Une figure de référence
p. 257-258
Texte intégral
1Après le colloque « Transformation de la famille et habitat » en 1986 et le séminaire « Stratégies résidentielles » en 1988, nous avons eu envie avec Anne Gotman de continuer à travailler sur les questions résidentielles et familiales en intégrant une dimension historique et patrimoniale. Le séminaire « Statut résidentiel approche intergénérationnelle (SRAI) » est né de ce désir de dépasser l’approche trop déterministe des pratiques résidentielles selon laquelle le statut d’occupation, la localisation et le type d’habitat des ménages découlaient de leurs revenus et de leur classe sociale. Ce fut surtout pour moi l’occasion et la chance de travailler avec Yves Grafmeyer que je ne connaissais à ce moment-là que par ses écrits, notamment L’École de Chicago. Pour l’économiste et démographe que j’étais alors, le SRAI devint pendant plus de dix ans un formidable lieu de formation en sociologie. Il me permit de côtoyer, outre Yves et Anne, Isabelle Bertaux-Wiame, Paul Cuturello et Dominique Maison. Lors des séances du SRAI, si les discussions étaient vives, passionnées et stimulantes, les échanges restaient toujours très courtois et, chose rare, à aucun moment ne s’y posèrent des problèmes de pouvoir et de leadership. Mais en plus de l’intérêt scientifique de ces rencontres dont deux livres témoignent1, le SRAI contribua à me socialiser au milieu de la recherche en sociologie. Les déjeuners, que nous attendions avec plaisir, étaient en effet l’occasion d’échanger sur ce « tout petit monde », et l’expérience d’Yves, sa sagesse et sa bienveillance m’y furent précieuses. J’appréciais d’autant plus les réunions et les moments de détente au sein du SRAI que je me trouvais alors, bien malgré moi, dans la tourmente qui secouait l’INED au début des années 1990. En ces temps troublés, le SRAI fut ainsi comme un havre de paix auquel je n’ai jamais trouvé d’équivalent par la suite.
2Cet environnement intellectuel qui devait beaucoup à Yves me permit d’avancer dans mes recherches sur la « famille-entourage locale », car ce type de fonctionnement se retrouve dans les familles lyonnaises décrites par lui dans ses ouvrages Habiter Lyon : milieux et quartiers du centre-ville et Quand le Tout-Lyon se compte : lignées, alliances, territoires.
3Quand il fallut choisir un garant pour l’habilitation à diriger les recherches, la figure d’Yves Grafmeyer me parut s’imposer par ses sujets de recherches, sa stature intellectuelle, mais aussi par ses grandes qualités humaines que j’avais pu découvrir dans le cadre du SRAI. Grâce à ses encouragements amicaux et à ses conseils avisés, je me lançai dans une HDR en sociologie.
4Mais son rôle de parrain ne s’est pas arrêté en 1994 et s’est poursuivi pendant des années. Il est vrai qu’Yves Grafmeyer possède, en plus des nombreuses qualités déjà mentionnées, une vertu assez exceptionnelle dans notre métier : la fidélité. Au cours du temps, il est devenu une personne-ressource avec qui je pouvais échanger en toute confiance sur l’INED dont il connaissait les problèmes alors qu’il siégeait au conseil scientifique et à la commission d’évaluation de l’Institut de 1992 à 1996, sur les difficultés que le réseau Socio-économie de l’habitat créé en 1991 avec Henri Coing rencontrait au milieu des années 1990, sur le fonctionnement de la commission 36 du CNRS dont je fus membre à deux reprises en 1999 et en 2004. À chaque fois que je l’ai sollicité, il n’a pas hésité à apporter son soutien et sa caution scientifique malgré les charges importantes qu’il exerçait à l’Université Lyon 2. Le réseau Socio-économie de l’habitat a ainsi eu la chance de compter ce grand chercheur parmi ses membres actifs. On en trouve les traces dans l’ouvrage La Ségrégation dans la ville2 dont il est l’un des contributeurs majeurs, comme dans les actes du colloque Trajectoires familiales et espaces de vie en milieu urbain qu’il a coédités3. Alors que la pérennité du réseau Socio-économie de l’habitat était remise en cause par les différentes instances, Yves Grafmeyer, en acceptant la mission d’audit que je lui confiai, a joué un rôle essentiel et a permis à ce dernier d’être pleinement reconnu par le CNRS avec la création d’un groupement d’intérêt scientifique (GIS) dont il fut le premier à présider le conseil scientifique.
5C’est donc tout naturellement qu’en juin 2016, lorsqu’il s’est agi de choisir un grand témoin pour les 25 ans du REhal (Réseau Habitat ex-réseau Socio-économie de l’habitat), le nom d’Yves Grafmeyer s’est imposé. Encore une fois, son regard sur la sociologie urbaine française dont il a été l’un des plus grands promoteurs aura été bénéfique à tous, notamment aux doctorants qui eurent là l’occasion de le voir à l’œuvre. Nombre de sociologues urbains, jeunes ou moins jeunes, ont partagé avec moi la chance de l’avoir dans leur jury de thèse et d’habilitation et ont pu ainsi profiter de ses remarques toujours très pertinentes et constructives. Par son éthique de la recherche, sa manière bien à lui d’assurer « une protection rapprochée » tout en respectant la liberté de l’autre, il est une figure de référence et incarne un modèle que je m’efforce de suivre auprès des jeunes chercheurs et doctorants.
Notes de bas de page
1 C. Bonvalet & A. Gotman (dir.), Le Logement, une affaire de famille : l’approche intergénérationnelle des statuts résidentiels, Paris, L’Harmattan, 1993 ; et C. Bonvalet, A. Gotman & Y. Grafmeyer (dir.), La Famille et ses proches : l’aménagement des territoires, Paris, Presses universitaires de France / Institut national d’études démographiques, 1999.
2 J. Brun & C. Rhein (dir.), La Ségrégation dans la ville, Paris, L’Harmattan, 1994.
3 F. Dansereau & Y. Grafmeyer (dir.), Trajectoires familiales et espaces de vie en milieu urbain, Lyon, Presses universitaires de Lyon, 1998.
Auteur
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La Jeune sociologie urbaine francophone
Retour sur la tradition et exploration de nouveaux champs
Jean-Yves Authier, Alain Bourdin et Marie-Pierre Lefeuvre (dir.)
2014