Production phonographique, mémoire et revitalisation culturelle à La Réunion : le cas du séga1
p. 97-120
Texte intégral
1À travers le concept de « jeune musique », Julien Mallet (2008) a insisté sur l’importance de la dimension temporelle (les « jeunes musiques » sont récentes et actuelles) et dynamique (elles participent d’une créativité en prise sur un présent) dans l’approche ethnomusicologique des phénomènes musicaux contemporains. À l’instar du tsapiky, musique de Tuléar, les jeunes musiques n’impliqueraient pas « la fidélité à un déjà-là » (Mallet, 2002, p. 173). Mais elles ne seraient pas non plus en « rupture radicale » par rapport à un ordre existant. La « jeunesse » d’une musique tiendrait donc à sa capacité d’« actualisation » et « d’intégration dans des situations présentes » (ibid., p. 179). Ces situations, marquées par la fluidité, l’« expression des conflits » et le « dépassement des univers locaux » (ibid., p. 181), seraient le cadre d’une activité musicale, génératrice de sens et d’identité se situant « au carrefour de valeurs et codes » que les musiciens auraient « l’art de faire fusionner » (ibid., p. 255). Ainsi, les « jeunes musiques » seraient liées à l’immédiateté, par leur émergence relative, par leur rupture partielle avec le passé et par les « fusions » qui les caractérisent.
2Mais qu’en est-il quand la « jeunesse » est passée ? Quand une musique, ou l’une de ses variantes stylistiques devenue « vieille » ou « dépassée », a perdu cette capacité première d’actualisation et d’intégration dans un présent qui en faisait le dynamisme et l’existence première ? Ne fait-elle plus sens si elle n’est plus intégrée à l’actualité et la créativité immédiate ? Est-elle pour autant nécessairement déconnectée du présent ? Les positions qu’occupent à l’heure actuelle trois des genres musicaux les plus pratiqués à La Réunion (maloya, séga et musiques d’origine jamaïcaine) éclairent des modes d’ancrages musicaux contemporains qui, à l’heure de la mondialisation et de la marchandisation des identités culturelles, impliquent un recours presque systématique au passé. Les ponts qui s’établissent entre des musiques vécues comme « endogènes », héritées et porteuses d’une spécificité, et des musiques récemment appropriées, mais plus ou moins considérées comme « exogènes », montrent le poids des aspirations mémorielles dans la négociation des frontières de la « réunionnité2 » musicale contemporaine et les procédés d’endogénéisation qui l’accompagnent souvent. À ce titre, les enregistrements phonographiques constituent à La Réunion les supports historiques dominants de la fixation et de la diffusion médiatiques des répertoires musicaux. À travers la citation et le dialogue entre références anciennes et actuelles, ils favorisent une intertextualité et une « intertemporalité3 » musicales qui sont deux sources de légitimation importantes des créations insulaires.
3Le rapport au temps et la façon dont une société est amenée à entretenir le souvenir d’une musique (Urry, 1996) dont l’actualité fondatrice n’est plus, mais qui, passée dans la sphère d’une sorte « d’histoire-mémoire4 » nationale5, conserve une valeur symbolique forte, constituera le premier axe de notre réflexion. Après avoir décrit la place prise, depuis les années 1930, par l’enregistrement phonographique dans la production d’une musique réunionnaise, valorisée comme telle et principalement tournée autour du séga6, nous examinerons la façon dont une partie de cette production est aujourd’hui réinvestie dans le cadre de projets patrimoniaux (disques, concerts...) et les débats d’authenticité que cela génère. Dans le contexte multiculturel réunionnais, la valorisation de tel ou tel pan de la culture musicale (plutôt que tel ou tel autre) suscite presque systématiquement des réactions publiques sur les intentions des « décideurs » et sur les éventuels laissés-pour-compte de la reconnaissance patrimoniale7. Dans ce cadre, nous questionnerons la place, les formes et les usages de l’archive et du souvenir, leur statut de « source et ressource » de la création musicale (Olivier, 2012).
Le disque et la production d’une « musique réunionnaise »
4La Réunion vit, à l’instar des départements français d’outre-mer, une situation politique et culturelle qui, jusqu’aux années 1990, fut génératrice d’un conflit dont l’influence a été importante au niveau musical. Colonie depuis le xviie siècle, elle acquiert en 1946 le statut de département français. Cette évolution statutaire instaura les bases d’une politique visant à aligner, culturellement et économiquement, La Réunion sur les autres départements français. Néanmoins, l’éloignement géographique (océan Indien), mais surtout la structure sociale et culturelle de l’île, forgée par l’économie de plantation, l’esclavagisme puis l’engagisme, constituèrent une donne particulière, génératrice de contestation culturelle. Ainsi, des années 1950 aux années 1980, une grande partie de la création en termes de musique populaire illustre cette négociation constante entre assimilation à la France et défense des particularismes régionaux « créoles8 » et non européens.
Constitution et évolutions du champ musical réunionnais
5S’étendant sur un peu moins d’un siècle, l’histoire de la production phonographique réunionnaise a largement contribué à placer l’enregistrement musical au cœur de processus où s’entrecroisent des enjeux identitaires, musicaux, commerciaux et politiques. Cette histoire peut être décrite en trois phases principales, qui témoignent de contextes socio-économiques et culturels différents : 1) la première partie du xxe siècle, marquée par le contexte colonial et la démarche « folkloriste » ; 2) les années 1950 à 1970 qui font suite à la départementalisation de l’île et qui voient l’émergence d’un vedettariat de chanteurs et d’orchestres locaux ; 3) les années 1980 à aujourd’hui, marquées par les politiques culturelles nationales en matière de « musiques actuelles » et de spectacle vivant, et la montée de revendications culturelles liées aux héritages non européens.
6Les premières traces d’enregistrements de musique réunionnaise remontent à la fin des années 1920, période des premiers enregistrements de Georges Fourcade par la maison de disques Pathé9. Ce personnage, aujourd’hui emblématique et valorisé d’un point de vue institutionnel, concentra à lui seul l’essentiel de la représentativité musicale réunionnaise à l’extérieur de l’île jusque dans les années 1950, passant sous silence d’autres types de pratiques associées aux travailleurs des plantations (chants et danses d’origine africaine-malgache, et indienne). Il participa notamment à l’exposition coloniale à Paris en 1931 où il présenta le « folklore » local. Lettré, francophile, Georges Fourcade défendit, dans la lignée des compositeurs de quadrilles créoles de la seconde moitié du xixe siècle et du début du xxe siècle, une facette plutôt « bourgeoise » et « urbaine » de ce « folklore ». L’enregistrement sonore, outil moderne de diffusion, fut un élément essentiel dans l’image donnée de La Réunion à l’exposition coloniale : présentée comme la « France de l’océan Indien », il s’agissait notamment pour Fourcade de distinguer l’île des colonies d’Afrique continentale (Samson, 2006).
7Avec la départementalisation, la production phonographique insulaire prit une nouvelle ampleur. Dès les années 1950, on assista à une ouverture médiatique orchestrée, d’un côté, par l’antenne locale de la Radiodiffusion-Télévision française (RTF), qui diffusait des musiques nationales et internationales et, de l’autre, par des commerçants qui importaient des disques, des instruments de musique ainsi que du matériel de diffusion audio puis audiovisuelle. À ces deux acteurs majeurs s’associa une élite naissante de musiciens de bals issus des milieux ouvriers et artisans des périphéries de Saint-Denis et de Saint-Pierre. Cette collaboration, qui se jouait principalement dans les milieux « urbains », dura jusqu’à la fin des années 1970 et assura le monopole du séga dans la diffusion médiatique de musique réunionnaise10. Le rôle joué par la RTF fut alors déterminant. En organisant, à partir de la fin des années 1940, des radios-crochets dans la capitale, cet organe médiatique joua le rôle de « rabatteur » de talents vocaux et inaugura un premier vedettariat local de chanteurs et de chanteuses (Maxime Laope, Henri Madoré, Benoîte Boulard...).
8Commerçants, médias, orchestres et vedettes vocales constituèrent ainsi les principaux acteurs d’un nouveau « système » au sein duquel l’enregistrement phonographique était central11. La complémentarité et la circularité des rôles sociaux et économiques de cette période peuvent, au prix de quelques raccourcis, être résumées comme suit. Organes de diffusion des modèles musicaux français et internationaux, la radio d’État et les commerçants locaux finançaient, directement ou indirectement, quelques orchestres réputés de l’île (ceux qui se produisaient dans les salons de bals) pour enregistrer dans les locaux de la RTF ou chez les commerçants, devenus eux-mêmes producteurs, des disques de musique locale. Les musiciens et les « patrons » d’orchestres voyaient ainsi leur activité se répartir sur deux tableaux complémentaires : les bals et le disque. Pour les bals, les orchestres jouaient principalement des répertoires nationaux et internationaux. Mais, pour le marché phonographique local, les orchestres devaient créer une musique qui réponde à la double exigence de modernité médiatique et de représentativité culturelle réunionnaise. Leurs enregistrements étaient ensuite diffusés localement par la radio12, ce qui assurait leur prestige, leur réputation et augmentait potentiellement leur clientèle. C’est dans cette logique qu’émergea un petit vedettariat, autour d’une dizaine de chanteurs de séga et de quelques orchestres dont les activités étaient relayées par les médias, le commerce phonographique et les radio-crochets organisés par la RTF. Au début des années 1970, trois producteurs privés (Issa, Jackman, Soredisc) se partageaient l’essentiel d’un marché presque exclusivement local. À ces trois producteurs étaient attachés des orchestres semi-professionnels qui officiaient dans les bals pendant le week-end et dans les studios en semaine. Les chanteurs, qui faisaient leurs premières armes dans les radio-crochets de la RTF, enregistraient ensuite au gré des sollicitations des producteurs et des orchestres.
9Les relations d’intérêts et de collaboration qui s’établirent à cette période entre les musiciens créoles et métropolitains installés à La Réunion, les commerçants-producteurs, la RTF et, dans une moindre mesure, les gérants de salons de bals impactèrent directement l’esthétique du séga en l’orientant à la fois vers la modernité sonore et la défense de particularismes locaux. De nombreux musiciens réunionnais qui eurent un rôle important dans la production discographique réunionnaise des années 196013 avaient officié plusieurs années dans des orchestres de danse à Madagascar, soit dans le cadre de leur service militaire, soit comme musiciens professionnels dans des salons de bals réputés dont certains étaient tenus par des Réunionnais. Les liens qui s’étaient tissés à cette période avec des musiciens malgaches et métropolitains favorisèrent la constitution d’un répertoire et d’un savoir-faire principalement basés sur les capacités d’adaptation et de reproduction des répertoires internationaux prisés par le public des bals. Dans les années 1950-1960, on passa ainsi des répertoires musette et sud-américains aux répertoires anglo-américains14. À cette exigence de modernité des répertoires, s’ajoutait logiquement celle de la modernité des instruments. Durant ces mêmes décennies, deux modèles d’orchestration se succédèrent, voire fusionnèrent pour enregistrer le séga : le premier était centré sur l’accordéon chromatique et les percussions afro-caribéennes (bongos, congas...), tandis que l’autre tournait autour de la guitare électrique et de la batterie « moderne » (caisse claire, grosse caisse, cymbale, tom15). Néanmoins, la mise en valeur d’une spécificité musicale qui se voulait ouvertement « exotique » à travers le séga conféra aux percussions afro-caribéennes un rôle qu’elles conservent parfois encore aujourd’hui : celui de marquer l’origine « tropicale » du séga sans l’associer ouvertement aux répertoires locaux d’origine africaine. À ce titre, le goût des musiciens réunionnais (qui enregistraient du séga dans les années 1950-1960) pour la musique caribéenne, sud-américaine apparaît de façon saillante (Samson, 2007, p. 175). Globalement, il ressort que le séga des années 1950-1960 a cherché à être une musique à la fois « moderne et médiatique » (par l’importance du disque comme support), « tropicale » (par l’utilisation de percussions afro-caribéennes), « européenne » (par la forme couplet-refrain et l’utilisation de l’accordéon musette) et « créole » (par l’utilisation du créole dans les textes et la signature rythmique du séga16).
10Sous l’effet de facteurs sociopolitiques, économiques et institutionnels, on assista, à partir de la fin des années 1970, à une restructuration du champ musical insulaire (Cherubini, 1996). En 1976, l’édition de disques de maloya17 par le Parti communiste réunionnais (PCR) – qui, dans le cadre de revendications autonomistes, investit ce genre musical jusqu’alors marginal dans l’espace public – remit tout d’abord en cause la place du séga comme genre principal de la production phonographique insulaire. Associé de façon dominante aux origines africaines et malgaches des travailleurs des plantations, le maloya bénéficia, dans les années 1980, d’importants changements institutionnels et politiques : arrivée de la gauche au pouvoir en France (politique culturelle de Jack Lang), création du Conseil régional (doté d’une compétence culturelle), création de la Direction régionale des affaires culturelles (DRAC)... Ceci favorisa la mise en œuvre locale d’une politique culturelle valorisant tout à la fois création individuelle et expressions populaires. Le secteur de la production et de l’édition phonographiques se restructura également autour de nouveaux producteurs qui bénéficièrent de l’implantation de la grande distribution et de la libéralisation des ondes radiophoniques.
11Cette période marqua le passage à un autre « modèle » de pratiques musicales, axé sur la mise en valeur de répertoires originaux à travers lesquels les groupes musicaux pouvaient se construire une personnalité artistique distinctive. À la différence des orchestres de bals, qui alternaient reprises et chansons originales (les premières étant a priori plus conséquentes que les secondes), les groupes les plus novateurs qui émergèrent à la fin des années 1970 et au début des années 1980 (Ziskakan, Ti fock, Sabouk, Ousa Nousava, Baster...) abandonnèrent presque totalement les reprises de « tubes » nationaux et internationaux. Ils appréhendèrent les choix musicaux, non plus comme un moyen de satisfaire, de façon quelque peu « fonctionnelle », les attentes d’un public de danse friand de modes extérieures, mais comme l’affiliation plus personnelle et exclusive à un imaginaire et à des codes symboliques cohérents avec un discours de défense identitaire.
12Parallèlement à cette individualisation musicale, les années 1980 virent l’émergence de revendications liées à la reconnaissance des héritages culturels non européens (africains, malgaches, indiens...) et à leurs variantes rurales créolisées. Dans une société « pseudo-industrielle » en voie de tertiarisation et de modernisation (Benoist, 1983) où le monde agricole commençait à marquer un recul et où émergeait une classe moyenne créole, le débat public sur les questions patrimoniales et plus généralement identitaires se démocratisa. À l’université de La Réunion, le développement de recherches et d’enseignements en histoire, linguistique et ethnologie locale rejoignit les motivations de militants culturels, ainsi que certaines orientations institutionnelles qui visaient, à travers des fêtes commémoratives, l’érection de monuments et l’aide à la production artistique, à inscrire les spécificités historiques et culturelles de l’île dans l’espace public. Les services culturels de l’État se consacrant avant tout au patrimoine bâti18, les initiatives liées à la collecte et / ou à la valorisation de la mémoire orale furent principalement le fait d’associations militantes ou de programmes de recherches universitaires.
13La création musicale alimenta également ce mouvement patrimonial. De nombreux artistes furent enclins à intégrer à leur répertoire des œuvres issues du patrimoine collectif ou à s’en inspirer pour composer des chants « originaux ». Comme j’ai pu le montrer ailleurs pour le maloya, les années 1980-1990 furent marquées par l’émergence de figures patrimoniales (issues du monde rural de la plantation) qui popularisèrent des chants anciens en les transformant parfois à leur façon (Mallet & Samson, 2010). Ce répertoire considéré comme « traditionnel » fut ainsi souvent associé à telle ou telle figure emblématique (Firmin Viry, Lo Rwa Kaf, Granmoun Lélé...), reconnue institutionnellement et médiatiquement, faisant office de « guide » pour les générations suivantes. Bien que réalisés par des producteurs privés, certains enregistrements de ces « figures » jouèrent un rôle central dans la transmission du genre à partir des années 1980. L’élargissement du cadre d’insertion sociale de la pratique du maloya, qui sortait du monde de la plantation, mobilisa largement le monde du disque. Certains jeunes musiciens vivant loin de la « source » du genre se familiarisèrent avec le maloya en écoutant et en reproduisant ce qu’ils entendaient sur des enregistrements commerciaux. Dans ce contexte, se dessinèrent les deux courants principaux du maloya contemporain : le maloya néo-traditionnel (qui valorise et enrichit les formes anciennes et acoustiques du genre) et le maloya dit « électrique » (qui privilégie les fusions avec les musiques populaires internationales), lesquels conservent un fort attachement à la revendication identitaire et mémorielle.
14Dans les années 1990-2000, la structuration d’un réseau de salles de spectacle et l’orientation de politiques culturelles tournées vers l’exportation et la visibilité extérieure des artistes réunionnais achevèrent d’inscrire la pratique des musiques dites « actuelles » réunionnaises dans une approche liée à la reconnaissance d’individualités artistiques. Toutefois, les questions mémorielles imprègnent encore fortement la création musicale réunionnaise et demeurent une ressource essentielle des discours musicaux et culturels à La Réunion. Ce double phénomène d’individualisation artistique et d’affiliation à une mémoire collective est particulièrement incarné par un artiste comme Danyèl Waro qui se présente autant comme un « héritier » (notamment de Firmin Viry) que comme un « créateur ». Ce positionnement confère à l’enregistrement une complexité d’usages où cohabitent des logiques de marchandisation musicale (liée à la construction des carrières artistiques) et de revitalisation mémorielle (liées à la construction et à la reconnaissance des identités collectives).
Politiques d’archives et valorisation mémorielle : de quelques initiatives institutionnelles et privées
15Depuis la seconde moitié du xxe siècle, l’enregistrement phonographique constitue donc un des principaux cadres de création et de diffusion des œuvres musicales insulaires. Il a largement contribué à la production et à la légitimation de répertoires désormais considérés comme constitutifs de la « musique réunionnaise » et dont la reconnaissance fait l’objet d’une attention institutionnelle. Ceci permet en partie de comprendre l’engagement d’acteurs individuels et institutionnels dans la constitution et la valorisation d’une mémoire phonographique. Dans ce processus récent, où la revitalisation patrimoniale, la commémoration et les recherches universitaires sont souvent intriquées, la distribution des rôles confère cependant une place marginale à l’archive musicale.
16Les actions patrimoniales consacrées, à partir du milieu des années 1990, à la production phonographique réunionnaise furent principalement le fait d’acteurs associatifs. En 1999, Christophe David et Bernadette Ladauge, principale animatrice du Groupe folklorique de La Réunion19, éditèrent un recueil illustré et commenté de partitions musicales consacrées aux répertoires enregistrés des années 1950 à 1990. Organisé autour de biographies d’artistes emblématiques, ce recueil de 21 partitions traitait de façon équilibrée les répertoires de séga des années 1950 à 1970 et ceux de maloya popularisés à partir des années 1980. Son titre : Séga Maloya : île de La Réunion mettait sur le même plan deux musiques alors en concurrence de représentativité et en conflit de légitimité aigu. Dans un contexte identitaire bipolaire, cet ouvrage revendiquait la « réconciliation » des genres les plus emblématiques de l’île. Dans la continuité d’autres recueils du même type, son format (une photographie et une biographie sur la page de gauche, une partition suivie du texte de la chanson sur la page de droite) lui conférait une orientation pédagogique liée à la transmission des répertoires. En éditant les partitions de chants le plus souvent transmis de façon « orale », il s’agissait aussi d’en assurer la visibilité et la reconnaissance publique comme des « œuvres » à part entière.
17Peu de temps après sa création en 1997, le Pôle régional des musiques actuelles de La Réunion20 inaugura une collection de disques, intitulée « Takamba21 », consacrée pour partie à la réédition d’enregistrements jugés « historiques » (couvrant les années 1930 à 1980) de figures de la chanson réunionnaise (essentiellement des musiciens de séga). Le premier volume, dédié à Henri Madoré, situait clairement l’orientation patrimoniale de la collection. À la dernière page du livret on pouvait lire la précision suivante : « Ce CD est le premier d’une collection que le Pôle régional des musiques actuelles de La Réunion consacre au patrimoine musical de l’océan Indien. Il s’agit de remettre à la portée du grand public les œuvres d’artistes disparus ou oubliés des circuits commerciaux22. »
18Dans cette entreprise, qui a donné lieu à huit rééditions, le PRMA mobilisa plusieurs collecteurs et collectionneurs de disques indépendants. Parmi eux, le musicien Arno Bazin, également leader du groupe Tapok, constitua dans les années 2000 une collection conséquente de disques vinyles de La Réunion et de l’océan Indien dont il a édité les références dans un catalogue (Bazin, 2005). Issue d’une initiative privée de passionnés, ce fonds a fait récemment l’objet d’un questionnement sur sa conservation et sa valorisation (en dehors des rééditions du PRMA). Lors de rencontres internationales organisées par le PRMA autour de l’actualité des musiques traditionnelles dans l’océan Indien, Arno Bazin s’interrogeait publiquement sur l’avenir de sa collection :
J’ai commencé mes recherches sur les musiques enregistrées de l’océan Indien en l’an 2000. À ce jour, j’ai recensé 3 423 disques vinyles qui touchent à la musique de La Réunion, de Maurice, de Madagascar, des Comores, des Seychelles et de Rodrigues. Ce fonds alimente un certain nombre de rééditions, notamment celles du PRMA. Mon problème est que je suis dépositaire de ce patrimoine alors que ce n’est pas mon rôle de garder tout ça, en tant que particulier. [...] J’ai constitué une base de données qui intègre divers champs pour chaque enregistrement : nom de l’artiste, éditeur, style... J’aimerais que les institutions s’approprient ce fonds et que l’accès à ces morceaux puisse être démocratisé. Il serait bien que ce projet puisse être investi institutionnellement à La Réunion puis soit transféré aux autres îles de la zone. (PRMA, 2013.)
19Conservée aux archives départementales de La Réunion, la collection a donné lieu, en 2010, à une exposition consacrée aux pochettes de disques. Intitulée « Face A - Face B », cette exposition financée par le Conseil général retraçait l’histoire de la production de disques à La Réunion en mettant en valeur la période des années 1930 à 1980. Si le Conseil général fut enclin à valoriser ponctuellement la collection, il n’a cependant pas acquis les disques en question, que le propriétaire ne souhaite pas céder à titre gracieux. À l’aune de ce contexte, l’appel d’Arno Bazin aux institutions témoigne d’un double rapport au projet d’archivage phonographique. Sa posture témoigne d’abord d’une conscience de la valeur culturelle et mémorielle de sa collection, qu’il lui paraît désormais illégitime de posséder à titre personnel. Mais cette collection représente aussi un investissement financier en raison de la valeur marchande des disques et des outils créés pour leur archivage numérique.
20Le fait qu’une telle collection soit toujours la propriété d’un collectionneur individuel, tandis que sa valorisation patrimoniale est investie par des organismes institutionnels (Conseil général, PRMA) qui officialisent ainsi le disque comme élément constitutif du patrimoine musical réunionnais, tend à montrer qu’en dépit des déclarations officielles23, les motivations institutionnelles liées à la célébration identitaire priment sur l’engagement dans une véritable politique, concertée et programmée, de sauvegarde musicale.
Le patrimoine musical réunionnais : un lieu de débat et d’affiliations stratégiques
Le séga lontan24 comme « lieu de mémoire25 » ?
21Dans le contexte précédemment décrit, la mise en mémoire du séga phono-graphique des années 1950-1970 s’inscrit dans deux axes principaux. L’un concerne la célébration et la transmission d’un savoir-faire, à travers la production de spectacles en hommage aux figures historiques du genre, la réédition et l’enregistrement de disques reprenant leurs répertoires. Ces procédés confèrent à ces figures une nouvelle actualité et en assurent la visibilité. L’autre axe touche à la construction d’un discours historico-mémoriel sur le genre, à travers des recherches et des publications à finalité patrimoniale. Cette diversité des procédés (spectacles, rééditions, enregistrements, discours) implique la collaboration entre acteurs institutionnels, musiciens, érudits et universitaires. Elle témoigne de la pluralité des aspirations qui, dans ce nouveau « présent », sous-tendent la revitalisation des « jeunes musiques » d’autrefois. En fait, le séga des années 1950-1970 est soumis à une sorte de « mise en tradition » qui relève à la fois d’un constat d’obsolescence musicale et d’une volonté de « rétablir l’équilibre » face à la visibilité croissante du maloya dans l’espace public.
22À titre exploratoire, deux terrains d’application de cette « mise en tradition » des « jeunes musiques » d’autrefois peuvent être appréhendés, au sein desquels la question de la fidélité à l’artiste et à son œuvre est posée de façon primordiale. Le premier terrain d’application concerne les « spectacles hommages » aux ségatiers26 des années 1950-1970 (Narmine Ducap, Jules Arlanda, Luc Donat...), qui furent organisés dans les années 2000 par l’Office départemental de la culture (ODC), une structure financée par le Conseil général de La Réunion qui géra, jusqu’en 2010, deux des principales scènes de spectacle vivant de l’île. À travers ces spectacles, il s’agissait de mettre en scène le répertoire qui avait fait le succès des artistes auxquels on rendait hommage, en faisant se succéder sur scène un grand nombre de collaborateurs jeunes et âgés (anciens « collègues » musiciens, membres de la famille, amis, admirateurs, artistes en vogue du moment...). Quand l’artiste auquel l’hommage était rendu était encore vivant, celui-ci pouvait lui-même intervenir sur scène. À côté de ces invités occasionnels, une équipe de musiciens fixes assurait l’intégralité des accompagnements. Cette équipe, presque toujours la même, était dirigée par Guillaume Legras, un guitariste issu lui-même d’une famille de musiciens réputée des années 1960. Il écrivait les arrangements en s’inspirant du style d’époque, voire en reproduisant les arrangements originaux. L’orientation des spectacles de l’ODC avait par ailleurs une dimension biographique dans la mesure où il s’agissait de cadrer avec les goûts musicaux des ségatiers auxquels on rendait hommage et dont on retraçait parfois le parcours personnel et musical durant le spectacle.
23En 2004, cette orientation amena l’ODC à faire collaborer les musiciens antillais du groupe Malavoi (connu notamment pour sa section de violons) pour un hommage à Luc Donat. Ce ségatier violoniste, surnommé depuis les années 1960 « Le Roi du séga » et décédé en 1989, était féru comme tous ceux de sa génération de musiques caribéennes et sud-américaines. Pour le spectacle, une partie du répertoire de Luc Donat fut donc arrangé en biguine et en mazurka créole par Mano Césaire (l’arrangeur de Malavoi), en hommage au goût prononcé de Donat pour ces répertoires. Quelques jours plus tard, ceci souleva une contestation virulente dans la presse :
Quelle a été notre surprise dès la première note donnée hier au concert hommage à Luc Donat organisé par l’Office départemental de la culture ! On connaît Luc Donat, Roi du Séga, hier c’était le Roi du Zouk ! Tout pourtant ne paraissait pas s’y prêter. Une section rythmique (Guillaume Legras, Harry Perigone…) et des chanteurs locaux (Henri Claude Moutou et Laurence Beaumarchais) travestis l’espace d’une soirée en Antillais car accompagnés entre autres par les violonistes de Malavoi (forts eux de leur culture). Au passage, que fait donc le Conservatoire national de région ? (Journal de l’île de La Réunion, courrier des lecteurs, 20 août 2004.)
24La question d’authenticité posée par cette contestation, qui est plutôt celle d’une jeune génération de militants culturels, est centrale : fallait-il être fidèle aux compositions de Luc Donat et à leur esthétique initiale, perceptible dans les enregistrements d’époque qui avaient fait la même année l’objet d’une réédition par le PRMA ? Ou fallait-il plutôt interpréter et actualiser ce répertoire en tenant compte des aspirations musicales et esthétiques de son auteur ? Cette hésitation entre fidélité au répertoire, qui renvoie à un besoin d’identité collective, et fidélité à « l’état d’esprit » et aux goûts de l’artiste, qui renvoie à une recherche d’intimité avec un parcours individuel, permet de prendre la mesure des paradoxes qui sont au centre d’une écriture de l’histoire orientée à des fins mémorielles et identitaires, dans une société marquée par la cohabitation et l’ajustement culturels. Notons que la connaissance des enregistrements originaux a, dans ce cas précis, accompagné des discours de retour aux sources voire de repli culturel, l’enregistrement original, conservé, faisant office d’étalon de référence.
25L’entreprise de réédition des enregistrements discographiques originaux des années 1950-1970, menée par le PRMA à travers son label « Takamba » constitue un autre terrain d’observation des négociations qui se jouent entre histoire et mémoire dans le champ de la patrimonialisation musicale réunionnaise. Alors que je menais mes recherches de doctorat, j’ai participé à plusieurs rééditions d’enregistrements de ségatiers. Collaborant avec des collectionneurs de disques, des érudits locaux et des agents de valorisation patrimoniale, ces projets ont donné lieu à des réflexions éditoriales qui se situaient au carrefour d’enjeux scientifiques, institutionnels et identitaires. Par exemple, l’équipe du PRMA et moi-même étions confrontés au fait qu’une partie des chansons déclarées comme leurs créations par les ségatiers dans les années 1950 étaient en fait des arrangements de mélodies populaires existantes. Alors que certains membres de l’équipe insistaient sur la nécessité de faire la lumière sur ces questions à chaque fois qu’on y était confronté, d’autres rappelaient qu’il était toutefois malvenu d’écorner l’image des artistes que l’on cherchait justement à revaloriser. La solution privilégiée fut de s’en tenir, quand c’était possible, aux déclarations effectuées à la SACEM. Toutefois, en étant centrée sur une approche biographique des ségatiers, la ligne éditoriale du label rendait inévitable cette tension (qui dépasse la question de la propriété intellectuelle) entre établissement des faits et valorisation culturelle. On la retrouve par exemple dans cette introduction au disque consacré au même Luc Donat (2004), dont la présentation retient plusieurs attributs : tradition, professionnalisme, innovation via le métissage musical, rayonnement culturel hors de l’île et humilité personnelle :
Auteur, compositeur et interprète, Luc Donat est considéré comme l’un des premiers musiciens professionnels réunionnais à s’être produit à une dimension nationale et internationale. Entièrement voué à la musique, il se consacra longuement au « séga », symbiose entre les répertoires de danse des salons européens [...] et les pratiques festives afro-malgaches des anciens esclaves. [...] Jouant du violon, Luc Donat est de plus l’un des rares à avoir perpétué la tradition instrumentale des anciens jouars [...].
Véritable partisan du métissage culturel, Luc Donat restera à jamais une des figures phares du paysage musical réunionnais. Ce talentueux violoniste acquit tout au long de son existence un professionnalisme rare, lui permettant de mener une carrière artistique exemplaire. [...] À en juger ses nombreuses compositions, il fut le précurseur d’une symbiose entre la musique traditionnelle réunionnaise et le jazz, entre le séga de nos ancêtres et celui de nos contemporains. À l’âge de la sagesse, sa couronne de roi qui le cloisonnait trop souvent au séga lui semblait lourde à porter. Malgré cela, personne aujourd’hui ne contestera ce titre honorifique loin d’être usurpé. (Précourt, 2004, p. 1 et 26.)
26Si le reste du livret développe une approche factuelle très documentée du parcours de l’artiste, le ton élogieux de l’introduction marque cette hésitation et ce va-et-vient entre écriture de l’histoire et établissement d’une mémoire collective à partir de « lieux » sur lesquels se fixer (Nora, 1989, p. 8-9). Il témoigne de cette difficulté à reconnaître aux artistes des années 1950-1970 un statut de « médiateurs » (Slawek, 1991), lequel impliquait nécessairement une négociation et des « arrangements » stratégiques avec le passé et l’actualité musicale de l’île.
27Se pose en fait ici la question du choix de « l’intrigue » (Veyne, 1971, 2003, p. 51-53), c’est-à-dire la sélection des faits et leur mise en relation dans une trame cohérente. Faut-il sélectionner et construire un agencement biographique en insistant sur les ruptures ou bien sur les continuités avec le passé ? Une partie de l’écriture de l’histoire musicale institutionnelle, souvent centrée sur les parcours d’artistes, se heurte à cette question. Et les ségatiers dont on réédite les enregistrements ou auxquels on rend hommage à travers des spectacles sont souvent présentés, au final, comme étant à la fois « modernes » et « traditionnels ». Le temps apparaissant comme un signe d’authenticité, l’ancien est assimilé au « traditionnel ».
28Ces constats dépassent le domaine musical et imprègnent une grande partie des discours de revitalisation culturelle à La Réunion. Ils s’ajoutent souvent à une idéalisation du métissage, l’artiste devenant parfois à lui seul un exemple de créativité et de savoir-faire artistique, le porteur d’une tradition intacte et séculaire, l’incarnation habile et adaptée à son époque de l’identité réunionnaise, voire aussi « l’artiste maudit » et « oublié dans son pays »... Le recyclage des concepts des sciences sociales, comme ceux de « culture », de « syncrétisme », de « métissage », de « tradition », dans une construction à visée identitaire est ici au centre d’un discours qui, à l’instar de « toute entreprise syncrétique », semble vouloir « garder tout en composant tout et prétendre en même temps au génie culturel » (Mary, 1999, p. 489).
Négociations mémorielles et procédés contemporains d’affiliation identitaires
29Les questions d’authenticité qui ont émergé dans les années 2000 avec la patrimonialisation du séga renvoient à un contexte plus global où l’ancrage mémoriel constitue une ressource forte, mais pas unique, de créativité et de légitimation culturelles. L’expression d’une identité et d’une mémoire s’entrecroise de fait avec des enjeux de visibilité et d’inscription dans des niches artistiques et économiques qui conditionnent la poursuite d’une carrière. L’affiliation à un discours et à un ensemble de codes et de normes esthétiques constitue dans ce cadre un élément essentiel des stratégies musicales, lesquelles composent avec des systèmes de référence parfois contradictoires. Trois types d’ancrage prédominent, qui, mobilisés de façon variable par les artistes réunionnais contemporains en fonction de leurs orientations stylistiques, permettent de situer ce qui se joue dans le cadre de la patrimonialisation et la revitalisation du séga des années 1950-1970.
30Un premier élément d’affiliation à l’identité culturelle réunionnaise concerne le rapport d’hérédité qui s’établit entre les pratiques d’une génération et celles des générations précédentes. Le maloya s’inscrit de plain-pied dans ce cadre où la transmission constitue l’élément moteur. Ce qui rend « réunionnais » la pratique du maloya, c’est qu’elle renvoie à l’histoire de l’île, ses racines remontant à la période esclavagiste. Ainsi l’antériorité historique et l’idée de transmission sont gages de « réunionnité ». Dans le maloya, cette relation au passé s’établit principalement à travers l’hommage aux anciens. Publiquement glorifiés, quelques gramoun27 (Gramoun Bébé, Granmoun Lélé, Gramoun Sello, Gramoun Bob, Lo Rwa Kaf, Firmin Viry...) sont ainsi devenus de véritables figures tutélaires du genre. Ils sont présentés et reconnus comme des porteurs de tradition, voire des « guides ». Le maloya joue par ailleurs un rôle central dans les sèrvis kabaré28 où le lien avec les ancêtres se noue plus intimement. Comme l’a montré Benjamin Lagarde (Lagarde, 2007 ; 2008 ; 2012), en chantant en langaz29, en reprenant de « vieux » chants et / ou en jouant certains rythmes dits « malgaches30 », on entre en résonance avec les ancêtres et les esprits tutélaires que l’on cherche à honorer et avec lesquels on veut communiquer par la possession. Ces vingt dernières années, les références à l’usage rituel du maloya ont pénétré le monde du spectacle et du disque par l’intermédiaire d’artistes proches de l’univers cérémoniel (Lindigo, Christine Salem, Urbain Philéas...). Ceci s’articule également à l’inscription du maloya dans un marché de la « world music » demandeur d’exotisme. Enfin, le caractère patrimonial ou mémoriel des chants s’inscrit souvent en parallèle d’un processus de professionnalisation et d’exportation d’une minorité d’artistes soutenus pour partie par les institutions. Les enregistrements de ces groupes, ainsi que leurs prestations scéniques, marquent un lien fort avec la mémoire du genre, à travers la citation ou la reprise intégrale de chants anciens, l’invitation sur scène ou sur disque de « guides » encore vivants et les textes d’hommage31. Dans le cas du séga, dont le marché reste essentiellement local et qui est étranger au culte des ancêtres et à son efficacité religieuse, ce rapport à l’hérédité paraît plus lâche. La relation aux « guides » ou aux figures considérées comme « emblématiques » du genre se situe sur un registre plus séculier que dans le maloya. Pourtant, le recours au passé, à la notion de transmission, de fidélité à un répertoire, ainsi que la propension à sacraliser les figures du séga transparaissent dans de nombreux discours patrimoniaux dont les cadres conceptuels paraissent parfois contradictoires avec la réalité historique du genre.
31Susceptible d’entrer en concurrence ou de s’emboîter avec l’antériorité et l’ancestralité, le rapport de ressemblance et de cousinage plus ou moins réel entre des musiques ou des éléments musicaux « exogènes » et les musiques « endogènes » est également au cœur de certains processus de création musicale à La Réunion. Le cas du reggae, parmi d’autres comme les musiques d’Afrique de l’Ouest, des Caraïbes, en constitue un exemple intéressant. Dans les années 1990, la popularisation, à travers le commerce phonographique, des références (musicales, vestimentaires, philosophiques...) « rastafariennes », ainsi que la constitution de réseaux de militants socioculturels plus ou moins affiliés au « rastafarisme », ont accompagné l’émergence d’une scène de reggae. Jusqu’au début des années 2000, ce reggae local, chanté en créole, s’est situé à mi-chemin entre la défense culturelle créole et la remise en cause de l’ordre colonial et postcolonial. Il a été marqué par l’adaptation de l’argumentaire garveyiste et rastafarien diffusé en Europe par le reggae international dans les années 1970-1980 (Constant, 1995, p. 67). Le succès du reggae à La Réunion fut tel qu’il a conduit quelques groupes renommés (Baster, Kom Zot) à collaborer avec des artistes jamaïcains réputés (Tyrone Downie). Sur ce point, le sentiment d’appartenance à un même mouvement de l’histoire, celui de l’esclavagisme colonial, ainsi que l’insularité tropicale et les liens rompus avec l’Afrique sont souvent présentés comme justifiant l’adoption du reggae et de certains modèles de pensée et de comportement qui lui sont associés32.
32Dans la pratique du séga, ce recours à la ressemblance ou au cousinage culturel est appréhendé de façon plus ambivalente : parfois valorisé, comme dans l’adoption du seggae (séga-reggae) mauricien dans les années 1990 ou des musiques caribéennes dans les années 1950, il peut aussi être discrédité, comme lors du débat autour de la présence de Malavoi pour l’hommage à Luc Donat. Le fait que le séga soit considéré comme « endogène » est de fait susceptible de générer un souci de préservation, de maintien, qui paraît parfois vouloir sonner le coup d’arrêt de la perméabilité historique du genre aux modes extérieures.
33Un dernier type d’affiliation concerne le rapport à la modernité ou à la contemporanéité. Il guide l’adoption de genres ou de styles musicaux qui a priori n’entretiennent pas de lien et/ou d’analogie avec l’histoire et l’identité mémorielle insulaire. Comment, par exemple, justifier le fait de jouer du heavy metal ou de la musique électronique à La Réunion33 ? Ces musiques sont de fait moins systématiquement associées à une zone géographique précise, comme peuvent l’être le reggae jamaïcain ou les batucadas brésiliennes. Il est alors malaisé de convoquer l’histoire, l’affiliation ou la ressemblance culturelle pour justifier leur adoption. La revendication de modernité peut alors fonctionner comme élément de justification. En d’autres termes, ce qui compte n’est pas de s’inscrire dans une identité culturelle collective déterminée par l’histoire, mais plutôt d’être en phase avec la réalité du monde contemporain globalisé dont La Réunion, en tant que département français, est partie prenante. Il ne s’agit pas alors d’exprimer sa réunionnité à travers la musique mais de s’affilier sur une base plus individuelle ou générationnelle à des pratiques qui, au sein du champ musical réunionnais où les esthétiques « endogènes » (séga, maloya principalement)sont publiquement mises en valeur, fonctionnent comme des « contre-cultures ». Face à la puissance des deux premiers modes d’affiliation que nous avons décrits, l’adoption de styles internationaux (rock, pop, electro...) vient questionner la valeur même de la mémoire comme élément d’existence culturelle.
34À la différence du maloya, qui reste plutôt étranger à cette logique, le séga contemporain revendique également sa modernité et son « actualité ». Dominant la production phonographique34 et la diffusion de musique locale à la radio, il est souvent marqué par une absence de réflexivité mémorielle explicite. Ses textes diffusent des commentaires contemporains sur l’actualité de l’île et le quotidien des milieux populaires35. C’est cette réalité qui, doublée à la malléabilité musicale du genre, créée une distorsion lorsqu’il s’agit d’ériger le genre en « tradition » en se basant sur ses variétés des années 1930 à 1970.
35*
36Les trois modes d’affiliation (hérédité, cousinage, modernité) que nous venons de décrire ne doivent pas être pensés de façon séparée. Ils se combinent et s’opposent parfois également. Ils donnent surtout lieu à des stratégies musicales qui permettent aux musiciens et aux porteurs de projets de s’inscrire dans un croisement d’usages de la musique. Le contexte idéologique et identitaire lié à l’histoire de l’île, la réalité de l’économie culturelle insulaire, ainsi que la dimension religieuse d’une partie des musiques traditionnelles réunionnaises, alimentent des rapports de forces au sein desquels les artistes sont plus ou moins engagés, et qui guident leurs pratiques et leurs carrières. Dans ce pluralisme de cadres et de motivations, l’usage du passé musical comme une ressource constitue à La Réunion une stratégie prégnante qui est en phase avec une politique institutionnelle d’hommage et de revitalisation patrimoniale assez volontariste.
37Toutefois, si la valorisation du passé paraît essentielle pour beaucoup d’acteurs du milieu culturel et politique réunionnais, elle n’en est pas moins confrontée aux logiques de la création musicale, qui la mobilise toujours de façon partielle et la réinvestit dans des logiques plus ou moins étrangères, voire antinomiques, à celles de l’archivage, de la fidélité et de l’histoire. Sur ce point, les pratiques musicales et les discours qui les accompagnent (pour les justifier sur le moment ou les valoriser a posteriori) ne coïncident souvent qu’en surface. L’histoire phonographique du séga et l’examen de sa patrimonialisation récente montrent ainsi combien, dans l’érection de ce genre musical au statut d’emblème, peut jouer « l’art d’occulter les contradictoires » (Mary, 1999, p. 470) existant entre sa « jeunesse » et sa « mise en tradition ».
Bibliographie
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Notes de bas de page
1 L’auteur remercie Bertrand Le Mener, Jessica Alcméon Mouniama et Alice Aterianus-Owanga pour leurs conseils durant l’écriture de cet article.
2 Ce terme est employé à La Réunion (notamment dans les discours universitaires et / ou militants) pour désigner l’identité culturelle réunionnaise. Son équivalent en créole est le néologisme réyonèzté.
3 Par ce terme, nous désignons les procédés musicaux qui consistent à renvoyer au passé à travers des citations musicales.
4 À travers cette expression, nous souhaitons souligner la porosité qui, à La Réunion, caractérise souvent les orientations données aux travaux sur le passé culturel de l’île. L’ambivalence des discours et le militantisme affiché de certains historiens universitaires rejoignent les attentes de légitimation de nombreux musiciens, dont les œuvres affichent une dimension ouvertement « mémorielle ». Les va-et-vient entre différents types de discours portés par des acteurs variés contribuent souvent, dans le cadre de la construction d’une identité collective, à en brouiller le statut.
5 Il peut paraître inapproprié de parler d’histoire ou de mémoire « nationale » dans le cas qui nous concerne, La Réunion étant un département français. Cependant, les questions mémorielles qui traversent la vie musicale insulaire ne se situent pas dans le cadre de l’appartenance de l’île à la France (en tant que département d’outre-mer), mais dans celui de son identité particulière.
6 Le séga est une forme de chanson créole, généralement jouée avec des instruments européens. L’habillage instrumental du séga a évolué durant tout le xxe siècle en fonction des modes musicales internationales dont il emprunta souvent des traits stylistiques (voir infra). Le séga constitue aujourd’hui la musique la plus produite sur disque : 50 % des disques produits à La Réunion en 2012 y étaient consacrés alors que 15 % des productions relevaient des musiques d’origine jamaïcaine (reggae, ragga, dancehall, RnB...) et 9 % du maloya (source : SACEM Réunion). Comme le précise la documentation du Pôle régional des musiques actuelles de La Réunion (PRMA), la répartition par styles de la diffusion des productions insulaires sur les radios locales corrobore globalement cette répartition, le séga restant la musique locale la plus diffusée (PRMA, 2011 b). Bien qu’étant beaucoup moins enregistrés et diffusés que le séga, le maloya et les musiques d’origine jamaïcaine restent néanmoins deux styles très pratiqués à La Réunion. Voir également à ce propos la documentation du PRMA (2011 a).
7 À ce sujet, voir Samson (2006, 2011).
8 Nous emploierons ici le terme créole, par ailleurs très polysémique, dans le sens de ce qui est considéré collectivement comme particulier à l’île, à sa culture.
9 Livret du disque Georges Fourcade : le barde créole (Fourcade, 2003).
10 Si le séga fut et reste la musique réunionnaise qui est la plus diffusée à la radio à La Réunion, les programmations musicales radiophoniques furent et restent toutefois dominées par la production nationale et internationale.
11 Réalisés localement par des commerçants d’origine indo-musulmane (communément appelés zarab à La Réunion), ces enregistrements étaient édités par des labels européens (Festival, Philipps, Decca...).
12 Entre 1955 et 1972, La Réunion vit ainsi l’émergence d’une demi-douzaine de producteurs privés plus ou moins actifs. Parallèlement, l’équipement des ménages en matière de postes de radios et d’électrophones, mais aussi de postes de télévision à partir de 1964, se développa rapidement (Wolf, 1998).
13 Les musiciens qui officiaient dans les orchestres les plus réputés étaient généralement issus des milieux ouvriers et artisans des périphéries urbaines de Saint-Denis et de Saint-Pierre. La plupart d’entre eux jouaient de façon routinière.
14 À cette époque, les orchestres les plus rentables économiquement étaient ceux qui savaient intégrer au plus vite, dans leurs programmes, les répertoires français et internationaux à la mode. Les musiciens d’orchestres avaient d’ailleurs souvent la priorité chez les disquaires locaux, où ils s’approvisionnaient en nouveautés.
15 Aux alentours de 1963-1964, ces deux modèles cohabitèrent, voire fusionnèrent, avant que l’accordéon ne devienne obsolète vers 1965, au profit de ce que l’on appelait alors les « orchestres trois guitares » (orchestres dits « yéyé » en France métropolitaine).
16 Ces caractéristiques, encore perceptibles à l’heure actuelle dans les variétés contemporaines du genre, répondent à celles des « jeunes musiques », telles que définies par Julien Mallet (2008).
17 En tant que genre musical, le maloya constitue un continuum qui va de formes musicales acoustiques jouées sur des instruments dits « traditionnels » de fabrication artisanale (tambours, hochets, idiophones) à des formes électriques valorisant la fusion, ou le « métissage », avec des formes musicales « exogènes » reconnues internationalement (rock, jazz, electro...). Pour une approche typologique du maloya, voir notamment Lagarde (2011).
18 Voir à ce propos Nathalie Noël-Cadet & Laurent Hoareau (2012), « Processus de patrimonialisation d’objets culturels à La Réunion : une dynamique sociale », communication (non publiée) aux journées d’étude intitulées Patrimonialisation et identités musicales, réseau Cargo, 14, 15, 16 mai 2012, Saint-Denis, La Réunion.
19 Fondé dans les années 1960 par des membres de la bourgeoisie de Saint-Denis, le Groupe folklorique de La Réunion est à l’heure actuelle la plus ancienne troupe folklorique en activité.
20 Le Pôle régional des musiques actuelles de La Réunion (PRMA) est une association loi de 1901, principalement financée par le Conseil régional de La Réunion et la Direction des affaires culturelles de l’océan Indien, dont le projet d’activités initial était consacré à quatre axes : la formation, l’information, le patrimoine et l’exportation. Durant les années 2000, ses activités liées au patrimoine ont été parmi les plus visibles et les plus financées.
21 Le terme takamba désigne un cordophone africain, également dénommé n’goni. Il fut pratiqué dans les années 1980-1990 par Alain Péters (1952-1995), musicien et poète réunionnais aujourd’hui très reconnu et valorisé. À l’heure actuelle, il est également pratiqué par le groupe Ziskakan.
22 Livret du disque Henri Madoré : le dernier chanteur de rue, Takamba, TAKA 9701, pages non numérotées.
23 Dans le catalogue de l’exposition Face A - Face B : le temps des vinyles, la présidente du Conseil général signait le texte suivant, qui insistait sur les devoirs du Conseil général en matière d’archivage et de conservation : « De tous les chantiers que le Conseil général a lancé ces dernières années pour protéger, valoriser et faire connaître notre patrimoine commun (architectural, littéraire, botanique...), la sauvegarde de notre mémoire musicale est sans doute celui qui touchera le plus le cœur des Réunionnais [...]. Cette fois, avec l’association Kréol’Art, nous avons souhaité donner à connaître ou à retrouver quelques-unes des pochettes de disques du fonds Arno Bazin. Des images qui disent tout un monde : esthétique, poétique, sociologique... Des traces d’une époque qui ont toute leur place dans les collections historiques que le Conseil général a le devoir de conserver et de transmettre. » (Conseil régional de La Réunion / association Kréol’art, 2010, p. 1.)
24 Expression créole désignant le « séga d’autrefois ».
25 Voir Nora, 1989.
26 Joueurs de séga.
27 Terme créole qui désigne les vieilles personnes mais aussi, dans un contexte cultuel, les ancêtres.
28 Cérémonies du culte aux ancêtres d’origine africaine et malgache à La Réunion.
29 Considéré comme la « langue des ancêtres », le langaz utilisé dans certains chants du maloya renverrait à des formes créolisées de langues ancestrales d’Afrique, de Madagascar et d’Inde.
30 Dans le maloya, les rythmes dits « malgaches » sont construits en deux temps subdivisés de façon binaire, à la différence des rythmes plus communs, construits en deux temps subdivisés de façon ternaire. Ils sont généralement associés au cadre cérémoniel et à la communication avec les « esprits ».
31 Parallèlement à la célébration des « anciens », ces artistes procèdent à des « retours aux sources » en intégrant à leurs musiques des éléments (instruments, figures mélodiques, rythmes...) appartenant aux traditions musicales malgaches, africaines et indiennes... qui étaient absentes du maloya avant les années 1980. Ces procédés sont parfois critiqués au nom d’une certaine authenticité culturelle. Ils renvoient à la question soulevée par Monique Desroches à propos des pratiques musicales rituelles des descendants d’Indiens aux Antilles et à La Réunion : « À quelle mémoire collective est-on fidèle ? » L’auteure souligne à ce propos : « [...] La mémoire, à l’instar de l’identité, ne résulte pas d’un cumul passif de traits culturels, mais d’une construction, voire d’une reconstruction incessante à partir de choix et de consensus. » (2003, p. 215.)
32 Pour une approche détaillée des enjeux et des modalités de l’appropriation des musiques d’origine jamaïcaine à La Réunion, voir Samson, 2012.
33 À La Réunion, le rock est joué depuis la fin des années 1950 et le metal depuis le début des années 2000.
34 Voir la note nº 6, p. 98.
35 Les sentiments amoureux constituent une autre thématique récurrente du séga contemporain, comme en témoigne l’émergence dans les années 1990-2000 de la catégorie « séga love ».
Auteur
Guillaume Samson est docteur en ethnomusicologie. Il est actuellement chargé de l’observation au Pôle régional des musiques actuelles de La Réunion. Ses recherches et publications portent sur les musiques des Mascareignes. Elles concernent les modalités symboliques et pratiques de la cohabitation entre les musiques à fort ancrage historique et communautaire et les musiques d’adaptation récente.
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