L’« idéologie du genre » en Autriche : coalitions autour d’un signifiant vide
p. 59-78
Texte intégral
1Toute recherche commence par une définition des concepts principaux et des termes étudiés, ainsi que des enjeux concernés. Dans le cas présent, il nous est impossible de suivre cette pratique établie, l’« idéologie du genre » échappant à toutes les tentatives de définition précise de son sens et de sa portée1. Dans ce chapitre, nous nous proposons de défendre l’idée selon laquelle c’est précisément cette fluidité qui fait de l’« idéologie du genre » un cri de ralliement efficace, ayant le potentiel de réunir un large éventail de chrétien.ne.s conservateur.rice.s et d’acteurs et actrices de droite aux idéologies opposées. Comme le montre notre analyse de ce type de discours, l’« idéologie du genre » fonctionne en effet comme un signifiant vide (Laclau, 1996, p. 36) dans le discours politique autrichien. Le terme ne désigne ni des phénomènes sociaux ou des politiques spécifiques, ni un point de vue idéologique, mais un rejet vague (bien que chargé d’affects) de l’évolution des politiques familiales, de l’égalité de genre, des politiques portant sur la sexualité et de l’éducation sexuelle. L’« idéologie du genre » est une notion clé pour établir une « chaîne d’équivalences » (Laclau & Mouffe, 2001, p. 129), qui relie les préoccupations des militant.e.s anti-avortement et des masculinistes aux revendications anti-LGBTQI et antiféministes ainsi qu’aux positions du catholicisme conservateur, de la droite radicale et du néolibéralisme sur les questions sociales de manière générale.
2Plus précisément, le terme d’« idéologie du genre » peut d’abord être défini comme un élément du discours populiste de droite, qui a généralement pour but de construire des relations d’antagonisme. Le populisme repose sur un « moment d’équivalence », la création d’une « frontière à l’intérieur du social », la recherche de l’antagonisme. Cette création nécessite l’existence, de l’« autre » côté, de l’ennemi (Laclau, 2005, p. 39 et 41). L’établissement d’une telle frontière se fait grâce à un « signifiant représentant la chaîne comme une totalité » (ibid., p. 39) et le processus de représentation d’une totalité par une revendication particulière grâce à un ensemble de chaînes d’équivalences est appelé « hégémonie ».
3Afin de créer de l’hégémonie, la chaîne d’équivalences doit s’étendre, tandis que ses « liens avec les revendications particularistes qui assurent la fonction de représentation universelle » s’affaiblissent (ibid., p. 39-40). Par conséquent, les signifiants qui construisent le « nous » populaire et l’« autre » ont tendance à devenir des « signifiants vides », c’est-à-dire des signes sans liens avec une revendication particulariste (ibid., p. 40). C’est ainsi que les contenus de signifiants (vides) « deviennent entièrement disponibles pour une multitude de reconfigurations équivalentielles » (ibid., p. 42). Le potentiel de tels signifiants vides est de pouvoir « apporter une homogénéité équivalentielle à une réalité très hétérogène » (ibid., p. 40).
4D’un côté, le terme même d’« idéologie du genre » se caractérise par sa flexibilité, puisqu’il est associé à un domaine assez large. De l’autre, il est utilisé de manière interchangeable avec d’autres notions telles que « théorie du genre », « genderisme », « délire du genre » ou même « fascisme du genre », ainsi que d’autres formulations plus ouvertes associant « genre » et « idéologie2 ». Ces formulations ont en commun une référence à l’imminente abolition ou destruction du genre en tant que propriété naturelle et manifeste de l’être humain, ce à quoi viseraient prétendument l’« idéologie du genre », la « théorie du genre », le féminisme et les mouvements LGBTQI. Autrement dit, la notion d’« idéologie du genre » est une représentation (erronée) des théories (dé)constructivistes féministes et queer, utilisée comme toile de fond pour délégitimer toutes sortes de politiques progressistes dans le champ du genre et de la sexualité (Hark & Villa, 2015, p. 7).
5On notera que, même lorsque les auteurs et les textes se réfèrent explicitement à des exemples ou des contextes autrichiens, la logique de l’argumentation est un reflet du débat plus large qui se déroule en Europe, surtout en Allemagne. Ce phénomène est particulièrement visible dans la critique des études de genre universitaires, qui se base généralement sur des données et des exemples allemands. Par ailleurs, des influences transnationales façonnent également le débat en Autriche, en particulier du côté du discours catholique international (Paternotte, 2015).
6L’objectif de notre chapitre est d’identifier les réseaux liés à ce discours anti-genre en Autriche et de présenter les éléments discursifs du débat autour de l’« idéologie du genre » en tant que signifiant vide pouvant créer des chaînes d’équivalences qui alimentent un discours contre ou anti-hégémonique. Ce chapitre est structuré comme suit : tout d’abord, nous décrivons le paysage politique et religieux en Autriche comme étant un contexte important pour l’émergence d’un discours anti-genre organisé et visible publiquement. Ensuite, nous présentons les principaux acteurs de ce champ discursif. Enfin, nous proposons une brève introduction à notre méthodologie de critical frame analysis, avant d’exposer les principaux résultats de cette analyse de documents. La conclusion présente l’ensemble des éléments permettant de qualifier l’« idéologie du genre » de signifiant vide.
Le contexte autrichien et l’émergence du discours anti-genre
7Jusqu’aux années 1990, le système politique autrichien était dominé par deux partis principaux, le Sozialdemokratische Partei Österreich (SPÖ, Parti social-démocrate autrichien) et le conservateur Österreichische Volkspartei (ÖVP, Parti du peuple), ainsi que par les partenaires sociaux qui leur sont étroitement affiliés, la Österreichischer Gewerkschaftsbund (ÖGB, Fédération autrichienne des syndicats de travailleurs) et la Wirtschaftskammer Österreich (WKÖ, Chambre du commerce autrichienne). L’ÖVP, parti conservateur qui entretient historiquement des liens avec le catholicisme et l’austrofascisme des années 1930, couvre un spectre politique assez large, incluant des éléments libéraux ainsi que d’autres, très conservateurs (et catholiques). Le SPÖ, le Parti vert et quelques partis libéraux (à l’existence généralement brève jusqu’à présent) s’opposent à ces idées avec un discours plus libéral. En dehors des partis politiques, un grand nombre d’initiatives citoyennes, d’organisations et de groupes couvrant la totalité du spectre politique prennent part aux débats autour des questions de genre.
8Ce système orienté vers le consensus a été mis en difficulté par le parti populiste de droite, le Freiheitliche Partei Österreich (FPÖ, Parti autrichien de la liberté). Le FPÖ a d’abord été un petit parti d’extrême droite traditionnel et national-allemand, né au milieu des années 1980. Sous l’égide de son leader Jörg Haider, ce parti a grandi pour devenir une force majeure du populisme de droite (Heinisch, 2012). En 2002, le FPÖ et l’ÖVP ont formé une coalition gouvernementale au niveau national, qui a dissous le ministère des Femmes, le rétrogradant au statut de département ministériel, et a établi un « département des hommes » au sein du ministère des Affaires sociales, de la Famille et des Générations, dirigé par le membre d’une fraternité étudiante nationale-allemande. Les positions du FPÖ au sein du gouvernement ont permis aux discours conservateurs sur le genre de progresser (Weiß, 2013, p. 44). En 2008, Barbara Rosenkranz, élue du FPÖ, a publié un livre contre le gender mainstreaming, posant ainsi les bases de l’actuel discours anti-genre du FPÖ (Rosenkranz, 2008). Avec cet ouvrage, le thème de l’« idéologie du genre » a fait son entrée dans les grands médias autrichiens. À l’heure actuelle, le FPÖ est l’acteur principal du populisme de droite au sein du champ politique autrichien, mais il n’est pas le seul, puisque plusieurs partis populistes au succès plus limité sont apparus au cours des dernières années.
9L’Autriche est un pays de tradition catholique. Néanmoins, l’Église catholique a largement perdu en crédibilité au cours des dernières années, notamment à cause d’affaires avérées de pédophilie. Alors qu’en 2003, plus de 70 % de la population disait appartenir à l’Église catholique, ce chiffre était tombé à 60 % en 20163. En Autriche, les relations entre Église et État se caractérisent par la coopération et par la neutralité de l’État. Les relations entre l’Église catholique et l’État autrichien sont régulées par un concordat remontant à 1933, réinstauré pour bonne part en 1957 et remanié dans les années 1960. Les organisations catholiques (dépendantes de l’Église ou non), qui sont particulièrement présentes sur le terrain du discours sur l’« idéologie du genre », ont longtemps concentré leurs campagnes sur la question de l’avortement. Néanmoins, comme nous l’exposerons dans ce chapitre, elles ont élargi le spectre de leurs activités (visibles publiquement) au cours des dernières années.
10En ce qui concerne le genre et la sexualité, trois éléments du contexte politique et social – lequel comprend le modèle d’État-providence conservateur ainsi que les conflits politiques à propos des mesures pour l’égalité de genre et de la politisation de la sexualité – ont une importance particulière pour notre sujet.
11Premièrement, l’État-providence autrichien repose sur un idéal familial conservateur, comportant un soutien de famille (l’homme) et une personne au foyer, travaillant à temps partiel (la femme). Parmi les facteurs qui freinent l’emploi à temps plein des femmes, on trouve les règles encadrant les congés parentaux et les allocations familiales, qui encouragent les mères à prolonger leur arrêt de travail. Bien que le second parent doive prendre au moins quelques mois de congé parental afin de pouvoir toucher le taux plein des allocations, sa part peut se limiter à deux mois contre douze pour le premier parent, ou bien six mois contre trente, selon le modèle choisi. L’écart salarial entre hommes et femmes étant toujours de 22,9 % en 2014 en Autriche (la moyenne dans l’Union européenne est de 16,1 %), la logique économique mène beaucoup de couples à adopter une division genrée entre travail domestique et travail rémunéré. Entre 2002 et 2011, la part de congés parentaux pris par des pères a plus que doublé, mais ne représente encore que 4,2 %. Bien que les structures familiales aient évolué au cours des dernières décennies, les écoles maternelles, en particulier celles des zones rurales, ont tendance à ne proposer qu’un accueil à temps partiel et exigent souvent que les enfants soient âgés de plus de trente mois4.
12Deuxièmement, on trouve parmi les politiques portant sur l’égalité de genre la loi fédérale sur le traitement égalitaire (Bundesgleichbehandlungsgesetz), instaurée d’abord en 1993 pour les institutions fédérales, puis en 2004 pour les questions liées au lieu de travail dans le secteur privé, ainsi que des réglementations relevant du gender mainstreaming, officiellement mises en place par le gouvernement autrichien depuis 2000. L’Autriche a également été le premier pays d’Europe à adopter une loi contre la violence faite aux femmes dans la sphère privée en 1996. Des politiques d’ordre symbolique pour l’inclusion des femmes comme des hommes dans l’usage de la langue ont provoqué des débats par le passé, qui ont atteint leur point d’orgue lors du « genrage » de l’hymne autrichien en 2012 : la décision d’inclure les « grandes filles » aux côtés des « grands fils » dans le texte de l’hymne a en effet provoqué une vague de critiques. Le débat a pris un tournant particulièrement animé et public lorsque le célèbre chanteur de folk-pop Andreas Gabalier a volontairement interprété l’hymne dans son ancienne version en juillet 2014, répondant ensuite aux critiques par une lettre ouverte qui dénonçait l’« imposition de la manie du genre ».
13Troisièmement, les enjeux liés à la sexualité et aux droits reproductifs ont été portés par le mouvement des femmes autrichiennes dans les années 1970. De ce fait, la législation sur l’avortement a été libéralisée par le gouvernement social-démocrate en 1975, malgré les résistances de l’ÖVP et de l’Église catholique. Concernant les politiques LGBTQI, une décriminalisation partielle de l’homosexualité a été initiée en 1971, menant à l’abrogation des lois discriminatoires. En 2010, on instaurait l’union civile pour les couples de même sexe. Celle-ci ne donne néanmoins pas les mêmes droits que le mariage et le droit d’adopter des enfants n’a été conféré qu’en 2016.
14Ces processus actuels de libéralisation ont été accompagnés de mouvements conservateurs de contestation. Depuis 2012, des « Marches pour la famille » rassemblant jusqu’à trois cents manifestants issus de la droite catholique et de l’extrême droite ont lieu chaque année, en protestation contre la Marche des fiertés à Vienne. Le concours de l’Eurovision, qui s’est tenu à Vienne en 2015, a donné lieu à des manifestations de l’Aktionsgruppe gegen Dekadenz und Werteverfall (A-GDUW, Groupe d’action contre la décadence et la déchéance des valeurs) contre le fait que Vienne se présente comme une ville progressiste accueillante pour les personnes LGBT. L’A-GDUW fait également la promotion d’autocollants contre le « fascisme du genre » sur sa page Facebook. Des arguments homophobes sont aussi au cœur des manifestations de celles et ceux qui se nomment les « parents inquiets », dernièrement regroupés au sein de l’Initiative wertvolle Sexualerziehung (initiative pour une éducation sexuelle de qualité), qui a organisé une pétition en 2015 contre le développement dans les écoles autrichiennes d’une éducation sexuelle sensible à l’idée de diversité.
15L’un dans l’autre, on peut qualifier d’ambivalente la situation en matière de politiques portant sur le genre et la sexualité. Cette ambivalence est renforcée par les différences entre villes et zones rurales, où les rapports de genre traditionnels sont rarement remis en question et où l’influence catholique est toujours importante.
Les acteurs de l’alliance contre l’« idéologie du genre »
16Nous avons identifié cinq grands ensembles d’acteurs particulièrement dynamiques sur le terrain de l’« idéologie du genre ». Bien que les distinctions soient parfois floues, ces acteurs peuvent être répartis en différentes catégories en fonction de leur base idéologique ou normative. Le premier ensemble comprend les groupes issus de l’extrême droite et du populisme de droite. Cet ensemble comprend un certain nombre de partis politiques (le principal étant le FPÖ) ainsi que des petits groupes indépendants de militant.e.s tels que l’Identitäre Bewegung Österreich (IBÖ, Mouvement identitaire d’Autriche) ou l’A-GDUW. Les acteurs et actrices appartenant à cet ensemble possèdent des traits communs : une histoire ou une base idéologique liée à l’extrême droite et au nationalisme (allemand) – qui de nos jours se présente souvent sous une forme modernisée, c’est-à-dire comme de l’« ethnopluralisme » – ainsi que le recours à des stratégies et à une logique discursive populistes. La spécificité du populisme de droite repose sur le double antagonisme qu’il crée en s’opposant à la fois aux élites – les responsables politiques nationaux, l’Union européenne ou encore la prétendue « fémocratie » – et aux « autres » extérieurs, à savoir les immigrés, les musulmans ou les réfugiés (Reinfeldt, 2000, p. 133).
17Le conservatisme de droite (catholique) constitue le deuxième ensemble. Bien qu’un grand nombre de revendications politiques formulées par les acteurs et actrices de ce groupe soient similaires à celles du premier ensemble, le développement historique de leur base idéologique diffère. Alors que l’extrême droite est de tradition anticatholique et anticléricale, le conservatisme de droite repose fortement sur le catholicisme5. Cet ensemble couvre un espace qui va de la droite du parti chrétien conservateur, l’ÖVP, à des groupes conservateurs plus petits (souvent soutenus par l’ancienne aristocratie). Les groupes qui forment cet ensemble ont en commun une base catholique, mais ils sont clairement définis en tant qu’organisations travaillant dans le champ politique.
18Le troisième ensemble, lui, est formé par des organisations catholiques qui font de la religion en elle-même et de la diffusion des valeurs chrétiennes leur but principal. Il comprend un certain nombre de très petits partis chrétiens qui réussissent parfois à prendre part aux élections, des associations chrétiennes indépendantes, par exemple Human Life International (HLI) ou Jugend für das Leben (Jeunesse pour la vie), ainsi que des acteurs directement affiliés à l’Église catholique. L’évêque catholique de Salzburg, Andreas Laun, s’occupe de l’organisation d’activités catholiques pro-vie et a régulièrement fait éclater des débats, généralement à la suite de ses déclarations homophobes. Par ailleurs, les médias (en ligne) indépendants d’obédience catholique sont assez véhéments sur le thème de l’« idéologie du genre », bien plus que la majorité de la hiérarchie catholique6.
19Le quatrième ensemble recouvre les groupes qui se mobilisent pour les « droits des hommes » et les « droits des pères ». Ces groupes sont définis par un objectif commun : combattre la discrimination des hommes dans le droit de la famille et / ou dans les mesures pour l’égalité de genre. Bien qu’il s’agisse d’un nombre réduit de militant.e.s, leurs revendications bénéficient régulièrement d’un écho dans les grands médias, où l’opposition à l’« idéologie du genre » est souvent défendue au moyen d’une rhétorique antidiscriminatoire.
20Derniers mais non des moindres, les groupes de « parents inquiets » investis dans le lobbying contre l’éducation sexuelle ou l’introduction d’un usage dégenré de la langue dans les écoles forment le cinquième ensemble. Certains de ces groupes se révèlent être liés de près à des acteur.rice.s politiques. Par exemple, Gudrun Kugler-Lang, militante catholique pro-vie, présidente de la Dokumentationsarchiv der Intoleranz gegen Christen (Observatoire de l’intolérance et la discrimination contre les chrétiens) et élue de l’ÖVP, s’est présentée comme une « mère inquiète » militant contre l’éducation sexuelle (Baumgarten, 2012).
21Les alliances qui se sont formées à l’occasion de la lutte contre l’« idéologie du genre » sont assez larges en matière d’acteur.rice.s aux orientations politiques diverses. Les enjeux qui entourent l’« idéologie du genre » servent de point de convergence pour des acteur.rice.s incarnant des orientations de la droite traditionnellement opposées. Néanmoins, les réseaux anti-genre, incluant les contacts durables comme les coalitions de circonstance, sont aussi renforcés par des individus qui font le lien entre ces différents milieux idéologiques. Dans certains cas, des amitiés personnelles peuvent compenser les différences idéologiques, et les trajectoires individuelles, personnelles ainsi que politiques jouent un rôle important. Par exemple, Barbara Rosenkranz, nationaliste-allemande laïque et élue du FPÖ, qui a refusé de faire baptiser ses dix enfants, entretient des contacts personnels avec Dietmar Fischer, fondamentaliste catholique et chef de file de HLI en Autriche. C’est pourquoi Fischer a soutenu la candidature de Rosenkranz pour le FPÖ pendant les élections présidentielles de 2010, alors que Rudolf Gehring, candidat du Parti chrétien, aurait été un choix plus « naturel » pour un chef de file de HLI.
Analyse de discours : « idéologie du genre », quel est le problème ?
22Afin d’analyser les discours portant sur l’« idéologie du genre », nous nous concentrerons ici sur une sélection de documents. Nous avons donc choisi treize textes publiés entre 2011 et 2015 : brochures, chapitres de livres, articles, blogs ou encore sites internet. Les critères suivants ont déterminé la sélection des textes : les cinq ensembles d’acteurs anti-genre devaient y être évoqués et tous les textes devaient être accessibles au public et identifier le « genderisme » comme leur sujet principal. De plus, ils devaient afficher un style programmatique, c’est-à-dire intégrer des arguments contre l’« idéologie du genre », et non se contenter de la condamner sans donner d’explication. Nous avons eu recours à la méthode de la critical frame analysis (Verloo & Lombardo, 2007, p. 35) afin de nous pencher sur les déclarations normatives dont le but était de légitimer la problématisation de l’« idéologie du genre ». La critical frame analysis s’intéresse aux processus de construction des problèmes et des solutions, ainsi qu’aux processus d’attribution de la faute et de la responsabilité (Rein & Schön, 1977).
23Bien que les modalités concrètes, à savoir la virulence des attaques, le vocabulaire utilisé, les sujets traités et les exemples donnés, varient fortement d’un.e acteur.rice à un autre, on peut identifier des modèles communs de production de sens. Dans la suite de ce texte, nous nous concentrons sur les cadres qui ont émergé comme modèles dominants de la production de sens dans le discours sur l’« idéologie du genre » et qui semblent guider et structurer ce discours.
Le genre, c’est le sexe, c’est la nature
24L’idée que le concept de « genre » nie la nature et l’ordre naturel (et donc précieux) du genre est à la base de presque tous les arguments contre l’« idéologie du genre ». Cette croyance profondément ancrée fait l’unanimité chez tous les acteurs et alimente le cadre d’une « menace » contre la reproduction biologique de la population autochtone d’Autriche (Reichel, 2015, p. 1247). On remarquera que ces arguments sont couramment combinés avec d’autres cadres afin de rendre plus oppressante la « menace » représentée par ce mépris de la nature. À cet égard, la naturalisation de la « famille » (hétérosexuelle, deux-parents-avec-enfants) est le nœud discursif le plus important. Certains acteurs soulignent le danger que représente, pour la société et pour l’État, la désagrégation de la famille, censée être le « noyau et le fondement de l’État » (Stadler, 20148). Un texte programmatique du FPÖ détaille les conséquences de ce point de vue pour les politiques en faveur de l’égalité de genre. Les hommes et les femmes sont vus comme des êtres « différents, mais égaux en valeur » ; par conséquent, une « approche holistique » serait nécessaire, qui célébrerait la complémentarité des hommes et des femmes plutôt que de mettre en avant leur égalité (FPÖ, 2013, p. 137).
25Même si l’on peut s’attendre à une telle argumentation de la part d’acteurs politiques de droite, il est surprenant de voir que les acteurs catholiques ont également recours de manière régulière à la « nature » et aux « sciences naturelles » plutôt qu’à un raisonnement théologique pour légitimer leurs arguments – bien que ce soit souvent d’une façon bien spécifique, qui relie « nature » et « religion » en arguant que l’ordre « naturel » des choses est celui créé par « Dieu », et que par conséquent, il ne devrait pas être modifié par les humains (Abtei Mariawald, 2014 ; Gender-Ideologie. Ein Leitfaden, s.d. ; sur des stratégies similaires au sein des Églises catholiques slovène et croate, voir Kuhar, 2015). L’organisation catholique internationale appelée Kirche in Not (Église en détresse) soutient que la Bible (la Genèse) et les sciences naturelles sont en accord sur leur conception de la complémentarité des genres (Gender-Ideologie. Ein Leitfaden, s.d., p. 13).
La science passe avant l’idéologie
26Dans de nombreux cas, l’argument selon lequel l’« idéologie du genre » serait contraire à la « nature » est fortement lié à une conception restreinte de la « nature » en tant que domaine des sciences (naturelles), en particulier de la biologie. Un tel discours est souvent en rapport avec la critique du caractère prétendument « idéologique » des études de genre. La démonstration repose sur le présupposé issu du sens commun selon lequel la relation entre science et idéologie est en soi une relation antagoniste. La science est considérée comme une application objective de la logique et de la raison à tout type de phénomène, tandis que l’idéologie déformerait les phénomènes en s’appuyant sur des idées préconçues et en servant des fins politiques. De multiples arguments corrélés sont mobilisés afin d’étayer cette conception.
27Tout d’abord, on oppose les études de genre à la science en affirmant qu’elles ignorent ou qu’elles sont en conflit avec des résultats, en apparence consensuels, de la biologie, comme les résultats d’études neuroscientifiques déclarant qu’il existe une différence innée entre les cerveaux des hommes et ceux des femmes (RFS, s.d. ; voir aussi Gender-Ideologie. Ein Leitfaden, s.d., p. 12 ; Reichel, 2015, p. 105). Dans une modulation particulière de cet argument, l’idée selon laquelle la science est elle-même une pratique sociale qui ne peut pas être considérée séparément de son cadre social est réfutée comme étant une « supercherie » qu’utilisent les études de genre pour essayer de dissimuler leurs propres déficiences en matière de normes de scientificité (Reichel, 2015, p. 106). Deuxièmement, les études de genre sont accusées d’avoir des objectifs (politiques) prédéfinis. Dans le même esprit, on prétend que les études de genre « ne correspondent pas au monde réel » et doivent être considérées comme une « nouvelle théologie » ou religion, évoluant dans la sphère de la « pure théorie » (Unterberger, 2015, p. 1489). Troisièmement, les chercheur.se.s en études de genre subissent des attaques ad personam de la part d’acteur.rice.s conservateur.rice.s et de droite, souvent de nature homophobe, par exemple en étant désigné.e.s comme étant « en majorité des femmes lesbiennes » (Nagel, 2015, p. 53 ; voir aussi Pekarek, 201110). Selon un autre type d’accusation, les études de genre constituent un refuge pour les féministes, leur procurant des fonds et du pouvoir à présent que le mouvement serait devenu superflu, l’égalité entre hommes et femmes ayant été atteinte (Unterberger, 2015, p. 149).
28Les attaques dirigées contre les études de genre sont souvent rattachées à d’autres thèmes du discours catholique et de droite, en particulier au caractère prétendument totalitaire et autoritaire de l’« idéologie du genre » (Reichel, 2015, p. 105-107) et aux effets dévastateurs de l’éducation sexuelle, qui serait basée sur les productions idéologiques des études de genre (Unterberger, 2015, p. 151).
La critique courageuse opprimée par l’idéologie : l’autoritarisme
29L’argument le plus fréquemment avancé contre l’« idéologie du genre » est qu’elle posséderait un caractère totalitaire et autoritaire : elle est présentée comme un socialisme, un communisme ou un marxisme d’aujourd’hui, après la défaite de 198911. Dans certains cas, le caractère autoritaire de l’« idéologie du genre » est démontré différemment, notamment au sein de la rhétorique anti-Union européenne (Nagel, 2015, p. 53). Cet argument fait partie de la stratégie, commune dans le populisme de droite, consistant à s’opposer à une élite, décrite comme étant l’adversaire du « peuple » (Mudde, 2004). Il indique donc qu’il existe des points communs entre le populisme de droite de manière générale et le discours sur l’« idéologie du genre » en particulier. Les positions anti-UE sont très répandues au sein des discours populistes, mais l’idée de l’« idéologie du genre » comme réincarnation du socialisme constitue une caractéristique spécifique au discours étudié, plus intéressante du point de vue analytique. Sa formulation la plus claire est le fait d’acteurs d’extrême droite et de la droite conservatrice, ce qui révèle un lien avec des luttes idéologiques plus larges contre le libéralisme et les politiques de gauche. Le fantôme du communisme invoqué ici joue simultanément sur la peur de la perte des droits civiques et de la liberté de choisir, sur la peur de la pauvreté et du déclin économique, ainsi que sur l’image d’une élite déconnectée du peuple qu’elle prétend représenter. Le plus souvent, l’« idéologie du genre » est présentée comme s’inscrivant dans une filiation historique directe avec Karl Marx et Friedrich Engels, plus important encore en raison de ses écrits sur les relations de genre et sur la famille. Cette filiation inclut Simone de Beauvoir et Shulamith Firestone et s’achève avec la déconstruction du genre par Judith Butler (Pekarek, 2011 ; FPÖ, 2013 ; Zeitz, 2015). Lorsque l’argumentation se concentre davantage sur les droits LGBTQI et sur le queer (ou « homosexualité culturelle », comme l’appelle un des auteurs, Zeitz, 201512), Wilhelm Reich et Herbert Marcuse sont ajoutés à la liste des précurseurs. Une définition spécifique des « différences » et de l’« égalité » forme le cœur de l’argument, qui établit une équivalence entre l’éradication des différences économiques par le socialisme et le but supposé de la « théorie du genre » qui est d’abolir les différences sexuelles. Dans les deux cas, les technologies sociales sont censées créer un être humain nouveau en détruisant l’individualité.
30Par ailleurs, la victimisation joue un rôle important dans la représentation de l’« idéologie du genre » comme système autoritaire. Le langage dégenré est désigné comme le principal coupable, puisqu’il est considéré comme un « diktat », un « code politiquement correct » imposé au moyen d’une « police du langage » et du « contrôle de la pensée » (Pekarek, 2011 ; voir aussi Abtei Mariawald, 2014 ; Gender-Ideologie. Ein Leitfaden, s.d.13). Des groupes de « parents inquiets » sont parvenus à des conclusions similaires au sujet des manuels scolaires, mais ils se sont abstenus de replacer ces arguments dans un contexte politique plus large. Le dénigrement du langage dégenré va encore plus loin lorsque la critique est dirigée contre l’« invention » de termes nouveaux, prétendument forgés afin de réduire au silence les critiques formulées à l’encontre de l’« idéologie du genre ». De nombreux.ses auteur.e.s déplorent que les détracteurs et les détractrices de l’« idéologie du genre » soient pathologisés au travers de termes comme l’« homophobie » et que l’homophobie soit un terme « assimilé au racisme, à la xénophobie et à l’antisémitisme, et criminalisé » (Pekarek, 2011). L’évêque Andreas Laun avance le même argument au sujet de l’homophobie et va plus loin en assimilant l’homosexualité à une maladie (Abtei Mariawald, 2014).
31Dans l’ensemble de ces cas, la logique argumentative fonctionne de la même manière. D’abord, les discriminations concernées par ces mesures sont minimisées ou déclarées inexistantes. Ces mesures ou ces lois sont ensuite décrites comme des dispositifs globaux et puissants, interférant directement dans la vie de chacun.e, limitant la liberté de choix, les droits démocratiques, la liberté d’expression et de pensée, ou bien comme l’équivalent d’une nouvelle forme de persécution des chrétiens. Cette stratégie a un double objectif : elle dresse un portrait particulièrement sombre de l’« idéologie du genre », tout en témoignant du courage des voix critiques qui osent encore s’élever. L’évêque Laun développe explicitement cette pensée en comparant l’absence de débat public au sujet de l’« idéologie du genre » au manque de résistance contre le régime nazi et en soulignant que, tandis que l’action antifasciste impliquait un risque mortel, aujourd’hui la majorité des gens restent silencieux face à l’« idéologie du genre » pour moins que ça : « certains par ignorance, d’autres par confort et d’autres encore par lâcheté » (Abtei Mariawald, 2014). L’allusion faite au nazisme, sans pour autant tracer explicitement de parallèle avec la situation actuelle, peut être vue comme une autre stratégie de diabolisation.
Ce n’est pas ce que l’on croit : le plan secret de l’« idéologie du genre »
32À en croire ses détracteurs et détractrices issu.e.s du camp catholique et de la droite, l’« idéologie du genre » n’est pas seulement totalitaire et autoritaire, elle est d’autant plus dangereuse qu’elle dissimule ses intentions véritables. Cet argument est souvent avancé à propos du gender mainstreaming. S’il existe de multiples variantes dans la formulation, la logique à la base de ce cadrage est toujours la même : on prétend que le gender mainstreaming sert l’égalité de genre et l’égalité des chances pour les femmes et les hommes, alors qu’en réalité il vise la dénaturalisation et la destruction de la différence sexuelle, de l’hétérosexualité et des familles (FPÖ, 2013 ; Stadler, 2014 ; Abtei Mariawald, 2014 ; Kirche in Not, 2014).
33Cette idée d’un « plan secret » sert plusieurs fonctions. D’abord, elle souligne le caractère prétendument antidémocratique des savoirs sur le genre et s’inscrit dans l’imaginaire d’élites agissant contre le peuple. Dans ce contexte, la description technique du gender mainstreaming en tant que stratégie imposée par le haut est fréquemment utilisée pour renforcer l’argument. Deuxièmement, l’idée permet aux acteurs de se présenter eux-mêmes comme tolérants et engagés pour l’égalité, bien que désapprouvant les politiques d’égalité. Vis-à-vis de ces politiques d’égalité de genre, on trouve soit un soutien tout rhétorique des revendications pour l’égalité de rémunération et l’égalité des chances pour les hommes et les femmes (RFS, s.d. ; Gender-Ideologie. Ein Leitfaden, s.d., p. 2), soit l’affirmation que l’égalité de genre a déjà été atteinte en Occident (Unterberger, 2015, p. 148-149). C’est pourquoi, alors que l’émancipation des femmes aurait constitué un noble but par le passé, les politiques actuelles tourneraient au dangereux « genderisme » (ibid.). On retrouve le même argument à propos de l’orientation sexuelle, puisque certains auteurs prétendent que la discrimination à l’encontre de l’homosexualité a déjà été abolie par la loi14 (ibid.).
34Troisièmement, et principalement, l’argument du « plan secret » démultiplie les possibilités de présenter l’« idéologie du genre » comme une menace. L’affirmation selon laquelle des élites malveillantes dissimuleraient intentionnellement leurs objectifs véritables permet de projeter quasiment n’importe quel contenu sur l’« idéologie du genre » et de la rendre responsable de n’importe quelle évolution jugée dangereuse ou indésirable. L’antiféminisme et l’homophobie forment l’arrière-plan du tableau lugubre (bien que parfois involontairement comique) brossé dans certains de ces discours, par exemple lorsque l’éducation sexuelle est décrite comme issue du souhait des militants gay de faire des émules « aussi jeunes et sexy que possible » (Unterberger, 2015, p. 151) et qu’ils estiment qu’elle augmente les agressions sexuelles au lieu de les prévenir (Initiative wertvolle Sexualerziehung, s.d.). Les hommes craignent également de devenir des victimes, puisque les femmes seraient encouragées à inventer des récits de violences (sexuelles) afin de profiter de leurs ex-maris (Unterberger, 2015, p. 152–6). Ce dernier exemple, qui fait partie d’un plaidoyer pour annuler la reconnaissance pénale du viol conjugal, montre bien jusqu’où le terme extensible d’« idéologie du genre » peut être amené. Cette stratégie discursive joue de ce fait un rôle important dans l’établissement de l’« idéologie du genre » comme signifiant vide, puisqu’elle permet l’ajout permanent de thématiques supplémentaires, ou plutôt de dangers supplémentaires pouvant d’une manière ou d’une autre être associés à la dénaturalisation du genre et / ou de la sexualité. Puisque l’« idéologie du genre » est définie comme étant obscure par principe, nul besoin d’être au clair sur son contenu pour construire un récit plausible.
La fin du monde tel que nous le connaissons : les victimes de l’« idéologie du genre »
35Les détracteurs de l’« idéologie du genre » prétendent que ce concept incite à la discrimination, en particulier envers les femmes en tant que mères. Le genre est présenté comme un concept « dépassé » (RFS, s.d.), qui fait obstacle à la véritable égalité de genre. Les effets de l’« idéologie du genre » sur les garçons et les hommes seraient bien plus sévères, puisqu’ils souffriraient de discriminations et de dévaluations constantes. Le principal responsable serait la féminisation du système d’éducation, qui traiterait injustement les garçons et viserait à détruire totalement leur identité masculine (Unterberger, 2015, p. 151-152). Les quotas et les politiques d’égalité de genre perpétueraient la discrimination des hommes à l’université et sur le marché de l’emploi, les quotas de femmes servant à « discriminer les hommes dans les disciplines de prédilection des femmes, sur les lieux de travail attrayants et pour les postes de direction » (Reichel, 2015, p. 120). De plus, le « politiquement correct » et les lois antidiscriminatoires serviraient à déstabiliser les identités masculines et à rendre les hommes vulnérables, avec pour but d’abolir « la masculinité et tout ce qui y est lié, comme la propension à travailler dur et à prendre des risques, le courage, la compétitivité, etc. » (ibid., p. 109).
36Ce ne seraient donc pas seulement les individus qui souffriraient des conséquences de l’« idéologie du genre », mais la société tout entière. Selon ce raisonnement, l’« idéologie du genre » mène à un déclin économique à plusieurs niveaux : les entrepreneur.se.s sont entravé.e.s par des règlements imposés par le politiquement correct, comme les quotas de femmes, l’argent des impôts est gaspillé pour les questions de genre, les femmes sont encouragées à faire des études dans des domaines non productifs et à travailler dans des secteurs peu porteurs d’un point de vue économique15, tandis que les pays d’Asie de l’Est arrivent en tête dans les domaines de la recherche et du développement (Reichel, 2015, p. 118 ; voir aussi Pekarek, 2011). D’autres auteur.e.s soulignent plutôt l’intérêt que représente pour le social-capitalisme l’emploi des femmes et / ou l’« humain sans genre » comme « travailleur docile et effacé » (Pekarek, 2011 ; voir aussi FPÖ, 2013, p. 136). Certain.e.s relient la menace du déclin économique non seulement avec l’héritage socialiste de l’« idéologie du genre », mais aussi avec la libération sexuelle. L’« hédonisme total » prétendument promu par l’« idéologie du genre » est l’« antithèse classique de la conception de la société bourgeoise moderne » (Zeitz, 2015), puisque la satisfaction immédiate des désirs en tout genre empêche l’accumulation et donc le progrès économique. Les différentes interprétations sont le reflet des différences idéologiques et stratégiques entre les différents acteurs. Cette posture en apparence anticapitaliste doit être appréhendée en tenant compte des discours populistes de droite critiquant le « grand capital » ou le « capital financier », en l’opposant à « l’entrepreneur laborieux ». Ces conceptions reposent historiquement sur l’antisémitisme et ne constituent pas une critique des structures capitalistes, mais seulement de certains (types d’) acteurs. C’est pourquoi elles n’entrent pas en contradiction avec la croyance néolibérale dans l’économie de marché ni avec les postures antiétatiques ou la défense de la compétitivité (nationale).
37La « féminisation de la société » (Reichel, 2015, p. 109) souhaitée par l’« idéologie du genre » aurait, elle aussi, des conséquences désastreuses, au-delà du domaine de l’économie. La fin des vertus masculines en Europe, la destruction des familles et le déclin démographique en résultant vont de pair avec la destruction de la chrétienté comme fondement de la culture occidentale, ainsi qu’avec la destruction économique, rendant l’Europe incapable de se défendre face aux « cultures pré-modernes », et plus spécifiquement, face à l’Islam (Reichel, 2015, p. 124 ; voir aussi Zeitz, 2015).
L’islam et l’« idéologie du genre » : des intersections exclusives
38Bien que « l’islam » ne constitue pas un cadre dominant d’un point de vue quantitatif, nous considérons que cette intersection est intéressante dans la mesure où c’est lui que les acteurs de droite identifient comme le grand gagnant, sur le long terme, de l’« entreprise destructrice de l’idéologie du genre ». Les relations présumées antagonistes entre l’islam et les sociétés européennes fondées sur le christianisme apparaissent comme un métarécit, qui constitue la toile de fond pour l’interprétation des évolutions en Europe. La manière de relier l’islam à l’« idéologie du genre » diffère d’un auteur à un autre, mais tous les discours reposent sur quelques a priori communs, notamment le sexisme (et l’homophobie) prétendument intrinsèque à l’islam, son intolérance supposée à la différence et son appétit de pouvoir en Europe. C’est ainsi qu’est construite une analogie entre islam et « idéologie du genre », même si la relation entre ces deux ennemis de la chrétienté occidentale éclairée est définie de différentes manières.
39Cependant, l’islam est également présenté comme un adversaire direct de l’« idéologie du genre » : les évolutions démographiques en Europe seraient censées, « au cours de ce siècle », créer des majorités musulmanes dans certains pays européens, ce qui amènerait également « la fin définitive du genderisme » (Unterberger, 2015, p. 149). Selon un autre auteur, dans les « sociétés parallèles » musulmanes et africaines, le mépris grandit pour les symboles « de la décadence, de la perversion et du déclin de l’Occident » (Reichel, 2015, p. 124-125). Une fois encore, on retrouve la menace démographique : « les communistes sont morts d’une mort économique, les genderistes mourront d’une mort biologique », selon la formulation de l’auteur (ibid.).
40Un autre auteur se demande explicitement pourquoi les autorités musulmanes se taisent sur la « culture gay » et ne protestent pas contre les manifestations de décadence et de libertés sexuelles, alors même que l’islam prône la prohibition totale de l’homosexualité (Zeitz, 2015). La réponse est trouvée au sein de l’islam lui-même, ou plus précisément dans les stratégies musulmanes de domination : tandis que la chrétienté repose sur des valeurs compatibles avec les débats de société, les lois islamiques sont présentées comme une unique entité monolithique, qui sera imposée au moment où les musulmans atteindront une majorité démographique suffisante et que le rapport de forces basculera. L’« idéologie du genre » étant nuisible aux sociétés européennes, elle n’est pas critiquée par les autorités islamiques ni par les « musulmans moyens », malgré leur haine pour les personnes LGBTQI et pour la libération sexuelle (ibid.). Zeitz voit également des raisons d’ordre plus pratique à l’alliance entre l’islam et la « culture gay » : les deux entités bénéficient des lois antidiscriminatoires et, bien que cela aille à l’encontre de leurs valeurs en matière d’égalité pour les femmes, les « idéologues du genre » tiennent des positions favorables à l’islam. De ce point de vue, la « culture gay », le socialisme et l’Islam convergent autour d’un « programme commun » : « le projet de recréer le monde sur la base d’une offense fondamentale faite au dieu chrétien » (ibid.).
41Les discours racistes contre les musulmans et contre l’« idéologie du genre », bien qu’ils puissent sembler contradictoires, sont associés afin de brosser un tableau de décadence et de danger ultime. C’est ainsi que deux des enjeux politiques les plus importants actuellement, traités par divers types d’acteurs politiques de droite, se retrouvent discursivement imbriqués. Jusqu’à présent, l’Église catholique et ses représentant.e.s se sont abstenu.e.s de tenir des propos anti-Islam et ne se sont donc pas approprié ce champ discursif, mais de plus en plus de groupes chrétiens extrémistes ont déjà incorporé la menace supposée de « l’islam » à leurs actions.
*
42Bien que le discours anti-genre ait émergé au sein de l’Église catholique dès les années 1990, ce n’est qu’au milieu des années 2000 qu’il a fait son apparition dans le débat public et au cours des dernières années qu’il a gagné en ampleur. Néanmoins, le discours anti-genre constitue aujourd’hui un terrain commun pour différents groupes chrétiens comme pour diverses branches laïques du spectre politique de la droite. Ce discours commun, associé à la construction d’ennemis et de menaces communs, permet la constitution d’une coalition malgré la présence de profondes divisions parmi les différents acteurs de la droite. De plus, le rejet du genre comme idéologie semble permettre à ces acteurs de critiquer et de contester les réformes qui ont mené à la libéralisation des relations de genre et des relations sexuelles dans le pays depuis les années 1970.
43Notre analyse montre que l’« idéologie du genre », en tant que signifiant vide, se prête bien aux stratégies discursives du populisme, avec la création de chaînes d’équivalences reliant les antagonismes entre les hommes et les femmes, entre les élites (du genre) et les gens « normaux », entre les personnes LGBTQI et les familles, entre les autochtones et les musulmans. L’« idéologie du genre » permet de reconfigurer des éléments tirés de divers discours au sein d’un cadre commun, auquel différents acteurs peuvent s’associer. Ce cadre incorpore l’idée d’une menace existentielle, permettant aux acteurs de présenter leurs positions et leurs actions comme faisant partie de quelque chose de plus vaste, et d’extrêmement important. « Le genre », selon cet argument, ne se contente pas de légitimer l’avortement, les quotas de femmes ou le droit à une vie de famille pour les couples gay et lesbiens, mais il menace en fait la survie de la culture et de la société autrichiennes.
44Avec cette rhétorique de la menace existentielle, le discours autour de l’« idéologie du genre » crée un antagonisme opaque, qui ne se limite pas à des problèmes spécifiques ou à des champs particuliers des politiques publiques, mais qui concerne la société tout entière. L’« idéologie du genre » comme signifiant vide est particulièrement adaptée pour créer des antagonismes, ainsi que pour présenter la famille et la parenté, les relations entre les genres, c’est-à-dire l’inégalité entre les hommes et les femmes et l’hétérosexualité en tant que nature, comme relevant du sens commun. Une fois les conflits redéfinis de cette façon, ils ne paraissent plus pouvoir être traités – et encore moins résolus – par les dispositifs politiques existants, mais semblent appeler plutôt des solutions « radicales ».
45En Autriche, ce discours anti-genre est lié aux stratégies du populisme de droite, qui redéfinit l’islam au sein des sociétés européennes en termes de conflits ethnicisés et culturalisés. Encore une fois, l’un des effets des stratégies de diabolisation et de naturalisation est de rendre impossible tout dialogue politique. « Les » musulmans ne sont pas simplement perçus comme étant en tort sur des questions spécifiques, mais ils incarnent ce tort en raison de leur seule manière de vivre (Herrmann, 2015). Ils sont « l’Autre » qui doit être exclu.
46Bien que les cadres que nous avons observés dans le discours autrichien semblent être présents dans toute l’Europe, leurs effets doivent être appréhendés dans la spécificité du contexte autrichien. On peut en conclure que les acteurs qui ont construit une coalition anti-genre (contre les politiques d’égalité de genre et les études de genre) ont pour objectif d’accroître leur pouvoir culturel, en créant une approche anti-hégémonique contre l’égalité et l’émancipation des femmes et des personnes LGBTQI, ainsi que contre la libéralisation et la pluralisation de la société autrichienne en cours depuis les années 1970. Par conséquent, le discours de l’« idéologie du genre » pourrait alimenter un nouveau projet hégémonique de droite contre la réorganisation sociale-démocrate de la société autrichienne en cours depuis les années 1970, au profit d’un projet nationaliste-exclusif et anti-pluraliste.
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Notes de bas de page
1 On notera que cette ouverture est encore accentuée par l’usage du terme anglais gender plutôt que Geschlecht qui, en allemand, désigne à la fois le sexe et le genre. La distinction entre sexe et genre paraît donc moins évidente aux locuteur.rice.s allemand.e.s. Alors que le terme anglais gender est régulièrement utilisé par les expert.e.s dans les textes allemands (gender studies, gender mainstreaming, gender budgeting), il reste relativement inconnu du grand public.
2 Dans ce contexte, le terme d’« idéologie » est toujours utilisé dans le sens de « fausse conscience », c’est-à-dire d’une vision du monde qui déforme les (prétendument simples) faits.
3 Données disponibles sur le site Katholische Kirche, en ligne : www.katholisch.at/statistik-60000 (septembre 2018).
4 L’organisation des écoles maternelles est supervisée par les Länder autrichiens et peut être gérée par les municipalités, par des entreprises ou des associations religieuses ou à but non lucratif. C’est pourquoi les horaires d’ouverture, l’âge à partir duquel les enfants sont acceptés ainsi que les prix varient considérablement. Dans de nombreux cas, les écoles maternelles sont gratuites jusqu’à midi, mais les parents doivent payer pour un accueil l’après-midi.
5 On peut faire remonter les différences entre ces deux camps de la droite à la concurrence meurtrière entre fascisme catholique et nazisme dans les années 1930.
6 Il faut noter que l’Église catholique autrichienne est loin d’être unie face à ces questions. On trouve un exemple des différents points de vue dans la critique acerbe adressée par les catholiques conservateur.rice.s au Katholische Frauenbewegung (kfö, Mouvement des femmes catholiques), accusé de s’associer au « réseau du lobby de l’avortement et de l’idéologie du genre » (Weinzl, 2015).
7 Werner Reichel est un journaliste indépendant qui a travaillé pour de nombreuses radios privées et enseigne dans des universités privées. Il s’intéresse principalement aux manquements des politiques sociales-démocrates dans la sphère des médias, c’est-à-dire aux écueils de la télévision et de la radio publiques. Récemment, il a fait de l’« idéologie du genre » un de ses sujets favoris. Avec d’autres auteur.e.s ultraconservateur.rice.s, de droite ou de la « nouvelle droite », il a publié un livre sur la gagnante du concours de l’Eurovision, Conchita Wurst, ainsi que de nombreux articles sur Internet.
8 Ewald Stadler représente un point névralgique dans le réseau traitant de l’« idéologie du genre ». Il a commencé sa carrière politique au FPÖ, où il a essayé d’introduire l’idée d’une « chrétienté capable de se défendre » (« Wehrhaftes Christentum ») dès les années 1990. En 2007, il a rejoint le nouveau parti de Jörg Haider, le BZÖ, qui lui a permis d’intégrer le Parlement européen en 2011, où il est resté même après son exclusion du BZÖ en 2013. Il a ensuite fondé son propre parti, Reformkonservative (REKOS, les Conservateurs réformistes), qui n’a pas obtenu de siège au Parlement européen en 2014. Avocat de profession, Stadler entretient des liens étroits avec de nombreux.ses acteur.rice.s chrétien.ne.s, conservateur.rice.s ou de droite.
9 Andreas Unterberger est l’ancien rédacteur en chef du quotidien autrichien à large audience Die Presse. Il diffuse ses positions ultraconservatrices sur son blog personnel, qui est souvent utilisé par d’autres acteurs comme une source respectable pour légitimer leurs propos.
10 Georg Immanuel Nagel est l’ancien porte-parole de la branche autrichienne du mouvement PEGIDA, qui a émergé en Allemagne (voir le chapitre précédent dans cet ouvrage). Lorsque PEGIDA s’est révélé être un échec en Autriche, Nagel a fondé son propre mouvement, A-GDUW. Leurs projets de manifestation contre l’Eurovision ont échoué à cause du mauvais temps, mais la liste des prises de parole publiée en amont montre que Nagel a pu bénéficier de soutiens de la part d’organisations catholiques tout comme de la part du FPÖ. Il écrit régulièrement pour le journal Zur Zeit, affilié au FPÖ. Edith Pekarek est principalement active au sein de groupes catholiques conservateurs ; elle donne aussi des conférences et écrit des articles contre l’« idéologie du genre ». Elle possède des liens (familiaux) étroits avec bon nombre d’organisations et d’acteur.rice.s.
11 Ces termes sont utilisés de manière interchangeable. On peut le comprendre comme une stratégie délibérée pour invoquer des images (réelles ou inventées) des anciens régimes communistes dans les pays voisins de l’Autriche, ainsi que pour évoquer des rapprochements avec les politiques de gauche actuelles.
12 Christian Zeitz est membre de l’ultraconservatrice Wiener Akademikerbund (Association académique de Vienne), dont il est le porte-parole sur les questions concernant l’islam. Il a souvent recours au langage et aux métaphores bibliques dans ses textes, dépeignant par exemple la « culture gay » à l’aide de termes étroitement associés aux conceptions catholiques de Satan et de l’enfer. Comme nous le verrons plus tard, son discours ouvertement hostile à l’islam informe sa position sur l’« idéologie du genre ».
13 Le second texte traite notamment d’un exemple particulièrement choquant, puisque même la Bible a été traduite en langage dégenré.
14 Néanmoins, ceci n’est que partiellement vrai. Bien que la pénalisation de l’homosexualité ait été abolie, les relations lesbiennes et gay ne sont toujours pas traitées à égalité avec les mariages traditionnels.
15 Ce serait également la seule raison de l’écart des salaires entre hommes et femmes. Le marché libre ne discriminerait pas (Reichel, 2015, p. 118-119).
Auteur
Stefanie Mayer a étudié la science politique à l’Universität Wien et a soutenu une thèse de doctorat sur le militantisme féministe blanc et l’(anti-)racisme en février 2016. Ce travail a reçu le prix de thèse du réseau de recherche « Genre et agentivité » de son université et le prix de thèse de la Österreichische Gesellschaft für Politikwissenschaft (Société autrichienne de science politique, ÖGPW). Elle est enseignante et chercheuse au sein du département de management public de FU Technikum Wien (Université de sciences appliquées de Vienne). Ses thématiques de recherche comprennent les théories et les politiques féministes, la recherche critique sur le racisme, l’extrémisme de droite et le populisme de droite, ainsi que les politiques de l’histoire.
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Le Moment politique de l’homosexualité
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Massimo Prearo
2014
Des mots, des pratiques et des risques
Études sur le genre, les sexualités et le sida
Rommel Mendès-Leite Maks Banens (éd.)
2016
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2018
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Marie-Carmen Garcia
2021