Introduction
p. 1-2
Texte intégral
« ce sujet plus usé qu’aisé »
(VOLTAIRE, B. 18631).
1Péril suprême ou accès au parfait repos, illumination décisive ou naufrage dans les ténèbres, la mort ne permet pas qu’on se complaise dans la « littérature » et pourtant elle suscite le lieu commun. Mort qui impose l’égalité, mort préférable à l’esclavage ou au déshonneur, mort qui dévoile la vérité, mort mortelle au bonheur, mort qui peut seule combler le vide des cœurs et féconder les esprits, elle rend terribles ou du moins touchantes les banalités mêmes. Elle est ainsi la grande maîtresse de l’éloquence, pour Malraux comme pour Bossuet ; elle habite au cœur de toute poésie, de Villon à Eluard et Yves Bonnefoy. Au déclin du moyen âge, artistes et poètes somment les prélats et les princes d’entrer dans la danse commune ; la mort baroque s’offre à l’élan et à l’extase ou à la répulsion fascinée ; les âmes sensibles disent l’impossibilité de vivre et de mourir. Et les pauvres gravures, les apostrophes, les images et les hyperboles malhabiles traduisent des expériences qui ne sont pas radicalement différentes de celles qu’ont chantées Villon, Ronsard et Chateaubriand. Chaque âge trouve son langage pour affronter, accueillir ou accuser la mort ; c’est en cette langue, avec leur accent propre, que les grandes œuvres apportent leur réponse au défi de la mort.
2Mais entre le siècle de la mort baroque, de la mort classique, et l’ère du pessimisme et de la voyance, qui donc a seulement pris garde à ce défi ? Entre Bossuet et Victor Hugo, entre Pascal et Chateaubriand, disons même entre Racine et Chénier, la littérature du « siècle des Lumières » ne propose aucune œuvre grande où s’élèverait le dialogue de l’homme avec la mort, – aucune assurément qui soit comparable aux Oraisons funèbres, à Phèdre, à Dom Juan. Faut-il donc admettre que « toute la pensée des Lumières se détourne du scandale de la mort »1 ? Et pourtant par son étude sur la Philosophie des Lumières, Ernst Cassirer avait montré combien religieux fut le XVIIIe siècle ; n’y aurait-on pas médité sur cette limite imposée à l’humain ? René Pomeau a suffisamment montré sur un cas difficile, en scrutant la Religion de Voltaire, que cette méditation ressemble fort à une obsession. Bourgeois et âmes sensibles n’ont pu mener la quête du Bonheur sans que surgît l’obstacle par excellence ; et Robert Mauzi incite ses lecteurs à découvrir comment l’ombre de la mort s’étend sur ce siècle fasciné par toutes les splendeurs de la vie2. De cette incitation est né le présent livre.
3D’autres études, certaines toutes récentes, ont par diverses voies aidé à explorer la face nocturne du siècle des Lumières, ou décrit les luttes engagées alors contre les ténèbres. Mais sans doute convenait-il d’examiner les conditions de ce combat où la mort est tantôt l’ennemie tantôt l’alliée, où les adversaires parfois se mêlent jusqu’à confondre leurs armes, jusqu’à mimer l’autre pour mieux le détruire. Une hypothèse simple guidait cet effort : que tous les acteurs de ce drame, rangés d’ordinaire en troupes inconciliables, baignaient dans un même climat culturel et mental, que leurs divergences portaient ensemble la marque de ce temps et participaient à la création d’une commune sensibilité. Le risque était de noyer dans une vague mentalité d’époque les inflexions de voies personnelles, toujours irréductibles et par là si précieuses. Du moins, par l’attention portée aux œuvres et aux pensées organisées, mais aussi par l’écoute des confidences ou d’aveux implicites, souvent épars et longtemps mal perçus, on a tenté de distinguer autant que d’unir les discours sur la mort qui s’entrechoquent et s’entremêlent. Il n’en fallait exclure aucun, qu’il fût théologique ou scientifique, idéologique ou poétique, qu’il exprimât des certitudes exclusives ou des angoisses et des désirs communs. Œuvre située au confluent de trop de disciplines pour un seul ouvrier ? Sur ce siècle si proche du nôtre mais recouvert de tant de clichés, puissent ces pages, telles quelles, élargir une réflexion engagée selon leur démarche propre par les historiens, en particulier par François Lebrun et Michel Vovelle, par Philippe Ariès et Pierre Chaunu !
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