Chapitre II. La mort dans la vie quotidienne
p. 35-66
Texte intégral
« Un air vicié, le vin empoisonné, la mauvaise nourriture, le traitement des hôpitaux et le chagrin qui tue à la longue, et la faim et la douleur, et la honte et le désespoir (...) ; la chute des toits, le brisement des voitures, les roues des chars dorés et les pieds des chevaux (...) »
(Paris en 1787 d’après
Les Carnets de J. Joubert, I, 74)
1S’il est vrai qu’une mentalité nouvelle trouve ses modes d’expression après la mort de Louis XIV, la vie des hommes n’est pourtant pas radicalement transformée dans sa réalité quotidienne. Une période de paix s’ouvre, mais comme avant on meurt, on tue, on est victime des calamités, des catastrophes, et les guerres surviendront de nouveau. Comme avant, et à profusion, les hommes meurent. Cela va sans dire, assurément. Mais nous l’avons un peu oublié, étourdis par l’évocation des plaisirs et des querelles d’un siècle plongé dans une sécurité jusqu’alors inconnue. De cet oubli, les écrivains portent bien quelque responsabilité. L’Opéra, la Comédie ou le théâtre de la Foire, les salons et les cafés, les soupers, les nouvelles de la Cour occupent les esprits à Paris. A la campagne, les paysans ont la bonne mine de Jacob arrivant chez son premier maître, car, en cachette du fisc, le vin et les jambons attendent leur heure : Jean-Jacques ne l’atteste-t-il pas ?1. Le peuple n’inspire guère la pitié dans les lettres françaises au XVIIIe siècle : Figaro, comme le Paysan Parvenu, comme Jean-Jacques à sa façon, comme son auteur Caron de Beaumarchais, Figaro « parviendra » ; quant à Jacques le Fataliste, il ne se soucie pas d’arriver, et s’il a connu la guerre, sa boiterie ne l’empêche pas d’aller gaiement son chemin – ou celui de son maître, c’est tout un – . Les grands fléaux, les rencontres funestes, Candide les affronte en Westphalie, au Portugal, hors d’Europe ; en France, il subit tout au plus quelques désagréments. Ah ! quel dommage que la terre ait tremblé à Lisbonne en ce siècle-là !
2Pourtant la mort est encore présente, omniprésente. Pompeuse ou atroce, frappant les individus ou des hommes par milliers, elle n’a pas cessé d’investir et d’occuper la vie de tout un peuple ; il semble parfois n’en avoir plus conscience, mais il la coudoie sans cesse ; l’image du moins en est partout, sa réalité s’impose tout aussi brutalement.
3Même si les sentiments des survivants ne s’accordent pas au deuil, même si la sépulture ne tarde guère, une mort est un événement spectaculaire. Certes, les excommuniés sont, on le sait, privés de sépulture en terre sainte. N’oublions pas non plus que les protestants sont, comme les juifs, contraints à une sorte de clandestinité. Ainsi, dans Le Doyen de Killerine, l’abbé Prévost nous fait assister à un enterrement luthérien dans la cave d’une maison transformée en « une espèce de temple »2. Mais il en va tout autrement pour les catholiques. Les coutumes funéraires n’ont guère varié depuis le XVIIe siècle et nous les trouvons détaillées avec un luxe particulier par L.-S. Mercier dans divers croquis de son Tableau de Paris. La mort a un caractère public. Il est difficile d’ignorer le décès d’un voisin quand l’usage est de l’exposer devant sa maison, « à la porte »3. Un « lit de parade » reçoit les dépouilles mortelles de haut rang, dont l’exposition dure plusieurs jours4. De plus les demeures de quelque considération sont tendues de noir, à l’extérieur comme à l’intérieur, avec une magnificence proportionnée à la qualité ou à la condition du défunt, ou à la vanité des héritiers5.
4Si le malheureux manouvrier est porté prestement en terre, « cousu dans une serpillière » comme les morts de l’Hôtel-Dieu et comme le Neveu de Rameau6, la plupart sont déposés dans un cercueil, « de plomb pour les uns et de bois pour les autres »7. Le prince, le grand, « sera en plomb, lui, et embaumé... ; on mettra ici son cœur, là ses entrailles »8. En effet, outre le convoi d’enterrement et plus tard un service lors de la sépulture à Saint-Denis, une autre pompe funèbre se déroule à l’occasion du dépôt du cœur des princes au Val-de-Grâce. Cette cérémonie est en usage depuis la mort d’Anne d’Autriche en 1666, et il ne paraît pas outrecuidant de mettre en relation les honneurs ainsi rendus au cœur des princes de ce monde avec la dévotion au Cœur de Jésus qui se développe surtout vers la fin du XVIIe siècle avec Marguerite-Marie Alacoque (1647-1690) et son directeur le P. de la Colombière. Longtemps les jansénistes admettront cette dévotion répandue grâce à Grignion de Montfort et aux Jésuites : elle est en somme compréhensible dans un tel climat. Ne peut-on supposer l’intention diffuse d’honorer le cœur de « Notre Seigneur » comme celui des rois de la terre ? Le rapprochement est resté implicite alors ; mais remarquable est la « correspondance » entre cette dévotion épanouie au XVIIIe siècle et la coutume funèbre qui l’avait précédée9. A mi-chemin en quelque sorte, on voit les jansénistes rendre des honneurs particuliers au cœur-viscère d’un des leurs qu’ils considèrent comme un martyr, l’ancien évêque de Senez Soanen10. L’amour tragique s’inspire sans doute de semblables liturgies lorsque le marquis de ***, héros de Prévost, adore le cœur de sa jeune femme qu’il garde enfermé dans une boîte d’Or : le culte ici éclipse le cérémonial11. A la mort de Voltaire et de Rousseau, la ferveur philosophique mime elle aussi les rites de l’Eglise et de la monarchie12. Inversement, mais sur le même stéréotype, on a vu se répandre aisément une légende à propos du cœur du Régent dévoré par un de ses chiens : le cœur d’un prince aux mœurs scandaleuses devait être profané13.
5Les funérailles proprement dites comportent un cortège et un service religieux qui varient selon l’étiquette de cour, mais surtout selon la dépense qu’accepte d’y consacrer la famille. Une grande liberté règne par l’effet des dispositions canoniques :
« La congrégation des Rites a décidé que les héritiers peuvent rendre le convoi ou l’enterrement de leurs parents aussi pompeux que bon leur semble pour le nombre de personnes, clercs ou laïcs, qui y assistent processionnellement, et pour le luminaire ; et dans ce cas, c’est à ceux qui font les frais à faire le choix des personnes. »14
6Aussi voit-on sans cesse Paris traversé par d’immenses cortèges que les gazettes, et Barbier, puis le duc de Luynes détaillent longuement dès qu’ils concernent des personnages éminents. Des troupes, le guet à cheval, des pauvres, des enfants trouvés, des prêtres, des moines, des laquais, les carrosses aux chevaux caparaçonnés, et des flambeaux par centaines... On garde longtemps la mémoire des funérailles du gouverneur de Paris, le duc de Tresmes, en avril 1739, « les plus magnifiques funérailles, assurait-on, qu’il y ait jamais eu en France », écrit avec ironie Horace Walpole15. L’événement frappe davantage Barbier : « tout l’hôtel était tendu de noir jusqu’au toit » ; il admire mais déplore cependant « la trop grande magnificence de cet enterrement... fort au-dessus de celui d’aucun prince du sang... Cet enterrement ne sera pas sitôt payé »16. Il s’inquiète plus encore du coût de certaines funérailles princières : pour Madame Henriette, en 1752, « on croit à Paris que cela coûte une grosse somme, et cela n’ira pas à moins de trois cent mille livres, y compris les profits illicites »17 ; pour le petit duc de Bourgogne, fils du Dauphin, il parle en 1761 de huit cent mille francs, dépense « qu’on n’est pas trop en état de faire » car la guerre malmène les finances de la France18. Plus magnifique peut-être que les précédents, se déploie la pompe funèbre de la Reine de France, le 2 juillet 1768, dont le marquis de Valfons a voulu perpétuer le souvenir19.
7L’église, en particulier à Notre-Dame et à Saint-Denis, est transformée en « castrum doloris » par les décorateurs. Depuis que la pompe à l’italienne a été introduite en France par le P. Menestrier20, les Berain puis les Slodtz déploient le faste de la mort baroque jusqu’au cœur du XVIIIe siècle. Là encore foisonnent les torchères en forme de cyprès, mais aussi, sur les tentures, maintes têtes de mort ou des figures parfois plus expressives encore : une belle femme au corps à demi desséché et aux pieds squelettiques figure la Mort parmi les principaux ornements lors du service célébré à Notre-Dame en 1735 pour la reine de Sardaigne21. Car la famille royale de France, outre ses propres deuils, et ils sont nombreux, adopte ceux des familles royales de l’Europe qui lui sont apparentées. Les courtisans, les corps constitués, puis fidèles et badauds sans doute, peuvent contempler les somptueuses mises en scène dont Barbier suggère maladroitement l’effet22. Certaines années sont fertiles en spectacles de cette sorte : ainsi 1735, avec la pompe funèbre du maréchal de Villars et celle de la reine de Sardaigne ; celles de la Dauphine, de Philippe V d’Espagne et de la reine de Pologne, mère de la reine, se succèdent entre juillet 1746 et mai 1747.
8Il s’agit bien en effet de spectacles, de même que pour les convois, surtout lorsque ces derniers parcourent les rues de nuit, à la lumière de tous les flambeaux de la procession23. Le Maître de Claville regrette d’ailleurs qu’« on mène les enfants à une inhumation comme à un spectacle » et il voit là une des raisons de l’endurcissement des cœurs24. Comme lui, et tout au long du siècle, beaucoup protestent contre le faste excessif des funérailles, soit au nom de l’humilité et de la pauvreté chrétiennes25, soit au nom du naturel et de la sincérité26, soit encore d’un point de vue économique en considération du poids de ces dépenses improductives27. Quelques personnages défraient même de temps à autre la chronique pour avoir demandé par testament qu’on évitât toute ostentation dans la cérémonie funèbre : tel est le cas de la duchesse douairière de Bourbon, sœur de Louis XIV, en 1743, ou encore de la duchesse d’Orléans en 174728 et du chancelier d’Aguesseau en 175129.
9Qui plus est, ce dernier a poussé l’humilité jusqu’à exiger d’être enterré au cimetière. C’est qu’en effet il faut être un homme « de néant », un homme « mécanique », un modeste chrétien, pour ne pas prétendre à la sépulture dans une église. Ce privilège a cessé d’en être un.
« Régulièrement on ne doit enterrer personne dans les églises, si ce n’est dans le parvis, ou dans les chapelles, qui sont censées hors de l’église. Toutefois depuis plus de huit cents ans, l’usage contraire l’a emporté, sous prétexte que l’on y enterrait quelquefois les évêques, ou d’autres personnes d’une sainteté reconnue. »30.
10On pourrait considérer qu’au XVIIIe siècle, une volonté manifestée de ne pas suivre cet usage est désormais un acte de remarquable humilité chrétienne. D’Aguesseau « voulut que ses cendres fussent mêlées et confondues parmi celles des pauvres, dans le cimetière de la paroisse d’Auteuil où son épouse était enterrée ». Il n’est pas cependant tout à fait « confondu » puisque « leurs enfants ont fait élever une croix au pied de leur sépulture, dont les marbres ont été donnés par le Roi »31. De même, quand l’ancienne maîtresse du Roi, la comtesse de Mailly, demande à être enterrée « dans le cimetière des Innocents, où l’on enterre les pauvres gens par charité ; elle voulait même être enterrée dans la fosse commune, mais on lui en a fait une particulière ». Soupçonneux plus que malicieux, Barbier s’interroge devant ces dernières volontés si extraordinaires : « N’y a-t-il pas un peu d’ostentation dans cette grande humilité ? »32
11Puisque l’usage est autre, nombre de chrétiens peuvent fouler du pied chaque semaine à l’église la pierre sous laquelle gisent ancêtres, parents, enfants sans doute33. Car la pratique religieuse reste assez forte, et assez restreinte la mobilité de la population. A l’exception – large il est vrai – des marins, des domestiques, des soldats, des voituriers et des simples manouvriers en quête d’un travail, les hommes de ce temps naissent, vivent et meurent dans leur paroisse34. Ils n’ont pas besoin de faire à leurs morts comme de nos jours une « visite » au cimetière : la tradition est encore à naître. Pour lors, une coexistence diffuse des vivants et des morts tient sans doute lieu de ce qui va devenir, à partir de la fin du siècle, et pour des causes qu’il faudra rechercher, une démarche explicite et exceptionnelle.
12N’oublions pas que les cimetières sont au cœur des villes qui en croissant les ont englobées. Ainsi du plus célèbre, le « charnier » des Innocents. Il faut relire à son propos la page que lui consacre Louis-Sébastien Mercier quand il présente parmi les petites scènes familières de Paris l’activité des écrivains publics :
« Sans la secrète correspondance des cœurs, qui n’est pas sujette aux vicissitudes, ils iraient augmenter le nombre déjà prodigieux des squelettes qui sont entassés au-dessus de leurs têtes, dans les greniers surchargés de leur poids [...] c’est au milieu des débris vermoulus de trente générations, qui n’offrent plus que des os en poudre ; c’est au milieu de l’odeur fétide et cadavéreuse qui vient offenser l’odorat, qu’on voit celle-ci acheter des modes, des rubans, et celle-là dicter des lettres amoureuses. »35
On ne peut mieux évoquer ce cimetière devenu place publique, comparable en quelque mesure à la place Royale sous Louis XIII ou aux jardins de notre Palais-Royal. Il ne devait être fermé qu’en 178036. Il en est d’autres pour lesquels on respectait davantage les interdictions des Rituels concernant les activités profanes, mais où la vie et la jeunesse faisaient encore bon ménage avec la mort. Ainsi du cimetière Saint-Eustache où les petites filles de la paroisse écoutaient jusque vers 1750 les leçons de catéchisme avant leur première communion37.
13Mais la mort ne donne-t-elle pas son rythme à la vie ? Car les deuils disposent du calendrier selon des règles strictes ; ils transforment l’aspect de la rue : l’activité commerciale et industrielle en est influencée et peut-être perturbée par leur fréquence et leur durée. Tout dépend de la Cour. L’étiquette règle la durée38 pendant laquelle la famille royale, et avec elle chacun des courtisans, doit porter le noir (ou le violet pour le Roi), « les grandes pleureuses », « les petites pleureuses »39, si les dames doivent « draper », si la livrée doit ou non prendre le deuil40, si les harnais doivent être noirs ou clairs... Le « grand deuil » pour Madame Henriette est de six semaines ; et dans cette occasion, le duc de Luynes avoue ses limites :
« Je parlerais mal de l’ajustement des dames, mais les hommes porteront trois semaines l’effilé avec les boucles, boutons et épées noirs. »41
14Après le « grand deuil », viennent les jours, les mois de « deuil ordinaire », puis de « petit deuil ». Or la Cour porte le deuil pour les princes dès qu’ils ont passé l’âge de sept ans ; et comme la famille royale est unie par quelque lien de parenté à la plupart des cours étrangères, le souci de ne pas manquer à l’étiquette conduit par exemple, en pleine guerre de Sept ans, à prendre le deuil pour la reine douairière de Prusse, puis pour un beau-frère de Frédéric en 1757, et l’année suivante pour la fille du roi d’Angleterre42 et la sœur du roi de Prusse, la margrave de Bareith43.
15Ainsi s’enchaînent les deuils de cour. On dit adieu aux belles étoffes chatoyantes et les marchands se désolent quand un « grand deuil » de longue durée les prive de chalands au moment où ils se sont pourvus en prévision de la saison nouvelle. « Etoffes d’or et de velours pour les habits d’hiver » restent en souffrance en novembre 173244. Quand meurt la reine de Pologne le 15 mars 1747, le deuil pour une mère étant de six mois, on se lamente de plus belle :
« Ce deuil, qui arrive deux mois après celui de Madame la Dauphine, ruine totalement le commerce des marchands de soie qui étaient déjà chargés des habits de printemps et des taffetas de couleur. »
16La perte est devenue à cette date d’autant plus sensible que « la Ville » a pris désormais l’habitude d’imiter « la Cour » ; Barbier remarque :
« Toute la ville a pris pareillement le grand deuil en pleureuses et habits sans boutons [...] Les femmes de Cour et celles de la Ville du bon air sont en habits de laine pour trois mois. Point de diamants pendant six semaines, jusqu’à l’effilé. »45
En 1748, Diderot ironise sur cette mode dont la grande extension est récente, quand il montre comment les bourgeoises, au pays des Bijoux Indiscrets, se mettent à l’unisson des femmes de qualité dans un tout autre domaine : « On eut à Banza sa muselière, comme on prend ici le deuil de Cour »46. La mort, réglée par l’étiquette, reste en quelque sorte soumise aux fluctuations de la mode47. Une femme douée du sens de l’opportunité crée en 1761 un Journal des Deuils : pour éviter qu’à la promenade on ne se retrouve seul ignorant du deuil de cour au milieu de la foule en habits noirs, il faut se tenir informé de l’actualité nécrologique. Les Mémoires secrets de Bachaumont se gaussent de cette feuille qui donne les règles à suivre pour les détails de l’habillement et de la parure selon chaque cas, mais l’initiative est un succès48.
17L.-S. Mercier attire l’attention sur un aspect plus prosaïque, mais politique aussi, de la généralisation du deuil de cour ; il complète du côté du chaland les observations que Barbier avait présentées en adoptant le point de vue des marchands :
« Les deuils de cour, qui surviennent assez fréquemment, épargnent de l’argent aux bons Parisiens [...] ; et l’on dirait alors que les fortunes sont égales.
La chute des têtes couronnées n’est donc pas désagréable à Paris […] Lorsque le petit deuil arrive, ceux qui ne sont pas riches, ou qui ne savent pas se mettre trahissent leur état ; et les gens du monde reparaissent brillants et se moquent de l’indigence qui ne sait que se mettre tout en noir des pieds à la tête. »49
Assurément les habits de deuil des « gens du monde » devaient garder dans le grain du tissu, dans la souplesse des plis, quelque chose de leur aristocratique appartenance, mais, tel quel, ce texte nous aide à cerner de plus près la réalité quotidienne du siècle, à imaginer le spectacle de Paris et de Versailles un peu plus « morne » peut-être, ou plus chargé de contrastes au fil des mois.
18C’est à Lyon que l’accumulation des deuils de cour et leur extension dans la mode bourgeoise ont les conséquences les plus lourdes. Une monographie de Justin Godart consacrée à L’Ouvrier en soie nous apprend qu’outre les marchands, les fabricants et le petit peuple même des tisseurs lyonnais à maintes reprises expriment leur inquiétude. Ils demandent que l’on ne porte plus le deuil des princes étrangers et que l’affliction du peuple à la mort des princes français ne se traduise pas de façon néfaste pour la subsistance des sujets. Les représentations de la Chambre de Commerce en 1730, en 1733, d’autres demandes en 1767 et en 1790 aboutissent à des réductions de la durée des deuils. La première avait eu lieu dès juin 1716, une autre est décidée le 5 octobre 173050. Vers la fin du siècle, comme Louis XVI a de nouveau réduit « l’austérité du deuil » en diminuant sa durée « presque de moitié », des protestations se font entendre au nom de la moralité publique contre cette décision :
« C’est, dit-on, en faveur de nos manufactures : nouvelle preuve que le luxe se trouve toujours en opposition avec les bonnes mœurs. »
Ainsi soupire Mme de Genlis, entre indignation et résignation. Cette femme ne devrait guère aimer les couleurs vives51.
19La mort met il est vrai dans les rues de Paris et des grandes villes des spectacles très voyants, qui pour nous auraient un caractère atroce ou répugnant et que personne au XVIIIe siècle ne semble trouver insoutenables. Ainsi des boucheries, où l’on débite mais où l’on abat aussi les animaux. Dès le XVIe siècle des règlements avaient enjoint de « mettre les tueries et écorcheries des bêtes hors des villes ». Ils furent dans d’autres villes assez bien appliqués, mais non pas à Paris : le Traité de la Police (1722) admet que « la grande étendue de la ville ne l’a pas pu permettre : l’on a souvent tenté les moyens d’éloigner de son centre les tueries des bestiaux », sans autre succès que de renvoyer les tanneurs, à partir de 1673, au faubourg Saint-Marcel52. C’est pourquoi L.-S. Mercier peut décrire les boucheries parisiennes devant lesquelles « le sang ruisselle dans les rues, il se caille sous vos pieds, et vos souliers en sont rougis »53 ; et il se souvient d’avoir vu pratiquer naguère en plein Paris l’équarrissage des chevaux, dont il salue la proscription54.
20Ne risque-t-on pas même de rencontrer dans sa promenade quelque objet plus horrible encore ? Le témoignage de Mercier et celui de Diderot concordent, on peut, vers 1775-1780 en tout cas, trouver abandonnées dans la rue des pièces anatomiques prélevées sur des cadavres humains par des écoliers en médecine et en chirurgie :
« Quand la science cesse de s’en occuper, que deviennent les restes ? On ne les brûle pas sans se constituer en dépense, et sans exciter des vapeurs nuisibles : souvent on les jette dans les rues, au grand scandale du citoyen, incertain si cette cuisse n’est pas celle de son père, et cet organe celui même où il a pris naissance. »55
21Remarquons que ce spectacle du moins scandalise. Mais tant d’autres sont tolérés, semblent inévitables, comme le passage du chariot qui porte chaque matin les morts de l’Hôtel-Dieu à Clamart : il part à quatre heures du matin, mais une cloche le précède et l’annonce, mélange curieux de discrétion et de publicité. « On l’a vu, ajoute Mercier, dans certains temps de mortalité, passer jusqu’à quatre fois en vingt-quatre heures »56. Ainsi va la mort parmi les vivants, jour après jour, dans les rues de Paris.
22La vie reste précaire, en ce siècle, surtout à l’Hôtel-Dieu où Mercier prétend qu’« il meurt le cinquième des malades », comme à Bicêtre57, et plus encore à l’hôpital des Enfants Trouvés, qui ne rendrait vivant qu’un enfant sur dix. S’appuyant sur l’étude publiée le 9 avril 1971 par la Gazette des Deux-Ponts, Mercier déclare qu’il y a pis : « Dans la province de Normandie, on a calculé d’après l’expérience de dix années, qu’il mourait cent quatre enfants sur cent huit... ; le résultat s’est trouvé à peu près pareil dans plusieurs provinces du royaume »58. Quand parut en 1766 le tome VIII de l’Encyclopédie, Mercier dut être alerté par deux articles de Diderot : l’article « Hôpital » donnait l’origine des informations : « les différents mémoires que M. de Chamousset a publiés sous le titre de Vues d’un citoyen », où l’on apprenait « que des malades qui entrent à l’Hôtel-Dieu il en périt un quart, tandis qu’on n’en perd qu’un huitième à la Charité, un neuvième et même un quatorzième dans d’autres hôpitaux »59. Le spectacle que décrivait l’article « Hôtel-Dieu » est connu :
« Une longue enfilade de salles contiguës où l’on rassemble des malades de toute espèce, et où l’on en entasse souvent trois, quatre, cinq et six dans un même lit ; les vivants à côté des moribonds et des morts. »60
23Quant à l’hôpital des Enfants Trouvés, le Mercure de France de juin 1746 avait attiré sur lui la curiosité de ses lecteurs ; mais il insistait sur les progrès de la charité publique et pouvait faire illusion sur le sort réservé à ces enfants recueillis. C’est dans l’hiver 1746-1747 que Rousseau y déposa son premier enfant. La mortalité, en fait, y était terrifiante : « 70 % des enfants admis dans les premiers mois de leur existence mouraient avant d’atteindre une année »61. Lorsque Jean-Jacques prétendait donner à ses enfants un meilleur avenir, ce n’est assurément pas à celui-là qu’il pensait. Entre l’époque des abandons – ou même le jour d’avril 1751 où il écrivit à Mme de Francueil pour s’en expliquer sans remords – et la lettre du 12 juin 1761 dans laquelle il avoue sa « faute », sans doute son jugement personnel et celui de ses adversaires avaient-ils été éclairés par des révélations semblables sur le sort réel de tant de petits êtres, dans cet hospice qu’avait fondé la charité62.
24Cependant les chances de survie – il paraît anachronique de parler déjà d’« espérance de vie » – n’étaient guère satisfaisantes pour l’ensemble des nouveaux-nés au XVIIIe siècle. Les tables de mortalité de Duvillard, établies en 1806 pour la période de 1770 à 180063, font voir qu’alors un enfant sur quatre meurt avant un an. Un homme sur deux atteint l’âge de vingt ans. Buffon, qui propose le même pourcentage pour les nouveaux-nés, est au total plus pessimiste :
« La moitié du genre humain périt avant l’âge de huit ans un mois, c’est-à-dire avant que le corps soit développé, et avant que l’âme se manifeste par la raison.
Les deux tiers du genre humain périssent avant l’âge de trente neuf ans, en sorte qu’il n’y a guère qu’un tiers des hommes qui puisse propager l’espèce, et qu’il n’y en a pas un tiers qui puisse prendre état de consistance dans la société.
Les trois-quarts du genre humain périssent avant l’âge de cinquante et un ans...
De neuf enfants qui naissent, un seul arrive à soixante-dix ans... »64
25Voltaire note que la moyenne des hommes vivent jusqu’à vingt-deux ans ;65 Diderot est persuadé qu’à trente ans, un seul homme a survécu sur vingt, et il constate à quarante-cinq ans que la plupart de ses condisciples sont déjà morts66 : ils expriment une réalité contemporaine que les premiers économistes attachés aux phénomènes de population confirmaient à peu près67, et que redécouvrent les démographes du XXe siècle dans les registres paroissiaux du XVIIIe. Aujourd’hui le sentiment de posséder une « espérance de vie » se fonde sur l’observation de notre condition, mais aussi bien sur un appareil de statistiques propre à assurer l’élan des hommes vers un avenir lointain. Au contraire, il y a deux siècles, la mort servait d’inéluctable point de référence. Selon le calcul de Buffon, les étapes successives ne laissent apparaître que des survivants... Dufort, dans les premières pages de ses Mémoires, raconte la mort de sa sœur aînée, puis celle de sa mère alors qu’il a douze ans ; parents et grands-parents disparaissent avant qu’il soit sorti du collège :
« A quinze ans moins deux mois, je me trouvai seul, dans une maison où, en moins de trois ans, la mort avait moissonné quatre maîtres, jeunes et vieux. »68
26Ce cas, loin d’être exceptionnel, correspond au « calendrier démographique de l’homme moyen » que Jean Fourastié a reconstitué à partir des données statistiques de l’Ancien Régime :
« A la fin du XVIIe siècle, la vie d’un père de famille moyen, marié pour la première fois à 27 ans, pouvait être schématisée ainsi : né d’une famille de cinq enfants, il n’avait vu que la moitié parvenir à l’âge de 15 ans ; il avait eu lui-même cinq enfants, dont deux ou trois seulement étaient vivants à l’heure de sa mort.
Cet homme, s’il vivait jusqu’à 50 ans, ce qui était assez rare – une chance sur cinq, à peu près –, avait vu mourir, dans sa famille directe, (sans parler des oncles, neveux et cousins germains), une moyenne de neuf personnes, dont un de ses grands-parents (les trois autres étant morts avant sa naissance), ses deux parents et trois de ses enfants. »69
Que de morts accumulées dans le fond de la mémoire d’un homme adulte ! C’est cette mémoire-là, sans doute, affleurant ou non à la conscience réfléchie, qui aide à constituer ce que l’on appelle une « mentalité ».
27S’il est exact, ou presque exact, que « de neuf enfants qui naissent, un seul arrive à soixante-dix ans », une mort « naturelle », de vieillesse, peut passer pour un privilège, une « grâce ». Maladies, fléaux divers, et accidents, voilà les causes habituelles de décès presque tous anticipés. La littérature de fiction autant que les mémoires et témoignages sur la société du temps enregistre les maladies mortelles les plus « vraisemblables ». Telle est l’apoplexie, « cette maladie pleine de terreur »70. Chez l’abbé Prévost, l’oncle de « l’homme de qualité » et une mère qui tyrannise ses filles succombent à l’apoplexie71 ; de même, chez Marivaux, cette amie qu’une coquette vieillissante découvre morte dans son fauteuil, et le protecteur intéressé de Marianne, M. de Climal72. A une époque où les excès de table perpétuent une tradition déjà ancienne l’indigestion, moins romanesque, paraît chose banale : le duc de Luynes, soigneux de consigner les décès des gens de qualité, signale sans étonnement trois morts de cette sorte dans le seul mois d’août 175073 ; c’est typiquement une mort estivale et mondaine. La mort des jeunes filles passe par les « pâles couleurs »74 ; on meurt de « maladies de langueur »75 ou de « consomption »76 vers la fin du siècle. Les suites de couches funestes ont jusqu’au milieu du XXe siècle hanté l’imagination des futures mères ; au XVIIIe siècle elles représentent un risque habituel, et la mortalité féminine est grande vers vingt-cinq et trente ans77 ; les romans évoquent ces accouchements mortels, aussi bien Les Bijoux indiscrets que Gil Blas et les Mémoires d’un Homme de Qualité78.
28Mais la grande cause de mort est, sans contredit, presque tout au long du XVIIIe siècle, la petite vérole, notre variole, dont est victime Louis XV. Comme le personnage des Bijoux Indiscrets n’était pas en situation de mourir des suites de couches, sa mort est mise sur le compte de la maladie mortelle la moins originale qui soit. Pourtant si l’on excepte deux exemples illustres mais incomplets, celui de Julie, qui a failli « rejoindre la plus tendre des mères » et qui se réjouit de voir sa beauté ternie par les ravages du mal79, et celui de la marquise de Merteuil qui subit par la déchéance physique une part de son châtiment80, la petite vérole est loin d’occuper dans la littérature de fiction l’immense place qu’elle s’est taillée dans la vie quotidienne et dans la mort des hommes de ce siècle81. Ce sont les mémorialistes, les médecins, les philosophes qui témoignent de son règne, ainsi que les correspondances. Diffuse durant le XVIIIe siècle dans son ensemble, elle sévit avec une particulière violence à certaines époques au début du siècle, et sur ce point on peut bien dire que le siècle continue le précédent : dans sa Vie de Voltaire, Duvernet rappelle en effet les épidémies de petite vérole qui causent de nombreuses morts à Paris en 1710, 1711, 1715, puis en 1716 et 1719-1720 surtout82. Mais en 1723 les ravages causés sont terribles : la correspondance de Montesquieu83, celle de Voltaire en portent la trace : Voltaire malade lui-même très dangereusement va jusqu’à se confesser, et il fait son testament84. Il rappellera plus tard cette année terrible, évaluant les décès à vingt mille personnes dans Paris85. Mathieu Marais86 et Barbier87 confirment l’étendue du mal. Paris ne sera plus aussi sévèrement frappé, même en 173188. Mais des épidémies – des « pestes », comme on disait de manière générale – contribuent au cours du siècle à des « mortalités » parfois très cruelles soit dans l’ensemble de la France, soit dans des provinces ou dans des pays où elles restent localisées.
29La plus spectaculaire de ces épidémies demeure la peste dite « de Marseille » quoiqu’elle eût exercé d’aussi terribles ravages dans une large part de la Provence, à Aix, Arles, Salon, et spécialement Toulon. Cette peste causa des dizaines de milliers de victimes, enleva la moitié de la population de Marseille89 dont elle parvint à entraver quelques mois l’essor économique, et elle plongea les Parisiens eux-même dans l’effroi des mois durant. L’épidémie se prolongea de juillet 1720 à novembre 1721 et reprit même quelque temps en avril 1722. On peut suivre dans les relations journalières de Barbier et de Marais la progression du fléau, des mesures de sauvegarde, et de la peur jusque dans l’entourage du petit roi :
« 6 000 hommes gardent la Durance pour les Français ; le duc de Savoie fait garder le Var. » (25 août 1720)
« On fait la garde à Montpellier [...] A Lyon on commence aussi à faire la garde aux portes » (2 sept. 1720)90
« La peste qui a commencé en Provence, loin de finir, s’étend et augmente tous les jours. Il meurt quantité de monde à Toulon. Elle a gagné le Gévaudan, l’Auvergne, et enfin on la craint pour Paris ; ce qui serait effroyable. On a déjà fait deux consultations de médecins, au Louvre, pour savoir si le Roi restera plus longtemps à Paris. On attend encore quelques nouvelles parce que l’effroi se répandra si l’on voit sortir le Roi. » (mai 1721)91.
30On voit « avancer le fléau »92. Nouvelle appréhension à la fin de mars 1722, quand les communications sont rétablies, la peste paraissant terminée :
« Dieu veuille que l’air soit bien pur, et que le commerce ne nous nuise pas ! » (28 mars 1722)
Une dernière alerte renouvelle l’effroi :
« La peste a repris à Marseille et dans la campagne...[les] vaisseaux qui sont partis de Marseille depuis le commerce renouvelé sont peut-être allés négocier la peste partout. » (22-26 mai 1722)93
31Le fléau avait sans doute une cause précise. Un livre récemment consacré à l’étude globale de la peste de Marseille redonne toute son importance à une explication « événementielle » : la quarantaine d’un navire suspect avait été mal observée et la peste se développa à partir de ce foyer. Mais en même temps les auteurs montrent que Marseille était installée dans une sorte d’accoutumance au risque mortel : son trafic avec les Echelles du Levant où la peste régnait, endémique, avait une telle importance que les négociants marseillais étaient intéressés à l’écoulement rapide des marchandises. L’incurie des autorités responsables du lazaret, les pressions exercées par le premier échevin Estelle pour hâter la sortie de quarantaine jouèrent un rôle déterminant, ainsi que les activités de contrebande de tout un petit peuple qui profitait du relâchement des règlements sanitaires94. Mais peut-on pour autant négliger tout à fait l’importance d’une autre cause parfois mise en évidence : la forte disette, sinon la famine, de 1719-1720 ? Du blé arrivait à Marseille par mer, mais une ville peut avoir des stocks de blé et souffrir de l’avidité de ses négociants et des trafiquants. Barbier était-il si mal renseigné lorsqu’il parlait de famine à Marseille et surtout du « mauvais blé qu’on y avait mangé »95 ?
32L’association de la sous-alimentation et de l’épidémie se révèle en tout cas fréquente au XVIIIe siècle encore, d’après des études récentes de démographie historique comme dans les réflexions des contemporains. Même s’il ne faut pas retenir cette seule cause dans le cas de Marseille et de la Provence en 1720, la faim reste encore l’un des facteurs importants de mortalité. On ne reparlera plus guère de la « peste » au sens restreint du terme dans la France du XVIIIe siècle ; mais des épidémies marquent encore la fin du siècle, par exemple lorsque la « fièvre pourprée » décime les Parisiens et que le nombre des morts passe brutalement de 750 000 en 1778 à 950 000 en 1779 pour la France entière96. Et, entre l’hiver terrible de 1709-1710 et les alertes encore graves des années 1779-1783, la population dans son ensemble n’est pas débarrassée de ces terribles épreuves. A partir de l’hiver long et rigoureux de 1739-1740, une crise profonde marque les années 1739- 174397. Une lettre que le curé de Bort adresse à l’intendant d’Auvergne dépeint l’état de détresse de ses paroissiens :
« Je voyois et vois une si affreuse misère dans ma parr., que vous aurez paine à croire cequ’on m’est venu raconter, et ne croyez pas que ces personnes soient suspectes. Ce sont les maris qui me viennent accuser leurs femmes de vouloir faire perir (leurs enfants) ne pouvant pas les norir, netant pas nouries ellesmemes et entendant crier et finir à vue d’oeuil leurs pauvres enfens. Ce sont des femmes qui accusent leur mari qui en abondannant leurs femmes chargées de 7 à 8 petits enfent leur ont conseillés de sauver les plus fort et laisser perir les autres. En effet si vous saviez la qualité et le peu de nourritures qu’ils prennent vous series surpris de les voir vivres, aussi ils n’ont que la peau colée sur les os et ils ne marchent presque plus, ils se traînent [...] Cette affreuse misère, cause bien encore de plus grand meaux, il s’est trouvé des femmes qui me sont venues dire quelles avoint surpris leurs marys assouvir leur passion brutalle avec des bettes, et leurs enfesans doucement des reproches ils ont répondu aussi brutallement qu’ils se comportoint ; qu’ils n’avoint que trop d’enfents, qu’ils travailloint jour et nuit, et qu’ils ne pouvoint pas les nourrir ny se nourir eux-même, il s’est trouve des maris qui me sont venus dire que leurs femmes setoint offertes pour avoir quelque chose pour se nourir et nourir leurs enfens. Voila, monsieur, dequoy j’ay les oreilles et les yeux repus tous les jours, et plut à dieu que j’eu dequoy a y remedier, Si j’avois pu vous parler moy mesme je vous en aurois dis davantage, mais je finis depeur de vous ennuyer par des si tristes recis et suis avec respec... »98
33Ce témoignage date du printemps 1740. En Bretagne, où une terrible épidémie dure toute l’année 1741 et fait 80 000 victimes99, un curé note dans son registre paroissial :
« Il est mort plus d’hommes de faim et de misère en 1743, que par le feu et les armes. »100
Buffon constate encore une poussée générale de mortalité très marquée en raison de l’hiver 1753-1754101. Mais les registres paroissiaux révèlent de nombreuses avances de la mort dans des régions diverses, suppléments locaux des grandes mortalités qui frappent tout le pays. Au Mesnil-Vigot, en Normandie, 1720, 1731, 1736, 1739 et surtout 1747 sont des années funestes102. D’autres épidémies meurtrières sont signalées en Bretagne en 1731, 1749-1750, 1751, 1756-1758, et 1764 encore103. F. Braudel mentionne « des centaines et des centaines de famines locales qui ne coïncident pay toujours avec ces fléaux d’ensemble ; ainsi dans le Maine, en 1739, 1752, 1770, 1785 »104. La lecture du Journal de Médecine révèle la persistance et la diversité des maladies épidémiques mortelles comme celle qui répand la « terreur » à Toulon et aux environs en 1761, mais qui frappe presque uniquement le peuple « réduit à une grande misère »105.
34Il est vrai que les « notables » ne laissent guère apparaître dans la littérature « publique » les témoignages de toutes ces souffrances quotidiennes dont meurt le petit peuple. Mis à part les médecins, les philosophes et les curés de campagne, rares sont ceux qui prennent souci des misères de cette foule innombrable : l’avocat Barbier, le marquis d’Argenson, le duc de Croÿ, quelques autres d’aventure, ont seuls conscience de son existence et de son existence précaire. Pour jeter quelque lumière sur l’état d’esprit de ces « notables », et des plus lucides, on peut lire une lettre que Montesquieu adresse au chevalier d’Aydie lors d’un séjour à Bordeaux ; il trouve dans cet hiver 1751- 1752 la ville « fort triste » :
« Je ne vous parlerai que de notre misère, qui est extrême, et telle qu’il me semble qu’il vaut mieux s’ennuyer que de se divertir devant des misérables. Je ne sais, ma foi, à quoi tout cela aboutira ; mais je sais que tous les lendemains sont pires et que cela vise à la dépopulation. Nous serons dépopulés, mon cher chevalier, et peut-être passerons-nous devant les autres. »
Mal en a pris au président de quitter Paris en un tel temps : il est réduit à des occupations utiles qui ne paraissent pas « amuser » son esprit autant qu’il conviendrait à un philosophe plein de l’amour de l’humanité :
« Vous chassez, et je plante des arbres, et je défriche des landes ; il faut s’amuser comme on peut. La ville de Bordeaux est fort triste et je ne tâte guère de ce séjour. »106
35On pressent au travers de ces lignes toute une atmosphère de défiance et d’inquiétude où vivent renfermés les privilégiés de la fortune : ils préfèrent se priver des distractions qui leur sont coutumières plutôt que de risquer des explosions de révolte chez les « misérables »
36En effet les « émotions » populaires et la criminalité endémique vont de pair avec la misère et l’obsession de la faim. Que le prix du pain vienne à monter un peu trop brutalement, et dans le peuple des journaliers et des ouvriers les plus pauvres c’est la faim, l’agitation, le pillage, qui troublent soudain un village, un faubourg, jusqu’à la répression qui s’abat impitoyablement107. On a précisément utilisé l’exemple de la Bretagne pour montrer comment une province plongée dans la misère devient d’une extraordinaire tolérance à l’égard des bandes de voleurs qui surgissent alors108.
37Si la police ne peut tout empêcher, elle réagit avec brutalité ; pour les juges la mort est un châtiment courant dès que survient une « émotion », même si elle n’a causé aucune victime. Or de telles séditions ne sont pas chose rare. Dans le Journal de Barbier quelques cas sont rapportés où les archers font de nombreux morts dans la foule109. Mais en général à Paris le lieutenant de police veille à éviter l’extension de tels troubles, avec un soin qui provoque cette réflexion perspicace de L.-S. Mercier : « Une émeute qui dégénèrerait en sédition est devenue moralement impossible » en raison de cette surveillance et de la facilité avec laquelle on peut soumettre les habitants par la famine ; pourtant « c’est peut-être parce que les émeutes sont rares à Paris qu’une émeute sérieuse (si toutefois elle pouvait avoir lieu) deviendrait d’une conséquence alarmante »110. Mais en province – ces lignes le sous-entendent – des mouvements populaires éclatent moins rarement ; et les troupes frappent avec rudesse. Les ouvriers ne peuvent protester contre les mauvaises conditions de leur travail ou de leur subsistance sans subir une rigoureuse répression. A Lyon, en mars 1745, elle s’abat même plusieurs mois après une grève des artisans en soierie qui avaient obtenu par une manifestation pacifique de n’être plus exploités aussi lourdement par les marchands ; la reprise en main par les troupes du comte de Lautrec a lieu dans une ville paisible ; deux « meneurs » sont pendus place des Terreaux111. Dans des circonstances plus dramatiques, à Rouen en avril 1752, l’agitation parmi les fileuses de coton est réprimée de façon sanglante112. En 1766, Horace Walpole remarque avec malice combien sont à la mode en France les mouvements populaires :
« Il y a eu des troubles à Bordeaux et à Toulouse à cause de la milice : dans cette dernière ville, vingt-sept personnes ont été tuées, mais cela est apaisé. Ces sortes de choses sont tellement en vogue que je m’étonne que les Français ne s’habillent pas à la révolte. »113
Bordeaux est même le théâtre d’une émeute singulière en 1784 : comme le lancement d’un aérostat ne peut y avoir lieu, la foule immense qui s’est rassemblée se révolte ; dans le désordre, il y a des morts ; les soldats interviennent ; deux des mutins arrêtés sont « pendus sur-le-champ »114.
38Les exécutions capitales représentent d’ailleurs un spectacle assez fréquent, car on applique à la rigueur le principe de l’exemplarité de la peine de mort. Les exécutions ont souvent lieu dans la région d’où les condamnés sont originaires, ou à proximité de l’endroit où le crime fut commis. Les brigands de Bretagne par exemple sont exécutés soit au siège du Parlement, à Rennes, soit au siège d’un présidial, à Hennebont, à Quimper, à Vannes, à Châteauneuf-du-Faou115, et l’on expose le corps de plusieurs d’entre eux dans leur village natal116. Que le lecteur ne s’étonne donc pas si sur quelque route de France le cheval de Jacques le Fataliste rencontre si fréquemment des fourches patibulaires117. Outre la justice royale, la justice seigneuriale en fait usage aux abords des « grands chemins » ; du moins les seigneurs « haut-justiciers » gardent-ils jalousement cette marque voyante de leur privilège qui les autorise à juger et même à punir de la peine de mort des crimes, pourvu qu’ils ne soient pas « cas royaux ». En vérité ces cas royaux sont fort nombreux ; depuis le crime de « lèse-majesté » et le « sacrilège avec effraction » jusqu’au meurtre de guet-apens et aux discours « séditieux », la justice royale a peu à peu évincé la justice seigneuriale ; mais les piliers des fourches patibulaires seigneuriales demeurent debout à travers la France, et les « haut-justiciers » restent nombreux en certaines provinces118. Les voleurs, qu’on punit de mort même dans le cas des voleurs domestiques depuis la déclaration du 4 mars 1724119, ressortissent des deux justices, royale et seigneuriale, de même que les auteurs de délits de chasse, théoriquement passibles de la peine de mort s’ils tuent un cerf.
« Croirait-on que c’est le bon, le magnanime, le généreux Henri IV, qui le premier a décerné la peine de mort contre les braconniers ? »120
Mais les braconniers, si l’on en croit L.-S. Mercier, sont très rarement jugés : le plus souvent ils tombent sous les coups des garde-chasse « et (chose épouvantable) ces meurtres restent impunis »121.
39Caen, Reims, Valence et Toulouse possèdent des tribunaux destinés à la répression de la contrebande conformément à la déclaration royale du 27 janvier 1733. C’est à Valence que Mandrin est roué en 1755. Le conte de Diderot, Les deux Amis de Bourbonne, nous apprend que le président du tribunal de Reims, Coleau, « l’âme la plus féroce que la nature ait encore formée », y multiplie les condamnations à mort. Au lecteur familier des contes de Diderot, il apparaît fort vraisemblable que ces exécutions de contrebandiers par centaines ne soient « pas un conte » et qu’elles aient pu à l’occasion soulever « la populace indignée » : c’est ce que confirment les archives locales122. Nous souhaiterions cependant qu’un historien de la criminalité mette à l’épreuve une accusation de Saint-Just, qui déclare que sous la royauté « l’on pendait par an quinze mille contrebandiers »123.
40C’est évidemment à Paris que les exécutions capitales sont les plus fréquentes. Leur nombre varie beaucoup au cours du siècle, et s’accroît entre 1760 et 1780 environ dans le ressort du Parlement de Paris qui s’étend sur un tiers de la France, jusqu’à Lyon. En 1768, un chroniqueur écrit que « la Grève n’a point désempli depuis quelque temps, et les supplices se sont succédé sans relâche »124. Diderot suppose que l’on condamne à mort vers 1770 environ trois cents personnes par an dans toute la France125. Mais tous les arrêts ne sont pas exécutés126. Le Journal de Mathieu Marais, celui de Barbier, relatent parfois longuement les circonstances de ces exécutions que recherchent aussi bien « les dames les plus jolies » que la « vile populace »127. Selon la nature du crime on pend, on roue, on brûle ou – pour le crime de lèse-majesté – on écartèle. La décollation reste le privilège des personnes nobles car cette peine n’est pas réputée « infamante » ; pour les roturiers le supplice habituel consiste en la pendaison128. Plus rares que celle-là, les supplices par le feu et par la roue attirent la foule, moins cependant que la décollation, car l’assistance y observe l’art du bourreau129.
41Lorqu’il décolle un exempt criminel quelque peu gentilhomme, en 1737, la fonction de la victime et l’adresse du bourreau suscitent une particulière curiosité :
« Comme depuis longtemps il n’y avait point eu de tête coupée, il y avait un monde étonnant, tant aux fenêtres que dans la rue [...] Le bourreau l’a décollée parfaitement d’un seul coup ; il a pris la tête et l’a montrée, et tout le peuple a claqué des mains pour lui faire compliment de son adresse. »130
42Cette exécution a eu lieu, non pas en Grève, mais – pour la dernière fois – à la Croix du Trahoir, au coin de la rue de l’Arbre-Sec et de la rue Saint-Honoré, où le promeneur peut d’ailleurs voir installées en permanence des fourches patibulaires131. C’est encore en un autre quartier, « dans la grand’rue du faubourg Saint-Antoine », que les émeutiers de 1725 ont subi leur peine sur les lieux mêmes132. D’autre part – est-ce pour rendre ces spectacles plus saisissants ? – les exécutions comme les convois funèbres se déroulent souvent à Paris une fois la nuit tombée, « aux flambeaux »133. Les colporteurs ont crié au long des rues la sentence, « qui condamne un assassineur. Cet horrible barbarisme est de leur invention ; mais il frappe plus vivement les organes du peuple que le mot assassin »134.
43Un autre moyen de frapper les esprits semble exploité parfois par les autorités : c’est l’usage des complaintes dans lesquelles sont relatés « lamentablement » le crime et « ignominieusement » son châtiment. L.-S. Mercier nous dit qu’elles sont composées par « les chanteurs du Pont-Neuf » pour retentir dans tous les carrefours135. Mais il est plus piquant d’apprendre que ces complaintes populaires peuvent naître sur la commande de la police elle-même : c’est du moins ce qu’affirment les Mémoires secrets à l’occasion du supplice de Desrues en 1777 :
« Les chambres à la Grève se louaient fort cher. On n’a pas manqué de le graver, et l’on vend son portrait. La police a fait faire aussi des chansons, où est relatée cette monstrueuse histoire. »136
44On a rappelé que le vol et le braconnage peuvent être punis de mort. N’oublions pas qu’en effet le nombre des « crimes » passibles de la peine capitale est considérable : outre les actes qui portent atteinte à la majesté royale, à la sécurité du royaume ou des personnes, la sodomie, le sacrilège, la prédication de la religion réformée font entre autres l’objet de verdicts de mort, assortis parfois de supplices annexes. Et tout cela n’est pas d’une application incertaine137. Il faut se souvenir que des pasteurs sont pendus à Montpellier, à Nîmes, à Toulouse dans les années 1719, 1728, 1739, 1742, 1745, 1746, 1752, 1754 ; et encore en 1762 on exécute Elie Rochette et les trois frères Grenier l’année même où Calas est roué vif138. En 1758, d’autre part, on pend un huissier des requêtes « auteur de propos séditieux et attentatoires à l’autorité royale », qui avait osé critiquer le gouvernement et le Roi à propos du procès de Damiens139. Il n’est pas nécessaire d’évoquer plus longuement les affaires célèbres du siècle. Un juriste a rappelé qu’en considération de la législation du temps, Voltaire n’était pas fondé à attaquer juridiquement le procès fait au chevalier de La Barre : les lois étant telles alors, la procédure et le jugement demeuraient inattaquables sous cet aspect du moins140.
45Sans doute les gens de bonne compagnie n’avaient-il guère l’occasion de risquer la mort pour ces diverses raisons. Catholiques de croyance ou de bienséance, fidèles sujets de Sa Majesté, honnêtes gens aux mœurs régulières étaient après tout le plus grand nombre parmi les nobles, les « officiers », les bourgeois vivant noblement, les bourgeois de toutes sortes, ou les « viles personnes du menu peuple ». Mais, outre le spectacle de la rue, les accidents de la vie quotidienne pouvaient leur faire affronter la mort à l’improviste, avec une brutalité que nous ne connaisssons pas tout à fait. Seuls les accidents de la circulation, souvent mentionnés par des moralistes, représentaient de moindres risques que de nos jours ; pourtant vers la fin du siècle, L.-S. Mercier revient à plusieurs reprises sur le danger d’être « moulu sur le pavé » par un carrosse ou par un « haut cabriolet » :
« Un whiski, le jour de Pâques 1788, a écrasé, en un clin d’œil, une femme et un prêtre. J’ai été témoin de l’affreux accident [...] La capitale est déshonorée par cette indifférence pour la vie des citoyens. »141
46Au reste, l’insécurité tient plutôt aux mauvaises rencontres du soir ou de la nuit. Paris, malgré ses archers et le guet, n’est pas une ville constamment très sûre. Le Journal de Police, à la date du 7 octobre 1742, rapporte que l’inquiétude règne dans le public à la suite d’une série d’assassinats ; les mesures prises contre les mendiants au cours du siècle visent à limiter la présence de gens sans aveu que la capitale attire, surtout dans les périodes de misère comme c’est le cas à cette date142.
47D’autre part, dans la foule les mouvements désordonnés et les brutalités inattendues sont à l’origine de très graves accidents. On a parlé des bousculades mortelles de la rue Vivienne, en juillet 1720, à l’époque où les agioteurs se précipitaient dans les jardins du Palais Mazarin pour accéder aux bureaux de la banque ; des morts, étouffés par la presse, sont dénombrés chaque jour, seize le 17 juillet143. Beaucoup plus terrible est la bousculade du 30 mai 1770 à la suite du feu d’artifice tiré en l’honneur du mariage du Dauphin et de la Dauphine Marie-Antoinette. Les documents abondent sur les causes et les conséquences de cette tragique mêlée qui « coûta la vie à plus de douze cents infortunés », d’après L.-S. Mercier, témoin occulaire144. Robert Mandrou met en relief la violence soudaine, l’émotivité brutale de la foule145. Mais il faut bien entendre que ce comportement est aussi le fait de ceux qui, dans la multitude, prétendent représenter une aristocratie de l’éducation comme de la naissance. Diderot, dans une lettre à l’abbé Galiani qu’il écrit quelques jours après cette catastrophe, parle « des grands seigneurs, élançant leurs chevaux et leurs équipages tout au travers de cette multitude »146 et il s’accorde à peu près avec le récit publié dans les Mémoires Secrets :
« Des gens oppressés mettant l’épée à la main pour se faire jour ont occasionné une boucherie effroyable. »147
Mme d’Epinay dit : « Paris ressemble au lendemain d’une bataille » et les Mémoires Secrets : « Ce spectacle était plutôt l’idée d’une ville assiégée que d’une fête de mariage. »148
48D’autres accidents tournent à la catastrophe durant le siècle. A vrai dire, le nombre des morts n’est pas toujours une mesure suffisante de leur gravité, mais ils frappent les esprits et peuvent rappeler combien est précaire la vie dans une grande cité. Ainsi de l’incendie qui ravagea la ville de Rennes pendant six jours et six nuits, causa plusieurs morts et « réduisit en cendre la plus grande partie de cette belle ville » entre le 22 et le 27 décembre 1720149. Ainsi encore des incendies de l’Hôtel-Dieu à Paris, du 1er août 1737 et du 30 décembre 1772.
« On n’a pu savoir au juste le nombre des malheureux qui, dans ce dernier désastre, ont péri, étouffés dans les flammes... Mais il paraît qu’il n’y a guère eu moins de douze à quinze cents victimes. »150
49L’Opéra aussi brûle le 8 juin 1781, et il y périt 21 personnes : danseurs, danseuses, machinistes et pompiers151.
50Quant à cette variété particulière d’accident qu’est le duel, il pourrait passer pour une éventualité très improbable après les mesures répressives instituées au XVIIe siècle. Parmi les motifs de chanter la gloire de Louis XIV, La Motte retient celui-ci : « les sanglants duels abolis »152, et Prévost souligne en diverses occasions « la rigueur inflexible de la justice contre les duels »153. Quelques années avant la chute de l’Ancien Régime, l’auteur du Code des Seigneurs hauts-justiciers et féodaux (1786) peut écrire avec satisfaction :
« Les édits et déclarations défendent les duels sous peine de mort et de confiscation des biens ; ces peines s’encourent par le seul fait, quand même ni l’agresseur, ni l’attaqué ne seraient ou tués ou blessés. Nous vivons dans un siècle où heureusement la raison, plus éclairée et plus dépouillée des préjugés du faux point d’honneur, facilite l’exécution de cette défense. »154
Plus exactement il semble à Louis-Sébastien Mercier que le duel s’est encanaillé et qu’il est « descendu » de « notre orgueilleuse noblesse » à la bourgeoisie, pour être « relégué maintenant parmi les soldats aux Gardes » : les garnisons demeurent « son dernier asile »155. Cela ne signifie pas qu’il soit devenu moins rare au total. Même parmi la noblesse, la chronique nous apprend de temps à autre que telle rencontre s’est terminée par mort d’homme156, et l’on sait avec quelles précautions les familles s’emploient à cacher ou à déguiser en accident les rencontres mortelles157, de crainte sans doute qu’un jugement n’entame le patrimoine par la confiscation des biens du duelliste.
51Si le duel apparaît en régression, des esprits malicieux comme Montesquieu et le marquis d’Argenson n’ont pas tardé à chuchoter que ce n’est pas par respect des lois ou par crainte de la justice, mais pour une cause peu honorable : les Français sont « devenus un peu poltrons »158. Personne ne songe pourtant à se démunir de son épée :
« En vain plus d’une loi nous défend la vengeance ;
Le fer nous suit toujours, et pour nous, dès l’enfance
L’instrument du courroux devient un ornement
Que le faible vieillard traîne encor follement.
Que fait-il entre amis, cet ornement funeste ?
Il attend l’imprudence ou d’un mot ou d’un geste. »159
Et même si l’on observe à la fin du siècle une évolution de la mode – les élégants jouant désormais d’une canne ou d’une « badine »160 –, c’est alors que se répand un nouvel usage dont la « férocité » revêt une « forme plus rare, mais cent fois plus odieuse » : le duel au pistolet, arme réservée jusqu’alors aux bandits de grands chemins ; ou même, – et le moraliste se voile la face – les adversaires s’affrontent au fusil, « le fusil qui sert dans nos forêts à tuer le sanglier dévastateur et le loup carnassier »161.
52Somme toute les risques de périr en duel n’ont pas disparu comme quelques optimistes le prétendent. Encouragé par la scandaleuse rencontre qui oppose en 1778 le propre frère du roi, le comte d’Artois, et le duc de Bourbon162, cet usage « barbare » continue à susciter une réprobation qui nourrit – comme on le verra – les controverses entre chrétiens et philosophes.
53Il est nécessaire de situer dans l’arrière-plan cet ensemble de faits hétéroclites pour parvenir à une vision plus exacte du siècle. Au risque de glisser vers l’anecdote, on a besoin de garder à l’esprit toutes ces manifestations de la mort dans la vie de ce siècle. Si frivoles que soient certains comportements, ils prennent place sur un fond de deuils, de crimes, de catastrophes, de « mortalités » qui concernent en somme aussi bien les privilégiés que les « gens de néant », aussi bien les citadins et les courtisans que les habitants des campagnes. Les ravages de la petite vérole et les famines touchent davantage les Français durant les premières décennies jusque vers 1743 ; mais des « émotions » populaires, des catastrophes, des accès d’épidémies, des famines locales continuent à marquer le siècle jusqu’à la Révolution au point que la population cesse de croître de 1779 à 1787163.
54Mais en somme la population ne s’est-elle pas accrue globalement durant le siècle ? Elle a progressé de moins de vingt millions d’habitants vers 1695-1700 à environ vingt-cinq millions à la veille de la Révolution164. Au total on ne peut sous-estimer le progrès de la vie que les statistiques rendent sensible. Pourtant il importe de ne pas se faire une idée massive du siècle.
« En gros, on discerne une bonne période (1743-1778), encadrée par deux mauvaises (1701-1742 et 1779-1789), mais la réalité régionale est certainement plus complexe. En tout cas, il n’y a pas de progrès continu. »165
55D’autre part, c’est durant la « bonne période » décelée par les démographes modernes que se situent presque totalement les années de guerre ; la guerre de Succession d’Autriche (1741-1748) et la guerre de Sept Ans (1756-1763). Ces longs conflits coûtent cher en vies humaines, même et surtout les victoires comme Fontenoy166. On continue parfois à « faire main basse » sur son ennemi vaincu, c’est-à-dire à ne pas lui faire de quartier167. Barbier note dans son Journal, sans aucun commentaire, qu’après la prise de Berg-op-Zoom, les Français « ont passé au fil de l’épée plus de trois mille hommes [...] Ils ont massacré, violé, pillé la ville »168. La correspondance de Voltaire durant les années 1757-1763 aide à prendre une bonne mesure de cette « boucherie » que fut la guerre de Sept Ans. Sismondi évalue à 200 000 hommes les pertes du côté des Français, sur 850 000 victimes au total169. Les maladies, les épidémies et l’incurie ont joué un rôle souvent plus efficace que la mitraille : durant la campagne de Prusse de 1757-1758, le marquis de Valfons a vu de tels ravages :
« Ces beaux bataillons victorieux trois mois auparavant disparaissaient sans secours sous la pelle des fossoyeurs ou dans les hôpitaux. Nous perdions jusqu’à quatre cents hommes par jour. »170
Les prisonniers entassés dans les prisons anglaises – si l’on accepte le témoignage d’un des personnages de Diderot, dans Le Fils Naturel –, ne sont, au fond de locaux infects, qu’un « amas de morts et de mourants »171. Et les déserteurs sont si nombreux qu’il faut appliquer à la rigueur la peine de mort établie contre eux depuis 1717172.
56Malgré cela, durant tout le siècle, et quelque cruelles que fussent ces deux guerres européennes, la France garde un inappréciable avantage. Tandis que son territoire avait été maintes foi envahi et dévasté à la fin du règne de Louis XIV, les hostilités se déroulent au XVIIIe siècle sur le territoire de ses ennemis ou de ses alliés. Vauvenargues a certes raison de montrer de l’inquiétude pour sa chère Provence quand les Autrichiens franchissent le Var à la fin de 1746 et commencent à ravager le pays. Il écrit de Paris à un ami :
« Je suis touché, au delà de toute expression, des peintures que vous m’avez faites des misères de notre pays ; il se ressentira longtemps des désordres de la guerre. »173
L’alerte est chaude, mais elle est brève, et finalement peu de vies humaines y sont sacrifiées. Durant toute la guerre suivante, malgré les défaites subies, la France ne sera jamais envahie et échappera aux atrocités habituelles. C’est là surtout qu’apparaît le grand progrès pour les populations de notre pays, progrès mieux perçu sans doute que la régression des grandes mortalités générales après 1743. Nous savons bien qu’un peuple dont le territoire et la population n’ont pas souffert directement des hostilités peut rester longtemps indifférent aux souffrances et aux pertes de ses armées. Si l’on compare ses lettres à celles de ses contemporains « welches », « le Suisse Voltaire » se révèle infiniment plus qu’eux compatissant aux malheurs de la guerre, « tandis qu’on s’égorge depuis le lac des Puants jusqu’à l’Oder, et qu’on teint de sang la terre et les mers »174. C’est à peine exagérer que de dire de ces deux guerres, querelles de princes, qu’elles n’ont pas « intéressé » les Français175.
57Nous retrouvons là, mais pour un motif inverse, l’indifférence des hommes du siècle à l’égard de la mort. Sur ce point, elle est sans doute l’expression d’un immense soulagement, après les misères et les deuils accumulés en trente années de guerre presque incessantes sous le règne de Louis le Grand. Louix XV reste une figure de roi pacifique, celui que chantait Gresset dans la première de ses Odes176, le roi qui ne combat que s’il y est contraint par ses ennemis, celui que Voltaire célèbre pour sa magnanimité parce qu’après chacune de ses campagnes victorieuses il offre la paix à l’adversaire et qu’il se refuse encore à s’adjuger des conquêtes en 1748 au traité d’Aix-la-Chapelle177. A l’origine de la guerre de Sept Ans, Louix XV est le souverain qui « demande justice » aux Anglais, alors qu’ils ont sans déclaration de guerre saisi des centaines de navires marchands et attaqué nos troupes au Canada. Il apparaît comme l’antithèse de Louis XIV, comme le montre le bilan dressé par l’abbé de Véri peu après 1774 :
« Aucune guerre civile n’avait versé le sang des citoyens, aucun motif de factions parmi les riches citoyens, ou aucun motif de religion (si l’on excepte quelques prédicants étrangers et obscurs) n’ont mis les Français sous les mains des bourreaux pendant cinquante-neuf ans. Nulle époque de la monarchie ne nous présente une paix aussi longue. Pendant la même époque les trois guerres étrangères (même la dernière moins honorable) n’ont point vu les armées ennemies dans l’intérieur de nos frontières. Le peuple n’en a senti la dureté que par les recrues et par l’argent. Ce dernier avantage est commun aux guerres de Louis XIV. Qu’on lise les histoires et qu’on compare les temps. »178
58Mourir reste cependant très facile au XVIIIe siècle. Cela est inscrit sur les tables de mortalité établies dans la seconde moitié du siècle. Voilà sans doute ce qui permet de comprendre l’apparente désinvolture ou la brutalité dont tant d’hommes font preuve en face de leur mort et de celle d’autrui. C’est un phénomène d’accoutumance, d’endurcissement, que rendent nécessaires les conditions en somme précaires de survie dans une société si vulnérable encore. De plus, les morts princières comme celles des criminels dénaturent la réaction des hommes, qui tendent à transformer ces rites sociaux en purs spectacles, sous les flambeaux. On vit au contact de la mort infiniment plus que les hommes du XXe siècle, malgré leurs cancers, leurs infarctus et leurs automobiles ; mais on n’y songe guère plus au fil des jours.
59Parfois les esprits s’échauffent sur les circonstances bizarres d’une mort, d’une épidémie... L’irrationnel surgit soudain. Accusations, méfiances utilisent le vieux fond de superstitions ataviques. Et l’on voit alors que la mort reste associée à l’idée d’un accident provoqué par une volonté maléfique. Ainsi les bruits concernant les prétendus empoisonnements se perpétuent jusqu’aux dernières années du siècle179. On a déjà remarqué qu’à Versailles, l’abbé de Véri, l’historiographe Duclos et l’un des familiers de la reine, le duc de Luynes, entendaient encore évoquer de tels « souvenirs » au sujet des morts successives qui avaient frappé la famille de Louis XIV. Des rumeurs du même genre naissent aussi bien au XVIIIe siècle. Quand le Dauphin et la Dauphine se succèdent rapidement dans le tombeau, en 1765, la similitude des circonstances peut expliquer l’hypothèse, aussitôt lancée et recueillie par quelques mémorialistes. Marmontel prend l’air profond du détenteur d’un secret d’Etat pour laisser entendre dans quelles conditions mélodramatiques le prince et la princesse seraient morts, selon des confidences d’une de leurs intimes, Mme de Chalut, dont la vie fut riche en chagrins de toutes sortes :
« Elle en eut un dont l’horreur est inexprimable : ce fut de voir ses anciens maîtres, ses bienfaiteurs, ses amis, le Dauphin, la Dauphine, frappés en même temps comme d’une invisible main, et, consumés de ce qu’elle appelait un poison lent, se flétrir, sécher et s’éteindre. Ce fut moi qui reçus ses regrets sur cette mort lente. Elle y mêlait des confidences qu’elle n’a faites qu’à moi seul, et dont le secret me suivra dans le silence du tombeau. »180
Sans doute voulait-il faire allusion à un bruit que d’autres mémorialistes ont démenti de façon catégorique et convaincante ; une prétendue responsabilité de Choiseul dans la mort du père de Louis XVI, mort qu’on attribuait au poison. Moreau, qui n’aimait pas Choiseul, et qui parle avec une affection fervente du Dauphin, ne retient pas cette hypothèse181. Mme Campan la dément et rappelle les arguments établissant que les causes de cette mort étaient naturelles, comme le confirme de façon indubitable Sénac de Meilhan, fils du premier médecin du roi182.
60Dans l’entourage de Louis XV, d’autres rumeurs d’empoisonnement circulent, par exemple à la mort de son valet de chambre Le Bel183, et, déjà, quand sa maîtresse, la duchesse de Chateauroux, était morte subitement en 1744 après avoir reçu la visite de Maurepas : venu sur l’ordre du roi annoncer à la duchesse – qu’il détestait – son rappel à la cour, il fut aussitôt suspecté malgré sa réputation d’homme frivole et incapable de grands crimes comme de grandes actions184. De même, en 1774, quand meurt le pape Clément XIV qui a supprimé l’ordre des Jésuites l’année précédente, on trouve suspecte en France cette disparition qui semble résulter d’une vengeance :
« Le pape est mort et d’une maladie qui donne d’affreux soupçons »,
écrit Mademoiselle de Lespinasse185, tant il paraît naturel de donner à la mort soudaine d’un grand une cause clandestine.
61Voltaire est bien l’un des rares esprits assez libres pour déclarer : « Répétons des vérités utiles. Il y a toujours eu moins d’empoisonnements qu’on ne l’a dit »186. Au contraire le marquis d’Argenson ne manque pas de faire écho dans ses Mémoires à de tels bruits, qu’ils concernent la Cour ou la Ville, ou les démêlés des jansénistes et des jésuites187. L’exemple limite que donne le Roi lui-même est à la fois révélateur d’une mentalité et, vraisemblablement, cause efficace de sa persistance. Selon l’abbé de Véri, qui paraît un témoin digne de foi, Louis XV supposait a priori les effets du poison :
« Il est probable qu’il a cru que le Dauphin son fils avait été empoisonné ; il imagina la même chose de la Reine pour laquelle il conseilla du contre-poison. Dans d’autres circonstances, il ajouta foi à des soupçons sur Mme de Chateauroux et à d’autres soupçons que le public rejetait avec mépris. Il a porté ce soupçon sur des gens de très bas étage, dont il a voulu voir le procès-verbal d’ouverture du cadavre. »188
62Encore l’empoisonnement politique peut-il passer pour une réalité claire et distincte, qu’on a le droit d’inclure dans une vision rationnelle des conflits de puissance comme un élément d’une tactique. La méfiance, qui donne son énergie à l’hypothèse, toute gratuite et inconstitante qu’elle peut être, maintient alors l’esprit dans le champ du vraisemblable. Mais quelles commodités offrent la magie et la sorcellerie à des esprits en quête d’une explication péremptoire ! La mentalité superstitieuse se nourrit du besoin de causes nettement circonscrites. C’est ainsi qu’un médecin qui se livre à des études anatomiques sème la terreur en mars 1734 parmi les habitants de son quartier189 ; le peuple se passionne en 1745 pour l’histoire d’un sort jeté sur des femmes allemandes par un prêtre, qui, trompé, ne fait de victimes que parmi les vaches190 ; comme les petites filles qui apprennent le catéchisme dans le cimetière de Saint-Eustache sont incommodées, on incrimine en mars 1749 une prétendue sorcière empoisonneuse191. Qui ne connaît cette sombre légende créée autour de la « bête du Gévaudan » ? Elle dévore une cinquantaine de personnes, affirme-t-on, de 1764 à 1767. La vérité, moins monstrueuse, n’était pas moins terrible : il semble que l’on ait attribué à une bête unique les ravages suffisamment atroces causés par une portée de gigantesques loups : une réalité toute médiévale mais encore actuelle en France devenait une fantasmagorie192. Comment s’en étonner ? Dans son ouvrage sur Les Lois criminelles de France dans leur ordre naturel, Muyart de Vouglans ne juge-t-il pas nécessaire en 1780 de mettre en garde ses lecteurs contre ceux qui sapent toute croyance à la magie et aux sortilèges ? Il déplore sans doute que les tribunaux soient de moins en moins souvent appelés à connaître des cas d’envoûtements, de maléfices et de possessions193. Cela ne signifie pas que les aventures de cette sorte aient perdu de leur intérêt ni de leur vraisemblance dans le public, puisqu’on lui offre en 1759, 1766 et 1781 une histoire des rois de France où sont présentés les présages sinistres qui ont annoncé l’assassinat de Henri IV : éclipses de lune et de soleil entre 1604 et 1610, foudre s’abattant sur Notre-Dame de Paris, inondations, comètes et tremblements de terre194. Tout naturellement les rêves prennent valeur de signes irrécusables : la Cour, en 1739, est remplie de songes prémonitoires195, et à la fin du siècle le prince de Ligne fait encore état d’un rêve de ce genre à propos de la mort de son fils196.
63Que la nouvelle malencontreuse d’un futur passage de comète au voisinage de la terre produise une panique générale, cela ne peut étonner dans un tel climat : c’est ainsi qu’après diverses alertes au long du siècle – en 1736, 1742, 1769197 – un mémoire de Lalande, qui ne fut finalement pas présenté devant l’Académie des Sciences, se trouva interprété en 1773 comme l’annonce d’une catastrophe imminente. « L’alarme fut universelle », déclare L.-S. Mercier198 ; du moins les auteurs des Mémoires secrets ont-ils remarqué ses effets sur les femmes199 et sur les dévots :
« La fermentation a été telle que des dévots, aussi ignares qu’imbéciles, sollicitaient M. l’archevêque de faire des prières de quarante heures pour détourner l’énorme déluge dont on était menacé et ce prélat était à la veille d’ordonner ces prières, si des académiciens ne lui eussent fait sentir le ridicule de sa démarche. Le faux énoncé de la Gazette de France du vendredi 7 mai a produit un mauvais effet, en ce qu’il a fait présumer que le mémoire de l’astronome devait contenir des vérités terribles, puisqu’on les déguisait aussi évidemment. »200
Les curieux assiègent le domicile du savant : les confessionnaux se remplissent ; des jouisseurs se hâtent ; une Epitre sur les Comètes paraît ; des curés disent en chaire que la menace n’est que pour 1790 ; l’Académie des Sciences, sollicitée par le gouvernement de faire une déclaration publique, préfère éviter de publier un démenti qui, ne pouvant être scientifiquement absolu, risquerait d’entretenir la panique201. L’alarme a été chaude, mais les esprits excités reprennent bientôt leur tranquillité jusqu’à l’alarme suivante en 1778202. Au milieu de ces frayeurs, personne ne paraît se souvenir d’avoir lu les Pensées sur la Comète, excepté Voltaire qui observe en riant203.
64Les hommes de ce siècle n’avaient pas connu de terreur semblable depuis le grand événement qui ne fit pas rire Voltaire : le tremblement de terre de Lisbonne, le 1er novembre 1755. On s’est parfois demandé pour quels motifs le cataclysme provoqua un bouleversement aussi profond dans les esprits. Ces motifs sont très divers, et leur exceptionnelle variété a permis de toucher des hommes et des femmes qui représentaient à peu près toutes les mentalités, toutes les formes de pensée au sein de la société française. Sans reprendre dans son ensemble l’étude des documents qui permettent de mesurer le retentissement de cette catastrophe, il est possible de rassembler quelques remarques, en n’omettant pas les nombreux renseignements fournis par les Mémoires du duc de Luynes.
65Assurément ce séisme n’était pas le premier qu’eût connu le XVIIIe siècle. M. Besterman a fait remarquer qu’aucun commentaire n’avait accompagné la nouvelle du tremblement de terre qui ravagea l’île de Cythère en 1750 et fit deux mille victimes204. Mais nous avons trop commodément pris l’habitude de relier le désastre de Lisbonne au nom de Voltaire à cause de son Poème et de Candide. La première nouvelle de la destruction de Lisbonne apparaît dans les Mémoires du duc de Luynes à la date du 18 novembre 1755 : la Cour de France a reçu cette nouvelle la veille, seize jours après la catastrophe. Les premières informations sont terrifiantes. La ville « vient d’être détruite presque entièrement en une nuit »205 ; une lettre de Madrid ajoute même que « cette florissante ville est ruinée de fond en comble »206. Quand Voltaire fait état de la nouvelle le 24 novembre207, il doit la tenir de la même source et au même moment que Jean-Louis du Pan et les autres Genevois, car il est aux Délices. Les deux hommes précisent que le nombre des victimes est évalué à cent mille, et Du Pan dit que Lisbonne est détruite « pour les huit neuvièmes »208. Ainsi le premier effet de cette nouvelle est aggravé par l’exagération involontaire de l’information : les habitants des grandes villes peuvent imaginer ce qu’aurait produit le même phénomène sur une autre capitale « florissante » de l’Europe. Plus tard, les estimations s’abaisseront à des chiffres qui oscillent entre 8 000 et 50 000 morts, ce qui reste très considérable. Il y eut 20 000 victimes environ209.
66Mais les premières informations présentent un autre caractère alarmant que la suite ne fait que confirmer. Les secousses ont été ressenties en de nombreux pays et ont causé dégâts et victimes en diverses villes. Le duc de Luynes dit que « ce tremblement s’est fait sentir à Madrid [...] le même jour à Bayonne et même jusqu’à Bordeaux » ; Cadix et Séville sont frappées comme Lisbonne210. En France, on a ressenti la secousse « sur toute la côte de l’océan » :
« La Loire s’est débordée et a emporté une partie des ponts de Tours. Les eaux du Rhône se sont étendues jusqu’à une lieue et demie hors de leur lit. A Auxonne, les cloches ont sonné sans que personne y touchât ; l’on a cru s’apercevoir du tremblement même jusqu’à Dijon. »211
67De plus, le phénomène se prolonge et l’on apprend que des régions très éloignées en Europe, en Afrique et en Amérique subissent ses effets, catastrophiques ou bénins. Rotterdam a été atteinte212, Fez et « Méquinez » ont été ravagées ; la terre tremble encore le 15 novembre à Villaréal, le 27 à Malaga213 ; Voltaire écrit le 10 décembre à son banquier et commissionnaire lyonnais, Jean-Robert Tronchin, qu’une légère secousse vient d’ébranler Genève :
« Nous avons été honorés d’un petit tremblement de terre. Nous en sommes quitte pour une bouteille de vin muscat qui est tombée d’une table et qui a payé pour tout le territoire. »214
Voltaire plaisante, mais il compare « le meilleur des mondes possibles » à une « mine »215. Le 21 décembre, Lisbonne subit une nouvelle secousse216. Même le château de l’aimable duchesse de Saxe-Gotha qui entretient Voltaire de son incorrigible optimisme n’est pas épargné : dans une lettre de février 1756, elle remercie « la divine Providence » d’avoir rendu anodine « une secousse de la terre qui nous a fait trembler tout bas dans le château »217. A Versailles même, le duc de Luynes note au début de mars :
« J’ai toujours oublié de parler du tremblement de terre qui se fit sentir ici le 18 février au matin. [...] Dans d’autres lieux du royaume où l’on n’a point senti de tremblement de terre, il y a eu des vents impétueux qui même ont fait du désordre. La cathédrale de Bourges a été endommagée. »218
68Le 18 février également la terre tremble par trois fois à Reims, à Châlons, à Vitry219. Dans le Beauvaisis, des secousses sont ressenties à diverses reprises entre cette date et le 30 mai220. En avril on apprend de Buenos-Aires le détail de la destruction de Quito : « C’est bien pis qu’à Lisbonne », écrit Voltaire221. Or, à Lisbonne la terre tremble de nouveau en mai222, ainsi qu’à Paris223.
69Il est vrai qu’à cette date Barbier peut remarquer que les Parisiens ont repris leur sérénité :
« Quoique cela dût naturellement en faire craindre quelque autre, on n’en est pas plus étonné ; on va tout également aux spectacles et à la promenade. »224
Mais sa formule restrictive prouve que pour son compte il n’est pas aussi insensible à la menace ; « naturellement » 1756 lui paraît redoutable. De même, Voltaire se convainc que « notre globe est une mine » au moment où les préparatifs de guerre commencent à mettre l’Europe en émoi225.
70Car la catastrophe apparaît bientôt comme l’origine d’une série d’autres catastrophes à ceux-là même qui ne vont pas jusqu’à parler d’un présage de « fin du monde »226. Dès les premières réflexions sur la destruction de Lisbonne, des regrets sur les pertes subies par les négociants se mêlent à l’apitoiement sur les victimes. C’est d’abord à Jean-Robert Tronchin que Voltaire écrit dès qu’il a appris la nouvelle ; il évoque « des familles ruinées aux bouts de l’Europe, la fortune de cent commerçants de votre patrie abîmée dans les ruines de Lisbonne »227. Telle est aussi la remarque du duc de Luynes, le 8 décembre 1755 :
« Le désastre arrivé à Lisbonne cause ici une tristesse incroyable parmi les négociants. »228
La semaine suivante, les réactions premières dominées par des esprits positifs, on estime mieux la situation :
« Ce tragique événement n’a point fait directement un grand tort au commerce de France ; mais il a influé sur le commerce de toute l’Europe et sûrement beaucoup sur celui de l’Angleterre. Les Anglais y ont perdu considérablement, malgré tout ce que l’ambassadeur d’Angleterre a cherché à répandre dans le public. »229
Comme pour l’estimation des victimes, il faut compter avec une exagération initiale ; l’impression première a accentué l’aspect catastrophique de l’événement parmi les gens de finance et de négoce, à Paris comme à Genève.
71Plus tard, on songera au désastre de Lisbonne comme au premier des fléaux qui marquent les années 1755-1763 :
« Les malheurs nouveaux de l’Europe semblèrent être annoncés par des tremblements de terre »
écrit Voltaire230 ; et Le Brun, dans une ode Au Soleil, sur les Malheurs de la terre, depuis le désastre de Lisbonne, en 1755, relie à ce désastre, auquel il avait déjà consacré quelques strophes, non seulement la guerre, mais les attentats de 1757 contre le roi de France et de 1758 contre le roi du Portugal231.
72Qu’on ne donne donc pas au Poème de Voltaire un rôle plus important qu’il ne convient. L’opinion publique avait été assez ébranlée par l’événement lui-même et par ses prolongements. De plus il n’est pas nécessaire de rappeler toutes les dissertations et les supputations qu’il fit naître232 et dont certaines attirèrent d’ailleurs la réponse de Voltaire, scandalisé par leur implacable optimisme. Pour que le Poème sur le Désastre de Lisbonne fût si souvent réédité et si rapidement durant toute l’année 1756233, ne fallait-il pas que le public se trouvât préparé à faire son succès ? Si la terre n’avait pas tremblé à Bordeaux, à Lyon, à Reims, à Paris et quelque peu à Versailles en même temps qu’à Lisbonne et en Afrique, si les négociants et le peuple de Paris, le duc de Luynes et l’avocat Barbier n’avaient pas partagé la même crainte, Voltaire aurait-il rencontré une telle audience ? Dans un peuple encore marqué par la fréquentation assidue de la mort, la menace d’un cataclysme général était nécessaire pour faire de Lisbonne le lieu pathétique d’un « désastre ».
73Dès le mois de décembre 1755, Barbier avait bien pressenti que ce désastre ferait couler beaucoup d’encre, lorsqu’il le présentait aussitôt comme un « événement terrible dans la nature, embarrassant pour les physiciens, humiliant pour les théologiens... »234. Physiciens et philosophes s’embarrassèrent dans leurs interprétations et leurs controverses. Mais quels théologiens pouvaient être humiliés par un événement funeste ? Dans ce siècle où l’on a vu les hommes ne sortir de l’insouciance que pour s’abandonner quelque temps à la terreur quand la mort familière revêt soudain une apparence insolite, la plupart des représentants de la pensée chrétienne étaient installés dans une véritable exploitation de la mort. Ils considéraient les fléaux comme leurs collaborateurs naturels, comme les instruments de la volonté divine dont ils s’étaient constitués en porte-parole infaillibles. Et leur rôle, au milieu d’une société à tel point investie par la mort, était d’aviver le sentiment de sa présence et de sa puissance dans le cœur des hommes trop accoutumés à la fréquenter, ou bien de capter et de convertir les terreurs naturelles. L’Eglise, alliée de la mort, s’offrait d’elle-même aux coups de ceux qui prenaient le parti de la vie.
Notes de bas de page
1 Confessions, O.C., I, 164.
2 O. choisies. VIII, 159-160.
3 II, 61. – Cf. VOLTAIRE, L’Ingénu, M„ XXI, 303.
4 DUFORT, Mém., I, 239.
5 BARBIER, Journal. I, 260 ; DUFORT, Mém.. I, 415 ; MERCIER, T. de P., VI, 161.
6 T. de P.. III, 223 ; DIDEROT, Neveu. O.C., V, 408.
7 CARACCIOLI, Jouissance de soi-même, p. 324.
8 MERCIER, T. de P., XI, 89 ; cf. R. FAVRE, in XVIIIe siècle, 5, 1973, p. 305.
9 Dict. Théot. Catholique, « Cœur » ; Hist. spirituelle de la France, p. 268.
10 La Vie et les lettres de... Soanen, I, 144,A.
11 Mém. d’un Homme de Qualité, O. choisies, I, 279-281.
12 DUVERNET, Vie de Voltaire, p. 347 ; M.S.B., XII, 36.
13 « Absolument vrai », dit BARBIER (Journal, I, 318-319).
14 DURAND DE MAILLANE, Dict. de droit can., IV, 468, B ; Code des curés, II, 398.
15 Lettres, p. 2. – Cf. Mercure de France, mai 1727, p. 1032-1042 (Pce de Conti).
16 Journal. III, 170 et 172.
17 V, 165.
18 VII, 345.
19 Souvenirs, p. 364-366.
20 Des Décorations funèbres, 1683. Voir TAPIÉ, Baroque et classicisme, p. 241-250.
21 SOUCHAL, Les Slodtz, p. 395 ; cf. ROUSSET, Litt. de l’âge baroque, p. 114-117.
22 Journal, IV, 179 ; V, 180.
23 Ibid., I, 299 et 324 (1723) ; II, 5 (1727) ; III, 287 surtout (1741).
24 Traité du vrai mérite, II, 362.
25 GRIFFET, Sermons, I, 55-56 ; COLLET, Devoirs d’un pasteur, p. 465-467 ; Rituels.
26 Mme de LAMBERT, Avis d’une mère à sa fille, Œuvres, p. 140.
27 BARBIER, Journal, IV, 168 ; A. GOUDAR, Espion chinois, I, 243-244 ; etc.
28 BARBIER. Journal, III, 450 ; IV, 348-349 ; etc.
29 In Eloge par THOMAS (O. diverses, I, 137, note m).
30 FLEURY, Institution au droit eccl., I, 314. Mais voir M. FOISIL (Bb 1214).
31 THOMAS, loc. cit. ; autre cas in Mém. du duc de Luynes, XII, 227.
32 Journal, V, 35.
33 SOANEN, Sermons, II, 286.
34 Voir, sur les translations de corps, R. FAVRE (Bb 1367).
35 T. de P.. I, 253-254.
36 MSB, XVI, 99. La fermeture eut lieu le 1er décembre.
37 BARBIER, Journal, IV, 356-358.
38 MERCIER présente ce « thermomètre de l’affliction » (T. de P., V, 118).
39 « Pleureuses » : bandes de toile blanche retroussées au bord des manches.
40 Corr. entre Mlle de Lespinasse et le comte de Guibert, p. 337.
41 Mém. du duc de Luynes, XI, 421. – L’« effilé » est du linge à franges.
42 Ibid., XVI, 150 ; 336-337.
43 BARBIER, Journal, VII, 104. Pas de deuil pour le sultan (VI, 603) !
44 II, 361.
45 IV, 234. – Pour l’hiver 1751-52 : Journal du duc de Croÿ, I, 170.
46 Ch. XXII, O. C., IV, 214.
47 De là des mésaventures (Mém. du duc de Luynes, XV, 16, en 1756).
48 Voir Dict. des Journalistes. « FAUCONNIER Mlle ».
49 T. de P., « De l’Habit noir », I, 233. – Cf. DIDEROT, Corr.. VIII, 35.
50 P. 214-217. – Voir TURGOT, Œuvres, II, 513.
51 Souvenirs de Félicie, p. 90.
52 DELAMARE, op. cit., I, 586 ; Encyclopédie, « Boucher » (DIDEROT, O. C., XIII, 494-495).
53 T. de P.. I. 118.
54 I, 130.
55 DIDEROT, Essai sur les règnes.... O. C, , III, 336 ; MERCIER, T. de P., I, 124.
56 T. de P., III, 224.
57 III, 221.
58 III, 225 ; et, avec des variations, VII, 166-167 ; XII, 84-85.
59 Voir aussi VOLTAIRE, Dict. philosophique, « Charité », M., XVIII, 135-137.
60 Cf. PIARRON DE CHAMOUSSET, op. cil., I, 177.
61 Note en O.C. de J. J. ROUSSEAU, I, 1416 ; cf. POULLE, Sermons, C.O.S., LV, 1394.
62 J.J.R., O.C., I, 1419 et 1431. Dès 1757, Deleyre lui parle de Chamousset.
63 Voir M. REINHARD, etc., Hist. générale de la Population mondiale, p. 258.
64 Histoire de l’homme, O.C., IV, 298, B. – Cf. Encycl., « Homme (Hist. nat.) » ; etc.
65 Dict. philosophique, « Age », M., XVII, 78.
66 O.C., IV, 69 ; Corr., II, 204, et déjà 195.
67 EXPILLY, Dict. géogr., hist. et pol., I, « Avertissement ».
68 I, 4 et 10-12.
69 Machinisme et bien-être, p. 234.
70 GEOFFRON, Traité de /’Apoplexie, p. 393.
71 Mém. d’un Homme de qualité, O. choisies, II, 213-214 ; III, 159-160.
72 Journaux, p. 222 ; Marianne, O.C., VII, 38 ; Paysan, VIII, 55.
73 Mém., X, 306, 312, 316. La même année, Lassay meurt d’apoplexie (X, 346).
74 DIDEROT, L’Oiseau blanc, conte bleu, O.C., IV, 440 (c’est la « chlorose »).
75 DUFORT, Afém.. II, 24, 28, etc. (vers 1785).
76 Voir MAUZI, « Les maladies de l’âme... », RSH, 100, oct-déc. 1960, p. 469.
77 P. CHAU NU, La Civilisation de l’Europe classique, p. 198.
78 DIDEROT, O. C., IV, 320 ; LESAGE, in Romanciers du XVIIIe s., 1, 1112, 1137 ; PRÉVOST, O. choisies, I, 3.
79 Nouvelle Héloïse, O.C.. II, 328.
80 Liaisons Dangereuses, O.C., p. 422.
81 BESENVAL, Le Spleen, Contes, p. 18 ; BASTIDE, Tombeau philosophique, II, 106.
82 Vie de Voltaire, p. 63, n. 7. Cf. MOUSNIER Le XVIIIe siècle, p. 140.
83 O.C., III, 744, 749.
84 B. 171. – v. est fort sérieux : les temps ne prêtent pas à rire.
85 Lettres philosophiques, O.C., M., XXII, 115 (cf. Dict. Trévoux, 1771, « Inoculer »).
86 MARAIS, Journal, II, 477 ; III, 1 et 16.
87 BARBIER, Journal, I, 302-303.
88 Ibid., II, 223-224. Autres années lourdes ; 1753-54, période 1780-85.
89 80 000 morts selon BARBIER (I, 96) et MARAIS (Journal, II, 40). CARRIERE, COURDURIÉ et REBUFFAT concluent sur 50 000 morts pour la ville et le terroir (M., ville morte, p. 303).
90 MARAIS, Journal, I, 405, 414.
91 BARBIER, Journal, I, 131. Cf. ASTRUC, Bb 606, p. 68-70.
92 MARAIS, Journal, II, 165.
93 Ibid., II, 270, 291. – Cf. une autre crainte en 1726 (III, 455).
94 CARRIÈRE, .., op. cil., p. 197-262 et Bibliographie, p. 55. n. 1 et 343-352.
95 Journal. I, 95-96 ; et Lettre de DEIDIER (Bb 645).
96 BRAUDEL, Civilisation matérielle et capitalisme, I, 54.
97 Hist. générale de la population mondiale, p. 243.
98 A.D. Puy-de-Dôme, C. 897 (4 mars 1740).
99 A. DUPU Y, Les Epidémies en Bretagne, Annales de Bretagne, 1886-1887, II, 33-34.
100 Registre paroissial de Campénéac, A.D. Morbihan, E, suppl. 647, GG 4.
101 De l’Homme, O.C., IV, 345.
102 Hist. gen. de la pop. mondiale, p. 243.
103 J. MEYER, La Noblesse bretonne au XVIIIe siècle, II, 600-601.
104 Civilisation matérielle et capitalisme, I, 55. – Cf. Bb 1221, 1233, 1256,...
105 XVI, 175-177 (janvier 1762).
106 Corr., O.C., III, 1415.
107 BARBIER, Journal. I, 399-400. – Cf. E. FAURE, La Disgrâce de Turgot, p. 316-317.
108 LORÉDAN, Bb 1262.
109 I, 171 (1721) ; IV, 423 (1750). Cf. Mém. du duc de Luynes, X, 302.
110 T. de P., VI, 22 et 25 ; cf. XII, 136.
111 GARDEN, Bb 1222, p. 586-589 ; voir POULLIN DE LUMINA, Bb 552, p. 297-305.
112 Mém. du duc de Luynes, XII, 270-273.
113 Lettres, p. 177.
114 MSB, XXV, 341-342.
115 LORÉDAN, Bb 1262, p. 100, 109, 116-117, 126, 225, 325, 352, 381.
116 P. 353. – Cf. Mém. du duc de Luynes, XVI, 137.
117 O.C., VI, 48-49, 63.
118 HENRIQUEZ, Code des Seigneurs, I, 302. Cas royaux : p. 303-304.
119 Recueil des anciennes lois, XXI, 260. Ex. dans PÉRICAUD, Bb 1291, p. 23.
120 MERCIER, T. de P., II, 30.
121 I, 18.
122 Quatre Contes, p.p. J. PROUST, n. 117-121, p. 169-172.
123 Rapport du 8 ventose an II, O. C., II, 231.
124 MSB, IV, 84. Voir MULLER, Bb 1286, et PETROVITCH in Bb 1191.
125 O.C., IV, 62.
126 D. MULLER. Bb 1286, p. 97.
127 Voir aussi MERCIER, T. de P., IX. 145 ; MSB, XXIII, 204-205 ; etc.
128 MUYART DE VOUGLANS. Bb 738. p. 55-59. – Cf. MARIVAUX, Dénouement imprévu, sc. 7.
129 MUYART DE V., p. 59.
130 BARBIER, Journal, III, 86-87 ; et MERCIER, T. de P., III, 261-262 ; VII, 235.
131 BARBIER. II, 125. Voir HILLAIRET, Dict. des rues de Paris. II, 423-424.
132 BARBIER, I, 400.
133 MERCIER. T. de P., III, 269, après BARBIER. I, 187 ; III, 147 ;... ; VI, 125.
134 MERCIER, T. de P., III, 267.
135 X, 255.
136 MSB, X, 125-126 ; cf. XXII, 130 ; – BARBIER. VI, 179 ; et voir Bb 810.
137 MARAIS, Journal. III, 94 ; MSB, XXIII, 204-205. Voir Bb 828, p. 49.
138 Bb 1204, X, 273, n. 1 ; Bb 1260, III, 24 et 27 ; Bb 1261, p. 254 ; Bb 1300, 20-22.
139 BARBIER, Journal. VII, 89-90.
140 D. HOLLEAUX, in J. IMBERT, Quelques procès criminels, p. 177. – Cf. Bb 1190.
141 T. de P., IX, 269 ; et I, 18 ; XI, 66-69. – Cf. Bb 487 bis, p. 192 ; etc.
142 In Journal de BARBIER, VIH, 180-181.
143 BARBIER, ibid., I, 48.
144 T. de P.. VI, 122-123. – Cf. MOREAU, Mes Souvenirs. I, 122.
145 La France aux XVIIe et XVIIIe siècles, p. 243.
146 Corr.. X, 68.
147 MSB, V, 118.
148 Ibid. ; et Mme d’ÉPINAY in DIDEROT, Corr., X, 65 ; CROŸ, Journal, II, 420.
149 R. LEHOREAU, Bb 352, p. 290 ; BARBIER, Journal. I, 94-95.
150 MERCIER, T. de P., I, 197. – Cf. CROŸ, Journal, III, 30-31.
151 MSB, XVII, 219 ; XVIII, 230.
152 L’Esprit des Poésies de.... p. 5.
153 Doyen de Killerine, O. choisies, VIII, 195 ; cf. VII, 212-213 ; IX, 164.
154 HENRIQUEZ, op. cit., I, 19.
155 T. de P., II, 309. – Cf. DUFORT, Mém., II, 251-252.
156 BARBIER, II, 7-8 ; DUFORT, Mém., I, 17-18 ; 132-133 ; MSB, V, 27 ; etc.
157 DUFORT, Mém., 1, 18. – Cf. PRÉVOST, Doyen de Killerine, O. ch., VIII. 426.
158 ARGENSON, Mém., Didot, p. 295. – Cf. MONTESQUIEU, L. P., O.C., I, iii, 119.
159 L. RACINE, Epître I sur l’Homme, Œuvres, IV, 11.
160 MERCIER, T. de P., I, 278-279 ; VIII, 190. – OBERKIRCH, Mém., II, 37.
161 T. de P.. II. 310.
162 MSB. XII, 154-155 ; XIII, 320.
163 REINHARD, Hist. gén. de la population mondiale, p. 250-252.
164 Ibid., p. 179-252.
165 P. 258.
166 VOLTAIRE, Précis du siècle de Louis XV, O. H., p. 1387.
167 Cf. FRÉNILLY, Souvenirs, I, 14-15 (réalité évoquant le ch. iii de Candide).
168 IV, 259.
169 VIII, 63, n. I. – Cf. Mme d’EPINAY, Hist. de Mme de Montbrilland, 111, 142.
170 Souvenirs, p. 325.
171 O.C., VII, 54.
172 Bb 40, XXI, 127. – Cf. MARMONTEL, Œuvres, III, 90-92.
173 O.C., p. 635 (18 janvier 1747).
174 B. 6837 (1757) et déjà 1973, 2601 (1739-1743). – Cf. VALFONS, op. cit.
175 Voir DUCLOS, Hist. des causes de la guerre de 1756. O.C.. VI, 361-362.
176 Œuvres, I, 162-169 (ode de 1733).
177 Précis, O.H., p. 1375, 1389, 1420, 1448, 1474 ; cf. M., VIII, 457.
178 Journal, I, 83. – Cf. BOURLET DE VAUXCELLES, Bb 435, p. 16-19.
179 P. ex. en 1778, quand meurt une fille du comte de MIRABEAU (Mém., Il, 296, n.).
180 Mém. d’un père, O.C., I, 230-231.
181 Mes Souvenirs, II, 568.
182 Mme CAMPAN, Mém., p. 389 ; SÉNAC DE MEILHAN, Bb 576, p. 350 et 381-383.
183 SÉNAC DE MEILHAN, ibid., p. 337.
184 Mém. de la duch. de Brancas, p. 67-68. – Cf. MAUREPAS, Mém., IV, 118.
185 Corr. entre Mlle de L. et le comte de Guibert, p. 183.
186 M., XVIII, 529.
187 II, 88 ; V, 485-486 ; VI, 147 ; VII, 396 ; VIII, 308-310 ; etc.
188 Journal, I, 67.
189 BARBIER, Journal, II, 453-454. Autre cas à Lyon en 1768 (voir Bb 1249).
190 BARBIER, IV, 28-29.
191 IV, 356-358. Cf. ibid., IV, 423, 454-456 ; MERCIER, T. de P., XII, 135.
192 Bb 1203, p. 312. Cf. Encycl., « Loup » ; Mme CRADOCK, Journal, p. 297.
193 Lois criminelles, p. 103. – Cf. Bb 1216, p. 97-101 ; Bb 1268.
194 DREUX DU RADIER, Tablettes anecdotes ; le Mercure de Fr. en sourit (24-XI-81).
195 Mém. du duc de Luynes, II, 402-404. Le duc reste sceptique.
196 Mém., p. 121.
197 Le P. CASTEL, Bb 635 ; G. MAY, Bb 1273, p. 26-27.
198 T. de P., III, 80-82.
199 VI, 312, et voir p. 319 ; VII, 35.
200 VI 314-315.
201 VI, 316-320 ; et VOLTAIRE, M., XXIX, 47-51. – Cf. Bb 1386, p. 924-925.
202 MERCIER, T. de P., XII, 73.
203 M., XXIX, 51 ; B. 17346. – Cf. Siècle de Louis XIV, O. H., p. 1001.
204 Rectifier BESTERMAN, Bb 1342, par POMEAU (CR in RHLF, oct.-déc. 1958, p. 542).
205 XIV, 307.
206 XIV, 308.
207 B. 5933.
208 B. 5932. – Cf. B. 5944, 5962, 5968, et O.H., p. 1476 (avec note).
209 Mém. du duc de Luynes, XIV, 334, 473. – On se fiera à Encycl., « Lisbonne ».
210 Mém., XIV, 307-308 ; et VOLTAIRE, B. 5941 (voir pour Lyon B. 5945, 5946).
211 Mém. du duc de Luynes, XIV, 334.
212 XIV, 312.
213 XIV, 353. – Cf. Voltaire’s Corr., B. 5932 (Milan et Rotterdam).
214 B. 5958, contredisant la confiance mise dans les Alpes (B. 5946).
215 B. 5962, 6121, 6160.
216 B. 6031 ; Mém. du duc de Luynes, XIV, 389 ; etc.
217 B. 6072.
218 Mém. du duc de Luynes, XIV, 451. – Cf. Corr. litt., III, 188.
219 Journal de dom Pierre Chastelain, p. 103-104.
220 THIOT, Bb 1322 ; et Gazette de France et Mercure de Fr. (février-mai 1756).
221 B. 6172.
222 Mém. du duc de Luynes, XV, 63.
223 BARBIER, Journal, VI, 299-300.
224 VI, 300 ; de même VOLTAIRE, Poème sur le désastre, M., IX, 470.
225 B. 6160.
226 Opinions recueillies par BARBIER, Journal, VI, 226 (déc. 1755).
227 B. 5933 ; cf. 5942, 5968, et ARGENSON, Mém., IX, 131.
228 Mém., XIV, 330.
229 XIV, 340. – Cf. VOSGIEN, Dict. géographique portatif, « Lisbonne ».
230 Précis du siècle de Louis XV, O. H., p. 1476. Voir encore B. 6792 (fin 1757).
231 Odes, III, 14, in Œuvres, I, 185-194 ; cf. ode II, 18 (I, 133-139).
232 Voir éd. de Candide p.p. Morize, p. XXXIII-XXXIV ; COLLÉ, Journal, II, 78 ; etc.
233 BESTERMAN, Bb 1342 : une vingtaine d’éditions.
234 Journal, VI, 218.
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