Les marqueurs de la profonde hétérogénéité faubourienne
p. 95-140
Texte intégral
1Nombre d’ouvrages de synthèse dédiés à l’Ancien Régime, même de grande qualité, ont souvent délivré une vision relativement uniforme du monde faubourien. Ils reposaient sur le postulat que ces espaces pesaient forcément très peu par rapport à la ville autour de laquelle leur croissance avait eu lieu. Cette vision est à rapprocher des nombreuses représentations qui sont associées aux faubourgs depuis des décennies, mais qui ne résistent pas à l’analyse. L’hétérogénéité était en effet la règle, tant en termes de taille, de statut juridique que de profil socioéconomique.
Des espaces de taille très variable
2En effet, tenter de déterminer la taille moyenne des faubourgs (au moins par rapport à la ville) s’avère rapidement être une gageure. Chaque faubourg, même autour d’une ville identique, a une taille variable ; tout dépend de certains facteurs, comme l’histoire particulière du faubourg, sa localisation, ou ses fonctions principales. La période concernée peut évidemment être un facteur important, car il semble que certains faubourgs aient réellement pris leur envol démographique à partir du xviie siècle ou, pour d’autres agglomérations, du xviiie siècle. Cependant, des faubourgs importants ont pu exister dès la première moitié du xvie siècle. Pour cette période, les données précises sont rares1. Les tableaux suivants montrent que les faubourgs peuvent voir leur taille considérablement varier selon les villes et les périodes. Les données présentées ne sont pas exhaustives et sont critiquables2. Elles sont tirées de l’exploitation personnelle de certaines sources et de diverses publications d’historiens. À quelques années d’écart, dans le cas d’une même ville, les variations sont quelquefois surprenantes.
Tableau 9. Villes et faubourgs en France aux xvie et xviie siècles : quelques données démographiques.
Ville | Date | Population estimée intra muros | Population estimée dans les faubourgs | Rapport entre population faubourienne et population de l’agglomération | Nombre de feux dans la ville | Nombre de feux dans les faubourgs | Rapport entre les feux des faubourgs et les feux de l’agglomération |
Bourg-en-Bressea | 1561 | / | / | / | / | / | 2 % |
Nantesb | 1575 | / | / | 51,2 | / | / | / |
Montferrandc | 1627 | / | / | / | 646 | 0 | 0 % |
Issoudund | 1648 | / | / | / | 1 093 | 1 269 | 54 % |
Clermont-Ferrande | 1651 | / | / | / | 1 666 | 538 | 24 % |
Issoudunf | 1654 | / | / | / | 814 | 1 167 | 59 % |
Issoudung | 1676 | / | / | / | 767 | 1 210 | 61 % |
Villeneuve-de-Bergh | 1678 | / | / | / | 182 | 274 | 60 % |
Caen i | 1695 | / | / | / | / | / | 40,8 % |
Orléansj | 1695 | / | / | / | 5 576 | 1 926 | 26 % |
Dijonk | 1699 | / | / | / | / | / | 7 % |
Romans / Bourg de Péagel | 1696/ 1706 | / | / | / | 1 244 | 311 | 20 % |
a. Denise Turrel, Bourg-en-Bresse au xvie siècle…, op. cit., p. 67. b. Alain Croix, La Bretagne aux xvie et xviie siècles…, op. cit., vol. 2, p. 841-842. c. Rôle d’impôt municipal dont les résultats sont présentés par André-Georges Manry, Histoire de Clermont-Ferrand, Clermont-Ferrand, Bouhdiba, 1993, p. 235. d. Philippe Werth, Issoudun…, op. cit., p. 58. e. André-Georges Manry, Histoire de Clermont-Ferrand, op. cit., p. 155. f. Philippe Werth, Issoudun…, op. cit., p. 58. g. Ibid., p. 58. h. AD de l’Ardèche, E 81, archives déposées de la ville de Villeneuve-de-Berg, CC 22, Rôles de contributions diverses, 1670-1697. i. Emmanuel Le Roy Ladurie et al. (dir.), La Ville classique : de la Renaissance aux révolutions, dans Georges Duby (dir.), Histoire de la France urbaine, op. cit., vol. 3, p. 440. j. Exploitation personnelle du rôle de capitation de 1695 conservé aux AD du Loiret sous la cote 2 Mi 148. k. Pierre Gras (dir.), Histoire de Dijon, op. cit., p. 195. l. AM de Romans, CC 169, Rôle de capitation de la ville de Romans, 1696 ; AM de Bourg-de-Péage, CC 26, Rôles de taille et de capitation de la ville de Bourg-de-Péage, 1706. |
Tableau 10. Villes et faubourgs en France dans la première moitié du xviiie siècle : quelques données démographiques.
Ville | Date | Population estimée intra muros | Population estimée dans les faubourgs | Rapport entre population faubourienne et population de l’agglomération | Nombre de feux dans la ville | Nombre de feux dans les faubourgs | Rapport entre les feux des faubourgs et les feux de l’agglomération |
Angoulêmea | Vers 1700 | / | / | / | 850 | Environ 850 | 50 % |
Lyonb | Vers 1700 | 100 000 | 10 000 | 9 % | / | / | / |
Issoudunc | 1701 | / | / | / | 753 | 771 | 51 % |
Vannesd | 1704 | / | / | / | 642 | 1 135 | 64 % |
Nîmese | 1720 | 16 000 | 2 000 | 11 % | / | / | / |
Briançonf | 1724 | 1 710 | 1 308 | 43 % | |||
Vannesg | 1733 | / | / | / | 455 | 1 116 | 71 % |
Nîmesh | 1734 | 18 350 | 3 650 | 17 % | / | / | / |
Arboisi | 1749 | 867 | 2 347 | 73 % | / | / | / |
Issoudunj | 1750 | / | / | / | 741 | 1 045 | 59 % |
Amboisek | Vers 1750 | / | / | / | 325 | 475 | 59 % |
Dijonl | Vers 1750 | / | / | 10 % | / | / | / |
a. Pierre Dubourg-Noves (dir.), Histoire d’Angoulême…, op. cit., p. 160. b. Maurice Garden, Lyon et les Lyonnais..., op. cit., p. 31-32. c. Philippe Werth, Issoudun…, op. cit., p. 58. d. Tim J. A. Le Goff, Vannes et sa région : ville et campagne dans la France du xviiie siècle, Loudéac, Yves Salmon, 1989, p. 53. e. Roland Andréani (dir.), Nouvelle Histoire de Nîmes, op. cit., p. 160. f. Jacqueline Routier, Briançon..., op. cit., p. 235. g. Tim J. A. Le Goff, Vannes et sa région…, op. cit., p. 53. h. Roland Andréani (dir.), Nouvelle Histoire de Nîmes, op. cit., p. 160. i. Lilian Herrmann, « Arbois au xviiie siècle, une petite ville vigneronne vue à travers ses recensements », dans Cahiers d’histoire, vol. 43, nº 3-4, 1998, p. 499. j. Philippe Werth, Issoudun…, op. cit., p. 58. k. D’après Jean-Aymar Piganiol de La Force, Nouveau Voyage en France, op. cit., vol. 1, p. 32. l. Pierre Gras (dir.), Histoire de Dijon, op. cit., p. 195. |
Tableau 11. Villes et faubourgs en France dans la seconde moitié du xviiie siècle : quelques données démographiques.
Ville | Date | Population estimée intra muros | Population estimée dans les faubourgs | Rapport entre population faubourienne et population de l’agglomération | Nombre de feux dans la ville | Nombre de feux dans les faubourgs | Rapport entre les feux des faubourgs et les feux de l’agglomération |
Grenoblea | 1751 | / | / | / | 2 917 | 395 | 12 % |
Vannesb | 1760 | / | / | / | 504 | 1 082 | 68 % |
Angoulêmec | 1764 | / | / | / | 906 | 973 | 51 % |
Angersd | 1769 | 18 173 | 4 492 | 19,8 % | / | / | / |
Bayeuxe | 1775 | 2 436 | 6 546 | 72,8 % | / | / | / |
Arboisf | 1779 | 1 374 | 3 458 | 72 % | / | / | / |
Pontoiseg | 1781 | 2 932 | 1 871 | 38,9 % | / | / | / |
Vannesh | 1783 | / | / | / | 444 | 990 | 69 % |
Bourgi | 1784 | / | / | 15 % | / | / | / |
Issoudunj | 1787 | / | / | / | 719 | 1 138 | 61 % |
Montpellierk | 1789 | 24 000 | 8 000 | 25 % | / | / | / |
Arboisl | 1789 | 1 477 | 3 855 | 72 % | / | / | / |
Dijonm | Vers 1789 | / | / | 14 % | / | / | / |
a. AD de l’Isère, 2 C 515, Répartition de la capitation pour la ville de Grenoble, 1751. b. Tim J. A. Le Goff, Vannes et sa région..., op. cit., p. 53. c. AM d’Angoulême, CC 42, Cahiers d’également, 1585-1768. d. AM d’Angers, II 13, archive citée. e. Mohamed El Kordi, Bayeux aux xviie et xviiie siècles : contribution à l’histoire urbaine de la France, Paris, Mouton, 1970, p. f. Lilian Herrmann, « Arbois au xviiie siècle... », art. cité, p. 499. g. Jacques Dupâquier, Pontoise et les Pontoisiens en 1781, Pontoise, Ville de Pontoise / société historique et archéologique de Pontoise, du Val d’Oise et du Vexin, 1992, p. 14-22. h. Tim J. A. Le Goff, Vannes et sa région…, op. cit., p. 53. i. Denise Turrel, Bourg-en-Bresse au xvie siècle…, op. cit., p. 64. j. Philippe Werth, Issoudun…, op. cit., p. 58. k. Gérard Cholvy (dir.), Histoire de Montpellier, Toulouse, Privat, 1984, p. 205. l. Lilian Herrmann, « Arbois au xviiie siècle... », art. cité, p. 499. m. Pierre Gras (dir.), Histoire de Dijon, op. cit., p. 195. |
3Un simple regard sur ces tableaux permet de saisir très rapidement la très grande variation de taille des faubourgs selon les villes concernées. Plusieurs raisons très différentes peuvent être avancées pour expliquer de telles variations du poids démographique des faubourgs, eu égard aux villes auxquelles ils étaient rattachés. Ainsi, force est de constater que des profils régionaux faubouriens semblaient exister. Les villes de la vallée ligérienne (ou situées à proximité, comme Angers) présentaient des faubourgs aux caractéristiques démographiques relativement similaires. Ceux-ci étaient généralement de taille moyenne. Selon Yves Babonaux3, c’est en partie parce que l’espace intra muros était souvent saturé, à cause de la présence de très nombreuses propriétés ecclésiastiques dans la ville, que Blois, Tours ou Orléans connurent une élévation du bâti pour répondre à la pénurie de logements, ce qui eut pour effet d’augmenter sensiblement la densité de population à l’intérieur des fortifications. Ces cités virent également leurs espaces suburbains se développer rapidement dès le xviie siècle, pour accueillir toutes les personnes ne pouvant se loger à l’intérieur des remparts. Cette prépondérance du clergé comme propriétaire foncier pouvait conduire à rendre inconstructible jusqu’à un tiers de la surface de ces villes durant l’Ancien Régime.
4Plus que des profils régionaux, c’est la propre histoire d’une cité qui pouvait expliquer la présence de faubourgs concurrençant démographiquement la ville à laquelle ils étaient rattachés. Force est de constater que dans les villes pour lesquelles nous disposons de données sur plusieurs siècles, l’importance des faubourgs ne naquit pas avec le siècle des Lumières. À l’inverse, parmi les villes qui possédaient des faubourgs de taille modeste durant le Grand Siècle, rares furent celles à connaître un rééquilibrage démographique entre le centre et la périphérie au profit des faubourgs à partir de 1700. Dans les villes-champignons connaissant les prémices de l’industrialisation au cours de la période moderne, et notamment dès le xviie siècle, la croissance démographique reposa en grande partie sur les faubourgs. Les villes papetières développèrent souvent leur spécialité hors les murs, y fixant une population nombreuse. Très tôt, Angoulême posséda, en dehors de ses murailles, des faubourgs étendus. L’un d’eux, le faubourg de l’Houmeau, s’était d’abord développé grâce à la papeterie4, active au bord de la Charente. Dans d’autres villes, ces activités préindustrielles demeuraient des moteurs de la croissance faubourienne, au moins jusqu’à la fin de l’Ancien Régime, parfois au-delà. Dès le xviie siècle, la ville d’Annonay se composait de quatre quartiers et faubourgs formant des entités spatialement séparées : l’ancienne ville féodale se situait sur le rocher et se nomme Bourgville ; la ville bourgeoise était localisée dans le quartier du Champ, sur la presqu’île de confluence entre la Cance et la Deûme, en amont du château de Bourgville. La population était également importante hors les murs, dans le faubourg de la Cance, dont la croissance reposait sur les activités du cuir, et dans le faubourg de la Deûme, berceau des activités papetières5. À Thiers, le développement rapide de la papeterie et surtout de la coutellerie avait généré précocement de la même façon l’émergence de grands faubourgs, le long de la Durolle, en particulier ceux du Moutier, de Porteneuve et du Lac6. À Saint-Étienne, au début de la période moderne, plus de la moitié des 600 feux étaient déjà hors les murs, ce qui justifie l’idée selon laquelle ce sont ici « les faubourgs qui ont fait la ville et non le contraire7 ». Les activités de l’armurerie avaient généré ces faubourgs importants, supplantées ensuite par l’extraction du charbon.
5Certaines situations demeurent a priori difficilement explicables, en particulier dans des villes de taille moyenne. À Issoudun, les faubourgs surclassaient systématiquement, en nombre de feux, la ville-centre, du milieu du xviie siècle à la Révolution française8. Ce n’est pas un cas isolé. La ville de Châteaudun possédait ainsi dès le xviie siècle des faubourgs de taille considérable9, tout comme la ville de Vannes10. Pour la Franche-Comté, Paul Delsalle a également montré que les faubourgs pouvaient être particulièrement développés dans certaines villes au xvie siècle, notamment à Poligny : ceux-ci regroupaient alors plus de 60 % de la population de l’agglomération11. Toutefois, l’auteur n’avance pas de véritable hypothèse pour expliquer cette importance des faubourgs dans son article. À Caen, la grande taille des espaces suburbains est également un fait bien connu. Dans son travail sur cette ville, Jean-Claude Perrot mentionna que les faubourgs abritaient 40,8 % de la population de l’agglomération en 1695 et 44,5 % en 179312. Dans tous ces cas, ce sont probablement des effets de promotion, politique ou économique, qui ont galvanisé la croissance démographique au moment même où les remparts semblaient perdre de leur force symbolique et leur utilité militaire.
6Dans de nombreux autres cas cependant, les faubourgs étaient relativement peu développés ; mais cette situation n’était pas une généralité, comme cela a été trop souvent mis en avant. Bien évidemment, pour expliquer une maigre taille des faubourgs, les contraintes naturelles n’étaient pas à rejeter. Sans verser dans une approche déterministe, relevons que les villes s’étant développées dans des sites répulsifs ou enclavés pouvaient voir leur possibilité d’extension restreinte par des contraintes géographiques et avoir des faubourgs maigres ; dans quelques cas, certaines villes n’avaient même pas de faubourg. Les risques d’inondation ont ainsi empêché leur développement dans certains lieux. Près d’Avignon, aucun faubourg n’a pu se développer sur la rive gauche du Rhône en raison des crues violentes et répétées du fleuve13. À Arles, la situation était exactement la même, pour des raisons identiques14. En zone marécageuse, toutes les sources s’accordent également à décrire une configuration où les habitants résidaient presque tous à l’intérieur des remparts, comme à Châtillon-sur-Chalaronne, située dans la Dombes15. Toutefois, à Aigues-Mortes, en dépit d’interdictions royales concernant la construction hors des remparts, des faubourgs avaient quand même émergé au nord et à l’ouest de la ville, le long des canaux16. Dans des sites de haute ou moyenne montagne enclavés (comme Briançon17), les faubourgs purent exister. Mais les contraintes naturelles ne pouvaient être en permanence invoquées pour justifier du faible développement de certains faubourgs. Force est de constater que de nombreuses villes voyaient leur croissance stérilisée par la proximité d’un grand centre urbain. Villefranche-sur-Saône18 ou Vienne19, dont les bassins migratoires étaient vidés par Lyon, tout comme Senlis20 en raison de la proximité parisienne, n’ont pu développer de grands faubourgs durant l’ensemble de la période moderne.
7On pourrait penser que, sous l’Ancien Régime, certaines villes possédaient des faubourgs maigres, pour des raisons purement historiques : logiquement, celles qui étaient prospères au Moyen Âge ou sous l’Antiquité, mais qui avaient ensuite connu un profond déclin (étant déclassées politiquement ou économiquement) auraient dû avoir des espaces suburbains réduits. Or cette hypothèse est loin de se vérifier, bien au contraire. Ainsi, Laon offrait le portrait d’une ville assoupie sous l’Ancien Régime, car Soissons la concurrença fortement à partir de la fin du xvie siècle. En effet, Laon, qui avait choisi le camp de la Ligue, perdit le présidial en 1596 au profit de sa voisine et concurrente, qui devint également le siège de généralité à partir de 1599. Pourtant, elle possédait des faubourgs assez importants au xviie siècle, peut-être en raison de la coupure topographique et spatiale entre ville-haute et faubourgs, qui empêcha l’extension des fortifications à la fin du Moyen Âge21. Carcassonne possédait un profil similaire, avec deux faubourgs importants sous l’Ancien Régime au pied de la cité22. Troyes, ville particulièrement florissante au bas Moyen Âge, avait sous l’Ancien Régime de grands faubourgs, bien que ses activités économiques se soient franchement taries23. Albi, dont les faubourgs regroupaient 11 % de la population totale en 134324, connut un déclin relatif sous l’Ancien Régime, mais ses faubourgs (du Vigan, de Verdusse et de la Madelaine) occupaient un vaste espace à la fin du xviiie siècle, témoignant d’un poids démographique encore bien supérieur à celui que l’on pouvait constater à la fin du Moyen Âge25.
8Certes, on trouvera toujours quelques cas de villes dont le profil spatial, précédemment évoqué, attestait d’une faible croissance. Provins26, Crémieu27 ou Avallon28 sont de bons exemples de villes prospères au Moyen Âge, ayant cependant connu ensuite un déclin, et dont les faubourgs étaient soit absents, soit réduits à quelques habitations durant la période moderne.
9D’autres faubourgs peuvent être particulièrement réduits, lorsqu’ils sont rattachés à des villes traversant une grande atonie économique. Auxerre, qui connut une crise importante aux xviie et xviiie siècles, possédait des faubourgs quasiment inexistants29. La composition des structures sociales de la ville bourguignonne peut même amener à conclure qu’Auxerre s’apparentait à un énorme bourg agricole30. Valence connut un xviie siècle et un début de xviiie siècle difficiles. De ce fait, elle fut marquée jusque vers 1750 par une atrophie faubourienne. Le seul faubourg mentionné dans les recensements de capitation datant de la première partie du xviiie siècle (le faubourg Saint-Félix) contenait entre 2 et 5 feux31. Il fallut attendre la deuxième moitié du xviiie siècle et le raccordement de Valence à une route royale majeure pour que plusieurs faubourgs prissent leur envol32. Ce fut aussi le cas de Montferrand. En profond déclin, car concurrencée quelques lieues au sud par Clermont, la ville ne possédait, semble-t-il, aucun faubourg au xviie siècle33.
10Quant aux villes créées sous l’Ancien Régime, elles présentaient des situations très différentes. La ville de Richelieu, qui n’eut jamais l’essor escompté par son créateur éponyme, semble n’avoir jamais compris de faubourgs34. Rochefort, autre ville créée à la demande du roi, possédait dès la fin du xviie siècle, peu de temps donc après sa création en 1666, un faubourg le long du chemin menant à la Rochelle35.
11Selon la période concernée, des variations importantes purent aussi être observées : la démographie du faubourg pouvait fluctuer énormément, moins cependant que la ville, sauf en période de guerre, durant laquelle la grande fragilité des faubourgs apparaissait. Durant l’ensemble de la période moderne, de nombreux sièges militaires de villes ont abouti inexorablement à la destruction des espaces faubouriens, soit du fait des assaillants, soit de la volonté des autorités municipales qui préféraient dégager les alentours des remparts, pour optimiser les capacités de défense de leur cité et réaménager leur place-forte. En quelques semaines, les faubourgs pouvaient alors se vider complètement, comme ce fut le cas lors du siège de la Rochelle en 162836. À Lorient, les habitations qui existaient au nord-ouest de la ville dans la première moitié du xviiie siècle furent détruites en 1746 à l’approche des Anglais, de façon assez opportune. Il faut dans ce cas souligner que les remparts avaient avant tout une utilité fiscale : leur destruction devait aussi permettre de tarir la contrebande qui y trouvait un lieu idéal pour prospérer37.
12En 1793, Le faubourg des Brotteaux connut le même destin, lors du siège de Lyon la fédéraliste par les armées révolutionnaires fidèles à Paris. De même, à Rouen, les faubourgs subirent de plein fouet les troubles religieux de la fin du xvie siècle38. À Bourg-en-Bresse, Denise Turrel explique que ces quartiers faubouriens durent être désertés pendant les troubles politico-religieux, de 1595 à 160139. À Annonay, ce furent aussi les troubles religieux qui aboutirent à la destruction des faubourgs de la Deûme et de la Cance, en 1563 et 157440. À Metz, la guerre de Trente ans réduisit à néant les espaces faubouriens, au point que Just Zinzerling s’en émut lors de sa visite41. À Dijon, le faubourg Saint-Michel fut également détruit en grande partie en 1557 et en 163642. Des contre-exemples existaient également, témoignant de la volonté ponctuelle de certains corps de ville de défendre ces espaces au même titre que des habitations intra muros. Ainsi, à Lyon, le 23 octobre 1711, la ville remboursa 5 143 livres à Claude Bertaud, voyer de la ville, qui avait avancé l’argent nécessaire pour renforcer les fortifications défensives construites face aux menaces que laissait peser le duc de Savoie. Cette somme avait en effet servi à financer
Les réparations qui ont ésté faites, tant au fauxbourg de la Guillotière que dans les corps de garde de la ville, à l’occasion des approches de M. le Duc de Savoye, dans les mois de juillet et aoust dernier, le tout en conséquence des ordres de la cour pour la deffense et sûreté du fauxbourg de la Guillotière43.
13Enfin, relevons que dans quelques cas, rares et précis, une concurrence put naître entre la ville et son ancien faubourg, devenu ville à part entière après une importante croissance économique et démographique. Dans ce cas précis, le faubourg devenu ville se développa fréquemment en raison de la présence d’une frontière politique et / ou fiscale. L’exemple le plus probant de cette concurrence était probablement la rivalité existant entre Romans et Bourg-de-Péage, séparées par l’Isère. Romans vit, à partir du xve siècle, se développer des habitations sur la rive gauche de la rivière, de l’autre côté du pont. Ces constructions étaient regroupées dans un faubourg qui n’était pas dénommé tel, mais s’appelait Bourg-de-Péage de Pisançon, malgré son absence de fortifications, absence qui ne le désignait pas comme une cité. Le développement et la prospérité de ce faubourg reposaient sur le commerce du sel, chargé par des muletiers venant du sud du royaume de France. Ce commerce attira nombre d’artisans de divers métiers. Leur arrivée, engendrant une croissance rapide du faubourg, au moment où Romans perdait de son influence, inquiéta les élites de la ville drômoise. Le 25 juin 1629, une délibération consulaire de la cité de Romans réclama l’interdiction de l’entrée des marchandises qu’apportaient les muletiers et marchands logés au Bourg-de-Péage, craignant que « le Péage ne se rende la ville et la ville le Péage ». Six ans plus tard, une requête fut adressée par la municipalité de Romans à l’intendant de Grenoble, Talon, dénonçant
Les octroys, lesquels ayant été imposés dans la ville tant seulement, partie des habitants d’icelle ont quitté leur maison pour habiter au Bourg [-de-Péage] où l’imposition n’a point esté receue, quoique les habitants d’icelui jouissent des privilèges des foyres, marchés, escholes, colleige, esglizes, fontaines, moulin et autres commodités44.
14Des cas similaires de faubourgs ayant réussi ou affiché très tôt leur émancipation se retrouvent ailleurs. Dans la vallée du Rhône, une ville comme Tournon vit son développement extra muros limité à un seul petit faubourg septentrional par l’extension d’une autre cité de l’autre côté du Rhône : Tain l’Hermitage45. Sur la rive droite du Rhône, face à Avignon, Villeneuve-lès-Avignon crût de façon autonome par rapport à la cité des papes, selon des modalités précédemment expliquées46. Face à Mâcon, sur la rive gauche de la Saône, Saint-Laurent, bien que déclaré faubourg de la ville en 1630, multiplia les déclarations et manifestations d’indépendance jusqu’à la fin du xviiie siècle47.
15Les faubourgs présentaient donc indéniablement deux particularités démographiques. D’une part, ils pouvaient atteindre des tailles très variables, tant en nombre d’habitants qu’en termes de poids démographique par rapport à la ville voisine. D’autre part, ils apparaissaient comme des espaces vulnérables qui pouvaient connaître, plus que la ville, des affaissements démographiques importants lors de crises graves.
La diversité des niveaux de vie et des privilèges
16Mener des enquêtes de sociologie rétrospective sous l’Ancien Régime est un exercice périlleux, qu’il s’agisse de déterminer des niveaux de vie ou des privilèges. Les documents nous renseignant sur les habitants étaient le plus souvent établis pour des raisons fiscales. Les informations mentionnées alors par les agents en charge du recouvrement dépendaient bien souvent de leur caractère plus ou moins scrupuleux. Comment appréhender, dans ces conditions de pauvreté archivistique, le niveau de vie des habitants des faubourgs et leur statut juridique ?
17Plusieurs sources peuvent être utilisées par l’historien pour tenter de déterminer le niveau de vie des habitants d’un espace sous l’Ancien Régime, notamment les recensements de capitation. Si l’exploitation des registres de capitation peut apparaître utile, elle est aussi particulièrement dangereuse. L’erreur la plus fréquemment commise revient à assimiler, de façon anachronique, ces recensements de capitation à une sorte d’impôt sur le revenu48. Les critères de classification du tarif, bien étudiés par Jean-François Solnon et François Bluche, sont trop complexes pour cela49. Tout au plus, ces recensements ou rôles de capitation sont-ils éventuellement utiles pour déterminer le pourcentage de personnes déclarées pauvres, même si le facteur de pauvreté est éminemment subjectif, puisqu’il dépend de l’appréciation du recenseur ou des critères fixés pour la perception de cet impôt. D’autres sources fiscales, plus locales, ont pu être utilisées par les historiens, comme « l’esgail », impôt levé sur tous les Nantais en 1593. Cet impôt, étudié par Alain Croix, mettait en évidence la très forte prépondérance de faibles impositions dans les espaces suburbains50 (les faubourgs Saint-Similien et Saint-Clément), laissant supposer une pauvreté moyenne plus importante dans ceux-ci que dans la ville intra muros.
18Malheureusement, dans la plupart des cas, ces sources ont toujours été exploitées avec l’ambition de déterminer les structures sociales d’une agglomération, et non avec celle de procéder à une comparaison spatiale entre une ville et ses faubourgs. Cela explique probablement les descriptions très stéréotypées, effectuées en général par la communauté des historiens modernistes à propos des faubourgs.
19Or les résultats tirés des sources dépouillées sont surprenants, en ce sens qu’ils ne corroborent pas le discours traditionnel et misérabiliste sur les faubourgs. En réalité, les historiens modernistes se sont longtemps laissés influencer par les travaux des historiens médiévistes51 et surtout contemporanéistes52, qui avaient souvent décrit les faubourgs comme des lieux de misère. Rares sont les historiens à avoir fait émerger des doutes quant à cet état de pauvreté supposé des faubourgs modernes53, d’autant plus que certaines études ponctuelles venaient conforter cette hypothèse54. En réalité, il n’est pas possible de constater une quelconque homogénéité des faubourgs d’une ville à l’autre. Dans les villes dynamiques, les faubourgs n’étaient généralement pas des lieux de concentration de la pauvreté, en particulier au xviiie siècle.
20À Angers, le recensement de 1769, précédemment cité, nous permet d’établir une étude comparative concernant les proportions de chefs de feu déclarés pauvres dans la ville et les faubourgs. Bien évidemment, la mention « pauvre » indiquée dans le recensement est sujette à critique. Établie par le recenseur, elle est en effet subjective. En outre, elle inclut certainement des personnes qui ont dissimulé une partie de leurs richesses. Pour autant, ce recensement fournit une tendance qui peut être facilement interprétée. Les résultats présentés dans le tableau suivant montrent une forte hétérogénéité de situation.
Tableau 12. L’indigence des chefs de feu dans la ville et les faubourgs d’Angers en 1769.
Lieux | Effectifs des chefs de feu | Effectifs des chefs de feu pauvres | Effectifs relatifs des chefs de feu pauvres |
Faubourg Saint-Michel | 282 | 39 | 13,8 % |
Vallée Saint-Samson | 149 | 31 | 20,8 % |
Faubourg Bressigny | 428 | 59 | 13,8 % |
Faubourg Saint-Lazare | 122 | 21 | 17,2 % |
Faubourg Saint-Laud | 197 | 10 | 5,1 % |
Faubourg Saint-Jacques | 199 | 15 | 7,5 % |
Faubourg Gauvin | 33 | 4 | 12,1 % |
Total faubourgs | 1 410 | 179 | 12,7 % |
Angers Ville | 1 642 | 198 | 12,1 % |
21Le taux de chefs de feu pauvres dans Angers intra muros n’était guère différent de celui qui existait dans les faubourgs. Cette faible disparité ne permet pas de mettre en évidence une misère plus intense parmi les chefs de feu recensés dans les espaces suburbains. Qui plus est, des différences de niveau de vie semblaient exister entre les faubourgs de la ville d’Angers. Ainsi, la proportion de chefs de feu pauvres dans les faubourgs Saint-Laud (5,1 %) et Saint-Jacques (7,5 %) était particulièrement faible. À l’opposé, le taux de chefs de feu pauvres pouvait être jusqu’à quatre fois plus élevé dans un faubourg comme celui de la vallée Saint-Samson (20,8 %).
22Orléans, à la fin du xviie siècle, présente également à ce sujet une image édifiante. Le rôle de capitation de 1695, qui mentionne l’ensemble des chefs de feu de la ville et des faubourgs, montre à quel point le terme de faubourg peut renvoyer à des réalités différentes. Si cette source présente en effet une quelconque valeur pour l’étude du groupe des indigents de la ville d’Orléans, cela tient à la définition même de la pauvreté, ici plus complexe et délicate que dans le cas angevin, où le seul avis du recenseur déterminait l’indication d’une mention « pauvre » sur le registre. Lorsque l’historien est confronté à un problème de taxinomie, le recours le plus simple, en l’absence de données statistiques fiables et précises55, est d’adopter le mode de classement des contemporains, selon des critères éminemment subjectifs.
23Dans le rôle de la première capitation orléanaise, les pauvres sont définis de la manière suivante. Deux types de personnes pouvaient en effet décréter qu’un chef de feu orléanais pouvait être déchargé de l’impôt, ou se voir exiger une capitation amoindrie à cause de son indigence : le curé de paroisse, selon les textes royaux, pouvait délivrer un certificat de pauvreté. En outre, à Orléans, le recenseur pouvait également décharger certains feux de l’impôt, selon certaines conditions. En premier lieu, les individus bénéficiant de l’assistance de l’Hôpital général d’Orléans pouvaient se voir délivrer un certificat prouvant leur indigence. Tel est le cas du cardeur François Enard, « certiffié pauvre à la Charité », qui vit sa cote d’imposition théorique de six livres réduite à une livre. Le plus souvent, ces individus étaient complètement exemptés, comme l’avocat Monsieur Coquin Delablastière. Cependant, seuls trois chefs de feu furent classés parmi les pauvres « honteux » (ayant atteint un niveau d’indigence leur permettant d’être secourus par l’Hôpital général, alors que leur origine sociale aurait dû les tenir éloignés du monde des pauvres).
24En second lieu, le recenseur put, selon son appréciation, proportionner la capitation de certains chefs de feu à leur niveau de richesse, en pratiquant des dégrèvements partiels. Ainsi, François Darbouille, vigneron au faubourg Saint-Jean, ne payait que la moitié de la capitation à laquelle il était soumis (une livre et demie au lieu de trois), étant « certiffié pauvre pour le restant ». De surcroît, les chefs de feu « taillables, cotisés à la taille ou autres impositions au-dessous de 40 sols » faisaient partie des exemptés. Enfin, la rubrique « pauvres » contenait un nombre important d’individus déclarés « pauvre malade » par le recenseur, qui faisait encore intervenir son appréciation personnelle dans les dégrèvements fiscaux. La marge de liberté des agents spéciaux chargés du recouvrement des impôts semblait réelle, d’autant plus que le terme de malade pouvait recouvrir des acceptions différentes (infirmes, incurables, gens touchés par des maux inhérents à des carences nutritionnelles...).
25Les pauvres reconnus (puisque les mendiants errants n’étaient pas recensés dans ce rôle) formaient donc un groupe important de 2 261 chefs de feu pour Orléans intra muros et de 482 chefs de feu pour les faubourgs56. Autrement dit, pour l’ensemble de la ville et des faubourgs, 36,57 % des chefs de feu étaient considérés comme pauvres. Lorsque l’on procède à une comparaison entre la ville et les faubourgs, les chiffres sont plutôt intéressants et pour le moins surprenants. Si, à Orléans, les taux de chefs de feu pauvres étaient nettement plus nombreux en proportion qu’à Angers en 176857, force est de constater que des contrastes similaires entre faubourgs des différentes villes apparaissent.
Tableau 13. L’indigence des chefs de feu de la ville et des faubourgs d’Orléans en 1695.
Faubourgs | Effectifs des chefs de feu indigents | Effectifs des chefs de feu | Effectifs relatifs des chefs de feu indigents |
Saint-Jean | 15 | 51 | 29 % |
Saint-Laurent | 45 | 105 | 43 % |
Saint-Marceau | 53 | 241 | 22 % |
Saint-Marceau rue basse | 28 | 148 | 19 % |
Bannier | 101 | 416 | 24 % |
Portereau de Tudelle | 77 | 352 | 22 % |
Saint-Marc | 52 | 389 | 13 % |
Saint-Vincent | 55 | 202 | 27 % |
Madeleine | 20 | 53 | 38 % |
Bourgogne | 36 | 93 | 39 % |
Total des faubourgs | 482 | 1926 | 25 % |
Orléans intra muros | 2 261 | 5575 | 41 % |
26Loin de conforter l’habituelle vision misérabiliste des faubourgs des grandes villes modernes, le rôle de la première capitation orléanaise met en lumière deux faits incontestables. Tout d’abord, il existait une grande variation du niveau de pauvreté d’un faubourg à l’autre, le taux d’indigence passant par exemple du simple au triple de Saint-Marc à Saint-Laurent, faubourg abritant un « prolétariat » de la batellerie travaillant dans la ville. C’est dire que la notion même de faubourg recouvrait des réalités très différentes. Comme la ville intra muros, les faubourgs ne formaient pas un ensemble homogène, pour lequel certaines caractéristiques sociales étaient partout valables ; ils étaient aussi sujets à une microgéographie sociale.
27De surcroît, la pauvreté était proportionnellement moins importante dans les faubourgs que dans la ville intra muros. Cette assertion se vérifiait doublement. En premier lieu, 9 faubourgs sur 10 avaient un taux de pauvreté inférieur à celui d’Orléans intra muros. 4 faubourgs étaient de toute évidence peuplés par des populations relativement à l’abri de l’indigence. En particulier, l’étonnant faubourg Saint-Marc, dont 96 % des chefs de feu étaient des vignerons et dont le taux d’indigence n’était que de 13 %, fournit la preuve de la prospérité des activités viticoles orléanaises à cette période. Les faibles taux d’indigence des faubourgs sud (Portereau-de-Tudelle, Saint-Marceau et Saint-Marceau rue basse) étaient également un bon indicateur de leur dynamisme.
28De plus, le taux moyen de pauvreté de l’ensemble des faubourgs était très nettement inférieur à celui de l’ensemble de la ville. La différence observée s’élevait à 16 points. Si nous considérons que la ville abritait toutes les fonctions supérieures d’administration, de commerce (avec les grands marchands traditionnels – de bleds, épiciers... – et ceux « fréquentant la Loyre et descendant en icelle »), ainsi que l’élite formée par la noblesse et la bourgeoisie, dont les membres ne sont que très rarement pauvres, cela signifie clairement que le petit peuple des faubourgs orléanais était globalement bien plus à l’abri de l’indigence que le petit peuple de la ville intra muros. Il convient toutefois d’apporter des nuances à cette description quelque peu manichéenne. En effet, les faubourgs présentent eux aussi des profils très différents. Les faubourgs Bourgogne et Saint-Laurent, situés immédiatement sur la rive droite de la Loire, avaient des taux d’indigence particulièrement élevés.
29Le cas du faubourg orléanais Saint-Laurent est suffisamment original pour mériter une attention particulière. Par rapport aux autres faubourgs situés au nord de la Loire, il présentait en effet un profil bien singulier. La viticulture ne faisait pas vivre ici beaucoup de chefs de feu : seuls 3 vignerons habitaient dans ce quartier. Par contre, 29 meuniers y résidaient. Sachant qu’Orléans, faubourgs compris, comptait 64 meuniers et que le faubourg Saint-Laurent n’était composé que de 50 chefs de feu, la spécialisation dans la meunerie était dans ce cas précis incontestable ; elle n’a d’équivalent dans aucun autre endroit de la ville. Cependant, l’hyperspécialisation n’était pas la source de fragilité de cet espace, en particulier en temps de crise frumentaire ; seuls 4 des 29 meuniers furent recensés comme pauvres. Ce sont surtout les personnes les moins qualifiées (notamment 15 portefaix, 21 personnes sans emploi déclaré) qui souffrirent le plus de la crise. Cohabitaient donc dans un même espace deux populations aux aptitudes de résistance économique fondamentalement opposées.
30Le cas du faubourg Bourgogne est plus difficile à comprendre. Là encore, dans ce petit faubourg (93 chefs de feu) habitaient probablement des individus travaillant en ville, comme les 3 savetiers certifiés pauvres. De plus, la viticulture ne semblait pas aussi prospère que dans le faubourg Saint-Marc, puisque 19 des 48 chefs de feu vignerons étaient pauvres.
31L’exploitation plus fine du recensement de capitation d’Orléans en 1695 permet de tirer davantage de conclusions. L’écueil serait bien entendu d’utiliser ce recensement comme une sorte d’impôt sur le revenu, ce qui serait un anachronisme, comme on l’a souligné précédemment. Par contre, à l’instar de ce que François Bluche et Jean-François Solnon ont bien démontré, cette grille du tarif pouvait être utilisée comme une hiérarchie subjective de la société d’Ancien Régime.
Figure 1. Les chefs de feu d’Orléans intra muros et des faubourgs comparés grâce au tarif de la première capitation (1695).

32Ce graphique permet néanmoins de formuler trois grandes leçons. Dans les faubourgs peut être notée l’absence totale de chefs de feu appartenant aux classes supérieures (de I à XVI). Ce n’est évidemment pas une surprise, mais cela prouve en tout cas que le tarif de la première capitation est une formidable grille de hiérarchie pour les personnages les plus hauts placés à l’échelle du royaume, et qu’elle perd beaucoup de son sens dans un cadre géographique d’étude plus restreint comme celui d’une ville, où les individus susceptibles d’appartenir aux classes supérieures sont très peu nombreux. En outre, la classe III, qui comprenait essentiellement des petits officiers, avait peu de sens en milieu urbain : les quelques archers, membres du guet et de la maréchaussée générale et provinciale, ne formaient pas un contingent nombreux (63 chefs de feu). Dans les faubourgs orléanais, cette classe regroupait logiquement la majorité des chefs de feu des faubourgs, puisque les vignerons y étaient inclus. Dans les deux entités géographiques, le tarif de la première capitation ne donne pas la vision d’une société totalement pyramidale. Cette constatation est surtout valable pour les faubourgs, où l’absence des domestiques dans la représentation graphique n’a que peu d’importance, étant donné leur faible nombre.
33Autre indice de comparaison entre la ville et ses faubourgs, le taux de perception peut permettre de voir où l’impôt rentrait le mieux. Là encore, la démarche est biaisée. La forte disparité des structures socioprofessionnelles de la ville et des faubourgs fait que le tarif de la première capitation était plus ou moins adapté aux capacités des contribuables selon les lieux et les métiers présents. De plus, cette comparaison ne peut se faire qu’à partir des capitations théoriques établies par les recenseurs orléanais, qui sont parfois différentes des cotes prévues par le tarif royal. Malgré ces lacunes, les résultats semblent intéressants. L’impôt sembla en effet légèrement mieux rentrer dans les faubourgs qu’intra muros : 73,79 % des sommes dues sont versées, contre 70,96 % dans Orléans ville58.
34À Grenoble, le recensement de capitation de Grenoble en 1751 permet également de comparer spatialement, avec les mêmes limites issues de l’appréciation subjective des recenseurs, le taux de pauvreté dans la ville et les espaces faubouriens (faubourgs Très-Cloître et Saint-Joseph – nommé ici « mas hors de la porte de Bonne » –, maisons hors la porte Saint-Laurent). Au premier abord, le taux de pauvreté dans les faubourgs était plus élevé qu’intra muros, même si la faiblesse des résultats obtenus et des exemptions fiscales qui y étaient liées témoignent là encore de la grande subjectivité des agents chargés du recouvrement de l’impôt.
Tableau 14. L’indigence des chefs de feu de la ville et de certains faubourgs de Grenoble en 1751.
Lieux | Effectifs des chefs de feu pauvres | Autres chefs de feu | Effectifs relatifs des pauvres |
Faubourg Très-Cloître | 9 | 152 | 6 % |
Hors la porte Saint-Laurent | 0 | 10 | 0 % |
Faubourg Saint-Joseph | 7 | 76 | 8 % |
Ensemble des faubourgs | 16 | 238 | 6 % |
Ville de Grenoble | 116 | 2 801 | 4 % |
35Pourtant, plus qu’une simple comparaison entre la ville et l’extérieur, une analyse mettant aussi en évidence la diversité des niveaux de vie entre l’ensemble des rues de la ville et les faubourgs démontre l’impossibilité d’utiliser le terme d’indigence pour décrire les espaces suburbains. Enfin, certaines rues de la ville proprement dites avaient un taux de pauvreté bien supérieur à ce qui pouvait exister dans les faubourgs. Dans la rue Saint-Laurent, située sur la rive droite de l’Isère, le taux de pauvreté s’élevait à 46 % des chefs de feu, soit nettement plus que dans n’importe quel faubourg. Cela oblige à prendre de réelles distances avec une extrapolation rapide et simpliste des statistiques.
36À Angoulême, l’exploitation d’un registre de taille de 1764 montre des situations très contrastées entre les faubourgs, même si, là encore, les résultats sont à nuancer, en raison du grand nombre de personnes exemptées de cet impôt (noblesse et clergé notamment). D’un faubourg à l’autre, les résultats étaient aussi extrêmement variables.
Tableau 15. La répartition des chefs de feu pauvres dans la ville et les faubourgs d’Angoulême en 1764.
Zones | Effectifs totaux des chefs de feu | Effectifs des chefs de feu pauvres | Effectifs relatifs des chefs de feu pauvres |
Ville d’Angoulême | 906 | 76 | 8,4 % |
Faubourg Saint-Martial | 277 | 121 | 43,7 % |
Faubourg Saint-Yrieix | 95 | 12 | 12,6 % |
Faubourg Saint-Martin | 115 | 17 | 14,8 % |
Faubourg Saint-Ausone | 118 | 24 | 20,3 % |
Faubourg de L’Houmeau | 368 | 27 | 7,3 % |
Ville et faubourgs | 1 879 | 277 | 14,7 % |
37Si certains faubourgs, comme Saint-Martial, étaient de toute évidence des lieux considérés comme particulièrement pauvres par les rédacteurs du rôle (ce qui correspondait probablement à la réalité), d’autres, comme l’Houmeau, présentaient un visage très différent. Dans celui-ci, la proportion du nombre de chefs de feu pauvres est même inférieure à celle du centre-ville, selon les personnes chargées du recouvrement de l’impôt. Près de soixante-dix ans plus tard, Honoré de Balzac donnait les clés du dynamisme de ce faubourg dans les Illusions perdues59.
Le faubourg de l’Houmeau s’était agrandi comme une couche de champignons au pied du rocher et sur les bords de la rivière, le long de laquelle passe la grande route de Paris à Bordeaux. Personne n’ignore la célébrité des papeteries d’Angoulême, qui, depuis trois siècles, s’étaient établies sur la Charente et sur ses affluents où elles trouvèrent des chutes d’eau. L’État avait fondé à Ruelle sa plus considérable fonderie de canons pour la marine. Le roulage, la poste, les auberges, le charronnage, les entreprises de voitures publiques, toutes les industries qui vivent par la route et par la rivière, se groupèrent au bas d’Angoulême pour éviter les difficultés que présentent ses abords. Naturellement, les tanneries, les blanchisseries, tous les commerces aquatiques restèrent à la portée de la Charente ; puis les magasins d’eaux-de-vie, les dépôts de toutes les matières premières voiturées par la rivière, enfin tout le transit borda la Charente de ses établissements. Le faubourg de l’Houmeau devint donc une ville industrieuse et riche, une seconde Angoulême que jalousa la ville haute où restèrent le gouvernement, l’évêché, la justice, l’aristocratie. Ainsi, l’Houmeau, malgré son active et croissante puissance, ne fut qu’une annexe d’Angoulême. En haut la noblesse et le pouvoir, en bas le commerce et l’argent : deux zones sociales constamment ennemies en tous lieux.
38Une autre méthode, plus originale, peut également révéler des contrastes sociaux. Celle-ci consiste en une estimation du taux d’alphabétisation, marqueur social très pertinent dans des sociétés où l'instruction des enfants était réservée à une infime minorité. Difficile à appréhender au xviiie siècle, il peut être approché à travers les signatures d’actes dans les registres paroissiaux. De nombreux démographes se sont essayés depuis longtemps à l’exercice60. Dans le cadre d’un mémoire de maîtrise, Laurent Raynaud a ainsi mené un travail de comparaison entre les différents quartiers d’Angoulême, intra muros et extra muros61, pour les années 1700 à 1791, à partir des signatures des mariés contenus dans les registres paroissiaux. Nous avons ici complété et reproduit ses résultats. Bien évidemment, le fait de signer n’était pas la preuve d’une alphabétisation complète de niveau satisfaisant, attestant de la capacité à lire et à écrire. Toutefois, l’absence de signature révélait au moins une alphabétisation partielle pouvant servir de critère discriminant.
Plan de la ville et des fauxbourgs d’Angoulesme, xviie siècle.

39Les résultats obtenus ne corroborent pas ceux des taux de pauvreté estimés d’après les registres de taille cités précédemment. En effet, un fossé apparaît cette fois-ci nettement entre la ville, d’un côté, et l’ensemble des faubourgs, de l’autre. En effet, quel que soit le faubourg concerné, la proportion d’hommes ou de femmes sachant signer était systématiquement plus faible que dans les quartiers intra muros. En d’autres termes, la ville d’Angoulême abritait une population qui semble bien plus alphabétisée : cela tend à prouver que même les faubourgs les plus riches n’étaient pénétrés que très partiellement par ce critère fondamental d’urbanité.
Tableau 16. Une approche du taux d’alphabétisation à travers les actes de mariages dans les registres paroissiaux de la ville et des faubourgs d’Angoulême (1700-1791).
Paroisses | Types de lieux | Nombre d’actes | Effectifs des actes où apparaît la signature du mari | Effectifs relatifs des actes où apparaît la signature du mari | Effectifs des actes où apparaît la signature de la femme | Effectifs relatifs des actes où apparaît la signature de la femme |
Saint-André | Ville | 1 335 | 1 009 | 75,6 % | 877 | 65,7 % |
Notre-Dame de Beaulieu | Ville | 514 | 354 | 68,9 % | 255 | 49,6 % |
Saint-Antonin | Ville | 345 | 205 | 59,4 % | 166 | 48,1 % |
Notre-Dame de la Peyne | Ville | 130 | 85 | 65,4 % | 63 | 48,5 % |
Saint-Jean | Ville | 451 | 292 | 64,7 % | 253 | 56,1 % |
Petit Saint-Cybard | Ville | 264 | 207 | 78,4 % | 168 | 63,6 % |
Saint-Paul | Ville | 346 | 252 | 72,8 % | 209 | 60,4 % |
Saint-Ausone | Faubourg | 570 | 200 | 35,1 % | 92 | 16,1 % |
Saint-Yrieix | Faubourg | 971 | 294 | 30,3 % | 121 | 12,5 % |
Saint-Martin | Faubourg | 592 | 239 | 40,4 % | 142 | 24,0 % |
L’Houmeau | Faubourg | 1 648 | 723 | 43,9 % | 500 | 30,3 % |
Saint-Martial | Faubourg | 1 654 | 565 | 34,2 % | 302 | 18,3 % |
Total | Ville et faubourgs | 8 820 | 4 425 | 50,2 % | 3 148 | 35,7 % |
40Une dernière piste susceptible d’être utilisée pour comparer encore d’une manière différente les niveaux de vie des habitants consiste en l’étude d’une source méconnue, mais exceptionnelle. Les archives départementales de l’Ardèche renferment un document fiscal indiquant pour chaque feu de la ville de Villeneuve-de-Berg et de ses faubourgs le nombre de personnes, ainsi que les différentes ressources en céréales ou autres aliments de base (millet, avoine, poix, fèves...)62. Ce document, nommé la « disme sur le pied », est précisément daté du 26 octobre 169363. Il a fallu cependant croiser cette source avec un autre document contemporain (une liste nominative fiscale) pour retrouver les lieux d’habitation des recensés, qui ont en fait été visités dans l’ordre suivant : faubourg Notre-Dame, ville, faubourg Basse-Rue, faubourg Tournon. Or la « disme sur le pied » a pu être exploitée statistiquement, ce qui permet d’avoir une appréhension plus conforme de la richesse des feux, dans une société sensible aux crises frumentaires, où la thésaurisation des céréales était un marqueur de prospérité probablement aussi pertinent que l’argent. Évidemment, comme dans toute source fiscale, les risques de dissimulation, de fausses déclarations ou de corruption sont toujours possibles. C’est le lot de toute étude à partir de documents fiscaux ; il n’en reste pas moins que de grandes tendances peuvent être cependant discernées. Plutôt que de présenter les ressources moyennes de chaque feu, peu explicites au regard de la grande différence de taille des feux, il a été choisi de présenter les ressources moyennes par habitant dans chaque faubourg. Cette stratégie n’est pas sans défaut, car, parmi les habitants, sont comptabilisés les adultes, mais aussi les très jeunes enfants, dont les besoins pouvaient être très limités, voire inexistants, concernant les denrées recensées selon leur âge. Inversement, une jeune mère en phase d’allaitement maternel avait besoin d’apports caloriques supplémentaires... Ces réserves émises, les résultats du dépouillement laissent apparaître des disparités peu prononcées entre les personnes vivant dans les 461 feux de la ville et des faubourgs. En d’autres termes, il n’existait pas un espace très privilégié par rapport aux autres, quels que fussent la céréale ou l’aliment concerné. Mentionnons a contrario que le faubourg Basse-Rue semblait un peu plus mal loti dans l’ensemble, avec des disponibilités globales réduites. En outre, le choix de conserver chez soi un aliment plutôt qu’un autre est aussi un très bon révélateur des niveaux de vie moyens supposés. Le froment, céréale la plus noble, était davantage présente en ville et dans le faubourg Notre-Dame. À l’opposé, les habitants du faubourg Tournon, moins urbain car plus éloigné de la ville, semblent faire reposer une partie de leur alimentation sur du méteil, mélange de froment et de seigle qui offrait l’avantage d’un bon compromis nutritif et gustatif, ainsi que d’un rapport qualité / prix considéré comme meilleur.
Tableau 17. Les disponibilités en aliments de base dans la ville et les faubourgs de Villeneuve-de-Berg (exprimées en setiers64).
Lieux | Totaux et moyennes | Froment | Méteil | Seigle | Avoine | Orge | Poix | Fève | Millet |
Ville | Total pour les 867 habitants | 833,50 | 515,00 | 309,50 | 320,50 | 184,00 | 26,00 | 32,50 | 44,00 |
Moyenne par habitant | 0,96 | 0,59 | 0,36 | 0,37 | 0,21 | 0,03 | 0,04 | 0,05 | |
Faubourg Basse Rue | Total pour les 623 habitants | 315,50 | 181,50 | 134,00 | 64,50 | 58,00 | 16,50 | 6,50 | 11,00 |
Moyenne par habitant | 0,51 | 0,29 | 0,22 | 0,10 | 0,09 | 0,03 | 0,01 | 0,02 | |
Faubourg Notre-Dame | Total pour les 337 habitants | 346,50 | 89,00 | 123,00 | 77,00 | 16,75 | 14,50 | 23,00 | 3,00 |
Moyenne par habitant | 1,03 | 0,26 | 0,36 | 0,23 | 0,05 | 0,04 | 0,07 | 0,01 | |
Faubourg Tournon | Total pour les 334 habitants | 228,00 | 530,00 | 12,00 | 66,00 | 6,00 | 19,00 | 12,00 | 20,00 |
Moyenne par habitant | 0,68 | 1,59 | 0,04 | 0,20 | 0,02 | 0,06 | 0,04 | 0,06 | |
41Dans d’autres villes, le regard de certaines élites ou de voyageurs souligne aussi ces différences. Dans sa description de la ville de Lyon en 1741, André Clapasson établit une hiérarchie implicite entre les faubourgs de Vaise et de la Croix-Rousse. En ce qui concerne Vaise, son regard était très méprisant :
Ce fauxbourg est le plus grand passage de la ville, et la route de Paris y vient aboutir ; comme il est serré et très mal bâti, aussi bien que le quartier de Pierre-Cize [Pierre-Scize] qui le joint, il contribue d’abord à ne pas donner une idée bien avantageuse de Lyon ; mais le magnifique édifice des greniers de l’abondance, qui se présente ensuite de l’autre côté de la rivière, sert heureusement à effacer bientôt cette première impression65.
42A contrario, le faubourg de la Croix-Rousse « est rempli d’une quantité prodigieuse de jardins ou de petites guinguettes, où les marchands de la ville vont se délasser les jours de fête ; comme il est dans une situation élevée, l’air y est pur et l’ortolage66 excellent67 ».
43En définitive, un faubourg n’abritait pas forcément une population plus miséreuse que la ville. D’un faubourg à l’autre, les niveaux de vie pouvaient être très différents. Notons que dans beaucoup d’espaces étudiés, plus les faubourgs étaient développés démographiquement, plus une part importante des habitants semblait être touchée par l’indigence.
44Pour qui connaît un peu les sociétés urbaines de l’Ancien Régime vient naturellement à l’esprit que, d’un point de vue juridique, les habitants des faubourgs devaient être en situation d’infériorité par rapport à la ville, étant entendu que le droit de bourgeoisie, généralement établi à partir de critères restrictifs de naissance ou plus généralement de résidence, était générateur de nombreux privilèges. À Bordeaux, ce droit reposait ainsi, sous l’Ancien Régime, sur une ancienneté résidentielle de deux ans dans la ville. Il apportait ensuite une batterie de privilèges auxquels les bourgeois étaient très attachés68. À Lyon, la situation était presque similaire, bien que fluctuante au fil du temps. Logiquement, dans ce système discriminatoire, les habitants des faubourgs semblaient en position d’infériorité juridique.
45Or on trouvait également dans les faubourgs des situations fort différentes du point de vue du droit. Là encore, trop d’études ont souvent extrapolé à la hâte à partir de résultats monographiques, considérant comme généralité ce qui n’était que cas particulier. Le cas lyonnais suffit à lui seul à démontrer les particularismes juridiques propres à chaque faubourg. Au milieu du xviiie siècle, dans la capitale des Gaules, les faubourgs de Vaise, de la Guillotière et de la Croix-Rousse n’avaient pas les mêmes privilèges. Vaise était le faubourg le plus mal loti. Non seulement ses habitants ne bénéficiaient pas de l’exemption de la taille, mais il était soumis, comme l’ensemble de la ville intra muros, au versement d’octrois. Les habitants de la Croix-Rousse devaient s’acquitter de ce versement, mais étaient exemptés de taille. Enfin, les habitants du faubourg de la Guillotière ne payaient ni taille, ni octrois69.
46À Lyon, comme dans d’autres villes françaises au xviiie siècle, les municipalités tentèrent en effet de s’approprier les droits de justice et de police dans les espaces faubouriens, qui jusqu’alors étaient souvent le privilège exclusif de seigneurs. Ainsi, entre 1704 et 1705, le consulat lyonnais entra en conflit avec l’archevêque de Lyon, « seigneur haut justicier de la Guillotière et mandement de Bechevelin » et le sieur Sève de Laval, « seigneur haut justicier de la Croix Rousse ». Forts d’édits royaux promulgués en octobre et novembre 169970, les édiles lyonnais entendaient récupérer les prérogatives de police et de justice dans ces deux faubourgs.
47Dans le cas de la Croix-Rousse, le seigneur Sève de Laval protesta, en mars 1704, contre la dépossession de ses fonctions de haut justicier. Le consulat justifia sa décision par un impératif économique ; il s’agissait d’empêcher le débit « de toutes sortes de denrées avec de faux poidz et de fausses mesures71 », car cela pénalisait le commerce à l’intérieur de la ville. Finalement, le sieur Sève de Laval obtint que ses officiers soient maintenus. Cependant, ceux-ci ne devaient désormais adopter « aucune ordonnance contraires à celles qui s’observent dans la ville, auxquelles ils seront obligés de se conformer, et de tenir la main à leur exécution ». Si l’on ajoute à cela que les officiers de la ville avaient un droit de visite dans l’ensemble du faubourg, il apparaît manifestement que le faubourg était désormais, dans les textes et provisoirement, sous le contrôle de la ville, même si les officiers de justice du seigneur ont été par la suite maintenus dans leurs fonctions. Autre point important, cette extension des pouvoirs urbains ne sembla pas susciter de réactions populaires dans le faubourg, du moins au départ... Il faut dire que le passif entre la Croix-Rousse et la ville de Lyon était relativement ancien. Quelques années auparavant, un autre conflit opposa les échevins lyonnais aux « habitants du faubourg de la Croix-Rousse et aux bourgeois de Lyon qui y possèdent des maisons et des jardins de plaisir ». À la fin du xviie siècle, ceux-ci tentèrent sans succès de se faire exonérer des aides72 et des octrois73. Leur long argumentaire reposait sur l’appartenance du faubourg de la Croix-Rousse au Franc-Lyonnais, c’est-à-dire à un ensemble de treize paroisses situées sur la rive gauche de la Saône, au nord de Lyon, réuni au royaume de France en 1475, tout en étant toujours considéré comme province « size en terre d’Empire », puis comme dépendance du duché de Savoie, jusqu’en 1696. Or le Franc-Lyonnais passa en 1556 un contrat avec la monarchie, garantissant ses privilèges, principalement l’exemption de la taille et des aides. Si, dans un premier temps, par un arrêt du 10 décembre 1697, la monarchie maintint tous les privilèges du faubourg de la Croix-Rousse, face aux doléances de la municipalité lyonnaise concernant la perception des aides sur le vin, la situation évolua rapidement au début du xviiie siècle, en raison de la concurrence trop forte exercée par les cabaretiers du faubourg à l’encontre de leurs confrères lyonnais.
48La mainmise du consulat de Lyon sur les prérogatives de police et de justice de la Guillotière, plus tumultueuse, tend également à prouver que la ville cherchait alors à contrôler économiquement ses faubourgs. Durant l’automne 1705, le consulat négocia âprement avec l’archevêque de Lyon ; il s’agissait de conserver les « manufactures de cette ville, par l’observation des règlemens des arts dans le lieu de la Guillotière comme dans la ville et fauxbourgs de Lion74 ». Les échevins estimaient que ces règlements auraient été inutiles s’ils « ne s’exécutoient pas dans un lieu aussy voisin que celuy de la Guillotière, où il seroit permis de recevoir des maîtres sans avoir fait ny apprentissage, ny campagnonage ». Là encore, la récupération des prérogatives judiciaires et policières sur le faubourg était motivée par des considérations essentiellement économiques. Le consulat craignait que les faubourgs soient le lieu d’une concurrence déloyale face aux activités présentes à l’intérieur des remparts, puisque n’importe quel métier pouvait être exercé librement dans les faubourgs, en s’affranchissant de toutes les règles en vigueur dans les communautés de métiers. Toutefois, à l’inverse de ce qui avait pu se passer à la Croix-Rousse, les habitants du faubourg de la Guillotière ne restèrent pas passifs. Deux éléments nous prouvent en effet des réactions d’hostilité très rapides à l’égard des représentants du consulat. Les archives nous indiquent ainsi que l’archevêque fut soutenu dans sa tentative de défense du faubourg par « les habitans de ce lieu, qui [...] ont taché dans toutes occasions de donner des marques de leur indépendance ». Second élément, la copie d’une lettre envoyée en octobre 1705 au maréchal de Villeroy, défenseur des intérêts de la ville de Lyon à la cour, expliqua que « les habitants de ce faubourgs sont toujours prêts à se révolter contre les ordres de leurs supérieurs ». Dans cette missive, les échevins ajoutèrent :
Nous ne pouvions arrester le cours de leurs fréquentes entreprises qu’autant que nous aurions en main la voye de la justice pour les corriger, que la conservation des manufactures d’arts et métiers de cette ville etoit aussy extremement interressé avoir une discipline uniforme par l’exécution des reglemens dans la ville et dans les fauxbourgs, a quoy celuy de la Guillotière a toujours résisté75.
49La résistance du faubourg eut toutefois ses limites. Quelques jours après l’envoi de cette lettre, la mainmise de la ville sur la justice et la police dans le faubourg était officiellement entérinée, moyennant le versement d’une rente à l’archevêque.
50La ville de Lyon dicta donc une nouvelle fois ses choix au faubourg, du moins en apparence. Cependant, quelques années plus tard, à l’occasion d’un autre conflit entre Lyon et la Guillotière, les habitants du faubourg surent profiter du flou des limites administratives pour ne pas laisser le consulat lyonnais attenter à certains de leurs privilèges. Le statut de la Guillotière sous l’Ancien Régime était assez original. En effet, ce faubourg dépendait de la généralité du Dauphiné, alors que Lyon, de l’autre côté du Rhône, dépendait de celle du Lyonnais. Or les habitants de la Guillotière surent bien exploiter cette anomalie administrative lorsque la municipalité lyonnaise s’en prit fiscalement à leurs intérêts.
51En 1722, le conseil du roi autorisa la municipalité lyonnaise à lever « pendant vingt années, à commencer du 1er février 1722, un octroy de douze sols sur chaque anée de vin qui entrera et se debittera dans la ville et faubourgs de Lyon, outre et par dessus les anciens et nouveaux octroys76 ». En effet, la capitale des Gaules était très endettée et ce tour de vis fiscal autorisé par la municipalité était censé la rendre solvable. En toute logique, le consulat lyonnais invoqua cette décision royale pour tenter d’imposer cet octroi par la force dans le faubourg de la Guillotière. Le fermier des octrois, appuyé par le corps de ville, fit alors régner un climat de terreur pour faire rentrer l’impôt, comme l’attestent les plaintes des habitants du faubourg :
Il a fait contraindre par de vives exécutions ceux qui ont refusé de payer et lorsque les consuls ou sindics ont voulu porter leurs plaintes au conseil, les uns ont été traduitz dans les prisons de l’archevêché et les autres ont été obligés pour éviter un pareil traittement d’abandonner leurs maisons ou leurs commerces ; On s’en est pris jusqu’au sieur Calemard, advocat au présidial de Lyon, que l’on a soupçonné d’être le conseil des habitants.
52Le principal argument utilisé par les habitants du faubourg pour se défendre était qu’ils dépendaient de la généralité du Dauphiné, et qu’ils ne pouvaient donc pas être soumis à un impôt levé par une ville qui n’était pas de la même province. La réponse du consulat lyonnais ne s’embarrassa pas de formalités, comme en témoignèrent les habitants du faubourg.
Lesdits prévost des marchands et échevins ont fait abattre [...] une colonne qui de tout temps a esté sur le pont du Rhône avec les armes du Dauphiné pour faire la séparation des deux provinces77.
53Cependant, face à tant de brutalité, les habitants de la Guillotière ne désarmèrent pas. Trouvant un précieux soutien auprès du subdélégué de Vienne et de l’intendant de Grenoble, prêts à faire valoir les intérêts de la province du Dauphiné, ils réunirent de nombreuses pièces justificatives prouvant leur bon droit. M. de Fontanieu, l’intendant de Grenoble, s’intéressa de très près à cette affaire. Il écrivit plusieurs lettres à son oncle, Pierre Poulletier, intendant de Lyon. Pourtant, les liens de la famille ne permirent pas un dénouement de l’affaire au profit du faubourg, car Poulletier soutenait le consulat lyonnais. En outre, en 1725, le conseil du roi multiplia les arrêts pour soutenir le droit de la municipalité lyonnaise à prélever les octrois ou des aides dans les faubourgs. Le pouvoir royal essayait ainsi d’imposer dans les faubourgs lyonnais une uniformisation concernant les aides. Par un arrêt du conseil d’État du 6 novembre 1725, le faubourg de la Guillotière de Lyon fut assujetti à payer , par ânée de vin comme les bourgeois de la ville. Par autre arrêt du conseil d’État du 11 décembre 1725, il fut ordonné « que les habitans dudit fauxbourg de Lyon et ses dépendances, payeront les anciens cinq sols & tous autres droits d’aydes, tout ainsi qu’ils se perçoivent dans les fauxbourgs de la Croix-Rousse, de Cuire et de Serin78 ».
54Cependant, l’intendant de Grenoble n’était toujours pas décidé à lâcher prise. Par l’intermédiaire de son subdélégué à Vienne, il fit réunir de nouvelles preuves de l’appartenance de la Guillotière au Dauphiné, pour que ses habitants « ne soient pas exposés aux ressentiments d’une ville puissante dont ils sont la victime ». Finalement, l’opiniâtreté des habitants du faubourg paya. Le 17 février 1728, un arrêt du conseil royal affirma que la Guillotière était un bourg du Dauphiné, et non un faubourg de Lyon, et, « en conséquence, déclar[a] les habitants du bourg de la Guillotière exempts du payement des octroys ordonné par l’arrêt du conseil du 20 janvier 1722 ». Les habitants du faubourg tenaient enfin leur revanche face au consulat lyonnais. En 1734, un autre édit royal confirma les privilèges de ce faubourg79. Cet exemple de résistance et de victoire du faubourg apparaît toutefois rare dans l’ensemble des fonds d’archives consultés. À Lyon, en tout cas, ce type de résistance semble plus fréquent qu’ailleurs, car la Guillotière comme la Croix-Rousse profitèrent régulièrement de la confusion des maillages administratifs pour défendre leurs intérêts.
55Étaient-ce ces victoires des faubourgs lyonnais qui les poussèrent, plus qu’ailleurs, à se défendre face aux autorités municipales ? Toujours est-il qu’un véritable esprit de corps sembla exister dans le faubourg de la Guillotière face à chaque attaque des échevins de Lyon. La communauté des habitants du faubourg, grâce à ses syndics, remporta une nouvelle victoire symbolique sur le consulat lyonnais dans les années 1770, alors que ce dernier avait pourtant fait appel à la justice pour dégager la place du Plâtre, en s’en réclamant propriétaire80. La ville fut déboutée par une première sentence en 1773. Face à l’insistance des autorités municipales et à une nouvelle plainte, les syndics de la communauté de la Guillotière demandèrent à Philibert Gaudet, « conseiller du roi, commissaire enquêteur et examinateur en la Sénéchaussée et Siège Présidial de Lyon », d’auditionner 42 témoins venant des villages limitrophes (Bron, Villeurbanne, Vénissieux, Vaulx) qui, tous, appuyèrent les habitants du faubourg, leur permettant d’obtenir gain de cause. De nouvelles tensions naquirent au moment de la Révolution. Certaine de son bon droit, la municipalité de la Guillotière multiplia les mémoires pour justifier son indépendance, en termes juridiques et fiscaux. Il semble, d’après les sources, que la ville de Lyon usa quant à elle de violence pour mater les habitants récalcitrants du faubourg81, allant semble-t-il jusqu’au meurtre82. C’est bien l’ensemble de ces vexations répétées, ainsi qu’un profond sentiment d’injustice83, qui semblent expliquer l’activisme forcené des habitants de la Guillotière pour leur indépendance.
56Si le cas lyonnais ne suffisait pas à montrer la complexité juridique inhérente aux différents faubourgs d’une même ville, le cas angevin devrait être à même de convaincre les plus sceptiques. Dans la paroisse Saint-Laud, le faubourg proprement dit était exempt de la taille, alors que tous les autres faubourgs y étaient soumis (Bressigny, Saint-Samson, Saint-Jacques, Saint-Lazare...). Par contre, la « campagne Saint-Laud » (c’est-à-dire les habitants de la paroisse un peu plus éloignés des fortifications) était assujettie à l’impôt84. À Romans, la situation de tension concerne autant Bourg-de-Péage, situé sur la rive opposée de l’Isère, que les villages de Peyrins et de Beaumont-Monteux, situés respectivement à 5 km et 14 km de Romans. Ces deux villages très anciens ont depuis le Moyen Âge une relation particulière avec cette ville. Bien qu’ils soient éloignés, elle les considère juridiquement comme des faubourgs. Outre la tutelle qu’elle exerçait sur eux, la ville de Romans affirma, dans une décision de justice de 1596, que « les habitans de la ville et des fauxbourgs » étaient « unis par des avantages communs et des charges communes85 ». Au moment de la Révolution, les villages souhaitèrent retrouver toute leur liberté, au mécontentement de l’assemblée du conseil général de la ville de Romans, qui, malgré des plaintes formulées auprès de l’assemblée nationale, n’obtint pas gain de cause.
57Il semble d’ailleurs que se développa au fil du temps, un peu partout et en particulier au xviiie siècle, une législation tendant à unifier (au moins partiellement) les régimes juridiques faubouriens là où – et c’est plutôt rare –, les espaces suburbains exerçaient une concurrence déloyale aux dépens de la cité. Dans de nombreuses villes, le même mouvement d’unification juridique semble avoir été à l’œuvre au siècle des Lumières, souvent sous l’impulsion du pouvoir royal. Ce mouvement d’unification se fit généralement beaucoup plus facilement que dans le cas lyonnais. À Château-du-Loir, le Conseil du roi prit une ordonnance tendant à imposer les « droits d’inspecteurs aux boissons86 » aux habitants du faubourg87. À Paris, le pouvoir royal était très préoccupé par la réglementation de la « communauté des maîtres boulangers de la ville et fauxbourgs de Paris, créée et rétablie en 1776 ». Le 17 janvier 1786, un arrêt du parlement de Paris entérina une décision de cette communauté, qui imposait un contrôle plus strict de l’emploi des garçons de boulangerie, prévoyant « que tous les maîtres et veuves, ainsi que tous ceux qui exercent la profession de boulanger, même dans les fauxbourgs et autres endroits privilégiés ou prétendus tels, soient tenus d’avoir dans la boutique un tiroir particulier dans lequel seront déposés les livrets de ses garçons88 ». Cela démontre la volonté des boulangers des faubourgs de ne pas respecter les règlements des maîtres boulangers de Paris qui leur étaient imposés.
58À Bordeaux, une unification juridique entre ville et faubourgs s’opéra avec un retrait progressif des libertés existant dans les faubourgs89. Toutefois, à la fin de l’Ancien Régime, les faubourgs gardèrent leur attractivité, car leurs avantages de zone franche n’avaient pas tous été remis en cause. À Angers, le même processus d’uniformisation fiscale pouvait être observé. Ainsi, au moins à partir de 1746, les cabaretiers des faubourgs furent soumis à des octrois identiques à ceux que payaient les cabaretiers de la ville90, empêchant toute concurrence déloyale à son détriment.
59Un autre motif récurrent de frictions résida dans le logement des gens de guerre. Souvent, les villes bénéficiaient de privilèges que les faubourgs n’avaient pas. À Lyon, au xviie siècle, le logement des militaires, dont étaient exempts les habitants de la ville, devait être assuré par les habitants des faubourgs. Par contre, lorsque les soldats du roi étaient obligés de traverser les ponts, et donc la ville, ils le faisaient en convoi sous bonne escorte de la milice bourgeoise91. Les faubourgs, comme les communes rurales un peu plus éloignées de Lyon, supportaient donc seuls ce fardeau92. Très rares étaient les cas inverses. À Romans par exemple, c’est le faubourg de Bourg-de-Péage qui était exempté du logement des gens de guerre, provoquant la colère des élites romanaises à la fin du xviie siècle93. Enfin, dans d’autres cas, comme à Angers, faubourgs et villes étaient soumis aux mêmes contraintes94.
60En tout état de cause, lorsqu’un dualisme juridique, même infime, existe entre deux espaces proches, il se crée sur la frontière ce que les géographes appellent une discontinuité spatiale ; celle-ci offre potentiellement, à l’instar de l’expression popularisée par l’économiste David Ricardo, des avantages comparatifs pour l’un des deux espaces. Cela conduit naturellement à s’interroger sur les caractéristiques des populations ayant fait le choix de résider et / ou de travailler dans les faubourgs.
Des profils socio-économiques très différents selon les faubourgs
61Il a été évoqué comment la communauté historique a longtemps traité pour partie négligeable les faubourgs de la modernité, les associant à des espaces dominés la plupart du temps par des paysages et des activités agricoles. Et ce lieu commun ne résiste pas à l’analyse, du moins pour le xviiie siècle. Les sources du xvie siècle sont trop indigentes pour nous renseigner convenablement sur ce sujet. Pour les deux siècles suivants, on dispose a contrario d’informations plus sûres. Les recensements, notamment de capitation, peuvent à nouveau nous documenter efficacement sur ce sujet, quand bien même leurs limites et lacunes sont bien connues. Comment ces archives nous renseignent-elles sur les activités et les caractéristiques sociales des habitants des faubourgs ?
62De l’exploitation de ces recensements ou dénombrements, il ressort certaines particularités qui, si elles ne sont pas des règles intangibles, font figure de certitudes susceptibles d’être généralisées. Tout d’abord, les faubourgs semblent avoir été des espaces peu attractifs pour la noblesse. Déjà peu nombreuse à l’échelle du royaume de France, celle-ci ne semble avoir aucun intérêt à résider dans les faubourgs.
63À Orléans, les 119 chefs de feu recensés en 1695 comme nobles habitaient tous à l’intérieur des murailles. À Dijon, le recensement de la noblesse de robe pour la capitation de 169595 (membres de la Tournelle, du Parlement, du bureau des finances, de la chambre des comptes...) eut lieu de manière spécifique, indépendamment de celui du reste de la population, nous renseignant sur la taille de leur famille et de leur domesticité. Aucun d’entre eux n’habitait manifestement dans les faubourgs. À Pontoise, en 1781, la situation était un peu plus nuancée. Alors que les faubourgs représentaient près de 39 % de la population, ils accueillaient tout de même, selon Jacques Dupâquier, 28 des 116 privilégiés, dont une poignée de nobles96. L’auteur n’étant pas précis dans son livre, la consultation du recensement (transcrite intégralement à la fin de son ouvrage) permet de confirmer cette présence, réelle mais réduite, de la noblesse, comme au sein du faubourg Ennery, qui accueillait deux employés de la Ferme générale. En général, les espaces suburbains ne présentaient sans doute pour la noblesse aucun des avantages de la campagne ou de la ville proprement dites. Trop éloignés des mondanités, des lieux de pouvoirs, des strates supérieures de la société, les faubourgs étaient clairement répulsifs.
64En revanche, le clergé pouvait y être très présent démographiquement, en particulier en raison de la présence de nombreux monastères. À Lyon, les monastères des Augustins à la Croix-Rousse et des Picpus à la Guillotière figuraient parmi les plus importantes communautés religieuses d’hommes à Lyon, selon Messance97. À Rouen, le même auteur indiqua également la répartition des monastères en 1763 : les 29 religieuses des emmurées et les 10 moines de Grammont dans le faubourg Saint-Sever98 illustraient par leur présence, à l’instar d’autres communautés (prieuré de Saint-Paul, la Madeleine, les Chartreux), l’attractivité des faubourgs rouennais pour les monastères. À Angers, le recensement de 1769 rappelle aussi cette importance du clergé régulier en zone suburbaine99. Dans le faubourg Bressigny, l’habitation cotée 1744 appartenait aux religieuses de la communauté de la Fidélité, dite du Bon Conseil : 35 personnes y vivaient alors. Dans le faubourg Saint-Laud, la maison nº 1973 était la propriété des Récollets et abritait 30 religieux. Ces communautés religieuses semblent avoir eu sous l’Ancien Régime une véritable utilité sociale. Il est révélateur de voir dans certains cahiers de doléances de 1789, comme à la Croix-Rousse, les habitants louer le rôle des moines, parlant de « leur activité, de leur zèle à prodiguer les secours spirituels aux habitants100 ».
65Par ailleurs, pour tenter d’avoir une vue d’ensemble de ce que pouvaient être les structures socio-économiques des faubourgs, il est apparu rapidement indispensable de ne pas limiter l’étude à un ou deux faubourgs, mais au contraire de disposer de cas suffisamment différents pour tenter de discerner d’éventuelles concordances.
66Orléans, ville relativement prospère au moment où le premier rôle de capitation fut établi, présentait un paysage où les constructions extra muros n’étaient pas négligeables. Or ces faubourgs orléanais avaient la particularité sous l’Ancien Régime de présenter des profils socio-économiques très différents selon leur localisation. Les six faubourgs septentrionaux se caractérisaient le plus souvent par des profils agricoles très marqués. Le long de la route de Paris s’étendait le grand faubourg Bannier (416 feux soit environ entre 1 500 et 1 900 habitants). Ce quartier, par ses structures socioprofessionnelles, était dominé par des activités plutôt agricoles, et plus particulièrement viticoles : sur les 274 chefs de feu rattachés au secteur des métiers de bouche et de l’agriculture, 254 étaient des vignerons.
67Ce profil socio-économique n’était pas l’apanage du faubourg Bannier. Les petits faubourgs qui étaient situés au nord de la Loire101 (Saint-Vincent, Bourgogne, Madeleine, Saint-Jean et Saint-Marc), étaient également très peu pénétrés par l’urbanité et marqués par la prédominance des activités agricoles, là encore en raison du dynamisme des activités viticoles. Le faubourg Saint-Marc confirmait le mieux cette assertion : 255 des 265 chefs de feu étaient ici des vignerons. Au total, ce sont 488 des 664 chefs de feu de ces cinq faubourgs (73 %) qui furent recensés comme viticulteurs. Peu peuplé (93 feux), le faubourg Bourgogne présentait une légère originalité : la prédominance des métiers de bouche et de l’alimentation ne s’expliquait pas seulement par la viticulture, mais aussi par la présence de 8 meuniers, de 2 boulangers, de 2 jardiniers et d’un poulailler. Le nombre important de meuniers trouvait racine dans la situation de ce faubourg, au bord de la Loire.
68Le petit faubourg Saint-Laurent, situé sur la rive droite de la Loire (comme les faubourgs précédemment cités), c’est-à-dire du côté d’Orléans intra muros, présentait un profil socio-économique différent. Les métiers agricoles n’écrasaient pas ici toutes les autres catégories socioprofessionnelles, puisque les métiers du transport y étaient également très présents. Il est surprenant de constater que les faubourgs Bourgogne et Saint-Laurent, situés sur la rive droite de la Loire, abritaient des populations qui vivaient du commerce de la batellerie ligérienne, de façon différente cependant. Le faubourg Saint-Laurent était habité par 27 portefaix, mais aucun des autres métiers du monde du transport n’était présent. Ces portefaix travaillaient donc probablement dans un des ports situés dans Orléans même, d’autant plus que les contemporains ne signalaient l’existence d’aucune zone portuaire à Saint-Laurent. De son côté, le faubourg Bourgogne n’abritait aucun chef de feu travaillant dans les activités de déchargement (ou de chargement), mais des activités comme la batellerie (3 bateliers) ou le roulage (3 rouliers et 4 valets de rouliers) étaient bien représentées. Là encore, ces individus travaillaient probablement dans un des ports situés dans Orléans intra muros.
69Le faubourg Saint-Laurent présentait une originalité supplémentaire par rapport aux autres faubourgs situés au nord de la Loire. La viticulture ne faisait pas vivre beaucoup de chefs de feu : seuls trois vignerons habitaient dans ce faubourg. La place importante du secteur de l’alimentation à Saint-Laurent s’expliquait donc plutôt par la présence de 29 meuniers. Sachant qu’Orléans, faubourgs compris, comptait 64 meuniers et que le quartier Saint-Laurent était composé de 105 chefs de feu, la spécialisation dans la meunerie apparaît ici incontestable, et n’avait d’équivalent dans aucun autre endroit de la ville.
70Au sud de la cité se trouvait un ensemble assez compact de deux faubourgs, Portereau-de-Tudelle et Saint-Marceau102, regroupant 741 feux, soit, probablement, une population de l’ordre de 3 000 personnes. Ces faubourgs fusionnés possédaient un port103 et étaient reliés à la ville par un pont. La comparaison des structures socio-économiques d’Orléans intra muros et des faubourgs sud est riche d’enseignements. Les faubourgs sud étaient plus spécialisés que la ville intra muros dans deux secteurs. : les métiers de bouche et de l’alimentation et les métiers du transport, pour des raisons différentes, apparaissaient en effet particulièrement développés dans l’ensemble Saint-Marceau / Portereau-de-Tudelle.
Figure 2. Des faubourgs un peu pénétrés par l’urbanité : Saint-Marceau et Porterau-de-Tudelle en 1695.

71La forte proportion des métiers de l’alimentation s’expliquait par le caractère très rural du faubourg Portereau-de-Tudelle, où le secteur primaire occupait 47 % des chefs de feu. Ainsi, les faubourgs sud se différenciaient encore beaucoup de la ville par leur caractère rural manifeste. De plus, les activités de transport employaient une part importante des chefs de feu, plus particulièrement dans le faubourg Portereau-de-Tudelle, dont 104 chefs de feu furent recensés comme mariniers, bateliers ou marchands voituriers par eau. Par contre, les métiers non qualifiés de la batellerie semblaient absents de ce faubourg : aucun portefaix chef de feu n’y fut recensé. Finalement, ici, tout rappelle le faubourg de la Guillotière à Lyon104 : la localisation sur la rive d’un cours d’eau opposée à la ville, et la liaison à la cité grâce à un pont servant de trait d’union, l’importance des métiers agricoles et du secteur des transports. La topographie et la croissance de ce faubourg à côté d’une grande ville expliquent ces similitudes.
72Inversement, les faubourgs sud n’étaient pas les lieux d’habitation des chefs de feu exerçant des fonctions supérieures du commerce. Ceux-ci habitaient de préférence dans la ville, dans laquelle siégeait l’union des « marchands fréquentant la rivière de Loyre et descendant en icelle » qui tenait « son bureau dans une chambre particulière de l’hôtel [de ville]105 ».
73En revanche, ces quartiers méridionaux possédaient un secteur de l’artisanat diversifié et relativement important, ce qui était un signe d’urbanité. Les fréquences relatives de catégories socioprofessionnelles, comme celles du fer, du bois, du cuir et des peaux du bâtiment et du textile, étaient proches de celles que l’on relevait dans Orléans intra muros (le plus souvent légèrement inférieures). L’importance démographique des faubourgs induisait en effet la présence d’un artisanat « proto-urbain », devant essentiellement répondre aux besoins de la population présente. Tel était le cas des 13 tonneliers, dont la clientèle devait être en grande partie recrutée parmi les 246 vignerons. De même, les faubourgs accueillaient un boulanger pour 67 habitants, contre un pour 61 habitants dans la ville106. Cette faible différence tendrait à prouver que les faubourgs avaient acquis une certaine autonomie par rapport à la ville intra muros, en disposant de leurs propres circuits économiques de première nécessité. A contrario, dans les faubourgs dijonnais d’Ouche et de Saint-Nicolas, à dominante rurale107, aucun boulanger n’était présent.
74Dans le cas de Grenoble en 1751, un recensement de capitation nous permet également de connaître les états de tous les chefs de feu de la ville et de son faubourg principal, le faubourg Très-Cloître. Ce faubourg, situé au sud de la ville, comprenait 161 feux, ce qui, en tout état de cause, représentait probablement moins de 800 habitants. C’était en tout cas le plus gros faubourg de Grenoble, situé dans une agglomération où la majorité de la population vivait à l’intérieur des murailles. Son cas particulier n’a jamais, à notre connaissance, été étudié. Pourtant, son analyse sociale démontre sans aucun doute que certains faubourgs, même de taille limitée, pouvaient présenter un véritable profil urbain.
Figure 3. Répartition des différents chefs de feu selon leur catégorie socioprofessionnelle au sein du faubourg Très-Cloître en 1751.

75Dans ce faubourg Très-Cloître, les métiers du secteur textile et de l’habillement dominaient nettement. Étaient présents dans cet espace un cardeur de laine, 23 peigneurs, 4 drapiers ou ouvriers drapiers, un ouvrier blanchisseur, 2 tailleurs, 2 teinturiers, 25 tisserands ou ouvriers tisserands. A contrario, les activités agricoles y étaient réduites à la portion congrue, puisque seul un jardinier résidait dans ce faubourg ; nulle trace par ailleurs d’un quelconque laboureur, vigneron ou autre travailleur agricole.
76Le faubourg Saint-Joseph n’était, lui, en rien comparable au faubourg Très-Cloître. Situé également dans la partie méridionale de la ville108, il était de taille beaucoup plus réduite. Il rassemblait 83 chefs de feu dont l’activité principale était très souvent en lien avec l’agriculture. Ceci explique pourquoi en 1751, le rédacteur du rôle de capitation n’usa pas de l’appellation de faubourg Saint-Joseph pour désigner cet espace, mais de celle de « mas hors de la porte de Bonne ».
Figure 4. Répartition des différents chefs de feu selon leur catégorie socioprofessionnelle au sein du faubourg Saint-Joseph en 1751.

77Dans ce petit faubourg, les activités agricoles dominaient donc encore largement en 1751 : sur les 83 chefs de feu, on pouvait relever la présence de 26 fermiers et de 15 jardiniers. Les métiers du textile commençaient à peine à émerger ; au moment de la Révolution, une quarantaine d’années plus tard, le secteur textile était bien plus développé et le profil social du faubourg métamorphosé. C’est la preuve que les faubourgs durant l’Ancien Régime n’étaient pas, au contraire de la plupart des villes ou des campagnes proprement dites, des espaces socialement figés. Ils présentaient même cette particularité de pouvoir se modifier en profondeur rapidement, en particulier en ce qui concerne les structures sociales.
Figure 5. Répartition des différents chefs de feu selon leur catégorie socioprofessionnelle au sein du faubourg Saint-Samson en 1769.

78Deux faubourgs d’Angers ont également été étudiés. Saint-Samson, abritant 149 feux, soit 431 habitants, était d’une taille moyenne. Il comprenait deux catégories socioprofessionnelles dominantes. Les métiers du bâtiment et de la construction employaient un cinquième des chefs de feu. Presque tous les corps de métiers de la construction étaient représentés (charpentier, couvreur, maçon, terrassier...), ainsi que 7 perrayeurs travaillant certainement dans les carrières au nord de l’agglomération. Surtout, près d’un tiers des chefs de feu du faubourg Saint-Samson avait une activité en lien avec le textile et l’habillement, notamment le tissage et le filage. La proximité d’une manufacture de toiles et voiles en était la principale raison.
Plan de Grenoble, avec le nom des rues et des édifices, par Lomet fils, 1176.

79De taille relativement importante (282 feux soit 860 habitants), le faubourg Saint-Michel présentait un profil assez proche du faubourg Saint-Samson. Situé à proximité de ce dernier, il abritait également un nombre important de personnes travaillant dans les carrières d’ardoise situées au nord d’Angers, notamment celles de Trélazé, qui jouxtait le faubourg. En outre, cet espace était aussi très fortement marqué par les métiers du textile et de l’habillement, toujours en raison de la manufacture royale de toiles et voiles. Enfin, une partie des chefs de feu classés ici dans la rubrique « divers » étaient en fait des journaliers.
Figure 6. Répartition des différents chefs de feu selon leur catégorie socioprofessionnelle au sein du faubourg Saint-Michel en 1769.

80Bourg-de-Péage, faubourg de la ville de Romans situé sur la rive gauche de l’Isère, constitua dès le milieu du xviie un pôle de concurrence dont les édiles romanais se sont souvent inquiétés. Le capharnaüm des archives actuelles de Bourg-de-Péage renferme des registres de taille, dont l’un, datant de 1706, donne sans doute une image assez conforme à la réalité des activités socioprofessionnelles des chefs de feu présents à Bourg-de-Péage.
Figure 7. Répartition des différents chefs de feu selon leur catégorie socioprofessionnelle au sein du faubourg de Bourg-de-Péage en 1706.

81Faubourg de taille moyenne au début du xviiie siècle, il présentait un étonnant profil socioprofessionnel dont l’originalité s’expliquait par son évolution : de simple faubourg, il devint une petite ville concurrente de Romans. Regroupant 311 feux, Bourg-de-Péage avait finalement un profil social proche de celui d’une petite ville, voire la forme d’un clone réduit de Romans, si l’on excepte de ces caractéristiques la plus grande proportion de gens sans qualification précise qui y vivaient. Ces derniers travaillaient pour leur immense majorité en temps que journaliers, puisque cette catégorie représentait 76 chefs de feu sur 311.
82Comme de nombreuses villes du royaume, la ville de Dijon fut soumise à la capitation en 1695, ce qui fut l’occasion de dresser un état nominatif des habitants de la ville et des faubourgs. Seule une partie de cette archive nous est parvenue : les listes des deux plus gros faubourgs ont été conservées, parmi lesquelles celle du faubourg Saint-Nicolas. Faubourg relativement réduit (il était composé uniquement de 99 feux et de 325 habitants), Saint-Nicolas présentait un profil sans surprise. En effet, en Bourgogne, nombre de villes comportaient des vignerons en leur sein109. Le faubourg Saint-Nicolas offrait logiquement, comme cela pouvait être observé dans certains faubourgs orléanais, une prédominance nette des activités agricoles.
Figure 8. Répartition des différents chefs de feu selon leur catégorie socioprofessionnelle au sein du faubourg Saint-Nicolas de Dijon en 1695.

83Cette ruralité du faubourg Saint-Nicolas ne peut pas s’expliquer par la taille modeste de Dijon. À Angoulême, le faubourg de l’Houmeau, rendu célèbre par Honoré de Balzac, avait un poids démographique non négligeable au xviiie siècle, au sein d’une agglomération pourtant plus modeste que Dijon. Situé sur la rive droite de la Charente, au pied de l’éperon rocheux sur lequel se trouvait le centre-ville d’Angoulême, l’Houmeau a souvent été décrit par les voyageurs comme un lieu très dynamique.
Figure 9. Répartition des différents chefs de feu selon leur catégorie socioprofessionnelle au sein du faubourg de l’Houmeau en 1766.

84En définitive, plusieurs éléments retiennent forcément l’attention. D’une part, la très grande diversité des catégories socioprofessionnelles ici présentes laisse supposer, plus encore qu’à Bourg-de-Péage, que le faubourg de l’Houmeau était un faubourg véritablement urbain. En effet, une telle répartition des états des chefs de feu aurait tout à fait pu être retrouvée dans une grande ville moderne. Ce faubourg apparaissait donc comme une deuxième Angoulême, si ce n’est que la ville gardait le monopole de la résidence de la noblesse et du clergé110.
85In fine, tous ces faubourgs semblaient si différents par la taille, par leur statut juridique et par les activités présentes que toute forme de généralisation concernant ces thèmes serait tout à fait abusive et infondée. Néanmoins, la règle la plus simple à retenir voudrait que chaque faubourg étudié dans une ville constitue un cas particulier, se singularisant parfois plus des faubourgs voisins que de ceux des autres villes. Cette hétérogénéité n’est in fine pas surprenante, pour qui connaît bien le monde des villes sous l’Ancien Régime. Dans le paysage faubourien, si l’hétérogénité était moins marquée, l’unité n’était pas, là non plus, une règle.
Notes de bas de page
1 Bernard Chevalier, Les Bonnes Villes de France du xive au xvie siècle, Paris, Aubier / Montaigne, 1982, p. 179. L’auteur cite le cas de Fréjus au début du xvie siècle, pour laquelle il donne le nombre de bâtisses pour la ville et les faubourgs, sans forcément donner une image juste du poids démographique réel de chacun de ces espaces (car la taille des bâtisses et les coefficients de cohabitation sont inconnus). En 1518, 25 % des habitations de l’agglomération fréjussienne étaient dans les faubourgs. Cette proportion s’élevait à 50 % en 1538 et à 66 % en 1567.
2 Certains dénombrements fiscaux passent sous silence clergé et noblesse. Cela dit, une approche comparée des poids démographiques de la ville et de ses faubourgs reste globalement valable, car la faible importance numérique du clergé et de la noblesse ne crée pas une marge d’erreur exagérée.
3 Yves Babonaux, Villes et régions de la Loire moyenne : Touraine, Blésois, Orléanais ; fondements et perspectives géographiques, op. cit., p. 383.
4 AM d’Angoulême, CC 62, Registre de l’imposition de taille pour les faubourgs en 1766. Cette source indique déjà le repli très net des activités de papeterie à Angoulême, largement supplantées par tous les métiers liés plus ou moins directement à l’exportation de l’eau de vie (tonnelier, portefaix, rouleur, négociant...).
5 Bernard Rémy, Histoire d’Annonay et de sa région, Roanne, Horvath, 1981, p. 62. En 1634, Barthélémy et Mathieu Jouannot, deux papetiers venus d’Ambert, en Auvergne, s’installent dans le faubourg de la Deûme ; ils connaissent rapidement beaucoup plus de succès que les papetiers déjà présents. En 1693, deux autres Ambertois, les frères Montgolfier, s’installent dans le même faubourg et se marient avec les filles d’une ancienne famille de papetiers d’Annonay. Au xviiie siècle, l’émulation entre les dynasties Jouannot et Montgolfier assure la croissance du faubourg de la Deûme.
6 AD du Puy-de-Dôme, C 736, Présentation socioprofessionnelle de Thiers, 1767. Voir également Abel Poitrineau, « Les Thiernois au travail, jadis et naguère », dans Dany Hadjadj (dir.), Pays de Thiers : le regard et la mémoire, Clermont-Ferrand, Presses de l’Université Blaise Pascal, 1999, p. 331-364. Voir dans le même ouvrage la contribution de Daniel Martin, « Les ouvriers papetiers thiernois au xviiie siècle », p. 365-386 (ibid.).
7 Jean Merley (dir.), Histoire de Saint-Étienne, op. cit, p. 41.
8 Philippe Werth, Issoudun…, op. cit., p. 58.
9 Antoine-Augustin Bruzen de la Martinière, Grand Dictionnaire…, op. cit., vol. 2, p. 354 ; « Comme les faubourgs de Châteaudun sont plus grands que la ville, il y a quatre églises paroissiales ».
10 Tim J. A. Le Goff, Vannes et sa région, op. cit., p. 41-43 et p. 52.
11 Paul Delsalle, « Les faubourgs des villes comtoises... », art. cité, p. 254.
12 Jean-Claude Perrot, Genèse d’une ville moderne..., op. cit., vol. 2, p. 622 et 1021.
13 Un dénombrement de 1746 (AD du Vaucluse, Fonds Paul Achard, boîte 35, 1138, Dénombrement des habitants d’Avignon, 1706) ne mentionne des habitants qu’à l’intérieur des murs. En 1709, un autre dénombrement mentionne 23 671 habitants intra muros. À l’extérieur des murs (Villeneuve-lès-Avignon excepté), il fallait aller jusqu’à Morières (792 habitants) et Montfavet (427 habitants) pour trouver à nouveau des implantations humaines ; or, ces communes étaient à plusieurs kilomètres des remparts d’Avignon. Voir Sylvain Gagnière et al., Histoire d’Avignon, op. cit., p. 441-442.
14 AD des Bouches du Rhône, 1 Fi 175, Plan géométrique de la ville d’Arles telle qu’elle est aujourd’hui et telle qu’elle était quand les empereurs Constantin et Honorin se plaisaient à l’habiter. Perspectives des restes antiques, des monuments romains et de quelques monuments modernes, 1819. Un faubourg a existé face à la ville sur la rive opposée du Rhône (le faubourg de Trinquetaille), mais aucun sur la rive gauche.
15 Louis Perret, Histoire de Châtillon-sur-Chalaronne, Amiens, Res Universis, 1989, p. 171-174. L’auteur cite une source non classée des archives départementales de l’Ain. Il est indiqué dans celle-ci que Châtillon-sur-Chalaronne est à la fin du xviie siècle « une petite ville cloze [...] ayant un petit hameau appelé Buenans qui ne consiste qu’en 6 maisons ». Il s’agit en fait du hameau de Bueneins, se situant au sud de la ville, à proximité de la chapelle du même nom, le long de la route menant à Villars-les-Dombes.
16 Georges Jehel, Aigues-Mortes, un port pour un roi : les Capétiens et la Méditerranée, Le Coteau / Roanne, Horvath, 1985, p. 187. Durant la période moderne, les seules constructions autorisées hors remparts par autorisation royale sont les hôtelleries. Celles-ci accueillent les étrangers après fermeture des portes et doivent être, en théorie, détruites lors de guerres pour ne pas servir de refuge aux assaillants. Au milieu du xviiie siècle, peut-être en raison du déclin de ce port, la réglementation n’est pas appliquée et des habitations faubouriennes sont notamment présentes près de l’étang de la ville. Un recensement de capitation conservé aux archives départementales du Gard atteste également un faubourg dès 1695 (AD du Gard, E dépôt 1, E 133, Capitation de la ville d’Aigues-Mortes, 1695-1698). Par ailleurs, un plan de la ville, datant de la fin du xviiie siècle, représente aussi ce faubourg le long du canal de Bourgidou (AD de l’Hérault, C 6955 / 8, Plan d’Aigues-Mortes avec les travaux à y faire pour 1789, 1788).
17 Jacqueline Routier, Briançon..., op. cit., p. 235.
18 Daniel Rosetta, Villefranche, Capitale du Beaujolais aux xviie et xviiie siècles, Oingt, Daniel Rosetta, 2006, p. 16. Villefranche-sur-Saône ne dispose durant presque tout l’Ancien Régime que de petits faubourgs ruraux (Gleizé, Limas, Ouilly et Béligny). Par ailleurs, un recensement de capitation ne relève que les habitants présents à l’intérieur des quatre quartiers intra muros (Poulaillerie, Presles, Boucherie, Église), laissant supposer que les autres ne faisaient pas partie peu ou prou de la cité caladoise (AD du Rhône, 4 C 166, Rôles de taille et de capitation).
19 On pourra consulter à ce propos le livre d’André Pelletier, Histoire de Vienne et de sa région (Roanne, Horvath, 1980, p. 48-50) ainsi que l’ouvrage d’Ennemond-Joseph Savigné, Histoire de Sainte-Colombe (Roanne, Horvath, 1988, p. 12). À la fin du xviiie siècle, Sainte-Colombe aurait compté entre 500 et 600 habitants, c’est-à-dire moins de 5 % de la population de l’agglomération viennoise. Un autre faubourg, particulièrement réduit, le faubourg de Lyon, a existé au nord de Vienne sur la rive gauche du Rhône. Voir également René Favier, « Finances municipales et développement urbain à Vienne au xviiie siècle » dans Bulletin du Centre Pierre Léon, nº 3, 1975, p. 25-26. Si le logement fréquent des gens de guerre au xviie et une gestion médiocre des finances reposant de plus en plus sur l’octroi ont pu certes entraver la croissance économique de cette ville dauphinoise, la proximité de Lyon (une journée de marche) a sans aucun doute joué un rôle. La réalité de l’installation de nombreux Viennois à Lyon a déjà été prouvée, pas tant pour la fin du xvie siècle que pour le xviiie siècle (Olivier Zeller, Les Recensements lyonnais de 1597 et 1636 : démographie historique et géographie sociale, Lyon, Presses universitaires de Lyon, 1983, p. 364 ; Maurice Garden, Lyon et les Lyonnais…, op. cit., p. 65, 67 et 238).
20 AD de l’Oise, 1Cp273 / 1, Plan d’intendance de Senlis, 1778. Le plan mentionne deux faubourgs réduits autour de la ville ; le faubourg Saint-Martin au Nord et le faubourg Villevert au Sud. Voir également René Le Mée, « La population de Senlis en 1765 », dans Jean-Pierre Bardet, François Lebrun & René Le Mée (éd.), Mesurer et comprendre : mélanges offerts à Jacques Dupâquier, Paris, Presses universitaires de France, 1993, p. 347-360. La population de ces deux faubourgs s’élèverait en 1765 selon l’auteur à 318 et à 323 habitants, soit 8 % et 8,1 % des 3 962 habitants de l’agglomération (les 153 habitants de la paroisse rurale de Saint-Étienne, qui englobe des hameaux assez éloignés de Senlis, ont été ignorés).
21 Michel Bur (dir.), Histoire de Laon et du Laonnois, Toulouse, Privat, 1987, p. 145-155. Si la croissance de l’agglomération laonnoise est chaotique durant l’Ancien Régime, les faubourgs conservent un poids démographique non négligeable dès le xviie siècle (366 feux contre 911 dans la ville).
22 Ces faubourgs (de la Trivalle et de la Barbacane) sont représentés sur deux plans de Carcassonne datant de la fin du xviiie siècle, consultables aux archives départementales de l’Hérault : C 6955 / 6, Plan de la cité et du château de Carcassonne, 1781 ; C 6955 / 7, Plan de la cité et du château de Carcassonne, avec les travaux à y faire en 1783, 1782.
23 BNF, Cartes et Plans, Ge DD 2987 (0877 bis) B, Plan de la ville, fauxbourgs et dependances de Troyes capitalle de Champagne, par Parizot de Nismes, 1697. Le plan, datant de la fin du xviie siècle, indique un gros faubourg au Nord (faubourg Preize), un à l’Ouest (faubourg Sainte-Savine), un au Sud (faubourg de Croncels) et un à l’Est (faubourg Saint-Jacques). Ce plan est consultable sur Gallica.
24 Jean-Louis Biget (dir.), Histoire d’Albi, op. cit., p. 89. Les faubourgs abritaient en 1343 environ 1 100 personnes.
25 AD du Tarn, 1FI4-1, Plan de la ville et des faubourgs d’Alby, dédié à François Joachim de Pierre de Bernis, cardinal évêque de la Sainte Église romaine, archevêque et seigneur d’Albi, commandeur de l’ordre du Saint-Esprit, ministre d’État et du roi auprès du Saint-Siège, protecteur des Églises de France, 1778.
26 AD de Seine-et-Marne, 1C57 / 9, Plan d’intendance de la ville de Provins, levé par l’intendant Louis Bertier de Sauvigny, 1782. Aucune habitation ne semble avoir émergé autour du tracé de la plus récente enceinte, tombée en ruine au xviiie siècle. Voir également la vue de Provins par Claude de Chastillon (Topographie française, ou représentation de plusieurs villes, bourgs, châteaux, maisons de plaisance, ruines et vestiges d’antiquitez du royaume de France, Paris, Jean Boisseau, 1641, p. 23), dans laquelle on peut observer le tracé des remparts les plus récents, mais également l’absence de faubourgs qui n’avaient pas émergé près de 150 ans plus tard.
27 AD de l’Isère, 4 E 96 / 41, Archives déposées de la ville de Crémieu, rôles de capitation, 1696-1749. Aucun faubourg n’est mentionné dans ces nombreux rôles de capitation. Claude de Chastillon n’indique aucun faubourg au début du xviie siècle, sur la représentation de la ville (Topographie française, op. cit., p. 79). La ville a vu sa population stagner aux alentours de 2 000 habitants. Les causes de cette stagnation émanent probablement de l’isolement géographique de la ville mais aussi de la fin des foires médiévales qui avaient fait la richesse de la cité (Voir Roland Delachenal, Une petite ville du Dauphiné : histoire de Crémieu, Grenoble, F. Allier, 1889, p. 322).
28 Voir Pierre Tartat, Avallon au dix-huitième siècle, Auxerre, Imprimerie L’Universelle, 1951-1953, p. 79. Ces faubourgs sont très petits et regroupent des moulins. Voir également le plan d’Avallon conservé aux AD de la Côte-d’or, C 856, Le plan d’Avallon, faubourg et environs, 1758.
29 Jean-Pierre Rocher (dir.), Histoire d’Auxerre, op. cit., p. 238-242. Le maire Billiard explique en 1684 qu’un tiers des habitants auraient abandonné la ville et que la moitié des maisons sont en ruine. Si cette description exagère probablement un peu la réalité, elle témoigne de la gravité de la situation, confirmée par un rôle fiscal de 1680 ; celui-ci comptabilisait, intra muros, 857 maisons ruinées ou inhabitées et 1 214 chefs de feu pauvres sur les 1 990 présents.
30 Ibid., p. 205-207. En 1727, plus d’un tiers des habitants d’Auxerre, sont travailleurs agricoles.
31 AM de Valence, CC 24, Rôles de capitation de 1717, 1724, 1730, 1744, 1745, 1746, 1747 et 1748, cahiers in-folio et in-4º.
32 Valence sur Rhône, (ouvrage publié par la ville et l’Office de tourisme de Valence), Saint-Georges-de-Luzençon, Maury, 1991, p. 123.
33 L’intendant de la généralité de Riom la décrivit en ces termes en 1693 : « Cette ville n’a rien à présent de considérable qu’une foire appelée des provisions [...] et le marché des vendredys pour le bestial qu’on apele la Ronide ; au surplus, elle est pauvre et tout à fait déserte. » (Voir Abel Poitrineau, Mémoire sur l’état de la généralité de Riom dressé pour l’instruction du duc de Bourgogne par l’intendant Lefèvre d’Ormesson en 1697, Clermont-Ferrand, Institut d’études du Massif central, 1970, p. 44-45.)
34 Philippe Boudon, Richelieu ville nouvelle : essai d’architecturologie, Paris, Dunod, 1978. Cet auteur a rassemblé de nombreux plans, cartes, gravures ou croquis de la ville de Richelieu datant de l’Ancien Régime. Aucun n’indique la présence de faubourgs. Par ailleurs, Jean de la Fontaine relatait en ces mots, dans une lettre à sa femme datant de 1663, l’échec de la ville de Richelieu au xviie siècle, qui, loin de se développer et de créer des faubourgs, était plutôt un repoussoir : « Ce que je puis vous dire en gros de la ville, c’est qu’elle aura bientôt la gloire d’être le plus beau village de l’univers. Elle est désertée petit à petit, à cause de l’infertilité du terroir, ou pour être à quatre lieues de toute rivière ou de tout passage. En cela, son fondateur, qui prétendait en faire une ville de renom, a mal pris ses mesures, chose qui ne lui arrivait pas souvent. Je m’étonne, comme on dit qu’il pouvait tout, qu’il n’ait pas fait transporter la Loire au pied de cette nouvelle ville, ou qu’il n’y ait donc pas fait passer le grand chemin de Bordeaux. » (Jean de la Fontaine, Œuvres diverses, Paris, Renouard, 1804, p. 277.)
35 Jacques Duguet, « Le faubourg de Rochefort en 1719 », Roccafortis, 3e série, nº 8, 1991, p. 18-20 ; Jacques Duguet & Robert Fontaine, « Les rues du faubourg de Rochefort (xviie et xviiie siècles) », Roccafortis, 3e série, vol. 3, nº 20, 1997, septembre, p. 184-193 ; Un ouvrage du xviiie siècle évoque aussi la présence de faubourgs : Théodore de Blois, Histoire de Rochefort, contenant l’établissement de cette ville, de son port et arsenal de marine, et les antiquitez de son château, Paris, Briasson, 1733.
36 Le 29 septembre 1627, le corps de ville de la Rochelle approuve la démolition d’une partie du faubourg de Tasdon, ainsi que les parties les plus proches de la ville des faubourgs de Lafons et Saint-Eloy. Voir Jean-Baptiste Ernest Jourdan, Éphémérides historiques de la Rochelle, avec un plan de cette ville en 1685 et une gravure sur bois représentant le sceau primitif de son ancienne commune, La Rochelle, A. Siret, 1861, p. 360.
37 Claude Nières (dir.), Histoire de Lorient, Toulouse, Privat, 1989, p. 54-55 et p. 64-65.
38 François Des Rues, Description..., op. cit., p. 301 : « [...] Durant ces troubles derniers, les faux bourgs furent ruinez [...]. »
39 Denise Turrel, Bourg-en-Bresse au xvie siècle…, op. cit., p. 140.
40 Bernard Rémy, Histoire d’Annonay…, op. cit., p. 55-56.
41 Just Zinzerling (dit Jodocus Sincerus), Voyage dans la vieille France, 1612-1616…, op. cit., p. 42. L’auteur indique : « La fureur de la guerre a détruit tous ces monuments, au point qu’il ne reste même plus de vestige du faubourg de Metz, et qu’au-delà de ses murs, tu n’aperçois que la campagne. »
42 Pierre Gras (dir.), Histoire de Dijon, op. cit., p. 111.
43 AM de Lyon, BB272, Registre des actes consulaires, 1711, fº 155 verso.
44 AD de la Drôme, E 3626, Communes et municipalités, 1630-1649.
45 BNF, IFN-7742153, image numérisée, disponible sur Gallica : http://0-gallica-bnf-fr.catalogue.libraries.london.ac.uk/ark:/12148/btv1b7742153s (janvier 2017), Plan de Tournon, levé et dessiné par Seruzier, maître de dessin au corps de l’artillerie, xviiie siècle ; Voir également Mathieu-Robert de Hesseln, Dictionnaire universel…, op. cit., vol. 6, p. 303 et 383-383.
46 Voir supra, le chapitre « L’identification des faubourgs : origine et espace vécu ».
47 Laurent Champier, « Saint-Laurent-les-Mâcon, bourg bressan ou faubourg de Mâcon ? », Annales de l’académie de Mâcon, 3e série, vol. 40, 1950-1951, p. 50-62.
48 Tim J. A. Le Goff, Vannes et sa région, op. cit., p. 43-45 ; Jean Meyer (dir.), Histoire de Rennes, Toulouse, Privat, 1984, p. 267-276.
49 François Bluche & Jean-François Solnon, La Véritable Hiérarchie sociale de l’ancienne France : le tarif de la première capitation (1695), Genève, Droz, 1983, p. 97-98. Les auteurs de cet ouvrage ont bien montré que la grille du tarif était un outil complexe et subjectif d’analyse de la société d’Ancien Régime, combinant comme facteurs de hiérarchie l’honneur, la dignité, la fortune et la considération.
50 Alain Croix, La Bretagne aux xvie et xviie siècles…, op. cit., vol. 1, p. 730-732.
51 Un exemple parmi d’autres ; le travail de Bronislaw Geremek, La Potence ou la pitié : l’Europe et les pauvres du Moyen Âge à nos jours, Paris, Gallimard, 1987, p. 91-94. Le célèbre historien polonais dit ceci : « Au Bas Moyen Âge, l’expansion des villes consiste en une colonisation des territoires situés en dehors de l’enceinte, qui deviennent des “faubourgs”. Ce qui frappe, de prime abord, dans la structure sociale des “faubourgeois”, c’est l’absence totale de classes supérieures. En général, la vie des habitants des faubourgs est nettement moins prospère que celle des habitants intra muros, et leurs droits civiques sont limités. Lieux de concentration de pauvreté, les faubourgs accueillent aussi bien les groupes les plus défavorisés parmi les salariés que des vagabonds et des sans-logis de toute sorte. »
52 Voir supra, l’introduction.
53 Paul Delsalle, « Les faubourgs des villes comtoises... », art. cité, p. 255-258.
54 Vital Chomel, Histoire de Grenoble, op. cit., p. 214. En 1789 existait clairement à Grenoble une « périphérisation de la pauvreté ». Les indigents se massaient au nord dans les rues Perrière et Saint-Laurent, ainsi que dans les rues longeant les remparts méridionaux et les faubourgs Saint-Joseph et Très-Cloître. Il en allait de même à Chambéry dans le cas du faubourg Maché. Voir Corinne Townley, Chambéry et les Chambériens : 1660-1792, Annecy-le-Vieux, Historic’one, 1999, p. 104.
55 Richard Gascon, Grand Commerce et vie urbaine au xvie siècle (environs de 1520-environs de 1580) : Lyon et ses marchands, Paris / La Haye, Mouton, 1971, p. 402. Dans ce travail, Richard Gascon avait développé la réflexion suivante : « Une définition quantitative de la pauvreté ne peut être purement statique. Seule une définition dynamique s’ajuste au phénomène, permet d’en préciser le caractère mouvant et collectif, de le situer dans la société globale. J’appelle seuil de pauvreté le seuil en dessous duquel les quatre cinquièmes des ressources d’un ménage de quatre bouches à nourrir, disposant d’un seul salaire, sont absorbées par les dépenses de céréales panifiables. » En tout cas, cette définition fait figure de référence au-delà des frontières françaises. Voir Alexander Cowan, Urban Europe: 1500-1700, Londres, Arnold, 1998, p. 151-152.
56 AD du Loiret, 2 Mi 148, Rôle de la première capitation orléanaise, 1695.
57 Ces différences importantes de pauvreté entre la ville d’Angers en 1768 et celle d’Orléans en 1695 pouvaient avoir plusieurs causes : différences d’appréciations des recenseurs, contexte économique global différent, lié à la grave crise de 1693-1694 pour le cas orléanais, contexte économique local différent...
58 La noblesse de sang de la ville n’a pas été comprise dans notre étude, puisqu’aucune cote théorique n’était indiquée pour 115 des 119 chefs de feu.
59 Honoré de Balzac, Illusions perdues [1837-1843], dans La Comédie humaine, 12 vol., Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1977, vol. 5, p. 150-151.
60 Voir à ce sujet Pierre Valmary & Michel Fleury, « Les progrès de l’instruction élémentaire de Louis XIV à Napoléon III, d’après l’enquête de Louis Maggiolo (1877-1879) », Population, vol. 12, nº 1, 1957, p. 71-92. Cet article rappelle notamment le travail pionnier de Louis Maggiolo, recteur honoraire de l’académie de Nancy, qui s’était appuyé sur le travail de 15 928 instituteurs ayant recensé le pourcentage des conjoints sachant signer durant les périodes 1686-1690, 1786-1790 et 1816-1820.
61 Laurent Raynaud, La Population d’Angoulême au xviiie siècle, 1700-1791 : essai démographique, mémoire de maîtrise sous la direction de MM. Guignet & Guillemet, Poitiers, Université de Poitiers, n. p., 1992.
62 AD de l’Ardèche, E dépôt 81, CC 22, Rôles de contributions diverses, 1670-1697.
63 Dans l’en-tête du document, il est indiqué : « L’an mil six cens quatre vingt traize et le vingt-sixième jour d’octobre, nous Jean Saboul, Viguier de Villeneuve-de-Berg, commissaire subdélégué de monseigneur de Lamoignon de Basville, Conseiller d’estat, intendant du Languedoc, pour l’exécution de la déclaration du roi du 5 septembre dernier, nous sommes transportés dans toutes les maisons et metteries de la paroisse de Villeneuve-de-Berg, au diocèse de Viviers, où nous avons trouvé la quantité de familhes, personnes et grains marqués dans la table cy après. »
64 Le setier de Paris équivalait à environ 152 litres. Dans ce cas précis, il s’agissait probablement d’une déclinaison locale du setier, celui-ci variant de façon importante d’une région à l’autre. On pourrait supposer que la valeur du setier de Villeneuve-de-Berg était proche de 101 litres, quantité en usage dans le Languedoc, auquel Villeneuve-de-Berg appartenait, ou bien qu’elle était fondée sur les 60 litres en usage à Montélimar ou les 80 litres utilisés à Privas. Voir Maurice & Élise Boulle, Révolte et espoir en Vivarais, 1780-1789, Privas, Fédération des œuvres laïques de l’Ardèche, 1988, p. 66. En fait, aucune de ces mesures ne semble correspondre à la réalité : à Villeneuve-de-Berg, le setier équivalait à peu près à 82,4 litres (voir Pierre Charbonnier (dir.), Les Anciennes Mesures locales du Massif central d’après les tables de conversion, Clermont-Ferrand, Institut d’études du Massif central, 1990, p. 60).
65 André Clapasson, Description de la ville de Lyon en 1741, Gilles Chomer & Marie-Félicie Perez (éd.), Seyssel, Champ Vallon, 1982, p. 152.
66 Ce mot signifie jardinage en langue d’oc.
67 Ibid., p. 146.
68 AM de Bordeaux, BB 210, Règlements et ordonnances concernant le droit de bourgeoisie, 1361-1789.
69 AD de l’Isère, 2C103, Conflits de limites territoriales entre Lyonnais et Dauphiné au sujet de la Guillotière. Cette archive volumineuse se présente comme un gros dossier compilant toutes les pièces relatant les conflits entre Lyon et le faubourg de la Guillotière, pour des raisons essentiellement fiscales.
70 Ces édits créent des offices de lieutenant, procureur du Roi, greffier, commissaire et huissier de police dans toutes les villes du royaume, faubourgs compris.
71 AML, FF 007, Police ordinaire exercée par la ville, contestations entre les officiers de police et les officiers des seigneurs des faubourgs de la ville, 1475-1704.
72 Voir AD du Rhône, 2 E 115, Imposition de la capitation de la Croix-Rousse, 1736 (la description de l’archive dans les inventaires ne correspond pas à la réalité des fonds conservés) et 2 E 128, Litige entre les bourgeois de Lyon possédant des biens à la Croix-Rousse et les habitants de ce faubourg d’une part, et le directeur des aides d’autre part, au sujet de la vente au détail de vin, fin xviie -début xviiie siècle.
73 AM de Lyon, AA 94, Correspondance reçue par la commune, 1695-1699.
74 AM de Lyon, BB 265-2, 2 Mi 05, Film 126, Registre de délibérations consulaires, 1705, folio 145 à 148.
75 AM de Lyon, AA 128, 2 Mi 27, film 58, Copies de lettres adressées par le consulat à diverses autorités, 1245-1790, registre in-folio, folio 132 verso et 133 recto.
76 AD de l’Isère, 2 C 103, archive citée.
77 AD de l’Isère, 2 C 103, archive citée.
78 Pierre Brunet de Grandmaison, Dictionnaire des aydes ou les dispositions, tant des ordonnances de 1680 & 1681, que les règlements rendus en interprétation jusqu’à présent, distribuées dans un ordre alphabétique, Paris, Prault, 1750, p. 36.
79 AM de Lyon, CC 0366, Impositions et emprunts, 1706-1734.
80 FF 0638, archive citée. La ville est très perturbée par l’encombrement de cette place qui est aussi un passage obligé pour toute personne entrant à Lyon par le pont du Rhône. Outre le stockage du bois et des gerbiers de blé le temps des moissons, les habitants du faubourg y pratiquent le battage du blé et y font paître leurs animaux.
81 BM de Lyon, 385856, Réponse de la municipalité du Bourg de la Guillotière, en Dauphiné ; à la requête de la Municipalité de la ville de Lyon, du 18 Août 1788, et à l’Arrêt sur Requête, du 18 Octobre 1789, signé Janin de Combe-Blanche et Allard, p. 31-32 : « Il faut tracer l’histoire de l’inhumanité qu’on a commise contre les pauvres habitants de notre bourgade, qui, à l’abri des arrêts du conseil, de ceux du Parlement, de la cour des aides de Paris ; enfin à l’abri de nos serments, auraient du, sous tant de sauve-gardes, être respectés. Loin de là, les satellites de vos fermiers ont ravagé nos récoltes, ont enlevé la viande des boucheries, le vin des cabarets, enfoncé les portes des caves, saisi les chevaux, les voitures, traîné dans la boue les conducteurs, & ont fini par les précipiter dans les cachots obscurs & infects ; c’est là où nourris au pain et à l’eau, ils n’ont pu sortir qu’en payant des amendes arbitraires et exhorbitantes. »
82 Ibid., p. 32 : « Oh, humanité ! Est-ce ainsi que tu traites tes semblables ? [...] Que te faisait le 2 juin 1781 J. B. Ravatel ? Il portait, pour abreuver sa femme et ses malheureux enfans, quelques pintes de vin dans un baril : des commis rencontrent cet infortuné, lui enlèvent son vin ; ce pauvre homme effrayé ne fait nulle résistance, il fuit et c’est alors que le brigadier Orié lui plonge un poignard dans le dos ; il tomba aux pieds de son meurtrier, qui le vit, en souriant, expier sous ses yeux. Pareille fin tragique a eu lieu sur la personne d’un nommé Joseph [...]. Semblable scène sanglante se renouvela sur un nommé Benoit Plaçon, qui fut attaqué par les commis au milieu de la Guillotière, il expira d’un coup de couteau. Un autre assassinat a eu lieu, par les mêmes satellites, sur la personne d’Antoine Froment. Et tous ces crimes ont été impunis au mépris des lois et de l’humanité. »
83 Ibid., p. 28-29. Les habitants dénoncent les inégalités dont ils sont victimes par rapport aux Lyonnais : taxe sur le pont du Rhône, corvées, réparations du pavé aux frais des habitants, absence d’éclairage, de garde à pied et à cheval pour la surveillance nocturne des rues…
84 François Lebrun (dir.), Histoire d’Angers, op. cit., p. 86.
85 AM de Romans, 1D1, Délibérations municipales, 1791-1793, p. 14-16. Selon la municipalité romanaise, « les charges communes étoient l’entretien des remparts, le logement des curés, les honnoraires du prédicateur, le passage des gens de guerre, en un mot toutes les dépenses connues en Dauphiné sous le nom de cas de droit », tandis que « Les avantages communs étoient des foires et des marchés, le passage des voyageurs, le séjour des garnisons et surtout le rabais d’un quart et ensuite le huitième de la taille des forains, rabais supporté par les seuls habitants ».
86 Cette taxe est prélevée sur toutes les boissons (essentiellement du vin) qui entrent dans les villes, depuis un édit d’octobre 1705.
87 Pierre Brunet de Grandmaison, Dictionnaire des aydes…, op. cit., p. 117 : « Les habitans du fauxbourg du Château-du-Loir qui se prétendoient exempts des droits d’inspecteurs aux boissons, y furent assujettis par arrêt du conseil du 14 février 1723. »
88 AD du Rhône, 1 C 40, archive citée.
89 Bernard Gallinato, Les Corporations à Bordeaux…, op. cit., p. 306-309.
90 AM d’Angers, CC 54, Comptes des octrois, 1741-1747.
91 AM de Lyon, BB 178, Délibérations consulaires, 1630, folios 273 à 283.
92 Françoise Bayard, Vivre à Lyon sous l’Ancien Régime, Paris, Perrin, 1997, p. 59. Selon l’auteur, la cavalerie loge à la Guillotière et l’infanterie à la Croix-Rousse.
93 EE 54, Pièces du procès opposant Romans à Bourg-de-Péage, à propos du logement et entretien des troupes de passage, 1682-1709.
94 Jacques Maillard, Le Pouvoir municipal à Angers : de 1657 à 1789, 2 vol., Angers, Presses universitaires d’Angers, vol. 1, p. 66-68.
95 AM de Dijon, L 52, Recensement de capitation des officiers et personnels administratifs des différentes chambres du Parlement, 1695.
96 Jacques Dupâquier, Pontoise et les Pontoisiens..., op. cit., p. 47-49. L’auteur démontre toutefois que la noblesse se concentrait massivement dans un quartier resserré de la ville.
97 En 1759, le monastère des Augustins de la Croix-Rousse regroupait 38 moines et celui des Picpus de la Guillotière en comptait 34. Voir Louis Messance, Recherches sur la population des Généralités d’Auvergne, de Lyon, de Rouen, et de quelques provinces et villes du Royaume, avec des réflexions sur la valeur du bled tant en France qu’en Angleterre, depuis 1674 jusqu’en 1766, Paris, Durand, 1766, p. 50-51.
98 Ibid., p. 91-96.
99 AM d’Angers, II 13, archive citée.
100 Antoine Grand, La Croix-Rousse sous la Révolution, Lyon, Missions africaines, 1926, p. 17.
101 Ces cinq faubourgs rassemblent 664 feux.
102 Dans le rôle de capitation, les recenseurs distinguent Saint-Marceau et Saint-Marceau rue basse.
103 Le nom de Portereau définit un petit port fortifié.
104 Maurice Garden, Lyon et les Lyonnais…, op. cit., p. 257. Sur les 1 353 chefs de feu du faubourg de la Guillotière en 1791, 505 sont journaliers (probablement beaucoup exerçant comme voituriers ou jardiniers), 252 sont jardiniers ou laboureurs, 53 artisans dans le domaine des métiers de bouche, 16 voituriers. En revanche, on y trouve 91 cabaretiers (6,7 %) et 78 marchands (5,7 %).
105 Jacques-Joseph Expilly (Abbé), Dictionnaire géographique..., op. cit., p. 340.
106 Il y avait 11 chefs de feu boulangers dans les faubourgs, contre 91 dans Orléans intra muros.
107 Marc-Antoine Chassaing, Les Structures sociales et démographiques dijonnaises à travers le recensement de 1694-1695, 2 vol., mémoire de maîtrise sous la direction d’Olivier Zeller, Université Lyon 2 / Centre Pierre Léon, 1998, vol. 1, p. 126, et vol. 2, annexes du chapitre 5.
108 Voir AD de l’Isère, 1 Fi 2097, Plan de Grenoble, avec le nom des rues et des édifices, par Lomet fils, 1776.
109 Le quartier Saint-Nicolas de Dijon comportait ainsi 54 vignerons parmi les 385 chefs de feu, soit 14 % environ de leur ensemble.
110 Pierre Dubourg-Noves (dir.), Histoire d’Angoulême…, op. cit., p. 160.
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