuelle que collective. La Révélation, qui n’était évoquée que pour devenir objet de moquerie, se retrouve la seule explication convenable de l’histoire universelle, non pas, comme chez Bossuet, parce qu’elle a été posée d’abord, mais parce que l’examen des faits impose une telle conclusion.
8Egalement systématiques, les deux attitudes ont en commun une même exigence de simplicité, avec cette différence que la clarté voltairienne semble mettre la lumière dans tout ce qu’elle touche, alors que les rapprochements souvent imprudents entre les antiquités païennes et les mystères chrétiens qui jalonnent les derniers tomes de l’Essai ont largement contribué à discréditer l’ouvrage dès son apparition. Une fois retombé l’intérêt suscité par la nouveauté de la tentative et les mérites littéraires du texte, on aura tendance à ranger l’auteur parmi les apologistes plutôt que de le tenir pour philosophe authentique. Il est vrai que, pénétré de ses convictions, il montre un cruel dédain pour toute métaphysique qui se passe de la foi, et pose d’abord pour acquis ce que d’autres auraient préféré démontrer : « Dans ses préceptes et dans ses dogmes, elle (la religion chrétienne) n’est que l’assemblage et la manifestation de toutes les vérités utiles à l’homme » ; le premier mérite du dogme consiste à « agrandir la raison si bien qu’il la met en état de le combattre », et c’est précisément ce que n’avait pas voulu comprendre le dix-huitième siècle. Au contraire, pour l’intelligence qu’éclaire le catholicisme, tout devient harmonieux et cohérent : « … Difficultés et solutions, lumières et obscurités, tout est prévu, ménagé de loin avec une sagesse profonde ; tout se développe progressivement à l’époque précise où ce développement devient nécessaire... Constamment invariable dans sa doctrine, l’Église voit les sectes rebelles expirer l’une après l’autre à ses pieds35 ».
9C’était, dans le Discours sur l’histoire universelle, la foi dans la Providence qui soutenait cette interprétation des faits. L’originalité de Lamennais consiste à recourir, pour justifier le parti qu’il adopte, à une notion toute laïque, que Voltaire avait popularisée en lui assignant un rôle important dans sa polémique antireligieuse : le sens commun36. Dans Littré l’expression est définie comme « l’intelligence et la lumière ordinaire avec laquelle naissent la plupart des gens », et illustrée par des exemples empruntés au Dictionnaire philosophique. Il ne semble pas que, chez Lamennais, le sens soit très différent. On lit en effet dès les premières pages de l’Essai : « Afin d’ôter à la paresse, aussi bien qu’à l’ignorance, jusqu’au plus léger prétexte de se tranquilliser dans cet état déplorable (qu’est l’indifférence), nous écarterons rigoureusement toute discussion qui suppose des connaissances étrangères au commun des hommes ; en sorte que le bon sens le plus ordinaire suffira pour qu’on lise ce livre avec fruit37 ». C’est se fournir d’armes chez l’ennemi, et mobiliser pour la défense de la religion l’une des techniques favorites des libelles voltairiens, qui excellaient à opposer ce même bon sens aux invraisemblances de la Bible ou aux mystères de la foi. Mais Lamennais va beaucoup plus loin que son adversaire puisque, non content d’utiliser cette humble lumière au service du dogme, il veut en faire la rivale ou, du moins, la tutrice de la raison des philosophes. Pour lui comme pour Voltaire, le recours au sensus communis demeure la plus efficace des thérapeutiques intellectuelles. Toutefois, au lieu de ramener l’homme vers la terre en l’invitant à conclure au nom de l’expérience que l’enseignement des prêtres n’est qu’imposture ou billevesée, cette démarche le met en contact direct avec l’infini. Car le sens commun mennaisien refuse d’être à lui-même sa propre fin et implique par sa seule existence celle d’une réalité qui le dépasse. Pour quiconque est en mesure de constater sa permanence à travers l’histoire, il devient le signe d’une « raison supérieure, immuable règle du vrai, à laquelle (la raison humaine) doit se soumettre, comme au suprême monarque de toutes les intelligences38 ». Les longues analyses de Y Essai sur l’indifférence prétendront ainsi établir la vérité du dogme chrétien en utilisant la méthode qui, en d’autres temps, avait permis d’écrire le Pyrrhonisme de l’histoire et de recommander aux sages la seule religion naturelle.
10Il est d’autres notions dont Lamennais va pareillement modifier la valeur, au point que ce désir de contredire le dix-huitième siècle sur son propre terrain semble l’une des caractéristiques du combat qu’il mène à cette époque. Car les attaques lancées en 1817 contre les protestants et autres hérétiques, pour vives qu’elles soient, ne constituent que de violentes escarmouches et ne vont pas à l’essentiel. En revanche deux idées fondamentales ne tardent pas à apparaître, qui procèdent du recours au sens commun tel que l’auteur de l’Essai sur l’indifférence le pratique. Avec elles se précisent à la fois les principes qui donneront au système son apparente rigueur, et le souci de suivre au plus près la pensée des Lumières afin de la mieux anéantir. La première est que la société constitue l’état naturel de l’homme, hors duquel celui-ci ne peut se reproduire ni même subsister. On a coutume de voir dans cette proposition un emprunt à Bonald. Mais il paraît tout aussi fondé d’y reconnaître un souvenir de Voltaire. « Parmi tant de nations si différentes de nous, lit-on par exemple dans l’Essai sur les mœurs, et si différentes entre elles, on n’a jamais trouvé d’hommes isolés, solitaires, errants à l’aventure à la manière des animaux, s’accouplant comme eux au hasard, et quittant leurs femelles pour chercher seuls leur pâture. Il faut que la nature humaine ne compte pas cet état, et que partout l’instinct de l’espèce l’entraîne à la société comme à la liberté...39 ». Beaucoup d’autres textes confirmeraient celui-ci. Cette certitude a été l’une des convictions les plus profondes du philosophe, et sans doute, R. Naves l’a justement souligné, explique-t-elle en partie son opposition à Pascal qui, à la suite de Montaigne, avait tendance à imaginer d’abord l’être humain en train de méditer sur lui-même dans la solitude40. Les Pensées jugent sévèrement la société, marquée par les tares inhérentes à notre nature souillée et complaisante au divertissement. Voltaire au contraire, s’il ne se fait nulle illusion sur notre faiblesse, cherche toujours à la compenser par l’action dont, sa vie en témoigne, l’amélioration de notre condition demeure à son avis la forme la plus utile. Qu’il s’agisse du Mondain ou de la défense des Calas, de l’apologie d’un luxe bien entendu ou de la sauvegarde des droits de l’individu, son œuvre est traversée de la présence d’autrui ; et si, comme le dit encore R. Naves, l’homme est d’abord pour lui un être fini, cette conscience de nos limites doit conduire le sage à une meilleure organisation de ses rapports avec ses semblables. Rien ne répugne plus que le repos ou l’isolement à l’inlassable propagandiste, et rien du reste ne serait plus opposé à notre véritable nature, ou à l’idée qu’il s’en est faite. « Nous sommes, si je ne me trompe, au premier rang (s’il est permis de le dire) des animaux qui vivent en troupe... L’homme en général a toujours été ce qu’il est... Il a toujours eu le même instinct qui le porte à s’aimer dans soi-même, dans la compagne de son plaisir, dans ses enfants, dans ses petits-fils, dans les œuvres de ses mains. Voilà ce qui jamais ne change d’un bout de l’univers à l’autre. Le fondement de la société existant toujours, il y a donc toujours eu quelque société ; nous n’étions donc point faits pour vivre à la manière des ours41 ». L’accent quelque peu désabusé de ces remarques tranche vivement sur la pressante éloquence de l’abbé. Elles n’en annoncent pas moins, sur le mode mineur si l’on peut dire, l’une des propositions sur lesquelles le mennaisisme repose. Mais la même constatation suggère, ici et là, des réflexions fort différentes. Lamennais cherche la signification religieuse des évidences que Voltaire se borne à constater, et s’empresse de transcender la médiocre conclusion du philosophe. C’est le Créateur qui a, selon lui, fondé la société, et les hommes sont en relation avec Dieu avant de l’être entre eux.
11On peut lire encore dans l’Essai sur les mœurs, peu après le passage que nous venons de citer : « Dieu nous a donné un principe de raison universelle, comme il a donné des plumes aux oiseaux et la fourrure aux ours ; et ce principe est si constant qu’il subsiste malgré toutes les passions qui le combattent42 ». Ainsi se trouvent justifiés tant la défiance que tout esprit bien fait se doit de témoigner aux mystères du dogme que le bien-fondé de la religion naturelle. Nous touchons ici à la seconde des notions fondamentales évoquées plus haut. Car, sur ce point aussi, Lamennais dépasse son devancier bien plus qu’il ne le contredit. Il découvre la nécessité, en quelque manière objective, de la Révélation dans ce même principe de raison universelle dont il reconnaît lui aussi l’existence, mais auquel il attache une tout autre signification. « La religion enseigne la même morale à tous les peuples sans aucune exception, lisait-on dans l’Essai sur les moeurs (…). Je dis que jamais on n’a vu aucune société religieuse, aucun rite institué dans la vue d’encourager les hommes aux vices. On s’est servi dans toute la terre de la religion pour faire le mal, mais elle est partout instituée pour porter au bien ; et si le dogme apporte le fanatisme et la guerre, la morale inspire partout la concorde43 ». L’Essai sur l’indifférence refuse cette distinction pour rétablir la prééminence du fait religieux. Nulle part l’histoire n’atteste le commencement de la religion. Cependant, alors que les lois ou les formes de gouvernement varient à l’infini, les dogmes fondamentaux demeurent partout immuablement les mêmes. Dès lors se pose le problème essentiel, et s’annonce la solution mennaisienne : « Je demande qu’on m’explique ce merveilleux accord entre les inventeurs totalement inconnus les uns aux autres... La question revient donc toujours, et jamais on ne la résoudra qu’en supposant une tradition générale plus ancienne que les législateurs, c’est-à-dire une Religion antérieure aux constitutions humaines et aux lois positives. Tout nous ramène à cette conclusion, l’histoire, le raisonnement, et l’expérience que nous avons de nous-mêmes et de nos semblables44 ». Les derniers volumes de l’Essai auront entre autres pour objet de préciser le contenu de ces trois termes, et nous verrons l’auteur utiliser assez souvent, pour ce faire, des faits empruntés à Voltaire en leur donnant une interprétation nouvelle. Nous nous bornerons à noter, dans l’immédiat, l’insistance avec laquelle il souligne la nécessité logique qui impose, selon lui, de conclure à l’existence de la révélation primitive, et le profit qu’il en tire. Disjoindre la morale du dogme revenait en effet à déconsidérer celui-ci et à mettre l’intelligence en état de défiance devant le surnaturel, quel qu’il soit. Si instamment qu’elle recommande la pratique de la vertu, la religion naturelle se tient volontiers au plan terrestre, et seul un effort de la pensée permet de s’élancer vers le Dieu de tous les hommes auquel s’adresse la grave imploration qui termine le Traité sur la Tolérance. Pour Lamennais, au contraire, le sentiment de dépendance envers le Ciel, manifesté par le sacrifice, l’hommage ou la prière, forme depuis le premier jour le fond de l’âme humaine : « Le pauvre sauvage qui adore le Grand Esprit dans les solitudes du Nouveau Monde n’a pas sans doute une notion aussi nette et aussi étendue de la Divinité que Bossuet, mais il en a le même sentiment45 ». Est-ce là ce sentiment religieux dont quelques années plus tard, en 1824, B. Constant commencera à publier l’histoire après l’avoir méditée pratiquement toute sa vie ? En fait le même mot recouvre ici et là un contenu différent, qu’il n’est pas sans intérêt de préciser un peu. Malgré les efforts de rigueur qu’on pouvait attendre d’un esprit aussi clair, Constant n’est jamais parvenu à donner une définition satisfaisante de ce concept sur lequel repose toute son analyse. Il se borne à fournir une série d’équivalences qui apparentent le sentiment religieux aux émotions que suscitent en nous le silence de la nuit, la solitude de la campagne ou le fracas de l’océan, et ne sait finalement mieux dire qu’évoquer « la réponse à ce cri de l’âme que nul ne fait taire, à cet élan vers l’inconnu, vers l’infini que nul ne parvient à dompter entièrement ». Lamennais aura beau jeu de critiquer une notion aussi vague, simple état d’âme, qu’il assimilera avec les moralistes chrétiens « à l’ennui même et au dégoût d’être46 ». Au contraire, le « sentiment de la Divinité » auquel il se réfère est, dans son esprit, riche de la signification théologique que l’hypothèse de la révélation primitive permet d’y reconnaître.
12Nous avons montré ailleurs de quelle importance furent ici, pour l’apologiste de V Essai sur l’indifférence, les idées de Bonald sur l’origine du langage : l’être humain ne parle que s’il a entendu parler, et d’autre part l’abrutissement le guette s’il reste muet ; la découverte par lui de cet art merveilleux qu’est la parole est donc une impossibilité logique, et il faut recourir pour l’expliquer à une intervention surnaturelle. Mais, si agissante qu’ait été cette influence, le contenu que recouvre pour Lamennais la notion de sentiment religieux apparaît plus clairement si l’on examine les critiques qu’il adresse à Rousseau. Avec toute sa génération il a lu attentivement l’Emile, mais semble n’en avoir éprouvé le charme que pour en mieux dénoncer plus tard les dangers. On ne saurait le ranger parmi les « paroissiens du vicaire savoyard », ceux qui s’employaient à intégrer dans l’apologétique tout ou partie de la célèbre profession de foi, ou qui, persuadés de l’importance de l’affectivité pour la vie religieuse, n’étaient jamais las de gloser la petite phrase fameuse : « La sainteté de l’Evangile parle à mon cœur ». S’il a retenu quelque chose de ce mauvais maître, ce serait plutôt l’opportunité, évoquée au Dialogue troisième de Rousseau juge de Jean-Jacques, qu’il y aurait à composer un traité intitulé De l’utilité de la religion 47. La formule selon laquelle « par les principes, la philosophie ne peut faire aucun bien que la religion ne le fasse encore mieux, (alors que) la religion en fait beaucoup que la philosophie ne saurait faire », présente sous une forme adoucie l’une des idées maîtresses de l’Essai sur l’indifférence, et l’une des convictions les plus évidentes de l’auteur. En revanche celui-ci, dès son premier volume, développe une acerbe critique de la religion naturelle telle que l’entendait l’Emile, et dont une longue citation reprend les propositions essentielles : « Le culte que Dieu demande est celui du cœur ; et celui-là, quand il est sincère, est toujours uniforme... Dieu veut être adoré en esprit et en vérité ; ce devoir est de toutes les Religions, de tous les pays, de tous les hommes ». La réplique est catégorique : « En toute Religion, le culte, intimement hé au dogme, n’en est, pour ainsi dire, que l’expression, en sorte que l’on ne peut raisonnablement nier l’un et pratiquer l’autre48 ». Loin de témoigner au vicaire savoyard l’indulgence qui avait été longtemps de mise, même parmi les prédicateurs catholiques, Lamennais ne voit en lui qu’un fourrier de l’impiété, aussi dangereux que Voltaire. A le bien examiner, écrit-il, le système de Rousseau « n’est que le pur déisme, espèce de secte qu’enfanta le socinianisme, vers le commencement du seizième siècle », et ce rapprochement devient l’occasion d’une nouvelle attaque contre la Réforme, dont cette doctrine est le produit. Il est, de notre point de vue, intéressant de noter que les critiques de l’Essai se fondent souvent ici sur des citations de Hume et de Bolingbroke. A travers et à l’occasion de Rousseau, Lamennais affronte une fois de plus son véritable adversaire, qui est le dix-huitième siècle dans son ensemble. « Je ne crains pas de l’affirmer, le déisme, qu’on nous représente comme la Religion de la nature, la seule Religion essentielle à l’homme est la destruction de toute doctrine, de tout culte, de toute morale », et il pourrait bien, à la limite, n’être qu’un athéisme déguisé. « Telle est l’essence du déisme, comme l’exclusion de toute révélation en est le caractère distinctif. Je le réfuterai donc en prouvant la nécessité et l’existence d’une Religion révélée49 ». De fait cette intention est au centre de l’ouvrage, dont elle fonde l’unité et justifie l’une des ambitions les plus apparentes : la réfutation des idées antichrétiennes que la philosophie des Lumières avait rendues populaires, et leur humiliation devant l’orthodoxie romaine.
13Comment l’auteur va-t-il réaliser ce dessein ? Il ne tarde pas à revenir sur les deux constatations que Voltaire, lui aussi, avait souvent faites, mais sans leur donner une forme aussi dogmatique et pour en tirer des conséquences fort différentes : partout, dans tous les temps, l’homme a eu idée de Dieu et lui a rendu un culte public ; partout, dans tous les temps, l’homme a reconnu la distinction essentielle du bien et du mal, du juste et de l’injuste. Lamennais s’autorise de cette donnée pour attaquer vivement « les partisans des seuls articles fondamentaux de la révélation », à savoir les protestants. Il reprend contre eux les arguments traditionnels, et de ce point de vue son attitude ne diffère guère de celle de Bossuet, dont il fait l’éloge et s’inspire visiblement. Mais, et nous retrouvons ici l’affrontement avec le dix-huitième siècle, sa présentation du débat est plus logique encore que théologique50. Certes il prend soin de multiplier les références scripturaires (c’est l’un des endroits du premier tome où elles sont les plus nombreuses), de souligner aussi que la Bible, souvent obscure, a besoin d’être expliquée parce que, « tous les hommes étant appelés à la connaissance de la vraie Religion, il est nécessaire que tous découvrent clairement dans l’Écriture les vérités qu’ils doivent croire ». Toutefois le réquisitoire – car c’en est un – est conduit de telle manière que, pour le lecteur, l’universalité du catholicisme se confond avec celle que les philosophes antichrétiens attribuaient à la religion naturelle. L’auteur a beau reprendre l’idée que les variations constituent la marque spécifique des églises protestantes (« la religion transformée en une science de pur raisonnement, écrit-il, prit autant de formes qu’il y avait de têtes ») ; pour affirmer la pérennité de la foi romaine, il utilise des arguments nouveaux : au lieu de recourir à l’Écriture, il demande au raisonnement de confirmer l’orthodoxie et de conférer aux faits leur véritable importance. C’est dire que la discussion bien qu’elle intéresse le dogme au premier chef, est menée dans un esprit tout laïque et cherche à mobiliser au service de la révélation les critères que le siècle précédent avait retenus souvent pour la combattre. Au lieu de prouver l’hypocrisie des prêtres ou la complaisance des théologiens pour travestir le réel, le sens commun sert maintenant à montrer l’évidence du surnaturel, et tout se passe comme si le polémiste de l’ Essai sur l’indifférence, qui s’adresse d’abord au grand public, cherchait à ne point troubler les habitudes intellectuelles de ses lecteurs. Pour justifier la transmission ininterrompue du sacerdoce depuis les Apôtres, il se réclame par exemple du bon sens avant de citer l’Écriture ou la tradition51 ; pour établir les marques distinctives de la véritable Eglise, il invoque le consentement unanime avant les textes sacrés. Bref, aux arguments que présentaient ses prédécesseurs des temps de foi, il préfère, lui, ceux que lui offrent le raisonnement et plus encore l’examen du passé le plus reculé.
14C’est que celui-ci, tel que l’hypothèse de la révélation primitive permet de le concevoir, amène à retrouver Dieu au principe de toutes les croyances. Là réside, contre la Réforme et la philosophie, sa fille légitime, l’objection capitale. Jurieu, dans le Vrai système de l’Église, avait recommandé comme la règle la plus sûre de tenir pour fondamental et nécessaire au salut tout ce que les chrétiens avaient unanimement cru, et croyaient encore partout. Nulle proposition ne semble, en apparence, plus voisine du système exposé dans l’Essai, et l’on peut se demander si Lamennais, qui rapporte le propos, ne sera pas contraint de concéder ce point à son habile adversaire. Il riposte cependant, et fort vivement, mais en des termes qui paraissent contredire ce qu’il a si catégoriquement avancé ailleurs : « Le consentement de tous les chrétiens, de quelque façon qu’on l’entende, ne forme qu’une autorité humaine, par conséquent sujette à l’erreur, et dès lors insuffisante pour déterminer avec certitude ce qui est fondamental et ce qui ne l’est pas, et pour servir de base à la foi52 ». Cette apparente inconséquence disparaît si l’on prend garde à la valeur des mots. Le consentement auquel Jurieu fait allusion implique l’accord général des esprits par la conformité des opinions ; or la foi est d’une autre nature parce qu’elle exige une adhésion intime de tout l’être, celle-là même qui, dans l’interprétation mennaisienne de l’histoire, constitue depuis le premier jour le principe de la croyance parce que Dieu a ainsi disposé l’esprit humain. Lorsqu’ils se réclamaient du bon sens ou prétendaient s’autoriser des seules clartés rationnelles, les philosophes oublaient cette donnée fondamentale, et les théologiens éclairés d’Angleterre ou d’Allemagne ne sont pas plus avisés qu’eux. Les uns comme les autres trop confiants dans leurs seules forces, et pleins d’illusions sur l’efficacité de la critique, méconnaissent la fonction nécessaire et vivifiante du surnaturel en matière religieuse. En pensant à eux tous, Lamennais se juge fondé à écrire : « Incapable de porter seule le poids des mystères, la raison abaissait toutes les hauteurs du christianisme, et, à force de creuser, pour en découvrir le fondement, elle finit par n’y pas laisser pierre sur pierre53 ». C’est ici, pour reprendre le titre de la célèbre dissertation de Kant, la religion dans les limites de la simple raison qui se trouve mise en cause, cette foi raisonnable dont la pensée du dix-huitième siècle avant recherché la formule avec tant d’obstination, et que l’Essai sur l’indifférence dénonce comme une vue de l’esprit. Très conscient de l’important du débat, l’auteur en définit l’enjeu avec clairvoyance, lorsqu’il dit que les partisans de cette croyance sage prétendent conserver le christianisme sans pour autant exiger le maintien d’aucun dogme, et recommander la morale de l’Évangile en dispensant d’adhérer aux vérités qu’il implique autrement que par une foi implicite dans le Christ et dans sa parole. Bossuet, longuement cité à ce propos, avait lui aussi fort bien reconnu le danger, et argumenté en théologien sur le sujet. Il n’avait pas eu de peine à montrer, avec sa souveraine autorité, comment, du point de vue catholique, une telle attitude conduisait logiquement à méconnaître par principe les droits de la vérité. Mais la position définie dans l’Essai est finalement assez différente de celle que proposait le Sixième avertissement aux protestants, et, compte tenu des circonstances, va mieux à l’essentiel parce qu’elle attaque plus directement l’héritage des Lumières. Au lieu de réfuter point par point le raisonnement de ses adversaires, Lamennais se borne, avec beaucoup de force, à rejeter leurs prémisses et à réaffirmer la fécondité de l’inconnaissable, auquel la tradition du dix-huitième siècle était si hostile, et que la théologie réformée de l’époque ignorait autant que faire se pouvait. Là réside l’une des originalités de l’ouvrage, et sans doute la plus forte leçon que l’auteur ait pu faire entendre à ses lecteurs : « Il n’est pas un seul dogme qui ne renferme quelque mystère, parce qu’il n’en est point qui ne tienne à l’infini par quelque côté54 ». L’importance historique de l’apologétique mennaisienne, souvent si critiquable à d’autres égards, tient d’abord au rappel de cette évidence, que le succès du voltairianisme avait aidé à oublier et que, dans ses conférences prononcées sous l’Empire, Frayssinous n’avait guère su rappeler avec la force convenable. Mais il est significatif de l’Essai sur l’indifférence qu’une telle proposition, qui semble mettre en cause la toute puissance de la raison, y devienne le produit du raisonnement. C’est celui-ci qui marque seul la limite au-delà de laquelle il ne saurait s’aventurer et réserve, comme de plein droit, la prérogative de la foi. Dieu est sensible au cœur, certes, et nombre de pages, vers la fin de l’ouvrage, montreront que l’auteur ne renonce pas à développer ce maître-mot de sa croyance. Toutefois, dans la première partie du livre, il cherche d’abord à établir la vérité du catholicisme par les voies de la logique, afin de redresser les intelligences que le siècle précédent avait à son avis corrompues.
15Ce rappel des droits de l’infini dans la spéculation religieuse incite Lamennais à dénoncer durement, c’est le titre de son chapitre VIII, « la folie de ceux qui, ne raisonnant point, ne sont indifférents que par insouciance ou paresse ». Il n’a pas de peine à montrer quelle place dominante les problèmes liés à l’existence de Dieu, à l’immortalité de l’âme, au sens même de la vie ont occupée dans les plus grands esprits, et il rejoint ici Pascal, longuement cité après avoir été présenté en des termes où passe le souvenir du célèbre portrait tracé par Chateaubriand quinze ans auparavant. Mais cette reprise d’un thème cher à l’apologétique traditionnelle, même si les analyses de Bonald viennent y confirmer les Pensées, ne constitue dans la suite du développement qu’une étape. Pas plus que Voltaire, nous l’avons dit, Lamennais ne conçoit l’homme dans la solitude, et dès le début du chapitre VIII, précisément, il éprouve le besoin de rappeler sa position sur ce point : « En remontant d’âge en âge, jusqu’à l’origine du genre humain, on trouve la croyance d’un Dieu et d’une vie future établie chez tous les peuples. Sur cette croyance, unique garantie de l’ordre et des lois, repose la société, qui s’ébranle dès qu’on y porte atteinte55 ». C’est annoncer que son argumentation se fondera surtout, désormais, sur l’étude du passé.
16II avait de bonnes raisons pour ce faire. Remonter le cours des temps avait été une attitude fréquente de la pensée antichrétienne, au dix-huitième siècle, parce que l’histoire lui avait paru fournir en abondance des objections contre les dogmes et contre la foi, et de meilleur secours même que la science. Il semble que Boulanger, qui avait figuré honorablement parmi les collaborateurs de l’Encyclopédie, et dont les travaux avaient attiré l’attention, puisse être cité ici en exemple. Il avait, en 1761, justifié en ces termes ses Recherches sur l’origine du despotisme oriental : « Si vous remarquez que le mépris et le ridicule, où le progrès des études a fait tomber depuis un siècle toutes les légendes de nos églises et de nos saints, a été le premier coup qu’a reçu la religion ou la superstition chrétienne, vous jugerez aisément par là de quelle importance il est de débrouiller de plus en plus les fait généraux de l’histoire du genre humain, et de conduire les hommes à reconnaître d’eux-mêmes, par le simple développement des événements, tout ce qui leur a été jusqu’ici donné, par une succession continue et non interrompue d’erreurs humaines, d’impostures sacerdotales et de sottises populaires56 ». En rétablissant les droits de la critique, Boulanger entendait prouver l’étroite relation qui unissait le despotisme à la superstition. Selon lui, les hommes auraient naïvement désiré « prendre pour modèle le gouvernement de l’Univers, régi par l’Etre Suprême ; projet magnifique, mais fatal, qui a précipité toutes les Nations dans l’idolâtrie et dans l’esclavage, parce qu’une multitude de suppositions qu’il a fallu faire ont été ensuite regardées comme des principes certains ; et qu’alors les hommes perdant de vue ce qui devait être le vrai modèle de leur conduite ici-bas, ont été chercher des mobiles surnaturels, qui, n’étant point faits pour la terre, les ont trompés et les ont rendus malheureux57 ». La première conséquence d’une telle découverte est, bien sûr, que la sagesse consiste à détourner ses regards du Ciel. De plus, chemin faisant, Boulanger malmenait fort l’Histoire Sainte, commençant par lui refuser tout respect particulier : « Les Hébreux, écrit-il, semblent nous montrer plus distinctement une véritable époque historique, et un exemple mémorable des anciennes théodicées, dont je pourrais ici m’autoriser sans me plonger dans l’obscurité des siècles fabuleux ; mais quelque respect que l’on ait encore pour les antiques annales de ce peuple, elles ne peuvent être ici regardées sous un autre point de vue que celles des autres Nations. (...) Le Paganisme et le Judaïsme sont deux Mythologies, qui n’ont de vrai l’une et l’autre que leur source commune, l’abus de l’histoire de la Nature. Il faut donc prendre entre elles un juste milieu, c’est-à-dire ne point mépriser tout à fait les Théocraties païennes, qui nous voilent des vérités, et ne point donner une confiance sans bornes à la Théocratie judaïque, qui contient mille fables semblables à celles des autres Nations : elles sont à la vérité décorées d’un air historique, et paraissent quelques fois mieux liées et plus approchées de nous ; néanmmoins leur Chronologie est aussi fausse que leurs faits ; et il n’y a de véritable et de réel, qu’une ancienne vérité qu’elles nous cachent et qu’on n’y peut qu’entrevoir, comme dans toutes les annales païennes58 ». Et pour bien préciser sa pensée l’auteur prenait soin, dans une note – fort diserte – de récuser ce que les auteurs chrétiens avaient pu avancer sur ce point : « La ressemblance intime qu’il y a entre une multitude de faits et de personnages de la Bible et de la Fable a été pressentie, étudiée et connue de presque tous les Pères de l’Église, des commentateurs, des interprètes ; mais ils en ont tous méconnu ou pallié l’origine et la source59 ». Ce texte implique l’idée générale qui inspirera, en 1766, l’Antiquité dévoilée par ses usages. On sait que Boulanger entreprend d’y démontrer comment le déluge, « cette fameuse révolution physique qui a, dit-on, changé autrefois la face de notre globe, et qui a donné lieu à un renouvellement total de la société humaine », explique à lui seul les législations vicieuses, les mauvais gouvernements et l’ensemble du passé religieux de l’humanité. L’auteur est amené par esprit de système à des affirmations dont la naïveté étonne : « Depuis environ trois mille ans la terre n’offre, pour ainsi dire, que le même tableau ; on pourrait en quelque façon avancer que depuis tant de siècles il n’est rien arrivé de nouveau dans le monde60 ». Mais il sait aussi entrevoir ce qui deviendra l’histoire comparée des religions : « La mythologie générale du genre humain, écrit-il par exemple, se développe et s’éclaircit par les détails conciliés et rapprochés de mythologies particuliers à chaque nation. Nous apercevons souvent que les motifs des usages ont été moins corrompus, et que les allégories sont plus directes et plus naturelles chez les peuples sauvages et barbares que chez les peuples savants et policés ; aussi ne sera-t-il point rare de voir dans cet ouvrage les énigmes des antiquités égyptiennes, grecques et romaines, résolues par des Caraïbes ou des Mexicains61 ». Il est à peine besoin d’ajouter que ces promesses demeurent sans lendemain. Le résultat le plus évident de l’entreprise reste la volonté de dénigrer le christianisme, en retrouvant dans l’Histoire Sainte les notions les plus ordinaires. Ainsi du Pentateuque : « Ce qui est surtout à considérer dans une tradition si respectée des Hébreux et que leurs docteurs prétendent dériver de Moïse lui-même, c’est que les fables dont elle est remplie, quoiqu’uniquement adaptées au goût des Juifs, n’ont rien d’étranger à celles des autres nations62 ». Il est vrai que, dans le Despotisme oriental, l’auteur allait plus loin encore : selon lui, un chrétien qui aurait assisté aux fêtes où l’on célébrait la résurrection d’Adonis « eût cru y voir la fin du carême », ce qui l’amenait à conclure en mêlant l’irrespect à l’ironie : « Le christianisme, comme on voit, date de fort loin63 ».
17Si l’on veut bien négliger ses bizarreries, on constate que Boulanger ne fait guère que durcir et systématiser ce que beaucoup d’autres autour de lui, à commencer par Voltaire, se contentaient de murmurer, ou de suggérer sans l’appareil pseudo-scientifique qu’utilisait ce faux théoricien64. Plus que la dignité, c’est la vérité du christianisme qui est ici mise en cause, et l’existence même du message divin à propos de laquelle on pouvait lire dans le Despotisme oriental : « La nécessité d’une révélation pour apprendre à l’homme ses devoirs est un système ancien et funeste, qui a produit les plus grands maux dans la société : le décri où il a fait tomber la raison chez le plus grand nombre des hommes rend le crime des Législateurs mystiques presque irréparable65 ». Contre ce fléau un seul remède semble efficace : « inspirer de l’amour, de l’estime et du respect pour la raison, et faire de ces trois devoirs la base de toute éducation. C’est par là qu’on pourra changer la face du monde66 ». Devant des attaques aussi résolues le plaidoyer d’un Frayssinous apparaît bien timide, et il appartenait à Lamennais de trouver la riposte convenable. L’Essai sur l’indifférence retourne la situation en donnant à la notion de révélation primitive toute son importance historique. Dès qu’il évoque la naissance du christianisme, en effet, l’auteur a l’habileté d’y montrer le développement de ce qui existait auparavant, au lieu de la rupture avec les turpitudes du monde païen si souvent célébrée par ses prédécesseurs. Ce faisant, il se place sur le même plan que ses adversaires, et entreprend de les combattre moins en les réfutant point par point, qu’en expliquant que leur erreur tient à une mauvaise position de la question. C’est parce qu’ils ont méconnu la continuité dont le message délivré par Dieu au premier homme constitue le terme initial, que le développement religieux de l’humanité leur apparaît incohérent ou scandaleux. Tout devient clair, logique même, à quiconque veut bien se souvenir de cette donnée, et réfléchir sur le passé en s’aidant de la lumière surnaturelle qu’elle dispense : « Le monde n’en pouvait plus, quand tout à coup l’antique foi, se développant, à la voix de Dieu, chez le peuple spécialement chargé d’en conserver le dépôt, reprend avec éclat possession de l’univers. De nouveaux dogmes sont promulgués ; mais ces dogmes, dérivant des dogmes primitifs, appartenaient, au moins implicitement, à la foi primitive. De profonds mystères s’accomplissent ; mais ces mystères, annoncés au premier homme, plus clairement révélés à ses descendants, étaient attendus, pressentis du genre humain tout entier. Le Christianisme ne naissait pas, il croissait. Tout est lié, tout s’enchaîne dans l’histoire comme dans les dogmes de la Religion... (Il ne s’agit toujours que) d’une seule doctrine, toujours crue, toujours immuable au milieu de ce rapide et perpétuel mouvement (qui) semble régner sur l’esprit humain par droit de naissance, de conquête et d’amour67 ».
18Tout le développement ultérieur de la théologie mennaisienne, et singulièrement les travaux de Gerbet, se trouvent annoncés ici. Dans l’immédiat, Lamennais insiste surtout sur l’importance que revêt, pour son analyse, la perspective sociale. Il retrouve souvent Bonald, et c’est alors qu’apparaît le mieux l’influence qu’eut sur lui ce « philosophe, le plus profond qui ait paru en Europe depuis Malebranche ». L’auteur de la Législation primitive a manifestement inspiré les formules célèbres sut la société qu’on ne saurait élever du jour au lendemain comme une manufacture, ou la nécessité pour les hommes d’être d’abord en société avec Dieu, s’ils veulent être en état de s’unir à leurs semblables. Ainsi « toutes les vérités sociales disparaissent avec la vérité suprême dont elles émanent ». Mais le caractère plus naturellement religieux de la pensée mennaisienne ne tarde pas à apparaître, dès qu’il s’agit de souligner que « ce qu’il y avait de bon, de pur, de généreux (dans les lois et dans les croyances des anciens) était de l’homme éclairé par la Religion primitive ; ce qu’il y avait de vicieux, de violent, d’atroce, était du citoyen perverti par les institutions politiques et par les doctrines qu’elles firent naître68 ». Nous retrouvons ici le dix-huitième siècle. Lamennais critique vivement l’empirisme de Montesquieu, coupable à ses yeux d’expliquer, c’est-à-dire de justifier toutes les législations, et sa joie est grande quand, pour souligner les heureux effets de la religion sur la société, il peut se réclamer du Contrat social et surtout de l’Emile : nul renfort plus précieux que celui fourni par qui l’on veut abattre.
* * *
19C’est toutefois dans la suite que prendra toute son ampleur le combat contre la philosophie, essentiellement représentée par Voltaire (est-ce le fait de l’époque ? Diderot qui, pour nous modernes, aurait dû largement intervenir dans le débat, n’est jamais cité). La préface du second volume de l’Essai oppose à « cet assemblage d’opinions incohérentes » le christianisme ou la religion traditionnelle, que tous les peuples ne connaissent pas, ou n’admettent pas encore dans son entier développement, mais à laquelle cependant ils doivent ce qu’il y a de vrai, et par conséquent d’utile dans leurs religions particulières69 ». Il y a lieu de noter ici un changement de vocabulaire qui marque un tournant dans l’ouvrage. Religion traditionnelle a remplacé religion primitive, et ce nouvel adjectif annonce que l’argumentation logique à laquelle le premier tome se référait le plus souvent cède maintenant la place à une véritable philosophie théologique de l’histoire, ainsi formulée dans la préface : « Le christianisme avant Jésus-Christ était la raison générale manifestée par le témoignage du genre humain. Le christianisme depuis Jésus-Christ, développement naturel de l’intelligence, est la raison générale manifestée par le témoignage de l’Église70 ». Il n’entre pas dans notre propos d’expliquer ce que l’auteur entend par raison générale, ni d’exposer une fois de plus la théorie de la connaissance à laquelle cette expression réfère. Nous nous bornerons à examiner comment, dans la suite de son livre, Lamennais interprète le passé et comment, ce faisant, il utilise le legs des Lumières pour le contredire.
20L’idée générale consiste à établir un prallèle entre la situation du païen face à l’autorité du genre humain et celle du catholique devant l’Eglise qui, depuis sa fondation apostolique, constitue pour les fidèles l’unique règle de certitude et de foi. Les insuffisances, voire les naïvetés de ce système, apparaissent d’autant plus évidentes que ses ambitions sont plus vastes, et son procès n’est plus à faire. Qu’il suffise de rappeler la légèreté – ou la brutalité – avec lesquelles, au long du développement, les faits sont asservis aux besoins de la démonstration. Celle-ci est conduite avec une énergie qui n’est pas sans évoquer les outrances opposées de Boulanger : la passion l’emporte sur la critique, et l’on devine souvent que les conclusions ont été posées avant l’examen des documents qui devaient y conduire. L’intérêt de ces pages est d’abord psychologique. L’ardeur partisane qu’elles mêlent à l’érudition invite à se souvenir que les écrire fut, pour l’auteur, un besoin et presque une délivrance, comme plus tard les Paroles d’un croyant ou Amchaspands et Darvands. Mais elles marquent d’autre part une date, dans la mesure où elles réclament pour l’Eglise la possession de « toutes les vérités nécessaires à l’homme, la connaissance complète des devoirs ou des lois de l’intelligence, la certitude, le salut, la vie71 ». Une pareille revendication, si péremptoirement affirmée, excède largement le domaine propre de la théologie ou même les habituelles prétentions de l’apologétique. Le catholicisme retrouve ici, pour la première fois depuis le dix-septième siècle, l’assurance qu’il n’affiche que dans les périodes où il est le plus sûr de lui et connaît le mieux sa puissance, celle de se croire en état de gouverner tout l’homme et de conduire sa pensée autant que d’inspirer sa conduite. La religion mennaisienne a, dans l’Essai sur l’indifférence, les mêmes accents triomphants que celle de Bossuet. Elle prétend dominer le savoir aussi bien que mener au salut, et à côté de ses ambitions les intrigues de la Congrégation semblent dérisoires. Il s’agit ici de contraindre le lecteur à admettre qu’il ne saurait se dire philosophe ou simplement homme sans s’avouer du même coup catholique romain, car telle est la nature des choses.
21C’est, nous le rappelons, par une vaste réflexion sur l’histoire que Lamennais entend imposer cette conclusion. Il précise lui-même avoir dû entrer dans de nombreux détails après avoir voulu d’abord « ne présenter que des résultats généraux », parce que l’époque s’occupe trop peu de l’antiquité, et la connaît à peine72. L’occasion est bonne pour le suivre dans les enquêtes qu’il y mène, et essayer de surprendre sa méthode. Elle consiste pour l’essentiel à répéter inlassablement, mais – bien entendu – avec des intentions fort différentes, l’une des observations les plus constantes des partisans des Lumières, à savoir « qu’il existe une religion naturelle, ou conforme à la nature de l’homme et de tous les hommes, appropriée à leurs besoins, à leurs facultés », qui se retrouve partout « et qui se perpétue par la tradition, comme toutes les connaissances nécessaires73 ». La croyance primitive dont il avait été question dès le début de l’ouvrage, et qui apparaissait alors comme la conséquence logique de la première révélation, devient ainsi une réalité en quelque manière objective, attestée par les faits et les textes. Mais quels textes ? Le chapitre XXII : « Le christianisme est la religion révélée de Dieu » devrait marquer une étape décisive dans la démonstration. Or on y trouve, cités presque côte à côte, le De legibus de Cicéron, le célèbre passage de l’Epitre aux Romains sur le vrai Dieu que les peuples connaissent sans le glorifier, et l’extrait suivant des Questions sur l’Encyclopédie : « La chute de l’homme dégénéré est le fondement de la théologie de toutes les anciennes nations74 ». Une pareille rencontre est révélatrice, à la fois, de l’esprit dans lequel l’enquête a été conduite et des limites de la documentation rassemblée. Lamennais, qui se préoccupait dès 1809 de lire les travaux de F. Schlegel sur la Langue et la philosophie des Indiens75, ne semble pas avoir saisi sur le moment l’importance de la renaissance orientale ni le concours qu’elle proposait à ses idées. Il se contente, pour l’essentiel, d’utiliser les sources traditionnelles : les lettres anciennes, qu’il pratique, en humaniste averti, la patristique avec laquelle ses études précédentes l’ont familiarisé, et les ouvrages des philosophes du dix-huitième siècle qu’il s’emploie à combattre.
22Ceux-ci n’avaient pas ménagé les Juifs. On sait avec quelle insistance Voltaire, notamment, avait souligné la barbarie de leurs usages et la cruauté de leur législateur76. C’est tout juste si, dans ses heures d’indulgence, il s’était contenté de les dire bien moins avancés, en matière religieuse, que les Egyptiens ou les Perses. En règle générale, il ne perd pas une occasion de souligner leurs turpitudes, afin de les mieux rendre indignes du rôle éminent que l’Histoire Sainte leur assigne. Alors qu’on aurait attendu de sa part la riposte la plus vive, Lamennais ignore ces attaques, tout comme il néglige, pour traiter le sujet, le point de vue de l’apologétique traditionnelle. Il célèbre certes la loi mosaïque en termes convenables, et n’oublie pas de rendre un hommage particulier à la nation au milieu de laquelle le Christ est né. Mais tout en privilégiant ainsi le judaïsme, il tend manifestement à n’y voir qu’une étape, et une nouvelle occasion de rappeler sa philosophie de l’histoire. « Dieu, écrit-il, prescrivit à ce peuple un culte digne de sa sainteté... Figure d’une loi plus parfaite, la loi de Moïse était pleine de ce grand libérateur, montré aux hommes en espérance dès l’origine des siècles77 ». Il ne craint pas d’avancer ailleurs que « quelqu’idée qu’eussent les Juifs de leur prééminence sur les autres peuples, ils reconnaissaient que le vrai Dieu avait partout des adorateurs78 ». De telles formules semblent bien atténuer la singularité de la religion pratiquée par le peuple élu, et chercher à l’intégrer dans un ensemble plus vaste qui, de toutes parts, la dépasse si bien qu’elle n’en forme plus qu’un élément. La différence est évidente, sans doute, entre cette interprétation qui exclut tout irrespect et le dénigrement haineux de Voltaire. Pour ce dernier, les abominations commises par les Hébreux rendent irrecevable la caution que leurs annales paraissent fournir en faveur des Evangiles, et permettent de déconsidérer le christianisme dès avant son apparition. Lamennais, au contraire, ne rapproche les Juifs du reste du genre humain que pour mieux souligner ce que ces dépositaires privilégiés de la seconde révélation ont perdu à refuser la troisième79. Il n’en demeure pas moins qu’une même intention prévaut, ici et là, de soumettre le peuple de la Bible aux catégories ordinaires et de banaliser son histoire en quelque manière.
23Ce souci ne s’accompagne jamais, malheureusement, d’une critique quelconque des textes ou du simple désir de contrôler les sources. On est même fondé à se demander si, de ce point de vue, l’Essai sur l’indifférence ne marque pas un retrait par rapport à l’Essai sur les mœurs. La pratique mennaisienne qui consiste à toujours assujettir, sans ménagement ni nuance, les détails à la perspective d’ensemble, évoque la manière des polémistes les plus sectaires du siècle précédent, et les reproches indignés que B. Constant adresse à la pseudo-érudition mennaisienne concerneraient aussi bien Boulanger. C’est sans conteste l’un des endroits où l’ouvrage, si romantique à d’autres égards, notamment par la sympathie qu’il témoigne aux constructions audacieuses, appartient encore à l’ancien temps. Et pour ne prendre que le chapitre consacré aux Cultes idolâtriques, la confusion, l’absence de rigueur scientifique y vont de pair avec l’appel à des autorités qu’une meilleure connaissance de la littérature spécialisée aurait conduit à récuser. Ainsi du livre de Foucher sur La religion des Perses, qui est pour Lamennais, avec les travaux de Le Batteux et l’Ezour Vedam un guide de prédilection en matière orientale ; tous sont beaucoup plus souvent cités que W. Jones ou Rémusat80. Or, R. Schwab l’a rappelé, le traité de l’abbé Foucher avait été « anéanti » par Anquetil, et l’Ezour Vedam était depuis longtemps connu pour apocryphe81. Cependant l’auteur n’a cure des insuffisances de ses lectures. Il mêle sans trop y regarder le meilleur et le pire, les Lettres édifiantes et les Mémoires de l’Académie des inscriptions, cite côte à côte d’Herbelot, Lafitteau et Charlevoix, et l’on en arrive à se demander si, malgré leur abondance, ces références constituent autre chose qu’un alibi ou une façade. Nulle part n’apparaît le souci d’instituer une hiérarchie entre les sources, voire de respecter la chronologie malgré le parti historique adopté. C’est ainsi que passe, au fil du développement, un très beau et très suggestif texte des Asiatic Research qu’Echstein n’aurait pas manqué de commenter, mais auquel Lamennais ne s’arrête guère, en polémiste plus soucieux du but à atteindre que des voies qui y mènent82. En revanche il utilise abondamment Cicéron, qu’il tient de toute évidence pour un témoin privilégié de la tradition telle qu’elle s’était maintenue parmi les païens, et ne répugne pas à s’appuyer sur Voltaire. Tant l’Essai sur les mœurs que le Dictionnaire philosophique sont appelés à la rescousse, comme des cautions parfaitement recevables83. Il est vrai que les conclusions dégagées, çà et là, de ce qu’il faut bien nommer un fatras, ne sont pas sans rappeler, par leur caractère naïvement péremptoire, les affirmations opposées qui émaillaient certains libelles venus de Ferney. Qu’on en juge par cet exemple, où la géographie semble aussi incertaine que la remarque est sans appel : « Des débris de diverses idolâtries qui ont successivement régné dans l’Inde, et de plusieurs dogmes chrétiens défigurés, se composent aujourd’hui les religions de l’Indoustan, de la Tartarie, du Tibet, du Turquin, de la Chine et des îles adjacentes. On ne saurait douter que le christianisme n’ait pénétré dès les premiers siècles jusqu’aux extrémités de l’Asie84 ». Et c’est encore un souvenir de Voltaire, si sensible aux extravagances de l’esprit humain, qui semble passer dans ce commentaire : « Quelle confusion immense ! Quel épouvantable chaos de fables incohérentes, de dieux adorés des uns, abhorrés des autres, de cultes opposés, de rites qui, selon les lieux et les époques, inspiraient le respect ou l’horreur ! Non, le ciel n’est pas plus éloigné de la terre que cet informe amas d’extravagances et de crimes n’est éloigné d’offrir l’apparence même de l’unité essentielle à la vraie religion85 ». Nous avons le sentiment de perdre complètement de vue, ici, la révélation primitive et la foi traditionnelle, pierres d’angle du système, pour nous retrouver tout proches de cet extrait de l’Essai sur les mœurs, cité en note peu auparavant : « La vaste presqu’île de l’Inde, qui s’avance des embouchures du Nil et du Gange jusqu’au milieu des îles Maldives, est peuplée de vingt peuples différents, dont les mœurs et les religions ne se ressemblent pas86 ». Certes, pour renouer le fil de son argumentation et sans autre raison apparente que la logique de sa pensée, Lamennais soutient aussitôt après que « jamais le genre humain n’oublia complètement la règle antique, (que) souvent les passions le portèrent à violer...87 ». Mais l’impression demeure qu’en cet endroit entre autres, la distance est des plus courtes entre son texte et mainte page de Voltaire, même si sa conclusion, dure aux idolâtres de toutes les époques, est d’un sermonnaire : « L’homme moderne éloigné du christianisme vit comme un païen88 ».
24C’est peut-être parce qu’il avait conscience de ces dangereuses ressemblances, qu’il adopte dans les chapitres suivants une démarche plus rigoureuse. Il s’appuie volontiers, alors, sur Bossuet, cité comme une autorité considérable de laquelle rien ne semble le séparer. En revanche, à propos du sacrifice, les récents et considérables travaux de Joseph de Maistre ne sont évoqués qu’en passant89. Autant que celles consacrées aux cultes idolâtriques, ces pages qui prétendent établir que l’unité, l’universalité, la perpétuité, la sainteté caractérisent le christianisme, alignent sans hiérarchie ni discussion des références parmi lesquelles les poètes, notamment grecs, occupent une place considérable. Est-ce, comme le prétend l’auteur, parce que « tout le monde les lisait », si bien qu’ils sont en état de produire l’opinion moyenne du public90 ? Nous inclinerions plutôt à voir dans ce choix la réaction d’un lettré formé aux anciennes disciplines, et pénétré depuis sa jeunesse du respect dû aux humanités classiques. Le défenseur du christianisme cède le pas à l’amateur de Virgile. « Peut-être, lit-on à propos du sixième chant de l’Enéide, l’antiquité n’offre-t-elle rien qui prouve davantage le pouvoir de la tradition sur l’esprit humain, que le passage de ce livre où le poète, pénétrant avec Enée dans le séjour des morts, décrit en vers magnifiques le lugubre spectacle qui se présente à sa vue91 ». Ainsi s’explique que Lamennais ne craigne pas, à l’occasion, de rapprocher Homère de saint Paul92. Rien ne rappelle, dans ces longs développements, les recherches qui, depuis plusieurs décennies en Allemagne, renouvelaient la connaissance de l’antiquité gréco-latine. La documentation sur laquelle reposent les derniers volumes de l’Essai sur l’indifférence ne diffère guère de celle dont faisait état le Traité des études de Rollin. Cette matière traditionnelle est, non sans naïveté, sollicitée de fournir des arguments à la démonstration. Mais la valeur de ceux-ci est si faible que l’auteur éprouve parfois le besoin de remettre les choses au point à sa manière catégorique : « Ouvrez les ouvrages des anciens ; à chaque instant ils y parlent de Dieu d’une manière absolue, parce qu’ils en avaient réellement la même idée que nous93 ». On ne saurait davantage manquer à l’objectivité.
25Le développement devient plus intéressant lorsque Lamennais évoque des faits dont les adversaires du catholicisme avaient pu se prévaloir. C’est l’occasion de rencontres, délibérées cette fois, avec Voltaire. Les derniers tomes de l’Essai sur l’indifférence l’utilisent assez souvent comme un témoin involontaire de la vérité, et ne craignent pas à l’occasion de dénaturer sa pensée pour s’en faire un allié. Cette déformation aurait sans doute été moins aisée si les deux esprits n’avaient eu en commun la conviction, toute classique, que l’homme était partout le même. Le système mennaisien suppose cette permanence de notre nature autant que la philosophie des Lumières, mais pour y voir la conséquence de la révélation primitive et non plus la justification de la religion naturelle. Quelques exemples permettent de préciser le changement d’interprétation, qui est souvent aussi un changement d’accent. Voltaire avait évoqué le respect des Chinois pour la tradition, en prenant soin d’ajouter que cette fidèlité constituait un obstacle au progrès. Lamennais reprend le passage, mais omet la réserve94. Voltaire constatait que « la chute de l’homme dégénéré était le fondement de la théologie de toutes les anciennes nations ». Après avoir appuyé cette citation (déjà produite ailleurs) d’emprunts à Cicéron, Platon et Clément d’Alexandrie, Lamennais lui consacre maintenant ce commentaire, dont le ton n’est rien moins que voltairien : « Mais comment le crime d’un seul homme a-t-il infecté toute sa race ? Comment les enfants peuvent-il justement porter la peine de la faute de leur père ? Ils la portent, cette peine, c’est un fait constant, et que dès lors il n’est nullement nécessaire d’expliquer. Dieu est juste et nous sommes punis, voilà tout ce qu’il est indispensable que nous sachions ; le reste n’est pour nous que de pure curiosité 95». Les choses deviennent plus nettes encore à propos de la théorie des trois Evangiles, celui de la tradition patriarcale, celui des Prophètes et celui du Christ, fondamentale pour l’économie générale de l’Essai. « Si on en rejette un seul, il faut les rejeter tous, il faut abjurer non seulement la foi des chrétiens, la foi des Juifs, mais la foi de toutes les nations ; il faut dire qu’après soixante siècles d’erreur et de folie universelle, quelques hommes sont venus apporter dans le monde la raison et la vérité... » Or Voltaire, auquel renvoie expressément ce texte, s’était borné à écrire : « La raison est toujours venue tard ; c’est une divinité qui n’est apparue qu’à peu de personnes96 ».
26L’opposition tient, en définitive, à la place qu’il convient de reconnaître à la vraie religion et à la morale qui en est la conséquence. Pour Lamennais, son action apparaît évidente dès l’origine, et il se montre persuadé que l’examen du passé impose cette constatation de fait : si des usages criminels ont existé, ils ont toujours procédé d’une erreur locale ou de l’influence d’un faux culte, et l’on ne saurait donc en tirer argument contre la Vérité catholique. Voltaire est vivement sollicité, pour aider à soutenir cette opinion qui contredit la sienne. D’extraits du Dictionnaire philosophique (article Nécessaire), de l’Essai sur les mœurs et des Remarques sur l’histoire générale, l’Essai sur l’indifférence conclut que, « quand l’homme fait le mal, ce n’est pas qu’il ignore la loi qui le défend...97 ». Il en va de même quand il s’agit de démontrer l’universalité des croyances primitives98. C’est ici, de nouveau, l’article Nécessaire qui est mis à contribution, et le gauchissement est particulièrement net. Voltaire y avait fait dialoguer deux Orientaux, Osmin et Sélim, dont le second expliquait que Dieu avait donné au genre humain tout ce qu’il lui fallait pour subsister. « Ainsi une créance qui est nouvelle n’était pas nécessaire à cette espèce. Les hommes pouvaient très bien vivre en société et remplir leurs devoirs envers Dieu avant de croire que Mahomet avait eu de fréquents entretiens avec l’ange Gabriel ». Il est donc évident que, si Dieu a permis que naisse la religion de Mahomet, c’est « comme il permet que le monde soit rempli de sottises, d’erreurs et de calamités ». Sélim va jusqu’à prétendre que « l’Alcoran est ridicule », avant de conclure : « Défiez-vous de toutes les inventions des charlatans ; adorez Dieu ; soyez honnête homme, et croyez que deux et deux font quatre ». Il y a loin de cette profession de foi quasi rationaliste à la philosophie du sens commun qui prétend s’en autoriser. L’interprétation que l’Essai sur l’indifférence suggère de l’article Secte est tout aussi aventurée. Voici ce qu’on pouvait lire, sous cette rubrique, dans le Dictionnaire philosophique : « Toute secte, en quelque genre que ce puisse être, est le ralliement du doute et de l’erreur... Il n’y a point de secte en géométrie... Partant la religion véritable, si le christianisme n’existait pas, est celle dans laquelle il n’y a point de secte. Or, dans quels dogmes tous les esprits se sont-ils accordés ? Dans l’adoration d’un Dieu et dans la probité. Tous les philosophes de la terre qui ont eu une religion dirent dans tous les temps : Il y a un Dieu, et il faut être juste. Voilà donc la religion universelle établie dans tous les temps et chez les hommes. Le point dans lequel ils s’accordent tous est donc vrai, et les systèmes par lesquels ils diffèrent sont donc faux ». Suivait une revue d’une cinglante ironie où étaient tournées en dérision les pratiques superstitieuses, parmi lesquelles la circoncision, les indulgences et les reliques. Et avant de conclure contre le fanatisme en faveur de la saine raison, l’auteur s’égayait une fois de plus aux dépens des oracles, en des termes qui pouvaient aussi bien convenir aux Evangiles. Le commentaire de Lamennais constitue un excellent exemple de ce que deviennent à l’occasion, pour un habile avocat, des citations privées de leur contexte : négligeant ce qui le gêne, il ne retient de cet ensemble que les propositions semblant annoncer l’idée maîtresse de son propre système. « Quelle que fût l’intention de Voltaire en écrivant ces paroles, lit-on dans l’Essai, il avoue que la religion nécessaire à l’homme, ou la vraie religion, doit être perpétuelle, universelle ; et qu’il a toujours existé dans le monde une religion qui possédait manifestement ces caractères99 ». C’est jouer sur les mots pour trahir la pensée, et triompher à bon compte. Tout était bon à Voltaire, dès lors qu’il s’agissait d’écraser l’infâme. Par un curieux retour des choses Lamennais adopte les mêmes errements, et, sans craindre les contresens, prétend faire de l’adversaire passionné de la théologie catholique un témoin du catholicisme étemel.
27Les deux attitudes, à la fois symétriques et opposées, semblent se commander l’une l’autre. Leur ressemblance témoigne que, quelque cinquante ans après la mort du Patriarche, l’apologiste le plus fougueux ne trouvait rien de mieux, en définitive, pour défendre la Révélation que d’utiliser en les retournant les arguments que le dix-huitième siècle avait utilisés pour la combattre. L’Essai sur l’indifférence – il convient d’y revenir – ne fait guère état des ressources que pouvaient offrir dès cette époque la paléontologie, la préhistoire ou l’orientalisme, et dont s’empareront bientôt, à la suite des Allemands, Eckstein ou les rédacteurs du Mémorial catholique. S’il ne les ignore pas complètement, l’auteur semble les avoir découvertes en même temps qu’il composait son ouvrage, et les avoir alors surtout considérées comme matière d’appoint. Il n’évoque qu’en passant le problème si vivement débattu en ces années de la chronologie biblique, se bornant à rappeler sans insister autrement l’affaire des zodiaques ou les travaux de Cuvier sur les ossements fossiles100. En revanche, jusque vers la fin de son trait, il aime citer Bossuet, « ce grand homme si peu suspect de relâchement dans la doctrine », et se plaît à retrouver dans la Lettre à M. Brisacier l’annonce de ses propres idées101. Surtout, plus que de science moderne, il est nourri de l’Ecriture et des Pères : Clément d’Alexandrie et Vincent de Lérins comptent parmi ses références de prédilection, en attendant de devenir deux des maîtres à penser de l’Ecole de la Chênaie. Ces constatations que suggère la lecture des derniers volumes soulignent combien, jusqu’en 1823, Lamennais demeure par ses réactions et sa culture l’homme du passé. Pour s’excuser de ne point exposer les mystères de la foi et de se borner à ne considérer, dans son langage quasi profane, que les principes fondamentaux de la religion, Frayssinous avait rappelé la nécessité, pour le médecin, « d’approprier ses remèdes aux besoins, au tempérament du malade102 ». Son successeur semble souvent soucieux, lui aussi, de suivre la propagande philosophique sur le terrain qu’elle avait choisi, et de la combattre avec ses propres armes, plutôt que de dénoncer l’insuffisance de celles-ci.
28Faut-il faire grief à Lamennais de cette attitude ? Il suffît sans doute de constater la docilité avec laquelle il accepte, au moment où nous sommes, le patrimoine intellectuel que lui léguaient sa formation et ses adversaires. Alors que, autour de lui, la connaissance de l’antiquité se renouvelait de tant de manières, il n’a pas su deviner encore que la critique pouvait devenir une arme pour la foi. Après l’Essai, qu’il semble avoir terminé sans grand enthousiasme103, son revirement sur ce point sera notable. Il est trop sûr, pour l’heure, de détenir la vérité, et tout se passe comme s’il était emporté par l’impétuosité de ses convictions. Son éloquence prompte aux images ne conçoit pas la nécessité de discussions rigoureuses qui casseraient le rythme du discours. Assez souvent même, les innombrables références qui constituent le fondement de son argumentation semblent lui devenir importunes. Quand il s’agit par exemple de démontrer que la perpétuité est un caractère du christianisme, au beau milieu de citations relatives aux habitants de l’Est européen, en attendant ceux de l’Amérique, de la Perse et de l’Inde, éclate brusquement cette fanfare : « Rien n’obscurcit, rien n’altère l’éclat de la vérité, lorsqu’elle se lève comme l’astre de la vie sur les peuples naissants. Sa pure lumière pénètre dans les cœurs purs et y féconde le germe de tout ce qui est bon, de tout ce qui est saint : heureux âge d’innocence et de foi ; et que ne peut-il durer toujours ! Mais bientôt les passions fermentent ; elles produisent l’erreur et le vice, qui se projettent comme d’énormes ombres entre l’homme et la vérité. Cependant l’astre poursuit son cours, il continue de briller, mais à travers de noires vapeurs qui s’épaississent sans cesse ; et vers le soir on le voit, descendant peu à peu dans des ténèbres enflammées, éclairer de ses derniers rayons un ciel sanglant et chargé de tempêtes104 ». Cette esquisse aux vives couleurs intervient dans la suite du développement comme une évasion ou une détente, presque une revanche sur une matière trop aride. Elle laisse paraître la vraie personnalité d’un écrivain mieux propre à de telles visions, ou à de rudes empoignades, qu’aux fastidieux dénombrements.
29Joseph de Maistre pratique lui aussi ces ruptures, et l’image rehausse ou supplée souvent chez lui le raisonnement. Mais le texte des Soirées de Saint-Pétesbourg est beaucoup plus dense que celui de l’Essai parce que la pensée, moins asservie à un système, plus indépendante des traditions du dix-huitième siècle et largement ouverte aux influences mystiques, manifeste davantage de vigueur et ne craint pas d’aborder de front les derniers mystères. Le pouvoir régénérateur du sang, la valeur qui s’attache, depuis l’origine du monde, au sacrifice de l’innocence comptent, on le sait, parmi ses thèmes de prédilection. Face à ce contemporain redoutable, le Lamennais du début fait assez pauvre figure, et ce n’est pas sans quelque déception qu’on lit, par exemple, le chapitre XXXV qu’il consacre à Jésus-Christ 105. D’un chrétien possédé d’une foi si exigeante et disposant de tant d’éloquence, on aurait mieux attendu sur un tel sujet que cette reprise des Evangiles et de saint Paul, sans bonheur particulier dans l’expression ni dans la pensée. Auparavant l’étude sur les prophéties (chapitre XXXIII) demeure l’un des plus faibles du livre, et les pages consacrées aux miracles (chapitre XXXIV) ne laissent pas une impression meilleure. Il convient de noter toutefois que, dans ce dernier ensemble, l’auteur a soin, une fois de plus, de chercher à réfuter la pensée des Lumières en opposant, sur ce point si important, l’article Miracles du Dictionnaire philosophique et les Lettres écrites de la Montagne 106. A Voltaire qui affirmait que la foi aux miracles « déshonorait en quelque sorte la Divinité », Lamennais est manifestement heureux de répliquer avec Rousseau : « Dieu peut-il faire des miracles ? Cette question sérieusement traitée serait impie si elle n’était absurde ; ce serait faire trop d’honneur à celui qui la résoudrait négativement que de le punir. ; il suffirait de l’enfermer ». Pour un polémiste qui ne craignait pas l’outrance, pareille citation était une aubaine. On ne saurait cependant s’en autoriser pour supposer, chez l’auteur de l’Essai sur l’indifférence, quelque secrète indulgence pour le philosophe de l’Emile. Nous avons vu avec quel soin il avait marqué, dans le premier volume, ses distances par rapport au « sophiste genevois107 ». Ici encore la rencontre est sans lendemain, et sert seulement à prouver, comme souvent, que la vérité est assez puissante pour s’imposer même à un maître d’erreur.
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30Nous avons marqué ailleurs ce que, malgré ses insuffisances, la doctrine de l’Essai sur l’indifférence présentait à sa date de fécond et de neuf. L’auteur avait d’abord voulu rendre au catholicisme la dignité et l’importance qu’en fidèle héritière du dix-huitième siècle l’époque lui refusait. Mais la logique du système qu’il avait élaboré à cette fin allait l’entraîner beaucoup plus loin. En insistant sur le caractère complémentaire des révélations successives, il mettait en évidence une dynamique religieuse dont ses travaux ultérieurs et ceux de ses disciples devaient tirer les plus vastes conséquences. Son combat contre l’indifférence suggérait les principes d’une action visant à réconcilier le catholicisme avec la science, et à découvrir en lui le moteur du progrès social. Il faudra toutefois attendre quelques années pour que ce programme apparaisse avec une entière netteté. Au moment où nous sommes, le « nouveau Bossuet » semble surtout préoccupé de terrasser l’adversaire qu’il s’est choisi. Il se veut historien, controversiste et théologien, tempête dans sa correspondance contre les partisans de la tradition cartésienne, mais ses meilleures pages sont d’un moraliste ou d’un poète. Sans cesse, pour reprendre vigueur, il a besoin de recommencer la censure éloquente des erreurs auxquelles se complaisent l’orgueil ou la paresse de ses contemporains. Les philosophes avaient choisi de parler à la raison, et de s’en faire une alliée. Il préfère, lui, ébranler les esprits par la puissance de son verbe, et presser le lecteur avec tant de fougue que celui-ci, ébloui, oubliera de réfléchir. Ainsi de cette méditation lyrique, qui ne paraît pas indigne de Pascal, et qui surgit au beau milieu d’un développement sur les Chinois : « Quand on vient à considérer ces grandes catastrophes du mond° moral, ces nations qui s’éloignent de Dieu, et qui tombent comme des anges rebelles, une pitié profonde et une secrète terreur s’emparent de l’âme. Qu’est-ce que l’homme ? Qu’est-ce que ses lumières ? Qu’est-ce que sa raison ? Quelle est cette force qui le pousse au crime : et que gagne-t-il à se perdre ? Prodigieux aveuglement ! Mais il en est ainsi, le mal lui plaît. Né pour le ciel, il cherche l’enfer, comme un voyageur égaré cherche sa patrie. Et, chose étrange, la vérité qu’il fuit, la loi qu’il viole, se présentent de tous côtés à ses regards ; il ne peut les ignorer, il ne peut les nier ; tous les siècles et tous les peuples, même les plus dégradés, rendent témoignage à cette loi, à cette vérité, à la religion, une, universelle, perpétuelle ; et la rejeter, c’est apostasier la raison humaine108 ». Bien qu’il y fasse souvent allusion, et à partir de documents comparables à ceux que Lamennais utilise, jamais la Chine n’aurait inspiré à Voltaire une telle envolée. La rhétorique supplée ici le raisonnement, et permet de retrouver, dans des références assez banales, l’idée générale et presque le sommaire de tout l’ouvrage.
31Cet exemple en résume nombre d’autres. Les derniers volumes de l’Essai n’enrichissent guère ni n’améliorent les matériaux rassemblés par les ennemis de la religion au siècle précédent, et se contentent souvent, quitte à solliciter les textes, de retourner les conclusions de ces prédécesseurs. Ils négligent, d’autre part, de traiter dans toute leur ampleur certains sujets importants, et demeurent fort en deçà de Joseph de Maistre. Mais ces insuffisances sont rachetées par mainte page où, libérée des contraintes du raisonnement ou de l’enquête historique, une personnalité occupe sans partage le devant de la scène, et démontre avec une conviction éloquente et passionnée l’importance revêtue par la foi dans la conduite de la vie. C’était, compte tenu des circonstances, le moyen le plus efficace pour ramener vers le problème religieux l’attention de l’opinion. Au terme de son étude sur la bourgeoisie parisienne sous la monarchie censitaire, A. Daumard note que « Dieu était absent, ou presque » des préoccupations de cette classe sociale, au début du dix-neuvième siècle. Non qu’elle comptât une majorité d’athées dans ses rangs ! Mais, nous l’avons rappelé au début, ses membres jugeaient souvent avoir assez fait pour la religion de leurs princes quand ils lui avaient témoigné les égards que réclamait la tradition, ou la tolérance exigée par la loi. Rares demeuraient ceux qui lui demandaient de guider leur conduite quotidienne. La plupart se contentaient de croire à « l’existence d’une divinité aux attributions mal définies », chargée de présider aux grands événements de la vie. « Dieu n’était pas mort. Il s’était éloigné. Il ne tenait pas de place dans la pensée, dans le comportement habituel des bourgeois parisiens (...). La conscience morale restait façonnée par les impératifs de la morale chrétienne, même sans les suivre. Mais l’esprit se réclamait de la raison et voyait que l’action humaine pouvait, à elle seule, infléchir les destinées des individus et celles de la société 109 ». On a lieu de penser que ces remarques valent aussi pour la province. Les milieux dont les nouvelles institutions consacraient la place dans l’Etat étaient profondément laïcisés et demeuraient fidèles aux leçons du dix-huitième siècle. Les excès de la Congrégation aidant, ils feront le succès des rééditions de Voltaire, si nombreuses sous la Restauration. Il ne semble pas, d’autre part, que la noblesse – sauf exceptions notables – se soit beaucoup passionnée pour la défense du catholicisme vers 1820, en dehors des occasions où les affaires du clergé interféraient avec la politique. L’Essai sur l’indifférence a d’abord tenté de réagir contre cet état d’esprit, et la vigueur des polémiques provoquées par l’ouvrage était à elle seule, de ce point de vue, une réussite. Mais l’auteur, déjà tribun plutôt qu’homme de cabinet, et soucieux d’agir vite et fort, s’est souvent contenté de prendre le contre-pied des mauvais maîtres dont il sentait autour de lui la diffuse influence. Comme tous ses contemporains il les a beaucoup lus ; autant que les Pères, Bossuet ou les humanités classiques, ils appartiennent à sa culture et demeurent une part non négligeable de son patrimoine intellectuel. La mission qu’il s’est donnée lui impose de les contredire ; c’est une manière de leur demeure fidèle.
Notes de bas de page
1 La religion de Rousseau, Paris, 1916, t. III, Rousseau et la restauration religieuse, p. 270.
2 Comme le souligne justement C. Latreille (Joseph de Maistre et la papauté, Paris, 1906, p. 258), le premier volume de l’Essai n’obtint de compte rendu dans la presse qu’à sa seconde édition : le seul mérite du texte avait suffi à garantir le succès de la première.
3 Cf. sa lettre à Virieu du 8 août 1818.
4 La lettre est reproduite in Correspondance générale de Lamennais, Paris, 1971, t. II, p. 595. Elle a été écrite par Joseph de Maistre sur son lit de mort, quelques heures avant l’agonie. L’étonnante clairvoyance de ce texte en fait l’un des documents les plus suggestifs, et les plus émouvants, de toute l’aventure mennaisienne.
5 Cf. notre Lamennais, ses amis et le mouvement des idées à l’époque romantique (1824-1834), Paris, 1962.
6 Essai sur l’indifférence, op. cit., t. I, p. 1.
7 La pensée européenne au XVIIIe siècle. De Montesquieu à Lessing. Paris, 1946, t. II, p. 219.
8 Cf., entre beaucoup d’autres, le témoignage de Mme de Krüdener dans ses papiers intimes (Voyage de Lyon à Paris en avril 1803).
9 A. Dansette, Histoire religieuse de la France contemporaine, Paris, 1952, t. I, livres III et IV, présente une synthèse commode de cette période si mouvementée. On y trouve notamment, p. 236, le texte des curieuses instructions envoyées par le comte de Provence aux évêques en octobre 1797 : « Je désire que les ecclésiastiques soutiennent parmi mes sujets l’esprit monarchique en même temps que l’esprit religieux ; qu’ils les pénètrent de la connexion intime qui existe entre l’autel et le trône, et de la nécessité qu’ils ont l’un et l’autre de leur appui mutuel ». C’est, avec quelque vingt ans d’avance, et sous la plume d’un prince réputé sceptique, la « philosophie » de la première Restauration. Dansette souligne d’autre part que, à la différence du personnel impérial, les officiels de la Restauration affichaient tous un respect exemplaire pour la religion, qu’ils eussent la foi ou non.
10 Cf. les Mémoires de Résumat, éd. Pouthas, Paris, t. I, p. 454 : « Une préface d’un tel homme aux vers d’un ancien garde du corps, vanté sur parole au faubourg Saint-Germain, était une mauvaise recommandation pour Lamartine auprès de nous, et il ne fallut pas moins que le génie d’un grand poète pour triompher de nos préventions (…). Il n’y a pas jusqu’à cette couleur catholique, ce royalisme flottant, ces souvenirs de Savoie, alors la Terre classique de l’absolutisme clérical, qui ne luttassent dans notre esprit contre le charme d’une poésie qui nous paraissait moins originale qu’elle ne l’était en effet ».
11 Cf. Dansette, op. cit., p. 257-258. La remarque de Chateaubriand est citée par Bertier de Sauvigny, La Restauration, Paris, 1955, p. 417. On trouvera de nombreuses indications matérielles sur le sujet dans l’Opinion sur la résolution relative au clergé prononcée par le même Chateaubriand devant la Chambre des Pairs le 10 février 1816.
12 Dansette notait, voici plus de vingt ans (op. cit., p. 266) que le comportement religieux de l’homme du peuple en 1825 nous était aussi mal connu que celui de son père ou de son grand-père dans les dernières années de l’Ancien Régime. Cette remarque demeure d’actualité. Les indications les plus précises sur le sujet nous ont été fournies par le travail d’A. Daumard que nous citons plus loin. Dansette souligne d’autre part, p. 268, que lorsque l’autorité religieuse refuse la sépulture chrétienne, « les foules incroyantes persistent à forcer les entrées des églises pour y porter les corps des réprouvés, tant demeure confuse dans l’esprit public, même anticlérical, la notion de liberté religieuse ». Nous estimons, quant à nous, que cette pratique, si courante à l’époque, marque d’abord l’importance que la foule accorde à la consécration religieuse des grands événements de la vie.
13 Cf. Guichen, La France morale et religieuse au début de la Restauration, Paris, 1911, p. 26, 27 et 51.
14 Cité ibid., p. 78-79.
15 La bourgeoisie parisienne sous la monarchie censitaire, Paris, 1963, p. 404.
16 Cité in Guichen, op. cit., p. 54.
17 Ibid., p. 153. Blacas avait été chargé de négocier un nouveau Concordat. Le projet n’aboutit pas, mais il serait certainement suggestif d’étudier les réactions, souvent fort vives, qu’il suscita dans l’opinion, de gauche comme de droite.
18 Mémoires d’Outre-tombe, Paris (Pléiade), t. I, 1. XIV, chap. 3, p. 488.
19 Cité in A. Jovicevich, Jean-François La Harpe, adepte et renégat des lumières, Seton Hall University Press, 1973, p. 141.
20 Ibid., p. 150. Jovicevich note, p. 151 : « Voltaire aurait été bien fier de voir son élève réciter avec l’aisance et la conviction d’une leçon bien apprise, le cours que le patriarche a professé sa vie durant sur la philosophie et l’origine de la religion chrétienne ».
21 Ibid.
22 Ibid., p. 167.
23 Cf. ibid., p. 175 à propos de Du Fanatisme dans la langue révolutionnaire ou la persécution suscitée par les barbares du dix-huitième siècle (mars 1797) : Il dit à ses ennemis révolutionnaires : « Je suis chrétien, parce que vous ne l’êtes pas. Une religion qui a pour ennemis mortels les plus mortels ennemis de toute morale, de la vertu, de l’humanité, est nécessairement amie de la morale, de la vertu, de l’humanité : elle est donc bonne ». Dans son testament (cf. p. 194), La Harpe recommande « les saintes maximes de l’Évangile comme code de conduite pour le bonheur de la société ».
24 Oeuvres autobiographiques, Paris (Pléïade), 1970, t. I, p. 126 (Histoire de ma vie, 1re partie, ch. V).
25 De la littérature..., éd. Van Tieghem, Paris, 1959, t. I, p. 18-19.
26 Senancour fut du nombre : ses Observations critiques sur l’ouvrage intitulé Génie du christianisme sont de 1816.
27 Histoire de la littérature française sous la Restauration, Paris, 1853, t. I, p. 170.
28 Correspondance générale, op. cit., t. I, p. 280-290.
29 Dansette (op. cit., p. 238-239) a esquissé non sans bonheur le portrait de Mgr de Quélen, archevêque de Paris en 1821, qui devait avoir avec Lamennais les relations mouvementées que l’on sait : « Son esprit, peu meublé de connaissances religieuses, est celui d’un homme de bonne compagnie qui a reçu une sérieuse éducation classique ». Ce prélat, « féru de bonne naissance », ne craint pas d’affirmer en chaire que « non seulement Jésus-Christ était fils de Dieu, mais encore il était de très bonne maison du côté de sa mère, et il y a d’excellentes raisons de voir en lui l’héritier du trône de Judée... »
30 Cf. Bertier de Sauvigny, op. cit., p. 416.
31 Op. cit., p. 271.
32 Cf. Oeuvres, éd. Roulin, Paris (Pléiade), 1957, p. 915-916 (le texte, qui reprend pour l’essentiel la préface de Wallstein, est de 1829).
33 Op. cit., t. I, p. II.
34 Cf. La philosophie des lumières, Paris, 1966, p. 162.
35 Essai sur l’indifférence, op. cit., t. I, p. XIX-XXII.
36 C’était, Cassirer le souligne ibid., le sens commun précisément que, dans sa polémique contre Pascale, Voltaire faisait juge des subtilités de la théologie comme de la métaphysique.
37 Op. cit., t. I, p. XXXVIII.
38 Ibid., p. 30.
39 Essai sur les mœurs, éd. R. Pomeau, Paris, 1963, t. Il, p. 342 (à propos de Vaines disputes relatives à l’Amérique et à ses habitants).
40 Cf. son introduction aux Lettres philosophiques, Paris, 1962, p. IV.
41 Op. cit., t. I, p. 24-25.
42 Ibid., p. 27.
43 Ibid., t. II, p. 809-810 (Conclusion de l’ouvrage).
44 Op. cit., t. I, p. 47-48.
45 Ibid., p. 48.
46 Cf. ibid., t. II, ch. XVIII, « Que le sentiment ou la révélation immédiate n’est pas le moyen général offert aux hommes pour discerner la vraie religion ».
47 Cf. Oeuvres complètes, Paris (Pléïade), 1972, t. I, p. 972.
48 Op. cit., t. I, p. 91-92.
49 Ibid., p. 124-125.
50 Cf. ibid., ch. VI, p. 131 sq.
51 Cf. ibid., p. 148-149 : « La vraie religion ne pouvant jamais s’éteindre, et la société de ceux qui la professent devant être toujours visible, les pasteurs doivent s’y succéder sans interruption, en sorte qu’à toutes les époques de sa durée on puisse remonter, par une succession non interrompue, des pasteurs actuels jusqu’aux apôtres : donc l’Eglise est apostolique ».
52 Ibid., p. 173.
53 Ibid., p. 176.
54 Ibid., p. 180.
55 Ibid., p. 199.
56 Cité par P.-M. Masson, op. cit., p. 25.
57 Recherches sur l’origine du despotisme oriental, Duchesne, 1766, p. 15.
58 Ibid., p. 177-188.
59 Ibid.
60 L’antiquité dévoilée par ses usages ou Examen critique des principales opinions, cérémonies et institutions religieuses et politiques des différents peuples de la terre. En Suisse, De l’imprimerie philosophique, 1791, t. I, p. 26.
61 Ibid., p. 47.
62 Ibid., t. II, p. 279.
63 Op. cit., p. 57-58.
64 Voltaire semble bien avoir reproché à Boulanger son athéisme plus que ses audaces, à en juger par ce texte des Lettres à S.A. Mgr le Prince de..., sur Rabelais et sur d’autres auteurs accusés d’avoir mal parlé de la religion chrétienne (1767), Lettre VII Sur les Français (Oeuvres complètes, Paris, Garnier, 1879, t, XXVI, p. 509) : « Ce philosophe est aussi chagrin qu’intrépide. Les horreurs dont tant d’Eglises chrétiennes se sont souillées depuis leur naissance ; (...) ce chaos énorme d’absurdités et de crimes remue l’imagination du sieur jusqu à douter de la Providence divine. Fatale erreur que les bûchers de l’inquisition et nos guerres religieuses excuseraient peut-être si elle pouvait être excusable. Mais nul prétexte ne put justifier l’athéisme ».
65 Op. cit., p. 130-131.
66 Ibid., p. 131 note.
67 Op. cit., t. I, p. 199-201.
68 Ibid., p. 306.
69 Ibid., t. II, p. XII.
70 Ibid., p. LXVIII.
71 Ibid., p. 203 (conclusion du t. II).
72 Ibid., t. III, p. VI.
73 Ibid., p. 9-10. Peu auparavant, p. 5-6, l’auteur évoque lui-même « la religion que les philosophes appellent naturelle parce que la nature, disent-ils, l’enseigne aux hommes ». Mais c’est pour critiquer vivement cet expédient imaginé par peur de l’athéisme, et qui revient à admettre que « chacun, en consultant sa raison seule, y découvre ce qu’il doit croire et qu’il doit pratiquer ». La conclusion de la discussion situe parfaitement le débat : « On s’est habitué dès lors à distinguer deux religions différentes par leur origine, l’une naturelle et nécessaire, l’autre contingente et révélée, opposant ainsi la nature et la révélation ; comme si la révélation qui n’est que la manifestation de Dieu à l’homme, le Créateur parlant à sa créature intelligente, le pouvoir à ses sujets, le père à ses enfants, n’était pas tout ce qui se peut concevoir de plus conforme à la nature de l’homme, qui ne sait rien que ce qu’on lui a appris, et à la nature de Dieu qui n’a créé l’homme que pour en être connu, aimé et servi ». En définitive, le passage de la religion naturelle telle que la présentent les philosophes au catholicisme étemel comme l’entend Lamennais, est celui du subjectif à l’objectif, de la fiction au fait.
74 Ibid., p. 21-23.
75 Cf. Correspondance générale, op. cit., t. I, p. 62. On sait l’importance que, quelques années plus tard, l’école mennaisienne attachera aux disciplines scientifiques, qui occuperont une place de choix dans son programme d’études et de recherches. Or une curieuse lettre de Lamennais montre qu’au moment où il venait d’achever l’Essai sur l’indifférence, il demeurait fort attaché, en ces matières, au point de vue traditionnel (ibid., t. II, p. 467, De Genève, le 25 avril 1824) : « Quand j’aurai vu de près une bonne montagne, c’en sera bien assez ; je ne tiens guère à cela. Ce sont les gouvernements, les institutions, les idées, les mœurs qui m’intéressent, et, sous ce rapport, j’espère que mon voyage ne sera pas perdu. Les anciens (du moins une certaine classe d’hommes) voyageaient plus que nous, et il est surprenant combien ils nous disent peu de choses des lieux et de tout ce qui remplit les relations de nos voyageurs modernes. Ce matérialisme m’a toujours déplu souverainement. M. Klaproth en est le type dans son Voyage au Caucase. Quelle différence de ce philosophe à ceux de l’antiquité, quoique déjà ceux-ci, à bien des égards, ne valussent pas grand-chose ! Dans ce temps-là, c’était l’intelligence qui voyageait. Solon, Hérodote, Pythagore, Platon s’en allaient de temple en temple, s’enquérant de l’origine des peuples, de leurs lois, et surtout de lois étemelles transmises par la tradition, et qui les ramenaient par mille routes à la Divinité, qui les manifesta primitivement à l’homme. Cela valait bien, ce me semble, les curieuses, les importantes, les magnifiques observations de nos savants sur les schistes, les granits, les quartz et les roches calcaires de première et de seconde formation ». C’est l’état d’esprit même dans lequel a été conçue l’argumentation à laquelle nous faisons allusion.
76 Les Juifs occupent une place de choix au début de l’Essai sur les mœurs. Voici comment l’auteur résume l’impression générale qui lui fait leur histoire (op. cit., t. I, p. 151-152) : « La petite nation juive se vante elle-même d’être sortie d’Egypte comme une horde de voleurs, emportant tout ce qu’elle avait emprunté des Egyptiens : elle fait gloire de n’avoir jamais épargné, ni la vieillesse, ni le sexe, ni l’enfance, dans les villages et dans les bourgs dont elle a pu s’emparer. Elle ose étaler une haine irréconciliable contre toutes les nations ; elle se révolte contre tous ses maîtres. Toujours superstitieuse, toujours avide du Dieu d’autrui, toujours barbare, rampante dans le malheur, et insolente dans la prospérité. Voilà ce que furent les Juifs aux yeux des Grecs et des Romains qui purent lire leurs livres ; mais, aux yeux des chrétiens éclairés par la foi, ils ont été nos précurseurs, ils nous ont préparé la voie, ils ont été les hérauts de la Providence ». Cette cinglante conclusion reparaît souvent sous la plume de Voltaire (cf. Pyrrhonisme de l’histoire, Un chrétien contre six juifs, notamment).
77 Op. cit., p. 37-38 (chap. XXIII : « De la loi mosaïque, et du peuple juif »).
78 Ibid., p. 35 ; de même p. 32-33 : « Les Juifs n’avaient point d’autre religion ou d’autres croyances, d’autre loi morale, ni même, dans ce qui en fait l’essence, d’autre culte que les hommes plus ou moins nombreux dispersés entre les nations et qui, instruits par la révélation primitive dont le souvenir ne s’éteignit jamais dans le monde, obéissaient fidèlement à cette loi générale et connue de tous ».
79 Ibid., p. 40 : « Depuis Jésus-Christ, les Juifs ne forment plus un corps de nation : ils n’ont ni territoire, ni autorité publique, ni lois politiques et civiles en vigueur, ni tribunaux. Pour la religion, leur foi est la même ; ce que croyaient leurs pères, ils le croient encore ; mais il y a dix-huit siècles que leur culte est aboli. Temple, autel, sacrifices, tout a cessé, tout est détruit ; et ces grandes ruines ne peuvent jamais être relevées ; la confusion des tribus a mis sur elles le sceau de l’éternité ».
80 Ibid., p. 45 sq.
81 La renaissance orientale, Paris, 1950, p. 360-361. Est-ce conscience de la médiocre qualité de ces compilations ? La Correspondance de Lamennais montre combien la préparation puis la rédaction des derniers volumes de l’Essai lui ont pesé. On a du reste le sentiment, à le lire, qu’il est beaucoup plus à l’aise quand il s’agit de puiser dans les Pères ou les classiques (notamment Platon et Cicéron) que pour produire des références orientales.
82 Op. cit., t. III, p. 241 (chap. XXVI : « L’universalité est un caractère du christianisme ») : « Les Indiens, les Arabes, les Tartares, les Persans et les Chinois reconnaissent universellement la puissance suprême d’un Esprit qui a tout créé et qui conserve tout, qui est infiniment sage, puissant et bon, et infiniment au-dessus de la compréhension des créatures les plus élevées. Dans aucune langue, excepté l’hébreu, on ne trouve des prières plus pieuses et plus sublimes à l’Etre des êtres ; des expositions plus magnifiques de ses attributs ; de plus belles descriptions de ses œuvres visibles, que dans l’arabe, le persan et le sanskrit ». Ainsi parle un des plus savants et des plus judicieux orientalistes dont l’Europe se glorifie, le chevalier William Jones ». La dernière formule est judicieuse ; mais l’auteur, dans le choix de ses références, n’en tire guère les conséquences…
83 Ibid., p. 264, 273 (note 2), 296, 301, 304, etc.
84 Ibid., p. 75 (chap. XXIV : « Des cultes idolâtriques »).
85 Ibid., p. 123.
86 Ibid., (note 1), cf. Essai sur les mœurs, op. cit., t. II, p. 319.
87 Op. cit., p. 123.
88 Cf. ibid., p. 136 sq.
89 Ibid., p. 156 (note 1).
90 Cf. ibid., p. 198. L’auteur les nomme « à la fois et les moralistes et les théologiens de l’antiquité ».
91 Ibid., p. 306-307.
92 Cf. ibid., p. 203-204 (note 4).
93 Ibid., p. 222-223.
94 Op. cit., t. IV, ch. XXIX, p. 25 ; cf. Essai sur les mœurs, op. cit., t. I, p. 215. Voltaire cherche à expliquer « pourquoi les Chinois, ayant été si loin dans des temps si reculés, sont toujours restés à ce terme ».
95 Op. cit., t. III, p. 298 ; ibid. p. 23. La remarque est empruntée aux Questions sur l’Encyclopédie.
96 Op. cit., t. IV, p. 306 (fin du chap. XXXIV : « Miracles »). Cf. Essai sur les mœurs, op. cit., t. I, chap. V, p. 253 (c’est dans ce chapitre qu’a été reprise la XIe Remarque de l’Essai sur les mœurs, que Lamennais donne en référence). Il s’agit, pour Voltaire, de montrer en étudiant l’ancienne religion de Zoroastre que celui-ci enseignait la vertu. C’est, ajoute-t-il, « le but essentiel de toutes les religions ; elles ne peuvent jamais en avoir eu d’autre ; car il n’est pas dans la nature humaine, quelque abrutie qu’elle puisse être, de croire d’abord à un homme qui viendrait enseigner le crime » avec laquelle les chrétiens ont longtemps calomnié ces respectacles et anciennes croyances.
97 Op. cit., t. III, p. 347.
98 Ibid., p. 362.
99 Ibid., p. 363.
100 Op. cit., t. IV, chap. XXXII, « De l’Ecriture Sainte », p. 143, 144 (Cuvier), 144 (Dendérah). Il est significatif que Lamennais ne s’arrête guère, et préfère, p. 145 sq., insister sur une autre preuve, beaucoup plus importante à ses yeux : l’accord des traditions universelles sur la vérité des faits racontés par Moïse.
101 Op. cit., p. 80-81.
102 Cf. A. Nettement, op. cit., t. I, p. 164-165.
103 Cf. par exemple Correspondance générale, op. cit., t. II, p. 290 (28 juin 1822) sur l’ennui des compilations.
104 Op. cit., t. IV, p. 23.
105 Ibid., p. 310 sq.
106 Ibid., p. 247 sq.
107 C’est ainsi que Lamennais désigne Rousseau dans la préface de l’Essai, op. cit., t. I, p. XVIII.
108 Ibid., t. IV, p. 29.
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