Chapitre IV. L’apogée d’une organisation corporative (1877 – vers 1900)
p. 223-296
Texte intégral
1La coupure de 1871, qui brise l’élan de l’organisation parisienne après les tragiques événements de la Commune ne vaut pas, on l’a vu, pour la classe ouvrière régionale qui continue sur sa lancée, selon les directions tracées, pas à pas, pendant la décennie précédente ; mais tout en restant à l’écoute de l’extérieur, depuis que les horizons se sont élargis en 1869-1870. A partir de 1876-1877, à nouveau, les liens se tissent avec l’ensemble du mouvement français, et les militants, sinon les ouvriers, de la région lyonnaise sont parmi les premiers à répondre à ceux qui, d’ailleurs, tentent de renouer le fil. Mais selon un mode tout à fait nouveau : la République affermie abandonne son inquiétant visage, et des « congrès ouvriers » émerge peu à peu l’idée d’une organisation politique autonome, fondée sur le critère de classe, précisée et diffusée par des leaders qui ont pris contact, pendant un exil forcé, avec des concepts nouveaux.
2Le « socialisme » cesse d’être en effet une idée vague pour se barder d’analyses doctrinales, se définir par des propositions précises dont la socialisation des moyens de production devient la pierre de touche. La classe ouvrière de Lyon et des villes de la région, « citadelle du socialisme » – celui d’autrefois – n’échappe pas aux idées nouvelles ; la survie des organisations a assuré à leurs militants une place exceptionnelle dans les débats qui, en quelques années et quelques Congrès, changent le ton. Très vite, largement, un « parti ouvrier » émerge des organisations républicaines où l’action politique s’était, depuis toujours, insérée, et les années 1880 s’ouvrent sur une volonté affirmée de rupture, dans la région lyonnaise comme dans le reste du pays.
I. Ruptures : naissance et affirmation des organisations politiques ouvrières
1. La création du « parti ouvrier » (1875-1882)
A. Des débuts informels
3C’est à la fin de 1875 que se manifeste le réveil de l’agitation politique ouvrière ; c’est-à-dire au moment où la forme républicaine du régime s’affermit par le vote de la Constitution mais où s’exacerbe la politique de l’Ordre Moral ; et, dans le contexte régional, au lendemain d’une activité revendicative intense, mais dans une conjoncture que détériorent les premiers signes de crise de la Fabrique1. A Lyon notamment, « ... la situation... peut se résumer en deux mots : réveil du Socialisme et tendances des corporations à se ranger de nouveau sous le drapeau de l’internationale », prévient le préfet du Rhône ; en clair, nouvelle affirmation d’une autonomie politique de la classe ouvrière et tendance au regroupement des organisations et des hommes. Les « … meneurs du Socialisme sont tous prêts... », ils se concertent sous prétexte de campagne électorale, on parle à La Croix-Rousse d’une candidature « socialiste » à opposer aux radicaux. Les tisseurs, les mécaniciens, les bronziers rêvent à nouveau de se fédérer : « ... le prétexte mis en avant sera la question sociale. On commencera à faire du socialisme local, sauf à jeter le masque quand le moment sera venu... »2.
4Aussi la classe ouvrière lyonnaise accueille-t-elle avec faveur le projet d’un Congrès ouvrier pour octobre 1876, à Paris3. Sa préparation est la première occasion de se retrouver et de se compter. La réunion publique de la « Commission lyonnaise » n’attire pas moins de 1 500 personnes, et l’on y débat conjointement des problèmes sociaux et des questions politiques ; on discute un peu partout sous prétexte de banquets, et « ... la tendance des corporations ouvrières (est) à constituer, à côté de nos assemblées parlementaires, une sorte de représentation du prolétariat destinée à faire prévaloir des revendications et des réformes radicales... »4. Que le mouvement déborde de loin l’agglomération lyonnaise, la participation au Congrès lui-même l’atteste : la délégation régionale est l’une des plus fortes représentations provinciales. Elle rassemble, outre les 9 Lyonnais, 5 Grenoblois, 1 Viennois, 2 Stéphanois et 1 ouvrier de Saint Chamond ; et Voiron a, au moins, donné mandat. Elle est d’ailleurs tout à fait représentative des principaux secteurs de la classe ouvrière du moment : 3 tisseurs et 1 teinturier, 2 métallurgistes parmi les Lyonnais, 1 typographe et 1 cordonnier ; de Saint-Etienne, 1 passementier, 1 mécanicien ; de Grenoble, 1 gantier, 1 mégissier, 1 ouvrier du livre, 1 tailleur, et le Viennois est mouleur en fonte. Parmi eux, on retrouve quelques anciens de l’Internationale, comme Pierre Boissonnet et Emmanuel Amblard, de la Loire, mais surtout de nouveaux venus, même si leur nom est promis, pour plus tard, à la célébrité, comme P. Sanlaville, cordonnier de La Guillotière, Charvet, un teinturier de Saint-Clair, et le Dauphinois Pierre Bonaventure5. Après un moment de crainte6, on se rassure à la Préfecture sur ces hommes qui paraissent bien intentionnés et relativement modérés. Mais on ne peut empêcher la classe ouvrière de voir dans les assises parisiennes, comme en Dauphiné « ... autre chose qu’un Congrès purement économique... »7 et d’estimer qu’il « ... ne sera pas sans influence sur (leur) avenir... », à l’instar de plusieurs corporations lyonnaises8.
5L’année suivante, c’est au tour des Lyonnais de réunir le deuxième Congrès. Il n’aura pas lieu, à la date prévue, à cause de la crise du Seize Mai. Mais sa préparation n’en est pas moins l’occasion d’une intense activité, où l’on retrouve P. Sanlaville, autour de « ... la nécessité la plus absolue pour les ouvriers de ne plus avoir recours à une autre classe de la Société que la leur pour représenter et soutenir leurs intérêts dans les assemblées... »9 ; et on élabore le programme en dix points, pour y parvenir, qui croise les revendications économiques et politiques10. L’attention demeure aussi soutenue, dix mois plus tard : les réunions rassemblent toujours entre 1 000 et 1 200 participants11 et la délégation s’élargit quand il se réunit en octobre 1878 : aux Lyonnais, aux Stéphanois, aux Viennois et aux Grenoblois se sont joints les délégués de Saint-Chamond, encore, mais aussi de Tarare, de Voiron, de Givors, de Villefranche et de Pont-de-Beauvoisin. On y retrouve P. Sanlaville, mais aussi T. Bordât et L. Genet, qui feront parler d’eux12. La participation aux travaux paraît pourtant médiocre ; les délégués régionaux, qui « ... ont pris le congrès au sérieux... » et sont partis « … avec l’intention de ne laisser discuter que les questions ouvrières... » s’y seraient heurtés aux Parisiens et opposés à leur tentative de fédérer toutes les Chambres syndicales de France, « ... reconstitution déguisée de l’internationale... » ; mais c’est le préfet qui parle – et ce n’est plus le même13. Peu après, le succès de la campagne pour l’amnistie, celui que rencontrent les dirigeants nationaux du mouvement ouvrier – comme J. Guesde, à Vienne, en août 1879 – et surtout les 1 481 suffrages de Roanne, les 7 657 de Lyon (où il n’est battu que de 650 voix par le candidat « ... de toutes les fractions bourgeoises... ») qui se portent sur Blanqui à l’occasion d’élections partielles en 1880 attestent des progrès que fait l’idée d’un « parti ouvrier » dans la région lyonnaise14.
B. L’incarnation
6Entre temps, une vingtaine de délégués de la région lyonnaise ont assisté, en octobre 1879, au Congrès de Marseille, d’où sort l’idée d’un « Parti ouvrier » sur le modèle de la social-démocratie allemande. Parmi eux, 9 Lyonnais et 7 Stéphanois ; en outre, 2 Viennois, un représentant de Grenoble et un de Chambéry. Si l’on excepte ce dernier, dont on n’entendra plus parler, ils tracent à peu près la répartition des faibles forces du socialisme révolutionnaire naissant15.
7En dehors de Lyon et de Saint-Etienne en effet, il y a peu de choses dans les mois qui viennent, alors qu’on s’efforce d’appliquer les décisions du Congrès. Sauf à Vienne, où un des délégués, Alphonse Ailloud, transforme en « Cercle des études sociales » le « Cercle des ouvriers progressifs » qu’il animait depuis 1869 et qui avait survécu à toutes les épreuves16. A Annonay, un jeune mégissier, Joseph Pleinet, revient d’apprentissage à Paris, où il aurait connu J. Guesde, B. Malon, P. Brousse, et crée un groupe analogue17 ; à Grenoble, la « Fédération des travailleurs » s’est organisée au lendemain de visites de Blanqui et J. Guesde, mais, en 1881, un projet de « Comité électoral socialiste » n’aboutit pas18 dans la Drôme, il n’est pas de meneurs identifiés, et les rares isolés ralliés au socialisme révolutionnaire sont inactifs19.
8A Saint-Etienne même, les débuts du « parti ouvrier » se font d’une manière informelle qui restera longtemps la marque propre du « socialisme » local. Le « Cercle de l’Union des travailleurs », que dirige Ava-Cotin, un des participants aux travaux de Marseille, paraît coordonner sur le plan de la ville et des environs l’action de plusieurs groupes assez difficiles à cerner, car n’ayant pas d’action propre, comme le « groupe socialiste du canton Nord-Est » et le « Cercle du Travail »20 ; en avril 1881, quand on envisage la convocation d’un Congrès départemental, Ava-Cotin en est encore à préciser « … que tous les délégués nommés... soient des prolétaires ou des ouvriers salariés, et que tout délégué bourgeois qui exploite un ou plusieurs ouvriers en soit complètement exclu... »21 ; la fédération ne paraît pas vraiment réalisée en septembre 1882, puisqu’on en demande alors la recette aux Lyonnais22.
9Ceux-ci ne l’ont pas trouvée d’emblée. Une première création, en décembre 1879, n’avait pas abouti : un « Cercle d’études sociales » va cahin-caha pendant plusieurs mois, malgré le renfort d’une conférence de J. Guesde23. Mais en février 1880, le 29, une réunion privée à laquelle a convié le journal La Réforme, rassemble plus de 500 personnes et se constitue en « Congrès socialiste régional » d’où sort un « Comité fédéral du Parti ouvrier de l’Est », comme il avait été prévu à Marseille ; l’un des participants, d’ailleurs, Joseph Brugnot, un typographe, est nommé secrétaire général et l’on désigne une « Commission exécutive ». Chaque groupe ou syndicat adhérent y désigne 2 délégués, parmi lesquels Gabriel Farjat et Toussaint Bordat : des gens qu’on retrouvera24.
10Le premier Congrès régional statutaire se tient à Lyon en juillet ; il donne un premier tableau d’ensemble de l’écho qu’a recueilli l’appel : 29 organisations s’y font représenter, 1 autre donne son adhésion morale. Or, parmi elles, 22 ont leur siège à Lyon, dont 7 Chambres syndicales ; les principaux groupes politiques y étant ceux du Clos Suiphon et du « Drapeau rouge », à La Croix-Rousse, celui de Montchat, le Cercle d’études sociales de La Guillotière et le groupe d’études des Charpennes : la géographie lyonnaise du socialisme révolutionnaire naissant recouvre celle de la classe ouvrière en mutation. De l’extérieur ont adhéré le « parti ouvrier » stéphanois – qui a envoyé P. Coupat –, la « Fédération grenobloise », les menuisiers de Bourgoin, un groupe des « Travailleurs roannais » et un autre de Saint-Chamond ; les tisseurs de Tarare et la Société coopérative de draperie de Vienne ; par ailleurs, il existerait un noyau du parti ouvrier à Givors25. Et au cours des mois suivants, des regroupements s’esquissent à Romans – où va se former une . « Commission ouvrière » –, à Valence, Montélimar, Romans, Evian et Villefranche. Quelques-uns des principaux animateurs des débuts participent, en novembre, au IVe congrès, au Havre, et s’y prononcent unanimement pour le collectivisme26.
11En même temps, on multiplie, un peu partout, les réunions de propagande. Ainsi, à Saint-Etienne : J. Guesde est venu dans l’automne 1880, mais y a eu – déjà – moins de succès qu’à Roanne ; un an plus tard, c’est au tour de Jules Vallès et de Benoît Malon ; en mai 1882, d’Allemane. Si, un instant, on pense que J.B. Dumay va venir s’y installer, l’âme du parti est Pierre Coupât, un jeune ouvrier métallurgiste actif et écouté27. C’est lui qui, dans l’été 1882, se charge avec Ava-Cottin et l’« Union des Travailleurs » de préparer le VIe congrès national. On sait ce qu’il advient, en septembre28.
12Mais la participation régionale permet de faire le point avant l’éclatement. Au total, 34 organisations s’y font représenter, dont 13 chambres syndicales et 21 groupes politiques et cercles d’études ; soit, par origine géographique29 :
ORGANISATIONS SOCIALISTES REPRÉSENTÉES AU CONGRÈS DE SAINT-ÉTIENNE, SEPTEMBRE 1882

13Donc, malgré les espérances de 1881, il n’y a que confirmation des lignes de force antérieures : hors d’elles, les groupes embryonnaires, ici et là, n’ont pu se développer – et à Romans, au moins, on sait qu’une tentative de délégation n’a trouvé qu’indifférence30. Tout au plus peut-on noter un léger essaimage dans le bassin minier, où se manifestent pour la première fois un « Cercle socialiste de Terrenoire » et un « Groupe d’études sociales » de Firminy, qui paraît d’ailleurs peu distinct de la « Libre-pensée » ; et peut-être à Saint-Etienne, où l’on note, à côté des formations déjà existantes, une « jeunesse prolétarienne » et « un groupe d’études et de propagande ». Mais à Lyon, c’est la stagnation – sous d’autres patronymes : « L’Egalité », « L’Emancipation », « Les Egaux », « L’Avant-Garde », etc... Et la multiplication des organisations roannaises peut s’expliquer par l’arrivée, sur place, des scissionnistes, puisque le dénombrement est fait après la séparation.
14Puisque, le 26 septembre 1882, au matin, J. Guesde et ses amis partent « … par le train de 4 heures et demie pour Roanne où ils comptent organiser un congrès séparatiste... »31. Pour les délégués de la région lyonnaise, le clivage se fait sur l’appartenance géographique, à deux exceptions près : tous les délégués de Lyon et de Roanne s’en vont – sauf ceux du « Groupe pour le développement des caisses communales de retraite », lyonnais, et du « Cercle du Travail et du progrès, » roannais, qui demeurent à Saint-Etienne avec l’ensemble des formations locales, celles de Vienne et – peut-être –, de Grenoble. C’est le début d’un bariolage du socialisme régional qui va devenir, au gré de nouvelles scissions, pour une quinzaine d’années au moins, une juxtaposition géographique des écoles, des partis, plus que des doctrines et dont ne semble rendre compte aucune logique a priori. L’une d’entre elles n’avait pas attendu septembre 1882 pour se séparer, et, dans une certaine mesure, fait exception.
2. Un développement séparé (1882-1899)
A. Les anarchistes dans leur première grandeur
15Concrètement, le mouvement anarchiste nait, entre 1880 et 1882, du débat qui agite le « parti ouvrier » naissant sur la question de la participation électorale ; dans la suite, son développement se fait en deux vagues successives, coupées d’une rémission, et qui correspondent d’ailleurs aux grands rythmes nationaux : jusqu’en 1883-1884, puis à partir de 1890, propagande, action et organisation tracent les limites de la première incarnation de l’idée, comme disent les compagnons.
16Dès la fin de 1880 d’ailleurs, le désaccord apparaît et le Comité fédéral de l’Est écarte de sa délégation au Congrès du Havre J. Bernard et H. Borréas, qui vont devenir un peu plus tard deux des figures dominantes de l’anarchisme lyonnais32 : depuis quelques mois en effet, ils sont liés à un « parti socialiste abstentionniste » de La Croix-Rousse, dont le nom fait programme pour insister sur la seule Révolution politique et sociale. L’année suivante, devenu le Groupe du Drapeau rouge, sous la direction précisément, de Bernard, il s’organise en fraction à l’intérieur du Parti ouvrier, qui l’exclut en mai 1881. Sous le sigle de « parti d’action révolutionnaire », ses militants – Deloche, T. Bordat – s’en prennent alors avec vigueur aux « suffragistes » et toute la fin de l’année, en 1882, ils tiennent réunions et meetings sur ce thème : qu’ils en soient les organisateurs, ou les trouble-fêtes, par exemple à l’occasion de la venue à Lyon de J. Guesde et de P. Lafargue33. Dans le même temps, pour les mêmes raisons, quelques éléments « avancés » – dit le commissaire de police – du Parti ouvrier de Roanne l’ont quitté à la fin de 1880 pour former le groupe des « Révoltés ». Aussitôt, ils prennent des contacts à Lyon et ailleurs, soutiennent les mouvements revendicatifs qui éclatent dans le coton, et mènent bientôt campagne en faveur du jeune ouvrier qui, au cours de l’un d’entre eux, tire sur le patron Bréchard, en 188234. Le troisième foyer important est celui de Vienne, où, sans qu’on puisse connaître leur exacte origine, deux groupes, « Les Indignés » et « Les Révolutionnaires viennois » fonctionnent régulièrement à la fin de 1882, sous la direction de Pierre Martin : ils attirent vite l’attention quand ils lancent une souscription publique afin d’acheter un revolver d’honneur à l’assassin – manqué – de Bréchard35. Ailleurs, ’on signale en 1883 un groupe à Romans, mais fort médiocre, et un autre à Annonay36. La région stéphanoise ne compte que des compagnons isolés, sauf à Rive-de-Gier, et surtout à Saint-Etienne, où le noyau est plus fort ; mais les compagnons n’y sont guère actifs, et on les repère surtout à la correspondance qu’ils échangent avec T. Bordat, Elisée Reclus, Louise Michel et Kropotkine37.
17Tels quels, les anarchistes de la région lyonnaise n’en forment pas moins un des ensembles les plus importants du pays38. Les échanges de lettres, de matériel de propagande, d’orateurs sont constants entre eux, et tous sont reliés à la « Fédération révolutionnaire de l’Est », née au lendemain du Congrès du Havre et qu’anime J. Bernard. Au-delà, ils s’intègrent dans le réseau international du mouvement : en juillet 1881, une assemblée générale se tient à Lyon pour donner mandat à Kropotkine au Congrès de Londres, auquel Pierre Martin, le « bossu de Vienne », prend aussi une part active ; en août 1882, tous les groupes envoient des délégués à Genève pour une rencontre avec la Fédération jurassienne et des compagnons italiens. Cette activité, ces liens, l’ardeur du militantisme aussi expliquent que l’émotion soulevée dans l’été 1882 par l’affaire de la « bande noire » de Montceau-les-Mines – qui n’est pas loin –, puis, en octobre, par l’attentat contre un restaurant de la place Bellecour dégénère en psychose de conspiration et entraîne la rafle des principaux compagnons en décembre, leur procès en janvier 1883 devant le Tribunal correctionnel de Lyon ; en décembre, ce sera le tour de Cyvoct, gérant d’un journal anarchiste et accusé d’être l’homme à la bombe de Bellecour39.
18Les poursuites brisent la « Fédération de l’Est », qui s’était dotée d’une commission exécutive et de comités spécialisés, dans les finances, la rédaction, etc... et réduisent les compagnons lyonnais à l’action dispersée40. Mais les autres groupes régionaux sont tout aussi décontenancés. A Saint-Etienne, ils sont hantés par la crainte d’une pénétration policière, et ils se taisent ; il faut attendre plusieurs mois pour qu’il se risquent à reprendre leur propagande qui se développe en 1883-1884 dans l’ensemble du bassin minier, à Firminy, au Chambon-Feugerolles, à Lorette, à Grand-Croix, à Saint-Chamond ; sans grand succès : en mars 1884, on doit renoncer au projet d’un journal, tant les fonds recueillis par souscription sont faibles ; la vente du Révolté s’effondre, malgré une visite de Jean Grave venu la stimuler. Peu à peu, les groupes se désagrègent, minés par le découragement et les dissensions internes41. A Roanne, on fait parler la dynamite, dans l’été 1884, contre la prison, une usine, des cafés : c’est aussi un signe d’« impuissance », les perquisitions et les arrestations qui suivent démantèlent les trois groupes locaux aux noms évocateurs du « Poignard », du « Revolver » et de la « jeunesse révolutionnaire ». Le mouvement s’effondre, et disparaît comme organisation dans le courant de l’année 188542. De Romans, on ne parle plus, et Annonay disparaît définitivement de la carte régionale de l’anarchisme.
19Seul le groupe de Vienne paraît avoir une activité régulière au cours des années qui suivent le procès de 1883. En octobre 1886, Tortelier y fait salle comble sur le thème « Pourquoi nous sommes anarchistes », et en mars 1887, c’est devant plus de 400 auditeurs que Toussaint Bordat affirme « Le Droit à la révolte ». Quelques temps après, c’est à plus de 5 000 exemplaires qu’est répandu dans la ville et ses environs un « manifeste abstentionniste ». L’explication est simple : au fur et à mesure de leur libération, les condamnés de 1883, interdits de séjour à Lyon, s’installent à Vienne43.
20Le réveil commence avec la nouvelle décennie. A Lyon, les premiers signes datent de 1888, où « ... le parti anarchiste tient chaque jour des réunions publiques dans lesquelles des discours d’une extrême violence sont prononcés... », et on arrête préventivement un certain nombre de ses membres à la veille du 1er mai 1890 ; l’année suivante, ils jouent un rôle essentiel dans la préparation de la journée et surtout dans la manifestation de rue qui la marque, après avoir fait adopter leurs propres vues dans les réunions qui l’ont précédée44. A Roanne, le groupe des « Sans-Pitié » renaît des cendres des organisations disparues et s’impose au faubourg Mulsant, l’un des quartiers où sont concentrés les tisseurs de coton ; mais il disparaît en 1892. Au contraire, la « jeunesse socialiste révolutionnaire » ou « jeunesse antipatriotique » reprend une grande vigueur, diffuse tracts et journaux et commence d’essaimer à Charlieu et à La Gresle45. A Romans, à nouveau, les compagnons se réunissent chaque semaine pour lire et commenter Le Père Peinard qui est régulièrement affiché sur les murs de la ville ; et en décembre 1893, un nouveau groupe apparaît à Valence46. Vienne enfin demeure la place-forte qu’elle n’avait jamais cessé d’être, mais il y a, aussi, désormais, une organisation anarchiste à Grenoble et à La Chapelle-de-la-Tour, près de La Tour du Pin47.
21Car, dans cette seconde éclosion, le mouvement déborde de ses cadres originels. Et surtout dans la région stéphanoise, malgré tout un peu à la traîne en 1880-1882. Depuis 1888, les anarchistes s’y sont reconstitués et ont fortement amplifié leur recrutement sous le camouflage d’une « Chambre syndicale des hommes de peine » qui dispose, comme telle, d’un local à la Bourse du Travail et y tient régulièrement réunion. En 1890, ils font venir tour à tour Louise Michel, Tennevin et P. Martin de Vienne, et surtout Sébastien Faure, qui se révèle un efficace agent recruteur : d’une de ses tournées naissent en 1891 de nouvelles formations à Rive-de-Gier, à Saint-Chamond et plusieurs noyaux dispersés mais solides dans la vallée de l’Ondaine. Le syndicat des hommes de peine est finalement expulsé de la Bourse, mais il reparaît en « Alliance anarchiste » avant de prendre le patronyme de « La Bombe ». L’affaire Ravachol, et la répression qui s’ensuit, jettent un moment le désarroi, on se sépare en deux et les effectifs s’effilochent ; mais à la fin de 1893, la crise est surmontée, et les deux groupes fortement réorganisés48. Et ailleurs, on signale un certain nombre de compagnons isolés dans le pays de Gex, où ils servent d’intermédiaires avec Genève, à Bourg, à Nantua49, quelques autres en Ardèche50 près de Chambéry et en Haute-Savoie : à Evian, on diffuse en mai 1892 un tract des « Amis de Ravachol » et à Annecy, ils sont un moment assez nombreux pour « former un petit groupe »51. Sur le plan régional, après un premier essai infructueux en 1890, un Congrès se réunit à Lyon en janvier 1892, comme aboutissement d’une tournée de Sébastien Faure, en présence des délégués des principaux groupes. S’il n’en sort pas de nouvelle Fédération, la réunion n’en témoigne pas moins de la force retrouvée – et accentuée – de l’anarchisme militant52. Et dans les années qui suivent, sans qu’il y ait, semble-t-il, action coordonnée des groupes, il n’est pas un seul événement de la vie politique ouvrière ou une seule grève où n’apparaisent pas des compagnons anarchistes ; leurs coups portent un peu dans toutes les directions, mais surtout contre les Guesdistes, suppôts de « ... ces messieurs les députés socialistes sauveurs du peuple (qui) montent au pouvoir et s’y engraissent pendant que les compagnons montent à l’échafaud... »53.
B. La dispersion des socialismes
a) Le P.O.F. et les Guesdistes
22Aux anarchistes, les guesdistes opposent la netteté de leur organisation – assez tardivement d’ailleurs. Pendant une bonne dizaine d’années, ils ne débordent guère des deux foyers où ils sont apparus dès le Congrès de septembre 1882, c’est-à-dire à Lyon et à Roanne.
23A Lyon, la décantation s’était faite précocement, contre l’élément « abstentionniste » dont on sait le destin : en avril 1881, l’initiative de l’expulser était venue de G. Farjat et J. Brugnot, qu’on retrouve quelques mois plus tard à la tête du P.O.F. ; et dès ce moment là, l’expression de « Parti ouvrier – Fédération de la région de l’Est » n’avait plus désigné que les « collectivistes-suffragistes », pour parler le jargon du moment. La scission de 1882 ne marque pas la fin de la lutte, très âpre encore en 1883, malgré le renfort occasionnel de J. Guesde et de P. Lafargue54. L’effort d’organisation n’en continue pas moins parallèlement, et au printemps de 1884, le P.O.F. rassemble 7 groupes dans l’agglomération lyonnaise, implantés dans les principaux quartiers ouvriers : 2 à La Guillotière, le « Cercle collectiviste » et « Le Prolétaire », 2 aux Brotteaux, « Le Collectiviste » et « L’Emancipation », 2 à La Croix-Rousse, « Le Progrès » et « Le Cercle de Caluire et Cuire », et 1 à Villeurbanne. Cinq de ses membres siègent au Conseil National, dont J. Brugnot et G. Farjat, qui en assume de 1882 à 1884 le secrétariat et participe au Congrès de Roubaix, en mars et avril 188455. Il semble que les années suivantes voient les guesdistes marquer le pas à Lyon, malgré l’apparition en avril 1886 d’un « groupe lyonnais des ouvriers économistes », et la création de « l’Avant-garde » aux Brotteaux, où l’on retrouve J. Brugnot, dans les deux cas56.
24A Roanne, les circonstances ont fait du P.O.F. l’enfant du pays ; mais le choix de J. Guesde en septembre 1882 n’était pas fortuit. En février déjà, il avait fait forte impression lors d’un premier passage57 chez les militants des deux organisations du socialisme révolutionnaire, le « Groupe d’études sociales » dit « Le Drapeau rouge », qu’animent Ch. Calais et Deparis, et les « Jeunesses collectivistes »58. Au moment du Congrès déjà fonctionnent régulièrement 5 autres organisations qui, toutes, se rallient aussitôt : « L’Avant-garde révolutionnaire », « l’Egalité », « L’Avenir social », le « Vengeur » et l’« Union des femmes socialistes » ; en outre, l’« Union syndicale des tisseurs » participe aussi aux travaux dont plusieurs séances sont publiques et ne contribuent pas peu à conforter l’adhésion des militants59. Au cours des années suivantes, les visites régulières de J. Guesde, P. Lafargue, G. Farjat, Paule Minck entretiennent la flamme, et les groupes roannais participent au Congrès de Roubaix. Ils y envoient Charles Fouilland, un ouvrier tisseur, militant de grande qualité qui s’impose comme le principal leader60.
25Le succès du P.O.F. roannais ne fait que s’affirmer, grâce à l’action de « ... chefs remuants et influents... » ; il conserve « … dans chaque quartier des groupes politiques importants... », et l’organisation du Premier mai, en 1890, « ... contribue encore à augmenter les forces du Parti... »61. Son organisation apparaît comme tout à fait remarquable ; la ville est partagée entre 5 groupes, calqués sur la géographie de la classe ouvrière, au faubourg Clermont, « Le Vigilant » et « L’Egalité », toujours vivante ; au faubourg Mulsant, « L’avant-garde révolutionnaire » ; sur la route de Paris et les rues avoisinantes, le « groupe du Nord » ; seul le « groupe du Centre » fonctionne mal : il est de création récente et s’adresse aux rues commerçantes. Chacun d’entre eux est chargé de la propagande dans son secteur, de la vente des brochures et des journaux, de la rentrée des cotisations et des « ... listes de souscriptions dont (chaque) membre (est) porteur en permanence... ». Et l’« agglomération roannaise » est la première à appliquer, en 1891, les directives de J. Guesde, en les coiffant d’un « Conseil local » de leurs délégués doté d’un bureau permanent, qui se réunit deux fois par semaine ; parallèlement, un « Comité de vigilance » dirige l’action municipale, puisque plusieurs militants guesdistes ont été élus en 188862.
26La réussite est telle qu’au Congrès national du P.O.F. à Romilly en septembre 1895, « ... le plan établi à Roanne servirait de modèle pour toutes les villes et en même temps de base pour le plan d’organisation générale du Parti... »63. En même temps, à partir de 1889, il a essaimé dans la plupart des communes textiles de l’arrondissement où fonctionnent des « groupes d’étude », comme à Charlieu, Jarnosse, Ecoches, ou des syndicats du tissage, tels ceux du Cergne, de Sévelinges, qui se réclament du P.O.F., et, en avril 1893, on tente même de réunir un congrès d’arrondissement64. En 1896, l’organisation rigide mise en place 5 ans auparavant s’est enrichie d’une « commission des douze » qui a pleins pouvoirs pour la propagande, les programmes et les campagnes électorales ; ses délégués de quartier doivent faire un rapport mensuel sur la situation, afin que la liaison entre la direction et la base soit, dans les deux sens, permanente65.
27Pourtant, s’il constitue un modèle, le P.O.F. roannais est désormais largement dépassé par un troisième foyer, apparu au début des années 1890, en Dauphiné66. A Grenoble en effet, le « comité électoral socialiste » du gantier P. Bonaventure, présent aux premiers congrès ouvriers nationaux, et notamment à Saint-Etienne en 1882, s’était évanoui peu après sans laisser de trace67. Et il faut attendre 1888 pour que se constitue un « groupe ouvrier socialiste » autour de Joseph Collet, un jeune ouvrier mécanicien et, bientôt, du gantier Gustave Henry, un peu plus âgé. Tous deux conduisent la délégation qui se rend auprès des pouvoirs publics le 1er mai 1890, on les retrouve associés dans une réunion de cheminots tenue l’année suivante pour commémorer le 18 mars 187168. Et en avril 1892, on note que le « parti ouvrier » est en grands progrès, notamment chez les mégissiers et les métallurgistes69.
28Ils sont dus, pour l’essentiel, à l’arrivée d’un troisième homme, fort différent : Napoléon Porte est un ingénieur sorti de Centrale, ancien directeur de l’usine à gaz, revenu au pays après avoir vécu à Paris et à Bayonne ; c’est lui, semble-t-il, qui fait décider dans l’été 1892 l’adhésion au P.O.F. ; et il préside la réunion d’octobre où elle devient effective, au retour du délégué au Congrès de Marseille : on adopte les statuts, et l’on expulse quelques anarchistes qui s’étaient infiltrés70. C’est le début d’une expansion très rapide, qu’aident en 1894 des tournées de Duc-Quercy et de Carnaud, en 1895 d’Alexandre Zévaès71.
29En 1898 en effet, le P.O.F. n’aurait pas moins de 4 groupes à Grenoble, autant à Voiron, et, surtout, 35 autres dans le reste du département. Toutes les principales localités industrielles du Dauphiné sont touchées : aussi bien les communes de la soierie – comme Bourgoin, Les Abrets, La Tour-du-Pin, Les Avenières, Morestel, Tullins, entre autres – que celles des nouvelles activités métallurgiques – telles Domène, Rives et Pont-de-Chéruy – et Montalieu des carrières, et La Motte d’Aveillans ; en 1899, on est à 53 formations affiliées72. Depuis février 1897, elles sont liées par une « Fédération départementale » qui ne tient pas moins de 4 Congrès dans ses 30 premiers mois d’existence, sous l’impulsion de son secrétaire, Antoine Girard, un ouvrier cartonnier, et de son trésorier, le tailleur François Dognin.
30Le dynamisme du P.O.F. dauphinois explique enfin l’apparition, ici et là, de foyers guesdistes qui, pour être dispersés et médiocres, n’en attestent pas moins de son attirance. Les groupes socialistes de la Drôme sont touchés depuis 1892 par ses thèmes, et un instant tentés d’y adhérer ; en 1898 enfin se forme à Valence un « groupe » – ou comité – d’action sociale « qui franchit le pas », et A. Zévaès vient aussitôt lui apporter son soutien73. C’est lui, encore, qui suscite la naissance d’un groupe à Privas, lors d’une conférence la même année, et à la fin de 1898, on compte un « parti ouvrier » et des « jeunesses socialistes » à Annonay, séparés de l’ancien « groupe d’études » et membres du P.O.F.74. En Savoie et dans l’Ain, peu de choses ; mais les bases sont jetées : le « groupe de Chambéry » apparu en 1896, fonctionne régulièrement, comme celui de Thonon75 et il existe, à l’aube du siècle, une « agglomération bressane » du P.O.F. à Bourg76.
31Enfin, à Lyon même, le P.O.F. profite du dynamisme régional, malgré le départ pour Paris de G. Farjat, en 1896. L’organisation du Premier Mai, en 1890, renouvelle son rôle d’animation régionale, et ses orateurs parcourent les Monts du Beaujolais et du Roannais pour le préparer ; c’est à eux qu’est dû, largement, le succès de la journée, à Lyon ; ils maintiennent le flambeau au cours des années suivantes, même s’ils sont parfois dépassés, alors que le premier enthousiasme est retombé77 ; c’est à leurs yeux un moyen privilégié de « ... grossir les rangs des révolutionnaires... » et de permettre « ... à la classe ouvrière tout entière de se compter... »78.
32En même temps, le P.O.F. lyonnais s’est donné une organisation plus ferme dans l’automne 1890, après une visite de J. Guesde. Comme à Roanne, il est articulé en une « agglomération » que coiffe un « Conseil local » chargé d’expédier les affaires courantes, les décisions graves demeurant soumises aux assemblées générales79. Le nombre des groupes qu’il réunit est variable, et paraît même, un moment, en diminution : alors que 19 d’entre eux sont représentés au Congrès national de Calais en 1891, on n’en compterait plus que 10 en 1895, puis à nouveau 16 l’année suivante et 15 au Congrès de Montluçon en 189880. Sans exclure des disparitions, ces variations traduisent en fait la rationalisation de l’organisation, qui se calque sur les circonscriptions administratives : à Calais, la liste de détail est un fatras de 7 syndicats, des « groupes d’études » et de formations culturelles – comme « L’Art social de Lyon » – dont les limites géographiques et sociologiques se recoupent les unes les autres. A Montluçon, à chaque arrondissement, son « parti ouvrier », outre les groupes de Montchat, de La Villette et des Charpennes, ceux des jeunesses, dont un d’étudiants collectivistes, les « tisseurs fédérés » et le « comité » des traminots, organisés à part de leur syndicat. D’autre part, alors qu’Oullins seul avait un « Comité des républicains socialistes » en 1891, il en a 2 sept ans plus tard, comme à Caluire, sous la double forme du « parti » et des « jeunesses », et Villeurbanne n’en compte pas moins de 4. Le P.O.F. suit donc la classe ouvrière vers la banlieue – et, un peu au-delà, à Neuville-sur-Saône et à Saint-Rambert. De même, le « groupe d’études sociales », ex- « Réveil Social », de Givors participe régulièrement à ses activités.
33A la veille de l’unité socialiste, donc, un peu partout dans la région – et plus que d’autres ? – le P.O.F. parait bien être passé « ... de la secte au parti... »81. Mais, à Lyon, pas sans mal, et pas sans concurrence ; en 1898, en effet, il n’est pas du tout certain qu’il arrive à la taille d’un tard-venu, le Comité central révolutionnaire.
b) Les Blanquistes du « Grand Lyon »
34Contrairement aux autres organisations socialistes, c’est, dans la région, une formation spécifiquement lyonnaise dont le nom seul évoque les attaches blanquistes. Il n’est pas possible de dater exactement son apparition. La candidature de Blanqui lui-même en mai 1880, la visite d’E. Vaillant un an plus tard n’entraînent pas de création immédiate. La première mention d’un « Comité révolutionnaire central de Lyon et banlieue » est de septembre 1882, mais il se dissout aussitôt, bien qu’on y trouve déjà les noms de ceux qui vont devenir les animateurs locaux des années suivantes, Adrien Farjat, le frère de Gabriel, et J.J. Michel. Et une tentative de fraction dans un groupement radical de La Croix-Rousse ne dure que quelques mois, de juin à décembre 1883. Puis c’est la parution d’un journal, Le Branle-Bas, qui jusqu’en juin 1884 prouve au moins la présence d’un groupe informel de militants attirés par les idées du « Comité Central révolutionnaire » parisien, dont plusieurs membres éminents – dont E. Vaillant – lui donnent un certain nombre d’articles82.
35En 1885, l’incarnation paraît s’opérer, et trois ans plus tard, du blanquisme se réclament six groupes, dont 2 à La Croix-Rousse, 1 à La Guillotière, 1 à La Mouche, 1 dans le quartier Saint-Georges et 1 aux Brotteaux, outre les « jeunesses révolutionnaires » d’Oullins. Tous participent ardemment aux activités de l’Union électorale des travailleurs socialistes, qui rassemble diverses fractions du socialisme, et notamment Etienne Bonard et Guillaume Lion83. Leur compromission avec les comités révisionnistes du boulangisme ne paraît pas atteindre la vitalité des formations blanquistes qui reprennent aussitôt leur marche en avant, par l’affiliation progressive des « concentrations » et des « unions » que suscite chaque nouvelle perspective électorale : en 1892, on signale l’adhésion du « 2e arrondissement » ; en 1896, celle d’une « Union des travailleurs socialistes » du 5e et des « Jeunesses socialistes révolutionnaires » de Vaise ; en 1897, c’est à La Villette, aux Charpennes, à La Mouche que naissent de nouveaux groupes, en 1898 aux Terreaux84.
36Au total, 25 formations se réclameraient alors du blanquisme, dont 6 à La Guillotière, 3 aux Brotteaux, 7 à La Croix-Rousse et dans la presqu’île, 5 en banlieue. L’implantation est donc tout à fait remarquable dans le nouveau Lyon industriel, 9 sur la rive gauche, 2 à Vaise, et surtout dans la ceinture ouvrière extérieure. Si chacun d’eux possède sa propre organisation, très rigide – avec bureau, réunions régulières, ... et destruction des procès-verbaux –, l’ensemble est fortement relié par un « Comité central révolutionnaire » de Lyon, formé de leurs délégués. Sous la direction d’un bureau fréquemment renouvelé, et d’un « Comité de vigilance » qui surveille l’action des élus, il suit de très près la vie de chaque formation de base, et semble se réserver les décisions importantes. Quant aux 6 groupes des « jeunesses », elles disposent d’une organisation rigoureusement parallèle, bien qu’elles soient aussi représentées, comme telles, au « Comité Central »85. Face au P.O.F., le blanquisme, pour être exclusivement lyonnais – des tentatives de pénétration en Beaujolais, à Cours, à Thizy, à Tarare dans les années 1890 ne paraissent pas avoir réussi86, – n’en constitue pas moins une organisation nombreuse et que sa solidité rend redoutable. Mais sa rigidité, comme celle du P.O.F., fait un peu tache dans une région où beaucoup de « Socialistes » se contentent d’un rassemblement lâche et sans rigueur doctrinale.
c) Possibilisme ou refus de la « secte » ?
37Au lendemain de la scission guesdiste, Saint-Etienne devient le chef-lieu d’un des 5 « comités fédéraux » de la « Fédération des travailleurs socialistes de France », le centre d’une « Union fédérative de l’Est », qu’organise Benoit-Malon87. Depuis longtemps déjà, Pierre Coupât était de ses amis. Et les groupes stéphanois avaient été les seuls de toute la région à participer au Ve congrès national, à Reims, en octobre-novembre 1881, où, déjà, P. Brousse et J. Guesde s’étaient violemment affrontés, à l’avantage du premier. Celui-ci y avait d’ailleurs une partie de leurs mandats, avec B. Malon et Claudine Gillier, une couturière de 26 ans qui est, elle aussi, une des figures les plus en vue du socialisme forézien : elle a joué un rôle important dans les débats et a, notamment, présenté le rapport sur l’organisation du parti88. Des liaisons personnelles expliquent donc, en partie, que Saint-Etienne devienne une des places-fortes du possibilisme.
38En effet, quelques mois plus tard, la « ... Fédération de l’Est se désorganise chaque jour... »89. Ava Cotin – qui avait d’ailleurs hésité – vient de mourir, Dalmais se retire, Claudine Gillier suscite l’ironie, et les efforts d’Allemane, venu à la rescousse, n’y peuvent mais : à Firminy, à Saint-Chamond, il n’obtient pas grand succès. Le départ de P. Coupât pour Paris en 1885 traduit son échec90. Le déclin de l’organisation broussiste coïncide d’ailleurs avec l’émiettement de toutes les autres organisations révolutionnaires stéphanoises : c’est le moment où les anarchistes se dispersent et où les rares guesdistes isolés cessent de faire parler d’eux91.
39Et dans les années qui suivent, l’action des militants apparus au second plan dans les années 1880-1883, comme Laurent Crozier et Hector Chalumeau, ne se distingue guère de celle des radicaux, rassemblés en une « Union socialiste » dont le nom accroît la confusion et qu’inspire le maire Girodet. Leur « groupe d’études sociales » n’a pas de vie propre, et plusieurs d’entre eux sont devenus conseillers municipaux à ses côtés. La réapparition en mai 1888 d’un « parti ouvrier stéphanois » se fait d’ailleurs dans une perspective purement électorale, donc occasionnelle, afin d’être en meilleure position pour négocier92. C’est le sens de toute l’agitation de l’année 1889, où un grand meeting est organisé pour dénoncer les carences de Girodet, sur des problèmes étroitement locaux93. Il en sort un « Comité de vigilance » chargé de surveiller les élus, et un nouveau venu, Jules Ledin, en assure le secrétariat94 ; puis, c’est un journal hebdomadaire, L’Echo socialiste, et en août 1890, le projet de création d’un « cercle » : « … le parti ouvrier est maintenant assez fort pour avoir une organisation propre et ne rien emprunter aux partisans du radicalisme et de l’anarchisme... »95 ; et une commission est désignée pour élaborer des statuts. Une fraction « intransigeante » semble l’emporter, sous la direction de J. Mouret.
40C’est un feu de paille. L’échec du journal, les difficultés financières qui en découlent entraînent vite l’abandon de la nouvelle ligne. On déserte le Comité de vigilance, Mouret se retire. L’affaire Ravachol donne d’ailleurs prétexte aux modérés, J. Ledin, H. Chalumeau, pour retourner à la tentation toujours présente de l’alliance radicale. Une formation dissidente apparaît en février 1892, le « Comité radical socialiste » qui mêle membres du « parti ouvrier » et anciens amis de Girodet, et.facilite l’affaire : d’autant qu’on est à nouveau, en période préélectorale96. Depuis longtemps d’ailleurs, toute affiliation nationale avait été abandonnée, même si des gens comme J. Ledin, H. Chalumeau et L. Croizier demeuraient en correspondance avec les dirigeants nationaux du possibilisme ; pas exclusivement, d’ailleurs. On ne participe à aucun Congrès ; quand P. Coupât, fidèle à P. Brousse, a demandé que l’on se prononce contre Allemane, on a refusé de choisir97. Et en 1894 on estime à juste titre que le « parti ouvrier » ne se distingue plus du « Comité des républicains socialistes » de Girodet, même si son activité est plus constante, et que l’unité de vue et d’action est de règle, surtout en période électorale98.
41Pourtant, le « parti ouvrier » stéphanois ne reste pas imperméable au réveil des organisations révolutionnaires qui s’épanouit dans les années 1890. La tentative de rénovation a laissé des traces, et surtout des hommes, comme P. Soulageon, P. Argaud et J. Piger qui font scission quand ils réalisent leur échec. En octobre 1893, ils ont créé un « Cercle du Parti ouvrier socialiste » qui rompt peu après avec le gros de la troupe pour devenir le groupe de « La Lutte des Classes » – plus familièrement, « la Marmite »99. On le qualifie, par commodité, de « guesdiste » et, de fait, il rejoint en juillet 1895 « l’agglomération stéphanoise » du P.O.F., une formation fantomatique qui aurait fonctionné depuis 1892, et dont c’est d’ailleurs, sur place, la seule mention ; mais au prix d’une scission en chaîne100. Dès avril, P. Argaud, affirmant la priorité de l’étude théorique, s’est séparé pour créer « L’Avenir », qui demande, lui aussi, à entrer au P.O.F. ; en mai, il en est sorti une Union de la jeunesse socialiste qu’anime Benjamin Ledin, frère cadet de Jules ; puis, dans les semaines qui suivent, une « Avant-Garde » de Montaud, en août un « Avenir de Côte Chaude » et, en décembre, une « Union de la jeunesse socialiste » qu’anime Benjamin Ledin, frère cadet de Jules ; puis, dans les semaines qui suivent, une « Avant-Garde » de tion datait de 1882 ; enfin, le ralliement au guesdisme a entraîné le départ d’éléments blanquistes, sous la direction du verrier C. Batho101.
42Ce bourgeonnement groupusculaire semble bien profiter un temps de la poussée générale de l’intransigeance révolutionnaire, on signale quelques ralliements d’importance parmi les partisans de Jules Ledin devenu la tête du « parti ouvrier »102, que « ... les socialistes révolutionnaires, de plus en plus audacieux... entretiennent une agitation perpétuelle... leur propagande infatigable leur fait journellement des adeptes... »103, et ce n’est pas sans importance pour l’avenir. Car dans l’immédiat, on n’échappe pas à des habitudes bien ancrées. P. Soulageon peut affirmer, en mai 1895, qu’il n’est pas question de revenir aux compromissions radicales : sur la liste que Girodet présente aux élections municipales de 1896 figurent 21 membres de « La Lutte des Classes » et des groupes qui en sont proches, avec ceux du « parti ouvrier » et les amis de Girodet104.
43Sans doute attribue-t-on à leur présence la perte de la mairie, et c’est de Girodet que vient la rupture. Mais « La Lutte des Classes » se disloque dans les querelles qui suivent l’échec ; l’« Union de la Jeunesse socialiste » n’avait vécu que quelques mois, les autres groupes avaient cessé de fonctionner après 2 ou 3 réunions105. En octobre 1896, P. Argaud, devenu rédacteur au Peuple de Lyon, fait un nouvel essai à Cote-Chaude, puis au printemps de 1897, c’est au tour de P. Soulageon une première fois de projeter un « comité central » du « Parti ouvrier socialiste » qui ne survit pas à la première réunion, puis à tous les anciens de la première « Lutte des Classes » de prendre de nouveau contact ; mais leur volonté de se rattacher au guesdisme se heurte à la méfiance persistante des Stéphanois pour la « secte » et aussi pour un groupement dont la direction ne serait pas totalement du crû106. Plus que jamais, le visage du socialisme stéphanois est celui du « parti ouvrier » de J. Ledin étroitement associé au « Cercle des républicains socialistes de la Loire », nouvelle appellation du Comité girodetiste, l’un et l’autre étant, selon le commissaire de police, les foyers « ... les plus actifs de la propagande socialiste... »107 ; depuis longtemps, il a perdu tous les traits d’une quelconque école pour préfigurer ce que commence à être le « socialisme indépendant ».
44Tel quel, il trace les traits des rares groupes qui apparaissent dans le reste du bassin, et dont l’évolution reflète ses propres variations. Le « Groupe d’études sociales – Union des travailleurs de Rive-de-Gier » est entré en léthargie dès 1882-1883, et demeure insignifiant jusqu’en 1892 ; en 1893-1894, il explose avec les grands mouvements revendicatifs qui secouent la ville, se ramifie à Saint-Genis-Terrenoire, Saint-Paul-en-Jarez, Grand-Croix et Lorette ; mais son action est purement électorale, ses meneurs sont des plus modérés, et il n’est relié à aucune organisation extérieure. Tout comme le « Comité du parti ouvrier » de Grand-Croix, dont l’inspiration stéphanoise est évidente, et qui naît en 1893 à l’occasion d’une élection, ou le Cercle d’Etudes sociales de Saint-Chamond, de 1894, ou le groupe d’études sociales de Chazelles, créé en 1896, et qui est un simple Comité électoral « ... en faveur du parti révolutionnaire local... »108. Il ne faut pas se laisser abuser par les mots. Sans doute le bassin tout entier n’a-t-il pas échappé aux tentatives de rénovation stéphanoise, où se sont affirmés en 1893 « ... énergie et coordination... » en contraste avec les déchirements du chef-lieu, dans la vallée du Gier, à Izieux, à Saint-Martin-de-Coailleux, à L’Horme, à Saint-Julien-en-Jarez où le croisement paraît s’être fait avec les influences lyonnaises109. Mais il n’en est rien sorti de bien nouveau, et le silence total de la vallée de l’Ondaine est particulièrement remarquable.
45Cette indifférence à l’égard des corps doctrinaux et des organisations trop rigides, on la retrouve, en fait, dans tous les centres industriels anciens. Et, à l’exception de Lyon, Roanne et la mouvance grenobloise après 1892, on serait tenté d’y voir la règle. En effet, partout, les groupes « socialistes » qui existaient avant 1882 n’ont pas fait de choix après la scission, et ceux qui naissent après conservent leur autonomie. Ainsi, à Romans et à Bourg-de-Péage où un « parti ouvrier » se manifeste à nouveau en 1887, de façon intermittente, bien qu’il ait en 1892 des élus municipaux dans chacune des deux villes. Un instant, il est tenté par le ralliement au P.O.F. ; le « groupe socialiste révolutionnaire » invite V. Dejeante, puis – vainement – P. Lafargue, et il prépare avec soin le Congrès de Marseille. Mais en 1898, il n’a toujours pas franchi le pas, alors même que sa propagande s’est élargie et que ses effectifs ont progressé sous la direction de Louis Carteron et Henri Danjean, deux ouvriers chapeliers. A Valence, c’est d’une tournée des députés allemanistes que naît, en 1893, un « groupe des travailleurs socialistes » ; bien qu’il reçoive Duc-Quercy l’année suivante, l’affiliation au guesdisme demeure à l’état de projet110. A Annonay, le « groupe d’études sociales » que dirige toujours J. Pleinet pratique une politique très éclectique d’accueil aux orateurs de toutes les tendances, mais garde son indépendance111. Et c’est à Allemane que fait appel en 1894 le « Groupe socialiste révolutionnaire » d’Oyonnax ; en 1899, il se range parmi les formations du P.O.S.R., avec l’Union des travailleurs socialistes de Bellegarde, le groupe de Villebois et celui de Sault Brénaz recrutés tous deux chez les carriers, les comités de Chalamont et de Belley112.
3. A la fin du XIXe siècle, géographie de la Révolution
46La liste des délégations régionales au Premier Congrès général des organisations socialistes français tenu à Paris, salle Japy, entre les 3 et 8 décembre 1899, donne une vue globale de l’implantation, même si tous les groupes ne sont pas représentés – et notamment les blanquistes, mais on sait leur particularisme et leur implantation lyonnaise. Au total, 76 d’entre eux ont envoyé un délégué, ou se sont fait représenter ; le croisement des affiliations et des localisations, par ville ou ensembles peut se résumer dans le tableau suivant113.
ORGANISATIONS SOCIALISTES DE LA RÉGION LYONNAISE REPRÉSENTÉES AU CONGRÈS DE LA SALLE JAPY, PARIS, 3-8 DÉCEMBRE 1899

47Le premier trait remarquable, outre l’absence totale de formations d’obédience « broussiste », est la coïncidence à peu près parfaite entre ces deux phénomènes : près de vingt ans après, le socialisme régional est resté cette juxtaposition d’écoles qu’il était en 1882114. Les « guesdistes » demeurent les premiers dans leurs bastions originels, et l’on sait leur succès dans l’Isère. Mais le second, et peut-être le plus important, est la confirmation de l’implantation « possibiliste » dans tous les vieux centres industriels où existe une classe ouvrière urbaine concentrée et déjà riche de traditions, à Romans, et en Bugey ; et, surtout, le choix du sigle d’« indépendants » qu’on fait ailleurs, puisque parmi eux, on compte les comités du « parti ouvrier » stéphanois, le « cercle d’études sociales » de Saint-Chamond, « l’Union des travailleurs » de Rive-de-Gier, mais aussi les formations du Beaujolais et du Roannais textiles longtemps influencés par le P.O.F. – et qui avaient d’ailleurs participé à ses Congrès nationaux de 1891 et de 1898115.
48L’apparente cohésion du réseau d’organisations socialistes et de groupes anarchistes ne saurait faire illusion : beaucoup d’entre eux ont une existence éphémère, voire fictive, que fige la documentation là où est le mouvement perpétuel, la scission ou la mutation. En l’absence de recensements précis, il est tout aussi difficile de connaître leur importance réelle.
49Les compagnons anarchistes sont, théoriquement, les plus aisés à dénombrer, puisqu’ils sont l’objet d’un repérage et d’une surveillance policière continuels. Malgré les fréquentes confusions qu’explique le fouillis mouvant des appartenances et des groupes, il est donc possible d’en faire un grossier comptage. Les premiers groupes sont fort médiocres : le « Drapeau rouge » à La Croix-Rousse, n’a pas plus de 16 adhérents en 1881, puis on ne sait plus rien de l’évolution numérique des divers groupes lyonnais116. A Saint-Etienne, en 1882, il y aurait 20 à 25 compagnons117, à Annonay, une dizaine en 1884118, 70 à 80 à Vienne119, peut-être une centaine – c’est beaucoup – à Roanne120. Un rapport de la préfecture de police parisienne élève nettement la barre en 1883 : 568 compagnons à Lyon, 104 à Villefranche (?), 128 à Saint-Etienne et 106 à Vienne ; soit, pour la région, 906, qui lui assurent la première place dans l’implantation nationale, puisque la France entière n’en compterait que 2 650. Peut-être peut-on retenir cette approximation d’un millier, à condition d’y voir le premier cercle extérieur de l’influence anarchiste, celui des participants occasionnels aux actions du mouvement121.
50Une dizaine d’années plus tard, la part de la région lyonnaise reste très forte : un rapport du Ministre de l’intérieur, fondé sur une série d’enquêtes locales, y dénombre 578 compagnons sur un total de 2 193122. Soit une répartition par département qui corrobore ce qu’on sait de la vitalité des différents groupes :
COMPAGNONS ANARCHISTES DE LA RÉGION LYONNAISE EN 1893

51Tels quels, les effectifs du Rhône coïncideraient en pratique avec ceux de Lyon, comme ceux de l’Isère avec Vienne et ceux de la Drôme avec Romans et Valence, à quelques unités près. Pour la Loire, il y en aurait une centaine à Saint-Etienne, 45 à Saint-Chamond et Izieux, moins d’une dizaine à Rive-de-Gier et une cinquantaine dans la vallée de l’Ondaine, dont 20 au Chambon-Feugerolles et autant à Firminy – ce qui ne laisse pas grand monde à Roanne123.
52Quatre ans plus tard, en 1898, la géographie de la diffusion du Libertaire confirme ces grandes lignes124 :
DIFFUSION DU LIBERTAIRE DANS LA RÉGION LYONNAISE EN 1893

53Mais elle privilégie la place de l’agglomération lyonnaise, où l’on ne vend pas moins de 425 numéros à la criée, très loin devant Saint-Etienne, qui en écoule 200. Et elle affine les lignes du premier cercle extérieur, défini cette fois-ci par la lecture de la presse : cette influence directe paraît donc avant tout urbaine, puisqu’il se vend par ailleurs 50 numéros à Grenoble – où l’implantation est récente, et ne compte que quelques individus –, alors que la relative faiblesse de Vienne – 30 exemplaires – et de Romans – Bourg-de-Péage – une trentaine traduirait l’isolement de groupes cependant anciens et dynamiques. C’est, au moins, une hypothèse. Si, à l’inverse, on revient à 1894 pour ne plus considérer que les compagnons jugés « dangereux » – donc, le noyau militant – on arrive à un total de 279 pour toute la région alors que la diffusion du Libertaire est, rappelons-le, trois ans plus tard, de 941 numéros. Entre ces trois ordres de grandeur – 3, 6, 9, – s’inscrit donc la force numérique de l’anarchisme, du militant quasi-professionnel au sympathisant immédiat.
54Le nombre des militants socialistes est beaucoup plus difficile à évaluer : ils attirent moins le comptage policier, et l’enchevêtrement des groupes, le changement incessant des appellations le rendraient encore moins aisé. Il faut donc procéder au coup par coup. Seuls les guesdistes paraissent fortement augmenter le nombre des leurs. A Roanne, le P.O.F. aurait en 1891, environ 135 adhérents régulièrement inscrits, dont 70 à 75 aux faubourgs Mulsant et Clermont, et plus de 150 en 1898125. A Lyon, la progression est plus nette, à des dates différentes, il est vrai : en 1884, ses 6 groupes ont 80 membres, à peu près, et une cinquantaine de militants occasionnels, donc 130 en tout, mais en 1898, le commissaire spécial crédite le P.O.F. de 260 à 300 adhérents, tandis que le Comité central révolutionnaire en aurait 200126. Bien sûr, l’explosion du guesdisme dauphinois multiplie sa force numérique puisque, partie de rien, la Fédération de l’Isère annonce un millier d’inscrits en 1898127. A Saint-Etienne, les effectifs sont nettement plus médiocres : le « parti ouvrier », parti de 40 dans les années 1880, d’une cinquantaine en 1883, atteindrait péniblement la soixantaine en 1890, et dans les années 1894- 1897, la centaine, auxquels s’ajouteraient les 50 militants de « La Lutte des Classes » et des divers groupes qui en sortent128. Donc, au total, il n’y aurait, après deux décennies, ou presque, de propagande et d’action, en tenant compte des formations éparses,. guère plus de 1 000 à 1 200 militants socialistes dans les dernières années du siècle, outre le millier de guesdistes du Dauphiné (qu’il ne faut sans doute pas adopter sans réserves), dont 500 au moins à Lyon. Soit, en leur ajoutant les anarchistes, 2 600 à 2 800 « révolutionnaires ».
II. Continuités ? L’essor du syndicalisme
1. Un premier signalement
55On est beaucoup moins bien informé sur le mouvement syndical, au moins jusqu’en 1889 ; avant, il n’est pas possible d’en restituer le mouvement global : le morcellement est trop grand, et beaucoup de Chambres syndicales n’ont laissé aucune trace dans la documentation. Il faut, pour un temps au moins, se résigner à une approche émiettée, sans savoir quelle part de la réalité on appréhende ainsi.
A. Les sujétions d’une conjoncture difficile (1877-1888)
56Il ne semble pas que la période d’intense activité politique des années 1875-1882 se soit doublée d’un dynamisme égal dans l’organisation professionnelle. Beaucoup de chambres syndicales apparues au cours des années précédentes ne paraissent pas avoir survécu à la répression de l’Ordre Moral, ou à la médiocrité de leur action. Ainsi, au moment du Congrès de Marseille, les syndicats lyonnais entreprennent de se fédérer : il y en a pas moins de 45 dans la ville, et 2 à Oullins. Mais « ... ils fonctionnent difficilement..., manquent de ressources et d’autorité..., n’ont entre eux ni communauté d’idées ni cohésion, ni entente... » ; le Comité fédératif « ... n’existe qu’à l’état embryonnaire et si peu sérieusement qu’il ne peut même pas se réunir... »129. Certains syndicats, comme celui des ouvriers en sparterie, créé en 1879, ou celui des fondeurs et mouleurs du cuivre, qui date de 1876, ne prendront vie qu’à compter de 1882-1884130. A Saint-Etienne, tous sont également médiocres ne réunissant que quelques dizaines de cotisants – à l’exception de celui des ouvriers mineurs131 ; et au cours des années suivantes, les seuls à se grouper sont les ouvriers du bâtiment et du meuble, par métiers132. Le syndicat des métallurgistes de Rive-de-Gier s’étiole dès sa naissance (1879), celui du bâtiment y disparaît en 1884133, avec toutes les organisations adhérentes à une « Fédération de la métallurgie de la Loire » qui avait attiré à elle toutes les chambres syndicales de la corporation au fur et à mesure de leur apparition, mouleurs de Saint-Chamond, de Roanne (1880), chaudronniers (1880), forgerons (1882) et métallos (1880) de Sainte-Etienne, outre celle du Gier ; le refus de la loi de 1884 entraîne la dispersion de ses 1 500 adhérents134. A Romans, les années 1881-1882 sont marquées d’un essor rapide, chez les travailleurs du cuir : une demi-douzaine d’organisations surgissent en quelques mois, attirent 700 d’entre eux ; elles disparaissent avec la même soudaineté en 1883-1884135. Et en Dauphiné, une Chambre syndicale des tisseurs de La Tour-du-Pin ne paraît pas avoir survécu à sa première réunion, en juin 1879136.
57De fait, la courbe des créations syndicales a jusqu’en 1885-1887 une allure très heurtée, et ne semble s’orienter à la hausse qu’à compter de 1888137. Tracée à partir du premier comptage d’ensemble – l’Annuaire des syndicats de 1889 –, elle ne prouve d’ailleurs pas que, dans les faits, il y ait eu poussée en 1888 : simplement, le niveau en est majoré parce que c’est l’année immédiatement antérieure au recensement. Mais elle démontre au moins la fragilité des créations syndicales puisque jusqu’en 1887, la barre est nettement en dessous : ce qui signifie, en clair, que beaucoup d’entre elles ont vécu 1 ou 2 ans au plus.
B. Puis un mouvement sans ampleur (1889-1899) ?
58A partir de 1890, le terrain devient plus sûr138. Il y a, cette année-là, 199 organisations syndicales et 30 507 adhérents dans l’ensemble de la région : même si le recensement ne paraît pas vraiment exhaustif139, il n’en livre pas moins des nombres très différents de certaines estimations « à vue »140. Le nombre des syndicats n’en progresse pas moins très vite jusqu’en 1894, où l’on en compte 324 : cette poussée de la nouvelle décennie est d’ailleurs conforme au comportement national. Et il est certain qu’elle ne correspond pas, cette fois-ci, à un faux semblant statistique. Car un peu partout on note, comme à Lyon, le réveil général de la vie syndicale, et qui touche à peu près toutes les catégories : gaziers et chauffeurs, les repousseurs sur métaux, les ferblantiers, les bijoutiers, les conducteurs de tramways s’organisent tandis que revivent les syndicats engourdis des charpentiers, des cartonniers, des tailleurs de pierre141 et des tôliers-fumistes142. Dans le bassin stéphanois, c’est le même élan, et « ... il s’accentue chaque jour davantage... »143 ; le groupement des métallurgistes connaît une nouvelle floraison, à Saint-Etienne (les « employés » et les tourneurs-mécaniciens, en 1889-1890), au Chambon-Feugerolles (les tailleurs de limes et les boulonniers, en 1889-1890), à Firminy (1890), à Saint-Chamond et à Rive-de-Gier (1892)144 à Givors aussi145 et à Roanne. Ailleurs, c’est la fusion des syndicats de la chapellerie à Chazelles (1893), celle des mécaniciens des houillères146 ; en Savoie, le groupement des ouvriers du bâtiment d’Annecy, des carriers et des bateliers de Meillerie sur le Léman147.
59Puis, à partir de 1895, la courbe du nombre des syndicats régionaux stagne, avec une légère tendance à la dépression, jusqu’en 1899, où l’on n’en compte plus que 310148. La région lyonnaise accentue à ce moment-là le mouvement national dont le replat demeure pourtant, entre les mêmes dates, faiblement orienté à la hausse ; et le décrochage est total avec la courbe cumulative des créations, prouvant, à nouveau, l’instabilité persistante des organisations. D’ailleurs, en 1898-1899, on ne retrouve plus 92 des 199 qu’avait recensés l’Annuaire : la disparition est, en une décennie, de près de la moitié.
60Si bien qu’en 1899, il n’y aurait que 34 957 syndiqués dans l’ensemble de la région : donc guère plus de 4 000 en sus de 1890 ; le gain atteint tout juste 14,5 %. Et l’orientation est là franchement en contradiction avec la tendance nationale : alors que la courbe française progresse à vive allure de 1890 à 1894, la courbe lyonnaise change de sens dès 1892, ne connaît un « peak » médiocre qu’en 1894, puis retombe fortement alors que partout ailleurs, – globalement – la progression se ralentit, mais se poursuit. Si bien qu’à l’exception de 1894 – 48 404 syndiqués dénombrés – tous les exercices jusqu’en 1899 se tiennent en dessous du niveau de 1892. La médiocrité de la syndicalisation d’ensemble est un premier fait d’évidence, dans la ligne des années 1875- 1889.
C. Les catégories du mouvement syndical
61L’analyse de détail à travers deux coupes, en 1890 et en 1899, permet de dégager quelques tentatives d’explication – et aussi de voir les limites de la source globale149.
62La géographie du syndicalisme régional peut se résumer ainsi :
RÉPARTITION GÉOGRAPHIQUE DES SYNDICATS OUVRIERS EN 1890 ET 1899

63La diffusion régionale est évidente, qui gagne de nouvelles aires au mouvement : Lyon, qui en 1890, concentrait près de la moitié des organisations (45,4 %) – et du tiers des cotisants (32,2 %) – n’a que 38,7 % des syndicats dix ans plus tard ; même si sa part de syndiqués demeure à peu près constante (33,2 %) ; dans le bassin stéphanois, la ligne est la même, bien que le mouvement soit inverse, de 15,3 à 17,8 % et de 22,7 à 21,7 %. A Grenoble au contraire, le nombre des chambres ouvrières a presque triplé comme celui des effectifs ; à Vienne, l’un et l’autre ont quintuplé, et à Valence, à Annonay, à Annecy, la décennie a marqué le véritable avènement à la vie syndicale, même si les nombres absolus demeurent médiocres. Mais, dans l’ensemble, déjà limitée en 1890 aux centres urbains, elle tend à s’y confiner dix ans plus tard : regroupés, ceux-ci rassemblent désormais 86,2 % des organisations, au lieu de 81,6 Vo et 80,3 % de leurs membres au lieu de 66,9 %. Au contraire, la diaspora des centres ruraux s’est contractée, dans des proportions exactement inverses ; sauf en Dauphiné, où syndicats et effectifs ont triplé ; mais la part des bourgs campagnards entre Loire et Rhône – Lyonnais, Beaujolais, Roannais – est tombée de 13,3 % à 4,7 % pour les premiers, de 28,8 Vo à 9,6 % pour les seconds. Le partage de 1890, ses mutations de 1899 laissent donc deviner, derrière la confusion des récapitulatifs, deux syndicalismes fort différents, et au destin contrasté. La répartition par secteurs d’activité permet un pas de plus.
64En les regroupant dans les 3 catégories de la grande industrie dispersée, de celle des grandes unités et des activités directement liées à la consommation (y compris les services), on obtient le partage suivant :
RÉPARTITION SECTORIELLE DES SYNDICATS OUVRIERS EN 1890 ET 1899

65La confrontation des deux coupes met en relief l’importance relative des syndicats de la petite industrie artisanale liée à la demande urbaine : précoce en 1890, avec 43,9 % des organisations et 20,2 % des adhérents, vivement confirmée en 1899 avec 54,5 et 40,3 %. Particulièrement remarquable est la marche des services, de 6,1 et 4,2 à 11,1 et 18,1 %. D’autre part, l’industrie de grandes unités, à la traîne en 1890 – 22,4 % des syndicats, 30,3 % des syndiqués – progresse, logiquement, à 24,9 et 34,4 % ; le corollaire est bien sûr le recul des activités dispersées de la tradition ; leur place s’effondre du tiers des uns (33,7 %) et de la moitié des autres (49,4 %) au cinquième (20,5 %) et au quart (25,2 %), entraînée par la chute du textile. Rien de bien nouveau là-dedans : l’implantation urbaine déjà décrite explique cela, l’évolution des structures industrielles régionales rend compte de ceci.
66C’est le détail des secteurs qui révèle la présence de grands pans de syndicalisation ; mais variables d’une date à l’autre. Ainsi, en 1890, les 51 organisations (et les 13 374 syndiqués) du textile qui correspondent, pour l’essentiel, à la soierie et au coton et celles de la verrerie ; aux deux coupes, le syndicalisme des mineurs, qui ne fait que s’affirmer de l’une à l’autre, comme celui des carriers, des corroyeurs et des gantiers, voire l’étonnante stabilité, à un niveau qui ne correspond pas à l’importance réelle du secteur, de la chapellerie et de la chaussure. On devine des vagues et des reflux du développement syndical, ici et là, à des dates différentes, et qui bouleversent, à plusieurs reprises, la répartition interne derrière les nombres d’ensemble ; de fait, le classement par importance des organisations confirme l’hypothèse.
67L’opposition est claire entre la poussière de petites organisations, d’ailleurs très vivaces, du milieu urbain, et les grandes formations changeantes de certains secteurs150. Parmi les premières, les syndicats multiples du bâtiment, du meuble, du vêtement, du livre ; toutes ont moins de 250 adhérents, en 1899 comme en 1890, sauf exception justifiée par la taille de la ville où elles sont implantées : ainsi, à Lyon, où la Chambre syndicale des plâtriers-peintres en a 300, le syndicat des maçons 650 puis 750 et la Chambre typographique autour de 300. L’émiettement prévaut toujours pour la métallurgie, malgré la force, en 1899, de la Chambre syndicale des ouvriers métallurgistes de Rive-de-Gier (400 cotisants, et elle en a eu un instant 1 200 en 1893-1894), et du syndicat « du département de la Loire », à Saint-Etienne (350 membres) ; car la rubrique mêle souvent ouvriers d’usine et artisans sous le vocable commun du métier qu’il est difficile de débrouiller.
68Au-dessus de la barre des 250, on trouve en 1890, 1 syndicat du textile sur 5, et 3 syndiqués sur 4 (73,2 %), la moitié des organisations de la verrerie et les 9/10e de leurs cotisants, la quasi totalité des mineurs organisés (94,3 %), plus des deux tiers des carriers. En 1899 pourtant, il n’est que 28 syndicats dans cette catégorie, contre 29 en 1890, et ceux du textile se sont fortement contractés ; mais elle demeure aussi importante pour les carriers (71,5 % des adhérents), les mineurs (83,5 %), les cuirs (76,9 %) et, de manière inattendue, les services (68 %) précisant ainsi l’autre visage du syndicalisme régional, celui des grandes organisations, comme celle des verriers lyonnais (400 membres) ou du coton de Thizy (2 000) en 1890, des mineurs de Saint-Etienne et des environs, des verriers de Rive-de-Gier, et des mégissiers d’Annonay, par exemple.
69La taille seule, en définitive, sépare ces deux syndicalismes qui demeurent enfermés dans le cadre du métier ; mais, en l’occasion, elle entraîne une différence de qualité, privilégie les corporations à gros bataillons qui peuvent largement déployer organisation et action, et qui donnent le ton au dernier quart du siècle. Les autres tentatives de regroupement sont vouées à l’échec, la commune condition ouvrière ne l’emportant jamais sur la solidarité corporative : d’un côté donc, l’échec des essais de fédérations interprofessionnelles, de l’autre, l’exceptionnelle réussite des grandes organisations de métier.
2. L’échec des fédérations interprofessionnelles
70Particulièrement caractéristique est celui de la Fédération lyonnaise des syndicats, qui se trouve pourtant à l’origine, en 1886, de la Fédération nationale.
A. La Fédération lyonnaise des syndicats
71La Fédération des Chambres syndicales lyonnaises se constitue en avril 1881. L’idée courait depuis 1877-1878 ; mais partie des milieux radicaux, elle n’avait rencontré que méfiance et diverses réunions n’avaient pas abouti ; on sait que le Congrès de Marseille l’avait fait renaître, mais l’organisation était restée purement formelle. Deux ans plus tard, l’initiative est reprise, pour l’essentiel, par de petites organisations presque toute issues du bâtiment (6 sur les 12 qui signent l’affiche de convocation) et de la métallurgie. La Fédération naît donc totalement en dehors des grandes industries lyonnaises, et de leurs puissantes – comme on le verra – organisations corporatives151. L’année suivante d’ailleurs, le succès ne dépasse guère le noyau initial, puisqu’elle ne regroupe que 14 syndicats ; parmi eux, les chevriers et les tanneurs corroyeurs, et surtout les fondeurs en fer et les mécaniciens qui en sont devenus l’âme152. La Fédération ne se manifeste guère par la suite, sinon pour préparer les élections prud’hommales et définir la règle commune de ses candidats ; puis pour refuser à la fin de 1884 la gestion des chantiers que la municipalité venait d’ouvrir pour les ouvriers sans travail : elle perd dans l’affaire le syndicat des maçons exclu pour avoir pris en charge le remblaiement des fossés153. L’attention qu’elle porte aux grandes luttes nationales – comme celle des mineurs de Decazeville en avril 1886 – ne paraît pas éveiller grand écho dans la classe ouvrière lyonnaise, malgré la qualité de ses propagandistes, tels le mécanicien Laurent Drevet, Louis Rocheron, un poëlier-fumiste qui lui succède au secrétariat en 1886, le cordonnier Emmanuel Frobert ; et Etienne Bonnard, un peintre en voiture, et Gabriel Farjat, tisseur : des noms déjà rencontrés154.
72En 1886, l’Union des tisseurs – qui échappe à son influence – lance l’idée du congrès national des syndicats, qui se tient donc à Lyon en octobre155. Mais, entre temps, pendant tout l’été, c’est la Fédération des Chambres syndicales lyonnaises qui a donné vie au projet. Aussi les organisations locales fournissent-elles la grande masse des participants – 94 sur 158, pour 42 d’entre elles – au nom de 11 000 adhérents nominaux (?) aux côtés des verriers, des rubanniers et des mineurs de Saint-Etienne, des tisseurs de Thizy, de Roanne, d’Amplepuis et de Tarare, des verriers de Givors et des gantiers de Grenoble, pour ne citer que les délégations régionales. Le succès du Congrès est donc d’abord celui de la Fédération lyonnaise, qui a su entraîner les autres syndicats de la ville. Mais c’est une victoire équivoque : à la Commission d’organisation, ses 8 représentants – qualifiés de « révolutionnaires » – se sont trouvés minoritaires face aux 22 participants « d’esprit radical » – donc corporatif. A peine les travaux sont-ils clos que leurs conclusions sont vigoureusement dénoncées par la Chambre syndicale des tisseurs – une autre puissante organisation de la Fabrique – : elles sont « ... si contraires aux intérêts des travailleurs que nous croyons de notre devoir de faire tous nos efforts pour les combattre... », écrit-elle au préfet pour lui demander d’aider à diffuser son journal « ... qui a réfuté (sic) vigoureusement les fausses théories préconisées au Congrès... »156. De fait, la Fédération lyonnaise, devenue, en mars 1887, le Conseil local de la Fédération nationale des syndicats ne retrouve que 18 des 54 organisations lyonnaises qui avaient fait promesse d’adhésion ; dans les années qui suivent, sa forte présence aux Congrès nationaux contraste avec l’abstention quasi totale des autres syndicats régionaux157.
73L’année 1890 marque apparemment la fin des difficultés. Dans toute l’agglomération lyonnaise, c’est « ... à l’initiative du Conseil local... » que se produit la floraison que l’on sait, dans « ... l’intention de créer un mouvement socialiste des travailleurs... »158. Il paraît y avoir réussi, puisqu’en dehors des créations nouvelles, il obtient le ralliement des circonspects. Et bientôt il coiffe 45 organisations lyonnaises, et les 33 syndicats du tissage beaujolais ; soit, environ, 3 900 cotisants. Parmi eux, les ouvriers du bâtiment tiennent toujours une forte place, avec 9 syndicats et 998 adhérents, dont 300 ferblantiers-zingueurs et 350 menuisiers, avec ceux des cuirs et de la chaussure – 8 syndicats, 705 adhérents dont 340 cordonniers ; mais le Conseil mord désormais sur la grande industrie, qu’elle soit traditionnelle – 400 verriers en 2 syndicats – ou nouvelle : on y compte 1 091 métallurgistes en 12 organisations, et parmi les 596 ouvriers de la Fabrique, presque tous viennent de l’apprêt, de la teinture ou du tissage mécanique159.
74L’organisation de la journée du Premier Mai permet enfin le débordement sur l’ensemble du mouvement syndical lyonnais ; car le Conseil local y joue le premier rôle. En 1890, il entraîne 65 organisations – sur les 89 de la ville – dans une manifestation de 7 à 8 000 personnes, au moins, et c’est devant plus de 5 000 auditeurs que G. Farjat, en présence des délégués de Thizy, d’Amplepuis, de L’Arbresle, développe l’ordre du jour160. Peu à peu aboutit le vieux projet de Bourse du Travail que la Fédération lyonnaise avait élaboré dès juillet 1884, que le Conseil avait réactivé par une pétition en 1889. En février 1891 enfin, il prend forme, et l’on s’installe Cours Morand, dans les locaux d’un ancien théâtre qu’a attribués le maire de Lyon, Gailleton. Peu après, bien qu’il en reste distinct, le Conseil local y transporte son siège, après avoir fait élire au secrétariat de la Bourse l’un de ses militants les plus en vue, Benjamin Péronin161.
75C’est un succès sans lendemain. Car le Premier Mai 1891 marque au contraire l’échec total du Conseil lyonnais. Pourtant, la mobilisation ouvrière s’était annoncée exceptionnelle : dès avril, 24 syndicats représentant près de 3 200 adhérents avaient tenu réunion. Mais le Conseil, puissance invitante, est mis en minorité quand on y décide, dans les quartiers et les groupes, « … l’application des doctrines révolutionnaires... » : on n’enverra pas de délégation aux pouvoirs publics. Si bien que la journée lui échappe totalement et se réduit à une émeute minoritaire ; la Bourse est cependant occupée par la troupe, et B. Péronin arrêté pour avoir appelé à une manifestation interdite162. Les années suivantes seront tout aussi médiocres, et dès 1892, la Bourse du Travail se donne une autre direction et se pose en pôle d’attraction rivale. Le Comité de résistance et de soutien aux mineurs de Carmaux créé en 1895 est le champ clos des rivalités ; désormais étroitement calquées sur les divisions politiques, guesdistes du Conseil contre blanquistes de la Bourse. Et l’initiative se déplace vers les partis ouvriers, avant la naissance, en mars-avril 1897, d’une Union locale de syndicats ; mais c’est une autre période qui s’ouvre. Dès 1894, la Fédération ne réunissait plus qu’une trentaine d’organisations ; elle ne se manifeste plus guère dans les années suivantes et s’éteint lentement avec la Fédération nationale qu’elle avait contribué à fonder163.
B. Une médiocrité générale
76En dehors de la tentative lyonnaise, le mouvement de fédération interprofessionnelle est médiocre, éphémère, ou équivoque. Il semble qu’il y ait eu, très tôt, des essais de syndicats généraux libérés de l’étroitesse du métier. Ainsi, à Saint-Chamond en 1878, on signale une « Chambre syndicale des ouvrières des corporations réunies », à Roanne en 1880 une « Union syndicale des travailleurs réunis » qui ne font pas autrement parler d’elles164. En 1881, c’est à Aix-les-Bains que les « ... ouvriers de toutes les professions... sont invités à se réunir à l’effet de constituer une association syndicale ouvrière... » ; sans suite165. Quant aux médiocres organisations de Chambéry, elles tentent de se fédérer en 1879 : le temps d’un congrès, celui de Marseille166.
77C’est à Roanne qu’on se rapproche le plus, en apparence, du modèle lyonnais ; la « Fédération des Chambres syndicales et groupes corporatifs » est créée au début de 1889 : elle adhère, elle aussi, à la Fédération nationale, après avoir participé, avant même sa naissance, au Congrès de Bordeaux, en novembre 1888, et assiste à ceux de Calais (1890) et de Paris (1893). Elle rassemblerait alors une quinzaine de syndicats, ceux des communes tissantes du Roannais, les maçons, les terrassiers et les ébénistes de la ville ; mais, en fait, elle n’est que l’émanation de la forte organisation des tisseurs de coton à laquelle, en pratique, elle s’identifie167. Une Fédération tararienne naît dans les mêmes circonstances en 1891, mais ne donne plus signe de vie dès 1894. Celle des « syndicats professionnels et groupes corporatifs du canton de Givors », créée en 1891 autour des chapeliers et des métallurgistes est une mince formation de 130 cotisants en 1895, tombés à 70 dans les dernières années du siècle. Que devient l’« Union fédérative des Chambres syndicales ouvrières de Romans et Bourg-de-Péage » – 9 syndicats, 531 membres – muette aussitôt que née, en 1894-1895 ? Celle de Vienne a en 1897 les mêmes 3 organisations et les mêmes 163 adhérents qu’à ses débuts, en 1892168. A aucun moment en tout cas on ne trouve trace de l’action propre d’une seule d’entre elles. L’essentiel du mouvement est ailleurs, dans la construction et l’expansion des grandes organisations corporatives de métier, dont l’Annuaire des syndicats, parce que trop tardif, atténue la présence et l’action dominantes.
3. Le développement des grandes organisations professionnelles
78Les années 1875-1895 en effet voient surgir des vieilles sociétés de résistance nées dans la décennie 1865-1875, voire avant, de puissantes organisations corporatives qui, à travers les dissensions et les scissions d’une action collective encore mal maîtrisée, mettent en place, pour un temps, un syndicalisme de masse jugé pourtant étranger à la réalité française. D’un métier, d’un secteur à l’autre, les chronologies ne coïncident guère, mais l’aboutissement est identique.
A. Les trois âges de la Fabrique lyonnaise
79La dissolution des grandes sociétés « civile » et de « prévoyance » par le préfet du Rhône entre 1874 et 1875 ne semble pas avoir entraîné celle des « séries » rendues à l’autonomie169. Elles maintiennent l’esprit d’associations qui renaissent telles quelles dès que change le contexte politique. La « société civile... » ressuscite le 11 février 1877, à l’occasion des préparatifs du Congrès manqué, sous le nom de « Chambre syndicale des tisseurs » ; elle rassemble 19 « syndicats de catégories » en un « syndicat général » chargé de veiller au respect du « tarif ». De la « Corporation des veloutiers » sort une « Association syndicale des tisseurs de velours uni de la ville et de la campagne », le 13 janvier 1878, et en juillet apparaît, à l’occasion d’une grève partielle, une « Chambre syndicale des ouvriers guimpiers de la ville de Lyon ». Entre temps était apparu un « Syndicat professionnel des ouvriers apprêteurs réunis » ; quant à la « Société civile des tullistes », elle paraît avoir fonctionné à nouveau, clandestinement, dès décembre 1875170. Les mesures coercitives de l’Ordre Moral paraissent donc n’avoir été qu’un entracte dans l’épanouissement du syndicalisme soyeux lyonnais.
80Son succès s’explique largement par l’ampleur de ses acquits antérieurs. La « Corporation des tisseurs de velours uni » avait su imposer, on le. sait, ses revendications, tout comme la « Société civile des tisseurs ». A vrai dire, elles avaient été portées largement par la haute conjoncture des années 1871-1875. Or, la vie syndicale renaît à l’heure même où la Fabrique subit une crise d’une rare violence, et qui va entraîner, à terme, l’abandon d’orientations pluri-décennales. Aussi les nouveaux débuts de la Chambre syndicale sont-ils difficiles : elle ne retrouve que 2 271 adhérents à sa naissance, arrive à 4 097, en 221 séries, en mars 1878 ; mais on demeure loin du nombre de 1869. L’« Association... des tisseurs de velours uni » a plus de mal encore à prendre son second départ ; certains de ses dirigeants estiment que la dualité syndicale n’a plus de raison d’être ; aux dissensions sur l’orientation s’ajoute l’indiscipline : le manque de travail pousse nombre de ses cotisants à accepter des pièces au-dessous du « tarif », dont on reconnaît, en février 1879, qu’il n’a plus d’existence réelle. En août, une grève générale de la spécialité se termine sur un demi-succès mais accélère le départ des métiers à velours vers les campagnes. Si bien que sans se dissoudre, l’Association cessera de donner signe de vie en août 1884171. Et le syndicat des guimpiers avait disparu dès ses premiers mois d’existence faute de cotisants.
81Quant à la Chambre syndicale des tisseurs, où le « tarif » est aussi devenu lettre morte, après avoir retrouvé 7 500 membres au début de 1879172, elle s’affaiblit dès l’été suivant de grèves mal maîtrisées et négatives, et de désaccords politiques internes. Elle paraît un peu plus heureuse au printemps et dans l’été 1881, mais son action tend alors à se détourner de la lutte salariale vers des projets plus généraux, tels que l’adoption des moteurs à gaz dans les ateliers de famille. Des compagnons, mécontents, avaient fait scission dès août 1878 en un syndicat qui excluait les chefs d’atelier ; mais au plus fort de leur activité, ils n’ont pas réussi à dépasser 130 adhérents dans une organisation qui tenait plutôt d’un club de discussion éclectique sur le libre échange, les octrois, la presse, etc... ; et depuis 1880, ils ne faisaient plus parler d’eux. A la Chambre syndicale, beaucoup de séries ne paient plus depuis longtemps leur quote-part, et la médiocrité de l’effectif laisse prévoir dans l’été 1882 une disparition prochaine173. En naissant en 1883, deux nouvelles organisations illustrent le désarroi de la Chambre syndicale ; en disparaissant dès 1886, elles prouvent la difficulté d’y mettre fin174.
82La baisse des prix de façon atteint pourtant une telle ampleur que le mécontentement généralisé a entraîné des réunions de compagnons tisseurs, hors de l’organisation, sur le vieux réflexe du « tarif », en octobre 1883. La Chambre syndicale, qui vient de perdre nombre de ses adhérents – elle est tombée à moins de 5 000 – ne parvient pas à canaliser le mouvement : les temps ont changé, et les fabricants refusent même de simples contacts. Et le 6 avril 1884, c’est une nouvelle organisation qui naît, la « Chambre syndicale de l’Union des tisseurs et similaires de Lyon » ; elle est articulée en 11 sections, dont l’une est réservée au tissage mécanique, et s’ancre plus fortement chez les compagnons que chez les chefs d’atelier. Vite, elle enlève ses meilleurs militants à la Chambre syndicale qui se retrouve avec 1 700 cotisants en septembre 1884, avant de remonter à 3 200 ; dès juin 1884, l’Union des tisseurs en regroupe 5 200 et emporte la totalité des sièges du tissage aux élections prud’hommales. Et, du coup, les Chambres syndicales de veloutiers renaissent ; les tullistes, les guimpiers et les apprêteurs de tulle s’organisent à leur tour ; les ouvriers teinturiers entreprennent de reconstituer leur formation sur le modèle de l’Union et tentent de gagner à eux ceux de Villefranche175.
83L’Union des tisseurs engage dans le même temps la lutte pour le « tarif ». Après un nouveau refus de négocier des patrons en janvier 1885, elle soutient un certain nombre de conflits partiels, puis, en juin, lance une action globale de grande envergure qui laissera un souvenir durable aux fabricants et à l’opinion publique lyonnaise. Le 6, au sortir d’une assemblée générale, des délégations tumultueuses de 60 à 100 membres envahissent les magasins et la ville, et arrachent aux fabricants la réunion d’une Commission mixte à laquelle se rendent aussi la Chambre syndicale et le Syndicat professionnel des tisseurs de velours uni. Un nouveau « tarif général » en sort, à appliquer au 1er juillet. Le mouvement s’est fait dans une ambiance d’émotion collective, et l’Union accepte l’adhésion de 400 membres honoraires, pour la plupart des commerçants de quartiers soyeux qui depuis longtemps, partageaient la vie et les luttes des « canuts ». Le succès aidant, elle aurait à la fin de l’année près de 10 000 adhérents, même s’il n’en est que la moitié à acquitter régulièrement leur cotisation176.
84Or, depuis deux mois déjà, le « tarif » n’était plus appliqué par un certain nombre d’entrepreneurs, malgré la vigilance syndicale. L’accord avec la « Chambre des tisseurs » est depuis longtemps rompu, alors même que reprend l’émiettement des organisations. En avril 1885 était née une Corporation des tisseurs lyonnais, d’inspiration chrétienne, et qui est loin d’être négligeable. D’autre part, la section dite « des usines » s’est séparée de l’Union en juin 1885 pour former un « Syndicat des ouvrières et ouvriers du tissage mécanique ». Si bien qu’au Congrès constitutif de la Fédération nationale des syndicats, en octobre 1886, la Fabrique est représentée par 5 organisations différentes qui y donnent le spectacle du plus vif désaccord177. Et les débats eux-mêmes entraînent de nouvelles scissions ; un « syndicat ouvrier des tisseurs de l’agglomération lyonnaise » naît en janvier 1887 du refus de la Chambre syndicale de se fédérer, mais, avec un nombre médiocre et déclinant d’adhérents – dont G. Farjat – se mue, sous des appellations changeantes, en section du P.O.F.178. La « Chambre syndicale des compagnons tisseurs de velours à 2 pièces » apparaît en août 1887, meurt d’inanition en 1888, sans se dissoudre. Enfin, en 1889, 25 ouvriers de l’article « meuble » quittent la Chambre syndicale pour se grouper à part : ils seront 181 une dizaine d’années plus tard.
85S’ils affaiblissent les grandes organisations, ces départs traduisent aussi une certaine fièvre de créations qui aboutit, en 1890, à l’extension régionale du mouvement et à la rencontre avec d’autres industries du textile. Car si l’idée d’une fédération était agitée depuis 1883 par l’Union des tisseurs, elle rejoint, en 1890, l’initiative partie de Roanne et du coton.
86La grande poussée revendicative du printemps 1889 avait en effet entraîné, tant en Beaujolais qu’en Roannais, une explosion syndicale sans précédent. Jusque là, en effet, les organisations y étaient rares, et limitées aux petites villes comme Tarare et L’Arbresle, depuis 1884-1885. Or, en quelques mois de 1889-1890, toutes les communes, ou presque, de la soierie et de la cotonne rurales sont touchées. Dans les années qui suivent, l’Annuaire des syndicats n’en dénombre pas moins de 17 dans le Rhône et 20 dans la Loire. Parmi eux, celui des couverturiers de Cours réunit plus de 1 800 d’entre eux entre 1890 et 1893 ; celui de Tarare, 750 et les apprêteurs sont 450 dans une formation à part ; à Cublize, ils sont 260 en 1891, 150 à La Ville, autant à Mardore, et 400 à Grandris. En Roannais, les syndicats les plus puissants sont ceux de Charlieu, avec plus d’un millier d’adhérents ; de La Gresle, à nombre égal, et le « ... plus dangereux de la région... » ; de Belmont, qui dépasse les 1 200 ; de Jarnosse et de Saint-Denis-de-Cabannes, avec 500 chacun, et « ... des plus agités... » ; d’Ecoches, une des communes « ... les plus mauvaises... », comme celle du Cergne179. A quelques dizaines près, on peut estimer qu’ils atteignent au total, 11 000 tisseurs entre 1890 et 1893180, sous la direction de deux militants exceptionnels, Joseph Durousset, un ancien canut venu s’établir à Thizy, et Félix Lachize, qui sont leurs véritables créateurs, mais sont secondés, un peu partout, par une pléiade de responsables locaux fort actifs, tels ce Claude Verne de Jarnosse qui continue à tisser « ... ce qui lui donne beaucoup d’autorité... »181.
87Parmi eux, pourtant, un certain nombre viennent de Roanne, comme Burnichon et Butty ; car à la prolifération rurale correspond l’expansion rapide, au chef-lieu de la cotonne, d’où le mouvement de grèves était parti, de l’« Union syndicale des tisseurs roannais », créée en 1882. Sous la direction de Charles Fouilland et d’Edouard Mayeux, elle rassemble près de 1 200 cotisants contre moins de 260 deux ans auparavant182. Et c’est elle qui, en mars 1890, convoque un Congrès régional des tisseurs à Charlieu, pour préparer la journée du 1er Mai ; 21 syndicats s’y donnent un début d’organisation, et la jonction se fait avec la Fabrique dans l’été suivant, par l’intermédiaire de G. Farjat183.
88Le Premier Congrès régional du textile se tient donc à la Mairie de La Croix-Rousse, le 5 octobre 1890, après une première rencontre en mai, pour « discuter des mesures à prendre pour l’organisation d’une fédération des syndicats ouvriers du tissage et pour l’unification des prix de façons... »184.
89Il en sort un conseil permanent, qui s’installe à Lyon et auquel adhèrent une quarantaine de Chambres syndicales. Après une nouvelle rencontre de celles du Roannais, à Coublanc, en janvier 1891 – et qu’on a étendue à la Saône-et-Loire –185, le second Congrès de la Fédération régionale se tient à Charlieu, les 4 et 5 avril 1891, avec 80 délégués. Il décide, à l’invite de G. Farjat, de s’adresser à l’ensemble des tisseurs de France186 : à l’appel lancé dans l’été répond, du 22 au 25 novembre, à Lyon, un Congrès d’où sort une « Fédération nationale de l’Industrie textile » ; avec 39 délégués, dont 17 Lyonnais, sur 57 participants, les syndicats de la Fabrique en sont les principaux animateurs et elle s’installe à la Bourse du Travail, cours Morand. Pour peu de temps187.
90En effet, la création intervient alors que la flamme retombe dans les campagnes de l’Ouest lyonnais – sauf à Roanne, où l’Union des tisseurs va déclarer 5 993 adhérents en 1895, avant, il est vrai une chute profonde au cours des années suivantes. Le 3e congrès de la Fédération régionale, à Charlieu, en août 1892, n’a qu’un médiocre succès, et une nouvelle réunion à Coublanc, en septembre, se préoccupe de réorganiser les syndicats communaux en pleine déconfiture. La majorité s’en désintéresse, après n’y avoir vu qu’un moyen occasionnel de faire relever les « tarifs » ; en 1894, un peu partout, « ... ils sont bien malades... », les plus actifs ont perdu de leur force, et presque tous disparaissent entre 1895 et 1896188.
91Les syndicats de la Fabrique lyonnaise ne valent pas mieux. Les « séries » de la Chambre syndicale agissent désormais en ordre dispersé, et n’avaient que 611 cotisants dès la fin de 1888. Pour les retenir, on s’est orienté vers la création de services coopératifs : c’est le contraire qui se produit, les coopérateurs s’en vont en 1892, on se retrouve à moins de 400 ; la participation aux grèves de 1894 redonne pourtant un peu de tonus, et on compte 4 820 adhérents en 1898. Depuis 1893 d’ailleurs, la Chambre syndicale a retrouvé 3 sièges de conseillers prudhommes : mais c’est un succès qui traduit moins son dynamisme que le déclin simultané et accéléré de l’Union des tisseurs, qui a perdu cette année là les 5 sièges qu’elle détenait. De 2 500 cotisants en 1888, elle est tombée à 1 400 en janvier 1893 puis à 850 en 1898, dont une centaine seulement paieraient ses cotisations. Depuis 1891, le « Syndicat professionnel du velours uni » avait perdu toute crédibilité : il n’englobe pas plus de 400 « métiers », se heurte à l’hostilité des campagnes – où battent 8 800 autres –, n’arrive plus à imposer son autorité à ses propres membres ; les fabricants l’ignorent et, en 1896, une tentative avortée de mise à l’index le fait tomber dans l’oubli.
92Si bien qu’en 1899, l’ensemble des 9 syndicats du tissage lyonnais n’a pas plus de 3 500 adhérents nominaux, délaisse de plus en plus les revendications ouvrières pour les problèmes généraux de la Fabrique ; après un fructueux rapprochement pendant les grèves de 1894, ils se sont à nouveau dispersés189. A Roanne, l’Union des tisseurs n’a pas 200 cotisants, en 1899, et la Fédération régionale du textile ne donne plus signe de vie après 1893, précédant de peu dans le néant la Fédération nationale qu’elle avait suscitée190.
B. Les travailleurs du cuir
93L’organisation syndicale naît ici de la rencontre entre les trois grands centres régionaux du cuir, liés fortement par d’incessants échanges de main-d’œuvre et une certaine complémentarité des spécialisations. A Grenoble, et à Lyon, elle surgit aussi des caisses de résistance, à Annonay elle s’appuie sur une tradition déjà ancienne d’action collective.
94A Lyon, la « Société de solidarité et de prévoyance des ouvriers tanneurs » (1869) ne paraît pas avoir répondu, en 1874, à « ... l’invitation d’avoir à se dissoudre... », et a traversé sans grand dommage l’Ordre Moral, soutenant plusieurs grèves, avant de réapparaître au grand jour par une mise à l’index en 1879191. A Grenoble, ce sont les « coloristes » et les « palissonneurs » qui commencent à s’organiser en 1875, invités à partir de février 1879, par les « mégissiers de rivière » : d’entrée, leur Chambre syndicale compte 400 cotisants192. Ce premier élan retombe pourtant assez vite : une grève manquée la détruit en décembre 183, après une contre-attaque patronale si brutale qu’elle fera échouer, trois ans plus tard, une tentative de reconstitution. La société lyonnaise est brisée dans le même temps par une vigoureuse chasse aux militants, disparaît sans avoir jamais compté plus d’une soixantaine d’adhérents. Quant au syndicat grenoblois des « coloristes et palissonneurs », il s’était aussitôt effondré, pour revivre, mais divisé, de 1877 à 1880, en 1881, puis en 1885, chaque fois sans grand succès. L’étincelle va venir d’ailleurs.
95C’est-à-dire d’Annonay, où, dès les années 1860, les « mégissiers de rivière » avaient, à plusieurs reprises, imposé leurs exigences193. Le 2 juin 1880, ils créent, à leur tour, une Chambre syndicale : ils y sont 400 au départ, un millier à la fin de l’année. C’est le début d’un combat long et difficile, mais dont la victoire finale va rejaillir sur l’ensemble de la corporation régionale194. Car le syndicat annonéen mène une double action, en arrachant aux patrons, peu à peu, l’amélioration des salaires et des conditions de travail et en mettant en place toute une série de services au profit de ses militants. Aussi les effectifs, un instant retombés à 350 entre 1889-1891, à la suite d’un incident malheureux195, progressent-ils régulièrement après 1893, quand le principal animateur, Joseph Pleinet, devient secrétaire permanent : à 500 dès 1893, 860 en 1894, puis un peu plus d’un millier dans les années suivantes, avec une pointe de 1 113 en 1896. Depuis 1889,les « mégissiers de rivière » ont été imités par les « palissonneurs », dont la Chambre syndicale réunit environ 500 cotisants à partir de 1892, jusqu’à la fin de la décennie et collabore étroitement avec eux.
96En même temps, une nouvelle étape a été franchie puisque c’est d’Annonay que part, en 1893, l’idée d’un Congrès de la corporation. Celui-ci se tient à Grenoble le 6 août, et il en sort la Fédération nationale des syndicats d’ouvriers mégissiers de France. Parmi les 6 délégués, celui du syndicat lyonnais en plein renouveau : il compte alors 343 membres, contre une douzaine, tout juste, une année auparavant. A Grenoble même, la Chambre syndicale des « mégissiers de rivière », après un premier et vain essai de résurgence en 1889, vient de reprendre vie en août 1892, malgré la résistance toujours vive du patronat ; et les deux syndicats endormis des « palissonneurs » et des « coloristes » retrouvent vigueur en fusionnant en une « Union syndicale » à l’occasion du Congrès ; et, selon l’accoutumée, c’est à Grenoble que la nouvelle Fédération nationale fixe son siège, pour plusieurs années196.
97Pour les ouvriers du cuir lyonnais, ce nouveau départ n’est pas plus heureux que celui des années 1880 : leur « Chambre syndicale des tanneurs et corroyeurs » se fourvoie presqu’aussitôt dans une coopérative de production et périclite avec elle ; ses 6 derniers adhérents se perdent en 1897 dans des querelles d’intérêt, et elle se réfugie dans l’inaction bien qu’elle ait retrouvé 140 cotisants à la fin de 1898. Mais leur échec est exceptionnel, bien que la Fédération nationale ait une existence éphémère et disparaisse avec son journal Le Mégissier en 1899 après un 6e congrès réuni à Grenoble. Là, les syndicats de « teinturiers » et de « palissonneurs », bien qu’à nouveau séparés en 1898, conservent l’ensemble de leurs militants, à un peu plus de 300, à égalité avec l’effectif des « mégissiers de rivière », qui progressent même un instant à 380 en 1895-1896. Et, surtout, la Chambre syndicale d’Annonay demeure la grande force tranquille qu’elle avait sû bâtir, poursuit avec succès son action selon la double ligne qui avait été la sienne dès le début. Au total, dans les années 1890, c’est plus de 1 500 ouvriers du cuir que rassemblent les deux organisations de la ville.
98Gantiers et ouvriers en chaussures n’adoptent pas d’autres voies. A Grenoble, l’Association syndicale des ouvriers gantiers de l’Isère, qui deviendra 2 ans plus tard la « Chambre syndicale », naît en juillet 1874 dans l’ombre de la vieille Société de prévoyance qui date, on le sait, de l’an X1197. Simplement, à conditions nouvelles – le patronat, on le verra, tente de revenir sur certains privilèges immémoriaux –, organisation nouvelle : c’est-à-dire, avant tout, une « caisse » destinée à pallier les effets d’un éventuel chômage, qui peut être, tout simplement, un conflit du travail, bien qu’elle s’engage, de par ses statuts, à faire « ... tous ses efforts pour prévenir les grèves générales ou partielles... ». Intention sincère ou fard ? En tout cas, les 300 ouvriers syndiqués poussent la Société de prévoyance à limiter les secours aux vieillards « ... pour pouvoir conserver 1 franc par jour aux ouvriers sans travail... ». Les patrons ne s’y trompent pas, et s’organisent à leur tour198. Mais les difficultés ne viennent pas, que semblait présager la détérioration économique des années 1876-1877 pour la ganterie, et le syndicat s’étiole pour un temps. Sa seule activité est la participation aux Congrès ouvriers de Paris et de Lyon ; en 1881, il n’arrive pas à faire naître des sections locales dans les localités environnantes, et paraît atteint de consomption en 1884. En mars 1885 et au printemps 1886, deux grèves limitées agitent un instant l’ensemble de la corporation, sans lendemain, bien que Chambre syndicale et Société de prévoyance leur aient apporté un soutien ardent : l’une et l’autre ayant d’ailleurs le même président !199 Jusqu’en 1893, on vivote : on retrouve un instant, en 1890, 300 adhérents, pour en perdre le tiers dans les mois suivants ; une nouvelle grève – de faible envergure, à la maison Perrin – fait éclore en août 1888 une « Association syndicale des ouvrières gantières » : celles-ci sont 400 à y entrer ; elles se retrouvent à 50 en 1889, et peu après, tout semble fini.
99C’est donc quatre ans plus tard que repart la marche en avant. Le syndicat grenoblois, qui avait participé à Bruxelles en août 1892 au 1er congrès de la Fédération universelle des gantiers, est chargé d’organiser le 2e, pour 1893200 ; dans la lancée, ses effectifs montent à 600 et sans doute à plus de 800 l’année suivante. D’autre part fonctionne un syndicat analogue à Gières, avec une centaine de membres, depuis 1892, et l’Association... des gantières a retrouvé vie en 1893 : elle compterait alors 367 adhérentes. L’année 1894 est décisive, marquée par toute une série de conflits partiels, couronnée par une grève générale et un lock-out ; d’un bout à l’autre de l’affaire, la Chambre syndicale des gantiers a présenté les revendications propres à chaque atelier, organisé la mise à l’index à tour de rôle, imposé un temps une commission arbitrale mixte201. L’échec de la lutte n’entraîne pourtant pas, comme dans bien d’autres cas, l’amoindrissement de l’organisation : bien au contraire ; après quelque mois de flottement, le recrutement reprend : il y a 1 100 gantiers syndiqués en 1896, 1 280 en 1897 et dans les années suivantes202.
C. Les syndicats de la verrerie (1878-1899)
100L’organisation de la verrerie part de moins loin203. Et c’est à peu près simultanément qu’elle apparaît dans les trois grands centres régionaux. En janvier 1878, 80 verriers lyonnais créent une « Chambre syndicale des tailleurs de cristaux » à La Guillotière, transformée en avril en une « Chambre syndicale des tailleurs de cristaux et des verriers réunis », avec près de 300 cotisants. En juillet, c’est contre la fantaisie des prix de façons que se dresse à Saint-Etienne une organisation analogue, pour « ... former un tarif relevé dans les 4 verreries (de la ville)... », et pour « ... que toutes créent le même tarif... »204 ; à Rive-de-Gier, c’est en 1880 que se manifeste un « Syndicat des verriers en verre noir ». Mais cette première poussée se heurte aux difficultés de la conjoncture ; le syndicat stéphanois ne donne bientôt plus signe de vie ; à Rive-de-Gier, il se dessèche à peine né et disparaîtra 4 ans plus tard. Quant aux Lyonnais, à peine rassemblés, ils tentent vainement de s’opposer à la baisse des salaires qu’annonce l’usine Dupuis ; un second échec à la maison Tronel, rue de Marseille, en février 1879, multiplie les désertions : le syndicat n’a que 63 membres en 1880, 38 au début de 1884. Il en retrouve 217 à la fin de l’année, après une modification de ses statuts, 290 en 1885 où il se transporte à Oullins avec la cristallerie de la rue de Marseille ; mais pour y entrer aussitôt en léthargie.
101C’est en 1885 pourtant que s’annonce une seconde floraison qui ouvre la grande époque du syndicalisme verrier. Elle part, cette fois-ci, de Rive-de-Gier, où janvier voit surgir une « Chambre syndicale des ouvriers verriers à vitre du Midi de la France », suivie d’une « Chambre... des tailleurs de cristaux et ouvriers en verre blanc » ; puis, c’est au tour des Stéphanois de créer une « Chambre... des verriers et une autre des tailleurs de cristaux et ouvriers verriers ». A Lyon, le départ des cristalliers en banlieue pousse au même moment à l’organisation d’une « Chambre syndicale des verriers réunis ». Aussitôt, elle relance l’idée d’une unification contractuelle des tarifs – et l’étend au plan régional.
102D’emblée, c’est le succès. Les principaux patrons acceptent le débat, font les concessions qu’on leur demande. On brise la résistance des autres, Duplat de Saint-Etienne, notamment, par une grève rapide, vigoureuse et victorieuse, pour imposer un « Tarif unique des verreries de Lyon et de Saint-Etienne » ; et une Commission mixte débattra des litiges éventuels. Le succès de la revendication entraîne celui de l’organisation, à Lyon surtout, qui compte 400 adhérents au début de 1887, plus de 500 à la fin de l’année ; à chaque usine correspond une « section » qui élit un comité de « … 3 ou 4 ouvriers chargés de trancher, contradictoirement, les différends qui pourraient surgir entre ouvriers et patrons... » ; chaque mois, on retient 6 francs à chaque « souffleur » et 3 francs par « troisième » pour alimenter la caisse syndicale205. En octobre 1886, un accord est conclu avec deux nouvelles formations spécialisées apparues dans l’été, la « Chambre syndicale des mouleurs en verrerie » et celle des « manœuvres et similaire des verreries »206 ; on y prévoit que « ... dans le cas d’une grève suscitée par l’une ou l’autre des 3 chambres..., les 2 autres devront lui venir en aide, et moralement, et pécuniairement... »207. En même temps, on parvient à imposer le « tour de rôle » en cas de chômage partiel, et sur toutes les questions qui viennent à se poser, on discute de plain-pied avec les patrons, – ainsi, en 1888, Mesmer et Jayet ; de mai à novembre de la même année, on aide à la longue lutte des verriers de Givors, et en décembre 1889 on prend en main celle des ouvriers de l’usine Saumont de Saint-Etienne où l’on vient de raccourcir la pause du déjeuner208.
103Mais le conflit marque une rupture dans l’esquisse de politique contractuelle imposée jusque là par les syndicats de la verrerie. Il semble bien qu’elle soit provoquée par une volonté délibérée du patronat : car, alors même que le prétexte de la grève est mineur, la direction refuse tout contact, contrairement aux habitudes ancrées depuis 3 ans, et rejette même une offre explicite de compromis. Les patrons lyonnais la désavouent dans un premier temps, mais les rapports se tendent au cours du printemps 1890 ; à Lyon même, les incidents se multiplient, et Mesmer, en contradiction avec ses promesses de l’année précédente, annonce son intention de transporter ses fours ailleurs209 ; en octobre, quand ses ouvriers arrêtent le travail pour un problème secondaire de tarif, il porte plainte au Tribunal de Commerce. En même temps, la cristallerie d’Oullins oppose une fin de non-recevoir à la Chambre syndicale revigorée par contagion depuis 1888 : la grève qui y éclate se termine, comme celle de Mesmer, par un compromis. Mais l’ambiance a totalement changé.
104Et lorsque les ouvriers de Mesmer dénoncent au début de 1891 le viol du tarif, ils se heurtent au front uni des 4 principaux patrons lyonnais. La grève va durer 233 jours, dans une ambiance de mobilisation générale de la corporation, à l’échelle nationale.
105En effet, la « Chambre syndicale des verriers réunis » avait pris, quelque temps auparavant, l’initiative d’un regroupement général des verriers de France. En août 1890, deux de ses délégués envoyés à Bordeaux pour soutenir un conflit local y avaient élaboré le projet d’une rencontre nationale ; 11 organisations avaient donc participé, à Lyon, les 28 et 29 novembre 1890, à un Congrès d’où était sortie une « Fédération nationale des verriers »210. Après avoir rallié Carmaux et les syndicats du Nord, sa première action est tout naturellement de soutenir les militants lyonnais qui organisent d’ailleurs, du 1er au 6 septembre 1891, son 2e congrès. Il rassemble cette fois-ci les délégués de 45 syndicats, et on y décide, pour octobre, une grève générale des verriers à bouteilles de France. Pour les ouvriers de Mesmer, Jayet et Béroud désormais unis sous le sigle de la Compagnie générale des verreries du Lyonnais, elle se termine par un désastre ; c’est sur une capitulation aux conditions patronales qu’ils rentrent le 14 octobre : qui veut reprendre le travail doit signer l’acceptation du règlement. La lutte a épuisé les fonds syndicaux, malgré l’ampleur de la solidarité qu’elle avait suscitée ; les manœuvres, considérant que leurs intérêts n’étaient pas en cause et qu’on leur forçait la main ont lâché en plein combat. A la fin du mois, les consignes ne sont plus suivies, la majeure partie des verriers cessent de payer leurs cotisations, et rejettent en décembre un nouvel ordre de grève. En juillet 1891, les cristalliers font scission au nom de la spécificité de leur travail, et la « Chambre syndicale des verriers » n’y résiste pas : au début de 1892, elle ne donne plus signe de vie211 et celle des manœuvres n’aurait plus d’existence réelle depuis plusieurs mois. Ainsi paraît liquidée, en moins d’un an, l’un des syndicats des plus puissants et des mieux organisés de France : une tentative de regagner toutes les usines lyonnaises à partir d’une nouvelle « Chambre syndicale des verriers en verre blanc » d’Oullins, en 1893, ne résistera pas à une grève malheureuse ; une autre n’aura pas plus de succès en 1898, où cesse de fonctionner le syndicat des cristalliers.
106Le déclin des organisations lyonnaises ne signifie pourtant pas celui du syndicalisme régional ; il coïncide simplement, avec un déplacement géographique du dynamisme que traduit le 3e congrès de la Fédération nationale tenu à Fourmies en juillet 1892. Le siège est maintenu à Lyon, où doit aussi être édité le journal dont on se dote, Le Réveil des Verriers ; quant au Conseil, il sera composé de délégués de Lyon, de Givors, et de Rive-de-Gier surtout, devenu la nouvelle place-forte après la déconfiture lyonnaise.
107De fait, les militants d’Oullins et de La Guillotière viennent d’y sortir le syndicat des verriers en verre noir d’une longue léthargie212 ; en 1891, il compte 400 adhérents malgré le handicap d’une grève perdue ; puis il se développe rapidement, et n’en a pas moins de 1 100 au début de 1894. A Saint-Etienne, aussi, c’est un transfert massif de grévistes lyonnais – les vaincus de 1891 – qui revigore la Chambre syndicale. La vallée du Gier, sous la direction de leaders d’envergure, comme Philippe Clausse, secrétaire du Comité de la Fédération nationale et directeur du Réveil des Verriers, Rey, Revellin, et Constant Batho, à Saint-Etienne, est au cœur d’un puissant réseau de syndicats satellites, à Lyon, à Givors, à Andrézieux, à Saint-Galmier, à Saint-Romain-le-Puy ; et largement, elle est l’âme de l’organisation nationale213, reproduisant à quelques années de distance l’action des mineurs stéphanois.
108Or, le processus se renouvelle, qui avait entraîné la défaite lyonnaise. En mars 1894, c’est sur un prétexte minime que les syndicats ripagériens se lancent, à la verrerie Richarme, dans une longue grève : elle va durer 317 jours, ne prendre fin qu’en janvier 1895, sur un échec total. En plein combat, on s’était lancé dans une tentative de coopérative ouvrière qui accapare bientôt toutes les forces syndicales : on y reviendra214 ; les difficultés financières de l’entreprise, les frais d’une nouvelle grève malheureuse, de février à mars 1894 à Saint-Romain-le-Puy, achèvent d’épuiser les disponibilités d’un syndicat déjà saigné à blanc par ses propres luttes et par les frais d’une Fédération nationale qui réunit désormais 52 organisations. Dès avril 1895, le temps des luttes flamboyantes est passé, et les syndicats de verriers paraissent assoupis dans toute la région215 ; à la fin de 1896, Le Réveil des Verriers note avec mélancolie que, si « ... Oullins va assez bien... », « Lyon... se ressaisit péniblement... », « Saint-Etienne reste stationnaire... Rive-de-Gier n’a plus que quelques adhérents..., Saint-Romain, Saint-Galmier, foyers de réactions ne seront jamais à la hauteur de l’organisation qu’ils furent... »216 ; lui-même, d’hebdomadaire, devient bi-mensuel en mars 1897, avant de disparaître en juillet 1899 ; la Fédération nationale, incapable de payer le loyer de son local lyonnais, cesse de fonctionner à la fin de l’année. Ainsi traduisait-elle la disparition quasi totale de ses syndicats régionaux : depuis 1895, les 3 principaux groupes de Rive-de-Gier n’avaient plus donné signe de vie ; celui de Veauche, malgré son refus d’affiliation, avait disparu la même année, victime de la retombée militante, en même temps que la « Chambre syndicale des tailleurs de cristaux » de Saint-Etienne, où le départ, en 1897, de la « Verrerie aux Verriers » locale pour Vénissieux, désorganise le syndicat des verriers en le privant de ses meilleurs militants217.
D. La généralisation du mouvement ?
109Si « canuts », mégissiers, gantiers et verriers savent construire précocement leurs grandes organisations corporatives, à un niveau que leur nombre rend exceptionnel, ils ne font cependant qu’illustrer une tendance générale ; elle est précoce mais moins fortement perçue chez les uns – les ouvriers du cuivre, ceux du bâtiment – parce que de moindre envergure, et chez les autres – rubanniers de Saint-Etienne, drapiers de Vienne – parce que plus tardive, à l’extrême fin du siècle, à un moment où la vie syndicale prend, un peu partout, depuis plusieurs années déjà, une autre coloration.
110Chez ceux-là, pas de grands syndicats. Sans doute les ouvriers du cuivre ont-ils été des premiers métallurgistes lyonnais à s’organiser fortement : de 1876 à 1886, 6 formations spécialisées sont apparues ; restées hors de tout groupement local, elles ne se développent pas moins au cours des années suivantes exerçant une forte influence sur une corporation où la solidarité est de règle, et particulièrement bien implantées chez les bronziers et chez les tourneurs robinettiers218. Les maçons lyonnais, eux aussi, ont ressuscité dès avril 1877 leur « Société de prévoyance » en une Chambre syndicale qui participe à la préparation du Congrès ouvrier de Lyon, en 1878, et mène ses premières grandes luttes victorieuses en 1879- 1880 ; elle poursuit son action au cours des difficiles années suivantes, sous le nom de Syndicat professionnel, présenté comme tel au 1er Congrès de la Fédération nationale, en 1886219.
111Or, dès 1881, ils participent, avec les menuisiers, à une tentative de fédérer les Chambres ouvrières du bâtiment ; mais sans succès220. Et les syndicats lyonnais du cuivre sont en 1886 en contact avec ceux de Mâcon. Aussi, quand une grève y éclate en juillet 1888 à la maison Thévenin ne marchandent-ils pas leur solidarité et empêchent-ils fort efficacement le patron mis à l’index de faire ouvrer ses pièces à Lyon. Dans la lancée naît l’idée d’une Union fédérative des travailleurs du cuivre, et une réunion se tient en février 1890 pour en préparer les statuts. Entre temps, les Lyonnais sont rejoints par de nouvelles organisations, à Villefranche et Gleizé, et sur place, par celle des graveurs de rouleaux d’impression, qui rassemble 200 cotisants ; leurs propres effectifs se sont gonflés, tous dépassent la cinquantaine, et surtout les Chambres des robinettiers (170), des fondeurs (180) et des bronziers (90). Dans l’immédiat, on publie un mensuel commun avec les Mâconnais et les Parisiens, La Robinetterie, et le 1er octobre 1893 naît la « Fédération nationale des syndicats du cuivre221 » ■
112Quant aux maçons, bien qu’affaiblis momentanément par une scission, ils réussissent à susciter, en 1891, la « Fédération des Chambres syndicales et groupes corporatifs du bâtiment » qui avait avorté dix ans plus tôt, et réunit à leurs côtés les 8 professions les plus importantes du secteur. Et en septembre 1891, à Saint-Etienne, où un rassemblement analogue s’est fait quelques mois auparavant, ils tiennent congrès en présence de délégués de Bordeaux et de Clermont-Ferrand. On y décide la création d’une Fédération régionale, qui s’installe à Lyon, à élargir à l’ensemble du pays222. Trois ans plus tard, c’est encore le syndicat des maçons lyonnais qui convoque, cette fois-ci, un Congrès de métier, à la Bourse du Travail de Lyon, pour créer une « Fédération corporative des ouvriers maçons de France »223. Il n’aboutit pas, on se borne à élaborer des statuts qui ne serviront à rien. Mais du congrès stéphanois était sortie, en 1892, à Bordeaux, la « Fédération nationale des syndicats et des groupes corporatifs des ouvriers du bâtiment de France »224 et Lyon devient le siège de son Conseil de l’Est avec un millier de cotisants, en 1895, dans l’agglomération, et un peu moins de 400 dans le bassin de Saint-Etienne225.
113En même temps, la Fédération du cuivre prend forme et tient à Lyon son 1er Congrès, en décembre 1894. Jusqu’en 1895, son audience ne dépasse guère les limites régionales ; puis, en 1899, les adhésions se multiplient, et elle atteint un maximum de cotisants (1544) en 1900 avant de s’amenuiser à 500 en 1903, où elle disparaît. Jusqu’au bout, les syndicats lyonnais ont conservé leur influence des années 1890 et y ont joué un rôle prépondérant226.
114Chez les drapiers de Vienne comme chez les rubanniers de Saint-Etienne, au contraire, les années 1875-1880 avaient ouvert une longue période d’apathie ; là les organisations ne se relèvent pas après une éclosion éphémère, ici elles se ramifient à l’extrême dans un fouillis de scissions et de regroupements partiels ou marginaux. Et c’est dans les dernières années du siècle qu’elles prennent le chemin des grandes luttes d’ensemble et de l’unité.
115A Vienne en effet, la disparition, dès 1870, de la première « Société de résistance » a ouvert près d’un quart de siècle de médiocrité. Il semble qu’il y ait eu un essai de renaissance en novembre 1876, et qu’une « Commission anonyme des tisseuses et tisseurs » ait fonctionné quelque temps, sans grand éclat, avant de se heurter à l’hostilité des pouvoirs publics227. En 1878 naît et meurt aussitôt une « Chambre syndicale des fileurs », et si une commission de grève des tisseurs se transforme, au printemps 1879, en une formation semblable, elle ne dure que quelques mois228. Et il faut attendre 1890 pour qu’apparaisse un syndicat des cardeurs, suivi en 1893 de 3 médiocres organisations d’étroites spécialités ; quand elles fusionnent en 1895, elles n’ont pas plus de 293 cotisants à elles toutes229. Enfin, l’Union syndicale des tisseurs, tisseuses et similaires, qui apparaît en même temps, végète entre 200 et 250 personnes jusqu’en 1898-1899, malgré son intervention dans les grèves partielles de la fin 1896, où elle a « ... affirmé son existence et... recruté un grand nombre d’adhérents... »230.
116Chez les passementiers stéphanois, c’est après un hiatus d’une décennie qu’est apparue, en 1875, l’« Union de la Fabrique de rubans », constituée, comme à Lyon, pour la défense du « tarif », et elle se dissout dès 1876. Le « Cercle professionnel des tisseurs » de 1878 est une simple amicale ; mais c’est de lui que part, en décembre, une « Chambre syndicale des chefs d’atelier rubanniers » qui recueille, d’emblée, 3 600 adhésions. Puis, dans l’automne 1879, c’est celle des « ouvriers et ouvrières passementiers et tisseurs réunis », articulée, par quartier, en 8 sections, avec 1 800 personnes231. Mais les négociations communes sur le tarif achoppent, on se décourage, on déserte l’organisation, et pendant les années suivantes, on se borne à préparer les élections prud’hommales. L’émiettement commence aussitôt : tour à tour se détachent une « Chambre syndicale des veloutiers » (1881), la « Corporation chrétienne » (1887), la « Chambre syndicale des tisseurs épingleurs réunis » (1891), une dissidence des « chefs d’atelier tisseurs » (1892), les « tisseurs élastiques » (1892), l’« Association professionnelle du tissage mécanique » (1896), la « Chambre... des chefs d’atelier veloutiers » (1897). Si bien qu’à la fin du siècle, il n’y a pas pas moins de 7 organisations différentes dans la passementerie stéphanoise, toutes également médiocres ou diminuées : la plus importante d’entre elles n’a que 540 membres à la fin de 1899, qui en voit encore naître deux autres !
117Leur faiblesse rejaillit sur la « Fédération régionale des syndicats du tissage et industries similaires » qu’ils ont mise en place en octobre 1895 avec 2 organisations de Saint-Chamond : après avoir rassemblé 1 267 adhérents en 1897, elle n’en a que 950 en 1899 et les syndicats les plus importants n’y participent pas232. Elle atteste pourtant d’une tendance « ... à se réunir en un seul... »233 ; l’année 1898 a vu une tentative de « tarif » minimum général et, surtout, la naissance d’une « Ligue pour le relèvement des salaires dans l’industrie du tissage », créée par les syndicats, mais en dehors d’eux, et qui attire aussitôt 3 000 adhésions234. L’unité – et le succès – sont tardifs, et empruntent des voies originales par une explosion qui coïncide avec le réveil de la draperie viennoise.
118Le 27 novembre 1899, la grève éclate chez Pascal-Valluit, une des principales firmes lainières : 900 drapiers sont dans la rue, demandent augmentation de salaires, baisse de la journée à 10 heures mais, aussi, la reconnaissance du syndicat. Le mouvement dure 49 jours, encouragé par la solidarité de toute la corporation, dans une ambiance de ferveur collective et de violence qui galvanise les énergies, attire tous les leaders nationaux, dont Groussier, et Jules Guesde, qui y gagne une condamnation pour « provocation à l’attroupement ». La reprise, en janvier 1900, se fait sur un net succès (+ 10 à 15 %), même si toutes les revendications ne sont pas satisfaites235. Si elle n’est pas reconnue, l’« Union syndicale des tisseurs », qui a conduit le mouvement, recueille les fruits de son action. Surtout, l’année suivante, outre quelques conflits partiels, elle déclenche en avril une grève générale des cardeurs qui arrête toute la draperie viennoise pendant 37 jours, et se termine, elle aussi, sur un large succès236. Elle déclare cette année-là 3 400 adhérents, dont un millier de femmes – 13 fois plus qu’en 1899 ! –, et en conservera près de 3 000 jusqu’en 1905237.
119Mais, pendant ce temps, le mouvement des passementiers stéphanois a pris une toute autre ampleur. Les fabricants ayant refusé le paiement de la « mise en train » – c’est-à-dire du temps perdu à la préparation du métier –, la « Ligue pour le relèvement du salaire » entraîne, après une quinzaine de conflits partiels, entre juillet et novembre, plus de 18 000 veloutiers et rubanniers de toute la région dans une grève de 58 jours ! Compagnons, ouvriers des usines mécaniques, chefs d’atelier entrent dans la lutte dans une ambiance de luttes de classes aiguë et de mobilisation générale. On reprend avec une augmentation des façons de 25 % en moyenne, et la satisfaction des demandes essentielles dont une commission mixte doit surveiller l’application238. Les effectifs de la Ligue se gonflent, et elle se transforme en 1902 en « Chambre syndicale des travailleurs de l’industrie textile », qui compte 5 500 adhérents et recueille la plupart des anciennes organisations239.
120Ainsi, les drapiers viennois et les rubanniers stéphanois ont suivi, avec un certain retard, la double direction de l’action globale et de l’organisation de masse oû avaient cheminé avant eux tisseurs lyonnais, verriers et mégissiers. En cette fin de siècle, ils y rencontrent les mineurs de Saint-Etienne, et d’ailleurs, même s’ils ne font que les croiser.
E. La construction des syndicats de mineurs
121Le syndicalisme des mineurs ne présente pas d’autres traits que celui des canuts, des verriers et des mégissiers ; il n’en occupe pas moins une place à part ; plus que d’autres, il devient un modèle qu’expliquent son exceptionnelle réussite et la netteté de ses orientations. Et, à l’inverse des autres organisations, c’est à la fin du siècle, voire dans les années 1900 qu’il atteint un premier sommet et une puissance que la suite ne démentira pas.
122Au mois de mai 1876, deux grèves à Rive-de-Gier témoignent plus d’un réveil de l’opinion minière que de besoins pressants ; elles s’intégrent dans une agitation plus générale qui se fait jour aussi à Firminy, et se traduit, un peu partout, par des délégations aux Compagnies houillères240. Il en sort une « Chambre syndicale des ouvriers mineurs de la Loire » qui, en quelques mois, recueillerait 1 800 adhésions241. Au début de 1878, une organisation analogue naît à Rive-de-Gier, adopte des statuts sensiblement identiques et rassemble 120 à 140 cotisants ; et l’idée est dans l’air à Firminy, où 400 à 500 mineurs tiennent meeting en mars sur les thèmes que popularise le groupement stéphanois.242.
123Or, entre-temps, celui-ci a été pris en main par Michel Rondet, en 1877, dès son retour de prison, ou presque. Et il lui donne la forte assise d’un programme complet de revendications concrètes qu’il présente le 6 juin 1881 au 2e congrès socialiste du Sud-Est, à Saint-Etienne. Devenu son secrétaire général, il multiplie les réunions de propagande dans toute la région, et étend son action aux autres bassins charbonniers, va dans le Nord et le Pas-de-Calais ; partout, il se fait l’apôtre du groupement syndical, sème les organisations sous ses pas et fait jaillir d’un intérêt mutuel déjà ancien une prise de conscience collective tout à fait nouvelle243. Soutenu par une presse et une opinion publique favorables, Michel Rondet présente au Parlement, en décembre 1882, les principales revendications de la corporation, suscite un vif intérêt dans les cercles gouvernementaux, obtient l’attention et l’appui d’un certain nombre de députés. En même temps, il s’efforce de relier entre eux les syndicats apparus ici et là : leurs délégués se réunissent à Saint-Etienne du 24 au 31 octobre 1883, fondent la « Fédération des Chambres syndicales des ouvriers mineurs de France », la première du genre, qui fait sien le programme de la Loire ; on fixe à Saint-Etienne le siège national, et Rondet est élu secrétaire général. En quelques années donc, le mouvement stéphanois avait gagné l’ensemble des bassins français.
124Mais, paradoxalement, la « Chambre syndicale des mineurs de la Loire » s’était dans le même temps effondrée. Dès 1878, elle n’avait plus que 150 cotisants et tout juste une cinquantaine en 1880244 et, en 1883, la remontée qui accompagne le Congrès national ne lui en fait pas retrouver plus d’un millier. Quant à celle du bassin du Gier, elle ne groupe qu’une douzaine d’adhérents en 1882-1884. La crise charbonnière qui liquide une partie de l’emploi, la déception devant une apathie sur place qui contraste avec la propagande extérieure, les contacts de Rondet dans les avenues du pouvoir expliquent l’indifférence des mineurs245. L’abstention des luttes revendicatives qu’entraîne la détérioration économique la mue rapidement en méfiance, puis en hostilité ! C’est sans elle qu’un millier de mineurs de Firminy et de Roche-la-Molière tentent en janvier 1880, de mettre fin aux abus de la Compagnie, « ... très dure pour les ouvriers... » sur un vaste programme qui s’inspire des leçons de la « Chambre syndicale de la Loire »246 ; sans elle qu’en juillet 1881, 300 mineurs de Grand Croix essaient d’éviter l’allongement du temps de travail247 ; sans elle que ceux de la Compagnie de Saint-Chamond échouent à faire renvoyer, en juin 1882, un ingénieur en chef trop zélé248. Dans tous les cas, l’opinion publique s’est émue, et les échecs ont été d’autant plus vivement ressentis. A Rondet, au début de 1884, on commence à reprocher des illusions réformistes qui contrastaient trop avec la pratique des sociétés houillères, et aussi ses compromissions parlementaires, voire policières : en mars, il est violemment pris à partie, en présence de 600 mineurs, traité de « mouchard de la Préfecture » ; en mai, on projette de lui opposer une « Union fédérative des mineurs révolutionnaires »249. On ne va pas jusque là ; mais le succès national des entreprises de Rondet va de pair avec un discrédit total dans la Loire, et qui demeurera constant jusqu’à sa mort, en 1908 ; largement, après quelques années de calme, le syndicalisme des mineurs de la Loire est marqué par une lutte incessante contre son fondateur, mais en empruntant les voies qu’il avait lui-même tracées.
125Lui-même continue son action, avec l’appui de ses nouveaux amis du Nord : Basly vient à plusieurs reprises à Saint-Etienne, l’accompagne dans ses tournées250. Et le 28 juin 1886, notamment, il vient exposer à 150 mineurs de La Motte d’Aveillans, dans le bassin de La Mure, les buts du groupement syndical, les moyens de l’organiser251, et de la réunion sort, en janvier 1887, la « Chambre syndicale des ouvriers mineurs du bassin d’anthracite de La Mure »252. En octobre 1887, il crée une « Société générale de secours mutuels des mineurs de la Loire » qui reprend la vieille idée de la caisse fraternelle de 1866, mais sous la forme d’une œuvre syndicale, et qui marche d’ailleurs mal253. Mais l’essentiel de son temps, il le consacre à la Fédération nationale qu’il continue d’organiser et de défendre, selon sa propre expression, « ... contre les partis révolutionnaires anarchiste et collectiviste qui après avoir combattu partout, dans le temps, la constitution de syndicats ouvriers, viennent aujourd’hui en proclamer l’utilité... »254.
126En dehors d’une grève importante – elle avait entraîné 700 mineurs – mais brève – une journée – en mai 1885 à la Compagnie des houillères de Rive-de-Gier, et d’un mouvement insignifiant des remblayeurs de Firminy en septembre de la même année, le mouvement revendicatif s’était assoupi dans le bassin avec les difficultés de la conjoncture255. II se réveille au printemps de 1888 avec l’amélioration de la situation : en avril, ce sont les mineurs de la Compagnie de la Loire qui obtiennent un relèvement de leur salaire après 7 jours de lutte256 ; en juillet, entraîné par ceux de la Compagnie de Beaubrun, ils posent, en vain, la question de la journée de 8 heures, mais terminent sur une nouvelle hausse et la suppression de certaines retenues, en août ; entre temps, ils sont rejoints par ceux de la Compagnie de Villebœuf257. Le mouvement qui a réuni au total environ 1 500 participants s’est fait une nouvelle fois, sans la « Chambre syndicale des mineurs de la Loire »258. Et il entraîne vite.
127Dès le 27 mai 1888 était née une « Chambre syndicale des ouvriers mineurs de Villars », premier coup porté à la vocation unitaire du syndicat Rondet devenu – comme la Fédération nationale – une coque vide. Dans les mois qui suivent la grève d’août, les opposants reprennent leurs attaques contre celui qu’on accuse de trahison et de « tyrannie » ; les réunions hostiles se multiplient où il est mis publiquement en accusation. Il est totalement discrédité dans le bassin, note le préfet, qui le traite désormais d’ambitieux et d’aigri : son influence est nulle chez les mineurs de la région259 et de nouvelles dissidences bourgeonnent. En novembre 1888 naît en effet une « Chambre syndicale des ouvriers mineurs du quartier Gaillard et de Côte-Chaude » qui devient le fer de lance de la lutte contre Rondet. Son secrétaire, Gilbert Cotte étend rapidement son influence, bien qu’il ne soit établi dans la région que depuis 2 ans260. Quelques semaines plus tard, c’est à Saint-Chamond que surgit une « Chambre syndicale des ouvriers mineurs ». Et de juillet à septembre 1889, il ne se produit pas moins de 7 grèves dans le bassin, aux compagnies de Villebœuf et de Monthieux à Saint-Etienne, puis à celle de Saint-Chamond, à Terrenoire, à Grand-Croix, à La Talaudière, au Chambon-Feugerolles ; 7 compagnies sont tour à tour visées, et 1 300 mineurs sont à tour de rôle entrés dans la lutte sur des revendications parcellaires, propres à chaque puits, dans une ambiance générale d’inquiétude et de malaise : le 3 juillet, l’explosion du puits Verpilleux avait tué 207 mineurs261. Le 10 novembre 1889, enfin, Rondet est chassé du secrétariat des « mineurs de la Loire » ; et en décembre, son successeur Antoine Ottin tire la leçon des faits en prenant l’initiative d’une « Fédération départementale » pour rassembler les organisations créées en dehors de la première Chambre syndicale262.
128L’année 1890 marque un tournant où se rencontrent le syndicalisme minier régénéré et une exceptionnelle activité revendicative de la masse. A vrai dire, dès le printemps 1889 avait couru le bruit d’une possible grève générale du bassin, fait de placards anonymes, de menaces murmurées, de rumeurs incontrôlables263. Et en janvier 1890, c’est par les machinistes (une catégorie bien particulière de travailleurs qualifiés, et jalousée des mineurs) que commence l’action : à Saint-Chamond, puis à Grand-Croix, ils obtiennent satisfaction264. Au total, il se produit, de février à octobre, une vingtaine de grèves dans le bassin265 ; une dizaine, de février à avril, presque toutes à Saint-Etienne et dans la vallée du Gier, mobilisent près de 1 300 mineurs. Malgré l’extrême réserve des organisations nationales266, l’approche du Premier Mai paraît si lourde de menaces que le préfet met le bassin en état de siège ; la journée n’a pas le ton tragique qu’il redoutait, mais les mineurs sont la seule corporation de la région stéphanoise à y participer : ils manifestent à La Ricamarie, au Chambon Feugerolles, tiennent meeting à un millier, à Saint-Etienne, à plus de 500 à Grand-Croix ; ils chôment à Villars, à Rive-de-Gier. Le 5 juin, enfin, le mouvement général éclate : une mise à pied déclenche la grève des 350 mineurs de la Compagnie de Villebœuf, à Saint-Etienne ; ils reprendront, sur un échec, 15 jours plus tard ; mais le 9, ils sont rejoints par ceux de 5 autres sociétés qui engagent la lutte, sur le programme tracé par le Congrès international de Jolimont267 ; le 11, les 5 concessions de Grand-Croix prennent prétexte d’un renvoi pour se solidariser avec eux, puis le 14 ceux des puits de Villars et de Terrenoire. Au plus fort du mouvement, 3 800 mineurs environ sont en grève ; puis on rentre, mais en octobre et novembre, c’est au tour des 2 900 ouvriers de la Compagnie de Firminy et de Roche-la-Molière de mener un long combat de 34 jours268. Dans aucun cas les objectifs n’ont été totalement atteints, mais c’est la première fois depuis 1869 que la majorité des travailleurs du bassin s’est mise en marche. Surtout, il y a rencontre de l’organisation et de l’action, et les associations syndicales prolifèrent avec les grèves qu’elles suscitent ou soutiennent, quand elles ne naissent pas de la lutte même.
129En janvier 1890, en effet, c’est à La Talaudière qu’est apparu un nouveau Syndicat des ouvriers mineurs ; en mars naît la « Chambre syndicale des ouvriers mineurs de La Ricamarie » qui en réunit d’emblée 980, et une nouvelle organisation « des mineurs du Gier », sise à Grand-Croix surgit en plein conflit pour remplacer, avec 700 cotisants, la vieille Chambre syndicale moribonde ; c’est dans des circonstances analogues enfin qu’est fondée en octobre la « Chambre syndicale des ouvriers mineurs de Firminy » ; une dernière, et plus médiocre (elle n’a pas 50 membres) création à Saint-Jean-Bonnefonds en janvier 1891 complètera le réseau syndical du bassin. Quant à la Fédération départementale, elle s’est dotée en octobre d’un journal, Le Réveil des Mineurs269 et après quelques dissensions sur la grève de Firminy, elle se sent assez forte en décembre pour s’attaquer à la Fédération nationale dont elle s’est dans un premier temps retirée, mais qui demeure toujours, à Saint-Etienne, aux mains de Rondet.
130Aussi convoque-t-elle de sa propre autorité un congrès des syndicats français des mineurs, à son siège, pour février 1891, afin de créer une nouvelle Fédération nationale, la précédente ayant cessé d’exister en fait sinon en droit avec son propre retrait270. Et si le Congrès, finalement, se tient à Commentry, en mars, c’est le Syndicat de Côte Chaude qui y rédige les statuts d’une « Fédération nationale des ouvriers mineurs de France » dont Le Réveil des Mineurs devient l’organe officiel. Ainsi, l’action entreprise, de loin, par Gilbert Cotte et ses amis, semble l’emporter dans cette seconde naissance du syndicalisme minier271.
131C’est un leurre. Car l’opposition du Nord et du Pas-de-Calais – qui n’étaient pas représentés à Commentry –, la fidélité à Rondet de Carmaux et de Decazeville empêchent le projet d’aboutir. La véritable réorganisation ne se fait qu’en octobre 1892, au Congrès de La Ricamarie. Et c’est une défaite pour Cotte : si le siège de la nouvelle Fédération est fixé sur place, c’est à Rondet qu’on en confie, à nouveau, le secrétariat général. Dans tout le bassin, l’esprit militant s’effondre et les effectifs fondent. Depuis janvier, le Réveil avait cessé de paraître, faute d’argent, et un projet d’une Revanche des Mineurs avait fait fiasco272. Dans la vallée du Gier, le syndicat de Grand-Croix, qui avait réussi à enrôler 950 des 1 500 mineurs de la circonscription n’a plus que 340 cotisants dans l’automne 1893 ; il en est tout juste 70 pour participer à son assemblée générale, avant que ne le minent des discordes internes où se mêlent divergences politiques et incompatibilités personnelles273. Quelques mois plus tard, la Chambre syndicale de Firminy est moribonde274. Quant à Rondet, il ne réunit pas plus de 150 personnes en septembre 1893 quand il veut demander l’avis de la base pour définir un programme régional de revendications275. Quelques jours plus tard, il fait entériner par la Fédération départementale et son secrétaire Antoine Philibert son refus de soutenir la lutte des mineurs du Nord et du Pas-de-Calais276 ; si les éléments qualifiés de « révolutionnaires » tentent bien de susciter une agitation pour « … préparer activement le terrain en vue d’une participation éventuelle à la grève générale... », le « ... résultat est négatif... la majorité... s’étant prononcé pour l’expectative277 », et diverses réunions en octobre, en présence de Gilbert Cotte et d’A. Philibert, qui a changé d’avis, n’aboutissent qu’à des vœux pieux. La Fédération départementale, sans troupes ni allant se disloque en décembre 1893 et au début de 1894, il n’y a plus trace d’elle278. Et à la veille du 1er Mai, le commissaire de police de Saint-Etienne peut noter avec satisfaction, que chez les mineurs, il ne se passera rien279.
132Sauf à Côte-Chaude, où le « ... très populaire et très influent... citoyen Cotte fera tout le nécessaire pour cela... ». C’est de là qu’il reprend la lutte qui, une première fois, n’avait abouti nulle part contre un Michel Rondet réélu à l’unanimité, en 1895, secrétaire national, et appointé à 150 francs par mois, mais toujours « ... on ne peut plus usé parmi les mineurs... »280. Gilbert Cotte est, cette fois-ci, fortement secondé par une nouvelle génération de militants ardents et moins confinés dans l’exclusive défense professionnelle, comme Pierre Argaud, ancien rédacteur au Peuple de Lyon, et Jean-Jules Escalier, membre du Conseil d’Administration de la Bourse de Saint-Etienne, l’un et l’autre « … d’opinions ultra-révolutionnaires et presque anarchistes... » ; dit-on. En même temps, il prend langue avec ceux qui partagent ses positions à Commentry, à Brassac et à Sainte-Florine281. Devenu lui-même secrétaire de la Bourse du Travail le 6 décembre 1895, il fait refuser la participation de la Loire au Congrès national de Decazeville en juillet 1896282, et en octobre, avec J. Escalier et Marin Beauregard, secrétaire de la vieille Chambre syndicale des mineurs de la Loire, il tente de ressusciter la Fédération départementale283 ; en vain, pour l’heure. Car au printemps 1897, la situation se modifie totalement.
133La revendication ne s’était jamais tout à fait éteinte depuis les grands mouvements de 1890 : en 1891, on avait dénombré 4 arrêts de travail dans le bassin et 1 à La Mure, 4 autres en 1892, et après 3 années de répit, 4 en 1896 dont l’ampleur, dans quelques cas, contraste avec la médiocrité des autres : en février, c’est 563 mineurs qui entrent en lutte à la Compagnie de la Chazotte, à Saint-Jean-Bonnefonds, et 215 autres en septembre au puits Rambaud de Saint-Etienne284. Mais l’année 1897 marque une retombée, semble-t-il, puisqu’on n’y compte qu’un seul mouvement, en mars, de 300 mineurs de la Compagnie de Villebœuf, à Saint-Etienne, qui s’opposent au renvoi d’un gouverneur285.
134Et pourtant, dès janvier, on s’est alarmé : « ... Un réveil du mouvement minier se prépare... », « ... les espérances anciennes, et aussi les audaces, se font jour... » un peu partout, à Firminy, à Grand-Croix, à Saint-Etienne286. En avril, on insiste sur « ... à nouveau l’importance considérable du mouvement minier... » dans l’ensemble du bassin ; en trois mois, il y aurait eu plus de 1 000 adhésions au syndicat, « … les mineurs sont en plein réveil... ». Or, il ne s’agit pas d’un mouvement spontané de mécontentement immédiat – l’absence de grève le montre – mais du résultat d’un projet réfléchi pour reconstituer une organisation de masse « ... en vue de la grève générale pour l’obtention de la journée de 8 heures et de la Caisse de retraite telle qu’elle a été demandée par les divers Congrès corporatifs tenus jusqu’à ce jour... ». Derrière l’affaire, trois hommes : Gilbert Cotte, depuis son Syndicat de Côte-Chaude, Marin Beauregard et, à Firminy, Brioude « ... ouvrier hors ligne, ... délégué mineur et administrateur de la caisse de retraite... ». Avec eux, la Fédération départementale renaît dans les faits au cours du printemps 1897 qui apparaît comme une période tout à fait exceptionnelle et nouvelle, puisque faite de la rencontre d’une prise de conscience à long terme dans la masse minière et d’un projet élaboré d’organisation : celle-ci est construite en tant que telle, et non comme instrument éphémère d’action. « ... Jamais le mouvement (ne s’est) présenté, dans la Loire, avec ce degré de lucidité dans le but et de prudence dans les moyens... »287.
135En réponse à un « Appel aux mineurs » lancé le 9 mai par Gilbert Cotte, les chambres syndicales de Villars, de Grand-Croix, de Saint-Etienne, de Roche-la-Molière et de La Talaudière adoptent définitivement leurs statuts. Le 1er juillet, leurs délégués font renaître la Fédération départementale et élisent G. Cotte au secrétariat général de ce qu’on nomme désormais le « Comité fédéral ».
136A la fin de l’année 1897, celui-ci rallie 5 syndicats dont la « Chambre syndicale des mineurs de Sain-Bel », créée en 1896 aux exploitations de pyrite des monts du Lyonnais288. Ses place-fortes sont le syndicat « de la Loire » – le plus ancien de tous – qui compte à lui seul 1 127 membres, et celui de Côte-Chaude, avec 450 cotisants ; au total, il rassemble 2 217 adhérents, dont 1717 dans le bassin, et seules demeurent hors de son emprise – pour un temps – les organisations de Firminy et de la vallée du Gier, qui ont cependant profité, elles aussi, de l’agitation pour progresser à 501 et 876 militants. Et la campagne d’adhésions se poursuit au début de 1898 ; des « comités de puits », dont l’expérience date de juin 1891, assurent l’omniprésence syndicale et des collecteurs auxquels ont été distribués, selon un plan d’ensemble, des livrets de syndiqués se tiennent à leurs abords aux jours de paye289.
137Mais la base commence à s’impatienter, de ces ouvriers « ... auxquels on a parlé de leurs droits et de leur force... », et qui « ... ne veulent plus attendre pour faire usage de cette dernière afin de tâcher de conquérir les premiers... » ; depuis l’été 1897, une partie des « ... néo-syndiqués croient devoir ne pas attendre plus longtemps... », pour donner « aux mineurs le signal de leur propre mouvement... »290. Et au début de 1868, on s’agite dans la vallée du Gier, à Grand-Croix, à Saint-Etienne où se succèdent délégations aux Compagnies et réunions291. Toute l’année s’écoule à la fois à maîtriser cette impatience pour la canaliser vers une action d’ensemble, et à conforter l’organisation, malgré l’hostilité renouvelée de la Fédération nationale dont Michel Rondet redevient secrétaire général au Congrès qu’elle tient à Saint-Etienne même, malgré la vive opposition des délégués de la Loire ; en janvier 1899, d’ailleurs, le Comité fédéral en tirera les conséquences en suspendant son adhésion. Surtout, c’est ès-qualités, comme représentant de l’ensemble des mineurs, qu’il prend en mains les demandes des divers puits et qu’il les présente aux Compagnies ; en décembre 1898, c’est lui qui s’adresse au juge de paix du canton de Saint-Etienne Nord-Est pour demander l’application de la loi du 27 décembre 1892 sur la conciliation et l’arbitrage ; et il généralise au bassin les demandes faites aux Compagnies de Villebœuf, des Mines de la Loire et des Houillères de Saint-Etienne292. La menace sans cesse ajournée d’une grève du bassin pousse le patronat minier à la résistance, et trompe les autorités : le commissaire spécial, si pessimiste l’année d’avant, pense désormais « … qu’il n’a pas derrière lui la masse des mineurs... », et que l’influence de Gilbert Cotte s’amoindrit, bien que sa position « ... reste relativement la plus considérable auprès des mineurs de Saint-Etienne... »293.
138Mais en janvier 1899, la Compagnie de la Péronnière, à Rive-de-Gier, accepte le catalogue de revendications de ses ouvriers294 : le 13 février, les mineurs de Grand-Croix déclenchent la grève pour obtenir des avantages semblables ; le 22 mars, ceux du puits Rigaud des houillères de Saint-Chamond les imitent ; tous obtiennent, en partie au moins, satisfaction. Tour à tour, les principales compagnies sont touchées, de mai à septembre, particulièrement dans la vallée du Gier ; au total, en 9 mois, 13 grèves secouent le bassin, dont deux, en juillet et en août, entraînent la totalité du personnel – 697 ouvriers – à la Compagnie de la Chazotte295. Toutes les fois, le Comité fédéral ou ses organisations soutiennent la lutte et recueillent les fruits de leur action ; le syndicat des mineurs du Gier augmente « … considérablement et sa force et ses adhérents... » : il n’en avait que 600 en janvier, il en a 900 en mai, peut-être 1 100 à 1 200 en août, et il adhère au Comité fédéral296.
139Tout en visant, toujours, la grève générale, le Comité fédéral a donc su, pendant cet été 1899, coller au mouvement de la base, en décentralisant notamment la décision, et en laissant chacun de ses syndicats libre de mener ses propres luttes297. Le succès a suivi, et il a levé les dernières méfiances : « … on sait qu’il est composé de gens à ne rien risquer à l’aventure... », et dès le mois de mai, « ... on semblait revenir à l’agitation des grands jours... »298. En dehors des grèves proprement dites, partout, réunions, délégations ont à la fois posé les revendications et sensibilisé l’ensemble de la population minière299. Et le 6 juin 1899, ouvertement, par un ordre du jour voté à l’unanimité, la Fédération départementale a annoncé sa volonté de « … . poursuivre par tous les moyens la réalisation des revendications formulées… en octobre 1898... », et de « ... consulter les syndicats sur l’opportunité d’une grève générale des mineurs dans le bassin en cas de refus... des patrons d’accorder 0,8 francs d’augmentation journalière pour chaque ouvrier et la règlementation de la journée de travail... »300. Elle vient d’ailleurs de recevoir l’adhésion de celui de Firminy ; hors de sa mouvance ne demeurent plus que les syndicats de Grand-Croix et de Roche-la-Molière, qui ne lui sont pas hostiles et la rejoindront d’ailleurs l’année suivante.
140Le mouvement explose en effet le lendemain de Noël, le 26 décembre 1899, à date fixée par le Comité Fédéral : « ... songez donc qu’il y a 15 longs mois qu’ils attendent... »301. Grève exemplaire, qui touche 25 exploitations ou Compagnies, que mènent, au plus fort, 12 853 mineurs et ouvriers du jour en entraînant le chômage forcé de 3 300 autres sur les 17 970 du bassin et, par manque de charbon, de 2 000 métallurgistes à Saint-Etienne et de plusieurs milliers d’autres à Lyon302. Les temps sont revenus de 1869, mais l’action s’achève, le 8 janvier 1900, sur une note plus riante : un arbitrage au sommet de Jaurès et de Grüner, secrétaire général du Comité des houillères de France, accorde hausse des salaires et baisse de la journée de travail. Gilbert Cotte et le Comité fédéral, par leur aptitude à mener sans incidents ou à discipliner un mouvement d’une telle ampleur, par leurs capacités de négociations – « ... leur grand esprit de modération... », dit le préfet – sont les grands vainqueurs du mouvement d’où sort, définitivement, le syndicat de masse dont avait rêvé Rondet une vingtaine d’années auparavant.
141En effet, partie de 1 954 adhérents à la fin de 1898, la Fédération départementale en avait 3 770 au moment où la grève s’est déclenchée ; elle en a plus de 5 500 à la fin de l’année 1900, 8 000 en 1901 et approchera les 10 000 en 1903303. Dans le bassin de La Mure, l’organisation syndicale, fort éprouvée après un dur conflit en 1895, – elle serait retombée à une quarantaine de membres en 1898-1899 – repart à l’exemple de la Loire, compte à nouveau 200 cotisants en 1900, 800 (et peut-être 1 100) entre 1901 et 1903. Dans la Loire comme en Mateysine, la baisse occasionnelle des effectifs dans les années suivantes ne mettra plus jamais en cause le caractère de masse de l’organisation syndicale. Quant au Comité fédéral de Saint-Etienne, il obtient de facto en août 1900 la reconnaissance que lui avait refusée l’arbitrage Jaurès-Grüner, quand Gilbert Cotte est reçu par les Compagnies en sa seule qualité de secrétaire fédéral304. Il est vrai qu’entre-temps, il avait, enfin, bouté Michel Rondet hors de la direction nationale, définitivement, et que le Congrès de Montceau-les-Mines l’avait désigné pour le remplacer305.
142Tour à tour, les tisseurs de la Fabrique et ceux du coton roannais, les mégissiers d’Annonay et les gantiers de Grenoble, les verriers de Rive-de-Gier et les robinettiers de Lyon, les drapiers de Vienne et les passementiers stéphanois ont bâti de puissantes organisations syndicales que vient couronner l’exceptionnelle réussite des mineurs de Saint-Etienne et d’ailleurs. Ils l’ont fait à travers des luttes collectives d’une ampleur et d’une dureté nouvelles, mais sur la lancée d’une action plus ancienne, issue des dernières années de l’Empire. D’elles sont parties presque toutes les initiatives de fédérations nationales, mais qui n’ont jamais débordé le cadre du métier. Ainsi, le syndicalisme marque fortement de son empreinte l’action collective de la classe ouvrière, pendant un quart de siècle au moins, et contraste avec la médiocrité des organisations politiques ouvrières, pâles images de l’émiettement national et, malgré des succès certains, jamais sorties du ghetto groupusculaire. Au-delà, l’inégalité de la réussite est révélatrice des grands traits de la sensibilité collective.
III. Les mots et les choses : naissance ou achèvement ?
143Plus que toute autre, l’histoire de la classe ouvrière s’avance masquée ; la nouveauté des mots – qui ont leur part de vérité – cache mal la permanence des choses ; mais, derrière la forme un peu extérieure des organisations qu’ils créent, la sensibilité des hommes s’accommode fort bien des contradictions de la pratique et du discours. Et celle-là, c’est d’abord l’action professionnelle, dont les mineurs paraissent fournir l’expression la plus achevée.
1. Trade-Union ou corporation ?
144Les organisations stéphanoises – et Michel Rondet, dont la marque profonde survit, même après les années 1900, à la perte d’influence – ont beaucoup contribué à définir les traits originaux du syndicalisme minier, depuis longtemps repérés et décrits306. Mais l’explication par les particularités de la corporation – qui sont certaines – est d’ordre tautologique. En réalité, les mineurs ont développé plus largement un certain type de syndicalisme qui paraît général dans la région lyonnaise jusqu’aux années 1890-1900.
A. Les conditions de la réussite
145Son premier trait est un certain refus pratique des idées générales, trop vagues et trop étrangères à une classe ouvrière qui refuse l’abstraction, même quand on se réclame d’un corps doctrinal. L’organisation se construit autour de quelques revendications pratiques, souvent fort anciennes, et chevillées à la corporation à laquelle on s’adresse. Ainsi, les statuts de la première chambre syndicale de la Loire ne comportent ni préambule, ni déclaration d’intentions. D’entrée de jeu, ils mettent en forme des demandes précises et concrètes307 pour des ouvriers liés fortement entre eux par « ... un sentiment obscur d’insécurité... »308 : salaires « ... conformes aux fatigues et... dangers inséparables... » du travail souterrain, journée de 8 heures effectives, « ... justice aux blessés et à la famille de celui qui aura été tué à la mine... », Conseil de prud’hommes particulier, Caisse générale de retraite et d’aide aux malades. Toutes ces questions étaient ressenties, chaque jour, depuis une dizaine d’années, et jusqu’à la décennie suivante, les Chambres syndicales qui naissent dans le bassin stéphanois ne font que reprendre ce catalogue309.
146Chez les mégissiers et chez les gantiers, c’est de la menace sur l’emploi par la multiplication du nombre des apprentis venus des campagnes que naissent les Chambres syndicales : celle d’Annonay, en sort directement, pour en faire « ... la première et la plus urgente préoccupation... » pendant une bonne décennie310 ; à Grenoble, c’est le même souci qui entraîne, dans les années 1890, la renaissance des organisations de la mégisserie et de la teinture des peaux ; chez les gantiers, il était déjà inscrit dans les statuts de la vieille société de prévoyance, en 1803311 ! ; et un peu plus tard, tout le débat tourne autour de l’ancien privilège des déchets de peaux qui leur sont traditionnellement attribués et que les patrons voudraient reprendre312. Les verriers désirent protéger une organisation du travail qui leur laisse la liberté d’initiative, et en même temps garantir un « tarif » pour une fabrication très variée ; enfin, c’est cette dernière revendication qui amène la naissance des grandes chambres syndicales de la Fabrique et la vague de la rubannerie stéphanoise à compter de 1895 : est-il utile de souligner la pérennité d’une demande pour laquelle ils avaient pris les armes en 1831 et qui avait inspiré tous leurs mouvements revendicatifs pendant plus d’un demi-siècle ?
147A partir de là, on dépasse très vite les cadres étroits de la ville et de la région : les incessants échanges géographiques de main-d’œuvre facilitent la tâche, et avec les hommes voyagent les idées et les institutions. Dès 1881, Michel Rondet présente son programme au 2e congrès ouvrier régional à Saint-Etienne, puis part pour le Nord et le Pas-de-Calais, quitte à négliger ce qui se passe à Saint-Etienne. A partir de 1890, toute l’action de G. Cotte et de ses amis tend à imposer une direction unique à des syndicats qui ont pris goût à l’indépendance ; et si, au lendemain de la grève de juin, certains d’entre eux refusent la ligne unique de la Fédération départementale, c’est au nom d’une unité plus large de la corporation : c’est un prétexte, mais il est significatif313. Ce qui rend dangereuse leur action... », note-t-on de G. Cotte et de ses amis en mai 1897, « ... c’est leur arrière-pensée... », c’est-à-dire, derrière la modération des demandes, « ... la constitution d’une forte fédération départementale... » qu’on reliera bientôt aux autres bassins houillers français ; ils veulent « syndiquer les mineurs en vue d’une action plus lointaine, mais évidemment plus générale, et partant plus dangereuse pour les compagnies... »314. On sait comment ils y parviennent dans les années 1900. Dans la verrerie, dès l’apparition de la Chambre syndicale de Saint-Etienne, en juillet 1878, on prend des contacts avec les usines de La Guillotière315 ; à peine installée, celle de Lyon, soutient, en décembre 1887, les grévistes de Montferrand, dans le Doubs, de Vierzon et de Souvigny – et l’on retrouve ainsi les étapes du nomadisme corporatif ; de mai à novembre 1888, on aide à la longue lutte des verriers de Givors, et un an plus tard, l’unité d’action est réalisée avec les Stéphanois316. On sait le rôle d’Annonay dans le rassemblement des mégissiers, la vocation unitaire des syndicats successifs de la Fabrique ; de l’Union des tisseurs de Vienne ; de la Ligue pour le relèvement des salaires à Saint-Etienne, qui, pour la première fois, réussit à mordre sur la rubannerie des campagnes317.
148Sur place, le succès fait qu’en plusieurs occasions, malgré la médiocrité générale du niveau de syndicalisation on parvient à rassembler la grande majorité des travailleurs, quand ce n’est pas leur totalité. A Lyon en 1888, « tous les fondeurs robinettiers sont syndiqués... » ; même si ce n’est pas le cas, tous sont remarquablement soumis à la discipline de leur organisation318. Celle des mégissiers d’Annonay est en situation de monopole, ou presque, dès 1881, avec 1 043 cotisants sur 1 200 ouvriers, et elle la retrouve bientôt, pour plus de dix ans ; chez les palissonneurs, la situation est identique et à Grenoble en 1896-1897, le taux est de 75 % – 105 sur 140 –, et encore plus élevé dans les autres spécialités du cuir – 180 sur 200319. Les gantiers ne sont en 1894 que 800 à cotiser sur 3 500, mais tous les autres sont prêts à suivre un éventuel mot d’ordre320. En 1887, le syndicat des verriers a plus de la moitié des 1 000 travailleurs des usines lyonnaises, et, en 1894, à Rive-de-Gier, 1 100 sur les 1 600 du groupe, avec une très forte influence sur la totalité de la corporation, pour ne pas parler de pouvoir exclusif321. Si le premier syndicat n’avait réuni que 1 100 membres, avec 3 400 personnes autour de 1900, l’Union des tisseurs rassemble environ 80 % des travailleurs de la draperie viennoise322, et sans qu’on puisse arriver à plus de précision, les syndicats de la Fabrique paraissent, en 1885, contrôler la totalité des chefs d’atelier et des compagnons lyonnais323 ; tout comme la Ligue stéphanoise qui aurait à son épogée plus de 10 000 membres324. Enfin, les 10 000 mineurs du Comité fédéral de la Loire représentent plus de 50 % de la totalité de l’emploi dans le bassin vers 1900-1902.
B. L’organisation du travail
149Les grands syndicats de métier peuvent donc entreprendre, avec succès, une pression collective et mettre au moins momentanément les patrons à leur botte. Une fois leurs revendications satisfaites, ils en surveillent l’application avec soin, empiétant largement sur la marche des entreprises : en 1885, à Lyon, les délégués de l’Union des tisseurs se tiennent à l’arrivée des voitures à cheval et à la gare pour vérifier, sur les livres de compte, si le tarif est respecté, et on a des plantons devant chaque magasin325. La multiplicité des conflits du travail chez les tisseurs de Roanne et de la région, chez les mégissiers d’Annonay et de Grenoble prouve la vigilance des chambres syndicales.
150Dans la verrerie, c’est un véritable pouvoir parallèle qui s’établit : à Lyon en 1887, chaque usine est dotée d’un « ... conseil élu chargé de trancher contradictoirement les différends qui pourraient surgir entre ouvriers et patrons...326 ; à la verrerie Dupuis, le syndicat « ... s’immisce à tout instant dans la discipline intérieure et (enlève) toute autorité au patron... » ; pendant 4 ans, les maîtres-verriers doivent se soumettre, et il semble que l’organisation ouvrière, encore incertaine de son action, entérine, de son propre aveu, tous les abus d’adhérents encore mal disciplinés327. Six ans plus tard, le système s’est encore perfectionné à Rive-de-Gier : « ... toutes les verreries... sont sous la domination absolue du syndicat... (qui) dispose des « places »... et prononce des peines disciplinaires... ». Les locaux et le travail sont étroitement surveillés par les « syndics » qui fixent les normes de production et par lesquels passent obligatoirement toutes les relations avec la maîtrise ou « les bureaux »328 ; mieux, ils désignent ceux « ... qui (doivent obtenir) une augmentation de salaires... »329.
151Enfin, sans prendre une forme aussi achevée – loin de là – l’arbitrage Jaurès-Grüner qui précède la reconnaissance du Comité fédéral des mineurs et qui règle l’ensemble de leurs rapports avec les compagnies est une véritable convention collective avant la lettre ; il marque, lui aussi, le souci de dresser le travail organisé face au capital organisé330 ; depuis longtemps d’ailleurs, le syndicat des mineurs exerçait sa propre surveillance dans le domaine essentiel de la sécurité331.
152Le corollaire est, logiquement, le monopole syndical de l’emploi. A Saint-Etienne, la Chambre syndicale des ouvriers et ouvrières passementiers le réalise en 1880, puisqu’elle passe un contrat d’exclusivité avec les chefs d’atelier332 ; dans le même temps, les veloutiers lyonnais retrouvent ce qu’ils avaient imposé en 1871, chaque patron ne devant « ... occuper un ouvrier qu’après s’être assuré qu’il est en « série » et qu’il fait ses versements... »333 ; en mai 1891, ce sont même les tisseurs de soie de Charlieu qui se mettent en grève pour exiger « ... le renvoi d’un ouvrier non syndiqué »334.
153Dans les verreries, à Lyon, au lendemain de la longue grève d’avril 1886, on fait pendant 2 mois la chasse aux renégats, les « gaulois » ; seuls demeurent ceux qui obtiennent l’amnistie syndicale335 ; et à Oullins, on somme le patron Janvier d’avoir à renvoyer « … tout ouvrier non syndiqué sans délai... » avant de l’inviter, s’il désire embaucher quelqu’un, à « ... s’adresser directement au syndicat... »336 ; à Givors, à Rive-de-Gier, l’adhésion est, en pratique, obligatoire, et la longue grève chez Richarme, en avril 1894, a pour prétexte l’arrivée d’un ouvrier non affilié ; non content d’exercer « … une pression très vive » pour forcer l’adhésion, le syndicat y impose des « promotions » et des « rétrogradations »337.
154Enfin, la pratique, et le succès, sont encore plus nets et plus durables chez les ouvriers du cuir : à Grenoble, d’abord, où deux grèves, en 1896, imposent le renvoi des teinturiers en peaux non syndiqués, et où, en 1902, la plupart des patrons ont accepté le monopole338 ; à Annonay surtout où l’emprise est totale : en 1899, « ... les propriétaires des différentes usines... savent qu’en... employant chez eux (ceux que le syndicat a mis à l’index), ils s’exposent à se voir abandonner par tous leurs ouvriers, ne veulent pas se compromettre et refusent de (les) prendre dans leurs ateliers... ». La réussite annonéenne est d’ailleurs exceptionnelle, et a fini par obtenir, en outre, une garantie à peu près totale de l’emploi339.
155La dernière étape est franchie avec la mainmise sur l’apprentissage. A Roanne, en 1894, les « pareurs » de coton imposent aux fabricants de « … ne former aucun apprenti sans accord du syndicat... »340 ; les veloutiers de Lyon refusent d’initier à leur spécialité d’autres syndiqués en chômage, et font sécession341. Et chez les mégissiers et les gantiers, la pratique dégénère en fermeture totale du métier, fondé sur la seule hérédité. Le syndicat d’Annonay est, dès ses débuts, constitué en corporation, et il ressuscite le vieux droit de bienvenue : si le fils d’un mégissier ne paie que 20 francs de droit d’entrée, c’est 50 francs que l’on exige des autres et même 200 francs des jeunes campagnards. En 1894, on va plus loin : l’organisation est interdite à tout individu né hors des limites de l’octroi si son père n’est lui-même mégissier ; et à plusieurs reprises on fait entériner par les patrons342. A Grenoble, en 1899, on obtient la limitation du nombre des apprentis à 10 % de l’effectif total, demandée depuis 1893, et le syndicat fait de l’hérédité une revendication essentielle depuis 189 1343 ; chez les gantiers, on a refusé de supprimer, en 1878, la « bienvenue » pour ceux qui ne sont pas nés dans la profession344. Chez les verriers, il existe au moins des tendances analogues pour maintenir les manœuvres en tutelle345. Enfin, la tentation demeure de prendre directement en mains la production.
C. Prendre l’outil
156Sans doute la coopérative de production346 n’est-elle plus considérée comme la pierre angulaire de la société future. Mais l’idée reste présente ; elle demeure un moyen d’affranchissement dont on débat dans les congrès ouvriers, pour tenter de lui donner un nouveau sens. Pour les uns, elle est un moyen de « devenir possesseur de l’outil... »347, voire le « ... seul pour s’emparer de l’outillage mécanique... », pour d’autres, elle est, tout simplement, un instrument financier des syndicats « ... chacun (y) travaillant à tour de rôle... » et les bénéfices étant « … laissés en commun pour aider un autre syndicat... »348, voire un établissement annexe pour permettre aux responsables de gagner leur vie sans s’exposer à la répression patronale349. Quelle qu’en soit la conception, nombre de chambres syndicales y consacrent une large partie de leurs efforts, quand elles ne finissent pas par s’identifier totalement à leur création. Les coopératives de production naissent aussi bien dans les vieux métiers, où elles sont de tradition, qu’à l’initiative des nouvelles fédérations syndicales de la grande industrie.
157Livre et bâtiment constituent toujours les secteurs de prédilection de la production ouvrière ; simplement, désormais, les initiatives viennent des chambres syndicales. Ainsi celle de Privas rachète-t-elle, en 1880, le matériel d’un journal défunt, Le Réveil de l’Ardèche, pour équiper une « Imprimerie coopérative »350. A Lyon, c’est au lendemain d’une grève partielle qu’on fonde, en 1882, grâce à l’aide de la Fédération du Livre, une « Imprimerie nouvelle lyonnaise », alors que l’Association typographique de 1864 va toujours bon train, et une troisième organisation achète en 1897 les machines de La France libre, un périodique catholique en difficulté351. Dans le bâtiment, c’est la commission de grève des charpentiers de Chambéry qui fait savoir, en 1882, à « ... MM. les propriétaires qu’elle se propose d’entreprendre les travaux... à des prix très modérés... »352. On sait qu’à Lyon, en 1884, le syndicat des maçons prend l’adjudication du comblement des fossés, et son « Association lyonnaise » continue en 1893, avec l’entretien des fortifications, en 1895 par la construction des nouveaux groupes scolaires, avant de disparaître en 1899 ; sans empêcher pour cela deux autres tentatives, moins heureuses, entre 1889 et 1895, puis en 1896353.
158Mais, en pratique, tous les secteurs sont atteints, ceux de la petite entreprise comme ceux de l’usine. Chez les carriers de Saint-Restitut, dans la Drôme, le principe de la coopérative de production est inscrit en 1881 dans les statuts du syndicat, et il le reprend en 1893 quand il se réorganise354 ; en 1898, une « Union des tailleurs de pierre de Parmilieu » connaît un certain succès en Dauphiné355 et depuis 1880 fonctionne une « Société anonyme » de ceux de Villebois, qui a son siège à Lyon356. Ici, ce sont les ouvriers du vêtement, comme les coupeurs de chaussures de Lyon, en 1896 : leur « Fraternelle » sort directement du syndicat357, ou les boutonniers de Grenoble, en 1903358. Là, surtout, ceux de la grande industrie dispersée : les « travailleurs réunis (du) peigne » à Oyonnax en 1886359 ; les gantiers de « La Ruche », organisme mort-né, en 1897, de la Chambre syndicale de Grenoble360 ; les passementiers de la « Compagnie rubanière de Saint-Etienne » (1881-1882) et les canuts de « L’Emancipation des tisseurs de Lyon » (1885-1888)361.
159On n’hésite même pas là où la prédominance de la grande entreprise rend le projet bien plus aléatoire. « L’Association pour la fabrication des draps » rencontre à Vienne un vif succès quand elle se crée en 1879 : en quelques jours, les tisseurs souscrivent pour 1 306 de ses 1 600 actions, et on doit y employer les ouvriers trop âgés pour s’adapter aux métiers mécaniques ; en 1899, elle est toujours en activité362. Et chez les tanneurs-corroyeurs de Lyon, une « association coopérative » a pris en charge la totalité du travail de deux grands ateliers, en 1871, selon une formule originale : le patron lui attribue, globalement, la masse salariale, qu’elle répartit entre ses membres ; elle fonctionne jusqu’en 1897, alors qu’une « Association ouvrière » réussit à subsister quelques années, à partir de 1894, sous les auspices du syndicat. A Grenoble aussi, deux tentatives ont lieu, en 1874 et en 1879, avec moins de bonheur cependant que l’« Association des ouvriers teinturiers en peaux », née en 1871, et qui ne disparaît qu’en 1891363. Depuis 1894 fonctionne une Fédération régionale dotée d’une banque, à l’initiative stéphanoise – la Loire compte alors 7 coopératives de production, dont 5 au chef-lieu – et dont le siège est fixé à Lyon364. Enfin, chez les verriers et chez les mineurs, les créations prennent un relief exceptionnel par l’ampleur de l’engagement syndical et de la mobilisation psychologique qui les entoure.
160Chez les mineurs, un premier essai avait été tenté en 1868, dans la petite commune de Cellieu ; mais la « Compagnie nouvelle du Ban » était née d’initiatives individuelles, hors de tout projet collectif, et elle disparaît en 1880365. La création de la « Mine aux Mineurs » de Rive-de-Gier, en septembre 1886, a de toutes autres ambitions : c’est le Syndicat ouvrier qui prend en main, comme tel, une douzaine de concessions abandonnées ; il y emploie ses militants, jusqu’en mai 1889, où le Tribunal de Saint-Etienne l’oblige à constituer une « Société civile anonyme des mineurs du Gier »366. Très vite, le conflit éclate entre les deux organisations : les 71 coopérateurs titulaires ferment l’emploi en refusant de nouvelles admissions. Dès les premières années, les pertes financières sont considérables, malgré diverses aides extérieures ; l’échec est inévitable, et, en 1898, les derniers associés – ils ne sont plus que 38 – vendent leur part ; entre temps, la Chambre syndicale s’était obstinée dans une autre expérience de gestion directe sur 2 concessions abandonnées, avec le même manque de réussite. Au total, l’expérience se révélait désastreuse et avait contribué à briser la Chambre syndicale, divisée et totalement accaparée par les insolubles problèmes de gestion.367.
161Pourtant, depuis 1891, c’est à la Chambre syndicale des mineurs de la Loire de s’être lancée dans une entreprise semblable, avec plus d’ambitions encore. En mai, elle achète les installations de la Compagnie de Monthieux, à Saint-Etienne, par l’intermédiaire d’une Société civile où siègent quelques uns de ses principaux dirigeants, comme Calixte Plotton et Théophile Exbrayat. On recueille les fonds nécessaires par souscription, le baron de Rochetaillée renonce à la redevance tréfoncière, Le Petit Journal et une subvention officielle permettent de constituer un fonds de roulement de 50 000 francs. Malgré un parrainage mêlé, la « Mine aux Mineurs » de Monthieux se veut une institution syndicale, et on l’inaugure en grande pompe le 4 décembre 1891368.
162Presqu’aussitôt, ce qui était arrivé à Rive-de-Gier se reproduit à Saint-Etienne. Dès janvier 1892, Conseil d’Administration et Chambre syndicale se heurtent sur la conception du règlement, malgré l’arbitrage de la Bourse du Travail. Le conflit dure près de 18 mois, émaillé d’incidents et d’exclusions réciproques, et même d’une intervention policière quand le manque de sécurité fait stopper les travaux en juillet 1892 ; à plusieurs reprises, la paie ne peut être versée, l’ingénieur en chef s’en va, la situation financière est difficile après un seul semestre de gestion. L’histoire des années suivantes est celle d’un débat perpétuellement renouvelé ; le « Conseil d’administration » s’émancipe de plus en plus ; en 1894, il refuse d’admettre de nouveaux sociétaires, en dépit d’une clause formelle des statuts, et imagine une distinction entre « sociétaires » et « auxiliaires » qui sont de simples salariés369 ; en 1901, on en compte respectivement 62 et 350 : l’antagonisme entre eux est devenu aussi vif que dans n’importe quelle entreprise patronale, en 1892, il n’éclate pas moins de 2 grèves à la « Mine aux Mineurs » !370
163Le conflit se poursuivra jusqu’en 1902, après que l’affaire ait été portée devant la justice. La Chambre syndicale réussira alors à lui imposer un Comité de contrôle, après l’exclusion des administrateurs. Mais sa victoire interviendra pour consacrer l’échec de l’entreprise, « … l’exploitation (ayant été) conduite dans des conditions déplorables... », « ... le désordre et l’indiscipline (régnant) partout... »371. Quand après quelques années d’existence précaire, l’affaire sera mise en liquidation par le Tribunal de Commerce de Saint-Etienne, en mars 1909, les installations, vétustes et mal entretenues, ne trouveront pas d’acquéreurs ; et il n’y aura que 40 mineurs à licencier, là où il y en avait eu près de 200 entre 1894 et 1898, quand prendra fin « … cet intéressant mais malheureux essai de socialisation... »372. A noter enfin que d’autres projets avaient été élaborés, à Saint-Chamond en 1888, à Saint-Jean-Bonnefonds en 1891 où la nouvelle Chambre syndicale avait été créée dans ce seul but ; s’ils n’avaient pas été suivis d’effets, ils témoignent pourtant du succès de l’idée373.
164Les syndicats de la verrerie lui donnent encore plus d’importance, et ils y rencontrent, pour un temps, un succès certain. C’est à Lyon que le premier projet apparaît, en juin 1886, alors qu’une grève dure depuis 3 mois dans les usines de La Guillotière ; on parle de Société civile, de subvention gouvernementale, mais on s’en tient là374. Puis il réapparaît en mai 1891, au lendemain du lock-out des patrons lyonnais : on demande alors la remise des usines aux ouvriers « … qui les exploiteraient pour leur compte, avec l’aide de l’Etat et de la municipalité... » et l’on se réfère explicitement à l’action des mineurs de Rive-de-Gier375. Finalement, une vingtaine de militants se transportent à Saint-Etienne, louent une usine désaffectée, rue Tréfilerie et grâce à quelques subsides syndicaux, fondent l’« Association de la verrerie stéphanoise », au capital de 40 000 francs en 500 actions de 80 francs. Conduite par des gens avisés, comme Baptiste Roche, tous des anciens de La Mouche, elle progresse rapidement, sous l’étroite tutelle de la Chambre syndicale avec laquelle, en pratique, elle se confond376.
165Son succès paraît servir de modèle aux verriers de Rive-de-Gier, où une première tentative infructueuse aurait eu lieu en 1883-1885377. De mars 1894 à janvier 1895, c’est la grande grève de l’usine Richarme, et surtout l’échec final qui jette 1 061 ouvriers sur le pavé. La Chambre syndicale et la Fédération nationale décident alors d’acheter 375 des 600 actions de la Société des Verreries réunies de la Loire dont 3 gros détenteurs veulent se débarrasser. Ph. Clausse, E. Rey et P. Vinay sont soutenus et conseillés par Viviani, l’avocat de la Fédération, et Charpentier, député de la Loire. Si les titres sont acquis à crédit, un emprunt obligataire permet de constituer le fond de roulement ; le syndicat crée une société civile pour mener l’affaire en son nom, puisqu’elle est dirigée par onze de ses militants, dont E. Rey et P. Vinay, à titre de représentants officiels de la Fédération nationale ; et celle-ci impose une contribution supplémentaire à tous ses cotisants pour soutenir la « verrerie aux verriers » dont la mise en route permet d’employer 450 adhérents, presque tous renvoyés par Richarme378.
166Mais les difficultés apparaissent aussitôt, moins des dissensions internes que du manque de moyens financiers et de l’inexpérience de la gestion. L’argent de l’emprunt et de la contribution fédérale rentre mal, l’usine est encombrée de stocks qu’une tournée d’E. Rey dans le Nord ne parvient pas à résorber. Dès janvier 1895, il faut repousser la paye de quinzaine ; les traites ne sont pas honorées ; il faut prévoir une retenue d’un dixième sur les salaires si l’on veut faire face aux futures échéances. Un instant, on songe à se transformer en coopérative de production, afin d’avoir droit aux subventions gouvernementales, et une mission est envoyée aux députés socialistes et à Henri Roche fort. En vain ; en septembre 1895, il faut procéder à une compression de personnel, les ouvriers grondent ; en novembre, ils sont payés avec des bons pour les fournisseurs de la ville : « ... c’est la crise définitive... à la veille de sombrer... ». De fait, le bilan est déposé en juillet 1896 : une seule année de gestion syndicale a entraîné plus de 100 000 francs de perte, et en septembre, quand les comptes sont arrêtés, elle atteint 304 000 francs. Un syndic de faillite gère l’affaire et loue les fours aux patrons ripagériens qui les acquièrent quand la société est liquidée en 1899379.
167L’entreprise sera pourtant reprise en novembre 1901, quand une dizaine d’ouvriers prendront en charge une petite usine dans le quartier des Vernes. Organisée en coopérative, elle va prospérer sous la direction de P. Vinay, bientôt devenu maire de la ville ; en 1908, elle pourra acheter ses fours, et occupera 170 personnes en 1911. Mais elle n’est plus alors qu’une entreprise comme une autre, hors de toute affiliation syndicale, même si elle bénéficie de l’appui de la Fédération socialiste autonome de la Loire et d’Aristide Briand, dont P. Vinay est l’ami380. Quant à la verrerie stéphanoise de la rue Tréfilerie, elle est partie depuis 1897 à Vénissieux, où l’ont prise en mains certains des militants de 1886. Enfin, une « Société anonyme des verreries de La Ricamarie », créée par d’autres anciens grévistes de Richarme en 1895 a dû renoncer, malgré l’aide de la municipalité, dès 1898381.
168Les grandes organisations de métier épanouies après 1875 empruntent donc ainsi les directions prises, avant elles, par des secteurs ou des métiers partis de plus loin. On est tenté de n’y voir qu’une résurgence de l’esprit corporatif, et d’autres preuves ne manqueraient point, comme les conditions d’honorabilité qu’exigent certaines Chambres syndicales. Mais, en même temps, l’organisation des travailleurs se fait en s’opposant au patronat ; il s’agit donc bien, aussi, d’un syndicalisme, mais d’un syndicalisme de métiers, fait pour ceux qui détiennent un certain savoir technologique, comparable aux trades-unions britaniques. Or, la classe ouvrière qui les construit est, en même temps, celle qui applaudit Louise Michel.
2. La Révolution et la République
169Car le partage entre l’organisation syndicale et l’expression politique est, largement, de pure commodité. L’unité des comportements est profonde, et les militants sont souvent les mêmes : l’apparente contradiction tombe, car la classe ouvrière fonde son action moins sur la réflexion doctrinale que sur les réflexes d’une sensibilité collective écartelée entre l’intégration de chaque jour et l’espérance révolutionnaire ; et nul n’incarne mieux celle-ci que les anarchistes.
A. Les anarchistes : un moment de la sensibilité collective
170L’idée est souvent tenace, pour les anarchistes, d’un recrutement en partie étranger à la classe ouvrière, en tout cas fortement marginal, dans les secteurs de l’artisanat ou du travail à domicile demeurés à l’écart du développement de la grande industrie.
171Elle n’est pas totalement fausse : quelques uns des plus célèbres compagnons de la région lyonnaise sont cordonniers, comme P. Sanlaville, de Lyon, Etienne Faure, de Saint-Etienne, ou serruriers, comme J. Bernard. Parmi les 16 militants du « Drapeau rouge » lyonnais de 1881, on compte bien, encore une fois, 2 cordonniers et 2 tailleurs ; mais aussi 7 tisseurs et 2 teinturiers382. Et parmi les 43 condamnés lyonnais du procès de 1883383, à côté des 10 travailleurs du bâtiment, il n’est pas moins de 10 ouvriers de la Fabrique, dont Toussaint Bordât, L. Champalle et A. Cyvoct, pour ne citer que les plus connus, et 8 métallurgistes ; de même, chez les Stéphanois, si J.B. Ricard est typographe, Régis Faure est passementier ; Pierre Martin est tisseur de drap, comme Jacques Zuida et Louis Genet, ses co-inculpés, Victor Fages et Izoard, autres responsables du groupe de Vienne. Et à Rive-de-Gier, en 1882, des 3 compagnons fichés, il est 2 verriers et 1 mineur384.
172Dix et quinze ans plus tard, la répartition des compagnons de la région stéphanoise secoue de même manière quelques idées reçues385 :
PROFESSION DES ANARCHISTES DE LA RÉGION STÉPHANOISE, 1892-1895

alors qu’à Lyon, la répartition professionnelle des 43 anarchistes arrêtés à la veille du 1er mai 1892 est plus traditionnelle386 :
PROFESSION DES ANARCHISTES ARRÊTÉS A LYON EN A VRIL 1892

173En ville en effet, on retrouve l’éternel cordonnier au quart, et le nombre attendu des marchands de journaux et de colporteurs, présents aussi à Saint-Etienne – 5 sur les 18 de la rubrique « divers ». Mais, en dehors d’eux, le partage correspond assez bien, surtout dans le bassin stéphanois, à celui des industries locales, où les secteurs nouveaux – mines, métallurgie – organisés en grandes unités de production tiennent la place qui est logiquement la leur387. A partir de ces divers échantillons, il paraît donc que les compagnons se recrutent bel et bien dans les groupes majoritaires de la classe ouvrière ; et surtout que la classification adoptée, justement, au plan national, déforme totalement la perspective puisque, dans une bonne partie de la région lyonnaise, l’organisation artisanale du travail est – largement, et au moins jusqu’aux approches du siècle nouveau – la grande industrie. Enfin, faut-il ajouter que l’échoppe, la boutique ou l’éventaire de colporteur viennent souvent, chronologiquement, après le métier industriel, comme gage nécessaire de la liberté militante. Dix ans après le procès de 1883, Etienne Faure et Pierre Martin sont classés parmi les marchands de journaux ; et dans 2 cas au moins de modestes compagnons bugistes, le sens du changement professionnel est clair : l’ouvrier d’une grande tannerie lyonnaise se fait cordonnier à Trévoux après sa première condamnation politique, et le faïencier d’une usine ripagérienne devient tuilier en Bas-Dauphiné, puis à Montluel ; pour l’un comme pour l’autre, c’est le prix de la fidélité388.
174Enfin, les compagnons ne se tiennent pas systématiquement à l’écart de l’activité syndicale. En 1879, plusieurs d’entre eux participent à un premier essai d’organisation de la draperie viennoise389, et d’autres sont là, en 1895, quand le projet prend corps390. En mai 1884, ils sont à l’origine, à Saint-Etienne, du projet mort-né d’une « Union fédérative des mineurs révolutionnaires » qui s’étendrait ensuite aux métallurgistes391 ; en 1887, chez les chevriers mégissiers de Lyon, plusieurs d’entre eux auraient « ... une grande autorité sur le bureau syndical »392, et en 1889, ils constituent une fraction non négligeable chez les tisseurs de Roanne : quand Charles Fouilland revient en 1891 du Congrès international de Bruxelles, ils parviennent à lui faire voter un blâme pour y avoir refusé, avec la majorité, la participation des groupes anarchistes393. Leurs conceptions mêmes vont trop à l’encontre des tendances dominantes pour qu’ils puissent exercer une influence constante ou s’emparer de la direction des organisations. Mais ils y parviennent dans d’autres secteurs, comme le bâtiment, le meuble, ou la chaussure : en 1882, ils sont majoritaires chez les cordonniers de Lyon394 et chez les serruriers en 1890, fortement minoritaires chez les menuisiers395 et les charpentiers396. En février 1883, ils ont tenté de créer un syndicat scissionniste des ébénistes de Saint-Etienne397, et en 1894, c’est l’un d’eux que désignent les maçons de Rive-de-Gier pour les représenter au Congrès régional de Lyon398. Enfin, ils constituent leurs propres organisations, qui tentent de dépasser le cadre du métier : mais le « syndicat des hommes de peine » stéphanois, puis celui « des épingleurs » (1893)399, comme celui des « travailleurs réunis » de Lyon (1890) paraissent être de simples camouflages légaux ; et le Conseil local de Lyon refuse d’admettre celui-ci comme « ... simple doublure des autres corporations »400.
175Faut-il donc conclure, avec le sous-préfet de Vienne, en 1889, que « ... les ouvriers demeurent étrangers à (leurs) excitations... » ?401. « Etudiez la chimie ! » lançait le compagnon Tricot, de Roanne, en juin 1883 : il résume à l’avance nombre des interventions anarchistes402. Le conseil n’est pas suivi, du moins à l’échelle qu’eîles souhaitent ; car en dehors des attentats de Roanne et de l’explosion lyonnaise de l’Assommoir, il est tout de même, en une quinzaine d’années, un certain nombre d’incidents qui, sans qu’on en ait la preuve formelle, laissent deviner qu’une minorité au moins n’y est pas insensible : à la fin de 1884, la gendarmerie de la rue Sala saute, et des engins artisanaux sont posés, sans éclater, à la mairie de La Croix-Rousse et à l’église Saint-Pothin ; en décembre 1886, c’est une cartouche de poudre contre la verrerie Allouard, à La Mulatière ; en février 1887, c’est le palais de Justice qui est visé : deux bombes y font une dizaine de blessés403 ; en 1890, on soupçonne un certain Loerer d’avoir provoqué la catastrophe du puits Villeboeuf – il aurait d’ailleurs été indicateur de police404. En août 1894, un apprenti met le feu à la verrerie d’Oullins405, et dans la même année, sautent la fabrique de draps Rousset, de Vienne, et une usine de soieries de Vals-les-Bains : dans les deux cas, l’attentat suit des licenciements, et les coupables arrêtés, ne sont pas anarchistes ; ils n’en ont pas moins, par réflexe, fait appel à la « marmite »406.
176Car l’influence des anarchistes ne passe pas par l’organisation : elle est celle d’animateurs éphémères des moments aigus de l’agitation ouvrière. « Pour moi, il n’y a que la force brutale dans la rue qui pourra faire la Révolution... » : c’est Toussaint Bordat qui parle, en avril 1886, à un meeting de la Fédération lyonnaise des syndicats407. Les compagnons y descendent toutes les fois que la chose est possible, mais rarement seuls : la faiblesse de leurs troupes, la surveillance policière l’interdisent, sauf exception. Ce sont eux en effet qui encadrent les manifestations de chômeurs des années 1882-1884 ; à Saint-Etienne, à deux reprises au moins, ils mènent les cortèges d’ouvriers sans travail : en février 1884, ils marchent à la tête de 3 000 d’entre eux, et recommencent en août408. Puis c’est l’affaire du Premier Mai 1890, à Vienne, où Pierre Martin et Tennevin mènent l’assaut d’un magasin de drap, au lendemain d’un meeting de Louise Michel409 : « la manifestation du 1er Mai a montré qu’on n’obtenait rien quand on ne savait pas le prendre de vive force... », déclare devant ses juges P. Martin410. L’année suivante, c’est au tour des compagnons lyonnais de donner à la journée un caractère « … exclusivement révolutionnaire ». Des manifestations violentes éclatent aux quatre coins de la ville ; la cavalerie charge devant le cimetière de La Guillotière, à La Croix-Rousse, place Bellecour ; on se bat autour de la Bourse et, le soir, on tire au revolver sur les cuirassiers411. En 1893, on retrouve les compagnons dans tous les incidents qui éclatent à Lyon et ailleurs, selon un scénario qui va se répéter, chaque fois que l’occasion s’en présente : à la sortie des meetings, on dételle les tramways, on attaque la police, et le soir, on brise les carreaux des journaux de la bourgeoisie412. Et, bien sûr, la moindre grève est l’occasion de l’action directe. Ainsi se dégage une technique permanente de la prise en charge du mouvement, quel qu’il soit, pour le faire déborder et l’orienter : à la limite « ... il suffira d’une provocation insignifiante ou d’une femme renversée par un cheval pour que toute une population ouvrière se révolte et rende coup pour coup... »413. Et quel gréviste ne rêve, avec J. Bernard, en 1882, de « ... transformer la grève en révolution »414, quand quelques dizaines de cordonniers arrêtent le travail à Lyon ; ou « ... d’exproprier les verreries au nom de l’humanité... » comme un autre compagnon en fait l’invite aux verriers lyonnais, en 1891415.
177Les anarchistes sont aussi – et peut-être avant tout – les hommes du verbe416, en un temps où le meeting est le moment privilégié de la vie collective, celui d’une exceptionnelle rencontre entre une doctrine, un parti, ou mieux un homme, et la masse ouvrière un instant rassemblée. Le succès des tournées de Louise Michel est toujours considérable, même si ses « prédications semblent n’avoir aucun effet ni aucun résultat417... » : en 1897, c’est une marche triomphale qui la mène de Perrache au Peuple, où elle est solennellement reçue ; et, le soir, elle parle devant plus de 2 000 personnes418. Sébastien Faure fait salle comble dans la région stéphanoise en 1891 – 500 auditeurs le premier jour, 1 200 le dernier, et pas seulement des ouvriers – ; il revient avec un succès égal en 1895, et son éloquence mord si fort sur les militants que le P.O.F. roannais envisage aussitôt d’appeler J. Guesde ou P. Lafargue419. Vers eux, surtout vers la « bonne Louise » va la ferveur populaire qui s’attache aux martyrs de la cause ouvrière.
178Or, plus que les autres, les anarchistes paient tribut à la répression, le procès de 1883 a soulevé une très vive émotion dans la vallée de l’Ondaine, où les réunions se sont multipliées, effaçant, dans les faits, le clivage des écoles ; Kropotkine est fréquemment nommé président d’honneur des meetings, et les radicaux-socialistes eux-mêmes saluent en lui « le savant »420 ; à Roanne, c’est la mère de T. Bordât qui conduit un meeting du P.O.F., en présence de J. Brugnot, et on y applaudit le nom de Fournier, qui a tiré sur un patron421. Et dix ans plus tard, à Lyon, on note qu’une série de perquisitions ont rendu les compagnons « ... sympathiques (aux) socialistes »... et que « … dans les milieux ouvriers... (elles) ont produit une indignation fort profitable aux idées anarchiques... »422.
179Et le sang est encore frais des grandes heures du Quatrième Etat, qui conservent, dans la mémoire collective, les couleurs du massacre. Au souvenir d’une Commune de Paris encore proche se mêlent celui de la fusillade de La Ricamarie, en 1869, et ceux des journées lyonnaises de 1831 et de 1834. Plus que d’autres, les compagnons sont les mainteneurs de ce martyrologe : dans les années 1880, ce sont eux qui organisent le pélerinage vers le chemin creux de Brûlé423 ; et en 1891, quand ils veulent donner, selon leur expression, « un sens révolutionnaire » à la journée du Premier Mai, ils se rendront au cimetière de La Guillotière « ... sur les tombes des insurgés de 1831-1834, comme les Parisiens iront au Mur des fédérés et les Stéphanois sur les tombes des fusillés de Firminy et de La Ricamarie... »424. Ce langage de l’émotion, toutes les écoles socialistes le partagent et, avec elles, une grande partie de la classe ouvrière425 ; et l’on y est d’autant plus sensible qu’il est, aussi, celui de la revanche. La violence des mots guérit de la médiocrité quotidienne et d’une certaine impuissance chez ceux qui rêvent autant leur avenir qu’ils le préparent. Très caractéristique est le mouvement de psychose collective qui s’empare des Lyonnais à la veille du 1er Mai 1892, par ailleurs tout à fait calme. Une avalanche de lettres de menaces envahit la ville : toutes font référence à « l’hydre anarchiste », pour reprendre le titre d’un brûlot éphémère ; aucune ne sera suivie d’effet : le lendemain, on vote, et il n’est pas de direction commune. Si, parmi les destinataires, on trouve Augagneur – candidat à la mairie –, le président de la Cour d’Appel, l’archevêque et quelques supérieurs de couvents, tous les autres entrent dans la trilogie de la sujétion quotidienne : patrons et contremaîtres, concierges et propriétaires, commerçants et cafetiers. L’anarchie devient la force mystérieuse de la revanche sociale, avec toute la part d’irrationnel qui s’attache à la démarche426.
180De fait elle est, à sa manière, prophétique427 et se teinte d’accents messianiques où l’annonce des Temps se pare des apparences scientifiques d’une philosophie cyclique de l’Histoire. « Le mouvement de crise qui peut devenir mouvement révolutionnaire se produit au minimum tous les 10 ou 12 ans, et au maximum, tous les 15 ou 20 ans. Consultez l’histoire comme je l’ai fait et vous verrez que la Révolution est réglée comme un cadran d’horloge... J’en conclus que le mouvement révolutionnaire n’est pas si loin... » c’est Toussaint Bordat, en 1886428. Mais Gabriel Farjat ne parle pas autrement, un mois plus tard : « un cataclysme se produira infailliblement ; je souhaite que ce soit une révolution dont nous sortirons triomphants... La situation est mûre ; et ce qui le prouve, c’est que des mouvements révolutionnaires importants se sont produits dans des centres où jamais il n’a été fait de propagande révolutionnaire, tels qu’à Decazeville... »429 et en 1891 encore, J. Thozet, un guesdiste, d’affirmer « ... la révolution sociale est proche... »430 ; « ... il faut être prêts... », complétait T. Bordat.
181Cette communauté du cœur explique en partie que la rencontre se fasse plus souvent qu’il n’y peut paraître, sauf quand la dynamite parle trop fort, et notamment au moment de l’affaire Ravachol. Mais en mars 1883, à Vienne, anarchistes et collectivistes banquettent ensemble pour commémorer la Commune431 ; à Firminy, Jules Chalumeau, président de l’Union des socialistes stéphanois, tient meeting sous l’invocation de Louise Michel432 ; il semble d’ailleurs que la décantation ne soit pas toujours nette : à Vienne, la double affiliation demeure quelque temps ; à Rive-de-Gier, un compagnon est candidat aux municipales ; à Saint-Etienne, les passages sont incessants du « parti ouvrier » aux groupes anarchistes, dans les deux sens, au gré d’un dynamisme alterné, et les échanges s’étendent aux radicaux, dits « républicains-socialistes »433. Et en 1891, la « ... propagande anarchiste moissonne dans les rangs du « parti ouvrier » et fait des hésitants qui ne savent de quel côté pencher... »434. Sans doute y a-t-il, d’ici à là, bien des manières de vivre cette communauté : à Saint-Etienne et dans sa région, le « parti ouvrier » est d’autant plus accueillant à tous qu’il n’a qu’une doctrine fort lâche ; « … le mot « socialisme », déclare l’un de ses principaux dirigeants, Joannès Sagnol, veut dire, en philosophie, association de toutes les forces sociales en vue du bien-être général, communion d’intérêts, de sentiments... »435 . Mais la préparation du Premier Mai mêle aussi les groupes et les doctrines, même là où le guesdisme l’emporte ; en 1890 à Roanne, les réunions d’avril se tiennent séparément, mais les « Socialistes » constituent l’essentiel de l’auditoire des « Révoltés », et ils approuvent leurs résolutions ; le lendemain, un anarchiste est l’un des orateurs prévus au meeting du P.O.F.436. A Romans, en septembre 1892, la réunion est tenue en commun, pour accueillir, en même temps, P. Lafargue, Tennevin et P. Dumas437. Et, à Lyon, à partir de 1890, on retrouve unis dans les faits sinon dans les conceptions, anarchistes, guesdistes et blanquistes438. Enfin, l’existence d’une presse commune accroît l’unité, et la confusion : Le Peuple, qui succède à L’Action à compter du 14 mai 1892, se veut le quotidien de toutes les tendances du socialisme lyonnais : Anthelme Simond, son premier directeur, paraît tout ignorer du marxisme, et c’est Sébastien Faure qui lui succède en 1901439. Enfin, faut-il ajouter qu’il ne se tient pas, en 25 ans, une seule réunion sans que les compagnons ne soient présents, quelle que soit l’affiche politique ; et que la plupart du temps, ils parviennent à en obtenir la présidence440.
182Dès lors s’esquisse l’idée d’une sorte de complémentarité des diverses écoles révolutionnaires : « ... les anarchistes sont différents de nous, affirme Jules Ledin en 1893, mais ils ne sont pas des adversaires441 ». Il fait ainsi écho à Laurent Croizier et à Pierre Coupât, qui, en 1882, mettaient la cloison entre les « ... radicaux (dont) il faut se séparer à tout prix... ou bien chercher à les anéantir par la Révolution... », car ils « … sont les arrières (du parti républicain) et par suite font partie de ce milieu pourri qu’on appelle la bourgeoisie... », et les « ... collectivistes qui forment le gros de la troupe... dont les anarchistes sont l’avant-garde... »442. Mais aussi à Camélinat qui affirmait aux Lyonnais en 1886 que « ... les anarchistes ont leur raison d’être, car dans la société actuelle, il y a aussi les démolisseurs, pour faire place à de nouvelles constructions. S’(ils) sont sincères, ils seront peut-être les démolisseurs de la société actuelle... »443 .
183Les thèmes que développent les anarchistes correspondent donc trop à un sentiment profond des masses ouvrières pour que leur influence ne dépasse pas, largement, sous des formes multiples, la petite cohorte des compagnons. Mais les mots ont souvent le redoutable pouvoir de se substituer aux choses, et le discours de la violence est aussi une manière de purgation des passions. Car ces hommes et ces femmes qui vibrent à leur appel sont bien ceux-là mêmes qui mènent, à l’intérieur de leurs syndicats, une étroite action corporative.
B. Partis ouvriers et syndicats : les deux visages d’un seul projet
184Le politique n’est donc jamais absent des organisations syndicales. Simplement, il prend des aspects différents en se calquant sur la séparation géographique des socialismes, mais sans qu’il y ait jamais subordination d’une des formes d’aclion collective à l’autre ; même quand on l’affirme, comme chez les guesdistes.
185A Roanne ainsi, c’est le Syndicat des tisseurs qui constitue l’armature du P.O.F. ; il lui fournit quelques uns de ses principaux dirigeants444, comme Ch. Fouilland et E. Mayeux, on l’a vu : et en mai 1894, le commissaire spécial n’hésite pas à penser que le renouveau revendicatif du coton n’est qu’un moyen du « parti socialiste révolutionnaire » pour se ressaisir, et « ... mieux grouper ses forces... »445. Quand le tissage régional s’organise dans les années 1889-1891, les cantons ruraux, comme Belmont, basculent d’un coup de la « réaction » au socialisme, et l’on trouve partout des membres du P.O.F. aux commandes, à Charlieu, à Ecoches, à Thizy446 ; les syndicats deviennent « … les bataillons réguliers de l’armée socialiste... »447 et une fois les revendications salariales satisfaites, se consacrent au moins autant à l’action électorale et politique qu’à la lutte corporative nettement désamorcée. L’élection de Lachize à la Chambre des députés en est le premier résultat ; comme la participation massive à la journée du 1er Mai 1890, et les délégations aux pouvoirs publics, qui constituent le cheval de bataille du P.O.F. Quand le mouvement retombe, les groupes d’études sociales sortent directement des organisations syndicales448. Et, en 1898, les divers syndicats roannais participent aux côtés de l’agglomération du Parti au Congrès constitutif d’une Fédération socialiste de la Loire à laquelle celui des tisseurs adhère ès-qualités449.
186Mais on retrouve les guesdistes à Givors, où les deux organisations les plus actives, celles des chapeliers et des métallurgistes ne « ... paraissent s’occuper que de politique militante... »450 ; à Chambéry, où la plus dynamique, la Chambre syndicale de l’ameublement, est un doublet du groupe d’études sociales451. Dans l’Isère, en 1896, les socialistes l’emportent à l’Union syndicale des tisseurs de Vienne, et les premiers syndicats de cheminots grenoblois sont parmi les plus actifs agents électoraux d’Alexandre Zevaès452. A Lyon enfin, les militants du P.O.F., comme Louis Rocheron, sont, très tôt, au cœur des syndicats de la métallurgie, ceux du cuivre notamment, et exercent une forte influence sur ceux du bâtiment453 ; ils sont de toutes les tentatives pour rénover les syndicats du tissage454 et, après 1890, prennent l’initiative d’organiser les nouveaux secteurs de l’industrie lyonnaise, que ce soit le tissage mécanique455 ou l’apprêt et la teinture456 ; en 1896, avec Victor Darme, ils font le succès du syndicat des « conducteurs et cochers » de tramways, et réussissent à unifier les traminots quelques années plus tard457.
187Ici et là, ils se heurtent aux blanquistes, dans les syndicats du cuivre, chez les plâtriers-peintres458. Mais, à l’inverse, le Comité central révolutionnaire domine totalement le puissant syndicalisme des verriers, et c’est autour de ses militants que se construit, dans la région lyonnaise, la Fédération nationale. En 1888, d’ailleurs, c’est à Vaillant et Chauvière et au Comité parisien qu’on demande d’arbitrer un conflit du syndicat lyonnais459 ; Ph. Clausse, E. Rey, sont au moins autant connus pour leurs attaches politiques que pour leur action syndicale, et l’on sait qu’avec Constant Batho, un petit noyau blanquiste se transporte à Saint-Etienne avec la « verrerie aux verriers ». A Rive-de-Gier, le « Comité électoral socialiste » qui se manifeste en février 1895 est une simple émanation du syndicat des verriers qui « … sous les dehors d’une association professionnelle poursuit, avant tout, un but politique et révolutionnaire... »460.
188Parfois, l’union est étroite entre les deux principales tendances du socialisme révolutionnaire : ainsi la Fédération lyonnaise des syndicats apparaît-elle longtemps comme un prolongement commun. Sur G. Farjat, il est inutile d’insister ; la plupart de ses autres animateurs sont aussi, avant tout, des militants politiques. Laurent Drevet a été candidat aux législatives de 1885, et il est membre du P.O.F. ; Louis Rocheron est un homme d’une cinquantaine d’années et son expérience est déjà ancienne qui lui permet « … d’englober les problèmes de l’ensemble de la fédération... » : il a commandé une batterie d’artillerie pendant la Commune de Paris, et n’est rentré en France qu’à l’amnistie. Emmanuel Frobert, la quarantaine, « … s’occupe depuis longtemps de politique militante... » comme socialiste révolutionnaire. D’autre part, Etienne Bonnard a participé dès 1876 aux luttes électorales de l’extrême-gauche ; on sait qu’il est une des têtes du Comité central révolutionnaire, et il sera bientôt député de La Guillotière461. En 1891 encore, blanquistes et guesdistes se retrouvent pour s’opposer à la poussée des anarchistes, à la veille du Premier Mai462. C’est la tentative d’exclusivité du P.O.F. à la direction de la Bourse du Travail qui commence ensuite à les diviser, et leur séparation coïncide avec le déclin rapide de la Fédération des syndicats lyonnais, sans que leur rôle – celui des blanquistes surtout – s’arrête là463.
189Ailleurs, il est moins aisé de saisir les relations des Chambres syndicales et des groupes politiques, dans la mesure où ceux-ci ont des contours plus flous. La confusion n’en reste pas moins de règle, même là où elle n’apparaît pas de prime abord. On sait, à Annonay, les doubles fonctions de Joseph Pleinet. A Saint-Etienne, le groupe de « La Lutte des Classes » intervient dans tous les épisodes de la vie syndicale ; dès 1888, les adversaires de Rondet à la Fédération des mineurs sont en liaison avec les Roannais464 ; et le commissaire spécial estime même un instant que toute l’action de G. Cotte est inspirée par le P.O.F.465. De fait, on retrouve à ses côtés tous les amis de P. Soulageon, dont la tentative de rénover le « Parti ouvrier » se fait en parallèle de celle du syndicalisme minier ; lui-même est à l’origine de la Fédération du bâtiment, en 1894, et il en assume le secrétariat466. La même année, le nouveau syndicat des mineurs de Firminy fait ouvertement campagne aux législatives pour le candidat socialiste Souhet467 ; l’engagement de celui de la vallée du Gier est massif en faveur de Charpentier, député de la 3e circonscription, et il « ... ne distingue pas la politique de l’économique... »468. Simplement, la coloration est tout aussi imprécise que celle du socialisme stéphanois : mais la chambre des ouvriers passementiers et tisseurs est depuis 1884 adhérente au « Parti ouvrier »469 ; ses leaders Laurent Crozier et Jules Ledin assistent très étroitement Gilbert Cotte, et Le Réveil des Mineurs de 1890 a fait appel à la collaboration de toutes les écoles470 ; dans les dernières années du siècle, c’est sous l’impulsion de ses membres comme Tardy et Régis Faure que s’opère la mobilisation des rubanniers : très largement, la « Ligue pour le relèvement des salaires » est l’œuvre de Jules Ledin et de ses amis471. De fait, en 1892, la Bourse du Travail de Saint-Etienne avait écarté la distinction entre syndicat et groupe politique, sous l’influence conjuguée de P. Soulageon et de L. Croizier472. Simplement on a refusé, en 1890 comme en 1882, de choisir entre les écoles du socialisme dispersé473 ; et même, plus simplement, parmi les rameaux multiples du grand parti républicain.
190Car une fraction du mouvement syndical demeure pénétrée des idées radicales qui avaient entouré sa naissance. En 1886, au Congrès de fondation de la Fédération nationale des syndicats, à Lyon, on ne compte que 4 délégués guesdistes et 4 blanquistes contre 25 radicaux-socialistes et même 4 « opportunistes » – les autres étant classés sous le vocable commode de « révolutionnaires indépendants »474. La Chambre syndicale et l’Union des tisseurs de Lyon sont, à leur apogée des années 1880, totalement entre les mains des comités radicaux, et on insiste en 1890 sur la modération des conseillers prud’hommes qu’ils ont fait élire : dans la catégorie « soierie », 9 des 10 élus se rattachent à l’Alliance radicale socialiste, comme l’1 des 3 teinturiers et l’1 des 2 chapeliers et tailleurs475. Et Michel Rondet lui-même, conseiller municipal des « républicains socialistes » au côté du maire Girodet s’est toujours nettement séparé du « Parti ouvrier » stéphanois « ... composé des voleurs et de la racaille de Saint-Etienne... »476.
191La chaleur d’une invective électorale ne change pas la réalité : la séparation à droite n’est pas plus nette qu’elle ne l’est à gauche. La puissance des comités radicaux nés dans les dernières années de l’Empire ou au début d’une République incertaine, la tradition d’un combat partagé longtemps empêchent qu’il en soit autrement. A Lyon même, dans les années 1880, le « Comité central des Républicains radicaux du Rhône », né le 4 septembre 1870, aurait 150 groupes ; dont une trentaine à La Croix-Rousse, autant aux Brotteaux et à La Guillotière, recrutés dans « ... la classe laborieuse et honnête des petits commerçants, des artisans et des ouvriers... » Il leur doit son « … action politique puissante... », même s’il s’anime surtout en période électorale, au contraire du « Comité central d’Alliance Républicaine des radicaux-socialistes », dont l’action et la vie sont plus régulières ; né d’une dissidence, en 1879, il contrôle une cinquantaine de sections dans la ville, de 10 à 20 membres chacune477. Parmi elles, le « Cercle d’études sociales du 4e arrondissement », dirigé par le docteur Charles Jeantet, ancien conseiller municipal, accueille un certain nombre de blanquistes et même d’anarchistes.
192Et c’est des milieux radicaux que part, en 1882, l’initiative d’une vaste « Union fédérative des cercles socialistes et collectivistes du Rhône », destinée en fait à rassembler toute la gauche républicaine, et qui tient congrès à L’Arbresle, en juin 1883. Une seconde assemblée, à Neuville-sur-Saône, en mars 1885, marque la rupture et la naissance d’une « Union électorale des travailleurs socialistes » ; elle rassemble, jusqu’en 1888, toutes les écoles, blanquiste, guesdiste qui se prononcent pour la socialisation des moyens de production – le thème ayant été l’occasion de la séparation –, mais conserve des liaisons permanentes avec les deux courants du radicalisme ; celles-ci ne seront jamais rompues478. Et jusqu’en 1898, les groupes lyonnais de toutes obédiences pratiqueront la tactique de la « concentration » socialiste, voire républicaine, qui empêche d’apprécier l’audience exacte qu’ils rencontrent auprès de la classe ouvrière : l’élection de 4 députés, deux guesdistes F. Krauss à La Croix-Rousse (26 % des inscrits) et L. Palix dans les montagnes cotonnières du Beaujolais (39,4 %) – de fort pâles collectivistes d’ailleurs –, et, au 2e tour, des blanquistes E. Bonard (29 %, puis 44,7 %) et Florent (19,2, puis 44 %) à La Guillotière – est le résultat ou de l’abstention, ou du retrait des radicaux479 ; après vingt ans de propagande socialiste.
193Dans la Loire, la situation n’est pas différente : à Saint-Etienne, le « Cercle des républicains socialistes » créé en août a plus de membres, dans les années 1890, que le « parti ouvrier » et ses associations satellites occasionnelles : plus de 300 militants encadrent environ « ... 4 000 électeurs disciplinés... » derrière le maire Girodet. La confusion est d’autant plus grande qu’il se veut centre « ... de diffusion des idées socialistes... », et qu’il en serait effectivement, sous sa propre formulation, le foyer le plus actif480 ; et l’on sait son unité d’action permanente avec le « parti ouvrier », jusqu’au bout. A Roanne, bastion du guesdisme, c’est aux côtés des radicaux que l’on entre à la municipalité en 1888, avec eux qu’on est battu en 1892 ; avec leur aide qu’Augé l’emporte, dans la ville même, aux cantonales de 1895, bien que, rejeté par les communes rurales, il soit éliminé ; qu’il devient maire en 1896, qu’il sera député plus tard481 ; et grâce à leur retrait que Zevaès devient député de la seconde circonscription de Grenoble en 1898482.
3. Les élites qu’on se donne
194Personne n’incarne mieux que les militants de la région stéphanoise ce foisonnement de la conscience collective ; sa sensibilité et son esquisse d’analyse ; ses contradictions aussi : mais celles-ci ne seraient-elles pas synthèse instinctive, avec les moyens dont on dispose, des questions multiples que présentent à tout instant la vie et l’action quotidiennes ?483
A. Les leaders de la mine
195Les dirigeants du syndicalisme minier – plus simplement, des mineurs – constituent une première pléiade de qualité. Tous sont profondément enracinés dans le travail de la mine, et la plupart d’entre eux sont nés dans le bassin. Ceux qui viennent d’ailleurs ont souvent vu le jour dans des districts miniers : tels Gilbert Cotte lui-même, originaire de Commentry, arrivé à 31 ans, en octobre 1887, à Roche-la-Molière ; J. Escalier vient de Jaujac, en Ardèche, oû l’on exploite un petit gisement de plomb ; Casimir Bartuel, dont l’action se déploiera un peu plus tard, est né dans un village aveyronnais de la mouvance de Carmaux. Quelle que soit leur origine géographique, il est rare que leur émergence dans la vie militante ne soit pas précédée d’une longue expérience du travail souterrain. Romain Besson, un Ricamarien bon teint, a 47 ans quand il crée, en 1884, le syndicat du Gier ; Antoine Ottin en a 36 quand il remplace au secrétariat de la « Loire » Michel Rondet en 1889 ; Jean-Claude Rey, 43, quand il fonde l’organisation de Saint-Chamond, et Firmin Faure, 42, quand il prend la tête de celle de La Ricamarie. Antoine Forissier est un quadragénaire, lui aussi, quand il accède à des responsabilités syndicales, et Théophile Exbrayat a 36 ans quand il prend la tête de la Société de Secours mutuels. Les uns et les autres ont donc derrière eux au moins une vingtaine d’années de mine, et G. Cotte, qui n’a que 34 ans en 1890, fait en ce domaine figure d’exception.
196Cet enracinement, beaucoup le doivent aussi aux responsabilités techniques et corporatives qu’ils ont d’abord exercées. Presque tous ont commencé par devenir délégués mineurs à la sécurité, et ils conservent ces fonctions, comme Jean-Claude Rey, pour la circonscription de Saint-Chamond, Antoine Deculty à Grand-Croix, et Théophile Exbrayat, au Treuil, a été l’un des rédacteurs du rapport sur la catastrophe du puits Verpilleux. Les autres se sont occupés – et continuent de le faire –, des œuvres d’assistance, comme Antoine Forissier, fondateur et président de la très active société de secours mutuels de Roche-la-Molière, et on sait les débuts de Michel Rondet sous l’Empire. Sans doute la plupart d’entre eux doivent-ils quitter la mine quand leur rôle devient trop voyant ; mais il n’est point parmi eux de dirigeants étrangers à la corporation – comme c’est souvent le cas dans les années 1880 –, à l’exception de Jean-Pierre Eyraud, l’un des animateurs de Firminy en 1891, ancien métallurgiste aux Aciéries Holtzer, devenu tenancier d’un café-tabac au lendemain d’un accident du travail qui l’avait estropié. Carrières exemplaires, que celles d’Antoine Brioude, délégué mineur à Firminy, puis administrateur de la Caisse de retraites avant de devenir secrétaire syndical et d’accéder, après 1900, aux responsabilités départementales ; de Jean-Marie Chalançon, dont le cursus débute par les mêmes doubles fonctions, se poursuit dans la gestion de la « Mine aux Mineurs » de Monthieux, se termine à la direction fédérale, en passant par l’animation d’une coopérative d’épicerie.
197Or, ce sens du concret, chez des hommes qui conservent la poussière de charbon à leurs sabots ne signifie pas étroitesse des horizons. L’organisation précoce, ailleurs aussi, des ouvriers mineurs, la conscience aiguë d’une communauté de condition ouvrent pour eux, très tôt, des perspectives qui dépassent de loin les collines-frontières du bassin stéphanois, et même le cadre national. On sait que deux d’entre eux accèdent à la direction de l’ensemble des mineurs français – et un troisième, C. Bartuel, prendra leur suite un peu avant la guerre. Mais A. Ottin, un Italien venu à Saint-Etienne autour de la vingtième année, ami de M. Rondet, son successeur, un moment à la direction du syndicat « de la Loire », participe en 1890 au Congrès international de la Corporation à Jolimont, en Belgique ; en 1893, A. Philibert conduit à Paris la délégation qui remet aux pouvoirs publics les revendications de la Fédération nationale ; et B. Deculty et Théophile Exbrayat y sont allés, en 1891, rencontrer les délégués des mineurs étrangers. Presque tous, bien sûr, participent, à un moment ou à un autre, aux Congrès nationaux.
198Cette ouverture n’est pas exclusivement corporative. Si son action est autonome, parfois particulariste, le syndicalisme mineur n’est pas coupé des autres organisations ouvrières. Gilbert Cotte est – on le verra –, dans le temps même oû il ressuscite la Fédération départementale, le principal animateur de la Bourse du Travail de Saint-Etienne dans ses premières années. Et la plupart des responsables ne se tiennent pas à l’écart de la vie politique, bien au contraire : presque tous, à un moment ou à un autre, sollicitent un mandat électif et, en cas de succès, l’exercent parfois longtemps. Michel Rondet lui-même est conseiller d’arrondissement du Chambon-Feugerolles à compter de 1883, entre à la municipalité de Saint-Etienne en 1888 après s’être présenté aux législatives de 1885. Antoine Forissier est conseiller municipal de Roche-la-Molière depuis 1884, devient second adjoint en 1888, il est candidat aux cantonales de 1890. A. Philibert entre au conseil municipal de Firminy en 1888, quand Antoine Deculty échoue à Grand Croix où, un peu plus tard, Joanny Joubert deviendra premier adjoint. Pas d’anarchistes parmi eux, leur appartenance politique est fort éclectique, d’un radicalisme bon teint au socialisme à tonalité possibiliste du « parti ouvrier » stéphanois ; et quelques uns d’entre eux sont même classés, tout simplement, comme Jean-Claude Rey, Antoine Forissier, parmi les républicains modérés. Plus intéressantes encore sont les nuances, les demi-teintes, les hésitations à les classer : Antoine Deculty est « socialiste à idées très larges », Romain Besson, « vaguement collectiviste », J.P. Eyraud aurait eu quelque sympathie pour l’anarchisme avant de « devenir possibiliste », Calixte Plotton est passé du radicalisme au « parti ouvrier » ; Jean-Marie Chalancon est « mi-radical, mi-socialiste ». Donc, chez tous, une conscience très nette de la « chose politique », mais étrangère à toute construction théorique.
199Faut-il ajouter qu’à aucun moment, une documentation policière assez prompte au dénigrement ne fait de réserves sur les qualités des hommes, sur leurs vertus domestiques ou sur leur sincérité : sur la trentaine de dirigeants dont on peut reconstituer la carrière, un seul, J. Escalier, encourt des soupçons de ce genre ; or, sa réputation, dit-on, serait tout aussi suspecte chez les mineurs eux-mêmes, et il est caractéristique que ceux-ci associent aux désordres de sa vie privée, le soupçon de compromissions policières.
B. Quelques visages
200Cet archétype n’est pourtant pas propre au milieu minier ; dans la région stéphanoise des années 1875 à 1900 une douzaine de militants de premier plan incarnent cet esprit des années 1880, où l’on peut voir un moment privilégié de la conscience ouvrière, après l’incarnation des trois décennies précédentes, avant une mutation dont on verra plus loin l’importance. Pendant un quart de siècle, il n’est pas un seul épisode de la vie ouvrière de la région auquel l’un ou l’autre d’entre eux ne soit mêlé, sans jamais parvenir – à l’exception de Jules Ledin et de Jean Piger – aux premiers rôles politiques.
201Voici Hector Chalumeau, un ouvrier forgeur, qui vient de Nevers. En 1879, il est des premiers à organiser à la fois une chambre syndicale de la métallurgie et un groupe de travailleurs socialistes ; il est de la commission d’initiative du Congrès national de Saint-Etienne de 1882, soutient J. Guesde, mais ne le suit pas à Roanne, s’annonce réformiste en 1881, préside la campagne en faveur des anarchistes condamnés à Lyon en 1882, fréquente les guesdistes en 1883. En mars 1884, il est au premier rang des ouvriers sans travail, conduit leur délégation à la préfecture, se retrouve avec ceux qui dénoncent l’orientation de Michel Rondet ; pendant dix ans, il est de toutes les grèves, quelle que soit la corporation atteinte. En 1889, il participe à la création de la Bourse du Travail, devient son secrétaire général, refuse encore une fois de choisir en août 1890 entre les Congrès syndicaux rivaux de Calais et de Chatellerault, bien qu’on le dise allemaniste. C’est à lui que revient, en février 1892, de convoquer le premier congrès national des Bourses ; et peu de temps avant sa mort, en février 1893, il crée une chambre syndicale à Saint-Chamond.
202Laurent Crozier – ou Croizier –, est de la même trempe : il a appris le dessin sur étoffes, grâce à l’aide de parents adoptifs fortunés. Adolescent, il séjourne quelque temps à Lyon ; revenu à Saint-Etienne, il est avec H. Chalumeau dans le premier Cercle de l’Union des travailleurs, dès 1878, à 22 ans ; devient en 1882 secrétaire de la Fédération de l’Est de P. Coupat. Puis, il paraît séduit par le P.O.F., sans y adhérer, mais participe cependant à son Congrès de Roubaix, en 1884 : la violence de ses propos lui vaut, à son retour, 16 mois de prison ; pourtant, le voilà presqu’aussitôt auprès du maire radical Girodet, revenu au « parti ouvrier ». Puis au printemps 1888, il est auprès des tailleurs de limes en grève du Chambon-Feugerolles, chez les mineurs de la Compagnie de Villebœuf ; et on le retrouve dans l’agitation pacifiste. A partir de 1890, il proclame la nécessité pour le « parti ouvrier » de se séparer des radicaux, publie un moment un journal, L’Echo socialiste. De l’extérieur, il participe à la vie des syndicats de mineurs, va en fonder de nouveaux à Communay, dans l’Isère, et à Saint-Symphorien d’Ozon, accompagne G. Cotte au Congrès de la Fédération nationale et devient le principal rédacteur de leur journal, Le Réveil des Mineurs. On le retrouve à la Bourse du Travail de Saint-Etienne, on trouve trace de lui à Roanne, à Rive-de-Gier, à La Mure, à Saint-Chamond, à Chazelles, et il est l’un des animateurs de la Libre-pensée régionale !
203Jean-Louis Ranvier est un ouvrier maçon ; il vient du bassin de Blanzy, milite aussi dès 1880, soutient J. Guesde en 1882, ne le suit pas, accueille les années suivantes au local du syndicat des maçons, qu’il dirige, les anarchistes de Saint-Etienne. En 1885, il est candidat aux municipales, avec Girodet, puis aux législatives, où il échoue. Lui aussi est de la première équipe de la Bourse, réorganise les maçons, mène victorieusement leur grève en 1895 ; et se retrouve avec ceux qui tentent de tirer vers la gauche le « parti ouvrier ». Tardy, un passementier, est venu à l’action vers 1876, puis a nomadisé dans toute la région jusqu’en 1884. En 1886, revenu à Saint-Etienne, il est radical ; membre du « parti ouvrier » en 1889, tout en dirigeant plusieurs délégations à Paris pour informer les pouvoirs publics du malaise de la rubannerie, conduit plusieurs grèves, s’agrège au groupe de Jules Ledin en 1892 mais en 1895, il est avec P. Soulageon et les « marxistes ». Gustave Simonnet, lui, travaille comme chaudronnier, milite à la Fédération de l’Est possibiliste, puis au « parti ouvrier » stéphanois, devient conseiller municipal en 1882, participe à une demi-douzaine de congrès les années suivantes. Puis, en 1892, il passe au radicalisme, est élu au Conseil d’arrondissement, qu’il préside. Il est, en même temps secrétaire de la Fédération départementale de la métallurgie, président d’une société de secours mutuels, avant d’animer en 1895 l’agitation dans les établissements militaires de l’Etat, où il dirige la caisse nationale de retraites.
204Joannès Sagnol est un rubannier, autodidacte, un instant secrétaire de Benoit-Malon, il vit dans le Midi jusqu’en 1884, d’où il rentre au pays natal. Il devient aussitôt un des membres les plus en vue du « parti ouvrier », consacre l’essentiel de son temps à l’action anti-belliciste. Il est pourtant jugé modéré, entre au conseil municipal, remplace L. Crozier au Réveil des Mineurs, devient le bras droit de Jules Ledin. Jean Piger suit une démarche analogue, mais rejoint ensuite les éléments extrémistes de « La Lutte des Classes ». Pierre Vinay enfin, le verrier, est du premier noyau socialiste du bassin, puis fait revivre la Chambre syndicale de sa corporation à Rive-de-Gier ; il est de tous les combats jusqu’aux approches du siècle nouveau, se fait l’âme de la « Verrerie aux Verriers » de 1895 et dirige le cercle d’études sociales local.
205On pourrait multiplier les exemples, à Saint-Etienne même, ceux de personnalités comme Jules Ledin, voire P. Argaud et P. Soulageon ; à Roanne, Edouard Mayeux ; à Annonay, Joseph Pleinet ; à Grenoble, Gustave Henry et Pierre Bonaventure ; à Romans, Louis Carteron ; à Lyon, le boulonnier Jean Nachury guesdiste écartelé entre ses sympathies blanquistes et anarchistes, tous rencontrés en cours de route à la fois comme responsables politiques et organisateurs syndicaux. Leur originalité ne tient pas au cumul des mandats, même si celui-ci révèle une certaine confusion : c’est une pratique qui, d’ailleurs, a un bel avenir. Mais, au-delà, au foisonnement de leur action et surtout, à leur éclectisme politique fait d’apparentes palinodies, et qui empêche de les rattacher à un courant quelconque. Présents dans toutes les grandes luttes revendicatives et politiques à laquelle participe la classe ouvrière, ils refusent, en fait, les factions et les sectes, rebelles à toute ligne idéologique exclusive dans leur souci de coller au mouvement réel d’une classe qui se sent une plus qu’elle ne le sait ; en retour, en eux, elle se reconnaît ; le temps des docteurs est encore à venir.
Conclusion
206L’histoire de la classe ouvrière n’est pas seulement celle des organisations qui prétendent à la rassembler. Mais la réponse qu’elle leur fournit est révélatrice, au même titre que les comportements revendicatifs, de ses tendances profondes, jamais indiquées en clair par ceux-là même qui les partagent, puisque les sources ne leur donnent pas la parole : le feraient-elles, seraient-ils capables de saisir ce qui est, largement, du domaine de l’inconscient, collectif ? C’est donc, indirectement, la forme et l’orientation, le succès et la défaite des organisations qui fournissent un début de réponse, s’il est vrai qu’elles sont aussi ce qu’en font leurs militants et leurs sympathisants.
207Commencement, que ce quart de siècle qui débute avec la création d’un « parti ouvrier » traduisant, dans le domaine politique, cette conscience collective qui s’était fait jour à la fin du Second Empire ? Or, ces 25 ans sont, en fait, dans la région lyonnaise, l’histoire d’un échec de ce qui était, d’abord, rupture d’avec le reste du corps social. Le clivage de classe, en théorie tout à fait net, entraîne au contraire la dispersion en groupes multiples dont ni la clé de l’idéologie, ni celle de la correspondance sociologique ne parviennent à expliquer l’implantation. Après trois années de vie commune, Lyon devient une mosaïque de « partis ouvriers » : guesdistes, les tisseurs de La Croix-Rousse ? Oui, un peu moins que ceux de Vienne, et surtout de Roanne : le modèle est respecté ; mais pourquoi ceux de Saint-Etienne sont-ils proches du possibilisme, voire du radicalisme ? Blanquistes les métallurgistes de La Guillotière ? Mais ceux du bassin forézien ne le sont point, et les verriers de Rive-de-Gier ne paraissent pas le devenir, même si leurs dirigeants syndicaux, venus de Gerland, se réclament d’Edouard Vaillant. Et les mégissiers d’Annonay, les mineurs de Saint-Etienne, les chapeliers de Bourg-de-Péage et de Romans, qui furent les premiers à s’organiser ont-ils une conscience collective moindre, eux qui se veulent, tout simplement, « indépendants »...? Que penser enfin de l’omniprésence des anarchistes, qui ne sont pas tous cordonniers, mais aussi tisseurs de laine, mineurs et métallurgistes ? La part du hasard joue, à l’occasion des liaisons personnelles, des influences d’un tel ou d’un tel, de l’aide qu’on a reçue à l’occasion d’une grève.
208L’émiettement des groupes ne signifie pas dispersion idéologique, mais rattachement organisationnel ; mais en s’en masquant, il heurte un sentiment très fort d’appartenance collective qui refuse les divisions et demeure étranger à toute définition théorique. Plus vécu qu’analysé, plus ressenti que clairement conscient, cet instinct de classe ne s’embarrasse pas de contradictions : ce sont les mêmes hommes qui vibrent aux discours de Louise Michel et qui apportent leurs suffrages à Girodet, comme c’étaient les mêmes – qu’on pense aux mineurs stéphanois – qui descendaient avec violence dans la rue, faisaient la chasse aux « jaunes » et réclamaient la protection d’une législation en faveur des travailleurs. Dès lors, la « séparation » de classe est mal comprise, et avec elle les partis qui l’incarnent et dont les débats paraissent un facteur de division à la fois à l’intérieur de la classe ouvrière et du grand parti républicain, auquel on n’a jamais cessé d’appartenir. Le comportement mêlé des blanquistes, des guesdistes, des gens du « parti ouvrier » stéphanois, des « indépendants » répond à cette idée de complémentarité qu’on a déjà rencontrée, si fortement ressentie par les masses, et qui s’étend à d’autres ; c’est en ne s’en séparant jamais, malgré les professions de foi, qu’on parvient, dans les années 1890, à mordre sur la masse ouvrière. Mais le succès demeure bien mince : à aucun moment la classe ouvrière ne traduit en une organisation politique, ou simplement en un projet, le sentiment qu’elle a d’une commune condition.
209Car que pèsent quelques centaines de militants, quelques milliers de suffrages, face aux dizaines de milliers que réussissent à grouper, dans le même temps, les grandes organisations professionnelles. Là aussi, les limites de la conscience collective expliquent l’échec des fédérations interprofessionnelles : parce qu’elles sont le champ clos, comme à Lyon, des rivalités politiques, mais aussi parce qu’elles dépassent certains cadres. Ce quart de siècle n’est pas celui de l’émergence d’une conscience politique de la classe ouvrière : il est celui de l’apogée d’un mouvement syndical de masse, dans la ligne directe de cinquante ans de lutte corporative. C’est autour de la vieille idée du « tarif » que les « canuts » de Lyon se rassemblent, sous des appellations changeantes, dans les années 1880, et que les rubanniers de Saint-Etienne les imitent à la fin de la dernière décennie du siècle ; c’est le rêve ancien de la sécurité qui jette les mineurs dans leurs puissantes organisations ; c’est le contrôle de l’apprentissage, la volonté de voir respecter et élargir des avantages particuliers à leur profession qui fait le succès des syndicats de mégissiers à Lyon, à Annonay, à Grenoble, de verriers à Rive-de-Gier et ailleurs, des gantiers, des chapeliers, des métallurgistes du cuivre. Tous plongent des racines profondes dans le passé le plus ancien, reprennent les idées d’une période plus récente pour se faire coopérateurs, extraire pour eux le charbon, souffler pour eux le verre. Très largement, ils y parviennent, à travers des luttes revendicatives dont on a vu l’ampleur : successivement, entre 1880 et le début du siècle nouveau, ils imposent leurs conditions et esquissent la construction d’un « travail organisé » qui parle d’égal à égal avec le patronat. N’y a-t-il pas là l’esquisse d’un « tradeunionisme » à l’anglo-saxonne, dont l’effacement final a d’autres causes ? Pour l’heure, il montre la primauté maintenue de la solidarité du métier.
Notes de bas de page
1 A.D.R., M, non classé, Cabinet du préfet, décembre 1875.
2 A.D.R., M, non classé, préfet Rhône, 28.12.1875.
3 Sur le 1er Congrès ouvrier, à Paris, en octobre 1876, cf. Dolleans (E.), Histoire du mouvement ouvrier..., t. II, p. 18-19 ; Ligou (D.), Histoire du Socialisme en France... p. 19-20 ; Lefranc (G.), Le mouvement socialiste sous la IIIe république, 1875-1940, p. 28- 29 ; sur les participants, Maitron (J.), Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français, t. 10, p. 62.
4 A.N., F 712488, préfet Rhône, 20.11.1876.
5 A.N., F 712488, préfet Rhône, 2.11.1876 ; préfet Loire, 2.8. et 22.11.1876 ; préfet Isère, 7.10.1876 ; cf. aussi Willard (C.) Lés Guesdistes..., p. 12, note 4. P. Boissonnet aurait été l’organisateur de l’internationale dans le quartier de Montaud et E. Amblard avait dirigé en avril 1870, la grève des serruriers de Saint-Etienne (Maitron, J., Dictionnaire biographique..., t. 4, p. 113 et p. 337).
6 A.D.R., M, Grèves antérieures à 1879, police, octobre 1876.
7 A.N., F 7 12488, préfet Isère, 7.10.1876.
8 A.D.R., M, Grèves antérieures à 1879, police, octobre 1876 ; sur le Congrès lui-même, cf. Ligou (D.), ouvr. cit., p. 21-22, Lefranc (G.), ouvr. cit., p. 29-30, et la liste des participants, Maitron (J.), Dictionnaire biographique.., , t. X, p. 63.
9 A.N., F 7 12488, police Lyon, 7.4.1877.
10 Soit, dans l’ordre : « 1) manière de combattre la concurrence du travail des prisons, de l’Etat et des couvents. 2) chambres syndicales et associations. 3) caisses de retraites pour les invalides du travail. 4) rapports entre les cultivateurs et les travailleurs citadins. 5) des conseils des prud’hommes. 6) de la prostitution. 7) apprentissage... 10) moyens de faire arriver l’ouvrier au Parlement (A.N., F 7 12488, police Lyon, avril 1877).
11 A.N., F 7 12488, préfet Rhône, 1.2.1878.
12 A.N., F 7 12488, préfet Rhône, 30.1.1878.
13 A.N., F 7 12488, préfet Rhône, 31.1, 8.2. et 3.7.1878.
14 A.D.I., 52 M 56, sous-préfet Vienne, 8.8.1878 et 15.7.1880 ; 55 M 1, id., 25.10.1879 et Ligou (D.), ouvr. cit. p. 31.
15 A.N., F 7 12488, La Lanterne, 23.10.1879, liste des participants au Congrès ouvrier de Marseille ; sur les résolutions et le sens du Congrès, cf. Ligou (D.), ouvr. cit. p. 32-36 et Lefranc (G.), ouvr. cit., p. 39-41.
16 A.D.I., 75 M 1, sous-préfet Vienne, 6.1. et 6.10.1882.
17 Darasse (A.), Le socialisme dans l’Ardèche..., p. 2-3.
18 A.D.I., 55 M 1, Affiche du 18.4.1880, et Barrai (P.), Le département de l’Isère sous la Troisième République, 1870-1940, p. 425-426.
19 A.D.D., 80 M 1, préfet, 25.8.1880.
20 A.D.L., 10 M 78, police Saint-Etienne, 11.12.1880 et 10 M 79, 10.12.1882 ; sur Ava-Cottin, cf. Maitron (J.), Dictionnaire biographique, t. 10, p. 178.
21 A.D.L., 93 M 44, police Saint-Etienne, 7 et 22.3.1881.
22 A.D.L., 10 M 79, id., 3.9.1882.
23 A.N., F 7 12488, préfet Rhône, 4.2.1880.
24 A.D.R., 10 M 20, police Lyon, 6.3., 5.5. et 6.11.1880.
25 A.D.R., 10 M 20, id., 2.6. et 10.7.1880 ; de l’extérieur s’est en outre fait représenter une « Société des horlogers de Besançon ».
26 Dont T. Bordat, P. Sanlaville, A. Ailloud et P. Coupât, où ils ont représenté, entre autres, ces militants absents du Congrès régional en juillet (cf. A.N.F 7 12489, police, liste des délégués au Congrès du Havre, 29.11.1880 ; sur ses travaux, qui voient la coupure d’avec les éléments modérés ; cf. Lefranc (G.), ouvr. cil., p. 44-45 ; cf. aussi A.D.D., M 1542, police Romans, 28.8.1882.
27 A.N., F 7 12489, Ministre Intérieur, 30.11.1880 ; A.D.L. 10 M 78, préfet, 26.9.1881 et 10 M 79, police Saint-Etienne, 1.5.1882.
28 Cf. Lefranc (G.), ouvr. cit., p. 47 et surtout Willard (C.), ouvr. cit., p. 23 et suiv.
29 A.N., F 7 12489 et A.D.L., 10 M 79, préfet, 27 et 29.9.1882 ; à noter qu’il y a de légères modifications entre la rédaction primitive du rapport et la copie qui parvient au ministre de l’intérieur : l’un signale la présence de la Fédération grenobloise, et l’autre l’écarte.
30 A.D.D., M 1542, police Romans, 28.8.1882.
31 A.D.L., 10 M 79, préfet, 26.9.1882.
32 A.D.R., 10 M 20, police Lyon, 10.11.1880 ; mais on désigne pourtant P. Sanlaville et T. Bordat, deux futurs compagnons : le partage n’est pas encore net.
33 A.D.R., 10 M 20, police Lyon, 6.1.1880, 21.1., 2.3. et 31.5.1881. Cf. aussi M, législatives 1881, préfet, 15.8.1881.
34 A.D.L., 19 M 6, police Roanne, 18.12.1893 et 19 M 13, id., 24.1.1895.
35 A.D.I., 75 M 1, préfet, 9.9.1882 et police Vienne, 6.10.1882.
36 A.D.D., M 1542, police Roanne, 15.11.1882 et A.D. Ar., 15 M 48, sous-préfet Tournon, 10.6.1884.
37 A.D.L., 10 M 79, préfet, 21.10.1882 et police Rive-de-Gier, 25.10.1882 ; 10 M 80, police Saint-Etienne, 23.2.1883.
38 Cf. Maitron (J.), Histoire du mouvement anarchiste en France, 1880-1914, p. 107- 114 ; à Genève, en août 1882, il y aurait 12 délégués lyonnais – dont Bernard – 3 Stéphanois, 3 Viennois et 1 Caladois pour 21 Français ; cf. aussi A.D.L., 10 M 79, police Saint-Etienne, 22.8.1882.
39 Sur les incidents de Montceau-les-Mines, l’attentat contre « l’Assommoir », les poursuites qui les suivent et le fameux « procès des 66 », où l’on amalgame Kropotkine aux militants locaux, cf. Maitron (J.), ouvr. cit., p. 148 et suiv., p. 158 et suiv. ; « L’Assommoir » était un restaurant de la place Bellecour : rendez-vous de la jeunesse dorée, il avait été dénoncé comme un « bouge » à plusieurs reprises par la presse anarchiste ; Cyvoct, gérant de L’Etendard Révolutionnaire est donc soupçonné ; il est condamné à mort en décembre 1883 ; gracié, il sera amnistié en 1898.
40 A.N., F 7 12504, préfet Rhône, 15.12.1893, Jusqu’en 1888, les liaisons demeurent individuelles ; les essais sont vains – en 1885 notamment – pour reconstituer une organisation ; aussi l’action propre des anarchistes se limite-t-elle à la diffusion de l’insurgé et de La Révolte, et à des « soirées de famille » qui sont au moins autant de retrouvailles amicales que des réunions politiques.
41 A.D.L., 10 M 80, police, 4.4. et 23.5.1883 et 10 M 82, police Saint-Etienne, 22.3 et 10.8.1884.
42 A.N., F 7 12504, préfet Loire, 30.12.1893 et A.D.L., 10 M 82, police Roanne, 17.10.1884 ; 19 M 6, id., 18.12.1893 et 19 M 13, id., 24.1.1895 ; de nouveaux groupes seraient un instant apparus à Amplepuis et à Charlieu, mais on n’en a aucune autre trace pour l’heure.
43 A.N., F 7 12518, préfet Isère, 29.8.1889 et A.D.I., 75 M 1, police Vienne, 8.10.1886 et 75 M 2, 19.3 et 7.6.1887.
44 A.D.R., M, Grèves, 1886-1888, préfet, 14.4.1888, et 10 M, dossiers 1er Mai 1890 et 1891.
45 A.N., F 7 12504, préfet Loire, 30.12.1892 ; A.D.L., 19 M 6, police Roanne, 10.12.1893 et 19 M 13, id., 24.1.1895 ; en 1886 encore, les compagnons avaient été soupçonnés d’un attentat contre le pont du chemin de fer, et de vols de dynamite en 1889.
46 A.N., F 7 12504, préfet Drôme, 22.12.1893 et F 7 12508, id., 19.2.1894 ; A.D.D., M 1382, police Romans, 30.4.1890.
47 A.N., F 7 12504, préfet Isère, 8.1.1894 et A.D.I., 75 M 4, police Allevard, 1.5.1892.
48 A.N., F 7 12504, Commiss. spéc. Saint-Etienne, 17.12.1893 et préfet Loire, 30.12.1893 et 21.1.1894.
49 A.N., F 7 12504, préfet Ain, 29.12.1893.
50 A.N., F 7 12504, préfet Ardèche, 19.12.1893.
51 A.N., F 7 12504, préfets Savoie et Haute-Savoie, décembre 1893, ADS, 33 M VI/ 2, Commiss. spéc. Chambéry, 16.5.1895 et A.D.H.S., 6 M, Affaires politiques 1890- 1899, préfet, 10.4.1894.
52 Cf. Maitron (J.), ouvr. cil., p. 116 et A.D.I., 75 M 4, police, 7.2.1892 ; aux deux rencontres participent des délégués de Saint-Etienne, Terrenoire, Saint-Chamond, Le Chambon-Feugerolles, Roanne, Vienne, Romans, Grenoble, Valence... ; une cinquantaine en tout.
53 Comme le déclare Ramé, un des principaux orateurs de l’anarchisme lyonnais, lors d’une réunion électorale de mai 1894 (A.D.R., 10 M, non coté, commiss. spéc. Lyon, 2.5.1894.
54 A.D.R., 10 M 20, police Lyon, 2.3.1881, et série de rapports, 1882.
55 A.D.R., 10 M 20, id-, 5.4.1884, et Willard (C.), Les guesdistes, p. 622.
56 A.N., F 12 4662, préfet Rhône, 23.2. et 6.4. 1886.
57 A.D.L., 92 M 18, préfet Loire, 5.2.1882, alors qu’Allemane, venu quelques jours auparavant avait déçu : « sa modération n’avait pas été appréciée (A.D.L., 92 M 18, préfet Loire, 5.2.1882).
58 A.D.L., 10 M 80, sous-préfet Roanne, 2.3.1883 ; 92 M 20, id., 19.4.1883 et 92 M 21, préfet Loire, 17.3.1882.
59 A.N., F 7 12489, préfet Loire, 29.9.1882.
60 Sur Ch. Fouilland, cf. biographie à paraître dans Maitron (J.), Dictionnaire biographique..., ouvr. cit. et Willard (C.), ouvr. cit., p. 624-625. Toutefois, le véritable créateur du « parti ouvrier » roannais, F. Gouttenoire, demeure quelques années fidèle aux thèses du Congrès de Saint-Etienne, répudiant « … à la fois les théories collectivistes révolutionnaires et les doctrines anarchistes... » ; le groupe « Travail et Progrès » qu’il inspire « ... se rapproche des collectivistes possibilistes... », mais ne compte pas plus d’une douzaine de membres, et on n’en entend plus parler après 1883 (A.D.L., 10 M 80, sous-préfet Roanne, 2.3.1883).
61 A.D.L., 92 M 63, Commiss. spéc. Saint-Etienne, 22.1.1895.
62 A.D.L., 92 M 63, Commiss. spéc. Saint-Etienne, 9.1.1895 et 10 M 95, sous-préfet Roanne, 28.2.1891 ; pour chaque groupe, 1 secrétaire et 1 trésorier, et la charge de 2 réunions publiques par an.
63 A.N., F 7 12490, police Roanne, 20.9.1895.
64 A.D.L., 10 M 100, police Roanne, 18.4.1893.
65 A.D.L., 10 M 111 bis/ 3, police Roanne, 13.9.1896.
66 Pour l’ensemble du guesdisme dauphinois, outre les références particulières, cf. Barral (P.), ouvr. cit., p. 426, et Willard (C.), ouvr. cit. p. 276-280.
67 Sur Pierre Bonaventure, Maitron (J.), Dictionnaire biographique..., ouvr. cit., t. 10, p. 321.
68 A.D. L, 75 M 2, police Grenoble, 29.4.1890 et 75 M 3, id., 19.3.1891.
69 A.D. L, 75 M 4, police Grenoble, 4.4.1892, qui signale aussi une « Union des travailleurs socialistes » du cordonnier Colin, dont on ne trouve nulle autre trace.
70 A.D.I., 52 M 58, police Grenoble, 5.4.1892 et 75 M 4, id. 13 et 23.10.1892.
71 A.N., BB 181992, d. 301 A 95, proc. gai Grenoble, 15.1.1895.
72 A.N., F 7 12490, Le Socialiste, 25.9.1898 et F 7.12886, Direction de la Sûreté, décembre 1898.
73 A.D.D., M 1673, police Valence, 20.3. et 3.10.1898, 11.4.1899 et Willard (C.), ouvr. cit., p. 283.
74 A.N., F 7 12886, police Privas, décembre 1898, et Willard (C.), ouvr. cit., p. 282.
75 En Savoie et Haute-Savoie, la pénétration du socialisme, quel qu’il soit, est tardive : en 1893 encore, on n’y trouve aucune trace d’organisation ; par contre, dès 1882, les Savoyards de Paris s’étaient regroupés, et leur délégué avait suivi J. Guesde à Roanne ; le groupe fonctionne toujours dans les années 1890, et jouera un très grand rôle quelques années plus tard, avec ceux des Savoyards de Genève. A.N., F 712886, police Chambéry, décembre 1898 ; A.D.L., 10 M 79, préfet, 29.9.1882 ; A.D.S., 33 M VI/2, police Chambéry, 12.10.1897 ; A.D.H.S., 6 M, Affaires politiques, 1890-1899, préfet, 19.4.1893 et id., 1900-1909, du même, s.d., (1903).
76 A.D.A., M 1335, police Bourg, 13.10.1899 et 22.11.1900.
77 A.N., BB 18 1816, d. 1090, 1790, proc. gal Lyon, 28.4.1890 et A.D.R., 10 M, non coté, Premier Mai, 1890 et années suivantes.
78 D’après les paroles de G. Farjat à Roanne, en avril 1891 (A.D.L., 10 M 80, police Roanne, 26.4.1891).
79 A.D.R., 4 M 4/ 513, Commiss. spéc. Lyon, 27.9.1890 et 10 M, non cotée, id., 6.2.1891.
80 A.N.F 7 12490 ; police Calais, 15.12.1890, police Marseille, septembre 1892, Le Réveil du Nord, 23.7.1896 et police, juillet 1897 ; F 712.886, police Lyon, décembre 1898 ; F 712.888, police, s.d. (1898) et A.D.R., 4 M 4/ 515, Commiss. spéc. Lyon, 9.9.1898.
81 Selon l’expression de Willard (C.), ouvr. cit., p. 59 et suiv.
82 Lequel s’est constitué hors du premier « parti ouvrier », à Paris, dès juin-juillet 1881 (cf. Dommanget (M.), Edouard Vaillant, un grand socialiste.., , p. 70-72, et sur les blanquistes, Ligou (D.), ouvr. cit., p. 86-93) ; sur les débuts à Lyon, A.D.R., 4 M 4/509, police, 27.5.1881, 2.9.1882 et 16.9.1883. A travers d’autres rapports, on sent une certaine présence des thèmes blanquistes, et du vocabulaire, dans diverses interventions en réunion publique.
83 Sur la première implantation, A.D.R., 4 M 4/ 511, Commiss. spéc. Lyon, 7.8.1888, 4 M 4/ 513, id., 27.3.1891, et Regaudiat (B.), et Bouquier (S.), Le parti blanquiste à Lyon..., M.M. Lyon, 1972, p. 28 et suiv.
84 A.D.R., 4 M 4/ 513, Commiss. spéc. Lyon, 20.2.1892 et 16.6.1895 ; 4 M 4/ 513, id., 16.6.1895 et 4 M 4/ 514, id., 28.6.1896 et 6.1.1897.
85 A.D.R., 4 M 4/ 515, Commiss. spéc. Lyon, septembre 1898.
86 D’après une série de rapports des années 1886-1890, dans A.D.R., 4 M 4/511 et 512.
87 A.N., F 7 12489, préfet Loire, 24.9.1882 et A.D.L., 10 M 79, id., 30.9.1882.
88 A.N., F 7 12489, préfet Loire, 18.11.1881. P. Brousse avait d’ailleurs aussi mandat de l’agglomération lyonnaise et de Grenoble ; sur le Congrès de Reims, Lefranc (G.), ouvr. cit., p. 46-47.
89 A.D.L., 10 M 80, police Saint-Etienne, 12 et 19.1.1883, 23.6.1883. Et, un instant, une « Union des socialistes stéphanois » qui aurait rallié les positions guesdistes parait plus vivante que la « Fédération de l’Est ».
90 Bien qu’il conserve encore en 1890 le titre de secrétaire de la Fédération de l’Est et qu’il demeure en correspondance avec des militants stéphanois, P. Coupât milite désormais à Paris, à la Fédération des ouvriers mécaniciens. Très lié plus tard à Alexandre Millerand, il sera membre, puis vice-président du Conseil supérieur du Travail à compter de 1903 pour devenir en 1920-1921, le premier sous-secrétaire d’Etat à l’Enseignement technique.
91 A.D.L., 10 M 80, police Firminy, 11.3.1883 et 10 M 81, police Saint-Etienne, 4.9.1883.
92 A.D.L., 10 M 111 bis, police Saint-Etienne, 1.4.1896.
93 A.D.L., 13 M 1, police Saint-Etienne, 16.6.1889.
94 A.D.L., 10 M 86, id., 7 et 16.6.1890.
95 A.D.L., 10 M 86, id., 28.8 et 18.12.1890.
96 A.D.L., 10 M 96, id., 2. et 9.12.1891 ; 10 M 98, id., 20.2.1892 et 19 M 4, id., 1.1.1892.
97 A.D.L., 10 M 86, id., 6.12.1890 ; alors qu’en 1884, il n’y avait pas moins de 58 délégués de la région lyonnaise au congrès allemaniste de Rennes (A.N., F 7 12 490, police Rennes, 15.10.1884).
98 A.D.L., 10 M 103, police Saint-Etienne, 16.9.1894.
99 A.D.L., 10 M 111, police Saint-Etienne, 30.6.1896.
100 A.D.L., 10 M 107, police Saint-Etienne, 8.2.1895 et 10 M 108, 27.6. et 8.7.1895 ; sur l’« agglomération stéphanoise » du P.O.F. qu’aurait animée de 1892 à 1894, Max Braemer, un ouvrier sculpteur venu de Paris avant de gagner Lyon, cf. Willard (C.), ouvr. cit., p. 281, note 6.
101 A.D.L., 10 M 108, police Saint-Etienne, 1.6.1895 ; 10 M 109, id., 25.10.1895, 10 M 110, id., 22.11.1895 et surtout 10 M 111, 30.3.1896.
102 A.D.L., 10 M 108, police, 23.8.1895 : le groupe « La Lutte des classes » a atteint : « ... une importance relative... », et rallie notamment Tardy, un des leaders du mouvement syndical des passementiers.
103 A.D.L., 10 M 107, police Saint-Etienne, 30.4., 4.5. et 28.11.1895.
104 A.D.L., 10 M 111 bis, police Saint-Etienne, 21 et 29.5.1896.
105 A.D.L., 10 M 113, police Saint-Etienne, 14.10.1896.
106 A.D.L., 10 M 113, police Saint-Etienne, 29.10.1896 et 10 M 115, id., 11.1. et 7.3.1897.
107 A.D.L., 10 M 111 bis, police Saint-Etienne, 30.3. et 1.4.1896.
108 A.D.L., 10 M 111, police Saint-Etienne, 30.3.1896.
109 A.D.L., 10 M 101, police Saint-Etienne, 14.6.1893, qui note l’influence de la diffusion du Peuple de Lyon dans la vallée du Gier.
110 A.N., BB 18 1989 d. 3527, A 94, proc. gal Grenoble, 20.12.1894 et 9.1.1895 ; F 712886, police Valence, décembre 1898. A.D.D., M 1560, 2, police Romans, 23.7. et 30.8.1892.
111 Darasse (A.), ouvr. cit., p. 3-4.
112 A.N., BB 18 1981, d. 2650, A 94, gendarmerie Nantua, 7.11.1894, F 712494, La Petite République, 1.12.1899, et F 712497, police Oyonnax, 14.12.1901.
113 D’après la liste donnée par La Petite République du 1. XII.1899 (dans A.N., F 71494 ; sur le Congrès de Japy, Lefranc (G.) ouvr. cit., p. 107-109 et Willard (C.), ouvr. cit., p. 432 et suiv.
114 Cf. Lequin (Y.), Classe ouvrière et idéologies dans la région lyonnaise à la fin du XIXe siècle, Le Mouvement social, n° 69, octobre-décembre 1969, p. 3-18.
115 A.N., F 7 12490, police Calais, 15.12.1891 et F 712888, police, s.d. (1898) et Le Socialiste, 25.9.1898 ; dans les deux occasions, on trouve des délégués d’Anse, Grandris, Cours, Thizy, Pontcharra-sur-Turdine, Villefranche, Tarare, qui sont à Japy sous le nom de « socialistes indépendants ».
116 A.D.R., 10 M 20, police Lyon, 21.1.1881.
117 A.D.L., 10 M 80, police Saint-Etienne, 23.5.1883.
118 A.D. Ar, 15 M 48, sous-préfet Tournon, 10.6.1884.
119 A.D.I., 75 M 1, police Vienne, 6.10.1882.
120 A.D.L., 10 M 80, police Roanne, 23.5.1883.
121 Cit. par Maitron (J.), ouvr. cit., p. 119.
122 A.N. F7 12506, note ministre Intérieur, 16.11.1893.
123 D’après les comptages effectués sur les listes de A.D.R., 10 M, dossiers individuels, A.D.I., 75 M et A.D.L., 19 M 6 ; or, à Roanne, il existerait 150 militants de la « Jeunesse révolutionnaire » : mais c’est un groupe très mélangé, et l’évaluation paraît fortement exagérée (A.D.L., 19 M 3, police Roanne, 24.1.1895). Pour l’ensemble, A.N., F 712504, Ministre Intérieur, 21.1.1894.
124 A.N., F 7 12504, Ministre Intérieur, 20.1.1898, et Commiss. spéc. Marseille, s.d. 1898).
125 A.D.L., 10 M 113, police Roanne, 29.1.1898 et 92 M 63, Commiss. spéc. Saint-Etienne, 9.1.1895.
126 A.D.L., 10 M 20, police Lyon, 5.4.1884, et 4 M 4/ 515, Commiss. spéc. Lyon, 9.9.1898.
127 A.N.. F7 12490, Le Socialiste, 25.9.1898.
128 A.D.L., 10 M 86, police Saint-Etienne, 28.8.1890, 10 M 103, id., 16.9.1894 et 10 M 111, id., 30.3.1896.
129 A.N., F 7 12488, préfet Rhône, 4.2.1880 et « Bulletin officiel du Congrès ouvrier », 22.10.1879.
130 A.N., F 12 4662, préfet Rhône, 10.3.1888.
131 A.D.L., 92 M 15, police Saint-Etienne, 4.6.1879.
132 Notamment les menuisiers, les charpentiers, les serruriers, les plombiers zingueurs, les ébénistes, les « ouvriers réunis du meuble... » (A.D.L., 93 M 88 et 89, Statuts des syndicats, 1879-1882).
133 Chomienne (C.), Histoire de la ville de Rive-de-Gier... 1912, p. 381 et p. 386.
134 A.D.L., 93 M 16, divers, police 1891-1892 et 93 M 52, préfet, s.d.
135 A.D.D., 80 M 4, police Romans, 7.2.1882 et dossiers dissolution, 1882-1883, et M 1452, police, 3.2.1882.
136 A.D.I., 166 M 2, police, 9 et 11.6.1879.
137 Cf. graphique n° 87.
138 Cf. graphiques n° 88 et n° 89, dressés à partir de Office du Travail, Annuaire des syndicats professionnels, 1889 et années suivantes...
139 Un certain nombre d’organisations recensées en 1889 n’apparaissent pas en 1890 pour revenir l’année suivante ; tous les calculs effectués d’après l’Annuaire portent donc sur les syndicats qui ont répondu à son questionnaire, donc manifesté un minimum d’activité, mais non sur ceux qui existent réellement ; maints exemples attestent d’ailleurs de leur engourdissement périodique ; la remarque valant pour l’ensemble du paragraphe.
140 Ainsi, en mai 1890, le préfet du Rhône (A.D.R., M, Grèves, 1888-1890, 18.5.1890), estime que sur « ... les 320 000 ouvriers que compte Lyon, ... il y en a un tiers de syndiqués » ; donc, à peu près 107 000 : on est loin du compte ; de même, où sont les 2 000 adhérents grenoblois de 1880 ? – documents cités par Barral (P.), ouvr. cit., p. 216.
141 A.D.R., 10 M 13, Commiss. spéc. Lyon, 11.8.1890.
142 A.D.R., 10 M 29, police Lyon, janvier 1890.
143 A.D.L., 93 M 11, police Saint-Chamond, 6.7.1892.
144 A.D.L., 92 M 26, police Saint-Etienne, 2.6.1889 ; 93 M 12, id., Rive-de-Gier, 10.6.1892 ; 93 M 16, statuts des syndicats de métallurgistes, 1880-1900.
145 A.D.R., 10 M 11, police Givors, s.d. (1891).
146 A.D.L., 93 M 56, police Saint-Etienne, s.d. (1893) et 93 M 91, préfet Loire, 20.7.1894.
147 A.D.H.S., 7 M, Syndicats professionnels, état... au 1.1.1921 et maire Annecy, 9.1.1924.
148 Cf. graphiques n° 88 et n° 89.
149 Les récapitulatifs à partir de chaque organisation diffèrent légèrement de ceux de l’Annuaire : en 1890, 196 syndicats et 30 694 adhérents (au lieu de 199 et 30 507), en 1899, 297 et 33 880 (au lieu de 310 et 34 957) ; c’est à partir des nombres rectifiés que sont calculés les pourcentages.
150 Cf. tableaux annexes n° 52 et n° 53.
151 A.D.R., 10 M 16, police, 20.3.1881 et affiche d’invitation à la réunion constitutive, signée par les syndicats des charpentiers, cordiers, coiffeurs, charrons, ébénistes, ferblantiers-zingueurs, maçons, menuisiers, mécaniciens, plâtriers, serruriers et chaudronniers en cuivre.
152 A.D.R., 10 M 16, préfet, 14.12.1882 ; les ressources de la Fédération sont « ... à peu près nulles... ».
153 A.D.R., 10 M 16, police, 14.8.1882, 16.10. et 8.11.1884 ; un projet de journal fédéral échoue dans l’été 1884.
154 A.D.R., 10 M 16, police, 6.3.1886 ; sur les dirigeants de la Fédération, A.N., F 12 4662, préfet Rhône, 20.2.1886 et A.D.R., 10 M 16, police, 6.3. et 23.7.1886. C’est Farjat, notamment, qui conduit à Paris la délégation lyonnaise des ouvriers sans travail.
155 A.N., F 7 12491, police Lyon, 7.8., 18.9. et 20.10.1886. Sur le Congrès d’octobre 1886 et la naissance de la Fédération nationale des syndicats, Brécy (R.), Le mouvement syndical en France, 1871-1921... p. 5-6 et Lefranc (G.), Le mouvement syndical sous la IIIe république, p. 33-34 ; sur les participants, Maitron (J.), Dictionnaire biographique..., ouvr. cit., t. 10, p. 64.
156 A.N., F 7 12491, police, 20.10.1886, et F 12 4662, préfet Rhône, 14.1.1887. La Chambre syndicale des tisseurs a été une des 8 organisations de la région à voter contre la journée de 8 heures, et surtout contre la socialisation des moyens de production, avec les graveurs sur étoffes, les tailleurs, les mouluriers, les typographes et les lithographes de Lyon, les tisseurs du Haut-Bugey et les gantiers de Grenoble.
157 A.N., F 7 12491, police Lyon, 31.10.1887 et 6.11.1888 en 1887, à Montluçon, la délégation lyonnaise ne comprend pas moins de 19 membres, conduits par G. Farjat.
158 A.D.R., 10 M 13, police Lyon, 11.8.1890.
159 Office du Travail, Annuaire des syndicats..., 1889 et 1890 ; A.D.R., 10 M 13, préfet, 8.2.1890.
160 A.D.R., 10 M, non cotée, 1er mai 1890, coupures de presse diverses et police ; journal Premier Mai, supplément occasionnel – et unique du Ralliement ; à noter que les évaluations du nombre des manifestants vont, selon les journaux, de 8 000 à 30 000, divisés en 5 ou 6 cortèges partis des quartiers ouvriers et de la banlieue sud pour se concentrer devant la Mairie ; tous les grands ateliers, La Buire, Gillet à Vaise et à Villeurbanne, etc... sont fermés.
161 A.D.R., 10 M 16, police, 20.7.1884 et 10 M 22, id., 10.6.1891.
162 L’année précédente, le préfet avait d’ailleurs refusé de recevoir les délégations ouvrières ; sur la journée et sa préparation, A.D.R., 10 M, 1er mai 1891, préfet Rhône, 1.4. et 3.5.1891.
163 A.D.R., 10 M, 1er Mai 1892 et années suivantes ; id., M, non cotée, grèves, 1895, police, 18.8. et septembre 1895 sur la disparition de la Fédération nationale, cf. Willard (C.), ouvr. cit., p. 359.
164 A.D.L., 93 M 113, statuts syndicats divers, 1878-1880.
165 A.D.S., 9 M 11/ 6, police Aix, 14.6.1881.
166 A.N., F 7 12488, B.O. du Congrès ouvrier de Marseille, 22.10.1879.
167 A.N., F 7 12491, police Bordeaux, 6.11.1888 et police Calais, 14.10.1890 ; F 712493, C.R. imprimé du Congrès de Paris, p. 1 et suiv. ; A.D.L., 93 M 5, Commiss. spéc. Roanne, 22.1.1894 et 93 M 45, police, 25.7.1890.
168 Office du Travail, Annuaire des syndicats..., 1889-1899.
169 Pour l’ensemble du syndicalisme de la soierie, sauf référence expresse, cf. Office du Travail, Les Associations professionnelles ouvrières..., 1899-1903, t. 2, p. 285-339 ; Pariset (E.), Histoire de la Fabrique lyonnaise de soierie, p. 330 et suiv.
170 A.D.R., 10 M 29, police Lyon, 24.11.1876.
171 Office du Travail, ouvr. cit., t. 2, p. 288-289.
172 D’après Mathé (A.), Les tisseurs en soie de Lyon, 1901, on aurait atteint le nombre de 12 000 dans l’hiver 1878-1879, et 10 500 encore en 1880 (cf. croquis n° 90) ; à noter que l’auteur est un ancien administrateur de la Chambre syndicale.
173 A.D.R., 10 M 29, police, s.d. (11.5.1882) et Office du Travail, ouvr. cit., t. 2, p. 288-289 et p. 291-293.
174 Il s’agit de la « Société de renseignements des ouvriers tisseurs de Lyon », créée autour d’un bureau de placement, et qui meurt faute de réussite après n’avoir jamais groupé plus de 70 personnes, et de la « Société de prévoyance et de renseignements pour le travail des ouvriers veloutiers façonnés et annexes », née du refus de la Chambre syndicale de soutenir un taux de « tarif » jugé exagéré (Office du Travail, ouvr. cit., t. 2, p. 297- 298.
175 A.D.R., 10 M 16, police Lyon, 24.8.1884 ; Office du Travail, ouvr. cit., t. 2, p. 299-307 et Annuaire des syndicats..., 1889 et 1890.
176 Pour la fin du paragraphe, Office du Travail, ouvr. cit. t. 2, p. 303 et suiv.
177 La Chambre syndicale et l’Union y ayant chacune 9 délégués, les deux syndicats du velours 4 et 2 représentants, celui du tissage mécanique, 1.
178 A l’origine, elle comprend une centaine de membres ; devenue en 1890 le « Groupe corporatif des tisseurs fédérés », puis la « Chambre syndicale des tisseurs fédérés », elle n’en a plus que 50 en 1892 et 20 en 1893 ; sa seule activité paraît être la participation aux Congrès nationaux du P.O.F.
179 A.D.L., 10 M 88, Commiss. spéc. Roanne, 29.3.1891 et Office du Travail, Annuaire des syndicats, 1889 et années suivantes.
180 En prenant l’année de leur plus grande extension.
181 Sur C. Verne, A.D.L., 10 M 88, Commiss. spéc. Roanne, 29.3.1891 ; sur J. Durousset (et F. Lachize) qui « … s’est donné pour tâche dans cette région à la fois industrielle et rurale d’organiser les Chambres syndicales... », A.D.R., M, grèves 1888-1891, préfet 23.12.1889.
182 A.D.L., 93 M 5, Commiss. spéc. Roanne, 22.1.1894 ; depuis 1888, il existe en outre un syndicat des teinturiers, et un autre dans la commune suburbaine de Régny (A.D.L., 92 M 29, police, 7.1.1889).
183 A.D.L., 93 M 45, préfet, 20.3.1890.
184 A.D.L., 93 M 45, police Roanne, 25.7.1890.
185 Et où l’on discute déjà des futurs statuts fédéraux (A.D.L., 10 M 95, sous-préfet Roanne, 28.2.1891).
186 A.D.L., 93 M 5, Commiss. spéc. Roanne, 22.1.1894 et 93 M 45, id., 3.4. et 25.5.1891 ; entre temps, une réunion particulière des tisseurs à bras du coton avait eu lieu à La Gresle pour discuter des problèmes spécifiques.
187 Sur la vie de la Fédération nationale du Textile, Office du Travail, les Associations...., ouvr. cit, t. 2, p. 448-452.
188 A.D.L., 10 M 99, police, 20.10.1892 ; 93 M 5, sous-préfet Roanne, s.d. (1892) et Commiss. spéc. Roanne, 22.1.1894 ; 93 M 45, police, 22.8.1892, A.D.R., M, Grèves 1895, préfet, 7.8.1896.
189 Aux organisations traditionnelles s’est joint, outre quelques petits groupes occasionnels, un « Syndicat des ouvriers tisseurs et similaires de Lyon », qui, en 1892, refuse les chefs d’atelier ; il rassemble 650 adhérents, mais rentre dans la médiocrité à partir de 1897.
190 La Fédération Nationale cesse de fonctionner après son 3e congrès, à Cholet, en 1895 ; son siège avait été transféré à Roubaix en 1893 (cf. note 187).
191 A.D.R., M, grèves antérieures à 1879, police Vaise, 26 et 30.10.1874, et Commiss. spéc. Lyon, 16.7.1874 ; Office du Travail, ouvr. cit., t. II, p. 164 et suiv.
192 Sans être encore organisés, les mégissiers de Grenoble avaient envoyé un délégué au Congrès ouvrier de Paris, en 1876 ; ils récidivent, à Lyon, en 1879.
193 A.N., F 1 C III, Ardèche, 11, maire d’Annonay, 9.12.1861 et F 12 4651, préfet Ardèche, s.d. (1864).
194 A.D. Ar, M. 105, sous-préfet Tournon, 16.2.1895 ; Pleinet, Joseph, Monographie du syndicat des mégissiers d’Annonay, Revue Socialiste, août 1907, p. 176-191 ; Reynier, Elie, L’organisation syndicale dans I’Ardéche, 1913, p. 4 et 5.
195 Le trésorier de la Caisse syndicale détourne une somme d’argent destinée aux grévistes de Grenoble ; son geste tue pour un temps la confiance à Annonay aussi bien qu’à Grenoble.
196 Sur la vie de la Fédération nationale, Office du Travail, ouvr. cit., t. II, p. 154 et suiv. ; elle rassemble au début des délégués d’Annonay, Chaumont, Grenoble, Lyon, Millau et Paris auxquels se joindront par la suite les syndicats de Saint-Junien, Angers, Graulhet ; le premier numéro du Mégissier paraît le 1er octobre 1895 à 1 600 exemplaires, puis à compter de 1896, à 1 200.
197 Pour l’ensemble du paragraphe, cf. Office du Travail, ouvr. cil., t. 2, p. 98 et suiv.
198 A.D.I., 166 M 1, police Grenoble, 29.9.1874.
199 A.N., F 12 4658 et A.D.I., 166 M 2, dossier « grève des ouvriers de la Maison Perrin », 1885 et préfet Isère, 20.3.1886.
200 A.N., BB 18 1949, d. 2445, A. 93, proc. gal Grenoble, 9.9.1893.
201 A.N., F 12 4673, pièces 346 et 353 et A.D.I., 166 M 3, préfet, 31.10.1894 et 23.1.1895 ; Office du Travail, ouvr. cit., t. 2, p. 103-104.
202 Cf. Annuaire des syndicats professionnels..., 1892 à 1899 ; en 1895, la scission d’une « Union syndicale des ouvrières gantières de Grenoble » affaiblit le syndicat féminin qui ne se manifeste plus après 1896 ; en pratique, la nouvelle organisation le remplace, avec une moyenne de 230 adhérents autour de 1900. Quant à la « Chambre syndicale des ouvriers gantiers de l’Isère », elle suspend un moment son affiliation à la Fédération nationale pour y revenir, après s’être réorganisée, en 1898.
203 Pour l’ensemble du paragraphe, sur les verriers de Lyon, Office du Travail, ouvr. cit., t. III, p. 620-641 ; cf. aussi Annuaire des Syndicats professionnels, à compter de 1890, Chomienne (C.), Histoire de la ville de Rive-de-Gier..., 1912, p. 386-387 et Gras (L.J.), Histoire des eaux minérales..., 1923, p. 232-233.
204 A.D.L., 92 M 15, pétition verriers Saint-Etienne, 21.7.1878.
205 A.D.R., M, grèves, 1886-1888, police Lyon, 2 et 3.2.1886 et 17.6.1887.
206 De son vrai nom « Société de prévoyance des fondeurs, renfourneurs, tiseurs, releveurs, menuisiers, forgerons, et tous autres manœuvres de la verrerie » ; en janvier 1887, elle prend le nom de Chambre syndicale des corporations des ouvriers des verreries et usines de Lyon.
207 A.D.R., M, grèves, 1886-1888, police Lyon, 20.10.1887.
208 A noter que le dynamisme du Syndicat lyonnais dépasse de loin les cadres et de la ville, et de la corporation ; de 1886 à 1890, il a dépensé 96 470 francs pour soutenir des luttes revendicatives à l’extérieur ; si l’essentiel est allé aux autres centres verriers, il n’en a pas moins aidé les tisseurs de Cours et d’Amplepuis, les métallurgistes de Saint-Etienne et de Vierzon, les tourneurs et les guimpiers de Lyon (cf. Office du Travail, ouvr. cit., t. III, p. 636).
209 Dans l’été 1888, Jayet et Mesmer avaient projeté de fusionner ; craignant une compression de personnel, la Chambre syndicale avait exigé et obtenu des assurances : elle serait limitée, compensée par des indemnités de départ ; l’association réalisée entre les deux patrons avait d’ailleurs été éphémère ; cf. A.D.R., M, grèves, 1886-1888, dossier « Verriers de la Mouche », décembre 1888.
210 Sur la Fédération nationale des verriers, Office du Travail, ouvr. cit., t. 111, p. 642-670.
211 Des difficultés internes étaient d’ailleurs apparues avant même que ne débute la contre-offensive patronale : à la fin de 1888, quelques dirigeants avaient été mis en cause pour « … avoir tripoté et laissé tripoter... » les fonds dont ils avaient la garde ; de fait, la gestion financière paraît avoir été totalement anarchique (A.D.R., M, grèves, 1886-1888, police, divers).
212 Sur le rôle essentiel des militants lyonnais qui entreprennent les démarches de reconstitution syndicale à Saint-Etienne, à Rive-de-Gier, à Givors, A.D.R., M, grèves, 1891-1894, police Lyon, 9.5.1891.
213
Les syndicats régionaux de la Fédération se répartissent ainsi : Andrézieux, 1 ; Givors, 3 ; Lyon, 1 ; Oullins, 2 ; Rive-de-Gier, 3 ; Saint-Etienne, 1 ; Saint-Galmier, 1 ; Saint-Romain-Ie-Puy. Leur importance respective et leur rôle dans la Fédération nationale se mesure par celle de leur contribution financière et la vente du Réveil des Verriers : en 1893-1894, ils ont fourni 7 387 francs pour un total de cotisations de 25 272 francs, et la diffusion au numéro y a rapporté 2 456,70 francs sur 8 603, 25 francs ; soit, en détail :
d’après Office du Travail, ouvr. cil., t. 111, p. 660-661
214 Cf. infra, p. 279-280.
215 A.D.R., M, grèves, 1895-1899, police Lyon, 4.8.1895 ; les syndicats lyonnais dits « des verriers réunis » et des « manœuvres »« ... ne sont pas officiellement dissouts, mais ne fonctionnent pas... » ; et avec Oullins, on ne compte pas plus de 56 cotisants au total.
216 Cil. in Office du Travail, ouvr. cit., t. III, p. 669.
217 A.D.L., 10 M 116, police Saint-Etienne, 8.4.1897 : le trésorier national venu sur place pour tenter de sauver le syndicat a beaucoup de mal à trouver des responsables nouveaux dans les autres usines stéphanoises.
218 A.N., F 12 4662, préfet Rhône, 10.9.1882 et 15.2.1886.
219 Office du Travail, ouvr. cit., t. 4, p. 281-289.
220 A.D.R., 10 M 16, police, Lyon, 1.4.1881.,
221 Office du Travail, ouvr. cit., t. 3, p. 155 et suiv. ; Annuaire des Syndicats, 1889 et années suivantes.
222 A.D.L., 93 M 81, police Saint-Etienne, 6.9.1891, et sur la vie de la Fédération stéphanoise, 92 M 70, Commiss. spéc. 13.6.1894 ; Office du Travail, ouvr. cit., t. 4, p. 447-448 et Annuaire des Syndicats, 1889 et suiv.
223 Office du Travail, ouvr. cit., t. 4, p. 292.
224 Sur la Fédération nationale des syndicats ouvriers du bâtiment, Office du Travail, ouvr. cit., p. 448 et suiv.
225 Annuaire des Syndicats..., 1890-1898.
226 A.D.R., 10 M 29, divers (syndicats du cuivre, 1891-1911) et M, grèves, 1891, police Lyon, 28.11.1890. A noter la présence, également, d’une Fédération des métallurgistes de Saint-Etienne – du bassin en fait –, depuis 1888, mais dont on ne sait rien, et, à Lyon, de l’Union des Chambres syndicales du papier (1892), et de celle des « Dames réunies », petit groupe des syndicats de brodeuses et de couturières (Annuaire des Syndicats, 1891-1902) et A.D.L., 93 M 16, police, s.d. (1900).
227 A.N., F 12 4654, préfet Isère, 15.11.1876 et A.D.I., 166 M 2, sous-préfet, 17.9.1876.
228 A.D.I., 166 M 2, sous-préfet Vienne, 15.2. et 4.3.1878 ; Office du Travail, ouvr. cit., t. 2, p. 371.
229 Office du Travail, ouvr. cit., t. 2, p. 374 et Annuaire des Syndicats..., 1889-1895.
230 A.D.I., 166 M 3, police Vienne, 8.9.1895 et 166 M 4, id., 28.5.1896.
231 A.N., C 3353, Enquête parlementaire... 1882, Saint-Etienne ; Office du Travail, ouvr. cit., t. 2, p. 351-367 ; Gras (L.J.), Histoire de la rubannerie..., 1906, p. 224 et suiv.
232 Gras (L.J.), Histoire de la rubannerie..., ouvr. cit., p. 228 ; l’idée d’une Fédération semble née de l’action des Lyonnais et des Roannais, et du Congrès de Charlieu (1892) ; elle vivra jusqu’en 1902, avant d’être réorganisée.
233 A.D.L., 10 M 102, police Saint-Etienne, 25.5.1894.
234 A.D.L. 92 M 94, Commiss. spéc. Saint-Etienne, 1.4. et 27.5.1900. Gras (L.J.), ouvr. cit., p. 632 et Lorcin (J.). Un essai de stratigraphie sociale : chefs d’atelier et compagnons dans la grève des passementiers de Saint-Etienne en 1900, Mélanges André Fugier, p. 182-183.
235 Sur la grève de 1899-1900, A.N., BB 18 2117, F 12 4687 et A.D.I., 166 M 5, l’ensemble des dossiers.
236 A.D.I., 166 M 5, préfet, s.d. (1900).
237 Annuaire des Syndicats, 1899-1905.
238 Sur la grève de 1899, A. N. BB 18 2116, d. 464, A 99, et surtout A.D.L., 92 M 90 à 94, dans leur ensemble.
239 Gras (L.J.), ouvr. cit., p. 229.
240 A.N., F 22 234 et A.D.L., 92 M 15, divers (préfet, police, sous-préfet, mai 1876, pièces 6 à 31) ; id., police Firminy, 9.4.1876 ; à noter qu’en février, un coup de grisou avait fait 186 morts au puits Jabin, à Saint-Etienne, et suscité une émotion considérable. (Gras, L.J., Histoire économique des mines de la Loire, t. 2, p. 779).
241 Pour l’ensemble de la vie de la Chambre syndicale jusqu’en 1889, cf. Office du Travail, ouvr. cit., t. 1, p. 330-372.
242 A.D.L., 93 M 27, police Firminy, 11.3. et 14.4.1878.
243 La première tournée de Rondet s’effectue de juillet 1881 à septembre 1893. Depuis longtemps, les mineurs étaient à l’écoute des autres bassins, dans la Loire comme ailleurs : à Carmaux, en 1869, on a senti une certaine excitation à l’annonce de la grève stéphanoise (Trempé R., Les mineurs de Carmaux..., t. Il, p. 825) ; en novembre 1877, c’est au tour des mineurs de Saint-Etienne de suivre avec attention les conflits de Brassac et de Saint-Florine, et en mars 1878, ils auraient envoyé de l’argent aux grévistes de Montceau-les-Mines (A.D.L., 92 M 15, gendarmerie Haute-Loire, 30.11.1877 et préfet Saône-et-Loire, 8.3.1878).
244 A.D.L., 92 M 15, police Saint-Etienne, 4.6.1879.
245 La seule manifestation locale de la Chambre syndicale des mineurs de la Loire est la participation aux Congrès ouvriers de Lyon (1878) et de Marseille (1879).
246 A.N., F 12 4658 et A.D.L., 92 M 16, pièces 1 à 63, surtout préfet Loire, 5. et 9.1.1880.
247 A.N., id., et 92 M 17, pièces 43 à 57 ; en août 1879 déjà, une certaine tension avait agité Rive-de-Gier.
248 A.N., F 12 4658 et F 22 234 ; A.D.L., 92 M 18, préfet Loire, 23 et 29.6.1882.
249 A.D.L., 10 M.82, police Saint-Etienne, janvier et 6.5.1884 ; 93 M 21, id., 28.3. et 22.4.1884. L’accusation de trahison paraît exagérée dans les termes ; elle repose sur l’étroitesse des contacts de Rondet et des pouvoirs publics ; deux télégrammes en clair du préfet de la Loire datés des 6 et 15 avril 1884 (A.D.L., 93 M 21, pièces 27 et 30) attestent sans équivoque d’une collaboration où Rondet paraît avoir perdu toute prudence au profit d’indiscrétions difficilement compatibles avec des responsabilités syndicales.
250 A.D.L., 10 M 84, police Saint-Etienne, 10.9.1887.
251 A.D.I., 166 M 2, police Motte d’Aveillans, juillet 1886 ; il semble que l’initiative soit partie d’éléments locaux.
252 Office du Travail, Annuaire des Syndicats professionnels..., 1889.
253 Office du Travail, Associat, professionnelles ouvrières..., t. 1, p. 348-350 ; de par ses statuts, la Société est établie « conjointement au syndicat des mineurs de la Loire... », et seuls ses membres y sont admis ; ses services sont les mêmes qu’en 1866.
254 A.D.L., 92 M 23, police, Saint-Etienne, 1.8.1888.
255 A.D.L., 92 M 22, préfet Loire, 21.1.1886.
256 A.N., F 12 4658 et A.D.L., 92 M 23, divers, (préfet, police) avril à mai 1888.
257 A.D.L., 92 M 23, police, 26.7., 7.8.1888 et jours suivants.
258 Office du Travail, ouvr. cit., t. 1, p. 356.
259 A.D.L., 92 M 21, préfet, 30.10. et 9.11.1888.
260 A.D.L., 93 M 46, préfet, 6.5.1890.
261 Outre Office du Travail, ouvr. cit., t. 1, p. 363 et Gras (L.J.), ouvr. cit., t. 2, p. 797-798, A.N., F 12 4665 et A.D.L., 92 M 25, 27, 28 et 31, gendarmerie et police Saint-Etienne, divers, juillet 1889, ingénieur des Mines, 12, 20, 26 et 28.7.1889, gendarmerie Terrenoire, 11 et 12.9.1889, ingénieur 3.10.1889 et préfet Loire 30.10.1889.
262 A.D.L., 93 M 47, police Saint-Etienne, 15.6.1890.
263 En juin 1889, les services de police de Firminy tentent déjà de savoir « ... ce qu’il y a de fondé dans cette nouvelle... » (A.D.L., 92 M 26, rapport au préfet, 25.6.1889) ; un mois plus tard c’est au tour de ceux du Chambon de s’inquiéter (A.D.L., 92 M 27, 7.7.1889), et en octobre, la gendarmerie note que l’idée d’une grève générale « ... prend un caractère de consistance... » (id., 30.101889).
264 A.D.L., 92 M 32, récapitulatif grèves 1890 ; sur l’hostilité des mineurs, qui à Rive-de-Gier leur reprochent de ne pas les avoir soutenus quelques mois plus tôt et qui sont réduits au chômage par leur mouvement, A.D.L., 92 M 36, police Rive-de-Gier, 25.1.1890.
265 Sur l’ensemble du mouvement dans le bassin en 1890, la totalité des dossiers d’A.N., F 12 4667, et A.D.L., 92 M 32 à 36 inclus ; sur l’ambiance revendicative, particulièrement A.D.L. 92 M 32, police Saint-Etienne, 26.1.1890 et préfet Loire au Ministre de l’Intérieur, s.d. (début 1890), et 92 M 36, police, 6.3.1890.
266 A.N., BB 18 1816, d. 1090, A. 90, proc. gal Lyon, 26.4.1890 et 3.5.1890 ; il tient le renseignement de Rondet ; on laisse les chambres syndicales « ... libres d’agir comme elles l’entendent » ; cf. aussi A.D.L., 10 M 87, préfet, 1.5.1890.
267 Qui s’est tenu du 20 au 23 mai 1890, en Belgique, et qui a jeté les bases d’une Fédération internationale des mineurs ; M. Rondet y a représenté la Loire et pris une part active aux travaux : le principe de la journée de 8 heures est adopté, et l’on a prévu une grève générale pour l’appuyer le 1er Mai 1891. Les revendications dans la Loire dépassent, en fait, les conclusions de Jolimont (cf. Office du Travail, ouvr. cit., t. 1, p. 416-420).
268 Au total, il y aurait même eu 9 850 mineurs en grève dans la Loire en juin 1890 (Office du Travail, ouvr. cit., t. 1, p. 363).
269 A.D.L., 93 M 21, Commiss. spéc. Saint-Etienne, 11.9.1890 et Perrot (M.), La presse syndicale des ouvriers mineurs (1880-1914), Le Mouvement social, n° 43, avril-juin 1963, p. 93-115.
270 A.D.L., 93 M 21, police, 28.1.1891 ; 93 M 30, id., 12.9.1890 et 93 M 47, 23.12.1890.
271 La diffusion du Réveil des Mineurs en janvier 1891 permet de mesurer son influence dans la région stéphanoise et hors du bassin ; pour une vente totale de 1860, Saint-Etienne, 335 exemplaires ; vallée de l’Ondaine, 370 ; Terrenoire, 10 ; Montceau-les-Mines, 70 et Epinac, 25 ; Ronchamp et Champagney, 100 ; Sainte-Florine, 25 ; Robiac 45 et Bessèges 125 ; La Motte d’Aveillans, 75 (A.D.L., 93 M 21, police, 1.1891). En mai 1891, les mineurs de La Mure suivent, à retardement et présentent un cahier de revendications calqué sur celui de la Loire (journée de 8 heures, augmentation des salaires, retraite proportionnelle après 15 ans) ; mais le mouvement n’aboutit pas, (A.D. I, 52 M 57, pétition syndicat mineurs à préfet, s.d.).
272 A.D.L., 10 M 98, police Saint-Etienne, 9.1.1892.
273 A.D.L., 92 M 48, police Grand Croix, 24.9.1893.
274 A.D.L., 93 M 27, police Firminy, 1.1.1894.
275 A.D.L., 92 M 48, police Saint-Etienne, 18.9.1893.
276 A.D.L., 92 M 48, Commiss. spéc. Saint-Etienne, 26.9.1893.
277 A.D.L., 92 M 48, id., 30.9.1893 : « ... les syndicats sont activement et sourdement travaillés par des meneurs dont les efforts tendent à les faire revenir sur leur détermination première... ».
278 A.D.L., 10 M 107, police Saint-Etienne, 26.3.1895 et 93 M 22, commiss. spéc., 15.10.1896.
279 A.D.L., 10 M 89, police Saint-Etienne, 20.4.1894.
280 A.D.L., 92 M 48, Commiss. spéc. Saint-Etienne, 2.10.1893 ; en 1896, il cède, pour un temps, le secrétariat national à Basly.
281 A.D.L., 92 M 71, Commiss. spéc. Saint-Etienne, 23.9.1896.
282 A.D.L., 92 M 71, id., 29.7.1896.
283 A.D.L., 92 M 71, id., 30.10.1896 et 93 M 22, id., 9.12.1896 ; 13 M 4, police, 22.10.1896.
284 Pour les grèves de 1895-1896, A.N., F 12 4676, préfet Loire, 31.7.1895 et F 12 4680 ; A.D.L., le dossier 92 M 71 dans son ensemble.
285 A.N., F 12 4683, préfet Loire, 26.3.1897 et A.D.L., 92 M 75, pièces 1 à 27.
286 A.D.L., 92 M 74, Commiss. spéc. Saint-Etienne, 29.3.1897.
287 Selon les rapports, fort circonstanciés, et remarquables, du Commissaire spécial de Saint-Etienne que renseigne un mystérieux « informateur socialiste » lui-même très au fait, pendant une dizaine d’années, de l’ensemble du mouvement ouvrier stéphanois (A.D.L., 92 M 74, 24.4., 6.5. et 1.6.1889).
288 Sous le nom de « Chambre syndicale des ouvriers mineurs et similaires de Sain-Bel, Sourcieux et Saint-Pierre la Palud », il rassemble, d’emblée (1897), 423 cotisants, et 450 en 1898 ; Annuaire des syndicats..., ouvr. cit., 1897 et années suivantes.
289 A.D.L., 92 M 74, police Saint-Etienne, 5 et 6.6.1897 et 92 M 81, Commiss. spéc. Saint-Etienne, 1.2.1899 ; 93 M 22, id., 11.5. et 8.8.1897, 13.2.1899.
290 A.D.L., 92 M 74, Commiss. spéc. Saint-Etienne, 1.6.1897.
291 A.D.L., 92 M 79, police (ensemble du dossier).
292 A.D.L., 92 M 81, préfet à président du Conseil, 15.12.1898.
293 A.D.L., 92 M 81, Commiss. spéc. Saint-Etienne, 24.1.1899 et 13.2.1899 ; il est vrai que ce dernier rapport puise l’essentiel de sa substance d’une conversation avec M. Rondet, qui a insisté sur la défaite des positions de G. Cotte au Congrès national.
294 A.D.L., 92 M 81, police Rive-de-Gier, 31.1.1899.
295 Pour l’ensemble des grèves de l’année 1899, A.N., BB 18 2116, d. 464, et 92 M 81 à 83, dans leur totalité.
296 Bien qu’il y ait une certaine retombée dans l’automne 1899, après quelques échecs partiels ; A.D.L., 92 M 81, Commiss. spéc. Saint-Etienne, 9.5.1899.
297 A.D.L., 14 M 7, Commiss. spéc. Saint-Etienne, 31.3.1899.
298 A.D.L., 92 M 82, Commiss. spéc. Saint-Etienne, 9.5.1899.
299 En mai, des pourparlers ont été engagés à la Compagnie de la Peronnière, à nouveau, aux Houillères de Rive-de-Gier, aux Mines de Ban, La Faverge, à Villebœuf, aux Houillères de Saint-Etienne et au Cros ; à la Compagnie de Roche-la-Molière et Firminy, aux Houillères de Montrambert ! (A.D.L., 92 M 82, Ingénieur en chef mines, 11 et 26.5.1899).
300 A.D.L., 92 M 82, Commiss. spéc. Saint-Etienne, 6.6.1899.
301 D’après l’« informateur socialiste » du Commiss. spécial, qui note aussi la maturité nouvelle que les mineurs révèlent ainsi : « ... cela est sans précédent. Jamais les mineurs n’ont attendu 15 mois avant de se mettre en grève... » (les mots ici soulignés le sont dans le rapport du 22.12.1899 au préfet du Rhône, A.D.L., 92 M 84).
302 Sur la grève elle-même, l’ensemble des dossiers A.N., BB 18 2116, d. 464 et A.D.L., 92 M 99, particulièrement le rapport de synthèse du préfet de la Loire du 24.3.1900 (pièce 137). Le mouvement est allé en s’amplifiant au moment de l’arrêt du travail, on compte 9 836 grévistes et 12 544 au moment de la reprise, qui s’est faite progressivement ; cf. aussi Gras (L.J.), ouvr. cit., t. 2, p. 812-813.
303 Office du Travail, Annuaire des syndicats... 1898-1903.
304 A.D.L., 92 M 81 et 92 M 100, police Saint-Etienne, 15 et 27.8.1900 ; 93 M 22, Commiss. spéc. Saint-Etienne, 30.10.1900 et 93 M 48, id., 3.10.1900.
305 A.D.L., 93 M 22, Commiss. spéc. Saint-Etienne, 7.12.1901.
306 Cf. la mise au point de Trempé (R.), Le Réformisme des mineurs français à la fin du XIXe siècle, Le Mouvement Social, n° 65, oct. déc. 1968, p. 93-106.
307 A.D.L., 93 M 21, tract de la Chambre syndicale des mineurs de la Loire, et Office du Travail, ouvr. cit., t. 1, p. 341.
308 Selon l’expression de Trempe (R.), Les mineurs de Carmaux, t. 1, p. 128.
309 Office du Travail, ouvr. cit., t. 1, p. 347-361.
310 Pleinet (J.), art. cit., Revue Socialiste, 1907, XLVI, p. 174-175.
311 A.D.I., 166 M 2, police Grenoble, 6.8.1889 et Office du Travail, ouvr. cit., t. 2, p. 152-154.
312 Cf. Supra, chap. 1.
313 A.D.L., 92 M 33, préfet, 24.9.1890 ; 93 M 34, police Saint-Etienne, 9.10.1890 et 92 M 36, police Rive-de-Gier, 22.9.1890.
314 A.D.L., 92 M 74, Commiss. spéc. Saint-Etienne, 23.4., 6.5. et 1.6.1897 ; 92 M 81, id., 19.1.1899, où Cotte refuse la cotisation de la Loire à la Fédération nationale parce qu’insuffisante : avec elle, on ne pourrait faire autre chose que de la correspondance courante ; or, sa tâche « ... doit être précisément d’organiser les mineurs en vue d’une action commune, »
315 A.D.L., 92 M 15, pétition verriers Saint-Etienne, 21.7.1878.
316 Office du Travail, ouvr. cit., t. 3, p. 636.
317 De nouveaux syndicats étaient apparus, comme sections de la Ligue, dans les campagnes environnantes.
318 A.N., F 12 4662, préfet Rhône, 2.7.1888.
319 Pleinet (J.) art. cit., Revue Socialiste, 1907, XLVI, p. 175, A.D. I, 116 M 4, préfet, 7.4.1896 ; au même moment, à Millau, il n’y a que 14 réfractaires pour 171 cotisants, et 6 ouvriers seulement sur 24 ne sont pas syndiqués à Chaumont.
320 A.N., BB 18 1965, d. 180, proc. gal Grenoble, 19.8.1894.
321 A.N., BB 18 1957, d. 3403, proc. gal Lyon, 30.1.1894 et A.D.L., 92 M 52, Commiss. spéc. Saint-Etienne, 31.3.1894.
322 D’Urbal, ouvr. cit., p. 250-251.
323 A Caluire en 1895, les 2/3 des 250 tisseurs mécaniques sont syndiqués (A.D.R., M, grèves 1895, préfet, s.d.).
324 A.D.L., 92 M 94, Commiss. central Saint-Etienne, 1.4. et 27.5.1900.
325 Office du Travail, ouvr. cit., t. 2, p. 269 et suiv., et p. 308.
326 A.D.R., M, grèves 1886-1888, police Lyon, 17.6.1887.
327 A.N., BB 18 1846, d. 665, proc. gal Lyon, 29.8.1891 ; A.D.R., M, grèves 1886- 1888, dossier « incidents à la verrerie Dupuis », 17.6.1887 ; c’est Philippe Clausse qui, interrogé en 1899, en juge ainsi, dénonçant notamment la tolérance de l’absentéisme (Office du Travail, ouvr. cit., t. 3, p. 630).
328 A.N., BB 18 1857, d. 3403, proc. gal Lyon, 30.1.1894 et A.D.L., 92 M 50, police, 7.10.1893 ; ainsi en 1894, la norme est de 580 bouteilles par souffleur et par jour (alors qu’on peut parvenir à en faire 700) selon une décision du 4e congrès de la Fédération nationale (Office du Travail, ouvr. cit., t. 3, p. 655).
329 A.D.L., 92 M 56, préfet, 10.10.1894.
330 Les mineurs de la Loire ne sont pas, cette fois-ci, les premiers à y parvenir (cf. Gillet, M, L’affrontement des syndicalismes ouvrier et patronal dans le bassin houiller du Nord et du Pas-de-Calais de 1884 à 1891, Bulletin de la Société d’Histoire moderne, mars-avril 1957, p. 7-9.
331 A.N., F 7 12772, préfet Loire, 13.1.1891 et A.D.L., 13 M 1, police, Saint-Etienne, 16.9.1889. En janvier 1891 avait été créé un comité de vigilance chargé de surveiller les délégués à la sécurité, de viser et de corriger éventuellement leurs rapports, en étendant un système déjà mis en place en 1889 à la Compagnie de Beaubrun.
332 Gras (L.J.), Histoire de la rubannerie..., ouvr. cit., p. 224 et suiv.
333 Office du Travail, ouvr. cit., t. 2, p. 273.
334 A.D.L., 92 M 42, sous-préfet Roanne, 22.1.1892.
335 A.D.R., M, grèves 1886-1888 (2), dossier « rixes de verreries », 9/1886, et A.N., F 12 4662, préfet Rhône, 8.10.1886 : la chasse prend un tour d’une rare violence avec échange de coups de feu.
336 A.D.R., M, grèves, 1886-1888, Lyon Républicain, 4.11.1887, et police Oullins, 26.4.1888.
337 A Givors, on exige du patron de la verrerie Saumont qu’il s’engage à n’embaucher « ... ni renvoyer aucun d’eux sans l’assentiment du Comité de la section de (la ville) ». (A.D.R., M, grèves 1888-1889, préfet, 2.6.1888) ; à Rive-de-Gier, les réfractaires sont « ... soumis à des vexations de toutes natures... » pour les « ... bien pénétrer de l’illégitimité de leur conduite... » (A.N., BB 18 1957, d. 3403, proc. gal Lyon, 30.1.1894, A.D.L., 92 M 41, police, 18.12.1891 ; 92 M 50, id., 18.12.1893 ; 92 M 52, id., 18.4.1894).
338 A.D.I., 166 M 4, préfet, 7.4.1896 et 166 M 6, id., 24.6.1902 ; Office du Travail, ouvr. cil., t. 2, p. 149-150 en pratique « ... il est difficile à un ouvrier non syndiqué d’occuper un emploi stable à Grenoble... ».
339 A.N., BB 18 2119, proc. gal Nîmes, 7.4.1899 ; Office du Travail, ouvr. cit., t. 2, p. 157 et Pleinet (J.), art. cit., Revue Socialiste, 1907, LXVI, p. 176-191.
340 A.D.L., 92 M 61, préfet, s.d. (1894).
341 Office du Travail, ouvr. cit., t. 2, p. 335.
342 Pleinet (J.), art. cit., Revue Socialiste, 1907, XLVI, p. 174-175 et Reynier (E.), L’organisation syndicale dans l’Ardèche, p. 5.
343 A.D.I., 166 M 2, police Grenoble, 6.8.1899 et Office du Travail, ouvr. cit., t. 2, p. 152-154.
344 Cote (L.), L’industrie gantière à Grenoble, 1896, p. 110-111.
345 A.D.R., M, grèves, 1886-1888, police, divers.
346 Ou, tout simplement, la société ouvrière, qui peut adopter une des formes de la législation commune ou celle d’une prise de participation majoritaire.
347 Le motif est invoqué, en 1882, par les typographes de Lyon (Office du Travail, ouvr. cit., t. 1, p. 784).
348 D’après des orateurs du Congrès de la Fédération des Cuirs et Peaux, à Paris, en 1895 (Office du Travail, ouvr. cit., t. 2, p. 230).
349 Le cas est particulièrement net dans la verrerie, et, un moment, tous les dirigeants de la Fédération des mineurs de la Loire, dont G. Cotte, travaillent à la Mine aux Mineurs qu’elle a fondée. Une résolution du 6e congrès de la Fédération nationale des verriers, en 1895, « ... reconnaît... que les travailleurs n’auront conquis leur émancipation qu’après avoir socialisé les moyens de production... », mais « ... émet le vœu qu’en attendant cette transformation, les travailleurs... s’arrêtent à la création de verreries aux verriers dans les centres où il sera impossible de travailler sous le régime capitaliste... » (Office du Travail, ouvr. cit., t. 3, p. 665).
350 Reynier (E.), Histoire de Privas..., t. III, p. 175.
351 Office du Travail, ouvr. cit., t. 1, p. 784 et p. 795.
352 A.D.S., 33 M VI/ 2, police Chambéry, 18.8.1882.
353 Office du Travail, ouvr. cit., t. 4, p. 285-292.
354 A.D.D., 80 M 5, Statuts du syndicat des carriers de Saint-Restitut, 1882-1893.
355 A.D.I., 52 M 60, préfet, s.d. (novembre 1898).
356 Office du Travail, ouvr. cit., t. 4, p. 308.
357 id., t. 1, p. 52.
358 A.D.I., 166 M 7, préfet, 24.10.1903.
359 A.D.A., 57 M 2, préfet, 8.2.1887.
360 Office du Travail, ouvr. cit., t. 2, p. 107.
361 id., t. 2, p. 302 et p. 356-357 ; une nouvelle tentative a d’ailleurs lieu à Saint-Etienne en 1896 (A.D.L., 19 M 14, police, 18.6.1896), chaque part étant constituée par le simple apport du métier.
362 A compter de 1882, elle s’est doublée d’une coopérative de consommation, où l’on vend toiles, chaussures et vêtements ; et parmi les souscripteurs initiaux, il y aurait eu, en outre, des ouvriers tailleurs de Lyon et de Paris, Cf. A.D.I., 166 M 2, sous-préfet Vienne, 29.6., 4. et 10.7.1879 ; Office du Travail, ouvr. cit., t. 2, p. 371 ; D’Urbal, L’industrie drapière de Vienne..., 1911, p. 254 et suiv.
363 Office du Travail, ouvr. cit., t. 2, p. 144, p. 152-153, p. 169 et p. 173.
364 A.D.L., 93 M 118, préfet, 1.1.1907 et 93 M 119, id., 6.9.1894 et 1.1.1896 ; c’est à Lyon, à l’occasion d’un congrès national des associations de production que nait en 1894 la « Banque coopérative » (Office du Travail, Les Associations ouvrières de production, 1897, p. 121-137, et Gaumont (J.), Histoire générale de la coopération en France, t. 2, p. 547.
365 Où elle est vendue à la Compagnie de la Haute-Cappe ; dans l’ensemble, elle avait été un succès : mais il n’y avait jamais eu plus de 8 associés, et 35 auxiliaires ; cf. Office du Travail, ouvr. cit., t. 1, p. 337.
366 A.D.L., 93 M 116, police Rive-de-Gier, 1.1.1896 et 93 M 120, Commiss. spéc., 17 et 22.6., 30.11.1891 ; Office du Travail, ouvr. cit., t. 1, p. 350 et suiv. ; Chomienne (C.), ouvr. cit., p. 239 et suiv.
367 Les membres de la Société civile refusent très tôt de réserver l’emploi aux militants syndicaux, comme il avait été prévu. A partir de 1891, la querelle passe au plan judiciaire, avec dépôt d’une plainte contre les agissements de la Chambre syndicale ; sur le détail de la querelle, cf. aussi Lebrun, La « Mine aux Mineurs », C.R. de la Soc. d’Eco. Po. de Lyon, 1892-1893, p. 129 et suiv.
368 A.D.L., 93 M 21, Commiss. spéc. Saint-Etienne, 22.10.1891 et 24.12.1891 ; A.N., F 7 12781, préfet Loire, 20.1.1901 et Office du Travail, ouvr. cit., t. 1, p. 366 et suiv.
369 A.D.L., 93 M 121, Commiss. spéc. Saint-Etienne, 10 et 14.1., 1.2., 6.9., et 9.10.1894 ; Office du Travail, ouvr. cit., t. 1, p. 370 et suiv. 11 était prévu que 600 actions de 200 francs seraient attribuées à 600 mineurs syndiqués, et que les bénéfices seraient versés au syndicat dans leur intégralité ; ce que refuse vite, entre autres choses, le Conseil d’Administration.
370 A.D.L., 92 M 43, police Saint-Etienne, avril et juillet 1892.
371 A.N.F 7 12781, préfet Loire, 20.1.1901 et 13.11.1902 ; A.D.L., 92 M 102, police Saint-Etienne, 11.2.1901. Le protocole d’accord consacre la mainmise syndicale, puisque 1°) la Société reconnaît le Comité fédéral. 2°) elle décide que 2 parts seront allouées à chaque syndicat affilié à la Fédération. 3°) les bénéfices seront également répartis entre auxiliaires et sociétaires. 4°) aucune modification ne pourra être faite sans assentiment du Comité fédéral. 5°) tous les ouvriers de la Mine aux Mineurs... seront syndiqués.
372 A.N., F 7 12781, préfet Loire, s.d., (1909) et A.D.L., 93 M 121, Commiss. spéc. Saint-Etienne, 31.3. et 20.12.1909.
373 A.D.L., 92 M 28, police Saint-Chamond, 25.7.1889 et Office du Travail, ouvr. cit., t. 1, p. 366.
374 A noter pourtant l’existence, à Oullins, à partir de 1886, d’une société en nom collectif qui associe 3 négociants à une dizaine d’ouvriers : elle est liquidée en décembre 1888 (A.D.R., M, grèves, 1886-1888, police, 10.10.1887 et Office du Travail, ouvr. cit., t. 3, p. 627).
375 A.D.R., M, grèves, 1886-1888, police Lyon, 10.6 et 9.7.1886, et id., 1891-1894, police, 13.4.1891.
376 A.D.L., 93 M 119, Commiss. spéc. Saint-Etienne, 15.8.1896 et A.D.R., M, grèves, 1895-1899, Le Peuple, 2.4.1897 qui rappelle que la société est composée « ... presqu’exclusivement d’anciens ouvriers grévistes de La Mouche... » ; Gras (L.J.), Histoire des eaux minérales..., 1923, p. 215.
377 Chomienne (C.), ouvr. cit., p. 272.
378 A.D.L., 10 M 107, police Rive-de-Gier, 13.3.1895 ; 92 M 53, Commiss. spéc. Saint-Etienne, 26.5.1894 et 92 M 57, police, 21.11.pour Vienne, A.D.I., 75 M 1, police Vienne, 6.10.1882.
379 A.D.L., 10 M 110, police, 30.11.1895 et 93 M 122, 11 et 21.1., 19 et 25.7., 21.9.1895.
380 A.N., F 7 12766, police Rive-de-Gier, 19.11.1901 et A.D.L., 14 M 11, police, 11.7.1911 ; Gras (L.J.), Histoire des eaux minérales..., ouvr. cit., p. 209 et Chomienne (C.), ouvr. cit., p. 280.
381 A.D.L., 93 M 119, police La Ricamarie, 20.7.1895 et 3.6.1896 ; Office du Travail, ouvr. cit., t. 4, p. 664 et suiv.
382 A.D.R., 10 M 20, police Lyon, 21.1.1881.
383 Cf. l’analyse de Maitron (J.), Un anar, qu’est-ce que c’est ? Le Mouvement Social, n° 83, mai-juin 1973, p. 25-27.
384 A.D.L., 10 M 82, police Saint-Etienne, 6.5.1884 ; on signale au même moment une forte pénétration chez les mineurs stéphanois ;
385 A.D.L., 19 M 4, police Chambon-Feugerolles, 4.2.1892 et 19 M 15, id., Saint-Etienne, s.d. (1896, janvier).
386 A.D.R., 10 M, non coté, 1er Mai 1892, police, avril.
387 La pénétration anarchiste est attestée, en 1893, à Saint-Etienne, chez les teinturiers en noir qui, travaillant dans de grands ateliers, n’ont pas grand-chose à voir avec la rubannerie traditionnelle : c’est chez eux qu’une conférence de Sébastien Faure paraît avoir provoqué l’impression la plus profonde (A.D.L., 10 M 102, police Saint-Etienne, avril 1894).
388 A.D.A., 8 M 1305, police, 15.7.1894, fiches de Pierre Panel et de Louis Joseph Perrody, propagandistes anarchistes de Trévoux et de Montluel.
389 A.D.I., 166 M 2, sous-préfet Vienne, 8.8.1879.
390 A.N., BB 18 2000, d. 1249, A 95, proc. gai Grenoble, 22.11.1895 et A.D.I., 166 M 3, police Vienne, 8.9.1895.
391 A.D.L., 10 M 80, police Saint-Etienne, 15.2.1883.
392 A.N., F 12 4662, préfet Rhône, 16.6.1887.
393 A.D.L., 92 M 29, sous-préfet Roanne, 22.3.1889 et 93 M 45, Commiss. spéc., 14.9.1891.
394 A.N., F 12 4662, préfet Rhône, 18.5.1883.
395 A.D.R., 10 M, non cotée, 1er Mai 1890, police.
396 A.D.R., M, grèves, 1891, police Lyon, 22.4.1891.
397 A.D.L., 10 M 80, police Saint-Etienne, 15.2.1883.
398 A.D.L., 19 M 22, police Rive-de-Gier, 3.7.1894.
399 A.D.L., 19 M 6, Commiss. spéc. Saint-Etienne, 7.12.1892 et 16.2.1893.
400 A.D.R., 10 M 13, police Lyon, 11.8.1890.
401 A.N., F 7 12518, sous-préfet Vienne, 29.8.1889.
402 A.D.L., 10 M 80, préfet Loire, 14.6.1883.
403 A.N., F 7 12516, préfet Rhône, 23.10.1884 et 17.12.1886 Le Courrier de Lyon, 10.2.1887. 1894 ; 93 M 122, police, 31.5.1895 ; Gras (L.J.) Histoire des eaux minérales... », ouvr. cit., p. 209 et Chomienne (C.), ouvr. cil., p. 27.
404 A.D.L., 92 M 32, police Saint-Etienne, 11.9.1890.
405 A.N., F 7 12516, Ministre Intérieur, 16.7.1895.
406 A.N., F 7 12514, Gendarmerie, 6.3.1894 et Le Progrès, 3.4.1894 ; on a laissé de côté un certain nombre d’autres attentats ou sabotages qui paraissent être l’œuvre d’irresponsables, à la veille du 1er Mai 1891 notamment.
407 A.D.R., 10 M 16, police Lyon, 19.4.1886 ; « l’organisation a tué la Révolution », affirme P. Dumas en 1898 (A.D.L., 10 M 91, police Saint-Etienne, 1.5.1898).
408 A.D.L., 10 M 82, police Saint-Etienne, 24.2.1884 (le nombre de sympathisants ne dépasse pourtant pas la centaine, et le meeting avait été convoqué par les « collectivistes ») et 93 M 53, préfet Loire, 1.9.1889. De même, à Lyon en 1885, quelques compagnons animent une « Commission de protestation contre l’expulsion des locataires » (A.D.R., 10 M 16, police, 29.1.1885).
409 Et, Louise Michel hors de cause, 18 accusés se retrouvent devant la Cour d’Assises de l’Isère, P. Martin est condamné à 5 ans de prison, Tennevin à 2 et un troisième inculpé à une année ; les autres sont acquittés ; cf. Maitron (J.), ouvr. cit., p. 186 et suiv. et Dommanget (M.), Histoire du Premier Mai, p. 127-128.
410 Cit. par Barral (P.), ouvr. cit. p. 427.
411 A.D.R., 10 M, 1er Mai 1891, police Lyon, 16.4.1891.
412 A.N., BB 18 1938, d. 1308, proc. gal Lyon, 3.5.1893 et 1970, d. 1216, id., 4.5.1894 ; A.D.R., 10 M, 1er Mai 1893, Commiss. spéc. Lyon, 2.5.1893 et 1er Mai 1894 ; police Brotteaux, 1.5.1894. A Lyon, en 1891, le compagnon Ramé : « les anarchistes devront se porter au gros de la manifestation... » (A.D.R., 10 M, 1er Mai 1891, police, 14.4.1891) ; en 1892, à Saint-Etienne, ils se mêleront à la foule, laissant à chacun le soin de troubler l’ordre à sa guise... (A.D.L., 19 M 4, police, 21.4.1892) : cette année-là, les anarchistes de Villefranche se déplacent à Lyon pour la manifestation qui n’a pas lieu (A.D.R., 10 M, 1er Mai 1892, Commiss. spéc. Lyon, 2.5.1892).
413 A.D.L., 10 M 88, police Roanne, 26.4.1891, qui rapporte les paroles du compagnon Segaud, à la veille du Premier Mai.
414 A.N., F 12 4662, préfet Rhône, 18.5,1883.
415 A.D.R., M, grèves, 1891-1894, police Lyon, 6.4.1891.
416 Plus sans doute que des hommes de l’écrit, bien que Lyon soit le principal centre français de la presse anarchiste (Maitron, J., ouvr. cit., p. 135-136) ; malgré la violence des propos, les journaux éphémères qu’ils publient (comme, tour à tour, Le Drapeau Noir, L’Emeute, La Lutte, l’Alarme, Le Défi, Le Droit anarchiste, l’hydre anarchiste, etc... A.D.R. 4 M 4/509) sont pleins d’une lourde réthorique qui contraste avec le concret de leurs interventions orales.
417 A.N., BB 18 1816, d. 1090, proc. gal Lyon, 29.4.1890.
418 A.N., F 7 12504, préfet Rhône, 23.5.1897.
419 A.D.L., 13 M 2, police Saint-Etienne, 15.11 et 22.12.1891 ; 19 M 2, id., 20.12.1891 ; 13 M 3, police, 6.9.1895 ; en octobre 1895, 3 000 personnes écoutent Sébastien Faure sur le thème « Amour et mariage », et les interrupteurs sont « ... écrasés par la dialectique puissante de l’orateur... ». Au contraire, Pouget, un an plus tard, n’attire pas plus de 50 auditeurs à Saint-Etienne, moins d’une vingtaine à Firminy : les compagnons et eux seuls (A.D.L., 19 M 14, police Saint-Etienne, 21.9.1896).
420 A.D.L., 10 M 80, police Saint-Etienne, divers, janvier 1883.
421 A.D.L., 92 M 21, sous-préfet Roanne, 7.2. Î883.
422 A.N., F 7 12509, préfet Rhône, 18.2.1894.
423 A.D.L., 10 M 79, 80 et 81, surtout préfet, 7.7.1883 ; parmi les participants, Lyonnais et Viennois sont aux côtés des Stéphanois.
424 A.D.R., 10 M, 1er Mai 1891, préfet, 1, 4 et 19.4.1891.
425 Sur cette sensibilité, P. Coupât, le 10.7.1880 : « ... les prolétaires ont aidé la bourgeoisie à conquérir les avantages qu’elle possède… en échange (elle) a fait massacrer le peuple à Lyon en 1834, à Paris en juin 1848 et en 1871, après avoir ensanglanté les rues de Paris, elle envoyait périr sur les pontons... et en Calédonie nos pères, nos frères et nos amis » (A.D.R., 10 M 20, police) ; sur le 18 mars, véritable « fête du prolétariat » jusqu’aux années 1890, A.D.L., 10 M III, police Roanne, 22.3.1896.
426 A.D.R., 10 M, non cotée, 1er Mai 1892, dossier « lettres et affiches anonymes ». Il y aurait aussi beaucoup à dire – à l’intention d’une recherche future – sur le rôle des rumeurs, comme celles qui entourent l’affaire Ravachol (A.D.R., 10 M, 1er Mai 1892, Comm. spéc. Lyon, 12.4.1892).
427 Quand elle ne se pare pas d’allure religieuse : en mars 1899, les anarchistes de Roanne célèbrent le Vendredi Saint dans le recueillement : le deuil est de mise le jour de la mort du « ... martyr du Golgotha…, fondateur de l’anarchie..., le premier à tenter une révolution qui devait donner aux hommes (la) liberté... » (A.D.L., 19 M 18, police Roanne, 1.3.1899).
428 A.N.F 124662, préfet Rhône, 17.3.1886, et cf. les paroles attribuées au compagnon Jarroux, soupçonné d’avoir déposé une cartouche de dynamite dans la brasserie où il travaillait : « Il n’était pas socialiste, il était révolutionnaire avant tout, et disait qu’on était à la veille d’une crise, d’un cataclysme épouvantable... et qu’il fallait d’autres manifestations que des promenades dans les rues et que nous nous rendions ridicules en fêtant notre misère » (A.D.R., 10 M, 1er Mai 1892, Le Petit Lyonnais, 5.4.1892).
429 A.D.R., 10 M 16, police Lyon, 6.6.1886.
430 A.D.R., 10 M, non cotée, 1er Mai 1891, police Lyon, 1.5.1891.
431 A.D.I., 75 M 1, sous-préfet Vienne, 19.3.1883.
432 A.D.L., 10 M 80, police Firminy, 1 1.3.1883.
433 A.D.I., 75 M 1, police Vienne, 6.10.1882 ; A.D.L., 10 M 79, police Rive-de-Gier, 25.10.1882 et 10 M 80, police Saint-Etienne, 2.1.1883 : « ... le groupe de l’Union des socialistes stéphanois paraît devoir se rallier prochainement et complètement aux anarchistes... » mais ceux-ci « ... assistent régulièrement (à ses) réunions... » ; ceci au moment même où la perspective électorale la rapproche des radicaux.
434 A.D.L., 10 M 96, police Saint-Etienne, 2.11.1891.
435 A.D.L., 10 M 112, police Saint-Etienne, 19.4.1896, sur la collusion cf. A.N., F 7 12504, sûreté, 21.1.1894.
436 A.D.L., 10 M 88, police Roanne, divers, avril 1891 ; il y a d’ailleurs 1 200 auditeurs chez les anarchistes, 400 chez les guesdistes : dans une place forte du P.O.F.
437 A.D.D., 1560 M 2, police, s.d.
438 A noter qu’en 1894, on trouve dans les papiers de Sébastien Faure, saisis à Aix, peu de militants anarchistes parmi ses correspondants, sinon Dalmais de Romans ; mais, à Lyon, beaucoup de « socialistes révolutionnaires » dont le boulonnier Nachury, un des dirigeants du P.O.F., ancien directeur du Peuple, et Benjamin Peronin, dont on sait les attaches (A.N., F 7 12506, préfet Rhône, 28.11.1894).
439 Cf. Willard (C.), ouvr. cit., p. 282 et 695 ; Chagny (R.), La presse socialiste à Lyon de 1896 à 1914, M.M. Lyon, t. 1, p. 47 et suiv.
440 Cf. A.D.R., M., Grèves 1891-1894, dossier « grève des verriers » à propos d’une conférence de Ferroul, prise en main par les anarchistes.
441 A.D.L., 19 M 6, Commis, spéc. Saint-Etienne, 16.12.1893.
442 A.D.L., 93 M 44, police Saint-Etienne, 7.3.1881.
443 A.D.R., M., grèves 1886-1888, police Lyon, 30.5.1886.
444 En 1896, la « commission des 12 » du P.O.F. roannais est composée de 3 des membres du bureau et de 6 des militants les plus actifs du syndicat des tisseurs (A.D.L., 10 M 112 bis/3, police Roanne, 13.9.1896.
445 A.D.L., 92 M 61, Commiss. spéc. Roanne, 7.10.1894.
446 A.D.L., 10 M 88, Commiss. spéc. Roanne, 29.3.180î.
447 A.D.L., 93 M 52, préfet, 10.9.1890.
448 A.D.L., 10 M 96, police Charlieu, 3.12.1891 et A.D.L., 93 M 52, préfet, 10.9.1890.
449 A.D.L., 10 M 112 bis/ 3, police Roanne, 19.12.1896 ; 10 M 113, id., 28.2.1898 et 10 M 118, id., 28.2.1898.
450 A.D.R., 10 M 11, préfet, 1898.
451 A.D.S., 33 M VI/ 2, police Chambéry, 12.10.1897.
452 A.D.I., 52 M 69, sous-préfet Vienne, 4.9.1896 et 166 M 4, police Grenoble, 26.5.1898.
453 A.N., F 12 4662, préfet Rhône, 15.4.1896 ; A.D.R., 10 M 29, police, divers, 1884, et M., grèves 1891, police Lyon, 28.11.1890.
454 Qu’on songe, notamment, au rôle de G. Farjat ; A.N., F 12 4532, préfet Rhône, 30.11.1882.
455 Office du Travail, ouvr. cit., t. 2, p. 323.
456 A.D.R., M, grèves 1888-1891, police Lyon, 7.1.1891.
457 A.D.R., M, grèves 1895-1899, police Lyon, 6 et 9.3., 6.4.1896 et grèves 1901, id., 12.8.1900.
458 A.D.R., 10 M 13, police Lyon, 17.10.1896 et M, grèves 1888-1891, id., 20.5.1890.
459 A.D.R., M, grèves 1886-1888, police Lyon, 27.12.1888, Office du Travail, ouvr. cit., t. 3, p. 652.
460 A.D.L., 10 M 107, police Rive-de-Gier, 25.2.1895 et 93 M 66, id., 25.2.1895.
461 A.N., F 12 4662, préfet Rhône, 20.2.1886 et A.D.R., 10 M 16, police, 6.3. et 23.7.1886 ; sur E. Bonnard, cf. Maitron (J.), Dictionnaire biographique..., t. 10, p. 320- 321.
462 A.D.R., 10 M, 1er Mai 1891, police Lyon, 9.4.1891 et M, grèves 1891-1894, id., 13.4.1891 et préfet Rhône, 18.4.1892.
463 A.D.R., 10 M 6, police Lyon, 22.8.1892, un long et intéressant rapport sur le P.O.F. qui « veut absolument s’emparer » et de la Fédération, et de la Bourse ; dans les années suivantes, les Guesdistes demeurent les organisateurs du Premier Mai, alors que l’indifférence gagne milieux ouvriers et syndicats. (A.D.R., 10 M, divers, avril 1896).
464 A.D.L., 93 M 21, police Saint-Etienne, 30.10.1888.
465 A.D.L., 93 M 22, Commiss. spéc. Saint-Etienne, 19.11.1892.
466 A.D.L., 92 M 70, Commiss. spéc. Saint-Etienne, 13.6.1894.
467 A.D.L., 93 M 27, police, 1.1.1891.
468 A.D.L., 93 M 66, police Rive-de-Gier, 27.1.1894.
469 Gras (L.J.), Histoire de la rubannerie..., ouvr. cit., p. 226.
470 A.D.L., 10 M 85, police Saint-Etienne, 6.5.1889 et 93 M 21, Commiss. spéc., 11.9. et 16.11.1891.
471 Faure (P.), Histoire du mouvement ouvrier dans le département de la Loire..., p. 265, et Lorcin (J.), art. cit., Mélanges Fugier.
472 A.D.L., 93 M 56, Commiss. spéc. Saint-Etienne, 4.12.1892.
473 En septembre 1882, 15 des 20 chambres syndicales stéphanoises, dont celle des mineurs, avaient refusé d’adhérer au Congrès socialiste d’où est sorti le P.O.F. et en août 1890, on ne va ni à Calais (au IVe congrès de la Fédération des syndicats) ni à Chatellerault (au Congrès national de la F.T.S.F.) : ces réunions n’ont pour but que d’organiser les forces « soit du parti guesdiste, soit du parti possibiliste... » ; « ... n’appartenant ni à l’un ni à l’autre (on) n’a rien à y faire... » (A.N., F 712489, préfet Loire, 25.9.1882 et A.D.L., 10 M 86, police Saint-Etienne, 21.8.1890 et 93 M 44, 28.8.1890).
474 A.N., F 7 12491, police Lyon, 7.8., 18.9. et 20.10.1886.
475 Alors que la totalité des conseillers prud’hommes du bâtiment, du cuir et de la métallurgie est d’obédience socialiste révolutionnaire (parmi eux, J. Bernard, l’anarchiste, devenu « révolutionnaire indépendant », et Rogelet) ; A.D.R., 10 M 13, police Lyon, 17 et 18.9.1890.
476 A.D.L., 13 M 1, police Saint-Etienne, 22.9.1889.
477 A.D.R., 4 M 4/ 509, Commiss. spéc. Lyon, 29.1.1879 et préfet, 15.9.1882.
478 A.D.R., 4 M 4/ 510, préfet, 27.12.1884, et, ensemble dossier « U.E.T.S. », 1884- 1885.
479 Cf. Willard (C.), ouvr. cit., p. 271 et suiv. et Bouquier (B.) et Regaudiat (B.), ouvr. cit., p. 110 et suiv.
480 A.D.L., 10 M 111, police Saint-Etienne, 30.3 et 1.4. 1896.
481 A.D.L., 10 M 111, police Roanne, 30.3.1896.
482 Barral (P.), ouvr. cit., p. 553. Il est bien évident qu’il faudrait creuser la question du comportement politique de la classe ouvrière elle-même entre 1876 et 1902, étendre la recherche au « socialisme municipal », qui trouve sa parfaite expression à Saint-Etienne et à Roanne, entre autres ; nous y avons renoncé d’une part parce que ce serait là un travail original en soi, d’autre part parce qu’il a été amorcé par d’autres chercheurs, en cours de travaux ; enfin, parce que quelques sondages nous ont montré qu’il n’y avait pas de modification fondamentale du comportement ouvrier sur les questions essentielles : on fera donc le point seulement à la veille de la guerre.
483 Pour l’ensemble du paragraphe qui suit, nous avons écarté les références précises, qui se compteraient à plusieurs centaines, des sources diverses qui ont été utilisées pour reconstituer les carrières de ces militants.
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