Chapitre VII. Le grand assaut contre les institutions funestes
p. 273-331
Texte intégral
1Comment attribuer aux seuls médecins les progrès accomplis au XVIIIe siècle contre la mort ? On rend les rencontres fâcheuses moins probables en améliorant l’éclairage nocturne : Paris a ses lanternes pourvues de chandelles dont on multiplie le nombre avant de les remplacer par des réverbères à huile à partir de 17451. Pour réduire l’insécurité, on édicte de nouveaux règlements, parfois avec une célérité que nous pouvons envier : un petit bâtiment édifié en saillie s’étant effondré le 14 janvier 1783 sans causer de victime, dès le 17 le bureau des finances de la généralité de Paris interdit toute construction en saillie et en porte-à-faux et annonce la démolition des bâtiments ainsi conçus2. De même les maisons installées sur les ponts au Change, Saint-Michel, Notre-Dame, ... sont proscrites trois ans plus tard après avoir causé plusieurs accidents et incendies mortels3. La lutte contre le feu commence à bénéficier d’une organisation plus efficace, et gratuite4. L.-S. Mercier remarque que « depuis le désastre arrivé à la place de Louis XV » en 1770, « il y a beaucoup d’ordre et d’exactitude dans toutes les fêtes publiques »5. Seuls les accidents de la circulation échappent à la vigilance des autorités responsables6.
2Les intelligences et les imaginations mises en branle ne cessent de déceler quelque cause méconnue de mortalité et d’inventer un remède possible. Des voix s’élèvent de plus en plus nombreuses pour dénoncer les conséquences funestes de l’exercice de certains métiers7. En 1773, au moment où l’on va construire les bâtiments destinés à la Comédie française, le préambule des lettres-patentes fait état de l’inadaptation du théâtre installé aux Tuileries, cette salle contraignant les comédiens à forcer leur voix au détriment de leur santé8. Necker propose dans son ouvrage De l’Administration des Finances de la France (1784) la création d’un « bureau général de recherches et de renseignements » auquel il voudrait confier une enquête « sur la brièveté de la vie dans quelques professions dangereuses »9.
3Necker savait que des petites réformes, même nombreuses et continuées avec persévérance, ne tiennent pas lieu de politique : elles jalonnent une politique. Quelques médecins passèrent de l’action limitée à laquelle ils étaient voués à une vision globale des transformations institutionnelles capables de sauver les hommes de la maladie, de la misère, de l’ignorance. Le physiocrate Quesnay avait été chirurgien ; le médecin Barbeu du Bourg se dévoua à l’indépendance américaine ; on ne prête guère attention aux débuts de médecin du jeune Marat ; qui connaît le Girondin Lanthenas, médecin lui aussi10 ? Ces hommes représentent un nouveau type de médecin selon qui « la lutte contre la maladie doit commencer par une guerre contre les mauvais gouvernements »11 : ils annoncent un Raspail, ou le docteur Benassis de Balzac.
4D’autre part, nous remarquons que des philosophes comme Diderot interviennent peu et le baron d’Holbach moins encore dans les grands débats qui concernent la santé et la vie de leurs concitoyens. Il est vrai que Diderot, admirateur de Louis et de Bordeu, eut indirectement au moins la responsabilité des articles médicaux de l’Encyclopédie. Mais pour ces philosophes, moins marqués peut-être que Voltaire et Rousseau dans leur propre corps, les maux les plus redoutables proviennent de causes tout autres, frappant la société tout entière et seulement par elle, à travers elle, les individus. De l’avis du baron, les fléaux responsables de la « dépopulation » de la France sont la superstition, constamment dénoncée, le despotisme, ainsi que le commerce12. Plutôt que de s’arrêter aux symptômes, maladies et épidémies, les esprits plus systématiques ont concentré leurs attaques contre les grandes institutions religieuses et politiques et contre leurs représentants jugés responsables en dernière analyse des famines, des mortalités, des guerres, mais aussi des crimes, du désespoir, de l’ignorance comme de la peur qui mènent l’humanité à la destruction.
I « L’INFÂME » ET LA « DÉPOPULATION »
« Quel est le fléau de la terre le plus funeste ?
Est-ce la guerre, la peste, la famine, ou la v...?
C’est l’esprit de l’école sans contredit. »
(Voltaire’s Notebooks, II, 381)
« Combien cette multitude de crimes connus n’en fait-elle pas présumer d’inconnus ».
(DIDEROT, Encyclopédie, « Jésuite »)
5La religion et le mauvais gouvernement subissent des attaques alternées ou simultanées. Toutefois la meilleure stratégie demeure celle qui vise à la désunion de l’adversaire. Holbach, qui s’est attiré la haine de Frédéric II pour avoir attaqué ensemble les tyrans et les prêtres, qui confond à l’occasion « monarchie » et « despotisme »13, passe pour un imprudent : il risque de pousser les « despotes » à faire avec les prêtres une commune guerre aux philosophes14. Voltaire, quant à lui, se garde bien de citer exactement la formule scandaleuse du curé Meslier et en adopte une version purement anti-cléricale : « Quand pourrai-je voir, disait un homme assez dur, des jésuites étranglés avec des boyaux de jansénistes ? » Ainsi préserve-t-on l’union contre l’ennemi privilégié15. Les philosophes sont même d’autant plus portés à privilégier cet ennemi qu’ils nourrissent des opinions divergentes sur les secours à espérer des princes16 ; mais aussi la religion leur paraît ajouter au vice de la résignation celui, inverse, de la cruauté « enthousiaste » ; et de façon plus insidieuse le catholicisme épuise les pays où il domine, menacés plus que tout autre par la « dépopulation ». Autrement dit, la religion en France comme sur toute la terre nuit à l’épanouissement de la vie et sème la mort.
6Durant presque tout le XVIIIe siècle, deux idées reçues occupent les esprits les mieux éclairés ; la dépopulation, et la responsabilité directe des moines dans ce phénomène. On voit l’humanité subissant un dépérissement progressif, et la France courant le risque de se dépeupler dans des proportions catastrophiques. L’auteur des Lettres Persanes se demande si le monde n’est pas « déjà dans sa vieillesse » et comme frappé d’une « maladie de langueur ». La France que découvre Rhédi est beaucoup moins peuplée que la Gaule ; parcourant le monde, il n’y trouve que délabrement » et s’inquiète :
Après un calcul aussi exact qu’il peut l’être dans ces sortes de choses, j’ai trouvé qu’il y a, à peine, sur la terre, la dixième partie des hommes qui y étaient dans les anciens temps. Ce qu’il y a d’étonnant, c’est qu’elle se dépeuple tous les jours, et, si cela continue, dans dix siècles elle ne sera qu’un désert »17.
7Après Montesquieu, hommes politiques, économistes, médecins vont répétant que la « dépopulation » menace. Melon s’interroge sur « les causes du dépérissement » de la France et voudrait remédier à « la grande perte d’hommes dans les campagnes »18. Le marquis d’Argenson s’afflige de voir la France devenir « pauvre et déserte »19. C’est à lui que Voltaire fait part en 1739 de son inquiétude : manque d’ouvriers aux champs, manque de sujets pour la milice, il a découvert « qu’on s’en plaignait presque partout » et a conclu « que la France n’est pas si peuplée (proportion gardée) que l’Allemagne, la Hollande, la Suisse, l’Angleterre. Du temps de M. de Vauban nous étions 18 millions ; combien sommes-nous à présent ? » se demande Voltaire20.
8En réalité, Vauban avait judicieusement dénombré « 19 094 000 et tant » sujets de Sa Majesté en 1707, non sans regretter que la France ne possédât pas les vingt-cinq millions d’habitants qu’elle était capable de nourrir21. Or – Vauban l’avait déploré avant Voltaire22 –, les dénombrements sont négligés par le gouvernement et l’on reste longtemps livré aux estimations fantaisistes. Face au total obtenu par Vauban, Dupré de Saint-Maur ne donne plus que douze ou treize millions d’habitants à la France de 174623. A partir de 1756, Mirabeau, dont L’Ami des Hommes reçut aussitôt un accueil favorable, renforce la thèse d’un déclin de la population, qui serait passée de 19 millions sous Charles IX à 17 sous Louis XIV et continuerait de diminuer depuis lors24. L’estimation de seize millions est retenue entre autres dans l’article « Grain » que Quesnay publie dans l’Encyclopédie : assuré que la France possédait 24 millions d’habitants vers 1650, il croit qu’un tiers a été perdu en un siècle25. Jean-Jacques Rousseau est assez prudent pour laisser les calculateurs supputer et comparer, mais en fait il compose son chapitre « Des signes d’un bon gouvernement », dans Le Contrat Social, en homme convaincu du déclin démographique de la France malgré ses laudateurs :
« Non, quoi qu’ils en puissent dire, quand malgré son éclat un pays se dépeuple, il n’est pas vrai que tout aille bien, et il ne suffit pas qu’un poète ait cent mille livres de rentes pour que son siècle soit le meilleur de tous »26.
C’est que Voltaire, visé par cette pique, était revenu de ses premières inquiétudes. Il s’élève contre les pensées pessimistes dont lui-même il a été traversé :
« On veut que la terre soit dépeuplée. Veut-on que nous regrettions le temps où il n’y avait pas de grands chemins de Lyon à Orléans, et où Paris était une petite ville dans laquelle on s’égorgeait ? On a beau dire, les hommes valent mieux qu’ils ne valaient alors, et il y a plus d’hommes »27.
Il se montre très attentif aux enquêtes des spécialistes. On le trouve en relations épistolaires avec l’intendant de Riom puis de Lyon, La Michodière, qui lui confie en 1757 ses premières conclusions :
« Si je juge de tout le royaume par l’Auvergne, il y a augmentation de peuple depuis le dénombrement de M. de Vauban : ce qui ne s’accorde pas avec ce que j’ai lu dans beaucoup de livres nouvellement imprimés sur cette matière »28
Lorsqu’en 1766 Messance publie ses Recherches sur la population à partir des enquêtes ordonnées par La Michodière, l’opinion ne semble pas ébranlée dans ses convictions, mais Voltaire accueille l’estimation de cet « ouvrage exact » pour donner une vingtaine de millions à la France et se moquer des savants qui peuplent le monde antique de milliards d’individus, et de Montesquieu qui a pu ajouter foi à cette « plaisanterie »29.
9Chacun pouvait trouver une estimation analogue dans le Dictionnaire géographique portatif de Vosgien30. Mais il fallut attendre longtemps avant que fussent admises sans défiance ces estimations raisonnables, corroborées par mainte autre : celles de l’abbé Expilly (22, puis 24 millions), de Chastellux et de Buffon confirmant les calculs d’Expilly, de Moheau, secrétaire de Montyon, (entre 23 687 000 et 23 817 000), de Necker (24 800 000), du chevalier des Pommelles enfin qui donnait vingt-cinq millions à la France en 178931. La réaction la plus significative en face de ces recherches apparaît dans les Mémoires secrets de Bachaumont en 1772 : la très officielle Gazette de France du 16 novembre ayant présenté un extrait de l’ouvrage de l’abbé Expilly qui attribuait au royaume plus de 22 millions d’habitants, ce calcul et cette publication dans la Gazette passent « au gré des politiques raffinés » pour une manœuvre destinée à préparer une surcharge d’impôts ; il faudrait donc que l’on réduise ce total « de six millions pour le mettre à sa juste valeur32. Parmi ces politiques, il faut ranger les physiocrates ; avec Quesnay, ils demeuraient convaincus de la misère des campagnes françaises au point de ne pouvoir imaginer que la population fût en train de s’accroître, irrégulièrement mais irrésistiblement. Le Maître de Jacques le Fataliste ne leur avait pas suggéré que « rien ne peuple comme les gueux »33.
10Lorsque l’Anglais Young va découvrir la France après 1789, il sera stupéfait de penser que tant d’écrivains « de mauvais augure » aient si longtemps cru à sa « dépopulation »34. Sous cette idée fausse, transparaissait la conviction mieux fondée que le pays manquait de main-d’œuvre et que son sol aurait été assez riche pour nourrir beaucoup plus d’hommes – ainsi que Salente avant la venue de Mentor –. Sur ce point, l’accord était à peu près unanime. C’est dans ce sens plus clairement précisé que Saint-Just peut affirmer :
« Le monde tel que nous le voyons est presque dépeuplé ; il l’a toujours été »35.
Mais compte tenu de quelques inégalités régionales et de l’effet produit par certaines mortalités, la plupart des auteurs confondirent – comme le marquis d’Argenson et pour un temps Voltaire – pénurie d’hommes, occupation du sol inférieure au niveau optimal, et déclin démographique généralisé36. L’idée de dépopulation était une nébuleuse. Or cette idée fausse ne laissait pas d’avoir sa fécondité. D’une part, de même que les calculs de probabilité destinés à établir les rentes viagères, elle a contribué à la naissance des études démographiques en France. Les progrès sont évidents. Vers 1720, Fontenelle appelait de ses vœux, à la suite de Vauban, l’application de l’arithmétique à la politique37 ; en 1780, le Nouveau Code des Curés rappelle tous les pasteurs à une exacte vigilance au chapitre « De la tenue des registres de baptêmes, mariages et sépultures » parce que, dit l’auteur,
« Rien n’est plus important pour la société civile que de constater d’une manière sûre et inaltérable l’état des hommes »38.
D’autre part, il semble probable que le mythe de la dépopulation, né du « cri anti-patriotique » que dénonçait Messance39, ait finalement stimulé la recherche des causes de mortalité ou de stérilité dans la vie de la nation. Comme un « défi » à relever, la menace suscitait l’ingéniosité dont on a vu et verra les multiples manifestations.
11Liée presque toujours à la première, une seconde idée reçue devait revêtir une importance historique considérable ; elle nous introduit au cœur de la polémique anti-religieuse. Selon maints penseurs de haute volée ou de vue basse, moines et religieux étaient beaucoup trop nombreux en France et constituaient une redoutable cause de dépérissement dans la population, peut-être la principale.
12Montesquieu, à l’époque des Lettres Persanes, assimile la vie religieuse à une « mort », non pas à la « mort au monde » pécheur et éphémère que le chrétien quitte en esprit pour vivre de la vie divine dès cette terre, mais à une mort bien réelle, physiologique autant que civile. Il considère les eunuques du sérail comme des « hommes morts »40. Or d’autres hommes en pays de chrétienté se font volontairement eunuques en grand nombre ; ils vont se jeter dans « ces maisons [...] toujours ouvertes, comme autant de gouffres où s’ensevelissent les races futures »41. Leur fidélité à la vertu de continence, bizarre vertu qui vise à la destruction de la vie, est autant que la mutilation des esclaves du sérail une « peste pour la société ». Aussi les peuples chrétiens qui la tolèrent sont-ils voués à la dépopulation : ce sont les catholiques ; chez les protestants au contraire la vitalité naturelle se déploie sans obstacles : « Le commerce ranime tout chez les uns, et le monachisme porte la mort partout chez les autres »42. Montesquieu était trop perspicace pour réduire son analyse du déclin démographique – sensible vers 1715 – à cette seule cause, mais les images violentes dont il usait et l’ampleur donnée à sa diatribe contre la vie religieuse soulignaient l’importance de l’argument43.
13De façon plus pondérée, Montesquieu revient sur ce problème dans une de ses Pensées où il invoque un précédent illustre : sans qu’on pût suspecter son orthodoxie, Colbert s’était efforcé de réduire l’influence du célibat sur la population française : il demandait de limiter à vingt ans l’âge des vœux pour les religieuses, à vingt-cinq celui des ordinations et des vœux pour les religieux44. Après lui, Claude Gilbert s’était contenté de montrer que dans son île des hommes raisonnables, le culte rendu à Dieu excluait le célibat :
« Rien ne nous rapproche plus de Dieu que de coopérer avec lui à communiquer à autant de sujets qu’il est possible cette félicité éternelle »45.
14Quant à l’auteur d’une Histoire critique du célibat, Morin, que Diderot cite comme un précurseur, il ne se faisait sévère que pour les formes païennes du célibat, « état équivoque et rare dans les commencements, également méprisé des deux sexes »46, propre aux turpitudes et aux tricheries, « état bien différent du haut degré de perfection où nous le voyons aujourd’hui » ; grâce à l’action du Saint-Esprit, concluait Morin, le célibat chrétien n’est plus « l’avorton imparfait d’une nature déréglée, dépravée, débauchée, triste rebut du mariage et de la virginité »47. Mais son mémoire laissait planer une équivoque, car il avait débuté sur le rappel des paroles de la Genèse invitant l’homme à peupler la terre, et avait attribué les premiers cas de célibat non pas à des raisons morales mais à « des motifs plus pressants, de bonnes raisons physiques »48. Au contraire, avec Montesquieu l’attaque était directe, complète et motivée ; elle ramenait sur le terrain de la démographie un problème dont les économistes allaient s’emparer aussi bien que les philosophes hostiles à l’Eglise.
15S’inspirant de l’abbé de Saint-Pierre, Melon est parmi les premiers à avoir renouvelé dans la sérénité la critique du célibat : son Essai politique sur le commerce (1734) reprend la proposition de Colbert et souligne que le célibat des prêtres, simple règle fixée par l’autorité ecclésiastique, peut être aboli par elle à la demande de l’autorité civile49.
16Morin, Montesquieu, Melon, l’abbé de Saint-Pierre sont les auteurs dont s’inspire Diderot lorsqu’il rédige l’article « Célibat » de l’Encyclopédie. Il estime assez les curés pour répéter après l’abbé de Saint-Pierre que quarante mille curés mariés donneraient quatre-vingt mille enfants bien élevés et futurs honnêtes gens ; il calcule encore que depuis François 1er, la France a été privée par le célibat ecclésiastique de « quatre millions de catholiques ». La vue des couvents le révolte et lui donne le vertige : « Ne sentira-t-on jamais la nécessité de rétrécir l’ouverture de ces gouffres où les races futures vont se perdre ? » écrit-il dans La Religieuse50. Avec les Encyclopédistes et leurs amis, l’idée reçoit toute sa vigueur polémique et elle se répand rapidement51. Les calculateurs vont bon train. Pour un théologien, chanoine d’Etampes, qui veut prouver que le mariage des prêtres et même des évêques correspond mieux à l’ordre divin52, que de calculateurs en effet ! Les auteurs du Mémoire théologico-politique estiment que dans la religion catholique « le tiers au moins des citoyens garde le célibat et prive par conséquent l’Etat des sujets qui lui seraient nécessaires »53 ; Ange Goudar, qui place le clergé en tête des responsables de la dépopulation54, évoque la fin lointaine mais inéluctable de la France :
« Cinq cent mille célibataires, de l’un et l’autre sexe, qui s’enterrent avec toute leur postérité dans les cloîtres, font mourir tous les siècles la trentième partie de la nation : de manière qu’on peut calculer d’avance la destruction générale, et prouver géométriquement que dans trois mille ans il n’y aura pas un seul Français sur la terre »55.
Voltaire se moque de Montesquieu et ne partage pas les craintes de Melon, mais il admire ce dernier56 ; il prend à son compte les accusations de Melon contre les religieux célibataires ; il reproche à Mirabeau, « l’Ami des Hommes », d’accorder aux moines une utilité sociale ; finalement il rejoint sans le dire le jugement formulé dans les Lettres Persanes et s’indigne contre le risque capital que fait courir à l’humanité « le vœu d’anéantir sa race ». Sur des bases numériques mieux fondées, il calcule à la manière de Diderot :
« Quatre-vingt-dix mille cloîtrés, qui braillent ou qui nasillent du latin, pourraient donner à l’Etat chacun deux sujets : cela fait cent soixante-mille hommes (sic) qu’ils font périr dans leur germe. Au bout de cent ans la perte est immense ; cela est démontré »57.
17Par delà les chiffres, de page en page, obsédantes, les images du gouffre et du tombeau s’imposent aux écrivains ; et surgit la vision de ces « vermisseaux », de « ces petits animaux qui frétillent », de « ces petits hommes » découverts sous le microscope perfectionné de Hartsoecker et voués à la destruction par les religieux du jour où ils prononcent leurs « vœux germicides »58.
18Jusqu’à la Révolution, « cette nation éternelle sans postérité »59 va soulever critiques et réprobations, soit en général pour ses effets funestes sur la société ou sur l’individu60, soit parce que son existence permet à des parents criminels de condamner au « tombeau » d’innocentes victimes de leur tyrannie ou de leur cupidité, au risque de les acculer au désespoir, soit enfin parce que des êtres jeunes et exaltés se précipitent au couvent comme d’autres se suicident. L’influence des chefs-d’œuvre de Marivaux et de Diderot a pu être plus entraînante que les supputations arithmétiques ; et l’actualité offrait ses « histoires tragiques » pour corroborer la thèse et stimuler les imaginations61.
19Chez divers auteurs, Melon, Goudar, Voltaire, d’autres encore, le mariage des prêtres devait aller de pair avec le retour des religieux dans la vie sociale62. Mais on s’interroge : le mariage est-il vraiment un facteur de « population » ? La religion chrétienne ne donne-t-elle pas au mariage un caractère d’indissolubilité qui crée un nouvel obstacle à la fécondité ? Ici encore Montesquieu joue un rôle, sinon de précurseur, du moins d’incitateur. Il fait observer que dans un couple, si l’une des deux personnes est stérile, elle « ensevelit l’autre avec elle et la rend aussi inutile qu’elle l’est elle-même ». Parce que l’institution chrétienne du mariage exclut le divorce, elle devient la source non seulement de dégoûts et de débauche, mais de dépopulation63. Cette Lettre Persane n’est sans doute pas étrangère à la recrudescence des réclamations en faveur du divorce qui marque le troisième tiers du siècle. Rousseau et Diderot avaient de plus fait observer que l’impossibilité de recourir à ce remède pouvait provoquer des crimes ; et l’on s’inquiète en effet de leur nombre. Un passage du Discours sur l’origine de l’inégalité puis l’article « Indissoluble » de l’Encyclopédie éclairent le mariage d’une lumière inquiétante : l’Eglise révèle sa nocivité là-même où l’on aurait pu croire qu’elle garantissait et consolidait le lien social par la défense de la famille64. Plus rien de ce qui la concerne n’est innocent...
20Encore faut-il admettre que cette influence s’exerce plutôt par des effets indirects et comme par défaut. Le développement de la vitalité de la nation étouffé ou entravé, les bienfaits du mariage sapés par une excessive contrainte, voilà qui met l’Eglise en posture d’accusée, mais non pas positivement de criminelle. Or c’est bien de crimes qu’elle est coupable aux yeux des philosophes. Chacun, et Voltaire avec une implacable persévérance, s’applique à instruire ce nouveau procès. Le dossier s’épaissit ; les procureurs remontent très loin pour accumuler leurs preuves. Il faut bien les condenser.
21Même si, plus que tout autre, « le Dieu des chrétiens est un Dieu de sang »65, c’est à vrai dire toute religion qui porte en soi des ferments de cruauté. Montesquieu énumère les atrocités auxquelles a donné naissance à travers les âges et les continents le dogme de l’immortalité de l’âme, « ce dogme si saint ». Plutôt que la gratitude envers le Créateur, l’historien découvre qu’il a produit la misère du peuple égyptien immolé pour l’édification des pyramides, les sacrifices sanglants, les suicides rituels, l’anthropophagie... « La superstition, qui outre tout, [...] s’en est servie pour ravager le genre humain »66. Comme le fait Montesquieu, on sait user des correspondances possibles entre religions pour accabler le principal inculpé, le christianisme dans son avatar principal : le catholicisme romain. Seul peut-être le sacrifice des veuves malabares, qui doivent suivre leur époux mort sur le bûcher, conserve un caractère d’irréductible exotisme. Mais encore donne-t-on à penser que la responsabilité de cette coutume incombe aux croyances, à l’influence des prêtres67, voire au goût morbide des dévotes pour la mortification68. Quant aux peuples dont le culte comporte des sacrifices humains, Crétois, Gaulois, Guèbres, Mexicains, ils permettent de susciter des analogies avec l’histoire du christianisme ou des nations que l’on dit chrétiennes69. Au reste, garantiraient-elles des règles morales, les religions façonnent un Dieu ou des dieux sanguinaires auxquels on ne plaît qu’en immolant autrui ou en s’immolant soi-même70. Diderot confie sa conviction à sa maîtresse : « Il n’y a pas une seule contrée, il n’y a pas un seul peuple où l’ordre de Dieu n’ait consacré quelque crime »71. La relation est logique entre un Dieu qui terrorise et des hommes qui se font aussi cruels que lui en croyant l’apaiser. On peut écrire un livre De la Cruauté religieuse : Holbach l’a fait.
22Ainsi le peuple juif qui a donné naissance au fondateur du christianisme est-il un terrible initiateur à la cruauté :
« Un vrai chrétien ne doit-il pas sentir la nécessité d’être féroce et sanguinaire, quand on lui propose pour exemples les saints et les héros de l’Ancien Testament ? »72
On a pu parler d’un antisémitisme philosophique, chez Voltaire en particulier, qui déploie ses connaissances puisées auprès de dom Calmet pour dresser la liste des atrocités commises par des rois, des héroïnes, des prophètes et des prêtres juifs, fidèles à l’Alliance ou infidèles, pêle-mêle73. Il poursuit d’une véritable haine « la misérable petite horde judaïque, mère des plus infâmes superstitions »74 ; ce n’est pas qu’il en souhaite la destruction75, mais son goût littéraire et sa conception de l’histoire du monde s’unissent à son zèle anti-chrétien pour lui faire exécrer Israël, surtout en comparaison du peuple grec76.
23Jésus-Christ fait-il exception dans son peuple ? Oui, répond Rousseau, qui admire le caractère original, incompréhensible, de cet être capable de lancer un message d’amour universel bien qu’il soit issu « du sein du plus furieux fanatisme » et du « plus vil de tous les peuples » : le contraste entre l’individu Jésus et son peuple est un signe surnaturel qui frappe la raison critique77. D’autre part on voit en lui – comme abusivement en Socrate – une victime des prêtres fanatiques78.
24Mais si d’aventure Voltaire présente ce parallèle entre les deux « victimes », il préfère comme Diderot dénoncer en Jésus l’« enthousiaste » et le fanatique fidèle à ses origines judaïques. Sans préciser s’il se réfère aux martyrs chrétiens ou aux infidèles et aux hérétiques qu’a « immolés » l’intolérance, Voltaire écrit :
« Ces terribles paroles : « Je ne suis pas venu apporter la paix, mais le glaive » ont fait périr plus de chrétiens que la seule ambition n’en a jamais immolé »79.
Chrétiens ou non, Voltaire a fait le décompte un jour de rage froide : au total, et en serrant au plus juste, il rend le christianisme coupable d’avoir fait périr sur toute la terre depuis ses origines obscures 9 468 800 personnes80.
25Dans les premiers siècles, d’ailleurs, qu’est-ce que ces martyrs dont les apologistes veulent tirer, après Pascal, une preuve pour la vérité de leur foi ? Selon Diderot, ils sont eux-mêmes responsables de leur perte comme l’a montré le mauvais témoignage rendu par les jansénistes contemporains :
« C’est l’incroyable audace avec laquelle vos fanatiques ont affronté la persécution qui a presque anéanti la preuve des martyrs. L’impie les a vus
se réjouir des châtiments que l’autorité publique leur infligeait, et il a dit : Un martyr ne prouve rien ; il ne suppose qu’un insensé qui veut mourir, et que des inhumains qui le tuent ».81
Voltaire préfère user de scepticisme comme devant toutes les vies de saints trop merveilleuses, d’autant plus que ces faits choquent sa philosophie de l’histoire et flattent trop son goût de conteur :
« Plus je relis les Actes des Martyrs, plus je les trouve semblables aux Mille et une Nuits, et je suis tenté de croire qu’il n’y a jamais eu que les chrétiens qui aient été persécuteurs, pour la seule cause de la religion »82.
26Les croisades offrent un terrain propice à la démonstration, une démonstration tôt préparée par des critiques venant de chrétiens eux-mêmes. En effet, des protestants, des catholiques plutôt teintés de jansénisme avaient fait ressortir le caractère ambigu et les aspects très profanes de ces expéditions. Jurieu, en 1690, condamnait « la folie des Croisades » pour un motif politique, car il y voyait un instrument utilisé par les rois pour établir leur pouvoir absolu83. Les Nouvelles ecclésiastiques font preuve d’un esprit très critique sur ce chapitre : en 1729, la feuille janséniste morigène avec acidité l’auteur d’une Vie de Saint-François pour la raison que les Mémoires de Trévoux recommandent l’ouvrage, et pour cette autre raison « qu’il défend les croisades, et regrette qu’il n’y en ait plus »84. Avant cette date, l’abbé Fleury s’était élevé contre ces « saints brigandages d’outremer » et d’Alembert le louera de son audace dans la dénonciation d’aventures « qui ont dépeuplé et ruiné l’Europe sans faire au christianisme un seul prosélyte digne de lui »85. Montesquieu, puis le marquis d’Argens apportent des considérations complémentaires. Pour Montesquieu, les croisés étaient des batailleurs au passé criminel qui prétendirent expier leurs fautes à bon compte « en suivant leur passion dominante »86 ; il n’attaque pas à travers eux la religion. Argens, lui, s’en prend à saint Bernard, juge qu’on voit bien dans l’exemple des croisades l’inconséquence des « nazaréens » qui prêchent un Dieu de paix et massacrent leurs semblables87. Il n’est pas banal de retrouver chez Louis Racine les mêmes arguments devenus regrets : ce janséniste modéré parvient à frapper quelques vers d’assez bonne facture pour déplorer la conception belliqueuse de l’apostolat qui sévit en ces siècles éloignés de la source évangéliques : « Dieu de paix, que de sang a coulé sous ton nom ! » s’écrie-t-il, avant de fustiger les « barbares docteurs » qui pourvurent d’une consécration théologique l’intolérance la plus féroce88. Quelque temps encore et, grâce à Voltaire, l’éloquence sacrée va répandre les leçons des Lumières à l’occasion du Panégyrique de saint Louis prononcé devant l’Académie française le 25 août de chaque année dans la chapelle du Louvre. Au nom de l’abbé d’Arty, en 1749, Voltaire rédige un éloge selon la méthode des contrastes : les qualités et les actions du roi, juste, raisonnable, vertueux, tranchent sur la mentalité des croisés et sur les comportements propres à ces « temps sauvages ». Autre contraste plus redoutable, l’auteur suggère que les Infidèles sont capables d’une magnanimité bien opposée à la férocité de leurs ennemis chrétiens89. L’historien a sa religion faite sur « les ténèbres » de l’Occident médiéval, sur cette époque de dépopulation catastrophique où « tout cède au vertige sacré qui fait égorger pendant deux siècles des nations innombrables sur le tombeau d’un Dieu de paix »90. Mais la marque propre de Voltaire pouvait disparaître dans ce Panégyrique derrière le souvenir de critiques formulées par des chrétiens rigoristes. De même, découvrant l’article « Croisades » où Diderot dresse un bilan, les souscripteurs catholiques de l’Encyclopédie furent peut-être moins choqués qu’il ne nous semble à lire que « ces émigrations, occasionnées par un esprit mal entendu de religion, coûtèrent à l’Europe environ deux millions de ses habitants », l’appauvrissement, la décadence, et s’ajoutèrent aux causes de la dépopulation91.
27Le ton est désormais donné. Parallèlement aux philosophes, la plupart des panégyristes de saint Louis vont se délivrer un certificat de civisme en dénigrant les foules de croisés : les uns cherchent des circonstances historiques atténuantes, les autres « frondent » en un langage plus philosophique que chrétien ce que le cliché nouveau désigne comme des « brigandages sacrés »92 et que la Correspondance littéraire appelle « les entreprises de brigands débauchés et dévots »93. Il ne faut rien de moins qu’une guerre de Catherine II contre les Turcs et l’espérance de voir « ressusciter Athènes » pour réhabiliter le mot « croisade »94.
28Combien d’autres croisades à dénoncer au fil de l’histoire du monde occidental ! Outre les Albigeois, il est tant de sectes que les chrétiens ont voulu réduire par la force ! Diderot présente même comme des hérétiques, pitoyables victimes, les bandes de routiers dévastateurs surnommés « Cotereaux » qui furent exterminés par milliers au XIIe siècle dans le Berry95. On rappelle comment Espagnols et Portugais ont christianisé ou assassiné les « Américains ». La colonisation est présentée le plus souvent comme une entreprise criminelle du zèle missionnaire, « un crucifix dans une main et le poignard dans l’autre »96, parce que c’est le Pape qui « mit le fer à la main » des conquérants97. Quand Voltaire montre au dénouement d’Alzire un gouverneur mourant dans le repentir, il fait accomplir à son personnage un acte réparateur de toutes les cruautés commises en méconnaissance du vrai Dieu, père commun des Américains et des Européens98. Cependant le mal prolonge ses effets : Voltaire, qui ne croit pas à la dépopulation, veut bien y faire référence quand il faut étaler les crimes de la colonisation chrétienne :
« La découverte d’un nouveau monde hâta la ruine du nôtre. A ce terrible : Allez et forcez, l’Amérique fut désolée et ses habitants exterminés ; l’Afrique et l’Europe s’épuisèrent en vain pour la repeupler. »99
29Mais le crime par excellence, c’est la guerre fratricide allumée en France même par le fanatisme, avec sa grande fête atroce : le massacre de la Saint Barthélémy. Depuis le deuxième chant de la Henriade jusqu’à l’ode qu’il consacre à « L’Anniversaire de la Saint Barthélemi pour l’année 1772 », Voltaire va clamant son horreur et son dégoût100. Le 24 août « jour où [sa] plume tremble dans [sa] main » a éclipsé pour Voltaire la solennité du lendemain, fête du roi et du royaume101. L’abbé Prévost fonde sur ce massacre sa préférence pour la « barbarie anglaise, en somme moins abominable que celle des Français qui donnèrent un spectacle sans exemple dans tous les siècles ». Le romancier philosophe ne distingue pas entre la victime et les assassins afin de condamner globalement « des guerres sanglantes produites par la religion »102. Car, de même que le christianisme est comparable aux religions les plus cruelles, de même les diverses confessions méritent en son sein une égale méfiance et une identique condamnation. Pour le marquis d’Argens, Luther et Calvin sont eux aussi des « scélérats »103. Les pasteurs de Genève sont bien naïfs de se scandaliser devant les attaques du seul Voltaire qui stigmatise « l’esprit tyrannique », la « barbarie », la « lâcheté » de Jean Calvin lors de l’exécution de Michel Servet104. A leurs reproches répond l’invective furieuse :
« Fanatiques papistes, fanatiques calvinistes, tous sont pétris de la même m... détrempée de sang corrompu »105.
A Genève, Michel Servet ; en Hollande, Barneveldt succombant à la persécution d’un frère protestant... Longue est la théorie des victimes106.
30Il arrive aux plus circonspects d’espérer que les assassinats commis au nom de la religion ne pourront se renouveler en leur siècle. Verserait-on le sang désormais pour défendre son Dieu ? « Les temps de ténèbres », l’ère des sacrifices humains sont révolus. Ainsi parlent Diderot et Voltaire.
« Il y a sans doute encore des barbares ; et quand n’y en aura-t-il plus ? Mais les temps de barbarie sont passés ; le siècle s’est éclairé ; la raison s’est épurée » ;
ainsi parle Constance à Dorval, qui se laisse convaincre et qui l’épousera. L’histoire parfois ressemble aux drames qui finissent heureusement107. Sa vie durant, Voltaire revient à cette espérance, malgré les désillusions successives.
« Nous ne sommes plus dans les temps
D’une ignorante barbarie
Où l’on faisait brûler les gens
Pour un peu de philosophie ».
écrit-il en 1733 au futur abbé de Sade108. Vingt-cinq ans plus tard, il exprime sa reconnaissance à l’égard du pape Benoît XIV mourant : « Si tous ses prédécesseurs lui eussent ressemblé, il n’y eût point eu de guerres de religion dans le monde »109. Deux ans avant sa mort, il avoue avoir eu tort de trop s’inquiéter quelques semaines plus tôt : « Le fanatisme, tout féroce qu’il est, craint encore un peu le ridicule »110. Lui aussi donne un dénouement heureux à son théâtre de dénonciation111. Le peuple peut danser et chanter, grâce aux efforts des philosophes :
« Sachez que ce sont eux (et eux seuls) qui ont éteint enfin les bûchers, et détruit les échafauds où l’on immolait autrefois et le prêtre Jean Hus, et le moine Savonarole, et le chancelier Thomas Morus, et le conseiller Anne du Bourg, et le médecin Michel Servet, et l’avocat général de Hollande Barnevelt, et la maréchale d’Ancre, et le pauvre Morin, qui n’était qu’un imbécile, et Vanini lui-même, qui n’était qu’un fou, argumentant contre Aristote, et tant d’autres victimes enfin dont les noms seuls feraient un immense volume ».
31Ainsi, le « registre sanglant de la plus infernale superstition et de la plus abominable démence »112 serait-il clos ? A peine Voltaire l’a-t-il laissé entendre ici qu’il évoque l’attentat de Damiens et se récrie contre les prétentions d’un abbé de Caveirac qui a voulu « diminuer, excuser les horreurs de la Saint Barthélemi »113. Il a juste le temps d’écrire : « On ne brûlerait pas aujourd’hui la maréchale d’Ancre, on ne ferait pas aujourd’hui la Saint Barthélemi », et il apprend le lendemain qu’on a exécuté le jeune chevalier de La Barre114. En fait Voltaire a bien pu concevoir des espérances excessives à certains moments de sa vie ; mais de telles déclarations font penser à un rituel de persuasion. Bien avant les grands moments de la lutte contre les philosophes, à une époque où il ne s’est pas encore soucié des persécutions que subissent les pasteurs protestants, il exhorte ses contemporains à rester sur leurs gardes. La religion chrétienne « ayant fait couler le sang pendant plusieurs siècles, peut le faire couler encore », écrit-il vers 1751, et il le répète dans Le Siècle de Louis XIV115. L’atrocité a reculé ; elle reste présente.
32Lorsque les philosophes et leurs alliés parcourent le « registre sanglant », ils font une place à l’histoire récente sinon à l’actualité même. On se borne parfois à évoquer les « flots de sang » dont est « inondé le monde chrétien » depuis les origines : ainsi s’exprime l’auteur de l’article « Persécuter, Persécution » dans VEncyclopédie116. On accumule les faits odieux recueillis au long de l’histoire de l’Eglise : ainsi font le marquis d’Argens dans les Lettres juives117, Voltaire dans l’Essai sur les Mœurs et le Dictionnaire Philosophique, Holbach dans La Contagion sacrée et dans la seconde partie du Système de la Nature... On illustre telle page particulièrement sombre et éclairante : Diderot médite une tragédie inspirée par les horreurs que commirent les catholiques anglais sous Jacques 11118 ; Fenouillot de Falbaire propose à la scène un exemple des persécutions que subissent les protestants français en plein XVIIIe siècle119. Parce qu’une évocation de la réalité immédiate serait impossible, on gaze l’actualité et en même temps, on l’amplifie ; les affaires scandaleuses mais rares et limitées en ce siècle reçoivent un surcroît de puissance inquiétante grâce aux projections auxquelles elles donnent prétexte : ainsi en est-il d’une médiocre Mort de Socrate devenue subversive à l’époque des poursuites contre Jean-Jacques Rousseau en 1762120, ainsi de Bélisaire publié en 1767 par Marmontel quelques mois après la mort du chevalier de La Barre. Voltaire use de préférence d’une tactique harcelante : il multiplie en toute occasion le dénombrement implacable des crimes des chrétiens. Il développe la série des atrocités dues à l’intolérance dans le Poème sur la loi naturelle, en 1752 ; après l’attentat de Damiens, plus souvent encore à partir de l’affaire Calas et du Traité sur la Tolérance, il tient sa liste à jour : nouvelles persécutions infligées aux protestants, puis « cette boucherie de cannibales » que fut l’affaire de La Barre, dans un ensemble qui paraît ainsi préparé depuis dix-huit siècles à leur faire place121. Le procédé ne manque pas d’imitateurs ; même Rousseau, que Voltaire trouve trop indulgent, use de cette technique énumérative en vue de confondre l’adversaire commun.122.
33Ainsi l’Inquisition racontée, mise en images, évoquée comme une présence prochaine, demeure un monstre menaçant aux gothiques allures. La France confine heureusement les juges ecclésiastiques dans d’étroites limites ; elles sont encore trop larges : l’in pace, hypocrite moyen de tuer sans verser le sang, ne risque-t-il pas de faire clandestinement des victimes au fond de quelque couvent123 ? Mais aux portes mêmes du royaume les tribunaux de l’Inquisition continuent à expédier des hommes au bûcher. Les historiens et leurs continuateurs décrivent les méthodes cauteleuses de ses « familiers », les forfaits secrets, le grand spectacle des autodafés, l’acharnement de cette justice pervertie qui poursuivrait jusqu’aux cadavres124. Les prétendus sorciers et les Juifs eux-mêmes, ses victimes favorites, deviennent dignes de pitié125. Diderot évoque dans Le Neveu de Rameau la triste histoire d’un juif d’Avignon qui ne s’est certainement pas déroulée dans le Comtat Venaissin126. De même une information plus rigoureuse éviterait à Voltaire de croire à ces histoires controuvées de procès aux cadavres ; il devrait préciser que l’on ne brûle que les Juifs convertis qui ont apostasié... Il est de bons esprits pour se satisfaire de ces rectifications127. Mais qu’importe les subtilités ? Le règne du prêtre criminel, du moine criminel, s’étend ainsi selon sa hideuse puissance. Déjà, préfigurant la scène imaginée par Dostoievski dans Les Frères Karamazov, le jeune Saint-Just en vient à penser que, si quelque inquisiteur rencontrait aujourd’hui le Christ, il lui ferait subir le sort de tant d’autres martyrs de la liberté128.
34La « barbarie sacerdotale » projette ses ombres sur la littérature philosophique. Les Lumières semblent avoir besoin de ces ombres. Toutes les atrocités qu’on décrit ou évoque, un homme de Dieu, prophète, pape, prêtre ou moine, les a commises, ordonnées ou bénies. Le « glaive spirituel » devient un « poignard ». Voltaire plus de cinquante années durant dénonce devant l’humanité l’homme au crucifix et au poignard129. Avec Voltaire et sans doute d’après lui, Morelly, Helvétius, Diderot, Holbach, Rousseau, d’autres encore, dénoncent la rage de domination et de destruction de cet être multiforme. Chaque époque a sans doute besoin de son « barbare » ; le « prêtre au poignard » est le précurseur noir de l’homme rouge au couteau entre les dents. Morelly invite à se défier même des sectes qui prêchent le « tolérantisme », car le « sacerdoce » est trop avide de domination pour en rester là130. « Faible, hypocrite et poltron par état, tout prêtre catholique doit en général être atroce », dit Helvétius131 ; en définitive il ne voit partout et toujours que le même prêtre sanglant :
« Qu’on jette les yeux sur le nord, le midi, l’orient et l’occident du monde, partout l’on voit le couteau sacré de la religion levé sur le sein des femmes, des enfants, des vieillards ; et la terre, fumante du sang des victi
mes immolées aux faux dieux ou à l’être suprême, n’offrir de toutes parts que le vaste, le dégoûtant et l’horrible charnier de l’intolérance »132.
Nul besoin donc d’être le fils du coutelier de Langres pour voir luire les couteaux dans les mains consacrées :
« On a dit des Jésuites que chacun d’eux était un poignard dans la main du général.
On peut dire au moins avec autant de vérité qu’un poignard est dans la main de chaque prêtre »133.
Le baron d’Holbach et Jean-Jacques, le jeune Ducis et Senancour, Marmontel comme Lequinio, ne renouvellent guère l’image : elle est clichée comme est reçue l’idée que la religion ne saurait subsister sans sacrifices humains134.
35Le XVIIIe siècle ne possède pas son saint Dominique ou son cardinal de Lorraine pour incarner la figure abhorrée. Mais les philosophes s’estiment justifiés dans leur vigilance. Voltaire a un frère qui, sans être ecclésiastique, brûle d’un ardent zèle janséniste et qui, à en croire Piron, est des moins charitables135. Diderot se montre très sévère sur le compte de son frère l’abbé en qui il trouve l’étoffe des persécuteurs136. Il suppose qu’on puisse être à la fois un petit abbé incrédule et un intolérant qui égorgerait à l’occasion son prochain137. Il a aussi rencontré un jour deux jeunes capucins dont la conversation l’a épouvanté : ils ont pris devant lui la défense de saint Dominique qui avait préconisé la croisade contre les Albigeois, tandis que Diderot s’indignait contre les « pieux assassins de la même espèce »138. Marmontel fait l’expérience de l’intolérance impitoyable lors de ses conférences avec des docteurs de Sorbonne au sujet de Bélisaire :
« Ils ont voulu me faire approuver qu’on prêchât l’Evangile le poignard à la main139.
36Toutes ces déclarations trouvent leur garantie dans d’autres proclamations de chrétiens, prêtres ou non, qui attestent la vigueur de leur zèle : quelques-uns ne se contentent pas de défendre en principe l’usage légitime de l’autorité royale qui protège la religion140, ils approuvent avec enthousiasme la Déclaration royale du 16 avril 1757 punissant de mort quiconque composera ou diffusera des ouvrages contraires à la religion et aux mœurs, et imprimés sans permission : Caraccioli estime que Louis XV « vient de se couvrir d’une gloire immortelle »141. On juge de l’effet que produisaient de telles paroles ; imaginons comment un esprit « éclairé » recevait la conclusion de l’Instruction pastorale de Montazet affirmant que « c’est encore au feu de la charité que s’allume le flambeau de la colère »142.
37A défaut de grands crimes actuellement commis, les philosophes condamnent avec véhémence un état d’esprit. S’il est des ecclésiastiques pour s’en étonner alors que « jamais l’Eglise n’a mis tant de modération dans l’usage de sa puissance », Marmontel répond « qu’il est à craindre que l’avenir ne ressemble au passé ; et qu’on prend le moment où les eaux sont basses pour travailler aux digues »143. Un symptôme : l’aisance avec laquelle tel abbé contemporain semble justifier en fait les atrocités passées. Pour les hommes des Lumières, il n’est pas d’exemple plus instructif que celui de l’abbé Novi de Caveirac, prieur de Cubiérètes. Ce personnage était assurément défavorable à des mesures de tolérance civile à l’égard des protestants ; il s’était déjà fait connaître par un Mémoire politico-critique hostile à des dispositions libérales pour le mariage des calvinistes en France. Il s’avisa d’examiner les véritables effets de la Révocation de l’Edit de Nantes sur la population française, et de refaire un bilan plus exact de la Saint Barthélemi. il composa donc d’une part une Apologie de Louis XIV et de son Conseil sur la Révocation de l’Edit de Nantes, et d’autre part une Dissertation sur la Journée de la Saint Barthélemi, publiées dans un même volume en 1758144. L’abbé devint aussitôt et pour longtemps – lui qui avait étudié « cet affreux événement [...] non sans horreur, mais sans partialité » – « l’apologiste de la Saint Barthélemi ». Ce raccourci qui sentait la mauvaise foi ne convenait pas à sa Dissertation, qu’on ne lut peut-être guère. Il avait osé prétendre que « si la religion n’eut aucune part au massacre comme motif, elle y [était] bien moins entrée comme conseil » ; il avait tenu la duplicité de Charles IX pour responsable des « démonstrations de reconnaissance, plutôt que de satisfaction » – un Te Deum – par lesquelles Grégoire XIII avait salué l’événement, en apprenant « non le massacre des huguenots, mais la découverte de la conspiration qu’ils avaient tramée, ou du moins dont le roi eut grand soin de les accuser dans toutes les cours de la chrétienté »145. Il énumérait les nombreux cas de calvinistes sauvés par des prêtres, des religieux, des évêques, de simples fidèles catholiques à Lyon, Toulouse, Lisieux, Romans..., donnant même un argument des plus spectaculaires : se tournant vers Genève il rappelait que « c’est à un prêtre de Troyes qu’elle doit l’avantage de compter parmi ses hommes illustres un des plus célèbres médecins de l’Europe » puisque ce prêtre avait sauvé la vie du « père » de Théodore Tronchin146. Inversement il attirait l’attention sur la mort de catholiques victimes eux aussi de « la licence, inséparable du tumulte »147. Après avoir rendu le duc d’Anjou, le futur Henri III, responsable direct et déterminant de la décision du roi148, il concluait qu’elle avait provoqué le massacre « dans ces malheureux jours d’horreur et de deuil », de deux mille personnes environ, dont un millier à Paris149.
38Cette arithmétique manipulée avec un tel sang-froid scandalisa d’autant plus que les philosophes croyaient ce massacre infiniment plus sanglant150. De plus l’homme était – non sans motif, on l’a vu – suspect de partialité. Mais surtout il avait le tort de prétendre dérober à la propagande philosophique un argument de taille en disculpant le clergé et en replaçant la journée de la Saint Barthélémi dans son contexte politique151. Telle était la faute inexpiable : on le lui fit bien voir. Désormais le petit abbé de Caveirac ne fut plus désigné autrement que par des expressions de mépris, comme un être abominable qui avait eu le front de se faire « l’apologiste de la Saint Barthélémi »152, « un homme de sang avec lequel il ne fallait pas partager le même toit »153. Quels que fussent les mérites du spécialiste en matière de population, on en fit une sorte de paria154.
39Mais ce n’était qu’un individu. Combien plus dangereuse une Compagnie de prêtres organisée, unifiée, multiforme, riche en influences de toutes sortes ! Il n’est pas nécessaire d’évoquer longuement l’image que la propagande philosophique répandit, ou contribua à répandre, des Jésuites. Jusqu’au règne de Louis XIV, la coutume était d’accuser le premier ministre de tous les malheurs du temps, plutôt que de s’attaquer au roi lui-même155. Faute de ministres qui gouvernent sous leur responsabilité, et grâce à l’évolution de Louis XIV vieillissant, voici que les confesseurs jésuites deviennent la cible favorite, et avec eux toute la Compagnie. Non seulement les Jésuites sont tenus pour responsables des persécutions infligées aux jansénistes, ce qui va de soi, mais on les accuse de crimes clandestins. Selon Duclos, ils ont envoyé au fond des prisons et fait mourir « un grand nombre de malheureux » avant que le Régent ne mît un terme à leur pouvoir156. En 1753, à propos de M. de Rastignac, archevêque de Tours, « qui est certainement mort de poison », la suspicion se porte sur les Jésuites ; le marquis d’Argenson, qui recueille volontiers ce genre de rumeurs, commente ainsi la nouvelle :
« En le supposant, voilà donc les crimes et la violence qui recommencent à régner sur la face de la terre, et cela par les passions horribles des prêtres »157.
Leur pouvoir occulte paraît capable de tout ; mais l’accusation la plus lourde, la plus fréquente, les représente comme des spécialistes du régicide.
40Cette accusation de régicide ne tombe pas seulement sur les Jésuites. Depuis longtemps Voltaire incrimine indistinctement le clergé présenté comme le rival du pouvoir temporel des princes, et il reporte sur ses leçons intolérantes la responsabilité des régicides et des troubles qui ruinent les éclats158. C’est bien là que se révèle dans toute sa noirceur le rôle funeste des prêtres et des prophètes du peuple juif159. Cependant nul ne l’a mieux rempli que « les jésuites, ces grands prôneurs du régicide »160. Depuis deux siècles la mémoire du peuple et des notables gallicans a retenu le rôle joué par un jésuite et un homme formé par la Compagnie, le P. Guignard et Jean Chastel, dans l’attentat de 1595 contre Henri IV ; le crime de Ravaillac est associé à cette précédente tentative et les Jésuites n’y semblent pas étrangers ; le nom du P. Guignard revient sans cesse dans la série des religieux et des prêtres qui se sont illustrés pour avoir porté la main sur des rois ou inspiré des criminels161. Certes les dominicains ont eux aussi produit un régicide, Jacques Clément, l’assassin de Henri 111162 ; mais l’ordre des frères prêcheurs reste plutôt associé aux monstruosités de l’inquisition, tandis que ce sont les Jésuites qui ont le plus constamment soutenu la doctrine du « tyrannicide », que l’on ne distingue pas du régicide. L’un d’eux, Mariana, n’a-t-il pas publié un ouvrage en 1610, l’année même de l’assassinat d’Henri IV, où il appelait Jacques Clément « l’honneur éternel de la France »163 ? Peu importe finalement que la main de Damiens qui porta un coup de canif à Louis XV – le canif sinon le poignard ! – ait été ou non guidée par les jésuites164. Ce que les jansénistes d’une part, les philosophes d’autres part veulent retenir, c’est qu’en 1757 comme en 1610 paraît un ouvrage où est légitimé le régicide : une nouvelle réédition d’un traité classique de casuistique, la Theologia Moralis du R.P. Busembaum, s.j., revue par le R.P. Lacroix, s.j.165. C’est pourquoi aucun esprit prévenu ne s’étonne d’apprendre en 1758 que dans un complot contre le roi du Portugal plusieurs Jésuites se trouvent impliqués. L’incertitude où l’attentat de Damiens maintenait encore quelques personnes soucieuses d’objectivité, dont Voltaire, est désormais dissipée. Cette fois les régicides sont identifiés conformément à l’attente : la règle trouve son application. Qui plus est le gouvernement portugais se sert pour juger les jésuites d’un tribunal de dominicains ; selon la coutume de l’inquisition, le R.P. Malagrida est brûlé à Lisbonne dans un autodafé, circonstances bien faites pour combler Voltaire de satisfaction166. Encore un peu de temps et l’on verra les philosophes qui s’étaient attachés à l’entreprise de séparer les prêtres et les rois, remporter leur plus spectaculaire victoire avec l’aide des parlementaires gallicans et jansénistes. Comme en 1595 après l’attentat de Jean Chatel et du P. Guignard, les Jésuites vont être expulsés de France marqués de la réputation de régicides. Lorsque le pape Clément XIV dissout la Compagnie en 1773, une Epitaphe des Jésuites circule dans le public :
« Ci-gît le corps jésuitique,
L’opprobre de l’Eglise et l’assassin des Rois »167.
41A cette époque, plus encore qu’avant la période 1757-1761, c’est le clergé tout entier qui doit assumer les accusations généralement réservées à la Compagnie de Jésus. Voltaire met en relief d’après des auteurs jésuites la responsabilité du « Docteur angélique », saint Thomas d’Aquin, ainsi que des Jacobins qui selon son enseignement ont permis le « parricide » commis sur un « prince infidèle à l’Eglise »168. Un schéma simple résume pour le baron d’Holbach la politique ecclésiastique : ou bien « le sacerdoce altier et vindicatif » parvient à subjuguer les rois et les entraîne à persécuter leurs propres sujets ; ou bien il ne tolère par leur indépendance et arme « des mains parricides et rebelles [...] contre les souverains les plus dignes de régner »169. Il y a pour Helvétius une implacable logique : « Toute religion intolérante doit être régicide »170. Des apologistes chrétiens peuvent bien se récrier, c’est en vain qu’ils ont recours à une distinction entre le régicide et le tyrannicide, ou bien entre le meurtre d’un « tyran d’invasion » ou d’usurpation, et celui d’un tyran accepté par son peuple ; en vain ils se désolidarisent de quelques casuistes et prônent la résignation au prince le plus détestable parce que sa domination reste moins atroce que les « fleuves de sang » répandus dans les guerres civiles171 ; en vain ils tentent de retourner contre les philosophes l’accusation portée contre la religion et, par exemple, de renouveler une ancienne polémique sur La Mort de César, une pièce de Voltaire propre à illustrer la thèse du tyrannicide légitime172. Sur ce cas exemplaire, la propagande philosophique se contente de répéter ce qu’un jour de février 1757 Voltaire avait clamé : « Il n’y a rien dont le fanatisme ne soit capable »173. Cette conviction permet de « comprendre » tout crime odieux. Le baron d’Holbach ne place-t-il pas l’exécution de Charles 1er d’Angleterre parmi les crimes du « fanatisme »174 ? Dans ce dix-huitième siècle que notre regard rétrospectif voit déjà s’acheminer vers la Révolution à partir des principes de la raison éclairée, aucun acte ne paraît plus étranger à la pensée philosophique que le meurtre légitime d’un roi. Il faudra beaucoup de fautes d’une part, et d’autre part une évolution douloureuse pour que les héritiers de Voltaire et des Encyclopédistes se résignent et non pas tous à voter la mort du roi.
42Rien de plus raisonnable au contraire pour les hommes des Lumières que d’appeler monarques et ministres à la véritable croisade contre les véritables criminels. Trop longtemps les « maîtres du monde » se sont laissé duper par leurs prétendus alliés, moines et prêtres. Qu’ils ouvrent enfin les yeux !
« Heureux le temps où ils auront tous compris que leur sécurité consiste à commander à des hommes instruits ! Les grands attentats n’on jamais été commis que par des fanatiques aveuglés »,
tel est l’« Avertissement » que lance Diderot en tête du huitième volume de l’Encyclopédie lorsqu’en 1766 sa distribution est enfin tolérée après neuf années difficiles175. Comme Voltaire, Diderot souhaite inspirer une politique qu’il juge profitable aux rois comme aux peuples, politique de répression du fanatisme religieux diffusé par les théologiens et les gens d’Eglise de toute espèce176. En réalité cette proposition prend une signification radicale qui n’échappera pas aux révolutionnaires les plus lucides. En deçà le déisme de Voltaire, celui même du Vicaire savoyard sujet d’une monarchie, pouvaient à la rigueur concilier une politique de défiance et de contrôle en face du pouvoir sacerdotal avec un accommodement au système monarchique fondé sur le « droit divin ». Avec Diderot il n’en va plus de même : à ses yeux le coupable, le criminel en puissance, ce n’est pas seulement le sacerdoce ; tout croyant suscite la suspicion : « La croyance d’un Dieu fait et doit faire presque autant de fanatiques que de croyants ». Selon sa thèse opposée aux arguments traditionnels, on ne saurait fonder la paix et l’ordre publics sur la religion car rien ne prévaut contre le risque de guerres théologiques : « Tôt ou tard, il vient un moment où la notion qui a empêché de voler un écu fait égorger cent mille hommes. Belle compensation ! »177. Ainsi apparaît au fond de la pensée de Diderot ce qu’avait proclamé avant lui La Mettrie : « L’Univers ne sera jamais heureux à moins qu’il ne soit athée »178. Il ne suffit donc plus de demander à des ministres la censure des manifestations d’intolérance civile du clergé : il ne suffit même pas de suggérer l’instauration d’un nouveau statut économique et social qui lui ôte son influence179. Réduire toute religion au fanatisme virtuellement criminel, c’est en appeler à une politique athéiste que Frédéric II ni Joseph II ne voulurent jamais instaurer, que ne pouvait pratiquer notre Ancien Régime, que Diderot ne formula pas même avec netteté.
43Dans le combat contre le fanatisme généralisé, un cheminement logique conduisait à traiter comme suspecte toute soumission de l’homme à l’autorité d’un Etre suprême puisqu’elle lui ôtait, avec l’autonomie, le respect de sa vie et de la vie d’autrui. Cette logique, restée le plus souvent implicite chez Rousseau, mieux perçue du baron d’Holbach, sapait nécessairement des fondements religieux que la Monarchie française s’était octroyés depuis le sacre à Reims. La même logique devait inciter des hommes aussi différents que Guadet, Gensonné, Vergniaud d’une part, et d’autre part Hébert et Chaumette, à se dresser contre le despotisme et le déisme de Robespierre. Or Robespierre donne a posteriori raison à Diderot, si l’on remarque que pour justifier l’élimination physique de ses ennemis il invoque la nécessité de purifier la nation d’éléments athées, donc « scélérats », qui la pervertissent. Une nouvelle intolérance civile s’exprime dans le décret de prairial an II qui impose le culte de l’Etre suprême comme religion obligatoire du peuple français180. De même que pour un athée le déiste est comparable « au confrère du Sacré-Cœur de Jésus »181, de même le déisme apparemment aseptisé qu’est la religion robespierriste se montre gros de toutes les monstruosités produites par le « fanatisme ». C’est sans étonnement que des hommes comme Diderot et Holbach auraient pu découvrir dans la Terreur robespierriste considérée sous cet aspect un des avatars de la « barbarie religieuse ».
44Inversement, on allait voir l’athée conquérant prendre le visage de son ennemi. Saint-Just, plus judicieux que Robespierre, accusa les hébertistes de vouloir « ériger l’athéisme en un culte plus intolérant que la superstition »182. Certes les nécessités qu’imposait aux « terroristes » la défense de la patrie pesèrent d’un trop grand poids pour qu’on ait le droit d’interpréter ces faits selon la seule perspective ainsi ouverte. Mais à propos de l’affrontement nouveau de l’athéisme et du déisme, il importait de souligner deux points. D’une part, au terme de la critique philosophique des crimes du fanatisme est apparue l’exigence d’un Etat non seulement séparé des Eglises et de toute confession, mais dispensateur même d’une idéologie propre à en empêcher la survivance jugée néfaste au corps social : les théoriciens du communisme athée ont le droit de se recommander de Diderot et d’Holbach. Mais d’autre part les luttes révolutionnaires révèlent dès la fin du XVIIIe siècle l’existence de nouveaux dangers, rien moins qu’imprévisibles : les philosophes, dira-t-on, avaient un bel optimisme, qui ont pu croire que seul le fanatisme religieux est redoutable pour les peuples. C’est l’honneur de Saint-Just d’avoir dénoncé aussi vigoureusement un athéisme inquisitorial. Mais Voltaire et Rousseau y avaient déjà pensé183.
II UNE SOCIÉTÉ PROTECTRICE CONTRE LA MORT
45Les dieux ne sont pas les seules idoles assoiffées de sang ; les prêtres ne sont pas les seuls ennemis. Quelque acharnement qu’on ait mis en ce siècle à « écraser l’infâme », rares sont les esprits qui se laissèrent emporter à négliger les effets d’autres fléaux sur le corps social. Réformateurs et utopistes détectent sans cesse de nouvelles sources du malheur et du crime. Coutumes et institutions, modes de répartition du travail et des richesses se révèlent au moins aussi funestes dans leurs conséquences que la maladie, l’absence d’hygiène ou les crimes du fanatisme religieux. Qu’importe que des administrateurs s’avisent d’améliorer les hôpitaux ou d’assainir les villes, qu’importe que les rois réduisent les prêtres à l’impuissance, puisque la société elle-même sécrète en permanence le poison ? La critique sociale et politique, où se manifeste une verve inventive qu’aucun siècle sans doute n’avait encore connue, se déploie autant et davantage au service de la vie que de la liberté ou de l’égalité. On ne saurait minimiser cet aspect prophylactique de la pensée des Lumières ; c’en est comme l’infrastructure, parfois implicitement posée, explicite le plus souvent. Pour la protection des vies que menace le « système social », les hommes de ce siècle étendent en tous sens l’exploration du possible. Le regard s’élargit. Les analyses s’affinent ; on dépasse les critiques traditionnelles du duel, de la guerre ou du luxe ; les moralistes se font juristes, tacticiens, économistes, sociologues. Et nous essayons encore au XXe siècle de trouver réponse à nombre de problèmes que le XVIIIe a du moins eu le mérite de discerner.
46Si grande est l’emprise de l’Eglise sur la société qu’il est souvent illusoire de chercher à délimiter des domaines propres. On a vu des exemples de ces intrications à propos des sépultures, du célibat ecclésiastique, de l’exercice de la tolérance. Lutter contre les effets pernicieux de la religion relève d’une saine politique. Mais inversement, ne pourrait-on espérer que l’Eglise collabore à une transformation de la société pour en bannir les cruautés et les crimes ? Montesquieu savait gré à la religion de freiner les excès du despotisme : il voulait bien lui faire honneur de la douceur relative avec laquelle les princes chrétiens traitent leurs sujets184. Voltaire n’a pas de ces indulgences. Il reproche aux prêtres leurs rigueurs contre des péchés privés en somme inoffensifs, et leur faiblesse devant les crimes des princes : on bénit les drapeaux, on multiplie les Te Deum après chaque « boucherie héroïque », on glorifie en chaire les conquérants sanglants185. Aussi les philosophes ont-ils dû remplacer les hommes d’Eglise défaillants pour dénoncer « les crimes publics » en clamant les vérités nécessaires et dangereuses ; telle est l’idée que reprend et amplifie Marmontel :
« Depuis l’exil de Fénelon ou, si vous voulez, depuis ce petit cours de morale touchante que Massillon fit faire à Louix XV enfant, leçons prématurées et par là inutiles, les vices, les crimes publics ont-ils trouvé dans le sacerdoce un seul agresseur courageux ? En chaire, on ose bien tancer de petites faiblesses et des fragilités communes, mais les passions désastreuses, les fléaux politiques, en un mot les sources morales des malheurs de l’humanité, qui ose les attaquer »186 ?
47De même, comment tenir compte des prédications charitables lorsqu’on jauge leurs résultats dans la vie sociale ? « Qui peut nier que les maréchaussées n’aient désarmé plus de brigands que la religion » ? demande Helvétius187. Les réconforts que promet la religion n’apportent-ils pas même au criminel un encouragement préjudiciable à la sécurité des bons citoyens ? pour cette raison parmi d’autres, Holbach est convaincu de la supériorité des philosophes sur les gens d’Eglise quand il s’agit de combattre le crime et le mal social188. Ceux qui ne cessent de mettre en garde contre la redoutable efficacité de l’Eglise s’accordent à dénoncer son impuissance dès qu’elle veut prêcher le pardon et l’amour universel189.
48On peut voir une preuve de cette impuissance dans la permanence du duel parmi les Français. Les condamnations prononcées par des moralistes chrétiens n’ont certes pas manqué, et les Rituels continuent de rappeler que la sépulture ecclésiastique doit être refusée à ceux qui sont morts en duel190. Mais la parole chrétienne n’est pas jugée digne de foi. Voltaire, de même qu’il reproche à l’Eglise de ne pas fulminer contre la guerre, relève des signes de complaisance à l’égard des combats singuliers chez des évêques, chez un pape, dans des textes de conciles191. Toussaint déplore la maladresse des prédicateurs qui, à force de condamner comme des « abus criminels » des actions innocentes, ont rendu stériles leurs attaques contre les « furieux duellistes ». Ne s’appuyant que sur « la loi naturelle », le philosophe espère qu’il parviendra, lui, à « extirper enfin » le fatal préjugé192.
49Loin d’être abandonnée aux radoteurs, la condamnation du duel fait partie des grands thèmes dont se nourrit la littérature philosophique. Le succès du Philosophe sans le savoir, en 1765-1766, a été porté par cet intérêt constamment renouvelé pour un problème toujours actuel malgré la diminution du nombre des combats. La pièce de Sedaine, molle et bouclée sur une solution de compromis, a sa place dans une longue série sinon d’œuvres, du moins de réflexions sur ce thème. Montesquieu l’aborde en plusieurs occasions, en particulier dans les Lettres Persanes pour mettre en relief l’insupportable contradiction entre les mœurs et la loi193 ; le marquis d’Argens ne voit pas de différence entre duellistes et anthropophages194 ; Diderot met en parallèle pour leur malfaisance « les lois sanguinaires d’un point d’honneur et les principes erronés d’une fausse religion » mais il admet qu’il faille user contre ce préjugé anachronique du préjugé plus puissant de la religion195 ; Holbach compare le duel aux sacrifices humains et aux crimes de l’Inquisition196 ; P.-Ch. Levesque considère qu’« il n’y a qu’un moyen d’arrêter un mal si funeste : c’est d’abandonner la coutume barbare de porter pour ornement un fer meurtrier »197.
50Mais les inspirateurs des traités et mémoires qui se succèdent jusqu’à la période révolutionnaire, ce sont – outre Beccaria – l’abbé de Saint-Pierre puis J.-J. Rousseau198. Leurs arguments et propositions alimentent la réflexion d’un juge au département de Paris, Gorguereau, qui regrette que « l’immortel Genevois » n’ait consacré « qu’accidentellement » son « éloquence irrésistible » à cette grande cause199. Son ouvrage, publié en 1791, est une honnête récapitulation de la littérature accumulée au long du siècle. Il est convaincu d’avoir trouvé la solution « radicale ». Il constate que depuis 1750 le nombre des rencontres a diminué grâce aux leçons de la philosophie mais aussi en raison de la corruption des mœurs :
« Les âmes étaient tellement viciées qu’on avait perdu jusqu’à l’énergie même qu’il faut pour commettre le crime. »200
Pour réduire le prestige des duellistes, Gorguereau leur refuse le mépris de la mort : en fait ils choisissent de finir « de la fin la plus douce, [...] en un mot d’une mort subite », mort commune en vérité :
« Combien de mortels, combien d’ouvriers n’ont, pour ainsi dire, d’autre profession que de l’affronter sur la terre et sur l’eau, dans les mines, dans les hôpitaux, et dans les tentatives les plus périlleuses ? »201
Son propos principal est de détruire « le dernier titre de l’aristocratie féodale »202 ; seul l’amour de la patrie peut justifier celui qui expose sa vie ; elle n’appartient pas à l’individu mais à la nation.
« Que vois-je donc dans l’odieux combat du 10 août 1790 ? Est-ce Barnave qui brûle la cervelle à Cazalès ? Non. C’est une portion du département A qui déclare et fait la guerre à une autre portion du département B, ou si vous aimez mieux, vu l’unité, vu l’indivisibilité de la représentation
nationale, c’est la France entière qui se déchire elle-même de ses propres mains. »203
Gorguereau examine alors les remèdes qu’on a imaginés : la mort civile et le renfermement dans l’hôpital des fous que l’abbé de Saint-Pierre a le premier prônés, la flétrissure proposée par Beccaria, les dommages et intérêts à la famille de la victime, et même la peine de mort... S’inspirant de Rousseau, Gorguereau préfère les mesures préventives inscrites dans la Constitution : plutôt que le recours au tribunal des maréchaux préconisé dans la Lettre à d’Alembert mais suspect en tant que survivance du « système féodal », il envisage la fermeture des salles d’armes, l’interdiction du port d’armes – sauf pour le roi –, l’interdiction des uniformes en dehors du service aussi bien pour les militaires que pour les juges et les ecclésiastiques, l’abolition des décorations, la suppression du droit de grâce, « privilège inconstitutionnel, immoral et barbare », et il rappelle cette loi fondamentale « que personne ne peut être juge et partie dans sa propre cause ». A ces « précautions préliminaires », il ajoute trois « dispositions » appropriées : 1°) qu’on interdise la fabrication et le port des épées et que champions et témoins subissent le châtiment réservé aux assassins – la peine de mort étant exclue ; 2°) que le duel au pistolet soit réprimé avec la dernière sévérité, mais que, 3°), l’on punisse plus modérément le duel des soldats au sabre, leur arme de service, à condition qu’il n’entraîne pas mort d’homme204.
51Pas plus que Toussaint, Gorguereau ne devait « anéantir radicalement » le préjugé « barbare ». Cependant, les combats étaient devenus plus rares vers la fin du siècle – et, de ce fait, peut-être plus scandaleux –. Louis-Sébastien Mercier voyait là un succès de la philosophie205. Ce qui apparaît clairement comme en tant d’autres domaines, c’est l’évolution des esprits : de la mentalité classique qui se résigne au mal « naturel » qu’elle dévoile, à la mentalité moderne qui décrit et analyse pour dénoncer et susciter un changement, ou qui veut le provoquer par la persuasion individuelle, ou qui enfin n’attend de transformation que d’une action institutionnelle206.
52Comme sur le duel, les philosophes – et Voltaire le premier – croient avoir contre la guerre de plus solides arguments, une meilleure audience que l’Eglise et ses représentants. On ne méconnaît pas l’attitude exemplaire de Fénelon, mais son cas est jugé tout à fait exceptionnel dans le clergé207. C’est la raison militante qui doit prendre le parti de l’homme contre les forces destructives à l’œuvre dans les cabinets de ministres et dans les cours.
53Cela n’empêche pas qu’au passage on ne critique encore les chrétiens en les peignant comme des piètres soldats, résignés à subir les injures, incapables de se battre vigoureusement puisqu’ils se considèrent comme des exilés ici-bas et que leur seul désir doit être de rejoindre leur « vraie patrie ». Mais cette mauvaise querelle héritée de Bayle n’engage pas les esprits au delà de la polémique sur les qualités civiques respectives des fils de l’Eglise et des hommes éclairés par la raison208. Ces derniers prétendent à la fois manifester leur patriotisme et s’opposer aux conflits qui minent les forces de leur peuple, en gardant une perspective universaliste, et d’abord européenne.
54Les philosophes condamnent la guerre non seulement pour sa cruauté mais aussi pour son absurdité. Le rôle de Voltaire est ici encore primordial. Dès sa première œuvre, l’ode sur les Malheurs du Temps, il évoque en 1713 les souffrances du peuple avec des accents qui empêchent d’y voir un exercice d’écolier. Marqué sans doute par le souvenir de ces années de jeunesse puis par le bonheur d’une longue période de paix, il a ressenti très tôt les horreurs de la guerre, et il exprime publiquement son désarroi dès la guerre de Succession d’Autriche209. En 1742, ses lettres à Frédéric II le montrent déchiré entre son admiration pour lui et l’étonnement de le découvrir semblable à ses « confrères » :
« Ne cesserez-vous point, vous et les rois vos confrères, de ravager cette terre, que vous avez, dites-vous, tant d’envie de rendre heureuse ? »210
La dénonciation de l’« horrible guerre » et de ses exécutants, conquérants ravageurs et marionnettes meurtrières, reste l’un des plus constamment soutenus parmi les leit-motive voltairiens. Le futur jardinier de la petite métairie de Ferney, qui a peut-être appris combien les offensives des Français en Italie ont été sanglantes les années précédentes, déclare en 1737 à Frédéric :
« Je fais plus de cas d’une lieue carrée défrichée que d’une plaine jonchée de morts. »211
La violence nouvelle des combats et les ravages qui leur succèdent durant la guerre de Sept Ans ont achevé de l’éclairer. Aussi ne convient-il pas de montrer une excessive sévérité à son égard en fait de « patriotisme ». A une époque amère, au cœur de la seconde Guerre Mondiale, E.-G. Léonard a consacré à l’attitude des philosophes envers l’Armée et ses problèmes des travaux minutieux qui tiennent insuffisamment compte de la réalité des guerres « classiques »212. Voltaire n’est certes ni Ronsard ni Péguy ; sa condamnation de la guerre se fonde sur un savoir cruel. Plus que tout autre, il peut se montrer sarcastique devant les « boucheries héroïques » du genre de celle que schématise le récit de Candide. Quand on lit ce texte, il est bon de lui donner son arrière-plan en feuilletant les lettres qu’il reçoit de ses correspondants allemands entre 1756 et 1758213. Quant à l’absurdité de ces guerres, a-t-il tort de la dénoncer en décelant à leur origine la passion de la gloire ou le caprice des princes, ou même l’influence d’un ministre sot, d’une favorite impertinente ? De Montesquieu à Saint-Just beaucoup formulent le même avis et Montesquieu tient à distinguer entre la prétendue « utilité » d’une guerre et sa « nécessité »214. Ces guerres factices, irrationnelles, ces « guerres de cabinets » sont propices à une histoire « événementielle »...
55Pour des esprits convaincus que la guerre est le plus grand et le plus gratuit des maux, pire que les tremblements de terre215, il est naturel de chercher à agir sur les esprits par le dégoût et l’horreur. Toute une partie de la littérature traitant de la guerre, et les allusions les plus fortuites visent à détruire les prestiges de la gloire, de l’héroïsme sous les armes. On voit le « héros » comme un frénétique se nourrissant du sang des multitudes, ou comme une dupe. Alexandre est le modèle de la gloire usurpée, le premier de ces faux « grands hommes » dont le procès doit être repris216.
56Voltaire, qui continue longtemps à appeler Frédéric II « mon héros », ne manque pourtant pas de lui écrire ces vers au lendemain d’une victoire :
« J’aime peu les héros, ils font trop de fracas ».
Pour justifier la constance de son amitié, le philosophe veut supposer que le roi combattant échappe au type abhorré, pour rejoindre une autre figure de sa typologie :
« Vous êtes un héros ; mais vous êtes un sage.
Votre raison maudit les exploits inhumains
Où vous força votre courage. [...]
Je vous pardonne tout, si vous en gémissez. »217
Ce que souhaite Voltaire, c’est que Frédéric daigne ressembler à son modèle de La Henriade, Mornay, le soldat qui
« ... regarde la guerre
Comme un fléau du ciel, affreux mais nécessaire,
[qui] marche en philosophe où l’honneur le conduit,
Condamne les combats, plaint son maître, et le suit. »218
57Mais finalement c’est Pierre le Grand qui va recevoir les bénéfices d’une admiration frustrée, un Pierre le Grand dont l’Histoire doit racheter celle de Charles XII. Et par une sorte de métaphore vécue, le jardinier de Ferney crée son petit royaume au milieu de l’Europe ensanglantée en même temps qu’il consacre sa plume au « créateur de la Russie »219.
58Face au « héros » dévalué, une figure d’homme pacifique apparaît alors en littérature : le quaker, qui incarne la philosophique horreur du sang versé220. Mais il ne faut pas réduire l’attitude des hommes des lumières à une sorte de pacifisme moralisant. Voltaire, on l’a vu, admet qu’on se résigne à faire la guerre, en la détestant. Dans une ode « sur la guerre des Russes contre les Turcs en 1768 », après avoir dit que
L’homme n’était pas né pour égorger ses frères »
et chanté les Quakers, « Heureux cultivateurs de la Pennsylvanie », il distingue les guerres de défense nationale des guerres de conquête et trouve des accents martiaux :
« Combattons, périssons, mais pour notre patrie. »221
Dans des Stances datées de 1777, il salue le courage des mêmes Pennsylvaniens :
« Ainsi Philadelphie étonne l’Angleterre ;
Elle unit l’olive aux lauriers,
Et défend son pays en condamnant la guerre. »222
C’est le même Voltaire qui dans Le Siècle de Louis XIV louait le roi d’avoir créé la milice, force de protection nationale et non pas armée de mercenaires déracinés223. Nous retrouverons ce Voltaire-là.
59Qu’il y ait un « droit » de lutter pour la « conservation » de l’Etat, c’est ce qu’affirment les penseurs politiques, mais dans une intention restrictive qui apparaît nettement chez Montesquieu, d’abord dans les Lettres Persanes puis dans L’Esprit des Lois224, et aussi bien chez Diderot et Holbach225. Devant le spectacle que donne la politique des princes européens, il y a lieu d’espérer, sans optimisme ingénu, que les conflits deviennent plus rares :
« Quoique l’ambition, l’avarice, la jalousie et la mauvaise foi des peuples voisins ne fournissent que trop de raisons légitimes pour recourir aux armes, la guerre serait moins fréquente si on n’attendait que des motifs réels ou une nécessité absolue de la faire. »226
Le chevalier de Chastellux, Condorcet sont persuadés que des progrès sont perceptibles. Pour Chastellux, le coût élevé des armements, la régression des « haines nationales » qui ne subsistent plus que dans « la canaille », l’amortissement du fanatisme religieux, sont autant de raisons d’espérer227. Condorcet, qui écrit son Esquisse après la chute de la royauté, s’attend à voir disparaître bientôt les guerres « où les usurpateurs de la souveraineté des nations les entraînaient, pour de prétendus droits héréditaires » ; il reprend l’idée d’une « confédération » des peuples qu’avait formulée Rousseau en adaptant le Projet de Paix perpétuelle de l’abbé de Saint-Pierre228.
60Sans attendre les évolutions escomptées, on songe non seulement à une limitation quantitative des conflits, mais à des restrictions qualitatives. Tout en se réjouissant des progrès accomplis depuis l’Antiquité, quand le massacre des fuyards et des prisonniers suivait le combat proprement dit, les auteurs tiennent à rappeler « le droit des gens » : quelques faits et la lecture de Candide montrent qu’il convient de le réclamer hautement229 ! Aussi pouvons-nous entendre au sens strict les avertissements formulés par Montesquieu et Rousseau sur le traitement des prisonniers et des populations conquises230.
61Dans les armements et techniques de combat, on retrouve le souci d’économiser les vies humaines. Nous savons que pour Usbek, l’usage de la poudre représente un progrès sur celui des armes blanches : « les batailles sont beaucoup moins sanglantes qu’elles ne l’étaient, parce qu’il n’y a presque plus de mêlée »231. Le XVIIIe siècle est marqué par de longues controverses sur la tactique la plus économique en vies humaines et la plus efficace à la fois : elles opposent aux partisans du front de troupes compact ceux de la colonne légère, aux défenseurs de la puissance de feu les nouveaux tacticiens qui redécouvrent les vertus de l’arme blanche avec sa variante moderne, la baïonnette. Le chevalier de Folard puis le comte de Guibert apparaissent comme des novateurs préférant une armée allégée et le combat à l’arme blanche232. Le paradoxe soutenu par Guibert consiste à préconiser un choc brutal des armées en le jugeant conforme à son intention d’humaniser la guerre, pour le bien de sa patrie à qui il dédie l’Essai Général de Tactique. Selon lui les gouvernements usent les troupes par des guerres qui s’éternisent, par de trop nombreuses rencontres sans décision ; mieux vaut un combat prompt, violent et décisif, moins coûteux au total pour la nation. Guibert est à la fois prophétique et aveugle233. Il croit qu’un peuple décidé à se battre avec cette détermination brutale met fin à la série des guerres et assure « son repos futur »234.
62En fait, le roi et ses ministres répugnent aux solutions radicales de cette sorte. On les voit en deux occasions refuser des innovations jugées malséantes. Le premier cas ne manque pas de piquant : c’est l’affaire du char de guerre inventé par Voltaire et proposé au maréchal de Richelieu qui finalement le refusa. Le philosophe s’étonne lui-même d’avoir intéressé à son idée le chevalier de Florian et le comte d’Argenson, ministre de la guerre : on est en 1756 ; l’idée d’une petite revanche sur Frédéric II ne semble pas lui déplaire235. Pourtant il veut aussi justifier son propos :
« J’ai honte, moi barbouilleur pacifique, de songer à des machines de destruction, mais c’est pour défendre les honnêtes gens qui tirent mal contre les méchants qui tirent trop bien. »236
Une confidence faite deux ans plus tard éclaire l’état d’esprit de Voltaire jouant ce nouveau personnage : « Je ne m’intéresse à tous ces meurtres » écrit-il à la comtesse Bentinck, « qu’autant qu’ils pourront servir à ramener la paix »237. Ce qui est clair, c’est que cette idée ne fut pas retenue, pas plus que ce « feu grégeois » réinventé par un certain Dupré, que le roi renvoya avec une pension de mille écus et l’ordre de garder son procédé secret. Si l’on en croit les gazetiers, la seconde affaire était d’importance puisqu’à sa mort en 1772 la police surveilla sa succession de peur d’indiscrétions238. Dans les deux cas comme dans les théories énoncées par Guibert, le perfectionnement des moyens guerriers vise à rendre la victoire plus rapide, plus complète, plus économique finalement, et paraît donc animée par le même souci humanitaire que revendiquent les adversaires des innovations. A la limite, l’imagination logique peut concevoir un affrontement conduit de telle sorte que la guerre serait gagnée par l’anéantissement de la puissance adverse sans qu’il en coûtât une seule vie humaine. Telle est l’hypothèse que formule Rousseau dans Le Contrat Social. Inventeur de la guerre subversive idéale, il tire toutes ses conséquences d’un principe : la guerre est relation non point « d’homme à homme », mais « d’Etat à Etat » ; « la fin de la guerre étant la destruction de l’Etat ennemi », logiquement « on peut tuer l’Etat sans tuer un seul de ses membres ». Rousseau a laissé à d’autres la réalisation technique de cette découverte féconde, et l’estimation de ses véritables bienfaits. Il avait un autre objectif : limiter le « droit » de tuer et de piller à la seule durée du conflit et sur les seuls instruments de la puissance ennemie, ce qui constituait à ses yeux le grand progrès à attendre d’une formulation du droit dérivant de « la nature des choses » et fondé « sur la raison »239.
63Nous reconnaissons encore cette attention à épargner les vies humaines parmi les armées chez ceux qui protestent contre la mauvaise gestion des hôpitaux militaires, et dans les diverses oppositions qui se manifestent pour arracher à la peine de mort les déserteurs. Si le problème des subsistances irrite le comte de Guibert, il déplore surtout la gabegie qui règne dans les hôpitaux, en particulier au début de la guerre de Sept ans : dans la campagne de 1757, selon lui, « les hôpitaux étaient des charniers »240. Auparavant, un effort exceptionnel avait été accompli lors de la bataille de Fontenoy ; et ce n’est pas un hasard si Jacques le Fataliste, au lieu de rester abandonné parmi les morts, a été recueilli sur un chariot avant de trouver auprès des paysans charitables un bon chirurgien241. Si l’on en croit Voltaire, il aurait été mieux soigné encore par les chirurgiens militaires242. Mais les reproches analogues à ceux de Guibert ne sont pas rares, rares au contraire les témoignages de satisfaction consacrés au traitement des soldats blessés, qui risquent d’être abandonnés sur les champs de bataille243. Pourtant, c’est à partir de la guerre de Sept ans et grâce à un ministre philosophe, Choiseul, que la médecine militaire est organisée avec une efficacité croissante, sous la direction de Richard de Hautesierck, nommé premier médecin des camps et armées du roi et inspecteur des hôpitaux militaires244.
64Quant au problème des désertions, il était posé dans une large mesure par les conditions très contestables de l’enrôlement volontaire : c’est ce que rappelle l’article « Déserteur » de l’Encyclopédie. Avec les deux grands conflits du milieu du siècle, le nombre des cas se multiplie ; la sévérité accrue fait appliquer à la rigueur la loi, qui prévoit la peine de mort245. La première protestation est encore mesurée : en 1748, Montesquieu se contente de remarquer que le risque de la peine capitale n’a aucunement diminué le nombre des désertions246. Morelly, les Encyclopédistes, Voltaire quand il évoque la cuisante mésaventure de Candide, attirent l’attention sur la rigueur inutile de ce règlement247. Mais ce qu’on peut appeler – non sans abus – l’opinion publique n’est saisie du problème qu’une dizaine d’années plus tard, lorsque paraissent deux œuvres qui mettent le pathétique à la mode au service de cette cause : l’opéra-comique de Sedaine, Le Déserteur, en 1769, et l’année suivante un drame en prose de L.-S. Mercier portant le même titre, joué en province et bientôt réédité248. La grâce royale qui tire d’affaire les honnêtes déserteurs – cela se produisait – n’est qu’un pis-aller. Au début du règne du jeune Louis XVI, une ordonnance du 12 décembre 1775 va réserver la potence aux déserteurs coupables en même temps de trahison. Le progrès acquis ne manque pas de soulever quelques critiques, mais le rigoureux ministre de la guerre, le comte de Saint-Germain, juge la réforme bien fondée249. Sur ce point en tous cas, le champ d’extension de la peine de mort a été réduit.
65Car, il faut le constater, c’est sur le problème de la peine de mort que les efforts les plus nombreux et les plus divers aboutissent en ce siècle aux résultats les plus limités. Malgré l’exemple donné par Thomas More, on ne rencontre guère de catholiques ni même de chrétiens parmi les adversaires de la peine capitale. Une réflexion de Le Maître de Claville fait tout au plus souvenir – et l’idée n’est pas neuve – que le procédé discutable de la question permet à « un assassin robuste » d’échapper au supplice250. Marivaux, en moraliste, s’indigne contre l’aberration d’une société qui voue au mépris la pauvreté, et à l’échafaud celui qui veut cesser d’être pauvre251. Pour trouver des adversaires de la peine de mort, il faut se retourner vers les philosophes et leurs amis. Ce n’est pas à dire que tous soient des adversaires déterminés et absolus dans leur jugement, mais tous critiquent son extension, ou son application, ou ses conséquences.
66A quoi bon refaire ici un historique du problème ou un tableau des arguments présentés ? La tâche a déjà maintes fois tenté les historiens du droit criminel français252. Mais quelques précisions méritent d’être apportées ou rappelées. En premier lieu, on insiste trop sur la curiosité avide du peuple et des grandes dames elles-mêmes lors des exécutions, dont le principe paraîtrait ainsi justifié en fait devant l’opinion. Cependant les origines et la signification de cette curiosité n’étaient pas évidentes au XVIIIe siècle même – il en fut beaucoup débattu –, et encore faudrait-il souligner que dans certaines occasions cette ample publicité rend évidente la cruauté ou l’injustice qui se commettent alors de par la loi253. En 1721, l’exécution de Cartouche impavide sur la roue émeut le public, mais davantage encore la mort de son jeune frère condamné à rester pendu deux heures par les aisselles254. Lorsque deux « séditieux », arrêtés dans une émeute de la faim, sont accrochés à la potence rue du Faubourg Saint-Antoine, en 1725, il faut qu’un régiment de gardes quadrille tout le quartier pour prévenir un nouveau soulèvement populaire : Barbier traduit la crainte éprouvée devant une populace qu’on suppose prête à se venger255. Des faits semblables, assez rares il est vrai, traduisent la méfiance ou la révolte devant le fonctionnement de la justice criminelle256. Sans exagérer leur portée, il ne convient pas de les tenir à l’écart des expressions littéraires d’une crise de conscience, comme si les penseurs à l’âme délicate avaient seuls découvert le problème de la peine de mort dans le silence du cabinet. Ces derniers gardent le mérite d’avoir déterminé clairement les points faibles et les contradictions du système en vigueur.
67D’autre part, s’il est commode et opportun de découvrir dans L’Esprit des Lois une série de réflexions qui seront développées durant le siècle, ce n’est pas avec cette œuvre que tout commence. D’autres influences plus anciennes ont pu se mêler à celle de Montesquieu, et d’abord le souvenir de l’ Utopie de Thomas More, ainsi que la théorie de Locke refusant toute valeur juridique à une prétendue cession du droit de chacun sur sa propre vie alors que personne ne possède un pouvoir absolu sur lui-même257. La pensée utopique de More se manifeste en ce domaine chez un réfugié protestant, cartésien de méthode, devenu déiste, et auteur de voyages imaginaires : Tyssot de Patot. Dans ses Voyages de Jacques Massé (1710), il envisageait de remplacer la peine capitale par le travail dans les mines ; plus tard, en 1727, il écrit : « Si j’étais souverain, je ne ferais mourir personne dans mes Etats »258. On attendra longtemps que reparaisse l’idée de l’abolition totale, mais le remplacement de la peine de mort par des travaux pénibles et utiles est proposé avec netteté par Melon dans son Essai politique sur le Commerce259 et considéré avec intérêt par l’abbé Prévost dans une livraison du Pour et Contre en 1736260. Ce genre de substitution va devenir un des arguments majeurs des partisans de l’abolition partielle ou totale. Parmi eux retenons Faiguet de Villeneuve qui, en 1763, un an avant la publication à Livourne du Traité des Délits et des Peines, propose dans L’Econome politique de créer des « galériens de terre », destinés aux mines et aux travaux dangereux, en se rappelant que l’origine de l’idée est dans l’ Utopie de More261. Mais une fois l’ouvrage de Beccaria introduit en France par Morellet, en 1766, c’est à lui qu’on va se référer, comme le fait Voltaire qui popularise l’idée de travaux infamants et utiles grâce à un véritable slogan : « Un pendu n’est bon à rien »262. On a bien songé à rendre la peine suprême plus pénible par le renfermement perpétuel : Morelly propose même de bâtir la prison « dans l’endroit le moins agréable et le plus désert », « près du champ de sépulture », en y aménageant « des espèces de cavernes assez spacieuses et fortement grillées, pour y renfermer à perpétuité, et servir ensuite de tombeaux aux [sic] citoyens qui auront mérité de mourir civilement »263. Il est regrettable que Morelly n’ait pas prévu des jours ouvrables pour les visiteurs, car son projet de grottes-cachots-tombeaux-cages aux ours aurait alors été revêtu du caractère indispensable à tout projet de cette sorte : l’exemplarité. Le renfermement, de même que le bannissement proposé par Rousseau, a sans doute joui d’une moindre faveur que les « travaux publics » en raison de ce défaut264. Nombre d’auteurs semblent imaginer que les citoyens puissent se nourrir partout et chaque jour du spectacle de ces condamnés dépérissant au profit de la prospérité et de la vertu publiques265. Ce « spectacle permanent » dont parle Delisle de Sales lui fournit l’ultime argument pour justifier un choix qui satisfait à toutes les conditions requises : exclure la loi du talion, faire la plus profonde et la plus durable impression sur les criminels en puissance, laisser agir le remords, et en outre ne pas délivrer à trop bon compte la société du problème que lui posent les criminels266.
68Directe ou indirecte, reconnue ou méconnue, l’influence de l’Utopie s’étend donc sur tout le siècle ; autour de la proposition initiale convergent les arguments successivement lancés dans le débat, et répétés d’œuvre en œuvre. On se demande pourquoi cette paternité n’a pas été revendiquée plus nettement. Peut-être l’idée consonnait-elle trop bien avec les exigences des esprits : humanité, justice, utilité, goût de la moralité spectaculaire ; peut-être aussi la réalité avait-elle déjà éclipsé l’utopie, grâce à cette tsarine Elisabeth qui appliquait dans ses Etats la règle formulée chez les Utopiens et répétée par Tyssot de Patot. Toussaint, l’année de la mort d’Elisabeth (1762), avait attiré l’attention sur son exemple267. Voltaire s’exalte sur son « humanité » et sur celle de son successeur Catherine II au point de dire que « presque toujours » les criminels expédiés aux travaux forcés en Sibérie « y deviennent gens de bien » ; mieux, « ils se marient, ils peuplent »268. Remplacer une œuvre de mort par une œuvre de vie, voilà bien la politique des Lumières.
69Il est temps de convenir que le rôle de Montesquieu reste grand. Sans doute l’année même où paraît L’Esprit des Lois Toussaint condamne-t-il beaucoup plus énergiquement la peine de mort, même contre les homicides269. Sans doute aussi, comparées aux envolées des abolitionnistes de la fin du siècle, Voltaire, Brissot, Robespierre, Pastoret, ses prises de position paraissent-elles trop mesurées, et même embarrassées. S’il traite d’abolition pure et simple, c’est plutôt en historien qui enregistre des cas – l’Ethiopie, l’Egypte, la Rome antiques – et dans le secret de ses Pensées personnelles270. Notons néanmoins que Voltaire lui-même, s’il lutte très tôt pour des réformes de détail, ne se prononce décidément qu’un an avant sa mort, dans le Prix de la Justice et de l’Humanité, et que dans cette œuvre comme chez les autres partisans de l’abolition complète, une place demeure marquée pour quelque exception s’il faut « sauver la vie du plus grand nombre », punir le régicide ou l’atteinte à la sûreté de l’Etat271. Mais enfin Montesquieu expose les deux principales critiques du système en vigueur : excessive extension des « cas capitaux » contrairement à l’exigence première d’une proportion entre la peine et le crime, excessive cruauté dans les supplices infligés. Il est inutile de souligner l’importance du second point : pour Montesquieu, la cruauté des peines s’accroît dans les diverses formes de gouvernement à mesure que la liberté y diminue272. A sa suite, nombre de protestations vont s’élever contre les deux « questions », contre l’écartèlement, la roue, préparant les réformes décidées à l’extrême fin de l’Ancien Régime273.
70Le grand mérite de Montesquieu est d’avoir très tôt, dès les Lettres Persanes, posé le principe majeur dans tout « acte de justice » :
« Il faut toujours que la peine soit proportionnée à la faute. »274
C’est de ce principe qu’il tire aussi bien ses doutes sur l’existence des peines éternelles de l’enfer que la critique de la loi punissant de mort ceux qui ont attenté, non pas à la vie, mais aux biens d’autrui275. Le sens de la justice strictement distributive s’exerce chez Montesquieu pour souhaiter d’autre part la modération dans le châtiment de toutes les victimes d’une législation abusive : auteurs de sacrilèges276, hérétiques277, prétendus magiciens278, coupables du « crime contre nature » que pourtant il réprouve279. Même, il remarque qu’en Inde, où la croyance à la métempsycose incline à punir rarement de mort par « une certaine horreur à verser le sang », les meurtriers n’y sont pas plus nombreux280 ; mais comme cette observation ne conduit à aucun commentaire général, nous découvrons ici les limites que sans doute il s’est imposées. Toutefois, quand il aborde le domaine politique, il proteste encore contre le fait qu’on envoie au supplice avec le conspirateur, Cinq-Mars, celui qui n’a pas dénoncé la conspiration, de Thou281 ; et surtout il met en garde contre le risque du despotisme dès lors que le crime de lèse-majesté est puni de mort sans qu’une stricte définition le délimite282. Sur ce dernier point comme sur les précédents, Montesquieu ouvre des perspectives : dans un esprit analogue, un partisan modéré du maintien de la peine de mort, Mably, va s’élever contre son application à l’homme soucieux de réformer la nation sous prétexte qu’il serait un criminel « perturbateur de l’ordre public »283. L’Esprit des Lois a par avance formulé la critique d’un texte aussi malléable que la Déclaration royale du 16 avril 1757. Quant aux autres textes sur l’extension abusive de la peine de mort, Voltaire, les critiques de la société française, les juristes réformateurs ne font que les développer ou les adapter aux circonstances diverses de l’actualité criminelle284. Au total, Montesquieu n’est pas éloigné de l’attitude adoptée par un Mably, un Marat, qui demandent qu’une stricte règlementation de la peine de mort la réserve à quelques cas où la conservation des citoyens la rend indispensable285. On ne saurait faire de son œuvre une apologie de la peine capitale sans rappeler que toute sa démarche conduit à en restreindre constamment le champ d’application et à mettre en garde contre les conditions abusives de son emploi286.
71Cette véritable campagne n’aboutit pas sous l’Ancien Régime à un bouleversement de la législation ; la seule modification d’importance concerne donc le cas des déserteurs287. Mais en dépit de la sévérité accrue des tribunaux dans les années 1760-1780 – époque où précisément s’accumulent tant de Traités et de Discours de réformateurs –, quelques signes précurseurs sont notés : les voleurs domestiques restent souvent impunis grâce à l’horreur que leurs maîtres éprouvent devant l’énormité de la sanction encourue288, les sodomistes échappent à l’exécution depuis celle de Deschaufours289, la Déclaration royale d’avril 1757 tombe en désuétude290, désormais le nombre des condamnations à mort et celui des exécutions effectives diminuent de manière remarquable – Louis-Sébastien Mercier en complimente les magistrats291 –. Ainsi notre justice criminelle commence à ressembler en fait sinon en droit à la législation que se donnent alors les pays européens les plus avancés292. En 1780 est abolie la question préparatoire – subie par l’accusé –, et la question préalable – subie par le condamné – l’est en 1788. Il reste à l’Assemblée Nationale à inscrire dans la loi l’essentiel des réformes depuis longtemps réclamées en vain par le plus grand nombre. Le code de 1791, qui maintient la peine de mort, en réduit l’application de cent quinze à trente-deux cas, et en limite l’exécution, dépouillée enfin des supplices annexes, à « la simple privation de la vie »293. La « louisette », ou « guillotine », permet bientôt de satisfaire une double exigence : celle d’humaniser le supplice et celle, plus tardivement exprimée, de réaliser entre la noblesse et le tiers état le nivellement par le haut devant l’échafaud. Les roturiers jouissent enfin du privilège d’avoir la tête tranchée294.
72Mais il faut aussi tenter de réduire le nombre des criminels et de leurs victimes possibles. Améliorer l’éclairage nocturne des grandes villes et leur surveillance policière ne suffit pas. Si le crime est une manifestation du péché originel, dont prémunissent seules la prédication morale et une vie consacrée à lutter contre les passions mauvaises – avec l’aide, ajoutent les croyants, de la grâce divine –, il n’est pas de meilleure politique préventive que l’appui donné par le pouvoir temporel à l’Eglise. On connaît la longue fortune, dans l’Eglise et hors d’elle, de cette idée qui garde aujourd’hui ses zélateurs. Elle a contribué à causer parmi les philosophes quelques dissentiments. Pourtant, soit qu’ils fassent confiance à la morale du catéchisme et trouvent suffisante pour le peuple cette instruction, soit qu’ils projettent une nouvelle éducation intellectuelle et morale dispensée à l’écart du clergé, les hommes des Lumières espèrent dans une politique préventive de la criminalité. Parmi ceux qui lui attribuent une efficacité et proposent des solutions positives, figurent en particulier des penseurs qui répugnent à l’abolition complète de la peine de mort : il est normal de compenser la sévérité par le soin préalable de protéger les hommes contre ses effets. Ainsi en jugent le baron d’Holbach et Mably295, après Rousseau qui déclarait :
« La fréquence des supplices est toujours un signe de faiblesse ou de paresse dans le gouvernement. »296
Car c’est d’abord du gouvernement que dépend l’état de la criminalité. Il vient à l’esprit de tel ou tel, profane ou médecin, que pourrait exister une constitution physique, un tempérament criminels297 ; personne ne va jusqu’à imaginer que soient des cas curables par la médecine ces êtres à la « machine désordonnée »298.
73Qu’inspire la vue des fourches patibulaires dans Jacques le Fataliste ? des réflexions du narrateur lui-même sur les rapports de la criminalité avec la misère et la mauvaise administration299. La misère, telle est la source d’où découlent vols accompagnés ou non d’assassinat, suicides, émeutes sanglantes ; or, elle a elle-même son origine dans la mauvaise politique et la mauvaise économie. Vauban, Boisguilbert, Fénelon le disaient. En 1720, le système de Law avec ses conséquences funestes en administre la preuve comme dans un effet d’accéléré : bon observateur, Montesquieu note dès les Lettres Persanes combien de maux et de crimes ont été provoqués dans les familles accablées par l’indigence soudaine300. Le gouvernement s’est avisé de la menace que constitue pour la société la masse des mendiants ; grâce à des mesures qui sont un véritable assassinat différé il cherche à se débarrasser des misérables plutôt que de la misère. Saint-Simon, Duclos en ont conscience ; et un demi-siècle plus tard Mercier peut faire la même constatation : la prévention, appliquée aux indigents, consiste à les traiter en fait comme des criminels qui méritent la mort301. A propos d’une émeute, en 1725 à Paris, Duclos écrit que « la faim commande plus absolument que les rois » ; or il remarque que le duc de Bourbon s’est opposé alors au projet qui lui était soumis de distribuer du blé à prix modique pour lutter contre les spéculations des « monopoleurs »302. Plus on avance dans le siècle, plus vigoureuses sont les mises en accusation du pouvoir ou des lois :
« C’est visiblement à l’injustice, à la tyrannie, à la négligence de ceux qui gouvernent que sont dus les crimes fréquents dont on voit les nations inondées. »303
Emprisonné quelque temps avec un criminel, l’honnête Suard a accepté de réfléchir sur les motifs qui poussent « les scélérats » dans la voie où ils se perdent ; son mémorialiste Garat prend à son compte une leçon que l’histoire lui inspire :
« Parmi les scélérats qui n’ont pas été sans gloire, plusieurs ont motivé leur vocation au crime sur leur mépris des lois sociales, si inhabiles ou si impuissantes à assurer à chaque homme tout ce qui lui est nécessaire pour ses besoins et pour son bonheur. »
Loin de récuser de tels témoignages comme suspects, Garat veut y voir un défi bienfaisant aux législateurs : « Heureux » conclut-il, « les princes et les peuples dont les lois seront un jour assez sages pour ne laisser ni excuse ni prétexte aux méchants »304 !... Ni tentation aux pauvres vertueux, ajoutent les âmes sensibles305.
74Car le grand crime ne serait-il pas d’acculer des hommes à ne survivre qu’aux dépens de la vie de ceux dont la subsistance est assurée ? La sécurité et « l’humanité » se joignent pour inspirer une politique de développement économique favorable au plus grand nombre. Un autre débat apparaît à travers les ouvrages des naturalistes, des économistes, des démographes : où la mort ravage-t-elle le plus les populations ? à qui apporter une aide privilégiée ? sous quelle autre forme que la médecine ?
75Les crises de subsistance, dont certains soupçonnent le lien avec les épidémies, attaquent sans distinction306. Pour de nombreux observateurs, c’est néanmoins le peuple des campagnes qui souffre de la condition la plus misérable. Il faut remédier à la mauvaise nourriture et à la misère des foules paysannes pour combattre la dépopulation, répètent après Vauban et Boisguilbert, Melon, Mirabeau dans L’Ami des Hommes, Ange Goudar, Quesnay dans l’article « Grain » de l’Encyclopédie, Necker... Buffon, parfois mal compris, explique qu’après l’âge de quarante ans « il meurt constamment plus de monde à Paris qu’à la campagne » : la raison en est non pas que les villes sont funestes à leurs habitants mais tout au contraire » que les douceurs de la vie font beaucoup à sa durée, et que les gens de la campagne, plus fatigués, plus mal nourris, périssent en général beaucoup plus tôt que ceux de la ville »307. L’abbé de Caveirac, la bête noire des philosophes, trace de la condition paysanne vers 1745 un tableau qui rappelle la célèbre description-devinette de La Bruyère ; de peur que ses lecteurs moins clairvoyants, moins attentifs à la réalité lointaine – il semble écrire pour des Parisiens à leur aise –, ne marquent du scepticisme, il insiste sur la qualité du témoignage recueilli :
« Le voyageur de qui je tiens ce que je viens de dire, étant dans son lit à l’extrémité, moment où l’on n’a rien à dissimuler, me disait : Ce n’est rien que la misère réfugiée dans la capitale, les provinces en sont pleines. J’ai vu, il y a onze ou douze ans, des mères exposer leurs enfants parce qu’elles étaient hors d’état de le nourrir ; des pères abandonner le soin de leur petit ménage et se faire des plaies pour être admis dans les hôpitaux ; des familles entières ne manger que du pain fait avec des racines ; des hommes brouter l’herbe, et le tout par l’effet de...
A ces mots il expire
Mais il avait encor bien des choses à dire. »308
76Aurait-il incriminé les « monopoleurs » comme Duclos, ou les agents des fermiers généraux ? ou aurait-il donné à penser plus hardiment encore ? Le prudent abbé développe pour sa part un programme en dix points destiné à augmenter la population, dont quatre visent à soulager les paysans des impôts multiformes309. La corvée, quoiqu’elle pose un problème d’efficacité aux réformateurs, sert à illustrer les ravages de la misère parmi les familles : dans Les Saisons, Saint-Lambert met en scène une mère qui, harrassée de fatigue, voit tarir son lait et mourir son jeune enfant ; elle demande vengeance au ciel. Diderot trouve le trait « outré » ; il n’ajoute pas moins qu’il suffisait de « dire les choses comme elles sont ; elles sont assez fâcheuses »310. La mortalité infantile révèle avec les épidémies la situation désastreuse de ces populations auxquelles Melon voudrait qu’on assure une meilleure protection médicale311. Mais la présence de quelques médecins et la diffusion des connaissances par des auxiliaires bénévoles pallieraient à peine les maux que provoquent l’insuffisance et la mauvaise qualité de la nourriture : des médecins, des économistes y voient la véritable origine de la mortalité infantile312.
77Le marquis de Mirabeau attribue à « la décadence de l’agriculture » la dépopulation de la France et de l’Europe. Même dans sa critique moralisatrice du luxe, il rejoint cette idée que tout le mal provient de la mauvaise exploitation du sol : il regrette que les parcs, les jardins, les « allées à perte de vue » aient enlevé tant de terres à la culture, de même que l’élargissement de nombreuses routes313. Donnant à sa démonstration un caractère systématique, il reproche même à Hume d’avoir attribué aux grandes villes une responsabilité excessive dans la mortalité314. Dans la pensée agrarienne exagérée par Mirabeau, la fécondité de la nature prend une valeur exclusive à tel point que ce qui la compromet mérite seul d’inquiéter les gouvernements, seuls les hommes des champs méritent leur protection : célibat ecclésiastique, guerres, et autres fléaux ne sauraient éclipser le danger par excellence315. Sans s’abandonner à ces simplifications, Necker reprend une bonne part des analyses de Mirabeau. D’autre part, conscient d’une évolution nouvelle dans la mentalité des familles paysannes, il met en garde contre un fléau qui risque de s’ajouter à la mortalité infantile due à la misère : « l’abandon dénaturé des enfants dans ces lieux d’asile où la mort fait tant de ravages » ; il croit déceler là « un des maux de l’avenir », présent déjà par « les indices d’un coupable relâchement »316.
78Necker, comme Goudar, comme d’autres observateurs, se montre aussi sensible aux pertes humaines provoquées par le développement des villes. Goudar, qui redoute que les campagnes manquent de bras, est persuadé de l’influence désastreuse des grandes cités : chaque province est dépeuplée par sa capitale, et Paris dépeuple le royaume ; il redit là ce que Montesquieu puis Rousseau avaient affirmé317. En effet – et Rousseau développe l’idée avec une vigueur nouvelle – le « mauvais air » lié aux entassements de foules n’est qu’un des éléments de ce drame permanent. La débauche même ne suffit pas à condamner l’existence citadine pour ses effets nocifs sur la génération318. De façon générale les habitants des villes, riches et pauvres, mènent une existence factice, étrangère aux besoins naturels, qui provoque à la longue une dégénérescence : le peintre Watelet croit déjà percevoir des symptômes d’une « caducité précoce » dans la conformation du citadin319. Ce que Rousseau stigmatise, c’est la vie du mondain qui s’est volontairement coupé des sources de la vie ; à son exemple, L.S. Mercier déplore l’aveuglement des riches :
« Tous les gens riches sont brouillés avec le soleil. Le jour n’est pas fait pour éclairer leurs plaisirs ; sa clarté est ignoble. C’est un peuple de morts, qui n’existe que dans des salons hermétiquement clos, et au milieu des flambeaux. »320
Cette critique présentée en métaphore n’est pour le médecin que la description des causes qui donnent naissance aux « maladies des gens du monde ». Tissot les met en garde contre erreurs, excès et carences dont ils se rendent les victimes321.
79Ce qui est vrai pour les privilégiés de la fortune l’est d’autre manière, plus tragique, pour les pauvres contraints de gagner leur vie en la compromettant. Rousseau, faisant écho à des observations médicales déjà anciennes, évoque « cette quantité de métiers malsains qui abrègent les jours ou détruisent le tempérament », le plus souvent pour le service des riches oisifs. Tous ces métiers ne sont pas exercés dans des capitales, mais la ville reste la principale accusée : car mineurs et marins bravent la mort pour le bénéfice des mêmes hommes. Les accidents du travail menacent les couvreurs, les charpentiers, les maçons : et les maladies professionnelles emportent prématurément les ouvriers et artisans qui doivent manipuler des substances toxiques322. Après Rousseau, on va discuter des poisons les plus dangereux, des métiers les plus exposés : chacun a sa liste. Quelques auteurs ne se contentent pas de stigmatiser le luxe meurtrier. Melon avait depuis longtemps proposé qu’on employât de préférence les criminels323 ; Moheau, qui trouve que la condition du peuple s’est quelque peu améliorée, ouvre une perspective nouvelle en suggérant que des instruments remplacent les hommes pour accomplir certaines tâches dangereuses324 ; Necker propose qu’un bureau centralise toutes les recherches et les découvertes aptes à réduire ces risques325. Mais comment arracher à leur condition tant de victimes en puissance ? Un médecin de Lyon connaît bien les maladies des ouvriers en soie : ils souffrent de la mauvaise nourriture eux aussi ; manquant souvent du nécessaire, ils sont minés par les chagrins domestiques, mais aussi par la malpropreté, « surtout depuis que les loyers, portés à un prix excessif, les forcent à entasser » meubles et hardes afin de loger davantage de métiers à tisser ; ainsi naissent maladies de langueur et hydropisies mortelles326. De son côté un médecin genevois établi à Paris, Ballexserd craint pour la santé de ces multitudes entassées, de ces hommes et de ces femmes « occupés dans une posture penchée à mille petits métiers », posture nuisible « à eux et à leur chétive postérité »327.
80Il semble que les réformes nécessaires pour faire reculer la mort omniprésente dépassent les forces humaines. Or chaque cause de mortalité, de dépopulation, agit comme un défi à l’imagination autant qu’à la raison. Succédant aux utopies, les propositions ne cessent de paraître, peu nombreuses encore et attachées à des problèmes limités au temps de l’abbé de Saint-Pierre (1733, 1738-1740) et de Melon (1734, 1738), plus ambitieuses après L’Esprit des Lois et les Discours de Rousseau ; stimulés sans doute par ces grandes œuvres et par les traités de Mirabeau, d’Ange Goudar, de Quesnay, les réformateurs aux prétentions encyclopédiques vont se succéder jusqu’à la Révolution, mais notamment entre 1763 et 1778, années de paix pour la France328. Or la plupart opposent aux facteurs de dépopulation des mesures défensives qu’ils considèrent comme des remèdes aptes à rétablir un développement naturel jusqu’alors entravé. Un allemand, le baron de Bielfeld, a présenté en deux colonnes un inventaire presque exhaustif des problèmes posés et des solutions offertes : le reproduire permet de saisir d’un regard l’ensemble de la démarche réformatrice et de constater la prédominance de son aspect défensif, « conservateur ».
« Causes de l’augmentation ou de la diminution de la population.
Pour l’accroissement | Pour la Diminution |
Air pur et sain, entretenu par la propreté, et par de bons arrangements de la Police pour les eaux, fontaines, etc. | Pestes. Maladies épidémiques qui causent des mortalités hors de la proportion naturelle. |
Paix la source de tout bien | Guerres. |
Bonnes mœurs dans le peuple. Sobriété. |
Débauches crapuleuses parmi le peuple. Excès dans l’usage de l’eau-de-vie, ou autres liqueurs fortes. |
Arrangements sages de la Police pour les maisons de débauche et les prostituées, pour les hôpitaux et la cure de ceux qui sont infectés de maladies vénériennes. | Maladies vénériennes qui nuisent extrêmement à la propagation, 1) parce que ceux qui fréquentent les mauvais lieux sont détournés du mariage, 2) par les maladies mêmes, 3) par leurs suites, 4) par la corruption de la masse du sang dont le venin peut se faire sentir dans plusieurs générations. |
Permission accordée aux Ecclésiastiques, ainsi qu’aux gens de tout autre état, de se marier. Monogamie introduite, le meilleur moyen en politique, et mariages encouragés. |
Célibat des prêtres et des religieuses introduit dans la Religion Catholique Romaine par une fausse interprétation de quelques passages mal entendus de l’Ecriture Sainte. |
Colonies attirées du dehors ; comme réfugiés français en Hollande, en Prusse et ailleurs, etc. | Colonies trop nombreuses envoyées au dehors. |
Tolérance raisonnable de toutes sortes de religions. On en voit des preuves démonstratives dans la Hollande, l’Angleterre, la Prusse, etc. comme on voit les preuves du contraire dans les pays catholiques, en Suède, en Saxe, etc. |
Intolérance ridicule en matière de politique. |
Humanité et douceur du gouvernement. | Massacres, comme ceux de Saint-Barthélemi, des Vêpres Siciliennes, etc. |
Précautions humainement possibles contre les inondations et autres fléaux. | Inondations, ou submersions entières. Tremblements de terre violents, comme au Portugal, et autres fléaux. |
Précautions des chefs des Finances et des magistrats de la Police contre la famine et la cherté extraordinaire. | Famines et cherté extraordinaire des grains. |
Sûreté procurée à tous les citoyens, prisons, maisons de correction, de travail, etc. établies. Sévérité modérée dans l’exercice de la justice. |
Défauts de la politique financière, comme tailles arbitraires et excessives, mauvais arrangements qui ôtent aux sujets les moyens de gagner leur vie par le commerce, par l’industrie, etc. et causent des désertions ou empêchent les mariages. |
Emigrations jamais souffertes. | Emigrations pour quelque cause que ce soit. |
Précautions à prendre pour la perfection de l’art nautique, pour la sobriété des matelots, pour la pureté de l’air dans les vaisseaux, et pour engager des matelots étrangers. | Navigation trop étendue, et dans des mers lointaines et dangereuses, comme dans la mer Pacifique, etc. (Les Hollandais remédient à cet inconvénient inévitable en enrôlant beaucoup d’étrangers pour les voyages aux Indes). |
Maisons d’Enfants trouvés établies, pour prévenir les infanticides. Maisons d’Orphelins fondées sur de bons modèles. | Infanticides. |
Lois sévères contre la sodomie, etc. | Sodomie et le progrès de tous les péchés qu’on appelle contre Nature, etc.329 |
81Parmi toutes les réformes présentées là ou ailleurs, l’incitation au mariage des prêtres et des religieux peut seule être tenue pour une mesure positive d’encouragement à la population, sur laquelle d’ailleurs les auteurs presque unanimes s’accordent. Au reste, même ceux qui esquissent une politique hardiment nataliste se soucient avant tout de réparer les dommages que cause la misère. Les pauvres gens hésitent à se marier parce que la cérémonie est trop coûteuse : que les curés soient contraints à diminuer les droits qu’ils exigent. La charge des enfants accable les parents et menace la subsistance et la santé de tous : il faut prévoir une réforme fiscale avec des dégrèvements pour les pères de famille et des taxes supplémentaires pour les célibataires. Tels sont les conseils donnés par un eugéniste, Faiguet de Villeneuve, en vue de « perfectionner l’espèce humaine ». Il en suggère un troisième, propre à régénérer la France décadente : l’importation annuelle de « douze ou quinze cents Brins », filles sélectionnées à travers le monde pour être offertes comme épouses à des jeunes gens de robuste constitution330. De ces trois points, le dernier est en fait moins original qu’il ne paraît, car depuis Télémaque on savait qu’un bon prince favorise l’immigration au lieu de contraindre ses sujets à l’exil331. Montesquieu avait envisagé déjà les bienfaits à attendre d’une aide aux familles nombreuses, et regretté que Louis XIV eût limité son secours aux pères de dix et douze enfants332. L’année même où paraît l’ouvrage de Faiguet de Villeneuve, Goyon de la Plombanie invente un système d’allocations versé au delà du deuxième enfant à tous les chefs de famille qui possèdent moins de « trois cents livres de bien en fonds »333. Quant au premier point, concernant l’abaissement des droits curiaux sur les mariages, il faut penser que l’idée correspondait à un motif réel de mécontentement, puisqu’en 1789 on retrouve cette revendication dans un cahier de doléances de Picardie334.
82Mais la meilleure solution consistait-elle bien à multiplier les mariages ? Un autre hygiéniste, le médecin Venel, frappé par la « dégénération de l’espèce humaine chez les peuples civilisés » consacre un ouvrage aux moyens d’y remédier et recommande en conclusion d’instituer une visite médicale prénuptiale : cette précaution, risquant de diminuer le nombre des mariages, aurait pour compensation de procurer des enfants plus sains, sujets à une moindre mortalité : ainsi les effets sur la population seraient bénéfiques pour les générations futures335.
83Le combat contre la dépopulation conduit donc à un nouvel examen du problème du célibat et du mariage. Or voici que, non sans raison, non sans mauvaise foi de la part de leurs adversaires, les philosophes vont se trouver placés en posture d’accusés : d’une part ils ont indûment attaqué le seul célibat ecclésiastique pour ses conséquences funestes dans la nation ; d’autre part ils contribuent eux-mêmes à la dépopulation. Comme dans tant d’autres conflits, chacun truque la confrontation. Rousseau, assez heureux de se situer au-dessus de cette mêlée confuse, en a fait la remarque336. Chacun confond l’adversaire avec la réalité que ce dernier a historiquement incarnée, et il s’exhibe lui-même selon l’ordre de ses principes et de ses projets idéaux. Les philosophes sont des esprits expérimentaux pour dévoiler les crimes de l’Eglise à travers les siècles, mais ils construisent un système a priori pour réduire toute religion à une entreprise de destruction et de domination et supposer que bonheur et liberté vont nécessairement de pair. Face à leurs proclamations au nom de la vertu et de l’humanité, l’adversaire va examiner quelques faits gênants, il va feindre d’identifier la philosophie avec les sous-produits habituels d’un prétendu épicurisme – la quête individuelle du plaisir, le libertinage des mœurs –, ou avec les facilités du « fatalisme » – l’autorisation de s’abandonner à toutes ses pulsions –. En somme, il faudrait supposer que Crébillon fils ait voulu montrer en Madame de Senanges le parangon des « femmes philosophes » parce qu’elle s’était placée au dessus des « préjugés » et qu’elle se livrait au « moment » sous prétexte qu’« il était impossible d’y résister »337.
84Ainsi quoique des hommes de Lumières aient porté condamnation contre la débauche et que parmi eux la défense du luxe ne fasse aucunement l’objet d’un accord unanime, ces deux points réunis permettent à divers apologistes chrétiens ou à d’autres adversaires occasionnels de condamner ensemble l’esprit philosophique et sa prétendue expression sociale : le célibat par goût ou par libertinage. La même année 1756, l’économiste agrarien Ange Goudar par haine du luxe, et le belliqueux abbé Gauchat dans sa contre-offensive apologétique se rencontrent pour mettre en cause le célibat laïc. L’abbé Gauchat veut prouver que rien ne protège mieux contre la dépopulation décrite par Montesquieu que le mariage chrétien :
« Ce n’est pas la piété, c’est la débauche qui dépeuple l’univers »,
écrit-il au terme de sa démonstration338. Elle va faire un long chemin, et l’on trouve Gauchat cité comme un solide garant jusque dans les ouvrages pieux de Mme de Genlis339. Quant à Ange Goudar, qui admet par hypothèse que les larges « brèches » faites dans la population par le célibat ecclésiastique sont justifiées quoique déplorables340, il ne manque pas moins de détailler minutieusement les origines des méfaits causés par le luxe et par le célibat laïc. D’abord, rejoignant des thèmes chers à Rousseau, il constate que « c’est la société, chez nous, qui détruit la société » : les fréquentations mondaines multiplient en effet les infidélités de maris trop occupés à la galanterie pour accomplir leurs devoirs conjugaux ; ainsi, la plupart des femmes « vivent célibataires dans le sein même du mariage »341. De plus Goudar craint que l’égoïsme des citadins ne diminue le nombre des naissances dans les campagnes car, tandis que tant de femmes de ménagers et de laboureurs allaitent les enfants des villes, elles n’en font point elles-mêmes »342. Le luxe, de cent façons, augmente le célibat : à vouloir de riches mariages, on tarde à conclure les alliances et l’on se marie tard ; du fait de considérations économiques, on contraint dans les familles plusieurs enfants à rester célibataires ; ensuite « notre luxe, en interdisant le mariage aux domestiques, anéantit une partie de notre postérité »343. Autre incitation au célibat, l’esprit de jouissance assimilé à un prétendu « esprit philosophique » fait perdre la conscience des devoirs d’un citoyen et conduit à la débauche qui stérilise ses victimes. Or paradoxalement les progrès de la médecine ont permis aux libertins de perdre toute appréhension : Goudar en vient à regretter qu’ait été découvert « un palliatif efficace » pour la vérole, car depuis lors les conséquences douloureuses de la débauche s’en trouvent trop aisément supprimées ou atténuées sans qu’elle ait cessé de nuire à la fécondité344.
85Goudar, assurément dépourvu de toute intention apologétique, fournit aux adversaires des philosophes un argument dont ils vont user. Selon sa conception, nul n’est philosophe authentique s’il se dérobe au devoir primordial de donner des enfants à la Patrie ; sur ce point il tranche sans hésiter :
« Presque toujours, chez nous, un philosophe est un mauvais citoyen. »345
Après lui, il est rare que les remarques sur le célibat laïc, sous ses multiples formes, n’invitent pas à réprouver l’attitude de Voltaire, de Rousseau, d’autres célibataires de moindre renom346. En général, la responsabilité des philosophes est signalée, si même ils ne sont pas condamnés comme « les premiers auteurs de la dépopulation dont ils se plaignent » : ainsi parle Caraccioli. Selon lui, « l’incrédulité conduisant au libertinage et au suicide, est en partie cause de la dépopulation »347, d’autant plus qu’il lui attribue imperturbablement la responsabilité des « avortements volontaires »348. Célibat et suicide, tels sont les fruits de l’esprit philosophique en progrès. Quand le bon Ducis versifie une Epître contre le célibat, il représente un solitaire dont l’existence est vide, ou vite ennuyée malgré sa quête des plaisirs ; il va s’en débarrasser d’un coup de pistolet, car il a reçu l’empreinte de la philosophie :
« Croyant que tout s’éteint, que tout meurt avec nous, Il n’a aucun scrupule à commettre un suicide. »349
La philosophie présentée sous cet éclairage donne aux hommes le droit d’être criminels : il y a là une continuité méritoire dans l’apologétique chrétienne ; elle traverse le siècle, comme le montrerait déjà la littérature de dénonciation des libertins. En 1706, un oratorien voulait voir dans les disciples épicuriens de Montaigne, parce qu’ils refusent l’autre vie, des êtres capables de se faire assassins selon l’occasion350.
86Le reproche de pervertir tout sens moral au point de justifier le crime utile ne vient pas seulement des chrétiens, mais aussi des déistes à l’égard des athées. Ainsi pense encore le jeune Diderot à l’époque de La Promenade du Sceptique351. Des esprits plus modérés en apparence accusent la philosophie d’attenter à la santé et à la sociabilité : l’abbé Jacquin, qui écrit un ouvrage de médecine « pour tout le monde » et donne surtout ses conseils aux mondains, dévoile les origines de la discorde civile qui couve au sein de leurs assemblées :
« Evitez encore à table ces dissertations philosophiques et dogmatiques, où l’on déraisonne tristement sur l’Etat et la Religion, et où l’on réforme tout excepté sa conduite. »
Qu’on y prenne garde, ce sont là motifs de disputes d’où peuvent naître les néfastes effets de la « haine » et de la « fureur »352 ! Avec une prudence de tacticien qu’il est bon de relever, et qui déchaîne le courroux de Voltaire, l’auteur de l’article « Fanatisme » dans l’Anti-Dictionnaire philosophique admet que les athées ne font pas couler le sang, mais il retourne contre l’athéisme l’argumentation même de Rousseau et le charge finalement du pire des crimes : la dépopulation.
« Ses principes ne font pas tuer les hommes, mais ils les empêchent de naître en détruisant les mœurs qui les multiplient, en les détachant de leur espèce, en réduisant toutes les actions à un secret égoïsme aussi funeste à la population qu’à la vertu. L’indifférence philosophique ressemble à la tranquillité de l’Etat sous le despotisme, c’est la tranquillité de la mort ; elle est plus destructive que la guerre même. »353
A ne retenir que les poètes, nous retrouvons ces sortes d’accusations chez Louis Racine, chez Gilbert, chez un autre satirique oublié, J.-M.– B. Clément. Louis Racine, convaincu de la vérité du fait, considère que l’exemple du suicide de Lucrèce joint à sa philosophie doit entraîner au même crime son traducteur et il conclut sur l’épicurisme contemporain par ces mots :
« Je tremble à vos sermons, apôtres du bonheur. »354
L’attaque de Clément, dans sa Satire IV destinée aux philosophes, vise de même les excès et les crimes que peut couvrir une morale de l’intérêt et du bonheur ; elle prend un ton plus venimeux pour attaquer sous le nom de Carondas l’une de ces têtes philosophiques de qui l’on peut tout craindre : en ce dernier personnage, accusé d’avoir empoisonné successivement ses trois épouses successives, « victimes de leur dot », il est aisé de reconnaître Beaumarchais à qui Clément fait l’honneur de représenter le parti philosophique355.
87La controverse sur le suicide engage trop d’arguments divers pour que nous nous y arrêtions ici. Il suffit de souligner qu’elle n’est pas étrangère à ce débat sur les responsabilités de la dépopulation et sur les moyens d’y remédier. Mais les philosophes ont bien vite compris qu’ils devraient tenir compte des objections soulevées par leur propre présentation du problème démographique. Sur le point du célibat, Voltaire avait depuis longtemps senti la difficulté ; il la levait avec désinvolture par la décision de traiter les philosophes comme des êtres d’exception :
« Nous sommes nés pour avoir des enfants. Il n’y a que quelques fous de philosophes du nombre desquels nous sommes à qui il soit décent de se sauver de la règle générale. »356
Plus réfléchi, Rousseau n’est pas loin de penser de même au sujet de tous les hommes qui ne sont pas « vraiment utiles » à la société. Au profit de Milord Edouard, il veut introduire une distinction selon les « états » : « le peuple », « l’artisan », « le villageois » sont tenus par l’obligation de perpétuer la race ; mais elle n’engage pas de même façon « les ordres qui dominent les autres, auxquels tout tend sans cesse, et qui ne sont toujours que trop remplis ».
« L’Etat ne fait que se dépeupler par la multiplication des sujets qui lui sont à charge. Les hommes auront toujours assez de maîtres, et l’Angleterre manquera plutôt de laboureurs que de Pairs. »357
Qu’en est-il de l’homme de lettres ou du philosophe ? Tout ce qui se trouve avancé là pourrait bien lui être subrepticement appliqué, au bénéfice prétendu de la population... que Rousseau n’a garde d’oublier. Le cas de Diderot se présente plus clairement : il a accompli son « devoir » ; face au théologien qui « s’indigne des déclamations perpétuelles des célibataires mondains, par goût et par libertinage, contre ceux qui embrassent cet état dans des vues de religion et de pénitence », il réplique avec sérénité : « Les uns et les autres ont tort ; que ce soit par goût, ou par un zèle mal entendu qu’on embrasse le célibat, la société n’y perd pas moins »358. Voilà qui est clair. Diderot préfère toujours la fécondité.
88Derrière la critique des villes-gouffres, des parcs envahissants, des travaux malsains, de l’allaitement par des nourrices, de la stérilité causée par la débauche ou la galanterie, par l’usage d’une nombreuse domesticité tenue à l’écart du mariage, ou encore derrière la dénonciation des crimes que produisent les philosophies du plaisir et de l’intérêt, c’est évidemment le luxe qui est sans cesse mis en accusation. Selon la théorie agrarienne, les mêmes richesses du sol, supposées à peu près constantes, font subsister une moindre quantité d’hommes dès lors qu’une partie en est captée pour des dépenses somptuaires : le luxe est donc mortel dans son principe. Sans qu’il soit tenu compte d’une meilleure productivité rendue possible par les débuts de la modernisation en agriculture, les adversaires du luxe voient seulement le risque couru par une humanité qui gaspillerait ses chances de vie, chaque génération tendant à limiter le nombre de ses successeurs parce que les privilégiés du sort exagèrent leurs prélèvements à des fins improductives. Ainsi pense Ange Goudar dont l’œuvre est pour l’essentiel un réquisitoire contre le luxe :
« Il fait plus de mal, lui seul, que la guerre, la peste et la famine. »359
89C’est la thèse que renouvelle l’abbé Pluquet dans son Traité philosophique et politique sur le luxe360, où sans doute il s’inspire des analyses de son ami Helvétius361.
90Liée pour certains auteurs à ce problème, mise en évidence par la critique de l’évangélisation, la politique de colonisation fait l’objet de reproches issus en bonne part des attaques de Montesquieu. On connaît assez la Lettre Persane où il place parmi les causes du dépérissement de l’humanité l’exploitation du Nouveau Monde : dépeuplé de ses premiers habitants, il engloutit désormais les esclaves africains qui y succombent sous l’effet du climat et du travail que les Européens leur imposent362. Les esprits découvrent peu à peu le nouveau fléau, ses diverses manifestations, et ses conséquences proches ou lointaines. Sur les ravages causés parmi les colonisés et les esclaves déportés, des voyageurs rapportent leurs témoignages, comme Saint-Preux au retour de son périple363 ; des administrateurs ou des habitants européens des colonies font état de la situation qu’ils connaissent364. Originaire de l’île de France, Parny glisse une condamnation de l’Europe dans l’Avertissement de ses Chansons madécasses : les Européens qui se livrent à la traite sont responsables des guerres entre Malgaches, qui visent à capturer des ennemis pour les vendre comme esclaves... « Méfiez-vous des blancs, habitants du rivage », tel est le refrain d’une de ces complaintes de folklore fictif365.
91Méfiez-vous de tous les Blancs. L’abbé Raynal, à mesure qu’il examine les diverses colonies, découvre que les Anglais, les Français, les Hollandais, les Danois n’exercent pas une moindre férocité que les Espagnols et les Portugais.
« Cette métamorphose de l’Européen expatrié est un phénomène si étrange... »366
92Quand les philosophes condamnent la colonisation meurtrière, ils commencent à mettre en question les bienfaits supposés du commerce. Montesquieu savait fort bien à quel « prix » il faut que les esclaves payent le sucre que nous consommons367. Helvétius – imité par Voltaire dans Candide mais précédé par l’abbé de Caveirac – fait le compte des ravages exercés, des vies humaines sacrifiées. Outre la traite des nègres et les crimes de l’esclavage, les pertes causées aux équipages de navires doivent être ajoutées aux motifs de dépopulation : « Il n’arrive point de barrique de sucre en Europe qui ne soit teinte de sang humain », telle est sa conclusion368. A la pensée de toutes ces horreurs, Diderot en vient à se demander, dans un de ses Fragments politiques laissés inédits,
« s’il ne vaudrait pas mieux que les nations fussent demeurées sédentaires, isolées, ignorantes et inhospitalières, que de s’être empoisonnées de la plus féroce de toutes les passions. »369
Ainsi la pensée philosophique rejoint-elle parfois les condamnations chrétiennes du luxe. Lorsqu’on lit en effet les pages consacrées aux guerres coloniales ou commerciales, il semblerait que la crise de conscience dont témoigne l’œuvre de Rousseau ait atteint parfois les plus déterminés de ses adversaires. La guerre de Sept ans a rendu impossible la vision irénique du Mondain qui célébrait le commerce pacificateur. Il est bon de souligner ce fait alors que l’on s’en tient ordinairement à l’influence du tremblement de terre de Lisbonne sur l’esprit conquérant et confiant des hommes de ce milieu du siècle. Les conflits que l’on croyait affaires de préséances princières peuvent donc éclater pour des oppositions entre les intérêts économiques des nations. Holbach, à la réflexion, juge même que le fait n’est pas si récent :
« Toutes les guerres que se font depuis près d’un siècle les puissances de l’Europe n’ont pour objet que le commerce. »370
Les Anglais, selon lui, portent une ample responsabilité ; mais sur toute la terre l’avidité des commerçants ne cesse d’élargir son emprise : « Le globe n’est plus assez vaste pour le commerçant en délire »371. On croit entendre Jean-Jacques Rousseau parler en 1756 des intérêts particuliers des nations qui « se croisent » et des « idées de commerce et d’argent » qui ont suscité « une espèce de fanatisme politique »372. Mais n’oublions pas que Voltaire a pressenti un jour du printemps 1755 la menace qui pesait sur les nations à cause de la rivalité des intérêts économiques. Dans une lettre à son banquier lyonnais, Jean-Robert Tronchin, il se lamente sur l’aveuglement des hommes ignorants de leurs véritables intérêts : constatant que des hostilités sont déjà effectives entre Anglais et Français, il regrette l’incapacité des « négociants de tous les pays » à s’unir en une sorte de ligue supranationale373. Que ses préoccupations de capitaliste avisé l’aient incité à cette lucidité nouvelle sur le rôle des négociants dans les rapports entre Etats n’ôte rien à la précocité de ce jugement que n’avait encore formulé publiquement personne : lui-même va en tenir compte dans l’édition nouvelle du Siècle de Louis XIV publiée en 1756 avec un chapitre sur Louisbourg et les « prises immenses que font les Anglais » à la fin de la Guerre de Succession d’Autriche374. Pourtant il ne voit pas nettement l’ampleur de l’évolution en cours, ce que font Rousseau et surtout le baron d’Holbach. Trente ans plus tard, Necker va écrire en financier et en économiste sur la guerre : « Aujourd’hui, c’est surtout pour le commerce qu’on ensanglante la terre » et il remarque le pouvoir prestigieux, fascinant, de ce terme de « commerce » pour lequel les hommes acceptent de se lancer dans les batailles375.
93Or c’est en face de ces conflits nouveaux – ou supposés tels –, suscités par une activité prometteuse de concorde universelle que nous voyons se manifester dans toute sa vigueur l’optimisme défié. Que certains ne discernent pas même la difficulté et continuent à célébrer les vertus du commerce international ne saurait étonner. Ingénu, le chevalier de Chastellux, dont on a vu qu’il espérait l’extinction prochaine des guerres, ajoute à ses raisons l’absence de nations pauvres et barbares dont il faudrait redouter les entreprises ; assuré de la relation indestructible entre commerce et liberté, il prévoit en 1772 que les Anglais vont laisser leur liberté aux colonies d’Amérique plutôt que de risquer un conflit, et il exclut tout affrontement entre nations européennes376. Mais des esprits moins confiants aboutissent à des conclusions malgré tout réconfortantes pour l’humanité. On sent très bien chez Holbach cette indéracinable certitude : les relations entre les hommes tendent vers un équilibre nécessaire. Dans la Politique naturelle, où le baron fait siennes toutes les attaques des adversaires du luxe contre la politique d’expansion coloniale et d’exploitation mercantile du monde, il suppose d’abord qu’aux guerres coloniales de conquête, et aux conflits d’intérêts entre grandes puissances, succéderont d’autres conflits qui seront libérateurs :
« Enfin, peut-être un jour des Indiens plus aguerris par les Européens les chasseront-ils de leurs rivages où leur avidité a dû les rendre odieux. »
Mais il prévoit que des affrontements sortira une phase ultérieure de paix, la phase actuelle constituant la recherche et l’enfantement douloureux de ce nouvel équilibre international377. Telle est aussi l’espérance très ferme quoique lointaine de l’abbé Raynal et de Condorcet378. Elle est exprimée en forme de prophétie solennelle par Marie-Joseph Chénier à l’adresse des spectateurs de sa tragédie, Charles IX ou la Saint-Barthélemi, où l’amiral de Coligny, sur le point de tomber victime de l’intolérance, expose un vaste programme de prospérité et de paix universelles :
« Il s’élève pour nous aux champs de l’Amérique
De nouveaux intérêts, une autre politique :
Je vois de tous les ports s’élancer des vaisseaux ;
Tout s’émeut, tout s’apprête à conquérir les eaux.
L’Océan règlera le destin de la terre ;
Le paisible commerce enfantera la guerre ;
Mais ramenant les rois à leurs vrais intérêts,
Le besoin de commerce enfantera la paix ;
Et cent peuples rivaux de gloire et d’industrie
Unis et rapprochés, n’auront qu’une patrie. »379
94Ces perspectives ouvertes dans la suite des générations ne dépendent pas directement de l’action des hommes. Mieux lutter contre les maladies, les incendies ou les crimes, élargir et paver les rues, les éclairer davantage la nuit, fermer des cimetières aux miasmes inquiétants, assécher des marais, cela demeure aisé et permet d’espérer des résultats prochains contre les agents de la mort. Mais pourtant les progrès ont été souvent tardifs et partiels. Or, dans tant de domaines où l’on décelait des causes de « dépopulation », seules pouvaient être efficaces des transformations bouleversantes de la société. Montesquieu, qui incriminait surtout le despotisme et la situation privilégiée du clergé, a soupçonné qu’un lien étroit unissait la guerre et la monarchie, qu’une croyance tenace conjuguait l’usage de la peine de mort et la sanction divine d’un enfer éternel. La condamnation quasi-unanime du célibat ecclésiastique engage plus loin qu’une réforme des congrégations et des ordres religieux telle que la conduisit Loménie de Brienne. Le baron d’Holbach attribue les ravages de la dépopulation au fanatisme et au despotisme, mais aussi au commerce. La condamnation du commerce et du luxe prononcée diversement par nombre d’auteurs avec lui, et après Fénelon et Rousseau, porte en fait sur les finalités nouvelles d’une société qui s’éloigne de ses origines agricoles pour entrer dans l’ère de l’industrie et des vastes échanges internationaux. Quelques-uns voient sous les méfaits du luxe le rôle néfaste de la propriété privée qui accentue le pouvoir stérilisant des riches et la misère mortelle des producteurs. Cette société qui tue les voleurs prouve par là quel est son Dieu, puisqu’elle immole la vie humaine à la propriété sacralisée. Pour un esprit systématique comme Linguet, il est clair que les maux dénoncés par le menu sous diverses plumes ne proviennent de rien d’autre que de la propriété. C’est elle qui produit les chocs d’intérêt où naissent les guerres, c’est elle qui entasse les foules de misérables dans les villes mal aérées et propices aux épidémies, c’est elle qui fait périr marins et colons en quête des richesses dont le luxe se nourrit, c’est elle qui écrase parfois vingt ouvriers dans une mine d’où ils extraient l’or, l’argent, le mercure nécessaires aux glaces des salons, c’est elle qui incite à limiter le nombre des héritiers par la restriction des naissances et par les vœux monastiques, c’est elle qui empêche les divorces – car l’esprit de propriété s’exerce jusque dans le mariage –380. On perçoit à travers toutes ces remises en question de la société et de ses bases religieuses, juridiques, politiques, économiques, l’esprit révolutionnaire en marche. Ce n’est pas simple coïncidence si Linguet est aussi de ceux qui s’acharnent contre la Bastille381.
95Certes Rousseau a poussé plus loin encore la critique ; il a dénoncé la civilisation tout entière à partir de ses origines dans la première clôture dressée par un homme. Mais la violence révolutionnaire contenue dans les principes du Discours sur l’origine de l’inégalité s’enlise ou se dilue. Rousseau a le tort de proposer une réforme totale, à la fois morale et politique, et de la juger lui-même improbable à défaut d’un législateur quasi-divin ; sans doute même la croit-il pernicieuse parce qu’elle serait trop tardive : ce que Senancour appelle la route de « rétrogradation », il la sait impraticable désormais382. Après avoir énuméré les crimes et les malheurs d’une civilisation funeste, il n’offre de salut, comme à Clarens ou dans une Genève idéale issue du Contrat Social, qu’à des communautés restreintes, organisées pour une hypothétique autarcie ; et par sa vie du moins, il semble ne plus se fier qu’à un sauvetage individuel. Ce qu’un philosophe militant peut penser de cette attitude, et de celle d’un Helvétius qui prend trop aisément son parti du mal social jugé irrémédiable, Diderot l’exprime excellemment dans sa Réfutation du livre De l’Homme. Diderot s’oppose à la fois à la résignation devant « l’inévitable » et à l’aveuglement béat des laudateurs du progrès :
« Lorsque je repasse en revue la multitude et la variété des causes de la dépopulation, je suis toujours étonné que le nombre des naissances excède d’un dix-neuvième celui des morts.
Si Rousseau, au lieu de nous prêcher le retour dans la forêt, s’était occupé à imaginer une espèce de société moitié policée et moitié sauvage, on aurait eu, je crois, bien de la peine à lui répondre. »383
Peu importe ici qu’en réalité La Nouvelle Héloïse, Emile, Le Contrat Social, soient l’imagination même de cette société où nature et culture, liberté et organisation trouveraient leur point d’accomplissement ; retenons le fait que Diderot cherche une issue pour échapper à l’emprise de la mort sur la société contemporaine. Il aurait pu « repasser en revue » – comme Voltaire à ses heures d’euphorie, comme il l’avait fait lui-même naguère – les transformations bénéfiques en cours, les victoires remportées sur la mort dans une France assez bien protégée en somme durant ce siècle384. Il pressent seulement que la vie est en train de l’emporter, « d’un dix-neuvième »... Mais la partie lui paraît encore à gagner. Vers la même époque, dans les Fragments échappés du portefeuille d’un Philosophe, il se demande si véritablement la vie moyenne de l’homme policé est plus longue que celle de l’homme sauvage ; logiquement il suppose que tel doit bien être le cas, mais son propos manque de conviction, il ne voile pas les objections possibles385. Son point de vue sur la longévité de ses contemporains peut être comparé à celui de Bichat, persuadé que l’homme a été frustré par la société de sa mort naturelle :
« Telle est en effet l’influence exercée sur [lui] par la société que nous arrivons rarement à ce terme. Presque tous les animaux l’atteignent, tandis que la cessation de notre être, qu’amène la seule vieillesse, est devenue une espèce de phénomène. »386
Diderot, contrairement au médecin qui publie en 1800 ses Recherches physiologiques sur la vie et la mort, ne manifeste pas ce pessimisme, un pessimisme que Bichat a peut-être hérité de Rousseau et nourri de l’expérience des années révolutionnaires. Il reste que selon le directeur de l’Encyclopédie la mort n’a pas reculé de manière évidente. Bien plus, lorsqu’il salue la vaillance des colons américains en train de fonder un Etat nouveau avec leur sang, il leur souhaite seulement de « reculer, au moins pour quelques siècles, le décret prononcé contre toutes les choses de ce monde ; décret qui les a condamnées à avoir leur naissance, leur temps de vigueur, leur décrépitude et leur fin »387. On dirait que la révolution américaine apparaît à ses yeux comme un sursaut pour éluder quelque temps la fatale évolution du « Vieux Monde ». Jean Ehrard a rapproché de ce texte des observations de Montesquieu sur la décadence des empires. La plus saisissante des remarques de Montesquieu concerne le pourrissement des vieilles civilisations, qui sapent elles-mêmes leurs fondements par les grands travaux qu’elles accomplissent :
« Tous les pays qui ont été beaucoup habités sont très malsains : ainsi le territoire de Rome devenu très malsain ; l’Egypte devenue très malsaine. Apparemment que les grands travaux des hommes, et qui s’enfoncent sous la terre, les canaux, caves, souterrains, reçoivent les eaux, qui y croupissent. Le pays se détruit peu à peu, et la destruction augmente par la négligence à entretenir les anciens canaux. Ainsi l’Egypte a-t-elle la peste toutes les années. »388
L’activité humaine se colore d’une teinte sombre : pour Montesquieu, le génie constructeur devient artisan de destruction ; pour Diderot l’élan libérateur d’un peuple ne vise qu’à repousser de quelques générations la déchéance inéluctable. Il y a dans la lutte des philosophes contre la mort une tension dramatique qui explique certaines violences et certaines injustices : si leur croyance au progrès avait été plus candide, la dénonciation de ceux qu’ils tenaient pour agents ou complices du malheur aurait aussi été plus sereine.
96Lorsque nous nous retournons sur les dernières décennies qui précèdent la Révolution française, et que nous récapitulons les mises en garde, la menace mortelle semble peser sur les riches et les pauvres, les citadins et les paysans, les voleurs, les colporteurs et les philosophes, sur la société tout entière guettée par des inquisiteurs en puissance, stérilisée par les célibataires tonsurés ou poudrés... Que représente alors le phénomène révolutionnaire tel que l’éclaire le texte de Diderot ? Ne serait-ce pas dans ses profondeurs – et à la base des conflits politiques, sociaux et religieux – un immense sursaut de la nation pour tenter une sortie, briser le cercle non plus des antiques fatalités, mais des vieilles institutions mortelles ? Mortelles, parce qu’elles se montraient désormais bien vieilles en effet et vouées à une prochaine disparition. Mortelles, parce que de pacte de famille en pacte de famine le régime n’offrait plus à l’évidence une garantie sûre contre le malheur mais se révélait comme un instrument de destruction, quels que fussent les efforts, souvent tardifs, du gouvernement pour aménager les cadres d’une vie encore précaire pour le plus grand nombre. Les Lumières avaient révélé le vaste pouvoir d’intervention des hommes et en même temps l’action multiforme des forces qui minent la société et chaque existence. Alors même que quelques progrès de la médecine, de la législation criminelle, de la tolérance, nourrissaient l’espoir des uns, d’autres décelaient la fragilité de cette civilisation et la nocivité de ses prestiges. Or une vieille menace surgissait de nouveau, inscrite dans les derniers registres paroissiaux de l’Ancien Régime. A l’article « Faim » de l’Encyclopédie, Diderot avait donné cette phrase comme exemple :
« Lorsque le peuple meurt de faim, ce n’est jamais la faute de la Providence, c’est toujours celle de l’administration. »389
En 1788-1789, les mortalités qui recommencent à saigner la population française ne peuvent plus être attribuées à une vengeance céleste contre un peuple infidèle.
97Dans L’Otage, le capitaine Turelure présente le grand assaut donné à l’Ancien Régime féodal et catholique comme « une révolution contre le hasard »390. Cet homme du peuple qui a participé de toute son énergie au renversement de l’antique édifice vermoulu avant de s’installer en notable dans la nouvelle demeure, ce corps vigoureux qui veut régénérer une race pâlie peut symboliser l’aboutissement du siècle dans un déferlement de projets, de rêves et d’entreprises, du jour où une nation ne veut plus se laisser « dépeupler ». La Révolution française est aussi une révolution contre la mort.
Notes de bas de page
1 Il y a 5772 lanternes en 1729, 3500 réverbères en 1769 (LACROIX, Bb 1251, p. 319).
2 MSB, XXII, 58.
3 MENURET DE CHAMBAUD, Essai sur l’hist. médico-topographique de Paris, p. 84.
4 Service créé en 1722 (LACROIX, op. cit., p. 67-68), amélioré par Sartine (MERCIER, T. de P., I, 297-300).
5 Ibid., I, 59.
6 XI, 66-67 ; MSB, XXII, 151.
7 ROUSSEAU en tire argument dans son second Discours (OC, III, 205).
8 MSB, XXIV, 289-291.
9 In O.C., V, 547.
10 M. FOUCAULT, Naissance de la Clinique, p. 33-34 ; AULARD, Bb 1164, p. 551.
11 FOUCAULT, op. cil., p. 33.
12 Politique naturelle, II. 117, 131-136, 246-248, 260-261 ; Syst. social, III, 37-38, etc.
13 Syst. de la Nature, II, 208-209, 219 ; Polit. naturelle, II, 260-261.
14 D’ALEMBERT, in Voltaire’s Corr., B. 19847 ; cf. DIDEROT, Corr., VII, 107. Etc.
15 B. 8959 ; cf. 8136, 8988, etc. – DIDEROT est plus vif (O.C., IX, 15-16).
16 Voir DERATHÉ, « Les Philosophes et le despotisme », Bb 1198.
17 O.C., I, iii, 221-223 ; cf. Esprit des lois, 1. XXIII, ch. 28.
18 Essai politique sur le commerce, in DAIRE, Economistes financiers, p. 775.
19 Journal, IV, 142 (1747) ; et III, 1 13 (1739) ; VI, 51 (1749).
20 B. 1954 ; réponse pessimiste : B. 1957.
21 Projet de dixme royale, p. 186.
22 P. 185 et 226-227.
23 Essai sur les monnaies, p. 24-25.
24 I, 66. – Sur son succès, voir MESSANCE, Nouv. Recherches, p. 4.
25 Cf. l’art. « Homme » écarté par Diderot ; de même GOUDAR, Espion chinois, III, 1.
26 O.C., III, 419-420 et note. – Cf. TISSOT, Avis au peuple, p. 1 (Europe entière).
27 B. 2710, note ; puis B. 3617 (1750) et Essai sur les mœurs, M., XII, 183.
28 B. 6817, répondant à B. 6723.
29 L’Homme aux quarante écus, M., XXI, 312, n. b, et 363-364 ; cf. XVIII, 249-251.
30 « France », éd. de 1749.
31 EXPILLY, Dict., I, Aven. ; V, 808 ; Tableau ; – CHASTELLUX, Félicité, II, 152 ; BUFFON, O. C., IV, 352, B ; – MOHEAU, Recherches, p. 65 ; – NECKER, Adm. des fin., O.C., IV, 289 ; -DES POMMELLES, Tableau, p. 47.
32 XXIV, 213-215. – Voir de même ESMONIN, Etudes sur la France, p. 300-303.
33 O.C., VI, 28.
34 Voyage en France, Dublin, 1793, II, 380 (in SPENGLER, Economie et pop., p. 84).
35 Fragments sur les institutions républicaines, O.C., II, 501.
36 Cf. JAUBERT, Des Causes de la dépopulation, p. 2-3.
37 A l’ex. de l’Anglais Petty (Eloge de M. de Montmort, O. diverses, III, 295).
38 SALLÉ, op. cit., I, 105. – Cf. abbé de SAINT-PIERRE, O. polit., IV, 235-246.
39 Nouvelles Recherches sur la population, p. 1-2.
40 O.C., I, iii, 228. – Cf. VOLTAIRE, Candide, p. 125.
41 OC, I, iii, 233.
42 P. 236. – Même parallèle chez VOLTAIRE, B. 1954, et Dict. phil., « Population ».
43 P. 234.
44 Pensées, n° 180 (1969), O.C., II, 61. – Voir PUVILLAND, Bb 1302, p. 24.
45 Histoire de Caléjava, p. 117.
46 Bb 545, p. 314. – Protestant converti, il ne semble pas être « masqué ».
47 P. 325. – Diderot a vu là quelque malice.
48 P. 310 et 313.
49 In DAIRE, op. cil., p. 674.– Cf. abbé de SAINT-PIERRE, O. pol., II, 134 sqq.
50 O.C., V. 87. – Même image du « gouffre » : GOYON DE LA PLOMBANIE, Bb 675, I, 34.
51 « Bonze », « Célibat », « Monastère », « Population », etc. – ROUSSEAU, O. C., IV, 970.
52 DESFORGES, Bb 275 (voir LYNCH, Bb 1124, p. 60).
53 Bb 399, p. 128. – CAVEIRAC répond avec ironie (Bb 261, p. 79).
54 Intérêts de la France mal entendus, I, 342 et passim.
55 Espion chinois, III, 2. Il y a 250 000 prêtres et religieux en 1700 (VOLTAIRE, O. H., p. 1031).
56 B. 810, 1133, 1145 18455 ; cf. Mme DU CHATELET (B. 1381, 1387).
57 Homme aux quarante écus, M., XXI, 342-343 ; cf. XII, 345-346 ; XVII, 187 ; etc.
58 H. aux 40 écus, p. 337-338 ; ces « vœux » sont de FLEURIOT, Bb 990, p. 268.
59 MORELLY, Code, de la Nature, p. 83.
60 DIONIS, Bb 652, p. 46-47 ; HELVÉTIUS, De l’Homme, O.C., III, 367 ; GAUDIN, Bb 303.
61 DUBOIS-FONTANELLE, Ericie (1768) ; LA HARPE, Mélanie (cf. MSB, V, 67-68).
62 VOLTAIRE, M., XII, 345 ; XX, 467 ; XXI, 534-535. Etc.
63 Lettres persanes, O.C., I, iii, 231-232.
64 ROUSSEAU, O. C.. III, 159 ; DIDEROT, loc. cit. ; cf. LINGUET, Bb 716, I, 439-441.
65 HOLBACH, Contagion sacrée, in Textes choisis, p. 172.
66 Pensées, O.C., 11, 95-96 (1er rédaction : « La dévotion... »).
67 Ibid. ; Esprit des lois, I, ii, 100 ; DIDEROT, Encycl., « Ansico » ; etc.
68 VOLTAIRE, Précis du siècle de Louis XV, OH, p. 1468.
69 Loi de Minos, M. VII, 180 ; Guèbres, VI, 489 ; LE BLANC, Les Druides (1772).
70 HOLBACH, Contagion sacrée, in Textes ch., p. 153 ; Encycl., « Prêtres » ; etc.
71 Lettres à S. Volland, I, 182. – Cf. HELVÉTIUS, De l’Homme, p. 235.
72 HOLBACH, Christianisme dévoilé, p. 86.
73 M., VI, 127-130 ; XI, 118 ; XIX, 368 ; XX, 198 ;... ; XXX, 1-316, passim ; etc.
74 Histoire de Jenni, M., XXI, 569.
75 Voir R. POMEAU, Voltaire par lui-même, p. 83 : citation de M., XIX, 521.
76 M., VIII, 497. – Sur l’antisémitisme de v. : HERZBERG, Bb 1241, p. 268-313.
77 Emile, O.C., IV, 626-627.
78 VOLTAIRE, M., XXV, 86 ; XXVI, 489. Etc. (Voir TROUSSON, Bb 1418).
79 M., XXVI, 353. – Cf. DIDEROT, Réfutation d’Helvétius, O.C., 1, 448.
80 Dict. philosophique, « Massacres », M., XX, 48-49 ; cf. XXVIII, 232-236.
81 O.C., I, 482. – Cf. VOLTAIRE, Siècle de Louis XIV, O. H., p. 1087.
82 B. 10071 ; cf. M„ XI, 231-232 et 238 ; XX, 36-48 et 195 ; XXXI, 78 ; etc.
83 Les Soupirs de la France esclave, p. 135 (rééd. en 1788).
84 30 juillet 1729.
85 Eloge de Fleury, O.C., II, 598.
86 Considérations, O.C., I, iii, 523.
87 Lettres juives, II, 156-157.
88 La Religion, chant VI, Œuvres, III, 157-158.
89 M., XXIII, 317 et 321-323 ; cf. M0., XI, 472 ; XXVIII, 559-565.
90 M., XIX, 76.
91 Voir l’attaque de DIDEROT contre saint Louis : à Sartine, Corr., IX, 108.
92 Voir ROSNE, Bb 1308.
93 VIII, 183.
94 Car VOLTAIRE a été « philhellène » (M., VII, 492).
95 Encycl., « Cotereaux » : O.C., XIV, 235 (confusion avec les « circoncellions »).
96 DIDEROT, Voyage autour du monde, O.C., II, 205 (à propos de Tahiti).
97 MONTESQUIEU, Pensées, O.C., II, 346-347. – Cf. RAYNAL, Deux Indes, II, 125-126.
98 M„ III, 429. 434-436.
99 M., XIX, 76 ; cf. XXVIII, 537.
100 M., VIII, 76-87 ; 271 sqq ; 429 ; 494-495 ; IX, 452-456 ; XII, 509-511.
101 Il faut prendre un parti, M., XXVIII, 537.
102 Mém. d’un H. de qualité, O. ch., 328.
103 Songes philosophiques, in Lettres chinoises, VI, 202-203.
104 Essai sur les mœurs, M., XII, 306-311 ; cf. M., IX, 453 ; B. 6800, etc.
105 B. 6813. Voir la réponse de HALLER : B. 7563.
106 Siècle de Louis XIV, OH, p. 1069 ; M., XIII, 119 ; et LEMIERRE, Barnevelt.
107 Le Fils naturel, O.C., VII, 68.
108 B. 628.
109 B. 6370.
110 B. 18836 ; cf. l’ode « sur le Passé et le Présent », M., VIII, 496-499.
111 Scythes, M., VI, 331 ; Guébres, VI, 563-567 ; Lois de Minos, VII, 231-233.
112 Note de M. Morza (1759), M., VIII, 472-473.
113 M., VII, 478. – Nous retrouverons bientôt l’abbé de Caveirac.
114 B. 12513-12114. « Mon cœur est flétri, je suis atterré », dit-il.
115 Idées de La Mothe Le Vayer, M., XXIII, 489 ; Siècle de Louis XIV, O. H., p. 1187.
116 Attribué à DIDEROT, O. C., XVI, 254 ; cf. Salons, X, 184-185 ; XI, 336.
117 I, 31 ; V, 84-85.
118 Plan du Shérif, O.C., VIII, 8 et 14.
119 L’Honnête Criminel, (1767). – Voir l’appel lancé en 1756 in Corr. litt., III, 189-196.
120 COLLÉ, Journal hist. inédit, p. 298-299 ; MSB, I, 95.
121 Poème sur la loi nat., M., IX, 452-453 ; Scarmentado, XXI, 125-132 ; etc.
122 Lettre à Chr. de Beaumont, O.C., IV, 985. – Cf. CHÉNIER, L’Amérique, passim.
123 VOLTAIRE, Essai sur les Mœurs, M., XII, 545 ; DIDEROT, Religieuse, O.C., V, 76.
124 Histoire des Inquisitions, I, 94 ; II, 410. – Cf. Montesquieu, Argens, Voltaire.
125 VOLTAIRE, Comm. des Délits et des peines, M., XXV, 554 ; etc.
126 MOULINAS, Bb 1388.
127 Lettre aux Mém. de Trévoux (juin 1731, p. 1011-1055) critiquant La Henriade.
128 Esprit de la Révolution, O.C., I, 296.
129 R. POMEAU, Religion de V., p. 107-108, 148-149, 324. Cf. B. 119, 527, 1235, etc.
130 Le Prince les délices des cœurs, II, 44, 48.
131 De l’Homme. O.C., III, 247.
132 De l’Esprit, p. 235 ; cf. p. 228.
133 In TOURNEUX, Diderot et Catherine II, p. 567 ; cf. O.C., I, 272 ; VII, 68 ; etc.
134 HOLBACH, in Textes choisis, p. 172-173 ; ROUSSEAU, O. C., IV, 971 ; DUCIS, Amélise, O. posthumes, p. 1-64 ; SENANCOUR, Rêveries, p. 130 ; MARMONTEL, Leçons d’un père, O.C., VI, 414 ; LEQUINIO, Préjugés vaincus, p. 5-6 ; etc.
135 In Voltaire’s Corr., B. 174. – Cf. BARBIER, Journal, III, 105.
136 Corr., I, 51-52 ; III, 283-288 ; XII, 135.
137 Jacques le Fataliste, O.C., VI, 128, 130.
138 Corr., I, 175-176 : lettre en forme d’avis aux parents et amis de Langres.
139 Mém., O.C., I, 266.
140 Par ex, : CHAUDON, Anti-Dict. philosophique, « Marm*** », I, 24-26.
141 Jouissance, p. 194 ; cf. Univers énigmatique, p. XVI, 74, 113-114.
142 P. 276 ; cf. BERGIER, Examen du matérialisme, I, 368.
143 Mém., O.C., I, 271 (conversation avec les évêques de Noyon et d’Autun).
144 Bb 637. L’Apologie est marquée par l’esprit « populationniste ».
145 Dissertation, p. II-III.
146 P. IV-VI. Tronchin étant né en 1709, C. se trompe.
147 Il cite Mézeray (Hist. des Martyrs) : p. VI.
148 « Historien exact » et non « apologiste », il est indulgent pour Coligny (p. X).
149 P. XLI ; il avait cité les autres estimations, entre 100000 et 10000.
150 60000 ou 85000 victimes pour VOLTAIRE (M., XII, 509-510 ; XXIX, 274-275).
151 M., XXIX, 275 ; Corr. litt., IV, 40-41.
152 VOLTAIRE, B. 7283,.... 12386 ; etc. – DIDEROT, O. C., XV, 316 ; etc.
153 DIDEROT, Corr., III, 287, et Encycl., « Intolérance », O.C., XV, 239.
154 CAYLUS, Corr. inédite, I, 426 ; II, 57, 93 ; – MSB, IX, 275 ; – etc.
155 Voir P. BÉNICHOU, Morales du Grand Siècle, p. 61-65.
156 Mém. secrets, O.C., V, 155. – Cf. VOLTAIRE, O. H., p. 949, 1078-1083, 1536.
157 Journal et Mém., VII, 396 ; autre cas : VIII, 308-310.
158 La Voix du sage et du peuple, M., XXIII, 470 ; Tanis et Zélide, III, 41-72.
159 Ainsi Joad contre Athalie (M.. VI, 495-498) ; cf. VIII, 287.
160 HOLBACH, Lettres à Eugénie, O.C. de Fréret, III, 39.
161 MARAIS, Journal. IV, 271 ; ARGENS, Lettres juives, I, 140 ; et VOLTAIRE...
162 VOLTAIRE, Henriade, M.. VIII, 142-144, 174 ; ARGENS, ibid. ; DIDEROT, Encycl., « Anagramme ».
163 ARGENS, Ibid., IV, 295.
164 VOLTAIRE incrimine aussitôt jansénistes et molinistes (B. 6422).
165 Nouv. Ecclés., 2 janv. 1758 ; VOLTAIRE, M., XXIV, 98 ; D’ALEMBERT, Œ., II. 51-52.
166 O.H., p. 1534. – Cf. BARBIER, Journal, VII, 410 ; DIDEROT, Encycl., « Jésuites ».
167 MSB, VII, 74.
168 O.H., p. 1535 ; Traité sur la Tolérance, M., XXV, 62, n. 1. – Voir Bb 281.
169 Lettres à Eugénie, in O.C. de Fréret, III, 29. – Cf. VOLTAIRE, M., XXIII, 470.
170 De l’Homme, O.C., III, 502 ; cf. p. 374-383. – Cf. DIDEROT, Encycl., « Hobbisme » et « Prêtres ».
171 CHAUDON, Anti-Dict. phil., II, 465-466 ; GÉRARD, Comte de Valmont, III, 195.
172 CHAUDON, ibid., II, 467-468 ; DUFOUR, L’Ame, p. 265-266.
173 B. 6472 ; cf. Dict. phil., « Fanatisme », M., XIX, 80.
174 Syst. de la Nature, II, 304, n. 83. – Cf. BRISSOT, Mém., I, 41-42.
175 O.C., XIII, 174 (1765) ; cf. II, 426 ; et VOLTAIRE, M., VIII, 469, 472-473, etc.
176 O.C., II, 99 (appel à Choiseul) ; Corr., IX, 108 (lettre à Sartine).
177 Lettres à S. Volland, II, 77 (1765).
178 L’Homme-machine, O. philosophiques, I, 329.
179 « L’intérêt a engendré les prêtres » (DIDEROT, Promenade du sceptique, O.C., I, 183).
180 Rapport du 18 floréal an ii, Œuvres, p. 323-334.
181 S. MARÉCHAL, Dict. des Athées, p. 347 ; cf. p. XX-XXI.
182 Rapport du 11 germinal an II, O. C., II, 314.
183 VOLTAIRE, M., XXVI, 328-329 ; ROUSSEAU, O. C., I, 968. – Cf. TILLY, Souvenirs, p. 293-294.
184 Esprit des Lois, XXIV, 3 : O.C., I, ii, 83.
185 Eloge funèbre, M„ XXIII, 250-251 ; Candide, p. 91-92 ; M., XIX, 320-321.
186 Mém., O.C., I, 272.
187 De l’Esprit, p. 236. – Cf. VOLTAIRE, B. 8275.
188 Système social, III, 44 ; Politique naturelle, II, 179.
189 Voir les regrets de COLLET, Traité des devoirs d’un pasteur, p. 112.
190 Condamnation prononcée au concile de Trente (ARGENS, Lettres cabalistiques, IV, 34).
191 Voltaire’s Notebooks, I, 111.
192 Les Mœurs, p. 277-280.
193 O.C., I, iii, 182 ; cf. Esprit des Lois. I, ii, 219 ; et II, 473, 565-566, 889.
194 Lettres juives VII, 17-18 : cette comparaison sera de long usage.
195 O.C., I, 38 ; VI, 390-392. Le duel est anachronique (Jacques le Fat., VI, 72-73).
196 Système de la Nature, I, 131, n. 44.
197 L’Homme moral, p. 228. Ce ch. XXXIX est une histoire du duel.
198 SP, O. polit., X, 1-75 ; – JJR, O. C., I, 200 ; II, 152-160 ; Lettres à d’Alembert, p. 119-132.
199 Le Duel considéré dans tous ses rapports, p. 69.
200 P. 18, 73. – Cf. LOUVET, Amours du chev. de Faublas, I, 74-75.
201 GORGUEREAU, op. cit., p. 97, 101.
202 P. 200.
203 P. 149. – Autre scandale pour des révolutionnaires : le duel de Castries et de Lameth.
204 P. 163-186.
205 T. de P., I, 279. – D’autres invoquent « la lumière des Lettres » (cf. Mém. de Trévoux, juil. 1761, p. 2059.
206 Résignation : Pour et Contre, III, 15. – Analyse critique : MONTESQUIEU, cf. n. 193. – Persuasion : Bb 749, II, 247-251. – Action : SAINT-JUST, O. C., I, 193.
207 Voir pourtant CHAUDON, Anti-dict. phil., « Guerre » ; GÉRARD, Valmont, IV, 287-288.
208 BAYLE, Pensées sur la comète, O. diverses, III, 90-91. Voir MONOD, Bb 1277.
209 Voir A. ADAM, « v. et les Lumières », Europe, mai-juin 1959, p. 13.
210 B. 2429 ; cf. B. 2345 sur la dédicace de La Henriade.
211 B. 1275, et déjà B. 1239.
212 Sur le manque de patriotisme reproché à V., voir notre ch. XI.
213 In Voltaire’s Corr., t. XXXIV sqq. ; Candide, p. 91.
214 MONTESQUIEU, L. P., O.C., I, iii, 188 ;... ; SAINT-JUST, O. C., I, 335.
215 VOLTAIRE, B. 5962. Il juge Melon trop peu sévère (M., XXII, 362-363).
216 Cf. distinct, du « héros » et du « grand homme » (abbé de SAINT-PIERRE, O. pol., XI, 33).
217 B. 2441 (1742) ; cf. Ode sur la mort de la princesse de Bareith, M., VIII, 465.
218 M., VIII, 157. Mornay ne combat que pour protéger son roi (p. 208).
219 Mi-sérieux mi-badin, il fait lui-même la comparaison (B. 9121).
220 VOLTAIRE, Lettres phil., M., XXII, 86, 90, 94 ; 373 ; – ARGENS, Lettres juives, IV, 111.
221 M., VIII, 489-490.
222 M., VIII, 543 ; cf. L’Homme aux quarante écus, M., XXI, 349.
223 O.H., p. 974 ; cf. L’Ingénu, M., XXI, 266. – Cf. DUCLOS, O. C., VI, 361.
224 O.C., iii, 188 ; I, i, 182.
225 DIDEROT, Encycl., « Paix » : O.C., XVI, 189 ; HOLBACH, Syst. social, II, 116-117.
226 DIDEROT, loc. cit.
227 De la Félicité publique. Il, 176-177, 190. – Cf. NECKER, O. C., V, 597.
228 Œuvres. VI, 265 ; et ROUSSEAU, O. C., III, 575.
229 Ce leit-motiv sarcastique rappelle l’exigence d’une conscience révoltée.
230 Esprit des lois, O.C., I, i, 184-185, 326 ; Contrat Social, O.C., III, 356-358.
231 Lettres persanes, O.C., I, iii, 208, 211.
232 Voir LÉONARD, L’Armée et ses problèmes au XVIIIe s., p. 103-112, 251-256.
233 I, p., LXII ; II, 150-151. Voir CAILLOIS, Bb 1350 ; de GAULLE, Bb 1107, p. 74.
234 I, p. XLI. – Cf. mythe de la « dernière » guerre in PRÉVOST, Cleveland, O. ch., V, 175-176.
235 « Je voudrais [...] que vous tuassiez force prussiens avec mon petit secret » (B. 6353).
236 B. 6562. Il se compare au chev. de Folard (B. 6622).
237 B.7726. En 1769, il propose encore l’engin à Catherine II (B. 14523).
238 MSB, VI, 227-228. Voir Mme de GENLIS, Souvenirs de Félicie, p. 37-38.
239 II vise à dissoudre le pacte social fondant l’Etat ennemi (O.C., III, 357-358).
240 Essai général de tactique, II, 190.
241 Jacques le Fataliste, O.C., VI, 22.
242 Sur les soins aux blessés de Fontenoy : Précis du siècle de Louis XV, O. H., p. 1388.
243 Voir les critiques de VOLTAIRE (M., XXVIII, 536) et VALFONS (Souvenirs, p. 325-331).
244 DES CILLEULS, Bb 1360 ; R. FAVRE, notice de « R. de H. » in Dict. des Journalistes.
245 Voir ci-dessus ch. ii, et Encycl., « Déserteur ».
246 Esprit des Lois, O.C., I, i, 113-114. – Cf. MARIVAUX, Journaux et o. diverses, p. 284-285.
247 MORELLY, Le Prince, p. 132 ; Encycl., « Déserteur » ; Candide, p. 89.
248 Bb 1053 et 1020. Cf. Mém. du comte de SÉGUR, I, 29.
249 MSB, XIV, 307 ; cf. VIII, 293 et Supplément de l’ Encycl., « Déserteur ».
250 Traité du vrai Mérite, II, 60.
251 Cabinet du Philosophe, 4, in Journaux et o. diverses, p. 363.
252 Voir J. IMBERT, Bb 1246.
253 Problème impliquant celui de la bonté originelle de notre nature (DIDEROT, O. C., II, 408).
254 BARBIER, Journal, I, 174, 226-227.
255 Ibid., I, 399-400.
256 IV, 454-456 (1750) ; VII, 91 (1758).
257 Utopie, éd. 1780, p. 288 ; LOCKE, Gouvernement civil, ix (in Bb 566, p. 38).
258 Lettres choisies, I, 378.
259 Des « travaux pénibles qui abrègent la vie » (in DAIRE, Economistes, p. 692).
260 A propos d’une « Aventure intéressante des mines de Suède » (fév. 1736, p. 60).
261 L’Econome politique, p. 114.
262 L’Homme aux quarante écus, M., XXI, 347 ; cf. XXV, 555 ; Candide, p. 219, etc.
263 Code de la Nature, p. 134. – SADE aussi a son plan (LÉLY, Vie, II, 197).
264 Contrat social, O.C., III, 468 (bannissement des hérétiques).
265 BECCARIA, Traité, p. 146 ; DIDEROT, O. C., VI, 68 ; BRISSOT, Théorie, I, 155 ; etc.
266 Philosophie de la Nature. II, 166-170. – Cf. MSB, XV, 127. Etc.
267 Eclaircissements sur les Mœurs, p. 331.
268 M., XXV, 555. – En 1791, ROBESPIERRE cite l’exemple russe (O.C., VII, 439).
269 Les Mœurs, p. 498-499. Sa théorie intéresse BARBIER (. Journal, IV, 308).
270 Pensées, O.C., II, 534 ; Esprit des Lois, I, i, 119.
271 M., XXX, 539-540 ; ROBESPIERRE, O. C., VII, 432-440, mais IX, 129-130 ; etc.
272 Esprit des Lois, O.C., I, i, 109-111 et 114.
273 Par ex. : L’Homme aux quarante écus, M., XXI, 349 ; D’ALEMBERT, O. C., II, 172, n. 2.
274 Il parle de la guerre, mais généralise le propos (O.C., I, iii, 168).
275 Esprit des Lois, O.C., I, i, 122 et 256 ; ii, 278-279.
276 Ibid., I, i, 254 ; Spicilège, II, 835. – Voir M. FOUCAULT, Bb 1216, p. 100-101.
277 Esprit des Lois, I, i, 254 et 258-259.
278 P. 258.
279 P. 255 et 258-259.
280 I, ii, 100.
281 I, i, 269-270.
282 L’exemple chinois est ici néfaste (p. 260).
283 De la Législation, Coll, complète des œuvres, IX, 342-343.
284 Ainsi de la sodomie, que VOLTAIRE, pourtant, abhorre (M., XVII, 183 ; XXX, 570).
285 MABLY, loc. cit. ; MARAT, Plan de Législation criminelle, p. 32.
286 Seules exceptions : Esprit des Lois, I, i, 127 et 327.
287 Voir aussi une atténuation au Parlement de Flandres (IMBERT, Bb 1246, p. 522).
288 SERVAN, Discours, in O. diverses, I, 96-97 ; MERCIER, T. de P., III, 73 ; etc.
289 Selon VOLTAIRE, (M., XVII, 179-183) ; il se trompe (BARBIER, Journal, IV, 447-448).
290 Selon MERCIER (T. de P., VIII, 213).
291 Ibid., X, 155 ; XI, 309. – Cf. MULLER, Bb 1286, et VÉRI, Journal, I, 83.
292 GILBERT salue un précurseur : Léopold Ier de Lorraine (Œuvres, p. 285-287).
293 Art. 2. – Cf. le vœu émis par MERCIER en 1788 (T. de P., IX, 106).
294 ROBESPIERRE, Dissert, sur les peines infamantes, 1784, O.C., I, 44. – Voir Bb 1317.
295 HOLBACH, Syst. social, I, 199-200 ; MABLY, Législation, O.C., IX, 325-329.
296 Contrat social, O.C., III, 377.
297 MERCIER, T. de P., XI, 117 (petite taille) ; CABANIS, Rapports, II, 179, n. 1 (vigueur).
298 L’expression est d’HOLBACH (Syst. de la Nature, I, 313).
299 O.C., VI, 16.
300 O.C., I. ni, 307-309 (voir note de P. VERNIÈRE, éd. Garnier, p. 323).
301 S.S., Mém., VI, 570 ; DUCLOS, Mém. secrets, O.C., VI, 34 ; MERCIER, T. de P., iii, 207-208.
302 Mém. secrets. O.C., VI, 210-211.
303 HOLBACH, Syst. social, III, 35 ; Syst. de la Nature, II, 217.
304 Mém. sur Suard, I, 52. – Cf. SAINT-JUST, O. C., I, 315 ; II, 494.
305 DIDEROT, O. C., VIII, 25 ; GILBERT, Œ., p. 182 ; LANGLE. Voyage en Espagne, p. 83-84.
306 C’est l’une des Questions intéressantes, de QUESNAY (Œuvres, p. 258).
307 Histoire de l’Homme, O.C., IV, 353, B.
308 Apologie de Louis XIV, p. 326.
309 P. 269-358. Il propose l’abolition de la corvée, comme JAUBERT, Bb 693.
310 Chant II, p. 68-70 (cf. DIDEROT, O. C., V, 248).
311 Et une aide à l’agriculture (Essai sur le commerce, in DAIRE, Economistes, p. 755, 760, etc.
312 GOUDAR, Intérêts de la France mal entendus, I, 297-298. – Voir ch. VI, n. 135.
313 L’Ami des hommes, I, 1re partie, p. 14, 22, 74-75, 80 (Necker s’en inspire).
314 P. 142 (Hume ne croit pourtant pas à la dépopulation).
315 P. 22.
316 Adm. des Finances, O.C., IV, 294-295. • Cf. POULLE, in C.O.S., LV, col. 1394.
317 Intérêts, I, 36-37. – Cf. LP, O. C., I, iii, 228-229 ; Disc, sur l’orig. de l’inég., O.C., III, 206.
318 GOUDAR, op. cit., I, 282 ; QUESNAY, Encycl., « Grain » ; HOLBACH, Syst. social, iii, 84 ; etc.
319 L’Art de peindre. Réflexions, p. 70.
320 T. de P., I, 133. – Cf. ROUSSEAU, Origine de l’inég., O.C., III, 203-204.
321 Bb 790. – Cf. JAUBERT, Causes de la dépop., p. 77-78 ; Mme de GENLIS, Veillées, III, 57.
322 ROUSSEAU, op. cil., III, 205 et n. 4 (sur Ramazzini, fondateur de la médecine du travail).
323 Essai, in DAIRE, Economistes, p. 692.
324 Recherches, II, 39. « Presque tous » les métiers sont « destructeurs de l’humanité » (p. 35).
325 Voir ci-dessus n. 9.
326 BERTHELET DE BARBOT, Topographie médicale de Lyon, p. 61-62.
327 Bb 610, p. 5.
328 Voir aussi les périodiques, à partir du Journal économique (1751-1772).
329 Institutions politiques, II, 294-296. – Cf. Bb 1302 et 1320.
330 L’Econome politique, p. 138, 143-144, 151-152.
331 O.C., VI, 481, A. – Lourds impôts et misère éloignent du mariage (p. 480).
332 Esprit des Lois, O.C., I, ii, 76.
333 L’Homme en société, II, 162-167. – Cf. JAUBERT, op. cit., p. 186 ; NECKER, O. C., IV, 296-297.
334 Cité par G. WALTER, Histoire des paysans de France, p. 339, n. 1.
335 Essai sur la santé... des filles destinées au mariage, I, 16 ; II, 204-205.
336 Emile, O.C., IV, 632, note.
337 Les Egarements du cœur et de l’esprit, p. 97-98.
338 Lettres critiques, V, 16.
339 La Religion considérée comme l’unique base du bonheur, p. 305-306.
340 Intérêts de la France mal entendus, I, 272, 342.
341 I, 267-268. – Cf. GOYON, L’H. en société, II, 212 ; LINGUET, Théorie, I, 210-211 ; etc.
342 Intérêts, I, 270.
343 I, 273-278. – Cf. LINGUET, Théorie. II, 478 (l’esclavage était préférable).
344 I, 281-288.
345 I, 281. – Cf. ses condamnations de tous les célibats in L’Espion chinois, III, 4 et 10.
346 CHAUDON, Anti-Dict. phil., « Célibat » ; NONNOTTE, Erreurs de V., I, 453-460 ; etc.
347 Religion de l’honnête homme, p. 157. – Cf. GUENÉE, Lettres, p. 337.
348 Ibid., p. 164.
349 Œuvres, III, 42-43. – Cf. Bb 957 (pour le prix de poésie de l’Acad. fr. en 1773).
350 In DREANO, La Renommée de Montaigne, p. 65. – Cf. MAUZI, Bonheur, p. 35.
351 O.C., I, 235. – Cf. MABLY, Législation, Coll, complète des O., IX, 408.
352 De la Santé, p. 371.
353 I, 368 (adapté de l’ Emile, O.C., IV, 632, note).
354 Epître à M. Rousseau, Œuvres, III, 194.
355 L’aristocratie est accusée de renier la morale héroïque (op. cit., p. 35-37).
356 B. 1347 (à Thieriot : 21 décembre 1737).
357 Cela justifie aussi son évolution romanesque (N.H., O.C., II, 654).
358 Examen du Prosélyte, O.C., II, 90, 94 (vers 1763).
359 Espion chinois, III, 9.
360 II, 322-342, et passim.
361 De l’Esprit, p. 25-26 : le luxe énerve ou exténue toute la nation.
362 O.C., I, ni, 236-237 ; cf. I, i, 187-188 ; I, iii, 451.
363 Nouv. Héloïse, O.C., II, 412.
364 Par ex. dans l’île de France ; voir DIDEROT, Lettres à S. Volland, II, 267.
365 Œuvres, II, 64-65 ; cf. (’Avertissement.
366 Hist.... des deux Indes, III, 2. Sur les Anglais, voir aussi IV, 240.
367 Esprit des Lois, XV, 5 : O.C., I, i, 330.
368 De l’Esprit, p. 25 ; Candide, p. 160 ; CAVEIRAC, Mém. politico-critique, p. 83.
369 O.C., IV, 45. – Cf. RAYNAL, Hist. des deux Indes, IV, 703-704.
370 Syst. social, III, 75. – Cf. FOUGERET DE MONBRON, Capitale des Gaules (1759), p. 190.
371 Politique naturelle, II, 154 ; cf. Il, 137-139 ; 147-148 ; 153-155.
372 Ecrits sur l’abbé de Saint-Pierre, O.C., III, 572 (il s’oppose ici à l’abbé).
373 « Comme faisaient autrefois les villes hanséatiques » (B. 5564).
374 O.H., p. 1462-1466 ; cf. p. 1601.
375 « Idée vague, indéfinie » (Adm. des finances, O.C., V, 576 ; cf. XII, 185).
376 Félicité publique, II, 177-187.
377 II, 155-156.
378 Hist. des deux Indes, IV, 706 ; Esquisse d’un Tableau, Œuvres, VI, 265.
379 Acte II, sc. 3 : Œuvres, I, 218.
380 Théorie des lois civiles, I, 193-212 et 348-353. – Cf. MORELLY, Code de la Nature, p. 104.
381 Mémoire sur la Bastille, Londres, impr. de Spilsbury, 1783.
382 SENANCOUR, Rêveries, p. 5, 8. – ROUSSEAU, O. C., III, 55-57, 95 ; 207-208 ; II, 971-974.
383 O.C., II, 430-431.
384 Sur l’optimisme lucide, méfiant, de VOLTAIRE, cf. O.H., p. 1566-1571 et M., VIII, 498.
385 « Plus de maladies..., plus d’êtres viciés et contrefaits » (O.C., VI, 445 ; cf. p. 457).
386 Recherches physiologiques sur la vie et la mort, p. 118.
387 Essai sur les règnes de Claude et de Néron, O.C., III, 324.
388 Pensées, n° 419, O.C., II, 161. – Voir EHRARD, Idée de Nature, p. 776-778.
389 O.C., XV, 3. – Cf. NECKER, Adm. des finances de la France, O.C., IV, 293.
390 Acte II, sc. I. – Cf. CONDORCET, Esquisse d’un Tableau, Œuvres, VI, 276.
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