Chapitre III. L’Église et les « terreurs salutaires »
p. 69-107
Texte intégral
« Si l’homme s’estime trop, tu sais déprimer son orgueil »
BOSSUET, Sermon sur la Mort
« O mort ! prête-moi toi-même ces couleurs sombres et lugubres que tu répands partout où tu passes, afin que je puisse te peindre aux yeux de mes auditeurs ; donne à mes paroles ce ton effrayant que tu fais prendre à ceux dont tu ravis le père ou les enfants, l’époux ou l’épouse, les parents ou les amis, afin que j’imprime une terreur salutaire ».
SOANEN, Sermon sur la Mort
I MENACES
1Quand Bossuet prononça son dernier sermon devant ses ouailles du diocèse de Meaux, il les mit en garde contre les reniements et les négligences : si jamais ils étaient assez malheureux pour se séparer, après sa mort prochaine, de la foi qu’il leur avait si longtemps prêchée, ils le verraient sortir du tombeau pour venger Dieu de leur infidélité1. Sans doute parlait-il par image. Mais cette image symbolise assez bien, au seuil du XVIIIe siècle, la garde vigilante et sourcilleuse que l’Eglise monte au service de la foi, brandissant la menace de la mort sur les hommes enclins à oublier le vrai Dieu. On ne sera pas surpris de retrouver dans la pensée chrétienne de ce temps des préoccupations, des formes d’apostolat, des problèmes et des thèmes hérités des siècles passés. Il est souvent difficile de discerner dans la spiritualité de la mort les innovations propres au XVIIIe siècle au milieu de l’héritage dont l’abbé Bremond a dressé un inventaire2. Mais tout paraît désormais concourir pour que la foi chrétienne soit réduite à la crainte de Dieu, et la crainte de Dieu à l’appréhension de la mort.
2Pour inspirer cette appréhension, quoi de plus simple que de rappeler à la réalité ? Ouvrez les yeux, disent les auteurs des ouvrages de piété ; ne vous leurrez plus sur cette vie que la mort investit et occupe à tout instant. L’argument revient d’un livre à l’autre, lancinant ou fastidieux. Seuls les points de vue et les exemples changent parfois ; ils nous ramènent au tableau de la vie et de la mort quotidienne qui vient d’être brossé :
« Les convois de nos voisins, leurs maisons tendues de noir, nous apprennent chaque jour que la mort est à nos portes »,
écrivait en 1694 l’auteur du Stoïcien orthodoxe3. Le P. Bridaine, « misssionnaire royal », fait retentir à travers la France les paroles menaçantes :
« Tantôt c’est un chant lugubre que nous entendons dans nos saints temples, et que l’Eglise semble bien moins employer pour le soulagement des fidèles défunts que pour réveiller en nous les salutaires terreurs d’une mort que nous ne saurions éviter. Tantôt c’est un deuil, un convoi funèbre... Ne dormez-vous pas dans le lit où vous devez expirer ? Ne couchez-vous pas dans les draps où vous devez être ensevelis ? N’entendez-vous pas le son effrayant de ces cloches qui doivent avertir toute la ville de votre trépas ? Ne passez-vous pas devant ces tristes et lugubres cimetières où la corruption et les vers vous y (sic) attendent comme leurs plus chères compagnes ? »4
Son « éloquence populaire, pleine de verve, d’images et de mouvements »5 l’avait bien vite distingué parmi tous ces missionnaires qui parcouraient les campagnes, et il prêcha non seulement dans les petites bourgades de nombreuses provinces mais à Marseille, Lyon, Grenoble, Clermont, Tours, Sens et même à Paris entre 1750 et 17556 . L’abbé Maury a traduit l’effet de terreur qu’il manquait rarement de produire sur ses auditoires :
« Une tradition récente nous a conservé le souvenir de l’effroi prodigieux qu’il répandait dans l’assemblée, lorsqu’[...]il s’écriait : « Eh ! sur quoi vous fondez-vous donc, mes frères, pour croire votre dernier jour si éloigné ? Est-ce sur votre jeunesse ? Oui, répondez-vous ; je n’ai encore que vingt ans, que trente ans. Ah ! vous vous trompez du tout au tout. Non, ce n’est pas vous qui avez vingt ou trente ans ; c’est la mort qui a déjà vingt ans, trente ans d’avance sur vous[...] Ah ! savez-vous ce que c’est que l’éternité ? C’est une pendule dont le balancier dit et redit sans cesse ces deux mots seulement dans le silence des tombeaux : Toujours, Jamais, Jamais, toujours ! et toujours !... L’organe tonnant de Bridaine ajoutait, dans ces occasions, une nouvelle énergie à son éloquence ; et l’auditoire, accablé par l’impétuosité de son action et la puissance de ses figures, était alors consterné devant lui. Le silence profond qui régnait dans l’assemblée, surtout quand il prêchait, selon sa coutume, à l’entrée de la nuit, était interrompu de temps en temps par des soupirs longs et lugubres, qui partaient à la fois de toutes les extrémités du temple, dont les voûtes retentissaient enfin de cris inarticulés et de profonds gémissements ».7
Ce que le prédicateur avec toute son habileté d’acteur et de véritable metteur en scène, un écrivain fécond et réputé en son genre, Caraccioli, le répète plus sobrement : la mort est en nous :
« Il y a un germe de mort dans chacun de nous, qui se réveille de temps en temps, et qui, faisant fermenter nos humeurs, nous cause des maladies de toute espèce. »8
« Hélas ! nous mourons tous les jours en détail » soupire le chevalier de Lasne d’Aiguebelle9. Il a « tâché de [s’]éloigner autant [qu’il a] pu de cette sécheresse si ordinaire aux livres de piété, et qui ne rebute que trop souvent les gens du monde. »10 Mais il s’inquiète de l’aveuglement des hommes qui pourtant vivent de la mort :
« Nous ne vivons que par la mort de mille créatures. Nous ne sommes couverts que de la dépouille des morts. Nous marchons continuellement sur des morts. Nos proches, nos amis tombent à nos côtés, disparaissent à notre vue ; de nouveaux tas de mourants et de morts frappent encore nos regards... »11
3Atrocités, violences, horreurs, sont le lot quotidien de la pauvre humanité pécheresse, ajoute Caraccioli, parce que Dieu l’appelle ainsi à « une autre vie » :
« Il n’y a presque point de jour dans la suite de ceux qui éclairent l’univers, qui ne soit marqué par quelque crime affreux, par quelque malheur extraordinaire, ou par quelque révolution éclatante. On peut presque assurer qu’actuellement même, il y a des personnes qui périssent par le fer ou par le feu, qui se noient, qui se précipitent dans les abîmes, qui commettent des forfaits inouïs, et qui se livrent au plus affreux désespoir... Peut-être apprendrons-nous dans un mois que, dans cet instant même où nous parcourons cette page, des incendies, des inondations ou des tremblements de terre ont détruit des villes entières. »12
Le livre paraît en 1759, il est vrai, et Caraccioli parle d’or. Mais il ne parle pas autrement que les pieux moralistes attachés depuis longtemps à montrer que la Providence envoie ses fléaux pour annoncer la mort, punir les pécheurs et presser les survivants de se convertir. En 1742, Louis Racine dévoilait les désordres de la création, désordres voulus par le Dieu vengeur :
« Si la terre n’est point un séjour de vengeance,
Peux-tu dans cet ouvrage admirer sa puissance ?
La peste la ravage, et d’affreux tremblements
Précèdent la fureur de ses embrasements. »13
Selon un providentialisme a priori qui atterre un chrétien du XXe siècle, prédicateurs, évêques, moralistes chrétiens attestent que tout malheur public est destiné nécessairement à dénoncer les péchés des hommes qui en sont la cause, leur salut étant la cause finale. Voici Nicolas Pavillon, évêque d’Alet, qui présentait en 1663 ses Instructions pour son diocèse par demandes et réponses, comme un catéchisme à l’intention des curés. Ces Instructions furent longtemps considérées comme un modèle pour ses confrères. La quinzième concernait l’attitude des pasteurs en cas de « pestes » : la question guide la réponse :
Pour quel péché Dieu envoie-t-il ordinairement ce fléau de la peste ?
Il l’envoie pour punir toutes sortes de péchés, mais principalement ceux qui sont publics et scandaleux, comme sont les blasphèmes, les jurements, les adultères, les concubinages et autres impiétés publiques, la sensualité et l’excès dans les festins, la fréquentation des cabarets, les pompes, les spectacles, les dissolutions notables dans les habits, la profanation des fêtes, et généralement tous les péchés qui scandalisent le public. »14
Et Massillon, dans l’édition rénovée par lui du Rituel du Diocèse de Clermont, donne des conseils pour le temps où la peste sera finie :
« L’évêque représentera par un Mandement public que ce n’est point à la prévoyance des hommes qu’il faut attribuer la délivrance de ce fléau, mais à la bonté de Dieu seul...
Que Dieu n’ayant envoyé la peste que pour punir les péchés, il faut que chacun pense sérieusement à se convertir sans quoi ils peuvent compter que Dieu leur prépare des châtiments encore plus terribles. »15
4On n’en peut douter, dans leur esprit sinon dans la lettre de tels conseils ont été religieusement suivis. Et même il arriva que certains pasteurs aient usé sans discrétion de l’argument, comme Soanen le reproche ironiquement à son confrère de Marseille, Mgr de Belsunce : ce dernier, jésuite, avait accepté la Constitution Unigenitus ; au contraire l’évêque de Senez était le plus énergique des « appelants », adversaires jansénistes de la Constitution ; que la peste de Marseille ait été exploitée dans la querelle n’étonne qu’à peine, et c’est ce que nous apprend une lettre de Soanen à l’évêque de Montpellier du 31 décembre 1721 :
« Le Prélat de Marseille, pourvu selon lui, d’un brevet authentique de conseiller aux conseils de Dieu, et qui, sans doute, en cette qualité, a déclaré tant de fois dans ses mandements et dans ses exhortations que la peste de Provence venait uniquement des Appels de la Constitution, fait tous les jours des siennes »16.
Voltaire a le coup de patte plus agile, mais ce genre d’ironie employé dans les assauts au sein de l’Eglise préfigure assez bien d’autres attaques ultérieures contre l’exploitation aberrante des fléaux par les automates du providentialisme. Le P. Touron présente une histoire du peuple juif qui n’est que le récit des châtiments divins17 : Bossuet ferait figure de rationaliste auprès de lui.
5Comme la peste, comme les tremblements de terre18, comme les guerres, il ne faut pas s’étonner de voir ranger la Révolution française parmi les malheurs publics envoyés en punition et en avertissement. Cazotte et Saint-Martin19, mais aussi les tradionalistes à la manière de Bonald ou de Joseph de Maistre jugent ainsi20. Fidèle comme eux à la monarchie défunte, Jacob-Nicolas Moreau considère la chute de la royauté et la mort du roi, de la reine, de tant de princes, comme une « punition du ciel »21. Autriche et France, deux anciennes « maisons » riches en crimes de toutes sortes, expient alors, et les justes périssent avec les impies ainsi qu’il est annoncé dans Ezéchiel (XXI, 5). « Voilà ces punitions en masse destinées à servir de leçon aux peuples »22.
6En signe d’une protection divine, le pieux Dauphin mort en 1765 et enterré par exception loin de Saint-Denis est le seul de sa race dont le tombeau n’ait pas été souillé, dont les os n’aient pas été jetés à la voirie23. Signe plus net encore, Louis XVI et Marie-Antoinette ont péri sur les lieux mêmes de la bousculade funeste qui endeuilla les fêtes de leur mariage :
« C’est dans cette place, appelée aujourd’hui de la Révolution, que se sont trouvés confondus les cadavres et de cette populace qui n’était rien alors et de ces princes qui étaient tout. Le même cimetière a reçu le sang que l’on croyait le plus vil et celui que l’Europe entière regardait comme le plus précieux. Ce rapprochement n’est sans doute qu’un signal digne d’attention, mais les présages même ont toujours été regardés comme faisant partie de l’histoire des nations »24.
Et Moreau ajoute :
« La mort de Louis XVI, tout affreuse qu’elle a été, me paraît une grâce, une miséricorde, pour lui, mais une grande justice sur sa race et une formidable leçon pour les princes, ses contemporains »25.
7Voilà comment l’ancien adversaire des Cacouacs, historiographe de France et bibliothécaire de Marie-Antoinette, chrétien sincère et royaliste fidèle, interprète les leçons de la Révolution à la lumière de la Politique tirée de l’Ecriture Sainte. Tout est signe ; la justice de Dieu, vengeresse, est visible jusque dans la Terreur, surtout dans la Terreur, puisque Moreau, qui écrit la fin de ses Souvenirs vers 1797, se plaît à remarquer que les hommes les plus favorables à la Révolution en ont été eux-mêmes les victimes26.
8Dieu intervient de même dans la vie des individus en Dieu terrible ; il les prive des êtres qui leur sont chers, non seulement pour les arracher à leur insensibilité, à leur aveuglement, mais même en vue de se réserver l’exclusif amour dont il est jaloux : « le Dieu que nous adorons est appelé le Dieu jaloux, il est dangereux d’aimer quelqu’un à son préjudice » affirme, avec une tranquille cruauté, l’auteur du Stoïcien Orthodoxe27. Une telle pensée n’est pas souvent exprimée au XVIIIe siècle mais elle reste implicite. Le plus doux des auteurs mystiques de la fin du siècle, l’abbé Baudrand, confronte son lecteur avec deux visions d’effroi ; le visage d’un mort aimé saisi à deux instants bien différents mais également significatifs :
« Lorsque quelqu’un meurt, il se forme sur son visage pâle et ses lèvres livides une sorte d’écriture que chacun peut lire, et où chacun lit en effet ces deux grandes paroles : Hodie mihi, cras tibi.
Après que [la mort] vous a montré dans le fond d’un tombeau des armées de vers autour d’un visage que l’on adorait il y a quelques jours, la leçon qu’elle vous adresse [...] est celle-ci : Memento, homo »28.
9Car les effets macabres d’une piété qu’on situerait plutôt au « déclin du moyen âge29 ou dans ses séquelles baroques30 se prolongent bien avant dans le XVIIIe siècle. Et c’est parfois de très « gothique » manière que les descriptions les plus horrifiques viennent provoquer l’imagination pour toucher le cœur et inviter à la méditation. L’impression n’est-elle pas plus forte quand le lecteur se voit lui-même sommé de s’imaginer dans le lit de la mort, ou dans le tombeau ?
« Qu’y a-t-il de plus terrible que de nous figurer étendus dans une triste bière, jetés hors de nos propres maisons comme un objet d’horreur et d’infection, et réduits à nous consumer dans le sein de la pourriture et des vers. Cependant nous voilà.31.
10Voici encore, datant de 1768, l’évocation de cette déchéance par la plume melliflue du chevalier de Lasne d’Aiguebelle ; choisissant un mode plus persuasif d’incitation au retour sur soi, il monologue et se contraint lui-même à « voir », à se voir :
« Il est donc vrai, je ne puis en douter ; bientôt pâle, glacé, livide, je me verrai dans les bras de la mort ; mon corps ne sera plus qu’un horrible cadavre ; il ne restera plus de moi qu’une poussière infecte et noire, affreux débris des vers rongeurs ».32
11Puis s’efforçant de nommer « ce qui n’a plus de nom dans aucune langue », il abandonne octosyllabes, décasyllabes et alexandrins blancs pour risquer une prosopopée de la pourriture :
« O cendre ! ô vers ! vous allez me rendre à moi-même, en me dégoûtant de l’ambition, de la volupté. Venez, me dites-vous, dans un triste mais éloquent langage ; voyez où aboutissent enfin les plaisirs et les biens. Cherchez, cherchez dans cette vile et infecte poussière les héros et les conquérants : démêlez-y, si vous pouvez, les traits de cette jeune beauté qui attirait les regards et les vœux. »33
12Mais le chevalier retient encore son zèle et son imagination. D’autres publics requièrent une autre audace, qui impose l’insoutenable. Le « tableau de la mort » prend vie ; agonie, sépulture et putréfaction sont mises en scène par l’orateur populaire et excitent les « salutaires terreurs » jusque dans les églises parisiennes où la curiosité pousse sceptiques et croyants à entendre le rustique Bridaine :
« Entrez, je vous prie, entrez avec moi dans cette maison qui retentit des cris d’une famille éplorée, dans cette chambre où le désespoir éclate de tous côtés ; approchez-vous de ce lit funeste et appliquez-y vos yeux et tous vos sens [...] enfin considérez tout ce corps infect et hideux qui fait horreur à tout le monde. Déjà on commence à ne pouvoir plus en supporter la puanteur [...]. Tous ceux qui ont le plus aimé cette personne s’empressent, après quelques larmes répandues, de faire tirer le cadavre de la maison ; [...] on le cache enfin au fond de la terre ».
Faut-il s’arrêter ?
« Non, mes frères ; il faut [...] que vous me suiviez encore dans ces tombeaux affreux dont vous redoutez si fort l’approche. C’est là que j’ai été moi-même plus d’une fois [...] A peine le corps de cette jeune personne qui faisait l’agrément et la joie de tous les cercles y est enfermé, qu’il s’engendre dans ce cadavre puant une quantité prodigieuse de vers et d’autres insectes : les uns lui dévorent les yeux, les autres lui rongent le visage ; il y en a qui se roulent dans sa bouche et dans son sein ; sa poitrine, qui commence à s’entr’ouvrir, en est toute remplie, ses entrailles en fourmillent. Toutes les chairs se dissolvent en boue ; ce n’est plus qu’un fumier, qu’un cloaque, qu’un amas de pourriture et de corruption. Enfin les vers ayant tout consumé se consument eux-mêmes de faim, et il ne reste plus de cette masse de chair qu’un tas d’ossements infects et qu’un affreux squelette qui se démet peu à peu comme un vieux bâtiment ruineux, jusqu’à ce qu’enfin tout soit réduit en cendre et en poussière. »34
Belle leçon, conclut-il, pour les débauchés, les délicats et les mondaines. Quant aux auditoires des champs, ils devaient être davantage préparés à de telles visions par les brochures des colporteurs, qui diffusaient encore en plein XVIIIe siècle des Danses Macabres, avec des illustrations et un texte riches en images terrifiantes de la mort, corps affreux, cadavres mangés de vers...35. Mais on peut être assuré que longtemps encore de semblables développements durent orner les sermons dans les églises de France, puisque nous en retrouverons dans l’anthologie proposée à ses confrères peu inspirés par P.A. Alletz en 1783. Son Art de toucher le cœur dans le ministère de la chaire, est, précise le sous-titre, un choix des Morceaux les plus pathétiques des Sermonnaires célèbres du dernier siècle sur les sujets les plus intéressants de la Religion, et les descriptions macabres aux pieuses intentions occupent maintes pages de divers auteurs36. Les Jésuites, aux temps du baroque, conseillaient parmi les « exercices » profitables au Salut :
« Me représenter dans le lit de la mort, le crucifix en main, le cierge allumé, les assistants priant pour moi ».37
Le janséniste Soanen disait un peu plus tard :
« Je ne veux que la vue d’un squelette contemplé avec réflexion pour faire tomber les écailles de ces yeux charnels »,
et Alletz, à la fin du XVIIIe siècle, recueille ce texte ainsi que les effrayantes évocations des métamorphoses posthumes38.
13Que dire de l’utilisation des apparitions pour prouver l’immortalité de l’âme ? C’est pourtant ce que ne dédaigne pas de faire le docte Dom Calmet39. De telles formes d’édification et d’apologétique découle tout un comportement éducatif. Dans une abbaye qui n’est certes pas fréquentée par des jeunes filles de médiocre naissance, à Fontevrault, les religieuses usent des « terreurs salutaires ». En voici les effets pour une des filles de Louis XV qui y avaient été éduquées :
« Madame Victoire attribuait des crises de terreur panique qu’elle n’avait jamais pu vaincre aux violentes frayeurs qu’elle éprouvait à l’abbaye de Fontevrault, toutes les fois qu’on l’envoyait, par pénitence, prier seule dans le caveau où l’on enterrait les religieuses. Aucune prévoyance salutaire n’avait préservé ces princesses des impressions funestes que la mère la moins instruite sait éloigner de ses enfants ».40
Préférant les « prévoyances salutaires » aux « salutaires terreurs », Madame Campan condamne « ces pratiques barbares », de même que l’effet nocif « des premières années d’une éducation superstitieuse » qu’avait précisément reçue leur mère, la reine Marie Leczszinska : « elle avait peur des revenants »41. Mais cette dernière n’avait-elle pas accoutumé d’entretenir la crainte de la mort en s’imposant la fréquentation d’une tête de mort ?42. Outre les ouvrages de piété, en effet, cet objet macabre paraît un moyen simple et frappant de ne pas oublier sa condition mortelle. Et il peut se prêter à des adaptations ingénieuses. Dans le Journal Ecclésiastique, en 1761, on publia un poème qui célébrait le cadeau fait à Madame la Marquise de ***, « d’une tête de mort en argent, dans laquelle on avait enchâssé une montre »43. Ainsi, une récente conquête du progrès, l’horloge individuelle et « portative » concourait, grâce à l’habileté des joaillers, à l’édification d’une chrétienne de qualité : celle-ci, invitée à compter les heures qui séparaient encore sa personne charnelle du squelette caché sous son aimable apparence, affrontait « la terrible métamorphose »44 par l’intermédiaire de l’« Horologium ». Elle pouvait se redire le lieu commun :
« Chaque instant nous enlève une portion de nous-mêmes »45
et broder ses variations personnelles sur une dévotion bien établie. Car le thème de l’horloge employé pour arracher l’homme à sa tranquillité trompeuse et l’appeler à la conversion se rattache à d’anciennes pratiques de piété ; c’est ce dont témoignent l’Horologium du jésuite Drexelius au XVIIe siècle46 et les diverses rééditions du Manuel du soldat chrétien où Erasme recommande l’usage d’une dévotion médiévale : « l’Horloge de la Passion », pour revivre moment par moment l’agonie du Christ47. La montre enchâssée dans le crâne en argent et le « Pendule » de l’Eternité dont Bridaine faisait retentir les sinistres « Toujours, jamais ! » rythment le grand avertissement qui doit réveiller les âmes engourdies. La mort partout, la mort à toute heure...
14« Toujours, jamais ! » rappellent à l’homme sa condition sa condition mortelle et en même temps l’enjeu formidable de son passage ici-bas. Craindre la mort est nécessaire48. Craindre la damnation, voilà le véritable sens qu’il faut donner à la crainte de la mort. Le Dieu terrible, le Dieu jaloux, dont parlent les prédicateurs et les moralistes n’est pas la divinité des seuls jansénistes. Le zèle apostolique a d’ailleurs une justification louable dans la foi et dans la charité : « Un chrétien qui aurait la foi ne pourrait sans horreur penser aux tourments éternels qui attendent le pécheur dans l’au delà ».49 A longueur de pages, dans les traités de vie chrétienne, dans les ouvrages d’apologétique et de polémique se répètent les menaces, les tableaux terrifiants, les visions consternantes. Voilà bien les « terreurs salutaires »50, leit-motiv jugé indispensable pour ébranler l’incrédule aussi bien que « pour ramollir un cœur endurci »51, fût-il royal.
15Louis XV est une illustre victime de ce traitement spirituel par la crainte de l’enfer. Si l’on en croit Madame de Brancas, l’évêque de Soissons sollicita le renvoi de la maîtresse régnante, la duchesse de Châteauroux, en exploitant les craintes du roi tombé malade à Metz ; « après l’avoir jeté, pour ainsi dire, dans les angoisses de la mort »52, il obtint satisfaction. Un incident de sa maladie avait aidé l’évêque zélé : comme le roi s’était évanoui, on avait cru bon, « pour le faire revenir, de mettre sous son nez du papier brûlant, et de lui en faire respirer la fumée ; mais, s’étant remué fortement, il se brûla, et moitié à lui, moitié hors de lui-même, il s’écria qu’il était en enfer »53. Le « retour » du Roi ne survécut pas à sa guérison, mais bien « cette terreur du diable qui se réveillait au plus petit prétexte »54.
16Les descriptions de l’enfer, ainsi que des réprouvés lors du jugement dernier, permettent de montrer ce que Bridaine appelle le « gouffre, toujours ouvert, de la justice divine »55. Comment décrire l’enfer ? A cette tâche jugée impossible, le prédicateur s’est essayé à plusieurs reprises, avant et après tant d’autres. Il a parfois usé d’une discrétion louable :
« Etre privé de Dieu, ne le voir, ne l’aimer jamais, le haïr, le maudire toujours, être plongé et abîmé tout vif dans un étang de feu et de soufre, où il n’y a que pleurs et que grincements de dents, et où l’on est accablé de toutes sortes de maux pendant toute une éternité : « voilà l’enfer »56.
Mais il développe ses visions suggestives dans deux versions différentes de son Sermon sur l’enfer. Voici des souffrances concrètes et variées :
« Pour vous en donner seulement quelque légère idée, représentez-vous d’abord tous les terribles fléaux dont Dieu punit quelquefois les hommes sur la terre : infirmités, maladies, mort imprévue, adversités, pertes de procès [...] ; faim, soif enragée ; [...] disette cruelle, guerre sanglante, inondations, incendies... Rassemblez ensuite toutes les douleurs que les pauvres malades souffrent chaque jour dans nos hôpitaux, la rage que cause le mal de dents, la pointe et la fureur des gouttes, les convulsions du haut mal, les ardeurs de la fièvre, le déboîtement des os, les dislocations des membres, les tranchées de la colique, les maux de tête les plus violents, les douleurs insupportables de la pierre [...] Ajoutez à tous ces maux insupportables tous les supplices des martyres : les glaives tranchants, les peignes de fer, les dents des tigres et des lions, les chevalets, les roues, les croix, les grils ardents, les huiles bouillantes, les plombs fondus, les chaudières embrasées, en un mot, tout ce que la fureur des tyrans, ou plutôt des démons, a pu inventer pour tourmenter les premiers chrétiens [...] »57
Et après tout cela, seulement après, l’orateur capitule, avoue son impuissance. Mais dans une autre version, avec le même acharnement naïf, il reprend son énumération en ne l’appliquant qu’à la « peine du sens » qui doit être le supplice par le feu. Contentons-nous d’un fragment :
« Demeurer dans une prison dont le pavé est de feu, dont les murs sont de feu, dont les toits sont de feu ; ne voir que du feu, ne toucher que du feu, ne marcher, ne se rouler que dans le feu ; ne pousser que des haleines de feu ; [...] en un mot être soi-même tout de feu ».
17Car les flammes de l’enfer ne sont pas une image, pour Bridaine comme pour la plupart de ses confrères58. Alletz a recueilli des textes de sermons analogues, plus sobres en général, mais aussi vifs dans leur évocation du « gouffre de feux vengeurs », de l’« océan de feux au milieu d’une nuit éternelle »59. Et Bernard Groethuysen donne d’autres citations encore, de l’abbé Poulie, de l’abbé Cambacérès, ...60 qui prêchent entre 1760 et 1789. Mais le feu du purgatoire inspire les mêmes images, aussi violentes, aussi frappées d’impuissance61.
18Le Jugement Dernier dans ses aspects formidables offre un vaste champ aux prédicateurs. L’Eglise, par son Rituel Romain de 1614, insiste spécialement sur la crainte du jugement. Cet office avait été remanié à la suite du Concile de Trente ; or, pour l’abréger lors de la rédaction du nouveau Rituel, on réduisit ou l’on supprima surtout les textes qui inspiraient la confiance en Dieu, qui exprimaient l’espérance du ciel et la paix de l’âme ; et comme ceux qui exprimaient la crainte étaitent l’objet d’un traitement privilégié, tout l’équilibre spirituel de cette liturgie s’en trouva faussé62. Dans une telle perspective et surenchérissant encore, les sermons sur le Jugement Général accumulent des images du cataclysme cosmique, ils évoquent avec une sorte de verve la rage et les souffrances des réprouvés en même temps que la fureur du Dieu justicier63. Même dans les dernières années du XVIIIe siècle, où beaucoup de prédicateurs préfèrent les leçons morales à l’annonce de la doctrine, l’abbé de Beauvais décrit la fin de l’univers et le jugement universel en termes énergiques :
« Mortels, je vous annonce au nom du Dieu vivant que le monde va finir pour vous. »64
Bridaine, une fois de plus, se distingue parmi les plus véhéments dans ces images d’apocalypse et de vengeance divine. Il annonce « la colère d’un Agneau si terrible »65 et montre la Vierge Marie elle-même courroucée, « comme une lionne irritée à qui on a enlevé ses petits »66. Et, renouvelant un effet souvent exploité depuis Massillon, il suppose devant son auditoire que l’heure du Jugement va sonner à l’instant :
« Quelle étrange révolution ne verrait-on pas dans cet auditoire ? Vous seriez tout à coup, les uns et les autres, saisis de frayeur, une triste pâleur se répandrait sur vos visages, [...], tous les confesseurs d’une ville ne suffiraient pas pour satisfaire votre dévotion et calmer les justes alarmes de vos consciences. »67
19On le voit, les « vérités glaçantes »68 ne sont pas destinées seulement aux libertins de mœurs ou de pensée, aux « mécroyants » ou aux sceptiques ; les chrétiens « pratiquants » font l’objet des mêmes menaces jugées salutaires. Tous les pécheurs et les âmes fidèles elles-mêmes sont sommés de comparaître en esprit devant le Juge et le Vengeur.
20Des poètes s’essaient à rivaliser avec les orateurs, à traduire en strophes les périodes destinées à produire le tremblement qui convertira les âmes. Le Franc de Pompignan, dont l’hymne pour le premier dimanche de l’Avent « est à proprement parler une Ode sur le Jugement Dernier » ne peut qu’ânonner les évocations traditionnelles sur un rythme enfantin :
« Les monts se renversent
Dans le sein des flots ;
Les vents se dispersent
Sur les vastes eaux :
Les ondes se percent
Des chemins nouveaux.
Les tonnerres grondent,
Quels embrasements ! »69
Le mirliton a remplacé la trompette. Plus digne d’être écouté, le poète Gilbert peut rivaliser honorablement avec Agrippa d’Aubigné dans sa grande ode de quatorze strophes, amples et fermes, où quelques vers vigoureux arrêtent ou relancent un rythme plein et varié.
« L’Océan révolté loin de son lit s’élance
Et de ses flots séditieux
Court, en grondant, battre les cieux,
Tout prêts à le couvrir de leur ruine immense.
C’en est fait : l’Eternel, trop longtemps méprisé,
Sort de la nuit profonde
Où loin des yeux de l’homme il s’était reposé.
Il a paru ; c’est lui ; son pied frappe le monde,
Et le monde est brisé.
Les morts du sein de l’ombre avec terreur s’élancent,
Et près de l’Eternel en désordre s’avancent,
Pâles, et secouant la cendre des tombeaux...
Il montre les coupables de tous rangs :
Ces grands semaient ensemble et les dons et l’offense.
Où fuir ? où vous cacher ? L’œil vengeur vous poursuit,
Vous brigands, jadis rois, ici sans diadème ;
Les antres, les rochers, l’univers est détruit :
Tout est plein de l’Etre Suprême.
Sur les mondes détruits le Temps dort immobile ».70
21Gilbert a su, malgré quelques images naïves, retrouver la puissance de l’ Apocalypse et atteindre à la sobriété. Il mérite de figurer parmi les précurseurs de Victor Hugo. L’ode unit avec fougue la description du cataclysme, les visions de la résurrection et le jugement lui-même, et le célèbre avec une égale énergie. Combien de prédicateurs besogneux s’essouflèrent avant lui à pareille tâche ! Encore certains se gardaient-ils d’insister sur le tableau de la fin du monde, les uns peut-être faute d’imagination, d’autres par un souci de rigueur spirituelle afin de mettre l’accent sur les terreurs essentielles. Le P. Guillaume de Segaud tient à distinguer des degrés dans l’épouvante :
« Ce qui rendra [...] le jugement dernier si redoutable aux pécheurs, ce ne sera point son appareil, ce sera sa fin. Ce qui les fera sécher de peur, ce ne sera pas de voir le soleil s’éclipser, la lune se couvrir de sang, les étoiles tomber, la mer en fureur soulever ses flots et sortir de ses bornes, la terre trembler, les éléments se confondre, les sépulcres s’ouvrir, les morts miraculeusement reproduits se rendre à la lumière, et regretter la plupart les horreurs du tombeau, préludes effrayants d’un événement encore plus funeste : mais ce sera de voir leur juge, aussi plein d’indignation et de colère que revêtu de gloire et de puissance. »71
22Un cerveau échauffé, une plume intempérante ont conduit Jean-Baptiste Chassaignon à pousser au paroxysme la véhémence de ces représentations que d’autres cherchaient à contenir et à ordonner selon une piété mieux tempérée. Chassaignon n’est pas un clerc, mais il s’est attribué lui-même une mission prophétique et il se juge appelé et inspiré pour détruire en son siècle l’influence des deux philosophes morts depuis peu, Voltaire et Rousseau :
« Il y a six ans que pendant une nuit j’eus une idée de l’enfer. Horrentesque stetere comas, gelidusque coit formidine sanguis... La plume m’échappe ici de frayeur ; encore une minute et j’expirais. J’écrivis ma vision à un incrédule qui en perdit la tête et mourut. Qu’on me donne un point d’appui, disait Archimède, et je remuerai le monde. Moi je dis : que mon enthousiasme dure... et je fais oublier Voltaire et Rousseau ».72
Sa conviction est inébranlable : il est élu ; aussi peut-il affronter l’apocalypse qu’il annonce aux méchants et aux impies :
« Que la trompette sonne, que le juge souverain m’appelle, je ne tremblerai pas »73
Au milieu d’un fatras de citations macabres ou funèbres, il s’achemine vers la vision finale que son Génie lui procure : les deux idoles du siècle sont damnées et bafouées ainsi que
« Tous les chantres fanatiques
De ces écrivains infernaux »74 ;
la destruction de la France, de l’Europe et de l’Amérique est accomplie75 ; les pires supplices tourmentent des commerçants malhonnêtes, « un juge avare », un avocat complice d’un scélérat, un odieux adultère, un libertin exécrable « devenu parricide », « un moderne Giton », « le moine apostat », « l’hypocrite directeur qui séduisit sa jeune pénitente »76, chacun subissant une torture appropriée à son crime, jusqu’à ce cardinal impie, fourbe et criminel, qu’il voit
« Nu, emmiellé, couvert de guêpes en furie,
Qui foule aux pieds des tisons allumés,
Sur qui partent encore des traits envenimés »77.
A longueur de pages les atrocités répondent aux abominations, accablant le lecteur. Chassaignon n’avait-il pas entendu trop de sermons terrifiants ? Ses lectures profanes, de Crébillon à Ducis et Feutry, nous les retrouverons parmi les œuvres qui traduisent l’obsession ou la fascination de la mort78. Mais il ne faut pas oublier que le mouvement même du livre et son intention, dans la mesure où ils donnent un « sens » à son déchaînement forcené, situent Chassaignon en marge mais à côté de ces prédicateurs virulents qui voulaient réformer leur siècle en le terrifiant.
23Outre les grandioses ou tâtonnantes évocations de l’enfer et du jugement dernier, d’autres scènes, d’autre thèmes de réflexion proposent aux esprits l’image redoutable de la mort. En particulier, le dernier acte devient une aventure où risquent de se perdre les plus justes. A propos des derniers instants de la vie et du destin éternel de l’homme, la croyance catholique s’exprime traditionnellement par l’image de l’arbre qui demeure couché à l’endroit où il est tombé. L’image a une source biblique (Ecclésiaste, II, 3) ; aussi est-elle sans cesse reprise. Par exemple dans son roman apologétique et polémique intitulé Mémoires philosophiques du baron de ***, l’abbé de Crillon déclare pour justifier l’éternité des peines de l’enfer :
« L’âme, pure ou souillée, reste immobile dans l’état où l’a placée le dernier acte de sa volonté ; l’âme arrachée du corps est semblable à un arbre déraciné de la terre, il reste où il tombe. »79
Il n’est plus alors de liberté, car
« l’esprit rentre dans un ordre de choses immuables : fixée dans le bien ou dans le mal, l’âme immortelle vit avec son dernier sentiment qui s’éternise avec elle. »80
24Donc, « le moment de la mort décidera de tout pour toujours »81. Mais il est possible de donner à ce moment décisif une fonction plus ou moins redoutable selon la manière dont est conçue la relation qui l’attache au reste de la vie. Pour le chrétien « il est certain que le dernier jour du monde nous trouvera tels que nous aura laissés le dernier jour de notre vie. »82 Mais le dernier jour de notre vie nous trouvera-t-il tels que nous aurons vécu ? A supposer que cet instant ultime risque d’effacer toutes les autres heures de notre existence, avec quelle appréhension ne va-t-on pas envisager ce monstrueux quitte ou double, ce quitte ou centuple, joué en un point minuscule du temps qui restera cliché pour l’éternité ? Tout peut toujours être remis totalement en cause ; comme l’écrit Mme de Lambert, dans son Traité de la Vieillesse,
« La bonne mort donne du relief à la vie, et la mauvaise la déshonore. Pour juger de quelqu’un, il faut lui avoir vu jouer le dernier rôle ».83
C’est la même constatation que développe Louis Racine à l’aide d’une image plus chrétienne qui n’évoque pas le comédien, mais l’athlète conformément à l’esprit de saint Paul :
« Le dernier coup porté rend le combat certain,
Et pour être vainqueur tout dépend de la fin.
La couronne est placée au bout de la carrière ;
Il faut, pour la ravir, fournir la course entière ».84
On retrouve là une idée qu’avait exprimée saint Jean Chrysostome : « Il ne faut pas louer quelqu’un avant sa mort »85. Mais une tendance proprement janséniste y apparaît aussi, qui aggrave le poids de la nature mauvaise de l’homme. Cette perspective particulière n’est pas toujours présente ; elle semble pourtant implicite dans la pensée de ceux qui, jésuites, oratoriens ou simples prêtres de campagne aux spiritualités diverses, soulignent les dangers courus par le chrétien jusqu’au dernier instant, et dans le dernier instant surtout. « Instant fatal », répète le doux chevalier de Lasne d’Aiguebelle86.
25Or, si une mauvaise mort peut compromettre une vie de fidèle chrétien, le mauvais chrétien, le pécheur ou l’impie ne saurait se targuer de réussir une conversion économique in articulo mortis. Toute une littérature d’objurgations et de menaces, des sermons sur la pénitence, sur le délai de la conversion, ou sur la mort du pécheur, rappellent au mal vivant qu’il ne sera plus temps de se procurer une bonne mort. Bridaine a consacré un long développement aux arguments les plus divers qui rendent invraisemblable un revirement ultime de l’homme qui a différé sa conversion jusqu’au lit d’agonie. Cette conversion suppose que Dieu lui donne alors sa grâce, premier point improbable, et que l’homme soit en mesure d’y répondre, second point contraire à toute vraisemblance.
« Tout ce que je sais, c’est que nous pouvons bien, nous, Ministres du Seigneur, l’animer, l’encourager, recueillir ses derniers soupirs, et lui conférer le sacrement de la pénitence ; mais que le sacrement ait son effet, et que la pénitence de ce pécheur soit sincère, c’est de quoi je n’oserais répondre ; c’est ce que je n’oserais espérer, encore moins le faire espérer aux autres ».87
26Peut-on « en ce moment devenir ce qu’on n’a jamais été ? » Tout s’oppose à une pénitence sincère et libre : la peur de « brûler » ne donne qu’une pénitence contrainte, « vaine et inutile »88. Et d’ailleurs que d’obstacles naturels !
« Obstacles du côté de la maladie, qui plongera votre âme dans un ennui et un accablement mortels. [...] Obstacles du côté des remèdes [...]. Obstacles du côté des affaires. [...]. Et ne me dites point qu’un confesseur pourra vous aider en ce terrible moment. [...]. Hélas ! ce prêtre, ce confesseur se trouvera-t-il ? [...] Mais je veux que ce charitable ministre de Jésus-Christ se trouve. Qu’est-il arrivé mille fois, et que n’arrive-t-il pas encore tous les jours ? Le confesseur parle, mais le malade ne l’entend pas. [...] Cependant la mort avance. Il est mort, il est damné ».89
La prolixité de Bridaine le conduit à présenter là un remarquable catalogue des arguments, et une suite de situations que chaque prédicateur choisissait selon son humeur ou selon son public. En bref, compter sur une conversion in fine, c’est avoir la témérité de vouloir « un miracle »90.
27Mais le grand argument, c’est la menace d’une mort subite qui priverait l’homme de tout moyen de rachat91. Comme les fléaux pour les péchés publics, la « mort soudaine » manifeste pour les individus la réprobation définitive de Dieu ; elle sert à ouvrir les yeux de l’entourage, frappé par la brutalité d’une mort ressentie comme châtiment. Lorsque le Régent meurt subitement auprès de la duchesse de Phalaris, sans qu’elle ait pu obtenir de l’aide, « les dévots de profession parlaient avec complaisance de cette mort, comme d’une punition visible de Dieu »92. Et l’on voit même Barbier, qui n’est pas une âme fort pieuse, accepter la version eschatologique de cette apoplexie survenue au moment où l’on prêtait au duc d’Orléans le projet de se faire roi : toutes ses actions y tendaient, prétend Barbier ;
« Mais il semble, qu’il y ait eu en cela la main de Dieu qui ait dit (sic) : « Pour le coup, en voilà assez ! tu n’en feras pas davantage ! » et qui l’ait arrêté sur c.. par une mort aussi affreuse que celle-là, en trente-deux minutes, tombé sur son parquet, sans aucun secours de médecins ni de chirurgiens, et n’ayant pour toute compagnie auprès de lui qu’une p ! »93.
L’homme s’abandonne à la vulgarité, comme si des flots de bile contenue se déversaient enfin avec l’aveu de la Providence. Et l’on se souvient du bruit que Barbier tient à tort pour « absolument vrai » : le cœur du prince aurait été en bonne partie dévoré par son chien danois, « ce qui marquerait une certaine malédiction ; car un chien comme celui-là ne doit pas être affamé, et pareille chose n’est jamais arrivée ».94 Et voici que le très philosophique Duclos présente la conversion du fils du Régent comme la conséquence directe de cette mort :
« Lorsque le duc de Chartres apprit la mort de son père, il était à Paris chez une maîtresse qu’il entretenait par air, et qu’il quitta bientôt par remords [...] Ce prince [...] fut si frappé de la mort subite de son père qu’il prit tout à coup un parti extrême, et se jeta dans une dévotion monacale, où il a persévéré jusqu’à la mort ».95
Ainsi la conclusion édifiante couronne-t-elle maints récits de cette sorte. Par exemple, Marivaux montre la vieille coquette que convertit le spectacle de son amie foudroyée dans son fauteuil par l’apoplexie :
« Ah ! quelle bouche et quels yeux. Quel mélange de couleurs horribles ! [...] Pour la première fois je songeai que j’étais destinée à mourir. Hélas ! mon amie n’avait pas eu le temps de faire cette réflexion-là... Je me demandai ce qu’elle était devenue par inquiétude pour ce que je pouvais devenir moi-même. [...] Cette âme subitement enlevée à tant de chimères, quel était son sort ? »96
Le visage semble avoir reflété la panique de l’âme subitement précipitée dans l’enfer. Encore Marivaux ne fait-il à aucun moment apparaître la main vengeresse de son Dieu. Mais l’abbé Gérard, dans son roman, surenchérit : contrairement à la formule biblique qu’il cite : « Et la patience du Très Haut ne s’est point lassée », il précise dans une note que Dieu attend « quelquefois », mais surprend « souvent » ; et il présente comme un fait réel, connu de lui, la lamentable histoire d’un jeune libertin qui avait remis sa conversion au lendemain du Carnaval pour jouir jusqu’au bout de plaisirs dont pourtant il commençait à se dégoûter ; il meurt dans la nuit du Mardi-Gras au Mercredi des Cendres97 ! Le moraliste des débuts du siècle, le Maître de Claville, et l’écrivain mystique des années 1770-1780, l’abbé Baudrand, répètent la grande mise en garde contre la « mort soudaine » qui paraît être surtout le fait des apoplexies : « Hélas ! rien n’est si commun aujourd’hui que la mort subite »98.
28Bridaine admet assurément que le chrétien fidèle peut lui aussi d’aventure mourir de mort subite et pourtant avoir une bonne mort99. Mais il est très rare que cet accident ne se trouve pas relié à une idée de punition. Les railleurs qui restent insensibles à son éloquence sacrée ne périssent-ils pas de mort brutale ? Lui-même le clame du haut de la chaire, et en 1735 le président Dugas, membre de l’académie de Lyon, évoque avec gravité ces « punitions de Dieu, bien terribles », qui ont effectivement suivi les menaces du prédicateur. L’académicien rapporte d’ailleurs une anecdote édifiante : une huguenote avait appelé la foudre de Dieu sur son fils converti en catholicisme et décidé à entrer en religion, elle est tuée le même jour par la foudre : « le doigt de Dieu paraît là évidemment »100.
29Non pas « foudroyante », mais appropriée à de longues descriptions est la mort tourmentée du voluptueux, du pécheur, du méchant, de l’impie, de l’athée... Il serait aisé de constituer une anthologie de textes qui mettent en scène ces agonies, si leur monotonie ne devait accabler le lecteur101. On doit supposer que ce procédé de conversion apparaissait bien efficace aux yeux des dizaines d’écrivains et d’orateurs sacrés qui l’ont exploité sans relâche. Ou bien la puissance de la tradition l’emportait sur le risque d’être banal et fastidieux, à moins que l’on n’attendît le virtuose à ce morceau. Un peu de littérature peut se glisser dans le zèle apostolique des ecclésiastiques les moins mondains : art de persuader ! Quoi qu’il en soit, les chrétiens du XVIIIe siècle acceptent, sur ce point encore, d’être les héritiers qui exploitent l’héritage fût-ce au risque de l’épuiser. On réédite, on répète, on imite. Un Génovéfain, Pierre Lallemant, auteur d’ouvrages spirituels souvent réédités entre 1670 et 1755, avait déjà décrit la mort des athées :
« Ces athées qui bravaient la mort pendant qu’ils la croyaient éloignée, sont mille fois plus faibles que les autres quand elle s’approche d’eux. Les remords de leurs crimes commencent à leur déchirer le cœur ; mais leurs oreilles sont fermées aux plus saintes instructions ; ils n’écoutent que ce que l’on dit de leur maladie ; ils se plaignent de l’impuissance des remèdes, et querellent tous ceux qui les approchent ; leurs yeux sont égarés, et étincelants de rage ; et leur bouche vomit encore des blasphèmes. En cet effroyable état tout le monde les abandonne ; leur maison est au pillage de leurs héritiers et de leurs domestiques : on ne songe qu’à s’assurer de leurs biens... pendant que l’on laisse leur âme à la cruauté des démons ; et bien souvent de toutes les richesses qu’ils ont possédées sur la terre, il ne leur reste plus de quoi les ensevelir après leur mort »102.
Ce texte est une somme : lâcheté, déchirement du cœur, surdité spirituelle, fureur et rage, blasphèmes « vomis », déréliction, tourments de l’âme en avant-goût de l’enfer, sépulture ignominieuse, ces thèmes nourissent le véritable genre littéraire qu’est devenue « la mort du pécheur » ou « de l’athée ». Massillon avait fait le portrait du pécheur agonisant grâce à quelques touches qu’on peut juger sobres :
« Ses yeux se fixent, ses traits changent, son visage se défigure, sa bouche livide s’entr’ouvre d’elle-même ; tout son esprit frémit ; et par ce dernier effort son âme infortunée s’arrache comme à regret de ce corps de boue... »103.
Assez discret d’ordinaire, l’abbé Clément propose sa vision personnelle, accumulant de courtes notations, précises et presque médicales, mais trop abondantes jusqu’à l’apostrophe finale :
« Les sens s’émoussent ; les facultés s’épuisent ; à peine il voit, à peine il entend. Un froid mortel se glisse dans toutes ses veines ; déjà le sentiment l’abandonne. Un sang demi-glacé n’envoie plus au cerveau que par intervalles des vapeurs malignes et grossières [...] Le cœur, serré par les douleurs les plus aiguës, ne peut plus même vouloir, ni aimer, ni haïr : assoupissement, léthargie, terreurs paniques. Regarde, pécheur, ce corps pâle et exténué, ces yeux éteints, cette bouche ouverte rappelant avec peine un air qui la fuit, ces poumons sanglotants, cette poirtine enflée, ce visage livide. »
On peut regretter que l’orateur, dans son effort de réalisme, ait multiplié des traits qui peuvent aussi bien se rapporter à n’importe quelle agonie ; mais c’est le réalisme lui-même qui devait susciter la crainte dans l’âme du pécheur interpellé104. Quant à Bridaine, dans l’un de ses Sermons sur la mort des pécheurs, il étonne pour une fois par son refus des détails concrets qu’il lui eût été facile d’accumuler sur un tel sujet ; mais tout le sermon vise à montrer la profondeur du désespoir où meurt le pécheur rendu à la lucidité, et c’est sur ce thème qu’il développe indéfiniment ses trois variations :
« Dans le passé [...] vous verrez des péchés énormes que vous avez commis et que vous ne pourrez plus réparer : première source de votre désespoir. Dans le présent, vous apercevrez de faux biens que vous aurez trop aimés et que vous ne pourrez plus retenir : seconde source de votre désespoir. Dans l’avenir enfin, vous découvrirez des maux indéfinis que vous n’avez pas assez craints et que vous ne pourrez plus éviter : troisième et dernière source de votre désespoir. »
30Cette « effrayante instruction »105 énumère les motifs de désespérer durant une quarantaine de pages qui pouvaient bien nourrir une heure d’éloquence, et qui s’achèvent sur un siège en règle par les « démons cruels, impitoyables, impatients de jouir de leur funeste proie »106. Il reste à conclure par quelques exclamations accordées au pathos de ce morceau : ô mort des pécheurs, que tu es effrayante et terrible ! ô la plus terrible de toutes les morts ! »107
31La terreur joue de plusieurs registres. Attentif au style de son époque et fidèle au ton qu’il s’est choisi, le chevalier de Lasne d’Aiguebelle illustre cette « vérité » avec une mise en scène appropriée : ici le désespoir et les remords produisent moins la rage que la pâmoison. « Consterné, tremblant, éperdu », le pécheur n’est plus que « regards languissants », « gémissements entrecoupés », « soupirs mourants », au milieu des impuissants regrets de son entourage108. Après cette période dolente, on peut relever un témoignage de la combativité nouvelle des apologistes chrétiens de la fin du siècle : les impies à leur lit de mort souffriront cruellement d’une forme nouvelle de désespoir : ils disparaîtront consternés « au milieu des triomphes de la foi chrétienne », « ils emporteront le désespoir de voir subsister après eux le règne du christianisme. »109
32Les romanciers chrétiens ne pouvaient pas négliger une scène aussi aisément pathétique et édifiante. Et elle figure dans le Comte de Valmont, comme dans les Mémoires philosophiques du baron de ***110. Ce qui pourrait surprendre, c’est que le même genre de tableau s’offre au lecteur du roman de Diderot, La Religieuse : la religieuse lesbienne sombre dans la folie, elle se voit damnée et meurt conformément à la vision traditionnelle des apologistes chrétiens, sous les yeux de Sœur Suzanne :
« Quelle mort, Monsieur le marquis ! Je l’ai vue, je l’ai vue la terrible image du désespoir et du crime à sa dernière heure ; elle se croyait entourée d’esprits infernaux ; ils attendaient son âme pour s’en saisir ; elle disait d’une voix étouffée : « les voilà, les voilà... » et, leur opposant de droite et de gauche un christ qu’elle tenait à la main, elle hurlait, elle criait : « Mon Dieu !... mon Dieu !... »111.
Dans cette scène, qui a l’avantage de garder avec sa brièveté toute l’intensité dramatique souhaitable, Diderot remplace les descriptions par un geste et quelques cris : mieux qu’au théâtre, il traduit ainsi heureusement l’état d’esprit de la mourante et celui de la religieuse qui la voit : toutes deux font en ces instants l’expérience d’une mort conforme au modèle imposé par les idées reçues ; l’une « croit » voir ce dont le pécheur est menacé, l’autre reconnaît « la terrible image » de la mort du pécheur. Et Diderot a le tact de ne glisser aucun mot d’auteur, aucune ambiguïté critique, sans doute pour rendre le récit de Sœur Suzanne plus plausible, car elle reste croyante et elle s’adresse au premier lecteur du récit, le pieux marquis de Croismare. Comment ce dernier aurait-il pu supposer que Diderot avait créé de toutes pièces la scène édifiante avec les personnages eux-mêmes ? Nous avons appris cependant que le jeune philosophe avait gagné sa vie, dans ses débuts difficiles, à fabriquer des sermons ; peut-être eut-il l’occasion de composer lui aussi son Sermon sur la mort du pécheur, et de se préparer à ce pastiche rapide si bien mis en situation112.
33Comment ne pas craindre la mort des réprouvés lorsque tant de voix répètent aux chrétiens que les élus seront en petit nombre ? « Il n’y a point de vérité plus terrible et en même temps mieux établie dans l’Écriture »113. Louis Racine a exprimé les sentiments d’étonnement et d’effroi, et presque de révolte, que peut provoquer la thèse augustinienne reprise avec une nouvelle vigueur par les jansénistes.
« Mais pourquoi, direz-vous, ce Dieu de charité
Montre-t-il dans son choix tant de sévérité ?
Si lui seul à ses dons peut nous rendre fidèles,
S’il veut notre salut, pourquoi tant de rebelles ?
[…]
Nous ne voyons en Dieu que justice et colère :
Est-ce ainsi qu’il nous aime ? Est-ce ainsi qu’il est père ?
Nous tremblons... »114.
34Or il serait fallacieux d’attribuer aux jansénistes le monopole de la prédication redoutable sur le petit nombre des élus. Certes, ils usent d’un langage tel qu’il en redouble les effets. Même quand L. Racine cherche à mettre en balance la puissance de Dieu et sa bonté, il reste frappé par sa mystérieuse colère. « Il est père, il est Dieu », il faut à la fois l’aimer et le craindre, mais la raison doit proscrire toute curiosité insolente qui pourrait passer pour un défi de la créature à son Créateur, le Dieu caché :
« Ah ! respectons celui qui veut être invisible,
Et craignons d’irriter sa majesté terrible. »115
Telle est cette sourcilleuse divinité. L. Racine a résumé en une formule l’art de vivre et de penser qui découle d’une telle vision de Dieu :
35« J’adore un Dieu caché : je tremble et je me tais ».116 Un janséniste militant comme Troya d’Assigny commence par affirmer que l’élection rigoureuse d’un petit nombre est une raison particulière d’aimer Dieu et d’espérer en lui : « Loin que la vérité dont il s’agit soit opposée à l’Espérance, ou puisse diminuer en rien la confiance chrétienne, elle sert au contraire à l’affermir par bien des endroits, et, spécialement, par la salutaire terreur qu’elle inspire, qui corrigeant en nous la paresse et la négligence, nous conduit directement à la véritable confiance et à un ardent amour ».117 Ainsi assuré, l’auteur du Traité dogmatique et moral sur le petit nombre des élus développe les quinze conséquences qu’il déduit du principe affirmé dans le titre de son ouvrage :
« Première conséquence... : donc il y a peu de fidèles qui ne meurent en péché mortel ».
« Deuxième... : donc il n’arrive presque jamais que ceux qui ont passé leur vie dans le crime se convertissent aux approches de la mort ».
« Troisième... : donc les marques de conversion et de piété qui paraissent communément dans les mourants sont fausses et trompeuses ».
et ainsi jusqu’à la quinzième conséquence...118.
36L’évêque exilé Soanen jugeait Bridaine scandaleusement laxiste. Pourtant ce dernier a lui aussi développé la thèse que diffusèrent à l’envie les jansénistes. Dans un de ses Sermons sur la Mort des Pécheurs, il rappelle que sont morts ainsi « la plupart de nos parents, de nos amis, et tant d’autres personnes avec qui nous avons si étroitement vécu ». Il redoute pour eux que leur ultime acte de pénitence n’ait été insuffisant pour les préserver de l’enfer119. Et dans un autre sermon, sur le Salut, il parle plus nettement encore dans le même sens :
« En vain vous écrierez-vous ici : Eh ! Seigneur, qui sera donc sauvé ? car je vous avouerai que pour moi je n’en sais rien ; tout ce que je sais, c’est qu’il y en aura bien peu. »120
Vers la fin du siècle, on voit même un ci-devant jésuite comme l’abbé Baudrand employer à l’occasion le même langage ; contre ceux qui se rassurent par la multitude des hommes vivant sans scrupules, il retourne leur argument : « Le grand nombre de ceux qui, comme eux, vivent dans un état de péché, sans s’alarmer sur le danger où ils sont » ne devrait pas être pour eux un motif de tranquillité, mais apparaître au contraire à leurs yeux comme la preuve de cette « vérité » du petit nombre des élus : « C’est le petit nombre ; cela est de foi »121 . Et quand le poète Gilbert chante à la même époque le Jugement Dernier, il ne voit que quelques justes en face de la foule des réprouvés :
« Quoi ! de tant de mortels qu’ont nourris tes bontés,
Ce petit nombre, ô Ciel, rangea ses volontés,
Sous le joug de tes lois augustes !
Des vieillards, des enfants, quelques infortunés !
A peine mon regard voit, entre mille justes,
S’élever deux fronts couronnés. »122
Le pessimisme du poète, qui dénonçait dans ses satires l’immoralité et les crimes de son siècle123, trouve tout naturellement son expression religieuse dans les scènes redoutables du jugement dernier et s’accorde avec le quasi-dogme du petit nombre des élus. Comme L. Racine, comme Bridaine et Baudrand, Gilbert rappelle la bonté paternelle du Dieu rémunérateur et vengeur :
« Des enfants doivent-ils connaître la terreur
Lorsqu’ils approchent de leur père ? »124
Mais comme L. Racine, il commence par là et conclut pourtant sur une vision terrifiante. Dans son ode, les réprouvés sont présentés au pluriel et le juste au singulier : c’est à peine un effet de style !
37Les chrétiens du XVIIIe siècle craignaient à tel point que la vallée de Josaphat ne fût pour les élus beaucoup trop petite, qu’ils ont mis une particulière insistance à en écarter leurs semblables dans le passé comme dans le présent, fussent-ils chargés de vertus. Contre les esprits qui se rassureraient trop aisément sur leur salut par la bonne conscience de leur moralité et retomberaient ainsi dans l’hérésie de Pélage, les théologiens de ce siècle durcissent pour la plupart leurs thèses sur « la vertu des païens », sur « le salut des infidèles ». Au XVIIe siècle, une controverse était ouverte depuis que les jansénistes avaient débarrassé de toutes nuances l’affirmation de saint Augustin qui damnait les païens. Le problème se posait par relation avec les difficiles discussions sur la grâce : pouvait-on admettre que les sages de l’antiquité païenne eussent échappé à la damnation en reconnaissance de leurs seuls mérites humains ? n’était-ce pas faire la part trop large à la nature humaine marquée par le péché originel ? Contre le libertin La Mothe Le Vayer et son ouvrage De la Vertu des Païens, contre l’ouvrage du jésuite Sirmond, Défense de la Vertu parus la même année 1641, le grand Arnauld avait soutenu que le salut est impossible à des hommes qui n’ont pu connaître la « vraie vertu » sans les lumières de la révélation chrétienne. Son point de vue était plus pastoral et polémique que théologique. Une édition de ses œuvres publiée en 1701 donna un renouveau de vigueur à la thèse qu’il soutenait soixante ans plus tôt ; le titre en était net : De la Nécessité de la Foi en Jésus-Christ125. L’hostilité à l’opinion large, favorable au « salut des païens », devient un des thèmes habituels des jansénistes, qui s’attaquent à toute expression de cette opinion. Voltaire, en 1752, dénonce l’intolérance et la barbarie du rédacteur des Nouvelles ecclésiastiques à ce sujet, dans un passage du Poème sur la Loi Naturelle126 ; et, après Rousseau dans la Profession de Foi du Vicaire Savoyard, Marmontel relance la controverse et suscite une hostilité violente en 1767 avec le fameux chapitre XV de son Bélisaire, où le vieux général exprime son espoir de trouver dans le ciel « les héros païens », et en particulier les âmes « d’Aristide, de Marc-Aurèle et de Caton »127. On sait que la Sorbonne attaqua Marmontel à propos surtout de son plaidoyer pour la tolérance, et sa prise de position favorable au « salut des païens » rendit son œuvre suspecte d’hérésie128. La thèse rigoureuse trouva une nouvelle expression grâce à l’archevêque de Lyon Montazet, qui, dans son Instruction pastorale de 1776 sur les sources de l’incrédulité et les fondements de la religion, réduisait à néant la valeur des « vertus qu’on vante aujourd’hui avec tant d’affectation dans les héros du paganisme, ces vertus n’étant point l’ouvrage de la foi qui opère par la charité »129. A l’écart du jansénisme, mais sous son influence à ce point de vue, le Dictionnaire anti-philosophique de Chaudon, à l’article « Païens », considérait comme une fantaisie de philosophe irréligieux l’opinion de Voltaire sur les païens vertueux et l’accusait de vouloir « accorder à la raison et à la philosophie les mêmes privilèges qu’à la foi »130. On en venait à cette situation curieuse où les porte-parole de la philosophie défendaient contre les gardiens attitrés de la foi chrétienne une opinion qui avait été celle de plusieurs Pères de l’Eglise et qui maintenant est de nouveau communément reçue. Tant de rigueur doctrinale tournait à l’inflation dogmatique. Rien n’était assez fort pour rendre périlleuse la vie terrestre et improbable l’accès à l’éternité bienheureuse.
38Il serait vain de renouveler sans cesse les terreurs de la mort et de la damnation si des hommes pouvaient faire la preuve que ces terreurs sont vaines et que les gens d’Eglise en ont menti. Puisque la mort du pécheur ou de l’impie doit vraiment offrir un spectacle atroce, puisque la mort elle-même doit être une épreuve aussi épouvantable et le salut une récompense aussi exceptionnelle, il faut que le pécheur, l’impie vienne à la repentance finale ou du moins sombre dans les remords. Au cas où il persisterait dans le refus, il faut que ses derniers moments correspondent au tableau qu’on a brossé par avance. L’une des tâches les plus affligeantes pour le lecteur moderne de cette littérature chrétienne lui est imposée par la fréquentation de ces apologistes qui cultivent l’a priori d’une façon aussi abondante que fallacieuse. Pourtant quelques variantes caractéristiques restent décelables. Certains auteurs ne prennent aucune précaution et ne se soucient d’apporter aucun argument pour affirmer une conviction sans failles. Ainsi Le Maître de Claville, qui n’a connu que « trois ou quatre professeurs publics d’incrédulité », a eu « la consolation de les voir détester leur morale impie » quand approcha l’heure décisive ; il assure qu’« il n’est personne qui ne désavoue à l’agonie, et qui ne regrette infiniment cette prétendue force d’esprit »131. Un dominicain, le P. Touron, est encore, à la génération suivante, de ces âmes simples qui se satisfont de vérités massives ; tout au plus glisse-t-il une légère restriction d’ordre médical pour admettre que quelques agonies soient de nature à empêcher la réconciliation avec Dieu et avec l’Eglise :
« Comme on ne connaît point de fidèle qui veuille se ranger parmi les impies à la mort, il n’est point aussi de libertin, s’il n’est dans le délire, qui ne voulût alors avoir vécu en chrétien et pouvoir mourir en vrai fidèle ».132
39Lorsque l’on avance vers la fin du siècle, les affirmations deviennent moins entières ; on voit les généralités succéder aux affirmations universelles ; « l’impie » ne peut soutenir l’épreuve décisive, « l’incrédule » se repent et reconnaît son Dieu : « Au premier signal de la mort, l’incrédule lève les yeux au ciel, il reconnaît le Dieu qui le frappe, il tremble sur un avenir qu’il s’était vanté de ne pas croire... »133. Alletz invoque « l’expérience journalière » du prêtre, et il propose une interprétation psychologique de ces conversions attendues : le « cœur » de l’impie dément ses « sentiments », et « lorsque ses passions sont calmes, ses doutes diminuent ». Quand il se trouve à « l’heure la plus terrible pour lui », la vérité s’impose : « Il se rend justice en s’avouant coupable, et il abjure avec larmes son incrédulité ».134
40La démarche de Montazet est plus habile. Il admet que « quelques-uns » échappent à la règle si « presque toujours » les approches de la mort produisent l’effet escompté ; chez ceux qui font exception, c’est pure attitude extérieure : « c’est le dernier effort de l’orgueil, le malheureux artifice d’une âme qui cherche à cacher son trouble secret sous une apparence de fermeté. Assuré de la défaite intime de l’impie, même s’il pousse la fureur de l’impiété jusqu’au tombeau » en dépit de son « trouble secret »135, Montazet peut conclure :
– « Ainsi la mort sans la lumière et sans les consolations de la religion est un objet horrible, un supplice honteux et cruel, un abîme sans fond, un malheur sans ressource, l’écueil fatal de la sagesse humaine ».136
L’échec alors est double : mort atroce, et connaissance de sa propre faillite spirituelle.
41Mais les exemples ne valent-ils pas toutes les affirmations ? Marivaux montrait la mort repentante du protecteur trop intéressé de Marianne, M. de Climal137 ; l’abbé Prévost relatait l’extraordinaire conversion de M. de Tréville, le matérialiste, décidé à subir pour ses amis l’expérience de la mort avec la lucidité la plus aiguë jusqu’aux limites de la conscience138. De même, plus tard, apologistes, moralistes, catéchistes en viennent à exposer des cas exemplaires pour illustrer la thèse invariable. Mais plusieurs ont l’habileté de mettre à contribution l’ouvrage où avaient longtemps puisé leurs arguments les adversaires de l’Eglise et de la foi chrétienne : le Dictionnaire de Bayle. Habileté un peu tardive, il est vrai, à une époque ou Bayle avait perdu au profit d’autres maîtres plus combatifs une large part de son audience. Deux articles du Dictionnaire historique et critique traitaient de l’attitude de « l’athéiste » devant la mort : « Bion Borysthenite » et « Des Barreaux », l’un et l’autre personnages ayant abandonné leur impiété sous cette menace. Bayle distinguait en réalité les véritables athées « de système, ceux que la débauche ni l’esprit hâbleur n’on point gâtés », des esprits forts « qui n’ont rien déterminé positivement »139. Car ces derniers sont de faux athées : « presque tous ceux qui vivent dans l’irréligion ne font que douter » et il est compréhensible que « ad majorem cautelam », ceux-là se tournent vers la religion au moment où leur irréligion « ne leur est plus d’aucun usage ». Ainsi Bayle expliquait-il l’amère constatation d’un esprit fort, Sainthibal, qui regrettait le manque de « persévérance » de ses compagnons :
Ils ne nous font point d’honneur, disait-il, quand ils se voient au lit de la mort : ils se déshonorent ; ils se démentent, ils meurent tout comme les autres bien confessés et communiés. Il pourrait ajouter qu’ils passent jusqu’aux minuties de la superstition ».140
Omettant de signaler que Bayle avait mis en relief la fermeté inébranlable du « véritable athéiste »141, des chrétiens s’avisèrent d’exploiter ces textes qui dataient de près d’un siècle, et qu’ils tinrent pour acquis et actuels. Sans doute l’argument passa-t-il de livre en livre. On le rencontre dans l’Anti-Dictionnaire philosophique de Chaudon où sont cités les deux articles de Bayle142 ; puis il reparaît dans le Catéchisme philosophique de Feller, qui fait référence à l’article « Des Barreaux » pour présenter le retour de l’athée à la foi sous la menace d’une mort prochaine143 ; et il n’est pas surprenant que l’Abbé Dubois de Launay recoure lui aussi à cet argument dans sa Nouvelle Analyse de Bayle144.
42Armés d’une aussi précieuse référence, vers la fin du siècle les apologistes peuvent encore faire état de « ces révolutions heureuses »145 qui ont ramené à la foi des impies célèbres parmi leurs contemporains. Feller se croit autorisé à désigner sou cette rubrique des convertis de la dernière heure « La Mettrie, Boulainvilliers, Du Marsais, le marquis d’Argens, Boulanger, etc. »146. L’abbé Gérard, qui se fonde sur l’article « Bion Borysthénite », cite la phrase de Sainthibal pour donner une portée générale à son exposé sur le repentir final de Boulanger ; mais sans en avoir conscience, il présente en fait ce cas comme celui d’un simple douteur et non pas d’un « véritable athéiste ». D’autre part, il se réfère aussi aux exemples de Montesquieu et de Maupertuis, mais les juge moins probants parce qu’ils n’étaient pas durant leur vie des incrédules avérés. Il se refuse enfin à nommer des personnes vivantes dont l’impiété a été sujette à des fluctuations selon les inconstances de leur vie : il prétend proscrire le ton satirique ; mais on voit bien qu’il songe notamment à Voltaire147. D’autres n’ont pas le même scrupule, par exemple Chaudon dans son Anti-Dictionnaire philosophique : il fait allusion aux plaisanteries de Voltaire contre Maupertuis mort dans les bras de deux capucins et il rappelle que le grand homme ne manque pas parmi ses admirateurs d’esprits inquiets sur les risques d’une capucinade dernière148.
43Dans un tel climat, où la dernière heure d’un mal pensant est guettée à la fois par ceux qui comptent sur « les salutaires terreurs » et par les amis du moribond qui veillent avec méfiance pour prévenir une défaillance ou une lâcheté éventuelles, on ne peut s’étonner que fleurissent les légendes édifiantes. Cette agonie ne saurait manquer d’être l’image de la fureur et du désespoir. La mesquinerie se mêle à l’atrocité pour donner aussitôt de la fin de Voltaire un récit épouvantable, susceptible de prouver que la main de Dieu s’est abattue sur le philosophe après la comédie de sa « mort chrétienne »149. Il est remarquable qu’un siècle de littérature édifiante sur les terreurs de la mort et de la damnation s’achève dans l’ignominie avec les commérages orduriers de quelques dévots imbéciles150. Les termes d’hallucination, ou même d’« intoxication », peuvent servir ici à désigner le phénomène par lequel des esprits prévenus, bornés mais probablement honnêtes, s’attendirent à voir la mort de M. de Voltaire se mouler dans l’un des deux schémas préétablis : la paisible fin de l’impie réconcilié, ou l’horrible combat de l’impie obstiné avec les démons venus s’emparer de lui. Or M. Pomeau suppose avec juste raison que la rétention d’urine devait torturer Voltaire151. On peut aussi penser que le malade, s’étant gorgé à la fois de café et d’opium, sentait ensuite d’autant plus cruellement des douleurs déjà si aiguës152. Malgré les précautions de son entourage, qui furent peut-être insuffisantes ou tardives153, l’agitation du malade ne devait pas passer inaperçue des visiteurs ; et l’on sait comment son médecin, Tronchin, mit sur le compte de l’impiété récalcitrante ce qu’il eût pu considérer comme des manifestations de la maladie : il ne manqua pas de contribuer ainsi à la création de la légende154. Parmi ceux qui utilisèrent son témoignage, retenons l’abbé Blanchard, fabricant de quatrains moraux à la manière de Pibrac, avec d’abondants commentaires en lourde prose, qui eurent un succès prolongé jusqu’à la fin du Second Empire155. A l’exemple de piété recouvrée que donna Boulanger, il oppose celui de Voltaire :
« Quel exemple plus frappant que celui que notre siècle vient d’[...] avoir dans la personne du chef de nos impies ! Quels accès affreux de trouble, de rage et de fureur n’a-t-il pas eus peu de temps avant de mourir ! Je voudrais, écrivit le jour même de sa mort à une personne le premier Médecin du Roi M. Tronchin, que ceux que ses ouvrages ont séduits eussent pu en être les témoins : il n’en faudrait pas davantage pour les détromper. On l’a entendu plus d’une fois déjà moribond s’écrier : Dieu m’abandonne ainsi que les hommes. Qu’il est malheureux de n’avouer son erreur que quand on sent le bras du Tout-Puissant qui s’appesantit sur soi ! Qu’il est triste de ne reconnaître un Dieu qu’à ses châtiments ! »156
L’abbé Blanchard, notons-le, reste décent et compatissant dans son commentaire. Mais voici comment le jeune Mozart, présent à Paris, transmettait alors les informations qui concernaient cette mort, environ un mois plus tard :
« L’impie, le maître fourbe VOLTAIRE est crevé, pour ainsi dire comme un chien, comme une brute... voilà la récompense ! »157
Quoi de plus affligeant que ces paroles grossières, cette leçon récitée, sous la plume d’un Mozart à propos d’un Voltaire ! L’adjuration que le curé de Saint-Sulpice, M. de Tersac, aurait faite au moribond est plus digne, si vraiment elle fut présentée en ces termes :
« Prenez votre parti, dit le prêtre, finissez avec fermeté dans l’incrédulité où vous avez vécu ; sinon, résignez-vous à fixer aux yeux du public votre croyance chrétienne. »158
Même si ce témoignage rapporté n’est pas d’une solidité absolue, il reste à remarquer que le prêtre est présenté ici dans un rôle nouveau : il invite Voltaire à faire un choix net, fût-ce pour choisir la fermeté de l’incrédule. Nous sommes loin des descriptions conventionnelles de l’impie mourant, très loin des vilenies du Père Harel. Et ne faut-il pas louer ce refus des compromis qui auraient peut-être permis, la confession du 2 mars aidant, de « réconcilier » à la diable un moribond impie de classe exceptionnelle ? Tant de témoins hostiles étaient aux aguets que la conduite nette du curé de Saint-Suplice en fut peut-être facilitée !159. Un point reste acquis : la mort de M. de Voltaire, « qui n’a été ni faible ni insolente »160, échappa aux stéréotypes. Mais les amateurs de certitudes simples veillaient...
II PROTESTATIONS
« Je voudrais détruire l’enfer et le paradis afin que Dieu fût aimé pour lui-même »
Sainte THÉRÈSE D’AVILA
44Peur de la mort et peur de la damnation sont apparues à plusieurs comme des instruments spirituels très contestables, qu’il convenait d’utiliser avec le plus grand discernement et même, au jugement de quelques-uns, d’abandonner aux formes inférieures de la dévotion. Il faut éviter de réduire cette attitude prudente à une démission de l’Eglise, à des concessions consenties face aux dédains et aux revendications de l’esprit bourgeois. Elle correspond en réalité à des préoccupations théologiques et spirituelles tout autant qu’à des considérations psychologiques et à un souci d’adaptation pastorale à l’esprit du temps. Elle s’exprime très tôt, avant que les assauts des philosophes ne réduisent la plupart des écrivains chrétiens à la défensive ou à la polémique dans un horizon borné. Elle apparaît parallèlement au courant qui vient d’être repéré – et qui lui-même se prolonge en dépit des critiques dont il peut faire l’objet dans l’Eglise et hors de l’Eglise –. Les discernements chronologiques sont chose aléatoire en ce domaine où des spiritualités diverses peuvent trouver concurremment leur expression, comme c’est d’ailleurs le cas à presque toutes les époques de l’histoire de l’Eglise161.
45Car il est bien des façons d’affronter l’image ou le spectacle de la mort. On a vu que certains auteurs conseillaient de se rappeler sans cesse sa condition mortelle en fréquentant les cimetières ou en tenant un crâne sous son regard. Fénelon ne détourne pas notre regard, mais il demande qu’on éduque dès l’enfance à une simple familiarité avec les réalités quotidiennes de la mort : c’est là le meilleur remède contre les terreurs superstitieuses, à condition d’adapter la leçon aux capacités de chaque tempérament :
« Accoutumez l’imagination des enfants à entendre parler de la mort ; à voir, sans se troubler, un drap mortuaire, un tombeau ouvert, des malades même qui expirent, et des personnes déjà mortes, si vous pouvez le faire sans les exposer à un saisissement de frayeur. Il n’est rien de plus fâcheux que de voir beaucoup de personnes, qui ont de l’esprit et de la piété, ne pouvoir penser à la mort sans frémir »162
Ainsi peut s’opérer naturellement une purification dont nombre de prêtres n’avait guère le souci. Cette façon sobre d’apprendre à côtoyer la mort écarte le risque de mêler à la piété chrétienne des pratiques superstitieuses. Bernard Groethuysen a rappelé que Bossuet et des jansénistes reprochèrent à Fénelon d’avoir manqué de réalisme en négligeant la force persuasive de la crainte de la mort, et en prêchant l’indifférence à la mort comme Montaigne163. Le dialogue est long et difficile entre les esprits qui veulent purifier la foi de toute superstition et ceux qui préfèrent utiliser la superstition pour acheminer à la vraie foi164. Caraccioli pour sa part a le mérite de revenir sans cesse sur la crédulité inadmissible de ceux qui parlent de « revenant »165. Et ce n’est pas en philosophe déiste, c’est en chrétien soucieux de vérité spirituelle que Necker conseille comme Fénelon, dans un ouvrage souvent mal interprété, de ne pas éduquer l’enfant par la terreur superstitieuse ; car la nature humaine est suffisamment portée à craindre pour que la religion puisse se contenter de faire espérer166.
46Les surenchères de la piété dans le style du macabre baroque font également l’objet de critiques ou de réserves. Le curé Réguis est de ceux qui ne voient pas d’un bon œil certaines pratiques souvent recommandées ; il met ses paroissiens en garde avec quelque ironie contre les excès dans la fréquentation de la mort :
« Je ne dis pas que vous ayez sans cesse devant les yeux l’image dégoûtante d’un cadavre dont les chairs pourries nous représentent l’état futur de notre propre chair, ni que votre imagination, et, pour ainsi dire, votre odorat, fussent continuellement frappés de la puanteur qu’elles exhalent. Non... »167
Il est, pense-t-il, d’autres pratiques plus spirituelles, plus efficaces pour le salut. De même un autre curé dont l’œuvre a également eu de nombreux lecteurs parmi ses confrères, mais qui fut attaqué par les jansénistes, Collet, invite le pasteur à ne pas frapper brutalement l’esprit de ses paroissiens en danger mortel. Il faut « n’annoncer jamais la mort qu’avec de justes précautions », écrit-il168 ; sans doute est-ce un devoir essentiel de le faire à temps et sans hésitation, mais qu’on agisse « avec de sages mesures et par degrés »169. Il sait que provoquer la crainte de la mort ne suffit pas pour susciter la crainte de Dieu170.
47Et la crainte de la damnation doit aussi rester dans une mesure tolérable. Ce prêtre dont l’expérience égale la piété donne le conseil de ne pas prêcher inconsidérément sur des matières qui risquent de « désespérer » les âmes : « Surtout », dit-il, « n’enflez jamais les vérités déjà trop effrayantes par elles-mêmes, comme le petit nombre des élus et l’impénitence finale ».171 On retrouve en avançant dans le siècle maintes mises en garde de cette sorte, qui concernent ces deux thèmes de prédication plus volontiers traités par des jansénistes – mais non par eux seuls – ; elles concernent aussi les tableaux excessivement violents de l’état des damnés. L’abbé Baudrand est de ceux qui estiment que les pécheurs peuvent écouter les pires descriptions de l’enfer sans être ébranlés de façon efficace et durable :
« La vue d’un enfer dont on leur fait des peintures si effrayantes n’excite en eux que des frayeurs passagères. »172
Mais plus décisive est la critique formulée dans le Catéchisme philosophique par l’ex-jésuite Feller ; après avoir refusé de discuter sur le faux problème d’une localisation de l’enfer, il reproche à « des esprits échauffés » d’avoir peint l’enfer en des tableaux qui « sont des choses très étrangères à la foi ». « L’Eglise blâme ceux qui dans ces sortes de choses donnent l’essor à leur imagination, et qui ont la présomption de ne pas s’accompagner de la simplicité du dogme »173.
48Dans ce siècle en effet où les querelles théologiques se sont développées avec une violence inouïe, on ne distingue pas toujours avec exactitude les « opinions principales », comme dit Necker, et les « idées accessoires » ou leur métamorphoses aberrantes. C’est bien pourquoi, alors que retentissent tant de paroles formidables, peuvent s’entrecroiser deux formes d’accusations à propos des craintes de l’enfer. Les jansénistes sont sommés de ne pas « désespérer » les âmes par les tableaux désolants d’un Dieu qui précipite presque toutes ses créatures dans les tortures éternelles ; les jésuites s’entendent reprocher de s’appuyer trop commodément sur la crainte de la mort et de l’enfer pour convertir les âmes à bon marché par « l’attrition » et non pas par la véritable contrition d’une âme qui regrette ses péchés en s’ouvrant à l’amour de Dieu.
49Du côté des jésuites, un prédicateur du milieu du siècle, le P. Perrin (1690-1767), se révolte contre la trahison du Dieu d’amour par certains sermons jansénistes sur le petit nombre des élus :
« Quoi ! je puis aimer un Dieu dont on me fait un tyran impitoyable et barbare, un Dieu qui serait digne de ma haine ! Votre Dieu n’est pas le mien ; j’en aime un plein de justice et de clémence, et ne connais point celui que votre cœur ténébreux a forgé »174.
Moins éloquent et plus « intérieur », le P. Ambroise de Lombez, capucin, conseille de ne pas laisser l’esprit occupé tout entier de « certaines vérités de la religion qui effraient et qui accablent ». Mieux vaut nourrir sa méditation « de l’amour de Dieu pour nous, de la puissance de sa grâce, de l’efficacité du sang de Jésus-Christ, de la vertu des sacrements qui en contiennent le prix et qui en appliquent les mérites, toutes vérités essentielles, primordiales et lumineuses », plutôt que de « s’occuper de quelques autres qui sont moins prochaines et même impénétrables, comme de l’incertitude de la prédestination, de la profondeur des jugements de Dieu, de la sévérité de sa justice. A trop s’entretenir de ces « vérités effrayantes », l’âme peut succomber à des « tentations contre l’espérance ». D’ailleurs, si Dieu a fait connaître à des saints qu’ils les prédestinait au salut, « a-t-il jamais mis dans l’esprit à aucun réprouvé qu’il le serait ? »175 Le propos du P. de Lombez, comme du P. Perrin, n’est que de contribuer à une piété plus fervente et plus saine. Mais d’autres songent à l’effet que produit sur les adversaires de l’Eglise ou sur les esprits incertains l’enseignement farouche des jansénistes : un hobereau franc-comtois, chrétien sensible et quelque peu éclairé, Lezay-Marnésia, accuse avec vivacité les théoriciens de Port-Royal :
« Rien n’était plus respectable que la vie des philosophes de Port-Royal ; mais leurs livres sont peut-être plus dangereux que ceux de Bayle et des philosophes antichrétiens. Ils semblent faire tous leur efforts pour élargir les portes de l’enfer. Leur désolante doctrine, plus exagérée encore que celle des Stoïciens, rend le christianisme presque impossible, et réduirait Dieu [...] à ne peupler le Ciel que d’enfants morts avant l’âge d’innocence »176.
50C’est précisément à montrer la miséricorde infinie de Dieu que s’emploient tant de prédicateurs et d’écrivains. Ils tiennent à rappeler que l’homme cause seul sa perdition : « Sacrifice universel, le Sauveur du monde a souffert de tous, dans tout, et pour tous ».177 Telle est l’annonce d’un triple développement par l’abbé Baudrand, qui se trouve beaucoup plus à l’aise dans ces pensées que lorsqu’il évoque d’aventure le petit nombre de prédestinés au salut :
« Ah ! Seigneur, loin de nous cette acception odieuse, cette exclusion désespérante des personnes. Votre sang n’était-il pas suffisant pour tous ? Votre cœur ouvert à tous ? Votre grâce offerte à tous ? Pourquoi veut-on restreindre vos dons ? »178
Ailleurs il rappelle qu’à la question : « Dieu veut-il sincèrement me sauver ? » il importe de substituer « cette seconde demande... bien plus légitime et bien mieux fondée » : voulons-nous véritablement « nous sauver nous-mêmes ? »« La première est sûrement un outrage que nous faisons à Dieu, en doutant de sa volonté »179.
51Bridaine prêchait plus vigoureusement sur les thèmes des « terreurs salutaires ». Il a annoncé le petit nombre des élus. Mais alors même il laissait ouvertes les portes du ciel : à ceux qui se demandaient : « Qui sera donc sauvé ? » il a répondu avec prudence pour ne désespérer personne ; cette réponse, écoutons-la maintenant tout entière :
« Pour moi je n’en sais rien ; tout ce que je sais, c’est qu’il y en aura bien peu. Je vous répondrai cependant, avec Jésus-Christ, que ce qui est impossible à l’égard des hommes n’est pas impossible à l’égard de Dieu »180.
52L’exemple du « bon larron » – rarement invoqué dans ce siècle – montre en effet que même aux portes de la mort, Dieu permet que la conversion ne soit pas chose « impossible ». Ne nous y fions pas trop, recommande Bridaine181. Pourtant cette éventualité demeure à l’instant suprême, témoignage de l’infinie bonté de Dieu. Car, ainsi que le rappelle Alletz, « l’on ne doit pas assigner de bornes à la miséricorde divine, qui excite quelquefois un véritable mouvement de pénitence, même dans l’extrémité de la vie » ; et il cite une formule de saint Bernard à propos du bon larron, exemple périlleux : « Unus est, ne desperes ; solus est, ne confidas »182.
53Quelques auteurs escomptent davantage encore de la miséricorde divine. Contre les docteurs de Sorbonne qui proscrivaient comme une hérésie l’opinion qui accorde aux païens vertueux la possibilité d’obtenir leur salut, des jésuites osent rappeler la pensée longtemps admise dans l’Eglise mais éclipsée depuis un siècle. Vers le milieu du siècle, déjà, un sermon du P. de Ségaud montrait au jugement dernier les pécheurs accablés non seulement par la sainteté des âmes fidèles, mais par les vertus des païens eux-mêmes. Quelle confusion pour les réprouvés de voir opposer par Dieu au relâchement de leurs mœurs « la sévérité des Catons », à leurs excès de table « la frugalité des Fabrice », à leurs « faiblesses » coupables « la résistance des Lucrèces et la pudeur des Vestales », à la « mollesse » et à la « délicatesse » dont ils font preuve dans la recherche de tous les raffinements « l’austérité des gladiateurs et des athlètes » ! Ségaud prend soin de justifier sa démarche, qu’il sait suspecte :
« Vous rougissez sans doute d’entendre des noms profanes dans une chaire chrétienne : je rougirais moi-même de les prononcer, si je n’y étais autorisé par l’Evangile... Si des païens, sans autres secours que ceux de la nature, ont pu accomplir certains points de la loi qui vous rebutaient, combien plus aisément le pouviez-vous ? »183
Il ne va pas jusqu’à prêcher le salut des païens vertueux, mais il le rend plausible. La thèse apparaît nettement affirmée en 1762, l’année d’Emile et cinq ans avant Bélisaire, dans un ouvrage apologétique du jésuite de la Marche, La Foi justifiée de tout reproche de contradiction avec la raison184 ; elle est exprimée de nouveau par l’abbé Bergier, et par plusieurs jésuites : par Paulian, Nonnotte et Feller, en 1774 par Floris et Para du Phanjas, et en 1776 par un curé, Bardou, qui a compilé L’Esprit des apologistes de la religion chrétienne185. Sans que les expressions les plus voyantes soient employées, la pensée de l’abbé de Crillon implique la même conclusion dans une scène de son roman paru en 1777 ; un vieillard plein de piété cherche à lever les objections contre la religion chrétienne que lui présente un interlocuteur ; ce dernier objecte la multitude des « hommes bons et bienfaisants » qui vivent et meurent sur la terre sans avoir pratiqué les vertus chrétiennes aptes à leur procurer le salut ; le vieillard répond :
« Il me suffira de vous dire que le Sauveur du monde est mort pour tous les hommes ; que celui qui n’a pu connaître la loi ne sera pas jugé par la loi ; que tous les hommes reçoivent des grâces surnaturelles suffisantes pour les guider et marcher dans la voie de la justice. Enfin, et ce qui tranche toutes les difficultés, nous sommes tenus de croire que, de tous les hommes qui ont couvert la surface de la terre, il n’en est aucun qui ne soit jugé un jour par sa propre conscience ; ce sera l’aveu du coupable même qui justifiera les jugements d’un Dieu plein d’équité. »186
Ainsi est réaffirmée la thèse que l’influence janséniste avait réduite à une sorte de clandestinité, du moins en France.
54Le cas des infidèles et des hérétiques pouvait être rapproché de celui des païens. Cette relation est faite par l’abbé Baudrand qui publie en 1779 l’un de ses nombreux petits livres de dévotion discrète, profonde, charitable. L’auteur est prolixe, parfois mièvre ; lui non plus, rien ne permet de le suspecter de la moindre compromission avec l’esprit philosophique. Il parle en disciple de saint Ignace et de saint François de Sales. S’interrogeant sur le sort des païens, des infidèles et des hérétiques, il exprime la confiance du chrétien en la bonté de Dieu à l’égard de l’homme droit ; et il reprend comme le P. Paulian la pensée de Thomas d’Aquin qui affirmait l’accord de la raison naturelle avec la Révélation, – thèse à laquelle le premier concile du Vatican en 1870 devait donner toute son autorité – :
« Par les lumières de la raison tout homme sait qu’il y a un Dieu, et qu’il y a une loi naturelle. Ces objets sont intelligibles et évidents ; un infidèle quelconque n’a qu’à ouvrir les yeux, il les apercevra ; sa raison lui montre un Etre suprême, et lui dit de l’adorer ; sa conscience lui montre une loi naturelle, et lui dit de l’observer ; et, s’il le fait, infailliblement Dieu le conduira plus loin, il lui donnera tous les autres moyens, il l’instruira de la loi de grâce ou par lui-même, ou par ses anges, ou par des missionnaires qu’il lui adressera ; fallût-il pour cela opérer des miracles, il les opérera. »187
55D’autres problèmes allaient bientôt préoccuper les catholiques, et il est possible que la disparition de la Compagnie de Jésus ait relâché la vigilance théologique des jansénistes. On peut dire que le combat sur le salut des « païens vertueux » s’achevait avec le siècle sur une contre-offensive en somme victorieuse de ceux qui avaient lutté en chrétiens contre l’image du Dieu tyran et chef de secte. Contrairement à Cuppé et surtout à Dom Louis188, ils avaient protégé fidèlement l’orthodoxie catholique contre ceux qui prétendaient constituer en dogme la damnation automatique de tous les hommes situés « hors de l’Eglise »189 ; ils avaient rappelé que le Dieu d’amour n’exclut personne de son Royaume, si ce n’est ceux qui s’en écartent eux-mêmes et refusent ses dons.
56De leur côté, les jansénistes ne manquaient pas de blâmer depuis longtemps les jésuites pour leur exploitation abusive de la crainte de la mort et de l’enfer. Nombre de pères de la Compagnie prêtaient occasion à ce reproche : on en a vu des exemples variés. Or les jansénistes soulignaient combien il était important de combattre « l’attritionnisme », doctrine répandue non seulement parmi les jésuites, mais chez certains docteurs de Sorbonne190. Que la crainte des peines éternelles suffît au salut scandalisait les théologiens jansénistes, à leur tour défenseurs de la foi au Dieu d’amour. Ils qualifiaient cette crainte de « servile »191 et la jugeaient indigne. On traduit en français, vers 1730, deux ouvrages d’un Flamand, J. Opstraet, qui donnent une bonne exposition de la démarche exigée de l’âme chrétienne dans cette forme de spiritualité. Le premier ouvrage consacré à la Conversion du Pécheur commence par rappeler selon l’orthodoxie janséniste que « la crainte des peines de l’enfer n’est pas suffisante par elle-même et sans amour, pour convertir un pécheur » ; puis il montre que cette crainte a pourtant de bons effets et qu’on ne peut s’en dispenser, quoiqu’elle soit insuffisante par elle-même ; la charité qui est nécessaire reste également insuffisante ; il en vient enfin à l’amour de Dieu qui seul est à la fois nécessaire et suffisant192. Après cette démonstration d’allure mathématique, son second ouvrage sur La Confiance chrétienne développe de façon plus souple le thème du double écueil que doit éviter toute vie spirituelle : la frayeur, et la certitude présomptueuse qu’il considère comme une erreur proprement « calvinienne »193. Nicole écrivait déjà :
« L’état du voyageur, qui est celui de cette vie, et qui ne se termine que par la mort, exclut toute certitude absolue de la prédestination ou de la réprobation. »194
Car les jansénistes engagent à dépasser le moment de la crainte pour que l’âme accède à l’amour confiant ; mais cette confiance se nourrit et se fortifie de la crainte elle-même, et ils ne manquent pas d’entretenir la crainte pour éviter la « présomption ». Tel est l’état où Louis Racine cherchait à maintenir l’âme chrétienne, équilibre périlleux devant la face du « Dieu caché » qui ne laisse pas d’être un Père quand même on est saisi de tremblement à la pensée de sa puissance195. Il ajoutait cette invitation, essentielle si l’on veut comprendre cette attitude spirituelle : « Je tremble comme vous, espérez comme moi »196.
57Ainsi pourrait-on parfois hésiter à reconnaître les deux spiritualités antagonistes, si l’on s’en tenait à des formules extraites du mouvement qui les porte. « Confiance » et « espérance » sont également exaltées de part et d’autre. Mais il apparaît que le janséniste vit davantage à cet extrême milieu entre tremblement et confiance, dans une douloureuse tension de l’être. Les jésuites, au contraire, cherchent à faire passer l’âme de la terreur, étape nécessaire, à la confiance respectueuse ; mais beaucoup plus divers qu’on ne le dit souvent, ils concentrent davantage leur prédication soit sur la « crainte salutaire », soit sur la bonté infinie de Dieu. Ce qui peut expliquer la double et contradictoire critique dont ces derniers furent en même temps l’objet, de trop se fier aux vertus religieuses de la crainte, et de trop élargir les limites de la miséricorde divine, ces deux voies conduisant à promettre le salut à des chrétiens jugés indignes ou médiocres.
58C’est ainsi que malgré les objections antagonistes, il s’est trouvé tant d’auteurs et de prédicateurs pour justifier le recours à la crainte et lui donner finalement une place démesurée dans la littérature chrétienne de ce siècle ; en fait les jansénistes mettaient l’accent sur la « majesté terrible »197 du Dieu transcendant, et nombre de jésuites, avant le renouveau mystique de la fin du siècle, se fiaient surtout à la conversion par la « terreur ». Un oratorien, le P. Pacaud, prêcha interminablement sur l’utilité de l’enfer pour moraliser les hommes et pensa justifier ainsi ce que des auteurs plus exigeants auraient qualifié de « crainte servile »198. La justification morale de la crainte de l’enfer est de fait un des lieux communs de la polémique anti-philosophique. Mais n’oublions pas que c’est également un thème religieux par lequel les catholiques tiennent à se distinguer, qu’ils soient jansénistes ou non, des luthériens. Le P. Vauge, qui réprouve d’autre part avec énergie l’attritionnisme, rappelle à ce propos les décisions du concile de Trente199. Luther ayant condamné la crainte des peines de l’enfer qui rend l’homme hypocrite et l’enfonce davantage dans le péché, les Pères du concile tenaient à rappeler que cette crainte, si elle ne « suffit » pas, « dispose » néanmoins le pécheur à une pénitence authentique. Nombre d’auteurs célébrèrent donc les vertus de la crainte bien tempérée. A l’imitation de saint Augustin, on opposa la « crainte chaste » à la « crainte servile » ; Fénelon opposa la « crainte filiale » ou « surnaturelle » à la « crainte servile » ou « naturelle »200. Cette distinction fondamentale pour une âme religieuse entre un sentiment dominé par l’amour-propre et une attitude d’humilité et d’adoration donna prétexte à des développements commodes. Un prédicateur jésuite, plein de zèle pour « ennoblir » la peur de la mort et du jugement, relança ainsi son éloquence laborieuse, porté par des couples d’adjectifs : « une crainte judicieuse et raisonnable... ; une crainte sage et utile... ; une crainte noble et généreuse... » telle était la disposition du « véritable chrétien »201. Une méthode de discernement moins rhétorique fut proposée par un carme déchaussé, le P. Elisée, qui distinguait deux qualités d’âmes : d’une part les « âmes nobles », capables de se mouvoir par un sentiment positif, l’espérance du bonheur éternel en Dieu ; d’autre part « le commun des hommes » qui est « plus frappé par la crainte d’un avenir que par tout autre motif »202. Son propos charitable avait l’inconvénient d’excuser toutes les facilités de l’éloquence sacrée dans le genre « terrifiant ».
59Ainsi apparaissait devant l’opinion l’image du prédicateur, à la fois caricature et modèle :
« Quelle ardeur brille en ton visage,
Ministre sacré des autels ?
Par un formidable étalage,
Viens-tu consterner les mortels ? »
L’orateur chrétien s’était mis dans le cas d’obtenir semblables louanges203.
60Vers la fin du siècle, la « vraie dévotion » trouve pourtant une expression capable de modifier les perspectives habituelles sur le salut. Renouant avec la pensée de Fénelon et la théorie du pur amour sans en adopter le langage, l’abbé Grou rejoint la spiritualité que l’on désigne depuis Bremond sous ces termes : « le théocentrisme bérullien ». Ce ci-devant jésuite reprend à son compte la critique de la crainte servile et il demande que Dieu reçoive un culte de créatures dignes de lui :
« Servez Dieu avec les sentiments d’un enfant bien né pour le meilleur des Pères. On trouve encore des chrétiens qui le servent, mais comme un maître terrible, comme un juge redoutable : ils ne l’ont jamais envisagé que la foudre à la main. De là ces défauts de confiance, cet abattement, cette pusillanimité, ces scrupules qu’ils éprouvent dans son service. Voyez en Dieu un Père, et vous ne connaîtrez rien de tout cela. »204
61Il use d’une distinction comparable à celle du P. Elisée, mais pour refuser la voie facile et appeler à la véritable union à Dieu. Le « dévot ordinaire » fait de lui-même son propre centre ; parce qu’il n’est pas encore pleinement abandonné à l’amour, « l’objet auquel il donne la préférence et sa plus grande attention est son salut ». Au contraire, « le vrai dévot » est celui qui fait de Dieu son centre : Dieu premier servi ; l’homme trouve indirectement son salut par cette voie, parce que la gloire de Dieu implique le bonheur éternel de ses créatures205. Et que des moralistes n’aillent pas taxer cette dévotion d’irréalisme ; Grou sait bien que l’élan du cœur humain vers son propre bien est irrépressible : le vrai dévot attaché à la gloire de son Dieu « n’exclut pas les deux autres objets », sa sainteté et son bonheur, « il y pense même souvent ; mais le premier l’emporte et couvre pour ainsi dire les deux autres ». Il n’est plus alors de place en lui pour « la crainte de se perdre »206. Le problème du salut personnel est dépassé ; la relation de l’homme à Dieu est convertie ; l’âme se trouve délivrée de ses obsessions. Ainsi « l’enfant bien né » apparaît-il debout et non pas accablé, consterné, terrifié. On songe aux paroles de saint Irénée : « La gloire de Dieu, c’est l’homme vivant »207, ou encore aux pages dans lesquelles Péguy montre la joie de Dieu à recevoir le libre hommage d’une créature accomplie et non pas des « prosternements d’esclaves »208.
62Il faut revenir au capucin de Lombez pour rencontrer au XVIIIe siècle une page où s’exprime la même allégresse chrétienne :
« Notre Père céleste veut des enfants dociles et soumis, mais non timides et tristes. Il est de sa bonté et de sa gloire de faire des heureux, et non des esclaves et des misérables. C’est un bon Père, qui nous traite comme il veut que les pères traitent leurs enfants, n’usant point ou n’usant que sobrement des menaces, crainte qu’ils ne tombent dans la pusillanimité »209.
La véritable « crainte de Dieu » est « la crainte des chrétiens qui sont appelés à la sainte liberté des enfants de Dieu [...]. Notre cœur n’est jamais forcé à aimer ; il aime parce qu’il veut aimer »210.
63Certes, nombre d’autres textes dépourvus de tels accents dénoncent néanmoins la « pusillanimité » comme un manquement à l’espérance211. Mais si l’on excepte des pages où sont exaltées l’espérance et la confiance du chrétien, la littérature chrétienne du XVIIIe siècle demeure marquée par une tout autre intention, ouverte sur de tout autres perspectives. Combien de livres de piété paraissent faits pour des âmes « qui sont toujours glacées d’effroi »212 ou qu’il importe de rendre telles ! Entre la tentation du désespoir et celle de la présomption, le règne de la crainte s’étend, avec ses zones malsaines où il touche au macabre et des régions plus salubres où il se tempère de confiance. Les jansénistes, qui avaient été les premiers à dénoncer l’asservissement de l’homme par la crainte, le font trembler autant et davantage que leurs adversaires par des « dogmes » effrayants. La condition humaine, telle qu’elle apparaît le plus souvent à un regard chrétien au XVIIIe siècle, est celle d’un être traqué par son créateur au milieu d’une nature hostile, par les images et les réalités de la mort omniprésente. Même si d’autres leçons doivent lui être ensuite proposées, l’homme est d’abord sommé de craindre. Tout au plus certains l’invitent-ils à « convertir » sa crainte pour que l’effroi naturel devienne tremblement de l’âme devant son Juge et Père213. Si la nature en lui ne le porte pas à craindre, s’il paraît « insensible » ou frivole, l’Eglise mobilise ses serviteurs pour répandre la terreur, afin de mieux rassurer et consoler ensuite. L’abbé Maury ne veut pas que les prédicateurs oublient cette double exigence et cette intention finale ; mais d’abord il s’en prend à ceux qui réagissaient à l’excès contre la tendance du siècle et semblaient trop épargner la sensibilité de leurs auditeurs :
« Il y a une étrange et fatale méprise à rejeter du ministère sacré ces sujets effrayants qui allument l’imagination du prédicateur comme des auditeurs, et mettent à la fois en mouvement toutes les consciences ».
En effet, à ses yeux « la religion est fondée sur ces vérités terribles dont ses ministres ne sauraient éluder l’exposition ». Pourtant il rejoint ceux qui estiment, contrairement aux plus intransigeants, « qu’il vaudrait mieux laisser les pécheurs dans l’apathie que de les précipiter dans le désespoir, [...] que l’Evangile est une loi de charité et non un code de fureur » ; et il invite ses confrères à ce juste équilibre propre à « toucher » les pécheurs, à « les ramener par la crainte à l’amour »214. « Ne menacer jamais que pour attendrir »215, voilà la grande loi qu’il formule, un an après la fameuse Instruction pastorale du jansénisant Montazet, où étaient dévoilés les deux visages de la mort :
« La mort sans la lumière et sans les consolations de la religion, est un objet horrible, (...) l’écueil fatal de la sagesse humaine. Mais en Jésus-Christ et avec Jésus-Christ, elle est une oblation volontaire, un acte d’obéissance, un sacrifice d’expiation, un sommeil, un passage rapide des ténèbres à la lumière, de l’exil à la Patrie, des misères d’un séjour court et orageux, à la paix d’une vie heureuse et immortelle »216.
Telle doit être la métamorphose de la mort grâce à la foi et à la pratique chrétiennes. Mais pour délivrer l’homme des horreurs dont on l’a obsédé, ne le détourne-t-on pas de la vie ?
Notes de bas de page
1 MAUR Y, Essai sur l’éloquence de la chaire, O. choisies, II, 41.
2 Hist. litt. du sentiment religieux, IX, 331-380 (ch. V : « L’Art de mourir »).
3 B.D.L.H., op. cit., p. 295.
4 Sermons, VI, 64-65, Cf. GRIFFET, Sermon sur l’Enfer, C.O.S., LVI, col. 182.
5 MAURY, op. cit., I, 142. – Cf. BRIDAINE, Sermons, I. 149.
6 MAURY, op. cit., I, 140-156 ; 445-447 ; II, 266-268 ; 342 ; – MARMONTEL, Eléments de litt.. Œuvres, IV, passim ; – THOMAS, in Œuvres de Ducis, III, 435 ; – MSB. IX, 63-64 ; – Bb 1353 et 1377. – SOANEN déplorait son « succès » (Bb 432, II, 750). Il prêcha 256 missions en 40 ans († 1767).
7 Op. cil., I, 147-148. – Cf. MARMONTEL, op. cit, IV, 225.
8 La Grandeur d’âme, p. 100.
9 La Religion du cœur, p. 346.
10 Avant-Propos, p. IX.
11 P. 348-349. – Cf. SOANEN, Sermons, II, 263.
12 La Jouissance de soi-même, p. 431-432 ; cf. Univers énigmatique, p. 78-84.
13 La Religion, Œuvres, III, 129 : argument opposé au déiste.
14 P. 319 (éd. 1690).
15 P. 360 (éd. 1733). – Cf. BARBIER, Journal, V, 268.
16 La Vie et les lettres..., 1, 109, B. – Cf. BELSUNCE, Corr., p. 149-151.
17 La Main de Dieu sur les incrédules, I, p. XIX.
18 L. de BEAUSOBRE, Essai sur le Bonheur, p. 69. – Cf. en 1783 : Bb 359.
19 OBERKIRCH, Mém., II, 87 ; 333-336 ; SAINT-MARTIN, Mon portrait, p. 223.
20 BONALD, Théorie du pouvoir, I, 485 ; MAISTRE, Considérations, I, 17.
21 Mes Souvenirs, II, 468.
22 II, 561 ; voir 559-561.
23 II, 568-569. Le Dauphin avait été enterré à Sens.
24 II, 575. – Cf. SEGUR, Mém., I, 31-32.
25 Mes Souvenirs, II, 590.
26 II, 508-512. Point de vue janséniste in COIGNET, Le Jansénisme, p. 125.
27 B.D.L.H., op. cit., p. 200-201 ; cf. LAFITAU, Lettres, p. 64-65 ; etc.
28 L’Ame éclairée, p. 225-226.
29 J. HUYZINGA, Le Déclin du Moyen Age, ch. XI, et surtout p. 167-171.
30 ROUSSET. Anthologie, II, 105-167 ; FIDÈLE, Chrétien par le sentiment, III, 241.
31 CARACCIOLI, Tableau de la mort, p. 33,
32 Religion du cœur, p. 36.
33 P. 38-39. – Cf. GÉRARD, Le Comte de Valmont, III, 226.
34 Sermons, VI. 93-96 ; cf. VII, 245.
35 Bb 1175, p. 78-79 ; – 1266, p. 116-117 ; – 1333, p. 78 ; Bb 78, 104 et 1152.
36 III, 246, 250, 251, 253, 262-263, 266.
37 VATIER, Conduite de saint Ignace, p. 117. – Cf. FRANÇOIS DE SALES, O. C., I, 26,
38 L’Art de toucher le cœur, III, 262-263 ; cf. TORNÉ, Sermons, II, 326-327.
39 Traité sur les Apparitions, I, 330 ; II, 481 (contre Lenglet-Dufresnoy).
40 Mme CAMPAN, Mém., p. 51.
41 P. 394.
42 Ch. KUNSTLER, La Vie quotidienne sous Louis XV, p. 37.
43 DINOUART, op. cit., juil. 1761, IV, 1re p., p. 72-75.
44 L’expression est de CARACCIOLI (Jouissance de soi-même, p. 433).
45 DE LASNE D’AIGUEBELLE, Religion du cœur, p. 346.
46 Bb 84.
47 Bb 90. – Cf. BREMOND, Bb 1180, IX, 214, 359 et n.l. ; – Bb 187 ; – etc.
48 « Déchirement cruel » pour l’âme (NICOLE, Essais de morale, IV, 41).
49 ALLETZ, L’Art de toucher le cœur, III, 390.
50 SOANEN, Sermons, II, 258-274 ; MONTAZET, Instruction pastorale, p, 38.
51 Recueil de cantiques spirituels. Avertissement.
52 Mém., p. 57. – Cf. Corr. de Mme de Chateauroux, ibid., p. 159.
53 Ibid., p. 55.
54 BESENVAL, Mém., p. 143.
55 Cité par MAURY, Essai sur l’éloquence de la chaire, O. choisies, II, 268.
56 BRIDAINE, Sermons, I, 35.
57 I, 229-231 ; cf. 1, 197-198.
58 VI, 268. « Rôtir », « bouillir », « griller », « brûler » se succèdent...
59 DE LASNE D’AIGUEBELLE, Religion du cœur, p. 38, 41, 43. – Etc.
60 L’Eglise et la bourgeoisie, p. 86-88.
61 CHARAUD, in C.O.S., XXXVIII, col. 1436, 1444-1447. Etc.
62 GY, Bb 1145, p. 78-79. – Equilibre rétabli par le Rituel du 15 août 1969.
63 ALLETZ, Art de toucher ; C.O.S., passim (voir Table par le P. NICOLAS).
64 Sermons, I, 230.
65 Sermons, I, 263. – Cf. BOULOGNE, Sermons, I, 250-251.
66 VI, 230 ; cf. 244.
67 VI, 90-91. – Cf. Massillon, longuement cité par MAURY, op. cit., Il, 6-12.
68 PÉRUSSAULT, C. O.S., LI, col. 1657 ; cf. coi. 1548-1551 ; 1686-1696.
69 Poésies sacrées, IV, p. 39-40. L’ode s’écoule ainsi, dérisoire, inerte.
70 Œuvres, p. 103-106.
71 Sermons, Avent, p. 124. – Cf. BAUDRAND, L’Ame fidèle, p. 151.
72 Cataractes de l’imagination, I, 79.
73 I, 84-86.
74 IV, 218.
75 IV, 231-233.
76 IV, 236-252.
77 IV, 261-262.
78 Et il vante les Nuits d’Young, les Tombeaux de Hervey (voir notre ch. X).
79 P. 304. – Cf. BAUDRAND, L’Ame élevée, I, 199 ; etc.
80 CRILLON, op. cil., p. 305. – Cf. DE LASNE D’AIGUEBELLE, Religion, p. 349.
81 BAUDRAND, L’Ame sur le calvaire, p. 289.
82 SEGAUD, Sermons, Avent, p. 192.
83 Œuvres, p. 164.
84 La Grâce, in Œuvres, III, 280.
85 Louanges de saint Eustathe, in MIGNE, Patrologie grecque, L, col. 597.
86 Religion du cœur, p. 344, 350. – Cf. Recueil de prières, p. 146.
87 BRIDAINE, Sermons, I, 96.
88 Ibid., I, 98-100.
89 I, 100-105.
90 ALLETZ, Art de toucher, III, 65. – Cf. BREMOND, op. cil., IX, 333-334.
91 NICOLE, Essais de morale, IV, 18-19. – Cf. DIONIS, Dissert. sur la mort subite, p. 9, 149.
92 DUCLOS, Mém. secrets, O.C., VI, 181.
93 Journal, I, 317. – Cf. ARGENSON, Mém., I, 217-218 ; Mém. de Luynes, X, 346.
94 Journal, I, 319.
95 Mém. secrets, O.C., VI, 182-183. – Cf. ARGENSON, Mém., III, 157, 368-370.
96 Spectateur français, Journaux et œuvres diverses, p. 222.
97 Comte de Valmont, III, 247, note d. – Cf. LEHOREAU, Bb 352, p. 202.
98 LE M. DE CL., Vrai Mérite, II, 376 ; BAUDRAND., L’Ame affermie, p. 292 ; etc.
99 Sermons, I, 146.
100 Corr. litt. et anecdotique, II, 231, 251.
101 Voir Bb 311 ; Bb 428 et 429 ; Bb 1125.
102 Saints Désirs de la mort, p. 51.
103 Sermon sur la mort du pécheur, O.C., I, 132, B ; cf. 131, A.
104 CLÉMENT, in C.O.S., XLIV, col. 917. – Cf. PACAUD, Discours, II, 404.
105 Sermons, I, 165-166 ; cf. I, 149-150 : I, 185.
106 I, 198.
107 1, 208. – Cf. FIDÈLE, Chrétien par le sentiment, III, 247, 258.
108 Religion du cœur, p. 366-367 (1768).
109 LANFANT, Sermon sur la faiblesse des esprits forts, C.O.S., LXX, col. 900.
110 GÉRARD, Valmont, III, 62, 71-79 ; CRILLON, Mém. phil., p. 90-92.
111 O.C., V, 166.
112 Cf. NECKER, Administration des finances, O.C., V, 607-608 (Louis XIV).
113 ALLETZ, Art de toucher, III, 217 ; cf. NICOLE, Essais de morale, X, 337-338.
114 La Grâce, Œuvres, III, 286.
115 III, 287. – Cf. SOANEN, Sermons, II, 326 ; JÉROME, C. O.S., XXX, col. 500.
116 Op. cil., III, 276.
117 La Fin du chrétien, ou Traité..., I, 27.
118 Ibid, (titres des ch.). – Cf. GÉRY, Sermons I, 155 ; 471-473. Etc.
119 Sermons, I, 162.
120 VI, 21.
121 BAUDRAND, L’Ame affermie, p. 301-302.
122 Œuvres, p. 106.
123 « Le Dix-huitième siècle », p. 29-52 ; « Mon Apologie », p. 53-73.
124 « Le Jugement dernier », p. 105.
125 Œuvres, X, 65. – Voir Bb 1096, ch. IX-X ; Bb 1157, p. 164-166.
126 M., IX, 454. – Cf. encore les Nouvelles Ecclésiastiques du 17-11-1768.
127 ROUSSEAU, O. C., IV, 622-624 ; MARMONTEL, Œuvres, III, 288.
128 Corr. litt., Ier mars 1767 ; COLLÉ, Journal, III, 128.
129 P. 28.
130 II, 129-130. – Voir LE MAITRE DE CLAVILLE, Vrai Mérite, II, 245, 257.
131 Op. cil., Il, 355. – Cf. BERNIS, Religion vengée, Bb 231, IX, col. 1161.
132 Parallèle, p. 47. – Cf. GROS DE BESPLATS (CR in Année littéraire, IV, 346).
133 Principes fondamentaux de la religion, Préface, p. VI.
134 P. V-VI.
135 Instr. pastorale, p. 253-255 ; cf. CHAUDON, Anti-Dict. philosophique, I, 495.
136 P. 254-255.
137 Vie de Marianne, O.C., VII, 49-70 ; cf. 437-441 ; Paysan parvenu, VIII, 245-246.
138 Cleveland, O. choisies, VII, 203-210.
139 « Des Barreaux », Remarque F. – Cf. DIDEROT, Pensées phil., O.C., IV, 136.
140 « Bion Borysthenite », Remarque E.
141 « Des Barreaux », F. – Cf. Dialogues sur l’Ame, VI, et R. MORTIER, Bb 1284.
142 « Ciel » et « Des Barreaux », où est cité le fameux sonnet de repentir.
143 In MIGNE, Catéchismes, I, col. 16-17.
144 I, 269-270. – Cf. BLANCHARD, Poète des mœurs, II, 100 ; et RÉTAT, Bb 1305, p. 339-352.
145 FELLER, Catéchisme philosophique, in MIGNE, Catéchismes, I, col. 18.
146 Ibid. – Par ex. sur La Mettrie, voir M. FONTIUS, Bb 1368.
147 Comte de Valmont, III, 174-176.
148 Art. « Ciel »– Cf. POMEAU, Religion de Voltaire, p. 397 ; 444-445.
149 POMEAU, ibid., p. 444-451 ; DESNOIRETERRES, Voltaire, VIII, 343-406.
150 Gazette de Cologne, 7 juillet 1778 ; HAREL, Bb 318 ; Voltaire’s Corr., Appendice 392.
151 Religion de V., p. 450. – Cf. V.’s Corr., B. 20033, 20043.
152 CROŸ, Journal, IV, 119 ; TURGOT, Œuvres, V, 555-556.
153 Voltaire’s Corr., B. 20052.
154 B. 19962 ; 20018 ; et DESNOIRETERRES, Voltaire, VIII, 364-369.
155 Poète des mœurs ; FELLER, Dict. historique, « Voltaire » ; FORMEY ; etc.
156 Op. cit., II, 102.
157 Lettres, p. 212 (3 juillet 1778).
158 VALFONS, Souvenirs, p. 395. – Cf. CROŸ, Journal inédit, IV, 121. Etc.
159 MSB. XII, 15-16.
160 P.-E. LE BRUN, Œuvres, IV, 234 (lettre à Palissot pour son Eloge de V.).
161 Voir les rééditions jusqu’au IId Empire, par ex. : Bb 54, 222, 235,...
162 Education des filles, O.C., V, 583, B ; et 566, A.
163 L’Eglise et la bourgeoisie, p. 77-79.
164 Superstition, « ouvrage avancé de la religion » : J. de MAISTRE, Soirées de Saint-Pétersbourg, Œuvres, VI, 234 ; cf. RIVAROL, O. C., I, 332.
165 Univers énigmatique, p. 52-53 ; Tableau de la Mort, p. 296-314 ; Bb 438 ; etc.
166 Importance des opinions religieuses, O.C., XII, 41-47.
167 La Voix du pasteur, II, 157.
168 Traité des devoirs d’un pasteur, p. 348.
169 P. 380. Il conseille le Recueil... de prognostics de COL DE VILLARS.
170 De même LE MAITRE DE CLAVILLE, Traité du vrai mérite, II, 360.
171 COLLET, op. cit., p. 237.
172 L’Ame affermie, p. 293 ; cf. JACQUIN, Sermons, I, 83 ; etc.
173 In MIGNE, Catéchismes, I, col. 382-383.
174 Sermon sur /’amour de Dieu, C.O.S., LUI, col. 1048.
175 Traité de la Paix intérieure, p. 239-242. – Cf. MONTESQUIEU, O. C., II, 582.
176 Pensées, in Plan de lecture pour une jeune dame, p. 155.
177 BAUDRAND, L’Ame fidèle, p. 101.
178 P. 102. – Cf. la condamnation de la 5e « proposition » de l’Augustinus.
179 L’Ame affermie, p. 322. – Cf. ROISSARD, Consolation du chrétien, I, 95.
180 Sermons, VI, 21.
181 I, 143.
182 « Pénitence à l’heure de la mort », p. 478. Etc.
183 Sermons, Avent, p. 141-142. – Cf. FÉNELON, Télémaque, O.C., VI, 521-522.
184 In MIGNE, Démonstrations évangéliques, XI, col. 917.
185 BERGIER, Déisme réfuté, p. 226-229 ; PAULIAN, Dict., p. 447-449 ;... cf. Bb.
186 Mém. philosophiques, p. 233-234.
187 L’Ame affermie, p. 337.
188 Bb 272 et 526. Voir MAUZI, Bonheur, p. 509-512.
189 Tel PELVERT, dans la 3e des Lettres d’un Théologien, p. 88 (Bb 383).
190 B. GROETHUYSEN, L’Eglise et la bourgeoisie, p. 80-86.
191 DU PIN, Traité philosophique et théologique, p. 30, 31, 55,..., 568.
192 Idée de la conversion du pécheur, p. 1, 13, 21, 30 (thèmes des chap.).
193 P. 10 et suiv. ; 23.
194 Essais de morale, X, 285.
195 Voir ci-dessus ; cf. ARNAULD, Œuvres, XVII, 844.
196 La Grâce, Œuvres, III, 286. – Cf. Nouv. Ecclésiastiques, 27 déc. 1734.
197 L. RACINE, op. cit., III, 287.
198 Discours de piété, I, 91-93 ; etc.
199 Le Directeur des âmes pénitentes, p. 37 ; cf. p. 37-38, 49.
200 FÉNELON, O. C., V, 137-138 ; 705. – Cf. BRÉZILLAC, Bb 7, I, 456-457.
201 Sermons du P. Pierre-Claude Frey de Neuville, II, 73.
202 Sermons, I, 99, 172, 180. II a peu usé lui-même des « terreurs salutaires ».
203 Mercure, 1728, p. 867 (ode dédiée au P. de Segaud).
204 Règles de conduite, in Caractères de la vraie dévotion, p. 46-47.
205 Op. cit., p. 68-69 ; cf. Maximes spirituelles ; et Bb 258, p. 130-155.
206 Op. cit., p. 69, et 116.
207 Ad versus Haereses, IV, 20, n° 7.
208 Le Mystère des saints innocents, O. Poétiques complètes (Pléiade), p. 354.
209 Traité de la joie de l’âme chrétienne, p. 147-148.
210 P. 182.
211 VAUGE, Traité de l’espérance chrétienne, p. 50.
212 GROU, Caractères de la vraie dévotion, p. 116.
213 Cf. au XVIIe siècle le P. SURIN (Catéchisme spirituel, in Bb 256, II).
214 Essai sur l’éloquence de la chaire, O. choisies, I, 156-157 ; II, 298.
215 I, 158. – Cf. GÉRARD, Comte de Valmont, iii, 233-234.
216 P. 254-255.
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