Un sociologue très urbain
p. 263-266
Texte intégral
L’enseignant
1Lorsqu’on est soi-même devenu enseignant du supérieur, on se rend compte que nos anciens enseignants se divisent assez facilement en deux catégories : les contre-modèles à propos desquels on se dit que « jamais on ne voudrait leur ressembler » et les modèles qui inspirent nos propres manières d’enseigner et d’être avec les étudiants. Yves Grafmeyer fait partie sans conteste de la seconde catégorie.
2Entré à l’Université Lyon 2 comme étudiant de sociologie en 1981, c’est en 1983 que je découvre Yves Grafmeyer pour la première fois comme enseignant. Il est alors maître-assistant. Dans un grand amphithéâtre, il donne un enseignement assez central en licence de sociologie (aujourd’hui L3) : celui de méthodes de recherche. L’étudiant que je suis est alors impressionné par la rigueur et la clarté de ces cours magistraux délivrés calmement, posément par quelqu’un qui, de toute évidence, maîtrise son sujet et a préparé ses cours ; une précision qui n’est pas inutile dans le contexte pédagogique de l’époque. Le jugement que l’on a sur une personne ou sur une situation est toujours implicitement ou explicitement comparatif. Et là, la comparaison est saisissante. Yves Grafmeyer est l’un des rares enseignants à propos desquels je pouvais me dire en sortant de son cours : « J’ai appris quelque chose de solide. » Pas de poses intellectuelles ni d’effets de manche, de propos obscurs ou de délires, mais des connaissances exposées qui démontraient à la fois la richesse de la culture maîtrisée et le souci de l’exprimer clairement. Sorti cette année-là de son cours avec de bonnes appréciations, qui valaient très cher dans ma hiérarchie personnelle, je ne pouvais qu’être encouragé à poursuivre ma route en tant qu’apprenti-sociologue.
Le collègue et directeur de laboratoire
3Dix ans plus tard, au sein de la même université, je deviens son collègue. Entre-temps, il est logiquement devenu professeur, puis directeur du Groupe de recherche sur la socialisation (GRS), un laboratoire du CNRS d’où sont sortis nombre d’excellents chercheurs en sociologie. Ce qui me marque durant toute cette période, et qui continue à être pour moi un idéal régulateur, c’est la bienveillance et la tempérance d’un collègue qui, en réunion universitaire ou de laboratoire, a le souci constant de maintenir les équilibres et de ne pas froisser, blesser ou nuire. L’année où je reprends à sa suite son cours de méthodes, un peu plus de dix ans après l’avoir fréquenté comme étudiant, il me transmet son plan de cours et me rassure sur mes capacités à assumer cette charge. Et quand, dix ans plus tard encore, il passe la main côté direction du laboratoire et que je prends sa succession (avec Jean-Yves Authier comme directeur-adjoint), il est tout aussi rassurant et encourageant, toujours présent pour délivrer les conseils ou les aides qu’on sollicite et qu’il n’impose jamais.
4Sociologue urbain, Yves Grafmeyer l’a été dans les deux sens du terme. Non seulement il a grandement contribué à structurer la recherche en sociologie urbaine, mais il a démontré des qualités, qu’on dit « humaines », assez rares. J’ai connu au cours de ma carrière – qui n’est pas achevée et qui me réservera sans doute encore quelques bonnes surprises... – une série assez variée de « responsables » pas très fiables, colériques, animés par l’esprit de vengeance et convertis parfois en chefs de guerre autoritaires, de collègues aussi animés par de mauvaises intentions, querelleurs, magouilleurs, stratèges ou tacticiens plus ou moins fins... J’ai beaucoup moins fréquenté le genre de figure qu’incarne Yves Grafmeyer : loyauté, bienveillance et tempérance sont, je crois, ses qualités premières. Autant de dispositions qu’on attribue ordinairement à un « caractère » et dont les chercheurs en sciences sociales savent bien qu’elles sont plus sérieusement rattachables à un milieu familial et à son mode d’éducation.
5Avec Yves Grafmeyer comme directeur de laboratoire, j’ai toujours pu – comme tous les membres du GRS – diriger mes recherches là où je l’entendais, sans embûches ni chausse-trappes. Même si nous n’avions pas les mêmes ancrages théoriques, les discussions avec lui étaient non seulement possibles mais faciles. Sa grande culture sociologique – et au-delà – m’a permis de bénéficier de ses remarques très longtemps encore après mon expérience estudiantine. Pour n’évoquer que quelques moments qui furent importants pour moi, il y eut : sa participation au jury de mon habilitation à diriger des recherches en 1993 (très fréquemment invité dans des jurys de thèse et d’HDR, de très nombreux collègues pourraient témoigner de la qualité et de la pertinence de ses propos émis lors de leur soutenance), ses conseils délivrés l’année de ma candidature à l’Institut universitaire de France en tant que membre junior en 1995 (il avait été le premier membre junior en sociologie lors de la création de l’Institut) et ses multiples conseils et encouragements lors de ma candidature au poste de professeur de sociologie à l’arrivée, en 2000, de l’ENS Fontenay-Saint-Cloud à Lyon. Et, une dizaine d’année plus tard, il était encore présent lors de moments assez marquants de mon parcours.
6Ces quelques évocations montrent à quel point Yves Grafmeyer a été important pour moi et, je ne crois pas me tromper, pour beaucoup d’autres encore : de l’étudiant impressionné par les qualités pédagogiques du professeur au collègue admiratif de sa rigueur et reconnaissant de sa haute bienveillance, je ne garde de lui que de bons souvenirs. Disons-le franchement, et avec un peu d’humour goffmanien, il y a des collègues qu’on ne regrette pas vraiment lorsqu’ils prennent leur retraite (voilà un propos qu’Yves Grafmeyer ne pourrait tenir, j’en suis sûr ! mais je suis loin d’avoir sa sagesse et son urbanité) et d’autres dont on pourrait souhaiter que le modèle inspire l’ensemble de la communauté universitaire. On aura compris, une fois encore, qu’Yves Grafmeyer appartient à la seconde catégorie qui honore l’université et la sociologie.
Auteur
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La Jeune sociologie urbaine francophone
Retour sur la tradition et exploration de nouveaux champs
Jean-Yves Authier, Alain Bourdin et Marie-Pierre Lefeuvre (dir.)
2014