Ethnographie expérimentale : du réassemblage à la reconstitution
p. 111-126
Texte intégral
L’artiste ethnographe, enjeux et méthodes
1Depuis le milieu des années 1980, sous l’impulsion d’auteurs tels que James Clifford et George Marcus (1986), les anthropologues de terrain se sont dotés de nombreux outils critiques, n’hésitant plus à assumer le rôle qu’ils prennent dans les poétiques et les politiques de l’ethnographie1. Parallèlement à ce tournant réflexif de la discipline anthropologique, les pratiques artistiques ont évolué dans une large mesure en intégrant l’enquête de terrain, voire l’observation participante, contribuant ainsi à une vision élargie de l’ethnographie. Celle-ci ne s’entend plus uniquement comme l’expérience individuelle et irréductible de l’ethnographe, mais plutôt comme un rapport au savoir, à sa mise en forme et surtout aux soubassements politiques qui le travaillent (la place de l’autre dans la constitution de ce savoir). Sans qu’elles se réduisent à une « déconstruction » de la discipline, il y a fort à penser que les réappropriations méthodologiques, formelles ou esthétiques de l’« artiste ethnographe » – appellation qui sera à clarifier – n’ont pas été sans conséquence sur le tournant réflexif pris par les anthropologues eux-mêmes.
2Mais le nouveau visage de cet artiste ethnographe n’a surtout plus grand-chose à voir avec celui arboré par les surréalistes et le désir d’ethnographie propre aux années 1920-1930 (voir Clifford, 1988, 1996, p. 121 sq.). La décolonisation des esprits ayant accompagné la décolonisation tout court, et avec elle la remise en question d’un regard ethnocentriste, l’artiste ethnographe qui se fait jour depuis les années 1980 jusqu’à aujourd’hui ne se satisfait plus du modèle du collage et de la juxtaposition, de l’esthétique du fragment ou de la fascination pour l’étrange(r), la magie, l’impureté – que Georges Bataille a pu partager avec Luis Buñuel ou Lévi-Strauss avec Max Ernst. Les pratiques actuelles ont quitté les sphères de l’avant-garde au profit d’une perspective épistémo-critique sur la situation ethnographique, à commencer par les problèmes d’énonciation, les temporalités et les positions en jeu dans cette situation : « Qui parle ? Qui écrit [ajoutons qui filme] ? Quand et où ? Avec, ou à qui ? Sous quelles contraintes institutionnelles ou historiques ? » (Clifford & Marcus, 1986, p. 13 ; ma traduction) comme le demandait James Clifford devant la citadelle positiviste de l’ethnographie moderne. Bien loin de toute anthropologie de l’art, ou anthropologie esthétique, on entre ainsi de plain-pied dans la nouvelle sphère des « arts de l’enquête et du terrain ». Nous tâcherons ici d’en montrer tant la genèse néosurréaliste que l’aboutissement épistémo-critique.
3Une des clés de voûte, en la matière, qui trouve une attention et une réévaluation constantes chez de nombreux artistes, est le concept de reconstitution. Une clé aux multiples branchements qui touche autant aux arts de la scène et du spectacle, qu’à des pratiques amateurs comme lesdites « sociétés de reconstitution historique », à la commémoration, au dispositif rituel, à la science criminologique, à la psychologie (notamment avec le psychodrame qui propose par exemple à des individus de rejouer leurs problèmes familiaux), voire à la planification urbaine (de Dubaï à la Chine, on reconstitue ici l’île de la Grande-Bretagne, là un village de Bavière, dont la réalité supplante de loin tout jeu d’enfant ou autre jeu vidéo).
4Les travaux des artistes que nous prendrons pour objets ne visent en rien à subsumer sous le paradigme de la reconstitution un usage normatif de l’histoire ni la revendication d’une méthodologie univoque. En anthropologie, du reste, que l’on parle de « reconstituer » l’histoire d’un groupe – comme pouvait l’écrire Marcel Mauss (1926, 1967) – ou bien de « reconstituer » une cabane ou autre élément d’une société à des fins muséologiques, le terme s’avère sans réelle efficacité. Il semble surtout guidé par les circonstances et non par un choix conceptuel. En revanche, le terme – reconstituer un fait ou un contexte culturel particulier – recèle une idée importante et fondatrice pour comprendre le rapport de la science anthropologique à son objet : celle de rendre les données ou les objets ethnographiques « vivants2 » (le contexte privilégié restant le musée). Autant dire que derrière tout corpus de recherche scientifique, un corps bien physique s’affaire telle une ombre qui repasse sans cesse. Mais que se passerait-il si, plutôt que les objets, les artefacts aussi bien que les documents, c’était le terrain lui-même que l’on essayait de ressusciter ? Si une telle suggestion semble s’avancer chez certains artistes – donner une seconde vie à l’expérience de l’observation sur un terrain d’enquête –, leur démarche se réinscrit dans la grande problématique de la « textualisation », ou plus exactement : comment se jouer du dispositif propre à l’ethnographie moderne selon lequel « les événements et les rencontres de la recherche deviennent des notes de terrain ? Les expériences deviennent des récits, des événements significatifs ou des exemples » (Clifford, 1988, 1996, p. 46) ? Ce qui est en jeu, c’est bien la question épistémologique du texte pensé comme résidu de l’expérience ethnographique face aux interactions sur le terrain (dialogisme, traductibilité, hybridation) et non pas, par exemple, le modèle cognitif hérité de la paléontologie naissante, avec Cuvier, au xixe siècle. Ce dernier avait établi une loi de corrélation des formes selon laquelle on peut reconstituer un squelette d’animal – disparu de la surface du globe – à l’aide de quelques fragments d’ossements permettant de déduire la forme des os manquants3. J’évoque intentionnellement ce chapitre de l’histoire de sciences, car l’anthropologie a également partagé jusqu’à un certain point ce modèle cognitif conduisant d’une part, à la volonté d’exhaustivité sur son objet, et d’autre part, au maniement des indices, en fonction d’une totalité à reconstituer, par le rapport métonymique du tout à ses parties. Or c’est ce modèle cognitif qui sera aussi battu en brèche dans l’ethnographie expérimentale de certains artistes contemporains.
5L’enjeu est la possibilité d’élaborer de nouveaux dispositifs d’énonciation et d’interaction. Les travaux de Geertz et de Clifford, portant à la fois sur les stratégies d’écritures de l’ethnographe et sur ses débouchés, par exemple dans des formes d’écritures dialogiques, voire polyphoniques, ont ouvert la voie. Mais en définitive – c’est là où l’on déborde la problématique textuelle –, la possibilité est certainement celle d’entrevoir d’autres modes d’action que le texte sur l’expérience de terrain. Mais la détermination de ces nouveaux modes d’action ne se réduit pas non plus à la distinction entre une anthropologie « textuelle » et une autre « visuelle ». Ou plus exactement, la conception du texte ne se réduit pas à ce que j’ai appelé le « résidu » de l’expérience de terrain. À ce point, il convient également de recourir au courant de l’anthropologie réflexive de Victor Turner, initié au début des années 1980, avec son collègue Richard Schechner. Leur projet a consisté, selon leurs propres termes, à « performer l’ethnographie ». Cette préoccupation tout à fait ancrée dans leur méthodologie consistait à rejouer eux-mêmes avec leurs étudiants, a posteriori, des rituels observés sur le terrain, et ce, en réaction à un certain réductionnisme cognitiviste ou bien à une tendance qui consistait à maintenir l’ethnographie dans une réécriture perpétuelle (ils privilégient la répétition du fait rituel plutôt que celle de l’écriture). Turner préconisait un processus en trois étapes : d’abord, changer l’ethnographie en un script, ensuite changer le script en une performance et enfin, changer la performance en une méta-ethnographie (d’où l’appellation d’anthropologie réflexive : Turner, 1982, p. 90). Il ne s’agit pas d’attendre, loin de là, que les artistes appliquent ces étapes telle une recette. À travers des travaux variés, le dialogue avec l’ethnographie trouvera une forme et un procédé particuliers, qui ne se limiteront jamais à un « emprunt ». La notion cinématographique et performative de script peut nous aider à amorcer un déplacement depuis la notion littéraire de texte, et l’idée de rejouer / ressentir les rituels plutôt que d’essayer de les « analyser » ou de les « restituer » est une autre clé importante de cet échange.
Trinh T. Minh-ha : « réassemblage » sur les ruines de l’ethnographie
6Le film Reassemblage, de Trinh T. Minh-ha4, tourné au Sénégal en 19815, représente désormais un classique de l’ethnographie expérimentale (Russell, 1999). Par cette appellation, entendons une déterritorialisation du cinéma expérimental à travers le champ ethnographique débouchant sur une problématisation poétique et politique de la « science » ethnographique. Si Reassemblage peut être considéré comme un film charnière, c’est qu’il contribue à ouvrir la perspective épistémo-critique tout en étant porté par une esthétique qui affiche sa filiation surréaliste – celle que nous avons évoquée plus haut.
7En ouverture, la voix off déblaye et brouille les pistes en même temps : « I do not intend to speak about, just speak nearby. » Ne pas parler « à propos de » (sous-entendu « à la place de »), mais « à côté » ou « à proximité de ». Ainsi posé, l’échec présumé de tout regard objectivant sur les peuples observés – notamment par l’ethnographie moderne – est compris dans l’échec à se définir soi-même comme sujet de perception face à son objet d’étude ; et à l’extrême, dans l’échec de toute science de l’homme par l’homme (l’anthropologie comme utopie). Les conséquences d’une telle résolution – parler ou observer à la marge – paraissent exagérées, mais ne recouvrent pas moins des formes cinématographiques désarmantes. Passant des disjonctions radicales entre le son et l’image aux coupes abruptes dans un montage elliptique, l’ethnographie expérimentale de Trinh T. Minh-ha se veut presque une stase de l’Autre, un arrêt sur image épileptique en radicale déconstruction.
8Dans ce film, nous sommes parfois plus proches du bégaiement visuel que de tout discours, ce qui est à la fois la prise en compte d’un échec scientifique et la source de réitérations performatives (plusieurs phrases en voix off sont répétées le long du film, comme pour les empêcher de donner du sens à une image en particulier6). Par exemple, lorsque la voix off évoque des femmes qui gardent le secret de la création et de la conservation du feu, les images montrent des gestes accomplis par des hommes et non par des femmes. Ou encore, quand cette voix énumère les peuples sérères, bassari et wolofs, sans que l’on sache lequel d’entre eux est montré à l’écran et en vertu de quelle différence culturelle. Le vu et le non-vu, le bruit et le silence ne cessent de s’entrechoquer, vouant toute cohérence narrative à s’étrangler dans un entrelacs de fragments. Les tresses d’une chevelure féminine se superposent à de la paille recouvrant une maison, des motifs en terre sur les habitations renvoient à ceux des tissus et des parures, des corps en plein labeur croisent des corps apparemment oisifs, des regards caméra recoupent des visages absorbés. Tout est à l’extrême, laissé en ruine entre des signes non systématiques, non congruents ; nulle relation du tout à ses parties ou des parties au tout ne semble possible.
9Des fragments de réel s’approchent d’une musique tout en percussion et faite de discontinuités, les mots butent parfois comme de fausses notes ; d’autres fois, ces fragments initient des lignes de fuite imprévisibles, emboîtant des microrécits et des citations d’interlocuteurs « fictifs » dans un récit plus large et sans destinataire prédéfini. Mais les mots relancent toujours l’errance du « je » ethnographique dans un « cercle de regards » (circle of looks), comme le dit la voix off. Sur le terrain, toute personne que je crois surprendre du regard me surprend en retour, dit-elle, d’où l’importance donnée aux regards caméra qui brisent la transparence de la représentation ethnographique. Qui plus est, le regard de celui qui me surprend est pris dans un cercle d’autres regards qui diffèrent perpétuellement la possibilité de distinguer de manière stable la frontière entre observateur et observé. De l’œil à l’esprit et des regards aux mots, quel est le souci principal de Trinh T. Minh-ha ? Éviter le cycle de « récupération, collection, préservation » auquel s’adonnent les ethnologues, que la voix off égratigne, eux qui « manient la caméra exactement comme ils manient les mots ». Il s’agirait alors sans doute de laisser passer, plutôt que de récupérer, de disperser plutôt que de collecter et de transformer plutôt que de préserver ; ainsi en est-il du rapport aux signes entre le texte et l’image dans l’ethnographie expérimentale de Reassemblage.
10Comme un ethnographe à l’affût du moindre détail, le spectateur est placé dans un état d’attention extrême pour mieux déjouer cette inclination à donner du sens. En travaillant contre la logique du détail qui devient indice, contre la logique déductive et interprétative, en réintroduisant le fragment, la citation, le commentaire sur le commentaire, le paradigme du réassemblage semble plutôt révéler les constructions de l’esprit – parmi lesquelles un certain nombre de stéréotypes – qui filtrent notre perception. Ainsi ce film est-il une critique adressée à quelques-unes des marques de réification et d’allochronisme7 propres à l’écriture ethnographique, comme le discours indirect libre qui, dans la translation de l’expérience au texte, impose une objectivité supposée de l’ethnographe.
11L’alternance lancinante entre des gros plans sur les personnes filmées, à la limite du voyeurisme, et des plans d’ensemble qui synthétisent les éléments en présence, vise le déplacement du réassemblage vers la reconstitution. Recourir à des plans apparemment voyeuristes est une stratégie de manipulation des affects détournant la neutralité ou l’objectivité apparente du regard ethnographique (ou bien celui de la chaîne National Geographic). On a coutume de masquer avec ce regard un certain nombre de fantasmes, d’obsessions ou de non-dits – par exemple le corps des sujets observés et l’érotisme inhérent à ces situations. Le gros plan insistant sur le sein d’une femme fait plus que révéler des lambeaux d’une esthétique surréaliste (volontairement dénoncée) ; il tend à « reconstituer » des situations ethnographiques, des jeux de regards et des constructions fantasmatiques à même d’ébranler la stabilité de ces situations. Subvertir le refoulé érotique de l’ethnographie entre ici dans une stratégie où, à défaut de faire sens une fois pour toutes, les indices glanés sur le terrain « réincarnent » le corps de l’ethnographe qui fait habituellement son possible pour s’absenter, n’être plus qu’un corps-œil, à la limite une machine à « observer » (voir Fabian, 1983, 2006).
12Lorsque, pour la énième fois, le son se coupe et l’image saute, on pourrait entendre résonner l’ouverture de L’Empire des signes de Roland Barthes, autre anti-récit ou récit fragmentaire, inspiré par la découverte d’une culture autre (le Japon), mais dans l’autonégation de ce rapport d’altérité que l’on préfère mettre en pièces :
Le texte ne commente pas les images. Les images n’illustrent pas le texte : chacun a été seulement pour moi le départ d’une sorte de vacillement visuel, analogue peut-être à cette perte de sens que le Zen appelle un satori ; texte et images, dans leur entrelacs, veulent assurer la circulation, l’échange de ces signifiants : le corps, le visage, l’écriture, et y lire le recul des signes. (Barthes, 1970, p. 9)
Trinh T. Minh-ha, comme en écho à l’auteur de L’Empire des signes, stigmatise « l’habitude à imposer une signification au moindre signe ». Des signes qui reculent pour éviter de se retrouver capitonnés sur le ventre feutré de la rationalité scientifique, orientaliste ou ethnocentriste ; des signes errants, inassignables et inatteignables qui retournent à un espace où la subjectivité se met en forme, tel un work-in-progress ; un espace hypersensible où l’écrivain, le filmeur, « l’ethnographe » se laissent finalement prendre dans la spirale du traduisible.
13Imaginons que la langue de l’autre soit traduite dans ma langue, puis le résultat obtenu retraduit de ma langue à celle de l’autre et ainsi de suite, à l’infini, pour ne viser plus la signification, mais les déplacements infimes de notre perception mutuelle via le langage. Nous serons alors bien arrivés à cette érotique du signifiant, ce découplage de la structure signifiant / signifié entre plaisir des formes et réalité du sens, ainsi qu’entre un « ici » et un « là-bas ».
14Si le réassemblage n’est pas la reconstitution, il remplit des fonctions – à travers le montage cinématographique – qui nous permettent à présent de l’aborder : réintégrer l’observateur dans les « cercles de regards », réintégrer l’autre dans la co-temporalité de l’expérience ethnographique, agencer les discours au lieu de les classer, ouvrir le sens au lieu de le fixer. Autant de fonctions qui participent de la même performance souvent à l’œuvre dans la reconstitution.
Élise Leclercq : auto-mise en scène et art de la mémoire
15Le site dit de l’Union, du même nom qu’une friche industrielle de 80 hectares en métropole lilloise, fut le lieu pour Élise Leclercq8 d’une enquête en prise avec le territoire. Composée d’habitations ouvrières en briques rouges et d’usines laissées à l’abandon dans les années 1990 à la suite de différentes crises (charbon, métallurgie et textile), les gens qui habitent encore cette ZAC9 sont souvent ceux qui ont refusé d’en partir. L’artiste en a rencontré un certain nombre, comme elle a pour habitude de le faire, afin de réunir un ensemble de sources audiovisuelles réalisées en collaboration avec les habitants. Le protocole mis en œuvre est celui de l’auto-mise en scène. Ce travail fut d’abord exposé à l’hospice de Havré à Tourcoing, pendant l’été 2009.
16Une femme qui porte un tablier entre timidement dans un immense hangar désaffecté. Du bout des doigts, elle effleure la portière à demi ouverte d’un boîtier électrique et essaie de la refermer. Autour, c’est le silence. La femme commence à marcher lentement, les mains dans le dos, comme si elle visitait les lieux pour la première fois, en longeant un côté du hangar. Une lumière naturelle vive, qui semble tomber du ciel, comme si nous étions dans un puits, infuse le sol et les murs. Dans un lent travelling, nous suivons la femme qui s’éloigne. Plus elle avance, plus elle nous semble une fourmi à l’échelle du lieu. Au bout d’une trentaine de mètres, elle tourne vers la droite et traverse cet espace lunaire pour rejoindre l’autre côté. En s’approchant de la caméra, elle trouve, derrière un des nombreux piliers, un balai qui semblait l’attendre. Elle s’en empare avec prudence et d’un geste vigoureux et maîtrisé se met à balayer la poussière qui s’élève dans les airs par de grandes nuées confondues avec la lumière. Le geste semble vain étant donné l’immensité du lieu. Au bout de quelques minutes, la femme repose le balai là où elle l’a trouvé. Elle s’accoude à une citerne et regarde autour d’elle en balayant l’espace du regard comme pour en prendre la mesure. Quelques secondes plus tard, elle se ressaisit du balai et se remet à balayer. Le geste s’intensifie et son parcours se rétrécit, jusqu’à se concentrer en une motte de poussière vers laquelle tous les coups de balai se recentrent. Puis elle s’arrête de balayer et fait chemin arrière jusqu’à son point de départ. Elle sort. La vidéo se termine en indiquant : « Avec Christine Quivrin, ouvrière textile pendant vingt et un ans à l’usine de la Tossée située dans la zone de l’Union à Tourcoing, nord de la France. L’usine est fermée depuis avril 200410. »
17La description que nous venons de donner de cette vidéo est volontairement détaillée ou « dense » ; comme pour en épuiser la description, sous la forme d’un récit figuratif adressé à quelqu’un qui, pour des raisons techniques ou bien parce qu’il appartient à une autre époque, ne pourra jamais la visionner. Faire voir l’action par le discours. C’est le principe rhétorique de l’ekphrasis hérité des Grecs et d’Homère qui prétend à une description si détaillée qu’elle en rende son objet présent. Ainsi Diderot consignait-il ses descriptions des Salons à l’attention de Catherine II de Russie afin qu’elle ait connaissance des modes parisiennes. Dans une certaine mesure, ce principe se retrouve aussi dans les règles que se donne l’ethnographe afin de transcrire les actions qu’il observe : l’écart entre la perception et la description, entre différents niveaux de description et la part d’interaction qui est dans la description. L’ethnographie expérimentale d’Élise Leclercq et de Trinh T. Minh-ha montre comme aucune description n’est neutre. Il en est ainsi des effets rhétoriques, littéraires et des marqueurs d’intensité ou de focalisation dans notre description de la vidéo montrant Christine en train de balayer. Il n’aura donc échappé à personne que ce type de dispositif propose également au spectateur de glisser son regard sous celui de l’ethnographe qui écrit.
18Les débats épistémologiques autour de la description sont le plus souvent cristallisés autour des travaux de Clifford Geertz et le modèle de la thick description (description dense) mise en œuvre, à l’origine, dans son enquête célèbre sur les batailles de coqs à Bali (Geertz, 1973, 1983). Celle-ci se donne pour but de s’approcher au plus près de l’interprétation que les acteurs font des éléments de leur culture – ou de sa mise en scène. L’avantage est alors d’être près du contexte de l’énonciation plutôt que de celui défini par la coutume, les institutions, etc. À tout le moins le premier encadre-t-il le second. Les voies de la réflexivité à travers les rapports entre écrire et décrire sont volontiers réempruntées par l’histoire de l’art, d’une manière très similaire. Par exemple, lorsque Stendhal nous donne à « voir » la fresque de l’école d’Athènes de Raphaël, il s’agit littéralement de nous guider à travers des figures peintes sur une table que se partagent l’écrivant ethnographe et le spectateur :
Qui ne connaît l’École d’Athènes ? C’est une réunion idéale des philosophes de tous les temps de la Grèce. La scène se passe sous le portique d’un grand édifice orné de statues et de bas-reliefs. Sur une plateforme placée assez loin du spectateur, et à laquelle on arrive par des gradins, on aperçoit Aristote et Platon. (Stendhal, 1829, 1973, p. 233)
Ainsi, à supposer qu’on ait seulement un vague souvenir de la fresque – ou alors qu’elle se soit soudainement vidée comme l’usine où travaillait Christine –, doit-on croire que le « grand édifice orné de statues et de bas-reliefs » fait partie de la fresque elle-même ou de l’architecture qui l’accueille ? Notons par ailleurs l’usage inclusif du pronom « on » qui adjoint le regard du spectateur à celui de l’observateur et « arrive par des gradins », comme si le rapport au tableau était parfaitement transposé sur un plan à trois dimensions.
19Si nous revenons à Christine, marchant à travers l’usine où elle a passé le balai durant vingt et un ans, il semble bien qu’elle figure en même temps les « poses » ou la mémoire corporelle, impliquant – au moins virtuellement – la transposition de son geste en un script, pour une action à rejouer. S’agissant ici d’une vidéo, le cadre de la représentation s’est retiré au profit du plan, en l’occurrence le plan-séquence en travelling, c’est-à-dire l’aspiration originelle du cinéma à reproduire le flux de la vie. Le plan-séquence représente cet espace-temps continu au travers duquel nulle coupe n’est censée venir déranger l’adéquation entre les éléments du réel et l’expérience qui en est faite. Là, réside toute l’originalité du dispositif mis en place par Élise Leclercq dans ses auto-mises en scène : elles recèlent l’intensité descriptive du tableau et « cadrent11 » l’expérience, tout en l’exposant à l’action du temps, de la durée. Équilibre remarquable de nuance et de précision au cours duquel Élise Leclercq d’un côté avec sa caméra, Christine de l’autre, sans réelle directive, se suivent, aux aguets, par ajustement de l’une avec l’autre. La substance de cette durée est donc versée dans ce plan à titre de parcours mnésique, c’est-à-dire au sens d’une superposition entre un lieu de mémoire – qui « contient » l’expérience – et une mémoire des lieux – qui la rejoue. En effet chaque pas ou geste est accompli par Christine avec une telle attention qu’il semble être simultanément acte de remémoration et de mémorisation12. Réciproquement, la même attention semble lui être portée par l’œil de la caméra qui la suit. De telle sorte qu’en relisant notre description introductive des gestes de Christine et en repensant aux images de la vidéo qu’elle redouble, ces images apparaissent comme la tentative inverse de l’ekphrasis : donner à entendre le discours par l’action. Cette opération inversée tient lieu à un autre stratagème cher à Diderot, celui du tableau vivant par lequel les acteurs immobilisés dans des gestuelles offrent au spectateur une vision particulière de leur histoire (voir Barthes, 1982).
20L’enquête de terrain se déroule en deux temps : celui qui nous est inconnu en tant que spectateur, qui comporte des discussions entre l’artiste et les « acteurs » (le terme prend ici toute son ambiguïté) qui vont les amener à mettre en place le dispositif d’auto-mise en scène. C’est là qu’intervient une seconde phase, où terrain et écriture se conjuguent plus qu’ils ne se succèdent. Tout ici se donne comme la figuration visible d’un texte (script) invisible. L’auto-mise en scène représente un dispositif de subjectivation. « Dispositif », car elle consiste en une manière opérative d’agencer des lieux, des énoncés, des gestes, des documents, « du dit et du non-dit13 ». « De subjectivation », car ce dispositif consiste, pour les enquêtés, à se poser en sujets et à mettre en place un certain rapport à soi perçu comme rapport à la vérité14. Une organisation interactive et non surplombante de l’espace d’échange, entre « observateur » et « observé », émerge à ce point. Le circuit de l’auto-mise en scène, composé de l’artiste, de l’acteur et du spectateur, permet aux deux premiers la position partagée de co-scripteurs. Et, dans ce circuit, entre l’artiste et le spectateur, la position d’observateur activement est partagée dans l’entrelacs du visible et du lisible.
21Loin de se contenter de déconstruire le dispositif de la doxa ethnographique, l’auto-mise en scène a également eu pour effet de révéler la complexité ethnographique du geste de balayer. Apparemment sans présenter une signification symbolique ni rituelle, sans être un non plus savoir-faire valorisable en tant que fait ou représentation culturelle, balayer suppose en réalité – notamment dans le contexte de l’usine – un contact particulier avec le lieu de travail et une connaissance de ce lieu, qui ont leur importance. Ce contact s’établit dans le rapport entre la mémoire de ces lieux et le corps qui la réincarne, mais il passe aussi par un déplacement dans un lieu qui repasse sous le contrôle de cette mémoire, alors qu’il contrôlait les corps auparavant – y compris en les soumettant à une temporalité productiviste qui n’a plus lieu d’être dans l’auto-mise en scène. Non seulement le balayage redessine en les exhumant les angles morts et l’aura improductive de l’usine, mais ce balayage beckettien recèle une force qui dénaturalise le regard.
22Afin de mieux cerner les facultés de la reconstitution, il convient de se pencher sur un autre projet d’Élise Leclercq, mené en 2011 dans la ville de Ferrière-la-Grande. Cette ville est scindée en deux par une voie ferrée, bien que les trains ne passent plus depuis longtemps. Ce chemin de fer s’inscrit dans le paysage « rurbain », comme une artère historique du développement ouvrier autour de la métallurgie. Dans le cadre d’une résidence, Élise Leclercq a proposé une relecture visuelle et sonore de cet espace. Elle a invité plusieurs habitants à se projeter physiquement dans les zones traversées par la voie ferrée, en réalisant des auto-mises en scène, sous forme de vidéos individuelles et collectives. Ses rencontres l’ont également amenée sur le terrain de l’ancienne usine Miroux, située en plein cœur de la ville.
23Le triptyque de vidéos réalisé en collaboration avec Robert Carlier, ancien ouvrier de la fonderie Miroux, nous plonge dans une triple dimension15. Il se compose d’une visite-souvenir sur la friche de l’ancien site ouvrier fermé en 2002 ; d’un film personnel qu’il réalisa en 1991 à l’intérieur de l’usine, avant son licenciement économique en 1998 ; et enfin d’une vidéo mettant en scène les modèles réduits sophistiqués qu’il construit durant son temps libre, reprenant à l’identique les formes, les couleurs et les systèmes mécaniques de ces machines qu’il réparait tous les jours à l’usine. Lors de sa visite, Robert Carlier, seul face à la caméra de l’artiste, nous confie ses souvenirs, mais il rapporte aussi les détails d’une journée de travail type, l’organisation et les recoins de l’usine. La mémoire qui se met au travail sur le terrain vague prend la forme d’une description vivante et dense qui déstabilise notre conception du témoignage. Les mouvements zélés de la baguette qu’il agite et avec laquelle il domine l’espace « mental » du site, de même que les dialogues fictifs qu’il noue avec ses « collègues », font apparaître l’espace de l’usine, ses figures, sa toponymie, dans un récit aux allures d’invocation magique.
24Il est intéressant de lire de plus près quelques transcriptions du discours de Robert Carlier. Elles font notamment ressortir les différents temps qu’il emploie pour se raconter, dans un dispositif où l’auto-mise en scène se déplace vers la performance ethnographique. Il s’agit bien de décrire. D’une voix active et à valeur illocutoire, son récit commence par un présent16 :
Il est 6 h 20. Je pointe, je dis bonjour à Marcel, je sors de la loge, je prends mon vélo, et je le prends à la même place comme d’habitude depuis quarante ans. Ta ! [Il imite une machine de pointage.] Après j’avance, je vais à l’atelier. À 6 h 20, dès fois, il fait encore noir. Donc c’est moi qui allume les lumières de sécurité des ateliers qui se trouvent là en entrant, à la porte. Ici, on a une petite porte que j’ouvre...
Robert Carlier raconte cela en se déplaçant sur le terrain vague de l’ancienne usine, énonçant ses actions tout en les réalisant dans l’espace. Puis intervient un premier décrochage, très progressif, du temps présent vers l’imparfait : « Je rentre dans mon bureau, première chose à faire, allumer la lumière, je me déshabille parce que y a trois armoires qui étaient ici là dans le coin. » L’usage soudain du passé au milieu d’un récit jusque-là destiné à faire voir les gestes rejoués introduit un changement de point de vue qui n’est plus celui de la performance à proprement parler, mais celui du témoignage. Dans la continuité de son discours, on comprend que les décrochages temporels arrivent également en fonction de visualisations purement spatiales, comme : « En passant dans l’allée centrale, j’ai vu un gars qui allait avoir fini. » L’ethnographie expérimentale vise à la production du lien entre espace et mémoire, mais également à une requalification des « lieux de mémoire » non officiels, lieux sans qualités, ou dépourvus de « parole » figurable à travers les dispositifs contemporains de témoignage. Celui qui est élaboré dans la collaboration d’Élise Leclercq avec Robert Carlier a la particularité de soutenir simultanément figuration narrative et mémoire des gestes. La notion de script se donne alors à entendre, au sens performatif qui s’oppose au texte, c’est-à-dire dont les traces ne se résument ni à de l’écrit ni à aucun système prédéterminé.
25La notion de script profite à l’homo ludens, ouvert à l’ethnographie collaborative, qui s’est affranchie du vrai et du faux pour s’engager, entre liberté et contrainte, prise de parole et non-dits, dans une « implication paradoxale ». Le dialogue méthodologique peut s’ouvrir avec l’anthropologie du rituel, remettant ainsi en perspective la définition d’Albert Piette : « Le rituel, ne fait-il pas partie de ces réalités dans lesquelles il est permis sinon possible de montrer qu’on est “out”, en dehors de la situation, tout en respectant certaines limites ? » (Piette, 1992, p. 1317) Logique du double bind ou de « l’implication paradoxale » qu’il appartenait peut-être aux artistes de porter à son maximum. De là à dire que les dispositifs ont remplacé les rituels, ou que les rituels se sont révélés dans leur nature de dispositifs, il n’y a qu’un pas. Ce sont à travers eux que se dessinent les lignes de subjectivation par lesquelles entrer, sortir, assumer une place, un énoncé, etc., par lesquelles le pouvoir de l’artiste, en instaurant ces limites ou en invitant à les franchir, se mesure au savoir des enquêtés sur eux-mêmes et sur le milieu auquel ils appartiendraient – si seulement le dispositif n’avait aussi le pouvoir de les déplacer d’une époque à une autre, d’un régime d’historicité à un autre.
26En effet, après avoir évoqué une large étendue de souvenirs uniquement au passé, c’est-à-dire dès qu’il est « passé dans l’allée centrale » de l’usine, commençant le récit des interactions avec ses collègues, Robert Carlier achève significativement son récit en repassant au présent de la performance ethnographique : « Je pointe, je dis au revoir à Marcel et puis je m’en vais. » Comme si tout retour du passé qu’il s’agissait d’agir ou de performer dans le présent se devait de dessiner sa propre frontière avec la « fiction » du souvenir.
27Une fois le paradigme de la reconstitution dégagé, en ses opérations principales, rendons justice à l’ensemble de l’installation vidéo Pièces et mémoire en complétant brièvement par l’étude des deux autres vidéos. Le dialogue fictif que Robert Carlier établit avec ses collègues de l’époque se prolonge dans les images filmées par lui-même, une vingtaine d’années avant cette performance. Les regards complices et les plaisanteries suscités entre collègues par la caméra se détachent alors de la chaîne de travail et de l’automatisme des machines. Si les images révèlent des transformations introduites par la présence de la caméra, il ne faut pas oublier que le geste de filmer outrepasse l’interdit opposé par le lieu de travail, qui s’avère donc aussi un lieu d’échange et de sociabilité. Puis, par l’effet renversant de la troisième vidéo, où Robert Carlier dévoile ses maquettes, la main de l’ouvrier n’est plus contrainte à suivre le rythme imposé par la machine, mais elle la manipule dans un décor lilliputien. La force de travail pure se voit soudain réinvestie dans le savoir-faire de l’ingénieur-maquettiste. Les trajets vacillants de l’art de la mémoire qui vont d’un point à un autre, du passé au présent, ont trouvé leur royaume. Ici l’expérience se rejoue « pièce » par « pièce », comme l’édifice d’une vie où le travail rime amèrement avec l’enfance, mais où les modèles réduits survivent aux usines.
*
28Dans un passage saisissant d’ambiguïté, cité par Johannes Fabian, Claude Lévi-Strauss parle des cultures (« dites primitives ») que l’anthropologue se donne à étudier comme des « corps célestes » (Fabian, 1983, 2006, p. 126-127), mettant ainsi en valeur le rôle positif de la distance qui le sépare d’elles. À travers cette métaphore entravant toute possibilité de figurabilité pour le discours des « enquêtés », l’anthropologue troquerait son carnet de notes contre un télescope. La science de l’homme, en tant que discipline, renouerait, à travers l’histoire naturelle, avec certaines de ses origines mal assumées. Si l’anthropologue moderne ne cherchait ni à faire « sentir » les choses ni à donner la parole, s’il cherchait à organiser les indices, à inspecter les consciences, à universaliser les représentations, il n’était pas moins pris au jeu de sa participation au terrain, rendant intenable toute posture de neutralité scientifique. Car, à l’autre bout du processus ethnographique, que vont devenir les échanges et les transformations nés de la rencontre avec l’autre, sinon l’ombre impersonnelle d’un « ils » qui se démarque d’un « nous » scientifique, les éléments inconscients d’un discours indirect libre où les faits et gestes de l’ethnographié sont racontés par un ethnographe omniscient – sans que le moindre guillemet jamais ne s’ouvre ?
29Si les anthropologues ont depuis assez longtemps largement repris à leur compte différentes tentatives de dispositifs, d’« assemblages de textes18 », de coécritures et autres ethnographies collaboratives19, si ces dispositifs voient l’informateur ou l’ethnographié prendre une part active à l’enquête, gommant ainsi la frontière séparant le terrain de l’écriture, engageant plutôt ses coauteurs à des allers-retours, l’ethnographie expérimentale, elle, aura contribué à « désémiologiser » l’autre.
Bibliographie
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Notes de bas de page
1 On pense notamment au thème choisi par Okwui Enwezor pour la triennale d’art contemporain 2012, intitulée « Intense proximité », qui se présente ainsi : « Puisant son inspiration dans les travaux des grandes figures de l’ethnographie française du xxe siècle, telles que Claude Lévi-Strauss, Marcel Mauss, Michel Leiris et Marcel Griaule, La Triennale s’embarquera dans une exploration des espaces où l’art et l’ethnographie convergent vers une fascination renouvelée pour l’inconnu et le lointain. » (Présentation de La Triennale 2012, en ligne : www.culturecommunication.gouv.fr/Politiques-ministerielles/Arts-plastiques/Actualites/La-Triennale-2012-Intense-Proximite ; octobre 2017)
2 Sur ce point, notamment depuis Georges-Henri Rivière et le musée d’ethnographie du Trocadéro, voir De l’Estoile, 2007, 2010, p. 249-250.
3 Sur Cuvier, voir Ginzburg, 1986, 2010, p. 275-276.
4 Après un riche parcours universitaire (diplômée de littérature comparée et d’ethnomusicologie) Trinh T. Minh-ha a enseigné à Cornell, San Francisco State, Smith et Harvard. Théoricienne féministe et figure essentielle des études postcoloniales, elle a été primée de nombreuses fois pour ses films, régulièrement présentés dans les festivals internationaux.
5 Trinh T. Minh-ha, Reassemblage. From the firelight to the screen, 1982, 40 min.
6 Stratégie à la fois inverse et concomitante de celle de Chris Marker dans son film Lettre de Sibérie (1958), lorsqu’il appose plusieurs commentaires différents sur les mêmes images.
7 « J’entends par là une tendance persistante et systématique à placer le(s) référent(s) de l’anthropologie dans un Temps autre que le présent du producteur du discours anthropologique. [...] le déni de co-temporalité, c’est l’allochronisme de l’anthropologie. » (Fabian, 1983, 2006, p. 36)
8 Élise Leclercq est une artiste française née à Paris en 1980 où elle vit et travaille. Son parcours a débuté en parallèle d’une formation en anthropologie visuelle et histoire de l’art à l’EHESS. Son travail s’est développé dans le cadre de plusieurs résidences d’artistes et a fait l’objet de plusieurs expositions, généralement localisées dans la même région que son terrain. Ainsi la résidence à l’école du Fresnoy qui a donné lieu à la recherche sur la ZAC de l’Union (2008-2009) ou celle de la galerie Étienne Chatiliez (2007-2008) montrent que ses recherches sont centrées sur la région Nord-Pas-de-Calais. Voir site de l’artiste : www.eliseberimont.net/ (octobre 2017).
9 ZAC : Zone d’aménagement concerté.
10 Élise Leclercq, Tout va disparaître, vidéo, 2009, 10 min.
11 Nous pensons ici au modèle interactionniste (voir Goffman, 1974, 1991 ; 1959, 1973).
12 Nous pensons ici aux « théâtres de la mémoire » des renaissants tels Giordano Bruno et aux études de Frances Yates (1966, 1975), qui a montré comment la mémorisation de parcours à travers des lieux a servi comme modèle pour toutes autres tentatives de mémorisation.
13 Dans une de ses définitions possibles, le dispositif est « un ensemble résolument hétérogène, comportant des discours, des institutions, des aménagements architecturaux, des décisions réglementaires, des lois, des mesures administratives, des énoncés scientifiques, des propositions philosophiques, morales, philanthropiques, bref : du dit, aussi bien que du non-dit [...]. Le dispositif est donc toujours inscrit dans un jeu de pouvoir. » (Foucault, 1971, 2001, p. 299-300)
14 « [...] si subjectivation il y a, elle implique une objectivation indéfinie de soi par soi – indéfinie en ce sens que, n’étant jamais acquise une fois pour toutes, elle n’a pas de terme dans le temps ; et en ce sens qu’il faut toujours pousser aussi loin que possible l’examen des mouvements de pensée, pour ténus et innocents qu’ils puissent paraître. » (Foucault, 1982, 2001, p. 1126)
15 Élise Leclercq, Pièces et mémoire, installation vidéo sur trois écrans, 2011, 10 min.
16 Au sens classique défini par Austin, 1962, 1970. La production de l’énonciation correspond temporellement ou activement à l’exécution d’une action.
17 Sur le phénomène de l’implication paradoxale, voir p. 87 sq.
18 « L’anthropologie interprétative, en considérant les cultures comme des montages de textes [...] a fortement contribué à la déstabilisation de l’autorité ethnographique. » (Clifford, 1988, p. 47)
19 Pour à la fois un exemple et une appréhension théorique d’anthropologie collaborative, voir Miran, 2010, p. 951-980 et Lassiter, 2005.
Auteur
Morad Montazami est historien de l’art et curator pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord à la Tate Modern, à Londres. Rédacteur en chef de la revue Zamân et directeur des éditions Zamân Books, il fut également co-commissaire de l’exposition Unedited History : Iran 1960-2014, présentée en 2014 au Musée d’art moderne de la ville de Paris et au Maxxi, à Rome.
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