Annexe 1
Quelques parcours d’amoureux clandestins
p. 211-248
Texte intégral
1Les pages qui suivent proposent une promenade exploratoire dans des jardins secrets dont les protagonistes nous ont largement ouvert les portes. Elles visent à donner un aperçu d’expériences d’amoureux clandestins du point de vue de ces derniers. Chaque histoire constitue une configuration exemplaire des récits recueillis pour cet ouvrage : liaison longue et heureuse ; projet commun d’officialisation avorté ; liaison sans espoir entre un homme marié et une femme célibataire ; l’amour secret d’une femme en couple libre.
Luce et Antoine : s’aimer enfin
2C’était juste après la Deuxième Guerre mondiale. Luce avait 16 ans et vivait avec ses parents dans l’auberge drômoise où Antoine, 18 ans, passait ses vacances en famille. La jeune fille était aussi joyeuse et volubile qu’Antoine était sérieux et silencieux. Les jeunes gens se connaissaient depuis leur enfance mais ce n’est qu’à l’adolescence, après deux années sans se voir, qu’Antoine ne perçut plus en Luce la fille des aubergistes mais une jeune fille brillante et jolie dont il tomba amoureux. Il aurait aimé l’embrasser, l’enlacer, la caresser. Mais sa timidité et son sérieux le lui interdisaient. Luce, quant à elle, trouvait Antoine charmant, intelligent, instruit, passionnant... Elle rêvait aussi de lui mais pensait qu’il ne pouvait pas s’intéresser à elle. Pour Luce, les choses étaient claires : Antoine ne pouvait être amoureux d’elle, il ne pouvait être amoureux que de Blanche, sa jeune sœur qui faisait tourner la tête de tous les garçons du village.
3Les années passèrent et Luce se fiança avec un jeune militaire qu’elle connaissait à peine. Antoine fut invité au mariage de la jeune femme qu’il aimait en secret. Cinquante ans plus tard, il me confiera, dans un café du Ve arrondissement de Paris, des larmes dans les yeux, combien il avait été malheureux ce jour-là et combien il avait maudit sa timidité : « À son mariage, j’ai pleuré en cachette. Je pensais que je ne la reverrai plus, elle quittait la France avec son mari. J’étais le plus malheureux des hommes et elle n’en a rien su. Je me suis détesté d’être aussi timide. Je l’aimais tellement. » (Antoine, automne 2011).
4Luce et son mari s’installèrent en Algérie rapidement après leur mariage. Antoine, lui, se maria avec la fille d’un notable, ami de ses parents, pour laquelle il n’éprouvait rien de plus qu’une amitié sincère. Luce était amoureuse de son époux mais rapidement, avec l’arrivée de leur premier enfant et les longues absences de son mari lors de ses missions militaires, elle abandonna l’idée de vivre une histoire d’amour avec son conjoint, ses sentiments envers lui s’estompèrent et elle s’occupa exclusivement de ses deux fils et de sa fille.
5Une dizaine d’années plus tard, Luce, son mari et ses enfants rentrèrent en France. La famille d’Antoine continuait d’entretenir des relations étroites avec celle de Luce et c’est ainsi qu’ils se retrouvèrent. Lui, marié, deux enfants et magistrat à Paris ; elle, mariée, trois enfants et s’occupant du foyer à Montélimar. Ils commencèrent une relation amicale étroite. Ils partagèrent avec leurs conjoints et leurs enfants leurs vacances d’été pendant des années, se rencontrèrent régulièrement à l’occasion de diverses célébrations familiales, de congés ou de week-ends.
6Les années passèrent. Les enfants de Luce et d’Antoine quittèrent leurs foyers respectifs mais ils continuèrent de participer aux retrouvailles annuelles entre leurs familles pour les vacances d’hiver. Un jour, au cours d’un de ces séjours dans la maison familiale de Luce, Antoine brava sa timidité ainsi que ses principes catholiques et il embrassa Luce fougueusement. Ils étaient au bas de l’escalier et Luce pense avoir vu, dans le reflet du miroir qui se trouvait devant elle, sa mère passer furtivement dans son dos. Antoine n’en sut jamais rien mais pour Luce, l’absence de commentaire de sa mère sur cet épisode équivalut à un consentement tacite. Luce avait 50 ans, Antoine, 52.
C’est un événement qui m’est arrivé à l’âge de 50 ans. Autant vous dire que c’était un événement complètement imprévu, étant donné qu’à 50 ans, j’étais encore très catho (petit rire). Je le suis encore mais avec beaucoup de distance. C’était vraiment un événement. Donc, moi, voilà, c’était pas facile, c’était vraiment un événement, à 50 ans. J’en ai 82... 1978, c’était... voilà. C’était encore, dans la société, quelque chose d’encore plus mal compris. (Luce, automne 2010.)
7Au lendemain du baiser échangé au bas de l’escalier, Antoine vint trouver Luce dans le salon, après le déjeuner, alors que les autres faisaient la sieste, et lui avoua qu’il ne quitterait jamais sa femme mais qu’il l’aimait, elle, depuis toujours. À partir de cet instant, Luce s’interdit de penser qu’il pourrait en être autrement. Pendant plus de vingt ans, Antoine a téléphoné tous les jours à Luce. Les amants se sont aussi retrouvés plusieurs fois par an pour des petits séjours loin de chez eux, prétextant des obligations professionnelles pour lui, des obligations associatives pour elle. Ils se sont vus également souvent à l’occasion des réunions entre leurs deux familles.
8Luce dit que leur passion a duré cinq ans mais que jamais ils n’ont cessé de s’aimer par la suite. Elle ajoute également que, bien qu’elle ait immédiatement renoncé à l’idée qu’Antoine pourrait quitter son épouse, elle aurait aimé partager sa vie avec lui. Comme elle savait que cela était impossible, elle a décidé de faire de leur histoire un conte de fées, ne la ternissant jamais de reproches ou de déceptions, facilitant les rencontres avec son aimé, étant toujours de bonne humeur quand ils se voyaient. Antoine déclare qu’il a toujours aimé Luce, qu’il l’aimera toujours. Quand il parle d’elle, ses yeux brillent, il sourit, il est heureux. Il ajoute qu’il voit toujours en elle la jeune fille de 16 ans en robe blanche, gaie et joyeuse dont il était tombé amoureux à 18 ans.
9Pourquoi n’a-t-il pas quitté sa femme pour partager sa vie avec Luce ? Antoine parle de sa femme comme de son « boulet », envers lequel il a des obligations morales et sociales. Une femme épousée pour la vie, tout simplement. Peut-on revenir sur ses engagements parce que l’on est amoureux ? Pour Antoine, cela est impossible et Luce ne le lui a jamais demandé. Pour autant, les propos de cette dernière dénotent une certaine jalousie envers l’épouse d’Antoine. Elle lui en veut d’avoir mis une limite à leur relation au bout d’un certain temps en se plaignant auprès de son mari de la présence trop importante de Luce dans leur vie, ce qui interdit à cette dernière de leur rendre visite à Paris, comme elle avait pris, durant quelques années, l’habitude de le faire.
10À la mort de son mari, Luce avait plus de 60 ans. Elle ne lui a jamais avoué sa liaison. Se considérant bonne épouse et bonne mère, elle estime avoir rempli ses obligations envers son époux et ses enfants :
Je ne trouvais pas que je commettais une faute, malgré mon éducation catholique et ma foi. Mon mari passait son temps à jouer au golf. Quand j’ai commencé mon histoire avec Antoine, j’étais prête, alors, j’étais prête à [hésitation] trouver une réponse à mon besoin [elle parle de son besoin d’attention de la part d’un homme]. Je le dis maintenant, parce que j’ai réfléchi, je me suis dit, je vais en parler lors de l’entretien. Je me souviens de l’été d’avant où les choses se sont passées. Nous étions en vacances, mon mari et moi, et ces vacances m’ont paru éternelles. Je me trouvais seule, y’avait rien à faire. Lui, il partait, il était en vacances, il était heureux. Il jouait au golf, il lisait son journal et puis basta. « Chérie, fais ce que tu veux, toi, tu aimes la mer, moi pas... » On allait quand même à la mer, ce qui était bien de sa part. Je dis ça, parce que je ne veux pas l’accabler. Il avait son golf, il était heureux et moi j’avais Antoine. [...]
Antoine me donnait ce dont je rêvais : des petits cadeaux, des fleurs, un coup de fil par jour et des escapades romantiques. J’étais heureuse comme ça et je ne faisais de mal à personne. Mon mari n’en a jamais rien su... Ou alors, il n’a rien dit [elle sourit]. (Luce, automne 2010.)
Antoine fut présent aux côtés de son amante pour l’aider dans le chemin du deuil de son époux. Il fut aussi invité, par les enfants de Luce, à la fête des 80 ans de la femme qu’il aimait. Il déclarera, lors de notre entretien, que c’était un des plus beaux jours de sa vie.
11En 2011, Luce et Antoine continuaient de s’appeler régulièrement mais ne se voyaient que quelques fois par an. L’épouse d’Antoine était tombée gravement malade, il ne quittait plus Paris et ne pouvait trouver de prétextes, étant à la retraite, pour retrouver Luce. D’ailleurs, quand il m’a accordé un entretien, il m’a demandé, si sa femme tombait sur mon numéro de téléphone, de lui répondre que j’étais une jeune juriste qui était venue lui demander conseil. À 85 ans, Antoine continuait de craindre la révélation de son secret.
12Toutes les histoires que j’ai recueillies ne sont pas comme celle de Luce et Antoine. Elles ne sont pas toujours narrées comme de belles histoires d’amour, elles sont plus actuelles, plus douloureuses dans certains cas. Le happy end est rarement au rendez-vous, quelle que soit la fin attendue ou voulue par les partenaires ; le récit amoureux est souvent tissé autour de sentiments nostalgiques, d’amertume, de colère ou de tristesse.
Claire et Jérôme : après le bac de Laura ou jamais
Est-ce que je le voulais ? Ou préfèrerais-je une vie entière de désir inassouvi dès lors que nous continuerions indéfiniment ce petit jeu de ping-pong : ne pas savoir, ne pas ne pas savoir ? Ne pas-ne pas-ne pas savoir ? Motus, ne rien dire, et si vous ne pouvez pas dire « oui », ne dites pas « non », dites « plus tard ». Est-ce pourquoi les gens disent « peut-être » quand ils veulent dire « oui », en espérant que vous penserez que c’est « non », alors qu’en réalité ils veulent dire : S’il te plaît, demande-moi encore, et encore ? (Aciman, 2007, 20081.)
13Une dizaine de personnes, certaines se connaissant, d’autres non, sont réunies lors d’un été chez Francis, professeur de français, amateur de littérature et propriétaire d’une grande maison en Ardèche. Claire, une jeune femme de 36 ans, s’est liée d’amitié avec Francis sur les bancs du lycée ; elle vit avec Michel depuis douze ans mais est venue sans lui. Jérôme, un homme de 53 ans, a suivi un de ses amis, écrivain amateur, et s’est rendu au week-end sans Cécile, son épouse depuis vingt-huit ans.
14Au cours du week-end, Claire et Jérôme sympathisent et se plaisent, bien qu’un monde semble les séparer. La jeune femme n’a pas d’emploi stable et prépare une thèse de littérature ; elle n’a pas d’enfants. Son compagnon est professeur de musique. Jérôme est cadre hospitalier, il a deux enfants et son épouse est infirmière. Ils ont de longues discussions sur la terrasse de la maison jusque tard dans la nuit, pendant que les autres dorment. Ils apprécient être ensemble. Rapidement, Claire prend conscience de son attirance physique pour Jérôme. Claire a déjà eu des aventures depuis qu’elle partage sa vie avec Michel. Elle ne craint pas d’être infidèle, elle ne s’est d’ailleurs jamais vraiment posé la question de savoir si elle l’était ou non. Elle a envie de Jérôme, il lui plaît, elle le lui dit : elle aimerait faire l’amour avec lui avant que chacun ne reparte dans sa vie personnelle.
15Jérôme n’est pas vraiment surpris de la révélation de Claire. Il s’y attendait un peu... ou l’espérait. Cependant, il n’a jamais trompé sa femme et il a une haute idée de l’engagement conjugal. Il préfère décliner la proposition de Claire, et ajoute : « Attention, jeune fille, si tu viens à moi, tu ne pourras plus me quitter. » Cette petite phrase qu’il me rapportera, quatre ans après leur rencontre, présage une relation tumultueuse, douloureuse et passionnelle.
16Claire et Jérôme ne font donc pas l’amour pendant leur week-end ardéchois. Ils passent cependant une nuit dans le même lit : ils se parlent, se racontent, fument et se rapprochent un peu mais n’ont pas de rapports sexuels. Ils rentrent à Besançon ensemble dans la voiture de Jérôme. La conversation se poursuit, l’attirance mutuelle s’aiguise. Plus tard, Jérôme me dira qu’il savait qu’il allait se passer quelque chose entre eux. La jeune femme, moins sûre d’elle mais déterminée, le souhaitait.
17Durant l’automne 2010, Claire s’arrange pour croiser régulièrement Jérôme dans un petit café où elle sait qu’il a l’habitude d’aller après son travail. Ils se voient souvent. La jeune femme fait même la connaissance de Cécile, par hasard, dans ce bistrot. Quelques semaines passent ainsi, de discussions autour d’un verre en promenades dans la ville. Un soir, Jérôme propose à Claire de se rendre chez lui pour la nuit, son épouse étant absente du domicile et ses enfants en vacances chez des amis. Claire accepte avec enthousiasme et prétexte auprès de son compagnon une sortie entre thésards qui implique qu’elle passe la nuit chez une amie.
18Cette nuit-là, Jérôme et Claire font l’amour pendant des heures. Le matin qui suit leurs ébats ouvre une relation passionnelle qui les absorbera l’un et l’autre durant quatre années. Ils s’appellent tous les jours, s’envoient des dizaines de messages téléphoniques quotidiennement et de nombreux courriels enflammés. Ils font rarement l’amour car ils n’ont pas d’endroit où aller. En effet, Claire est souvent seule chez elle mais Jérôme refuse de se rendre dans le logement conjugal de son amante, car il éprouve un fort sentiment de jalousie envers le conjoint de son amante et ne veut pas connaître leur habitation commune. Jérôme ne veut pas, non plus, retrouver Claire à l’hôtel. Il estime que cela est dégradant pour elle. Alors, parfois, ils se retrouvent dans l’appartement que leur prête un ami de Jérôme. La plupart du temps, les deux amants déjeunent ensemble ou se promènent aux alentours de la ville.
19Au printemps 2011, ils passent un week-end en amoureux à Bruxelles, à l’occasion d’un salon littéraire. Au cours de ces deux jours, Claire commence à envisager sa vie avec Jérôme, elle s’en sent très amoureuse, plus amoureuse qu’elle ne l’a jamais été de personne. Elle commence alors à écrire un livre sur leur histoire. Elle veut en dire quelque chose, elle veut rendre compte de son émerveillement et du bonheur qu’elle éprouve aux côtés de cet homme. Mais son enthousiasme est entaché par le sentiment que Jérôme est « ailleurs », qu’il n’est pas totalement avec elle. Le pressentiment de Claire est fondé, car Jérôme m’expliquera, deux ans plus tard, qu’il se sentait très amoureux de son amante, qu’il avait envie d’être avec elle mais qu’il supportait mal l’idée d’avoir une maîtresse, et d’attribuer à Claire ce rôle qui lui paraissait avilissant.
20Jérôme ne veut pas quitter sa femme. Ils ont un fils de 22 ans et une fille de 15 ans. Il estime que cette dernière a besoin de vivre avec ses deux parents. En outre, la vie avec sa conjointe ne lui semble pas suffisamment insupportable pour la quitter. De son côté, Claire n’est pas non plus sans ambivalences. Elle ne sait pas si elle aime encore Michel, la vie avec lui est agréable, ils sont proches l’un de l’autre, se soutiennent et veulent avoir un enfant. Jérôme et Claire sont tous les deux tiraillés entre leur amour clandestin et leur lien conjugal. L’un est pris entre ce qu’il considère être son devoir de père et de mari d’une part et sa passion amoureuse d’autre part. L’autre est écartelée entre son besoin de stabilité affective, la complicité avec son mari, l’envie d’être mère d’un côté, et son attirance irrépressible pour Jérôme d’un autre côté. Les ambivalences et tiraillements qui travaillent la relation entre les deux amants conduiront à de nombreuses ruptures suivies de retrouvailles passionnées au cours des quatre années que durera leur liaison.
21Mais durant ces années, ils n’ont pas été les seuls protagonistes de leur histoire. En 2011, Michel découvre que sa compagne a une liaison et lui demande de quitter le domicile commun. Claire fait alors une valise et part vivre chez une amie. Elle dira de cette rupture qu’elle était « nulle » car quinze jours plus tard, elle revenait auprès de Michel en lui disant qu’elle avait mis fin à sa liaison, ce qui était faux. À partir de cette réconciliation fondée sur un mensonge, Michel a fait comme s’il croyait Claire, mais n’a pas été dupe d’après la jeune femme. Il a cependant repris la vie avec elle comme « avant ». Cependant, le mensonge qui fonde la reprise du couple ne dure pas. En 2012, Michel trouve sur le téléphone de sa compagne des messages qu’elle destine à Jérôme et la chasse à nouveau. Malgré sa colère et la violence de cette nouvelle séparation, quelques semaines plus tard, Michel recontacte Claire, lui disant qu’il l’aime et qu’il veut avoir un enfant avec elle.
22La jeune femme se remémore alors comment, des années auparavant, alors qu’elle était enceinte, au cours d’une dispute, son compagnon s’est exclamé qu’en réalité il ne souhaitait pas être père car il ne se sentait pas prêt. Elle se souvient du choc que cette déclaration avait produit en elle et de la fausse couche qui avait suivi. Se souvenant de ce triste épisode et faisant le point sur son histoire avec Michel, Claire en arrive à la conclusion que celle-ci est terminée mais qu’elle en est prisonnière, tout comme son compagnon. Les infidélités de la jeune femme, les séparations, les difficultés à devenir parents constituent selon elle les preuves que leur relation n’a pas d’avenir. Au printemps 2012, Claire pense qu’elle n’est plus sûre de vouloir un enfant et de rester avec Michel. En revanche, un nouveau désir grandit en elle : celui de devenir l’épouse de Jérôme, de porter son nom et de lui être fidèle. Elle en parle à son amant et celui-ci lui répond partager la même envie. Pendant plusieurs mois, ils rêvent ensemble de cette nouvelle vie conjugale qu’ils pourraient construire, de tout ce qu’ils pourraient enfin partager, de la fin des tiraillements et des ambivalences. Claire dira au cours de l’entretien : « On a beaucoup rêvé ensemble. »
23Mais au cours de l’été, un événement vient mettre fin aux rêves amoureux de Claire et Jérôme. Le fils de ce dernier se marie. Claire est chez elle le jour de la cérémonie, elle se sent triste, a la sensation qu’il se passe quelque chose d’important dans la vie de Jérôme sans qu’elle puisse le partager avec lui. Pourtant, Jérôme lui avait lancé quelques jours plus tôt : « Qu’est-ce que tu en as à faire du mariage de mon fils, tu ne le connais même pas ? » Claire me rapportera que ce jour-là, elle a pensé aux enfants de Jérôme. Elle dira que le mal qu’une séparation pourrait causer à l’épouse de celui-ci ne l’inquiétait pas, mais que la douleur qu’elle imaginait chez les enfants du couple a envahi son esprit.
24Elle interprète ces pensées comme un écho des inquiétudes qu’elle a ressenties lorsqu’enfant, elle croisait les maîtresses de son père et assistait aux disputes de ses parents concernant leurs vies extraconjugales. En effet, les parents de Claire étaient ce qu’on appelle un « couple ouvert », mais la transparence sur les liaisons de l’un et l’autre au sein du couple ne semblait pas être un gage de stabilité. Claire craignait toujours une séparation de ses parents. Aujourd’hui, les parents de Claire ont plus de 70 ans et vivent toujours ensemble. Le divorce qu’elle a craint durant son enfance et son adolescence n’a jamais eu lieu. Mais Claire n’a pas oublié ses peurs enfantines et le mariage du fils de Jérôme semble les réveiller, comme si la maîtresse du père avait le pouvoir de détruire la famille.
25Le mariage du fils de Jérôme marque, selon la jeune femme, la limite réelle de son rêve d’union avec Jérôme, elle le définit comme « un couperet ». Elle assure : « je ne risquais pas d’être invitée au vin d’honneur », et note que ce week-end-là, Jérôme ne l’a pas contactée, alors qu’habituellement, il lui écrit ou lui téléphone les samedis et dimanches. Claire semble ressentir à l’occasion de ce mariage la douleur de sa marginalité dans la vie de Jérôme. Elle confie que, jusqu’à ce jour, elle ne s’était jamais sentie la maîtresse de Jérôme. À partir de ce jour-là, elle se voit comme telle, et l’image que lui renvoie sa position dans la vie de l’homme qu’elle aime commence à lui faire mal.
26Après le mariage de son fils, Jérôme annonce à Claire qu’il va être grand-père. Il l’a appris le jour de la cérémonie et il est ravi ! Pour Claire, c’est le couperet final ! Elle désirait avoir un enfant avec Jérôme, or cela lui semble désormais impossible car dans son esprit, cet homme ne peut être à la fois grand-père et jeune père. Elle ne voit plus son amant comme un compagnon potentiel mais comme un père de famille qui devient grand-père. De son côté, Jérôme lui explique qu’il est désormais impossible d’envisager avoir un enfant ensemble. Il me dira un an après cet épisode que, lors du mariage de son fils, une pensée s’est imposée à lui : « la famille avant tout ». Ce jour-là, sa liaison avec Claire lui a semblé irréelle, hors de sa vie. Le sentiment d’absence de son amoureux éprouvé par Claire concordait, comme à Bruxelles, avec ce que vivait effectivement Jérôme. La fin du rêve d’une vie à deux, d’un enfant ensemble, conduit ce dernier à rompre avec son amante. Claire m’expliquera que c’est surtout la lassitude d’une « relation qui ne mène nulle part » qui avait conduit Jérôme à prendre sa décision : « Il était las, il était las. Las de ne pas avancer, las de cette situation. »
27Cette rupture produit un choc chez Claire. En effet, d’un côté, elle rêvait d’une vie avec Jérôme et d’un enfant avec lui. Mais d’un autre côté, elle concevait également de s’installer durablement dans une « double vie » partagée entre son compagnon et son amant. La séparation d’avec ce dernier met fin à cette deuxième possibilité : il lui paraît évident que son amant ne souhaite poursuivre ni une vie officielle, ni une vie clandestine avec elle. Claire commence alors à penser quitter son compagnon parallèlement. Cependant, les amants se rapprochent de nouveau pendant quelques mois, reprenant le fil de leur histoire.
28Au cours de ce processus de reconstruction de leur jardin secret, Claire décide de vivre seule dans un appartement, au début de l’année 2013. Sa rupture avec Jérôme n’a duré encore une fois que quelques semaines et la douleur de la séparation, conjuguée au désir de se voir et de s’aimer, a eu raison des résolutions de Jérôme. Les deux amants ont renoué et ils se retrouvent désormais dans le nouveau domicile de Claire. Jérôme envisage sérieusement de quitter son épouse cette fois : « Après le bac de Laura [sa fille], je m’installerai avec Claire. » (Jérôme, printemps 2013.) Mais contre toute attente, et en particulier contre les espérances des principaux protagonistes, le déménagement de Claire signifie une détérioration de sa relation amoureuse. En effet, la jeune femme n’a pas annoncé à son compagnon, Michel, qu’elle le quittait, mais qu’elle avait besoin de prendre du recul pendant quelque temps et l’obtention d’un poste d’enseignante, à plusieurs kilomètres de leur domicile, lui a donné un argument supplémentaire. Elle avait fait quelques économies, elle s’en sert pour louer un appartement et se rapprocher de la liberté d’aimer Jérôme. Mais celle-ci prend rapidement un goût amer. À peine arrivée dans son nouveau domicile, Claire pressent qu’elle n’y restera pas et ressent cruellement le manque de Michel.
En fait, durant tout l’automne 2012, c’était tendu entre Michel et moi. J’étais de plus en plus dans l’idée de le quitter pour être avec Jérôme. Donc, j’ai décidé de prendre un appartement toute seule, j’ai pris un T1. Dans ma tête, c’était une espèce de sas, une « chambre à soi2 ». J’ai posé cet acte-là et assez vite, je me suis rendu compte que je n’avais pas envie de vivre avec Jérôme. Le premier sentiment que j’ai eu en posant mes valises dans mon appartement était celui de faire une énorme connerie, je n’avais plus du tout envie de quitter Michel. Je me suis méfiée quand même de ce sentiment-là parce que je venais de partir et que je savais que me séparer de quelqu’un avec qui j’avais passé d’aussi nombreuses années allait être difficile. Je me suis donné le temps d’attendre, de traverser ça toute seule. Je ne voulais pas vivre avec Jérôme sans avoir éprouvé la solitude alors que lui disait toujours que, du moment où il aurait décidé de quitter sa femme, il pourrait passer de l’une à l’autre. Mais je ne l’ai jamais cru. D’ailleurs, ça ne m’allait pas du tout son idée, ça donnait un côté interchangeable entre sa femme et moi qui me dérangeait.
J’ai pris le T1 en janvier et fin janvier, je savais que j’allais retourner avec Michel. En gros, je m’offrais le loyer de ce studio dans une période qui ne me convenait pas financièrement mais j’avais fait des économies dans l’idée de m’en servir à un moment où j’en aurais vraiment besoin. J’avais pensé plutôt à une voiture [rires] mais ça tombait bien, j’en avais vraiment besoin. J’ai laissé passer la période scolaire mais en tout cas, dès le mois de janvier j’ai ressenti ça. J’en avais parlé à Michel, je lui ai dit que j’avais besoin d’espace pour réfléchir. Il n’a pas vu d’inconvénient à ça mais la façon dont je lui ai dit, c’était que je reviendrais, c’était un break. [Et pour toi ? C’était un break aussi ?] J’étais ambiguë. Mais au fond, je savais que j’allais revenir. J’ai laissé passer le mois de février en sentant un écart de plus en plus grand entre Jérôme et moi. J’avais des choses à régler, notamment la question de l’enfant. Je me disais que si je décidais de vivre avec lui, j’allais y laisser beaucoup de plumes. Petit à petit, je me désengageais. Il a commencé à le sentir. Il venait dans l’appartement et se rendait compte que je ne l’avais pas beaucoup investi. C’est vrai que je ne me suis pas installée concrètement, je le ressentais comme un lieu de transit. Il m’a offert des objets pour meubler : théière, meubles... Puis un jour, je lui ai dit. Je lui ai dit que je n’étais pas sûre qu’il fallait qu’on fasse le choix de vivre ensemble, je n’étais pas prête. J’ai dû lui parler de ça aux alentours de la mi-février et dix jours après, je lui ai dit plus clairement que je ne voulais pas m’engager et là on a décidé de rompre. Lui l’a très mal vécu. Il n’a cessé de me le dire après. Il ne m’a pas dit qu’il s’était senti trahi mais que je lui avais fait atrocement mal, qu’il s’était senti méprisé. Il n’a pas arrêté de ressasser la sensation que je lui aurais dit : « T’es un grand garçon, t’as compris que je ne vais jamais vivre avec toi. » Jamais je n’emploierais une phrase comme ça. Donc, ça traduit le fait que c’était vraiment violent. Là on est resté deux mois sans se voir, à continuer de s’envoyer des messages éplorés, douloureux, c’était toujours très, très fort. Parce que moi, je ne voulais pas m’engager dans une vie avec lui mais je ne voulais pas rompre avec lui, je voulais poursuivre une histoire amoureuse avec lui. Mais ça, ça ne convenait qu’à moi [sourire triste]. Donc, c’était très douloureux pour lui. Comme on n’a pas cessé de s’écrire, on s’est revu, évidemment.
Et on s’est revu, jusqu’à octobre. Je suis partie début septembre de l’appart’. Mais à partir du moment où on s’est revu en mai, il était tellement blessé qu’il avait repris ses billes. Il était toujours aussi amoureux mais je sentais qu’une porte s’était refermée. Et moi, je ne savais pas quoi faire de ce truc. Je l’aimais toujours autant, c’était avec lui que j’avais envie de partager le plus de choses possibles. Des choses qui s’apparentent à une vie commune... Mais notre relation s’était dégradée. C’était devenu plus résolument sexuel, sur un mode qui ne me plaisait pas. J’avais l’impression qu’il attendait un service sexuel. C’est dur ce que je dis. Ça prenait des formes presque caricaturales. On déjeunait moins souvent ensemble, on discutait moins. Ça devenait des scénarios qui se répétaient. Et moi, ça me faisait chier. C’était pas ça que j’avais envie de vivre avec lui. C’était en train de devenir une caricature et ça ne nous convenait ni à l’un ni à l’autre. On est très souvent ressorti frustré parce que chacun ne mettait plus le même engagement alors qu’on en avait la frustration tous les deux. C’était merdique.
J’avais toujours mon appartement, donc ça avait ce côté plus pratique que jamais et en même temps, c’était plus moche que jamais parce que justement, ça devenait comme si c’était une garçonnière. Il y avait un côté schématique du truc et ça ne nous plaisait pas. On n’osait pas trop se le dire parce que, je pense, on était conscient que ça voulait dire que c’était plus possible donc on a fait perdurer ça pendant longtemps encore parce que je pense qu’on était très amoureux et qu’on ne voulait pas que ça s’arrête, mais ça s’était dégradé. Y’a eu les vacances après ça. Il est parti, de nouveau chez Francis, en Ardèche, là où on s’était rencontré. Donc, c’était bizarre, il revenait sur les lieux enchanteurs où notre histoire avait commencé, et le contraste avec ce que notre histoire était devenue ou était en train de devenir... Moi-même, j’étais pas sur place et je me disais : « Cela doit être horrible d’être là-bas. » (Claire, printemps 2014.)
29L’été 2013 passe ainsi. Un soir d’automne, Jérôme va chercher Claire en voiture à son travail. Ils font la route ensemble. Ils échangent sur leur journée, se font quelques câlins. Claire a l’impression d’expérimenter ce que pourrait être une vie quotidienne avec son amant. Ce dernier ressent quelque chose de similaire : une image de ce que pourrait être la vie ordinaire à deux. En rentrant chez lui, Jérôme écrit des messages enflammés à son amante qui laissent entendre qu’il veut vivre avec elle. Elle-même ressent de nouveau l’envie de tout partager avec lui. Mais, au matin, les sens de Jérôme se sont apaisés, il se trouve face à la réalité crue de leur relation : un adultère sans avenir. Alors, il écrit à Claire : « Je ne suis pas disponible aujourd’hui. Ça n’a aucun sens ce truc-là. » Claire ajoute : « On arrête. » Il répond par l’affirmative.
30C’est une nouvelle séparation, aussi douloureuse et passionnelle que les précédentes. Les amants séparés recommencent à s’envoyer des messages enflammés, à s’appeler pour se dire combien ils s’aiment, à se manquer cruellement. Claire commentera plus tard : « C’est comme si le fait de se séparer redonnait quelque chose de poignant à un truc qui était en train de devenir moche. » Mais cette fois-ci, leur histoire s’arrête définitivement.
31Un matin, Cécile, l’épouse de Jérôme, en cherchant un document sur l’ordinateur familial, ouvre le dernier message que son mari a envoyé à Claire. Il est court mais les mots ne trompent pas : Jérôme apparaît comme perdu, souffrant de la distance avec son aimée. Il écrit que leur dernière nuit d’amour était extraordinaire mais qu’il ne veut pas vivre ce qu’ils vivent et que malgré les années, ils n’ont pas trouvé d’alternative. Dans ce message, Cécile découvre subitement que Jérôme aime profondément une autre femme ; une femme qu’elle connaît ; une femme plus jeune. Elle découvre que leur liaison dure depuis plusieurs années. En quelques lignes, l’histoire de Jérôme et Claire se déroule sous ses yeux. Cécile appelle immédiatement son mari sur son poste de travail pour lui révéler ce qu’elle vient de trouver. Quelques minutes plus tard, Jérôme est chez lui, avec sa femme. Les explications commencent.
32Pendant ce temps, Claire est en voyage à Londres avec Michel. Elle est au restaurant lorsqu’elle découvre un texto de Jérôme sur son portable : « Cécile vient de découvrir un mail qui t’était adressé, mail du 12 octobre. » Puis le silence s’installe entre les deux amants pendant deux jours. Claire est tiraillée entre la satisfaction que leur relation soit enfin dévoilée et la tristesse des souffrances qu’elle imagine que cette révélation provoque.
J’étais en vacances avec Michel, donc je n’étais pas très disponible. Je ne savais pas comment prendre ce truc. Et une part de moi a été contente de ce qui se passait. Je me suis dit : « Bon, là, on est quatre à être au courant. » Donc, je me suis dit, là, les cartes sont distribuées à peu près équitablement, on va voir ce qui va se passer. Je n’étais pas du tout contente de la souffrance que ça générait, évidemment, mais j’étais contente de ça. Alors que je m’étais conditionnée à accepter cette séparation. Là, étonnamment, ça a reconfiguré toutes les choses dans mon esprit et du coup, il y a eu une partie de moi qui a été bouleversée. Et là, je me suis dit que, dans la transparence, il y avait des choses nouvelles qui allaient se reconfigurer. Et j’ai pris conscience, en ressentant ça, qu’il y avait une partie de moi qui n’était pas du tout satisfaite du secret qu’il avait gardé avec sa femme alors que moi, j’avais fait la démarche de le dire. Il était toujours resté clivé et donc là, ça changeait pour la première fois la donne. Alors que je m’étais conditionnée à accepter la séparation, il y a quelque chose en moi qui a chancelé. Je me disais : « Peut-être que l’on peut avoir un nouvel espoir, qu’elle le foute dehors ou qu’il la quitte. » Mais il a passé deux, trois jours sans m’écrire ou alors seulement des choses extrêmement succinctes. Il était comme un lapin aveuglé dans les phares, pris au piège. Ses messages étaient complètement désincarnés. Même dans ses messages, on aurait dit qu’il était absent. Il disait : « J’ai dit ça, ça, ça à Cécile, j’ai pas cherché à lui mentir sur la qualité de notre relation. Elle est très en colère contre toi, contre moi. L’heure n’est pas aux promesses mais à l’effondrement. » Je ne sais plus s’il me disait « je t’aime » à ce moment-là [larmes]. (Claire, printemps 2014.)
33Après le dévoilement de leur relation, Claire et Jérôme ne se sont jamais revus. Jérôme a cessé tout contact avec la jeune femme et elle n’a pas cherché à le retrouver. Au printemps 2014, Claire souhaitait tourner la page mais était meurtrie par la manière dont Jérôme l’avait évincée de sa vie. Elle avait l’impression d’être devenue un paria, une mauvaise femme, quelqu’un qu’on évite et dont on ne parle plus. Elle aurait aimé qu’il lui dise ce qui s’était passé, qui elle était pour lui. Elle aurait aimé ne pas être écartée de sa propre histoire. Durant l’été 2014, Claire apprend par une connaissance commune que Jérôme a fait une dépression et qu’il a été en arrêt de travail. Quelques mois plus tard, on lui dit qu’il va mieux, qu’il a repris sa vie professionnelle. De son côté, la jeune femme a tourné la page, elle a repris la vie avec Michel, elle en est retombée amoureuse et se dit heureuse, plus heureuse que jamais.
Tout va bien. J’ai un nouveau travail, dans une maison d’édition. Je suis avec Michel dans une phase amoureuse, joyeuse et beaucoup plus détendue que ça ne l’a jamais été, je crois bien. Je n’ai en tout cas pas envie de chercher des nouvelles de Jérôme. J’ai entendu dire qu’il était en société plus cynique que jamais ; je ne sais pas. Depuis que je t’ai vue [référence au dernier entretien que nous avons eu ensemble un mois auparavant], j’ai comme chassé mon chagrin, d’abord en colère, puis j’ai refermé les choses dans un dossier au fond de ma mémoire. Je n’attends plus de ses nouvelles, même si je me doute qu’un jour, nous nous croiserons à Besançon, par hasard. Je redoute ça. J’aimerais qu’on puisse être tous les deux en capacité de se parler avec honnêteté ; de se dire qu’on a énormément fantasmé notre amour, qu’il y avait certainement un désir fou entre nous, mais pas beaucoup de réalité dans le rêve de vivre ensemble que nous avions construit. Que chacun prenne sa part, dans cet au revoir. Mais je pense que cela supposerait de reconnaître qu’on était chacun plus égocentré qu’amoureux, et ça, je ne l’en crois pas capable. Je me trompe peut-être. Mais je suis passée à autre chose. Une phase plus sereine de ma vie, et j’en profite, je crois que ça ne m’était pas très souvent arrivé ! Mais il m’arrive encore de le chercher, sur Internet. Parce que j’ai été privée d’un bel au revoir ; que notre rupture a été brutale, et pour ça, j’ai de la rancœur. Mais j’ai appris à vivre avec. (Claire, courrier reçu à l’automne 2014.)
Louis et Alix : je l’aimais3
34Louis a 52 ans quand il fait la connaissance d’Alix. Il est marié depuis trente ans et il a quatre enfants. Alix a 33 ans, elle est célibataire, sans enfants. Ils se sont rencontrés à l’occasion d’une mutation professionnelle qui a conduit Louis à Lyon. L’homme travaille dans la même entreprise que la jeune femme et, comme elle, il occupe un poste de cadre supérieur. Ils se croisent régulièrement, se saluent et échangent quelques mots de temps à autre lors d’une pause ou bien à la fermeture des bureaux. Louis raconte l’amorce de son histoire avec Alix comme si elle lui avait échappé, comme s’il ne l’avait pas vue venir, comme s’il s’était retrouvé à faire l’amour avec la jeune femme sans l’avoir vraiment prémédité. Il semble étonné par sa propre histoire, comme s’il en avait été le spectateur. D’ailleurs, il ne se souvient plus comment il est passé d’une discussion dans un café au lit de la jeune femme, cinq ans auparavant :
Au départ, on est employé par la même entreprise. On est collègues, au sens où ça ne suppose pas une obligation de fonctionner dans le même espace ni encore moins une relation fonctionnelle, hiérarchique. Seulement, ça se déroule dans le même espace. Disons que pendant des mois, on se remarque. Jusqu’à échanger des sourires qui sont un peu plus que des salutations mais vraiment sans plus. À tel point, sans doute, que son nom patronyme, je n’en ai pas idée. On est un peu plus que des gens qui se croisent mais pas beaucoup plus. Et puis... sans savoir pourquoi... – on y a d’ailleurs beaucoup réfléchi ensemble – je l’invite à prendre un pot. On discute alors pendant deux heures de choses innocentes et variées sans que ce qu’on qualifie de « drague » puisse être collé sur cet échange. La relation est sexuée mais elle ne repose pas sur des sous-entendus. Et assez vite après, il y a des échanges de textos du style : « Quand est-ce qu’on se revoit ? » Le rendez-vous a lieu assez vite chez elle et, après quelques minutes de discussion, on se retrouve au lit, en milieu d’après-midi, pour une séquence qui a dû durer deux heures. Et ça se passe assez mal. Non pas la relation sexuelle en elle-même, mais à cause d’un mot malheureux que j’ai eu. Je ne m’en souviens plus mais cela devait être injurieux pour elle et moi, je le disais au deuxième degré. On se quitte fâchés. (Louis, hiver 2014.)
35Alix semble être dans le même état d’esprit que Louis aux débuts de cette relation. Cependant, à la différence de Louis, elle a d’emblée considéré le premier rendez-vous comme une entreprise de séduction. Mais elle sait, tout comme lui, que ce dernier va bientôt être muté en Belgique. C’est pourquoi, quand Louis l’invite à prendre un verre, elle accepte, considérant que cela ne l’engage à rien.
Je pense qu’on se plaisait depuis un petit moment mais c’était ce genre de relation professionnelle où on se croise, où on se salue, y’a un petit truc derrière mais voilà, c’est tout. Moi, je ne pensais pas qu’il se passerait quelque chose entre nous. Et en fait, peu de temps avant de partir, il m’a abordée, il m’a demandé si je voulais aller boire un verre avec lui. Moi, je sortais d’une histoire assez dure et cela faisait un an que j’étais quasiment seule. En fait, c’était ce côté un peu romanesque de la personne qui va partir où je me suis dit : « Pour moi, c’est sans danger et ça va me donner une légèreté. » Quoique... La première fois, quand on a bu un verre, ça s’est hyper bien passé mais la deuxième fois, quand on a couché ensemble, j’ai pas trop aimé son attitude et je l’ai envoyé sur les roses. (Alix, été 2013.)
36La fâcherie entre Alix et Louis à la suite de leur premier après-midi d’amour est de courte durée. Louis fait preuve de tact et d’une certaine capacité à se remettre en question, et Alix met sur le compte de l’inexpérience la goujaterie dont il a fait preuve. Ni l’un ni l’autre ne me disent quels mots ont été prononcés, mais ils laissent entendre que cela n’était pas flatteur pour la jeune femme. D’après Louis, il aurait voulu faire preuve d’esprit mais il aurait été maladroit ; d’après Alix, il ne savait pas vraiment quoi dire dans ce genre de situation, n’ayant eu d’autre partenaire sexuelle que son épouse, en dehors d’une brève aventure, des années auparavant, avec une autre collègue, dans une autre ville. Louis et Alix commencent ainsi une relation destinée à ne durer que quelques semaines, une sorte de « transition » pour Alix, une « parenthèse enchantée » pour Louis.
37Louis intègre un nouveau poste à Bruxelles. Il s’y installe avec sa femme et les enfants. Contrairement à ce qui était prévu, la relation avec Alix s’ancre dans la durée. Pendant environ huit mois, il continue à avoir des échanges par courriers électroniques avec Alix. Ils ne se téléphonent quasiment jamais. Ils se disent chacun mal à l’aise avec le téléphone. La jeune femme aime écrire et réfléchir sur leur relation. Dans ses courriers, elle vit et analyse tout à la fois cette liaison qu’elle ne sait comment nommer, ce lien dont elle ne sait quelle place il a dans la vie de Louis. Les échanges sont toutefois dissymétriques : elle écrit beaucoup et souvent, il écrit peu et rarement. Durant cette période, Alix et Louis se revoient trois fois, Louis s’arrangeant pour se rendre en France ponctuellement. Mais Alix se lasse de cette relation à distance qui, d’après elle, l’enferme psychologiquement, l’empêchant d’avancer, de faire sa vie. En juillet 2010, elle dit alors à Louis qu’elle souhaite mettre fin à leur liaison. Il accepte.
38Trois mois plus tard, il envoie un message à Alix pour lui souhaiter son anniversaire et lui dire qu’elle lui manque. Elle n’apprécie pas ce geste, considérant que Louis ne lui permet pas de se défaire de leur lien. Elle le lui fait savoir. Mais quelques semaines plus tard, elle lui propose de discuter de ce qu’ils ont vécu. Elle a besoin de savoir ce qu’elle a représenté pour Louis. Alors, il l’appelle et lui avoue qu’il l’a aimée, qu’elle est importante dans sa vie, qu’il n’a jamais ressenti pour personne ce qu’il a ressenti pour elle mais qu’il ne quittera jamais sa femme. Alix ne considère pas cette déclaration d’amour comme un signe d’avenir possible avec Louis mais comme l’expression de la force de ce qu’ils ont vécu. Elle pense qu’avoir vécu une relation sentimentale aussi forte est le signe qu’elle est capable d’en vivre d’autres.
39Louis et Alix poursuivent quelques échanges ponctuels à distance durant deux mois puis, un jour, l’homme envoie un SMS à la jeune femme, lui annonçant qu’il vient d’être licencié. Elle lui apporte un certain soutien moral dans cette phase difficile mais craint qu’il ne quitte la Belgique et se rapproche de Lyon, d’autant qu’il lui laisse entendre que ce pourrait être le cas. En effet, elle est amoureuse mais ne veut pas être éternellement la maîtresse de Louis, elle ne veut pas reprendre une liaison avec lui et elle craint qu’un rapprochement géographique et une plus grande disponibilité de Louis ne lui permettent pas de résister à l’envie de le voir. Environ trois semaines après cet échange et sans qu’aucun autre n’ait eu lieu entre-temps, Louis annonce à Alix que son numéro de téléphone portable professionnel ainsi que son adresse électronique ne seront plus accessibles. Dans la foulée, il lui envoie un SMS dans lequel est écrit : « Je t’aime. » Alix est furieuse : « Il m’annonce que son numéro n’est plus accessible et m’envoie un message auquel je ne peux donc pas répondre ! » Elle lui écrit alors un courriel en lui demandant de la « laisser tranquille ». Il prend connaissance de ce message mais, quelques semaines plus tard, il la recontacte : il a trouvé un nouvel emploi dans la région lyonnaise, sa famille reste à Bruxelles jusqu’à la fin de l’année scolaire. Nous sommes en janvier 2011, Louis vivra seul quatre à cinq jours par semaine pendant six mois.
40Débute alors une nouvelle phase de la relation. Louis et Alix reprennent une liaison, mais selon les conditions établies par la jeune femme : leur relation ne durera que le temps pendant lequel Louis sera disponible et tant que l’éloignement de sa famille leur permettra de vivre pleinement leur amour. Il accepte le contrat, tout en précisant qu’il n’a rien de plus à offrir qu’avant. Alix se dit alors que leur lien est si fort que, même s’ils ne peuvent vivre que six mois de bonheur, ce sont six mois « à prendre ». De février à juillet 2011, Louis et Alix vivent ainsi, selon leurs mots, les moments les plus heureux de leur relation. Elle se sent aimée et il l’aime. Cependant, tout n’est pas idyllique car l’ombre du mariage de Louis plane parfois sur leur histoire : quand son épouse vient lui rendre visite à Lyon de manière impromptue et qu’Alix est obligée de composer avec le planning des époux ; quand Louis doit subitement s’absenter pour régler des affaires familiales ; ou encore lorsqu’un de ses enfants lui rend visite et qu’il ne peut plus voir Alix. Cette dernière appelle cela des « rappels du réel », qui lui figurent que son temps avec Louis est compté. Louis est gêné par ces irruptions de sa vie familiale dans sa vie amoureuse clandestine : cela l’oblige à mentir, alors qu’il préfère recourir à la dissimulation.
41À la fin du mois de juillet 2011, avec l’arrivée de l’épouse et des enfants de Louis à Lyon, Alix met fin à la relation, comme elle l’avait prévu. Elle en souffre beaucoup mais elle sait que, malgré son amour pour Louis, la vie qu’il lui propose n’est pas celle dont elle veut. Elle a plus de 30 ans, veut un enfant et ne pas vivre cachée. Elle annonce à Louis leur séparation, une nouvelle fois, en lui disant : « Notre histoire, soit elle va de l’avant, soit on arrête, sinon ça va très mal finir, parce que moi je vais devenir odieuse et j’ai pas envie qu’on gâche ce que nous avons vécu. Je te quitte parce que tu me mets en situation de te quitter. »
42Alix estime néanmoins qu’elle est en droit de recevoir une explication de la part de Louis : qu’est-ce qui l’empêche de quitter sa femme alors qu’il se dit amoureux d’elle ? Il lui répond : « Ça la tuerait. » Pour Alix, c’est une « non-réponse » car cette réponse traduit le fait qu’il accepte de la faire souffrir, elle, pour préserver sa femme. En outre, elle considère cet argument comme difficilement recevable dans la mesure où il repose sur l’hypothèse que l’épouse ne survivrait pas à une rupture. Alix pense que Louis parle de sa femme comme d’une mineure, décidant pour elle ; supposant qu’elle ne pourrait pas vivre sans lui. Louis a par ailleurs pensé, sans le mentionner à Alix, que si sa relation cachée était découverte d’une manière ou d’une autre, il se suiciderait : « Je m’étais dit que si l’étanchéité était rompue, je m’étais dit que je me suiciderais. C’était plutôt une sorte de résolution qu’un pronostic. Je n’aurais pas pu assumer face à ma femme. » (Louis, hiver 2014.) De toute évidence, Louis éprouvait de grandes difficultés à imaginer que sa femme puisse avoir une autre image de lui que celle qu’il lui proposait depuis trente ans.
43Cependant, l’histoire ne se termine pas ici. Une autre phase s’ouvre lorsque, plusieurs mois après la rupture, Alix, à la suite d’un changement de poste professionnel impliquant un déménagement à Marseille, entre en dépression. Fatiguée, éprouvée et déçue par son nouveau travail, qu’elle a choisi mais qu’elle imaginait tout autre, elle glisse dans la maladie. Elle se confie à Louis, qui est alors d’un grand soutien pour elle. Engagé dans un nouveau poste qui lui donne une grande liberté d’organisation, il la rejoint souvent et est en contact permanent avec elle.
44Alix qualifie ce soutien de « gratuit » puisqu’elle n’avait, selon ses termes, « rien à donner ». Elle le considère comme la plus belle preuve d’amour que Louis lui ait jamais donnée. Cependant, elle ne veut pas recommencer une relation clandestine avec lui. Elle propose alors un nouveau contrat pour vivre malgré tout leur amour sans se perdre : elle le verra mais ne le fera plus passer avant les autres. Pour elle, cela signifie qu’elle aura des relations intimes avec d’autres hommes mais pour Louis, cela veut dire que cette possibilité existe ; cependant, il ne pense pas que son amante s’en saisisse. Or elle s’en saisit. Durant quelques mois, Alix a des « petites histoires » avec d’autres hommes : des histoires d’un soir, des histoires de quelques jours. Elle admet ne pas en retirer énormément de plaisir, mais cela lui donne la sensation de s’appartenir et de ne plus être en attente des disponibilités de Louis.
45Un soir, lors d’une discussion un peu animée entre eux, Alix parle à Louis de l’une de ses aventures. Il entre alors dans une rage folle, ne parvient pas à contrôler sa jalousie, et ses mots envers la jeune femme sont durs. Durant plusieurs jours, il la contacte, par écrit ou par téléphone, pour lui exprimer tantôt sa souffrance, tantôt sa colère, tantôt sa déception. Alix ne s’attendait pas à une réaction aussi vive. Bien qu’elle en soit blessée, elle l’interprète comme une expression de l’amour qu’il lui porte. Deux ans plus tard, au cours de l’entretien, il considérera sa jalousie comme une réaction archaïque, disproportionnée et mal venue. Il dira qu’il considérait Alix « sienne » et ne pouvait souffrir qu’un autre homme fasse l’amour avec elle.
46Pendant plusieurs jours, la tension est vive entre les deux amants. Alix finit par poser à Louis une question qu’elle ne lui a jamais posée ouvertement : couche-t-il encore avec sa femme ? Il répond par l’affirmative. Alix souligne alors la contradiction : lui pourrait avoir des relations sexuelles avec une autre femme mais il ne tolère pas qu’elle fasse de même. Elle est peinée par le fait qu’il n’entende pas qu’elle l’aime malgré tout, alors qu’elle ne met pas en doute les sentiments qu’il lui porte, bien qu’il ait une femme avec laquelle il continue d’avoir des relations intimes.
47Alix pense que Louis se dit qu’il prend des risques pour une femme qui « s’envoie en l’air avec d’autres ». Elle décide, contre ses principes, de redevenir fidèle à Louis, tout en lui précisant qu’elle le fait pour qu’il ne souffre plus mais que cela ne lui semble pas normal compte tenu de la dissymétrie de leurs situations familiales. De son côté, Louis finit par admettre qu’Alix regrette de lui avoir fait du mal sans pour autant regretter de s’être octroyé une liberté dont elle avait besoin. D’après Alix, les mois qui suivent la crise provoquée par l’aveu de son « infidélité » sont marqués par une certaine harmonie entre les deux amants. Elle pense que la relation est devenue plus « réelle », moins idéalisée : ils ont traversé sa dépression ensemble, ils ont surmonté la problématique de la non-exclusivité sexuelle, ils passent assez de temps ensemble. Par ailleurs, la jeune femme sait que Louis va être à nouveau muté pour occuper un poste à Bordeaux et elle se prépare à ne pas poursuivre la relation dans ces conditions. Au printemps 2013, Louis déménage dans le Sud-Ouest. Pour Alix, ce départ est particulièrement douloureux, d’autant qu’elle considère que, plutôt que de faire un véritable choix, Louis s’en remet aux circonstances extérieures. Néanmoins, elle accepte davantage l’argument qu’il lui donne alors. En effet, il affirme que, s’il quittait son épouse pour elle, il éprouverait de la rancœur envers son amante. Avec ces mots, Louis quitte définitivement l’horizon des possibles d’Alix qui, bien que persuadée qu’il ne quitterait pas sa femme, rêvait, comme la grande majorité des femmes dans sa situation, d’une vie à deux avec l’homme qu’elle aimait. Le spectre d’une vie de couple marquée par la rancœur a mis fin à ce rêve inavoué plus sûrement que les actes, les gestes ou les paroles de Louis qui montraient à tout instant que son engagement dans sa vie familiale prévalait sur ses sentiments amoureux.
48Elle lui demande de ne plus la recontacter ni par téléphone, ni par SMS, ni par courrier électronique. Elle veut tourner la page, puisque rien d’autre n’est possible entre eux. Alix ne prendra plus aucune nouvelle de Louis mais se demandera : « Comment fait-il maintenant pour vivre avec sa femme ? »
49J’ai rencontré Louis plus d’un an après cette rupture. Je lui ai demandé s’il pensait à Alix. Il m’a répondu « Oui, souvent. » J’ai voulu qu’il précise. Il m’a répondu : « Toutes les trois minutes environ. » Il a ajouté : « Je préfère que cela dure dans la douleur plutôt que cela s’évanouisse dans la banalité du souvenir. » Il continuait de vivre avec sa femme dont il se souvenait vaguement avoir été amoureux plusieurs dizaines d’années auparavant.
Nathalie : l’amour secret d’une libertine4
50Les propos de Nathalie ont ouvert ce livre. Nous allons faire plus ample connaissance avec elle. Cette jeune femme est en couple depuis vingt-trois ans avec Daniel, d’un an son aîné, avec lequel elle a un enfant. Ils se sont construits ensemble, traversant étapes et épreuves d’une histoire commencée à l’adolescence. Daniel et sa compagne entretiennent une grande complicité. Il y a quelques années, Daniel, voyant leur désir sexuel s’éteindre, a proposé à Nathalie de s’ouvrir à d’autres expériences ensemble. La jeune femme a accepté et dit trouver beaucoup de plaisir au cours de leurs sorties en club échangiste et de leurs expériences avec plusieurs partenaires sexuels à la fois. Au cours de notre premier entretien, en 2010, elle m’explique que sa sexualité est épanouie et qu’avec le libertinage, elle pense avoir trouvé un mode de vie qui lui convient.
51Le libertinage du couple implique que la femme ait des relations seule avec des hommes choisis par son partenaire et qu’elle lui raconte ensuite ses ébats. Au cours d’une soirée organisée dans l’entreprise où est employée Nathalie, Daniel remarque qu’un collègue de son épouse est attiré par elle. Il propose alors à celle-ci de le draguer pour avoir une relation sexuelle avec lui et la lui raconter ensuite. Nathalie accepte. Le stratagème du couple fonctionne et, quelques jours plus tard, Nathalie fait l’amour avec son collègue dans un hôtel. Elle raconte l’expérience à son mari, mais elle omet délibérément de lui dire combien son nouveau partenaire, Hugo, l’attire et l’émeut. En effet, le « contrat » d’ouverture du couple exclut l’implication sentimentale avec un tiers. Pour la première fois, Nathalie cache quelque chose de sa vie à son compagnon. Elle dit à Daniel qu’elle ne reverra plus Hugo autrement que dans le cadre professionnel, continue d’aller en club échangiste avec lui, mais poursuit en secret une liaison avec Hugo. Ce dernier (42 ans, cadre technique, marié depuis une vingtaine d’années, deux enfants) certifie à sa maîtresse n’avoir jamais trompé sa femme, qu’il dit aimer, mais il avoue éprouver une attirance sexuelle irrésistible pour Nathalie. Il ne sait rien de la vie libertine de celle-ci et pense être son unique partenaire sexuel en dehors de son mari.
52Après l’après-midi passé ensemble dans un hôtel, Hugo et Nathalie ont des relations sexuelles plusieurs fois par semaine, tôt le matin ou tard le soir, dans un parc non loin de leur lieu de travail. Au cours du premier entretien que j’ai avec elle, deux ans après le début de cette liaison, Nathalie me confie que leur sexualité n’est pas exceptionnelle : elle compare Hugo à ses partenaires de libertinage et le trouve très peu expérimenté sexuellement. Elle s’en amuse, imaginant ce qu’il penserait de ce qu’elle fait le week-end avec son mari et d’autres hommes et femmes. Cependant, elle est profondément amoureuse de lui. Elle le définit comme son idéal masculin, très différent de son mari qu’elle juge à ce moment-là sévèrement, notamment concernant son manque d’investissement dans la réhabilitation de leur maison et la précarité de sa situation professionnelle. En effet, Daniel passe régulièrement des semaines sans travailler et sans chercher d’emploi. La situation d’homme au foyer de Daniel a longtemps convenu à Nathalie, qui se réjouissait de trouver le repas et les tâches domestiques faits à son retour du travail, ainsi que d’avoir son homme à la maison la plupart du temps. Mais la rencontre avec Hugo ternit l’image positive que Nathalie avait du dilettantisme de Daniel. Elle lui en veut de préférer surfer sur des sites libertins et sortir le week-end plutôt que de terminer les travaux de leur maison entrepris depuis dix ans. Elle pense aussi que Daniel l’a coupée de sa famille et de ses amis, sous prétexte de ne pas se soumettre aux normes de la société. Elle regrette de l’avoir suivi dans une vie qui, aujourd’hui, lui paraît insuffisamment ordonnée. Nathalie révise ainsi son union avec Daniel à la lumière de son nouvel amour, Hugo. Celui-ci semble en tout point être le contraire de Daniel. Il s’occupe de son jardin, de sa maison qu’il a en partie construite, il bricole et apparaît selon Nathalie comme un « père de famille parfait ». Il donne l’image d’une vie rangée avec son épouse et ses enfants. Il a un emploi stable et suit des formations pour gravir les échelons au sein de son entreprise.
53Nathalie vit avec un homme qu’elle a de plus en plus de mal à supporter et aime un homme qui ne lui donne aucune perspective d’avenir commun. En effet, Hugo répète et montre à sa maîtresse qu’il n’envisage aucunement la vie avec elle et qu’il veut rester avec son épouse et ses enfants. Alors, au fil du temps, une souffrance se fait jour chez Nathalie : sa vie maritale ne lui convient plus et l’homme qu’elle aime en secret non seulement ne veut pas partager sa vie avec elle mais ne lui dit à aucun moment qu’il l’aime. Elle a l’impression d’être une distraction sexuelle pour celui-ci alors que pour elle, il représente l’homme de sa vie. Sa souffrance est d’autant plus profonde qu’elle ne comprend pas pourquoi il ne veut pas aller plus loin avec elle puisque leur relation, amicale pendant longtemps, n’est pas uniquement fondée sur la sexualité mais aussi sur le partage de nombreux centres d’intérêt. Ils font du sport et assistent à des concerts ensemble, ils ont tous les deux une passion pour les voitures de course. Ils communiquent au quotidien, directement, par SMS ou messages électroniques. Pour Nathalie, Hugo ne peut pas aimer sa femme, il a simplement peur de la quitter car tout lui montre qu’il est proche d’elle et qu’il ne peut se passer de sa présence.
54Au cours de l’année 2011, la douleur que la situation génère chez Nathalie s’accentue jusqu’à devenir intenable durant l’été : son voyage avec son conjoint et leurs enfants en Italie tourne au cauchemar. Hugo lui manque cruellement, elle n’a pas de nouvelles de lui et l’imagine heureux, en famille, au bord de la mer. Elle ne supporte plus la présence de Daniel, son couple lui apparaît comme une mascarade vide de sens. Elle se dit que c’est la dernière fois qu’elle part en vacances avec Daniel. Elle ne veut pas revivre une expérience aussi douloureuse, insatisfaisante et frustrante. À son retour en France, Nathalie, que le manque de son amant a mise à cran, le contacte immédiatement et lui demande de se positionner par rapport à elle. La réponse de son amant lui fait l’effet d’une douche froide : il ne l’aime pas, il aime sa femme et ne veut entretenir avec elle qu’une relation fondée sur le sexe. « C’est à prendre ou à laisser », lui dit-il. Nathalie est perdue, elle se sent très mal et décide de raconter toute l’histoire à son mari dans l’espoir qu’il l’aide.
55Daniel manifeste sa déception en apprenant que Nathalie lui a caché sa relation avec Hugo durant trois ans, trahissant ainsi les règles de transparence qu’ils avaient mises en place dans leur couple. Il conseille à Nathalie de mettre fin à sa relation avec Hugo car celui-ci la fait souffrir. Daniel trouve cela intolérable et malhonnête de la part de cet homme. Nathalie rompt alors avec Hugo. Cependant, elle ne peut se résoudre à ne plus le voir, à ne plus l’aimer. Progressivement, de courrier électronique en SMS, de regards échangés en quelque plaisanterie partagée sur leur lieu de travail, ils reprennent le chemin du petit parc. Trois ans plus tard, je retrouve Nathalie qui me conte la suite de son histoire.
En fait, avec Hugo, on ne s’est jamais vraiment quitté. On entame la quatrième année. Ce n’est pas une petite histoire. Il y a eu des périodes de creux durant un mois, deux mois mais, au final, on craque parce qu’on passe toute la journée ensemble. Il y a des moments, où on est tout seuls dans les locaux de la boîte, on mange en tête à tête, on lave notre vaisselle ensemble. Il y a toujours eu un lien entre nous deux. Et en septembre [2013], il a recommencé à devenir distant, à ne plus me répondre et je m’étais confiée à une amie qui m’a conseillé de lui faire sentir qu’il n’était qu’un objet sexuel pour moi. Je l’ai fait... Je ne l’ai pas fait avec des gants ! [rires] Et ça a marché. Ça l’a mis dans un état que je ne lui connais pas. C’était début octobre... Il a commencé à plus me parler, à être plus présent. C’était la période durant laquelle – j’allais apprendre plus tard – il a conçu son troisième enfant [rires moqueurs]. C’est dommage ! [rires moqueurs.]
Et petit à petit, il est revenu avec beaucoup plus de respect, à se voir beaucoup plus, à aller beaucoup plus souvent à l’hôtel. On a fait des choses de couple aussi. Par exemple, il est venu avec moi m’aider à choisir une voiture... On a fait plein de choses ensemble pendant deux mois en fait. Je lui ai expliqué que je n’aimais pas ses silences, que je lui envoyais des messages et qu’il ne me répondait pas, que se voir dans le parc... voilà... C’était quand même glauque. Et il s’est beaucoup confié à moi, sur ses femmes d’avant, sa vie avant son mariage... Oui, oui ! J’ai appris beaucoup de choses ! Alors voilà, on a vécu un mois d’octobre idyllique, un mois de novembre idyllique, un mois de décembre magique. Et tout d’un coup, il s’est renfermé de nouveau, il est devenu grognon avec tout le monde. En fait, il a su que sa femme était enceinte et elle lui a dit quand les trois premiers mois de grossesse étaient passés. Il était dégoûté. Lui, il n’en voulait pas. Il ne voulait pas du troisième. Ils avaient déjà perdu un troisième et elle ne lui avait pas dit qu’elle était enceinte avant la fausse couche. Du coup, ça avait été son excuse pour venir vers moi, quand il avait appris que sa femme avait été enceinte et qu’elle ne lui avait pas dit. [...] Mais moi, je ne savais pas en décembre que sa femme était enceinte. Je ne savais pas tout ça. J’étais dans le flou total. Il ne me parlait plus, ne me voyait plus et j’étais mal. Les vacances de Noël passent et là, il m’envoie un message tout gentil, tout tendre pour qu’on se revoie. Je demande à Daniel si je peux y aller. Daniel me dit : « Ben oui, pour avoir une explication, ça peut toujours te faire du bien. » (Nathalie, printemps 2014.)
56Nathalie se rend au rendez-vous fixé au début du mois de janvier 2014. Elle fait l’amour avec Hugo qui semble heureux et épanoui. Elle n’en dit rien à Daniel. Quelques jours plus tard, un des amis de Nathalie qui connaît aussi Hugo et qu’elle a mis dans la confidence de sa liaison lui apprend la grossesse de l’épouse d’Hugo. Nathalie est atterrée. Le soir même, elle appelle Hugo : « Ta femme est enceinte. » Il répond : « Ben oui ! » en riant. Nathalie dit alors à son amant que dans ces conditions, elle ne souhaite plus qu’ils se voient autrement que dans le cadre professionnel. Hugo accepte. Nathalie lui en veut et décide de pirater la messagerie professionnelle de son amant. Elle lit alors avec une énorme déception des messages érotiques que celui-ci envoie à d’autres femmes. La déception cède rapidement la place à la colère, qui conduit Nathalie à chercher une explication auprès d’Hugo. Celui-ci se défend en lui disant qu’il ne s’agit que de relations virtuelles et qu’il ne trompe pas sa conjointe avec une autre femme qu’elle. Nathalie accepte cette explication, tout en étant pourtant profondément déçue de découvrir qu’elle n’est pas l’unique femme à laquelle son amant s’intéresse en dehors de son mariage.
57Quelques semaines plus tard, l’incident de la messagerie est oublié et la jeune femme se reprend en ce qui concerne la grossesse de la femme d’Hugo. Elle se dit que ce n’est pas son problème et que ce n’est pas à elle d’en prendre la responsabilité. Elle considère qu’Hugo « s’est fait avoir » par sa femme et que c’est à lui de prendre cela en charge. Elle recontacte donc Hugo pour lui faire état de ses réflexions, ce qui a pour effet de le soulager. Il redevient courtois et souriant au travail et les rendez-vous au petit parc reprennent une fois de plus. Nathalie trouve cela un peu malsain de coucher avec un homme qui attend un enfant avec une autre femme, mais elle ne parvient pas à mettre fin à l’histoire.
58Pour faire face aux périodes de mise à distance qu’Hugo lui impose, Nathalie séduit un homme célibataire qu’elle rencontre au cours d’une soirée avec des amies. La relation s’annonce prometteuse avant qu’elle ne lui explique qu’elle est dans un couple « ouvert » et qu’il ne la mette à la porte de chez lui. Quelques jours après, cependant, cet homme recontacte Nathalie et ils commencent une liaison qui durera jusqu’en septembre 2014, avec des rencontres sexuelles épisodiques. Cette liaison prend fin un soir, lorsque cet homme annonce à Nathalie qu’il renoue avec son ex-compagne et qu’il veut tout faire pour que cela fonctionne. La jeune femme est déçue une nouvelle fois. Elle n’était pas amoureuse mais elle avait beaucoup de plaisir à entretenir cette relation avec un homme célibataire, cela lui faisait du bien et lui donnait un sentiment de liberté que son amour pour Hugo lui interdisait.
59Fin août 2014, l’enfant d’Hugo vient au monde et Nathalie est la première personne à qui le père annonce la nouvelle. Il l’appelle en effet depuis la clinique. Avant de raccrocher, il précise : « Maintenant, je dois appeler ma mère et ma belle-mère. » La jeune femme est troublée, assaillie de sentiments contradictoires. Pourquoi l’a-t-il appelée en priorité ? Pourquoi est-elle triste ? Que signifie tout cela ? Elle m’écrit : « Ma grande question c’est “pourquoi moi ?” » Ce soir-là, Nathalie se saoule jusqu’à la nausée. Pendant deux jours, elle ne pourra pas aller travailler, clouée au fond de son lit, malade. Elle explique alors à Daniel ce q ui se passe. Ce dernier entre dans une grande colère contre Hugo qu’il qualifie de « pervers » et demande de nouveau à Nathalie de cesser toute relation avec lui. Nathalie poursuit cependant sa relation avec Hugo. Ils se voient pour faire l’amour alors que l’épouse de ce dernier est encore à la maternité. Nathalie est embarrassée par cette situation mais elle ne peut résister. Lors des semaines qui suivent, les amants ne parlent pas de leurs enfants respectifs et encore moins du dernier-né chez Hugo. Celui-ci se montre cependant plus affectueux et attentionné avec Nathalie qu’il ne l’était au cours des derniers mois. Nathalie en est heureuse et décide de ne plus jamais parler à Daniel d’Hugo. Elle est fatiguée de devoir donner des explications sur cette relation, tout en en cachant une grande partie à son mari.
60Mais, après cette nouvelle « lune de miel » entre les amants, Hugo remet de la distance avec sa maîtresse et donne l’image du père de famille comblé et serein sur son lieu de travail. Cette attitude énerve la jeune femme, qui demande à Hugo de lui éviter ses mises en scène de « père de famille parfait ». À partir de ce jour, l’homme ne parlera plus de sa famille en présence de sa maîtresse, ni au travail, ni ailleurs.
61Les mois passent ainsi et en octobre 2014, Nathalie est de nouveau en proie à la désillusion et à la colère. Cette fois, la source de son malaise n’est pas Hugo mais Daniel. Un soir, il lui annonce qu’il aime une autre femme. Il s’agit de l’une de leurs amies, bien plus jeune qu’eux. Daniel dit immédiatement à son épouse que l’amie en question a refusé de s’engager avec lui mais il l’a aimée en secret durant plusieurs mois ; aujourd’hui, il se demande s’il aime encore Nathalie. Cette dernière accuse le coup. Elle ne sait pas comment interpréter cette révélation ni ce que cela présage de leur avenir. Comme à d’autres occasions au cours de leur histoire, ils en parlent et essaient de se comprendre mutuellement. Nathalie perd cependant une partie de ses repères et se sent flouée. Quelques semaines plus tard, elle commence à épier son mari. Elle cherche à savoir s’il ne lui cache pas quelque chose. Ses soupçons sont levés lorsqu’un jour, alors qu’il a laissé sa session ouverte sur son ordinateur, elle accède à l’historique de ses navigations et à sa messagerie électronique.
62Elle découvre alors avec tristesse, colère et écœurement que Daniel « la trompe avec plusieurs femmes » depuis longtemps. Elle est très déçue et décide de le quitter, considérant qu’il lui a menti en lui disant que le libertinage la préserverait de la tromperie, lui disant que les hommes libertins étaient plus honnêtes avec leur femme que les autres. Nathalie se sent manipulée. Une discussion s’engage avec son mari qui se conclut par l’idée que chacun a besoin de son jardin secret, chacun à son niveau, chacun avec des choses à dissimuler.
63Un an après ces événements, j’ai reçu un courrier dans lequel Nathalie m’annonçait que Daniel l’avait quittée pour la jeune femme dont il était tombé amoureux, qu’il avait trouvé un travail stable et qu’il se disait heureux. Elle m’apprenait aussi qu’Hugo avait mis fin à leur liaison pour se consacrer à une relation amoureuse clandestine avec une femme beaucoup plus jeune que lui. Nathalie était effondrée, perdue, sans repères. Elle m’écrivait qu’elle ne cessait de pleurer. Sur ces entrefaites, l’homme célibataire avec lequel Nathalie avait eu une aventure l’avait recontactée pour un moment « câlin », tout en lui précisant qu’il était très heureux avec sa compagne. Nathalie écrivait à la fin de sa lettre : « Je crois que les hommes sont heureux quand ils ont une femme et une maîtresse. »
Notes de bas de page
1 Plus tard ou jamais d’André Aciman fait le récit – quinze ans plus tard – des souvenirs amoureux exaltés d’Élio, un lycéen italien, pour son professeur américain, Oliver. Les deux hommes deviennent amants le temps d’un été. Oliver retourne aux États-Unis où il se marie alors qu’Élio, bien que vivant d’autres amours, ne l’oublie pas. Après de longues années, il retrouve son amour de jeunesse. Mais les retrouvailles sont décevantes. En définitive, le livre pose la question de l’éternelle nostalgie comme seule possibilité de vivre indéfiniment des amours rêvées.
2 Il est fait ici référence à l’essai de Virgina Woolf, Une chambre à soi, publié pour la première fois en 1929. L’auteure s’interroge sur la place des femmes dans l’histoire de la littérature et défend l’idée qu’une femme doit disposer « de quelque argent et d’une chambre à soi » si elle veut écrire un roman. La notion de « chambre à soi » est souvent reprise pour parler de la nécessité pour les femmes d’avoir une certaine autonomie au sein de l’espace domestique afin de préserver (ou de construire) une « identité à soi » qui ne soit pas absorbée par les obligations, contraintes et attendus familiaux.
3 Ce titre est une référence au livre d’Anna Gavalda, Je l’aimais (2002), adapté au cinéma par Zabou Breitman en 2009. Il s’agit de la confession d’un homme de 65 ans à sa belle-fille, que son mari a quittée pour une autre et à laquelle il raconte son amour passionné pour une femme, des années auparavant, alors qu’il était marié et père de famille. Il n’a pas su quitter son épouse et son amante l’a quitté, enceinte de leur enfant. Le narrateur exprime son amertume et ses regrets de n’avoir su faire d’autre choix que celui de son engagement conjugal.
4 « Libertin », « libertine », « libertinage » sont des termes euphémisants par les rapprochements qu’ils supposent avec un courant philosophique du xviie siècle. Ils désignent « diverses formes de pluripartenariat amoureux ou sexuel, notamment les pratiques de sexualité collective » (voir Combessie, 2015, p. 2).
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