Bourgeois mais pas bohèmes ? Les gentrifieurs vus par les populations « déjà-là »
p. 77-98
Texte intégral
1Il est courant de considérer, dans la littérature consacrée à la gentrification, que l’installation des classes moyennes et supérieures dans les anciens quartiers centraux s’accompagne de l’éviction des populations appartenant aux classes populaires. Pour le dire plus directement, la gentrification engendrerait l’expulsion, le déplacement forcé, ou même la « déportation » disent certains (Smith & Williams, 1986 ; Lelièvre & Lévy-Vroelant, 1992), des plus fragilisés socialement et surtout économiquement vers les espaces périphériques des villes (Marcuse, 1986). De nombreux travaux, en particulier dans le monde anglophone, sont consacrés à ce phénomène, qui continue d’alimenter les débats scientifiques (voir l’encadré). Les évictions peuvent être conduites de manière violente, par exemple via les opérations de démolition de logements ou bien à la suite des pressions de propriétaires attirés par le profit potentiel que représente leur bien immobilier. Elles sont aussi générées, plus indirectement et plus insidieusement, par l’augmentation du taux d’effort des ménages (loyers, taxes) ou la déstructuration des réseaux locaux de sociabilité et du cadre de vie. Sans nier l’existence de telles dynamiques, à la fois économiques, sociales et symboliques, plusieurs travaux, en particulier francophones (Authier, 1995 ; 1996 ; Lévy, 2002 a ; 2003), insistent toutefois sur l’idée « qu’il n’existe pas de linéarité dans le processus de gentrification », la gentrification pouvant être définie
comme un côtoiement de populations et de mobilités différenciées, comme le produit social d’un jeu complexe dans lequel sédentaires et mobiles se côtoient, où se conjuguent tout à la fois les mouvements de populations, les décisions d’aménagement, les stratégies d’acteurs et les manières particulières d’habiter et de cohabiter des différents groupes sociaux (Lévy, 2002 a, p. 200).
Les limites du schème de la « gentrification-déportation »
La littérature sur cette question trouve son inspiration dans les travaux de la sociologie urbaine marxiste menée en France dans les années 1960-1970 sur les effets sociaux de la rénovation urbaine, résumés dans l’expression désormais célèbre de « rénovation-déportation ». Ces travaux, en particulier ceux conduits par l’école de Nanterre autour de Manuel Castells (1973 a ; 1973 b ; Godard, 1973), ont largement inspiré, sans doute grâce au rôle joué par certains passeurs comme David Harvey (2012), de nombreux auteurs anglophones qui se sont intéressés très tôt à la gentrification, tel le géographe marxiste Neil Smith (1996). On doit ainsi l’essentiel de la littérature des années 1980 sur les évictions produites par la gentrification à la production anglophone (Lees, Slater & Wyly, 2010). Neil Smith forge justement l’expression « gentrification-déportation », qui sera reprise en France au début des années 1990 (Lelièvre & Lévy-Vroelant, 1992). C’est au cours de la décennie 1990 et dans les années 2000 que la recherche urbaine française sur la transformation des centres-villes aborde ce thème des évictions liées à la gentrification. Mais force est de reconnaître qu’elle ne le fait jamais frontalement, c’est-à-dire en le considérant comme un objet de recherche en soi, sans doute en raison des problèmes méthodologiques que pose un tel angle problématique. De fait, dans la majorité des travaux récents produits en France, l’éviction des populations les plus modestes est le plus souvent envisagée comme un effet implicite voire comme une conséquence évidente de la gentrification. Parallèlement, dans la même période et de l’autre côté de l’Atlantique ou de la Manche, après les précurseurs des années 1980 dont font partie Neil Smith ou Peter Marcuse, cette question a été quelque peu reléguée au second plan, au profit de travaux sur les dimensions culturelles du processus ou pour louer les bienfaits de la gentrification sur la revalorisation de quartiers considérés par les pouvoirs publics comme étant « en crise ». C’est précisément ce qu’a condamné vertement le géographe britannique Tom Slater (2009), ouvrant par là une controverse scientifique aux échanges parfois virulents : Slater s’alarme de l’absence de visée critique d’une grande part de la production anglophone sur la gentrification ; absence qui s’exprimerait par l’occultation, voire la négation, des enjeux d’éviction des populations des classes populaires.
2Ce chapitre s’inscrit dans la lignée des travaux de Jean-Yves Authier et Jean-Pierre Lévy, puisqu’il s’intéresse à la manière dont les populations « qui restent » appréhendent le changement social de leur quartier en voie de gentrification : comment ces habitants qualifient-ils ce changement social ? Plus précisément, comment appréhendent-ils la « gentrification » et l’arrivée de « gentrifieurs » dans leur quartier ? Mobilisent-ils la catégorie des « bobos » pour qualifier ces nouvelles populations ?
3Réussir à dénommer et à caractériser ce groupe composé de ceux « qui restent » présente une difficulté importante. Pour parler de ces habitants, nous aurons ici recours à l’expression de populations « déjà-là », qui a le mérite de se distancier de catégories trop conservatoires, telles qu’habitants « traditionnels » ou « anciens », ou trop réductrices, comme habitants « d’origine » ou « gentrifiés » ; autant de catégories pourtant largement mobilisées dans la littérature. L’expression permet aussi de faire face à la difficulté de la définition d’ordre sociologique du groupe concerné. Plusieurs travaux ont en effet montré que, dans les quartiers en gentrification, le groupe des « gentrifiés » n’a rien d’homogène du point de vue des propriétés sociales et démographiques (catégories socioprofessionnelles, positions sociales, âges, expériences migratoires et trajectoires résidentielles, composition des ménages), du rapport au quartier (résidents de longue date ou non, pratiques différenciées du quartier) ou encore des trajectoires sociales (Le Gates & Hartman, 1986 ; Lyons, 1992 ; Authier, 1995 ; 1996 ; Authier et al., 2001). Parler de population « déjà-là » conduit en réalité à privilégier une catégorie qu’on pourrait qualifier de « située ». Si l’on suit une grille de lecture régulationniste appliquée aux anciens quartiers ouvriers et industriels, on remarque qu’au-delà des fluctuations locales, l’étude historique de ces lieux révèle l’enchaînement, l’alternance de cycles associant des périodes de valorisation et de dévalorisation. Une périodisation en trois temps principaux peut ainsi être proposée (Demazière, 1998 ; 2000) : la naissance des quartiers ouvriers au xixe siècle, leur déclin progressif après la Seconde Guerre mondiale, à un moment où l’économie mondiale est active, enfin leur lent renouveau dans un contexte cette fois-ci de crise économique. L’usage et la définition de la catégorie de population « déjà-là » ne peuvent se comprendre indépendamment de la spécificité d’une telle trajectoire urbaine et contextuelle, et n’ont donc d’un point de vue théorique rien d’absolu ou de figé. Nous proposons d’articuler ici deux critères pour définir le groupe en question. Les populations « déjà-là » sont celles dont la présence dans le quartier étudié est liée aux étapes de développement industriel du quartier (jusque dans les années 1960), mais aussi à la crise du secteur (1960-1980), c’est-à-dire aux deux premières étapes de la trajectoire urbaine identifiées ci-dessus. Ce premier critère permet donc d’appréhender de manière dynamique les positions sociales et résidentielles les plus récentes des habitants « déjà-là », et donc, par exemple, les possibilités de mobilité sociale de membres des classes populaires. Il conduit également à considérer sur le même plan que les résidents actuels du quartier certains usagers qui le fréquentent au quotidien1. Ces derniers peuvent être d’anciens résidents ayant été évincés ou partis de leur plein gré et qui, par leur fréquentation régulière, continuent d’entretenir une relation étroite avec le quartier ; mais cela peut très bien être aussi des usagers plus récents mais dont la présence est liée à des réseaux sociaux et / ou à des filières ancrées de longue date dans le quartier. Le second critère concerne la position des habitants « déjà-là » à l’égard de la troisième étape de la trajectoire urbaine évoquée plus haut, celle de la requalification et de la gentrification du quartier. Les personnes dont il est question ont en effet en commun que leur présence n’est pas prioritairement ciblée par les principales actions de renouvellement urbain entreprises par les pouvoirs publics et / ou par les acteurs privés locaux2.
4L’analyse qualitative développée dans ce chapitre, dont les résultats n’ont d’autres prétentions qu’exploratoires, est construite à partir des données issues d’enquêtes réalisées entre 2003 et 2005 (Giroud, 2007 a) auprès de résidents et d’usagers de Berriat Saint-Bruno, un ancien quartier ouvrier et immigré en voie de gentrification de la ville de Grenoble. Le corpus analysé contient une trentaine de témoignages recueillis dans le cadre d’entretiens semi-directifs (ayant donné lieu à un enregistrement), mais aussi de nombreux entretiens plus informels (retranscrits dans un journal de terrain). Les réponses apportées à plusieurs questions sur l’évolution du quartier – « Quelles sont les évolutions actuelles à Berriat Saint-Bruno ? », « Considérez-vous que la population du quartier a évolué récemment ? » et « Si oui, quelle est pour vous cette nouvelle population ? » – permettent de mettre en évidence des visions contrastées du changement social en cours, puisqu’à l’image d’un quartier populaire et immigré qui se maintient répond celle d’un quartier en pleine mutation, devenu attractif pour les classes moyennes et supérieures.
Berriat Saint-Bruno : un premier stade de gentrification résidentielle dans un quartier ouvrier et immigré
5Dès la fin du xixe siècle, l’industrialisation (ganterie, métallurgie, mécanique) de Berriat Saint-Bruno, un faubourg de la ville, entraîne une urbanisation rapide et chaotique. Le peuplement est dû à l’arrivée de populations issues des régions rurales alentour, mais aussi d’Italiens venant travailler comme manœuvres, ouvriers qualifiés et petits commerçants. La désindustrialisation de Berriat Saint-Bruno démarre au début des années 1960 et augure une période de relégation marquée par la multiplication des friches industrielles, par une forte dégradation du cadre bâti et par la chute du nombre total d’habitants. Dans ce contexte, Berriat Saint-Bruno devient un quartier d’accueil et d’installation de populations maghrébines, algériennes puis tunisiennes, renouvelant ainsi son caractère populaire et son histoire migratoire. Si les premiers migrants s’installent souvent dans d’autres quartiers de Grenoble, ils investissent Berriat qu’ils connaissent pour le traverser quotidiennement sur le chemin des usines et, déjà, pour ses commerces spécialisés. Très vite, la force des réseaux migratoires fait de Berriat un lieu privilégié d’arrivée en France, de transit, puis d’installation, connu dans les régions d’origine dès l’élaboration du projet migratoire.
6Ce même quartier devient, à partir du milieu des années 1980, un espace stratégique à l’échelle métropolitaine. Ses potentialités en matière de développement économique (présence de ressources foncières, disponibilité de terrains), ses atouts potentiels auprès de ménages appartenant aux classes moyennes-supérieures (diversité des options résidentielles, localisation péricentrale) attirent l’attention de la municipalité de droite dirigée par Alain Carignon, qui tente de positionner la ville sur la scène internationale en tant que métropole de la haute technologie. Il s’agit alors pour lui de modifier l’espace tout comme l’image de Berriat Saint-Bruno en éliminant les traces du passé industriel et ouvrier, en dérégulant le foncier, en encourageant les rénovations privées de prestige et la construction d’un quartier d’affaires nommé Europole et inspiré de celui de La Défense à Paris. La municipalité socialiste de Michel Destot élue en 1994 poursuit le même objectif, via par exemple l’extension du site d’Europole ou le soutien à l’initiative privée pour créer une offre de logements neufs, tout en tentant de contrôler certains de ses effets sociaux, spatiaux et patrimoniaux. La municipalité impose notamment la production de logements sociaux dans certaines opérations privées, relance certains projets de réhabilitation des logements anciens en vue du maintien sur place de populations modestes, travaille à l’intégration spatiale et paysagère d’Europole dans son environnement. C’est aussi sous les mandatures de Michel Destot que Berriat Saint-Bruno est érigé en véritable « modèle grenoblois de la mixité3 », une mixité à la fois sociale, fonctionnelle et urbaine.
7La gentrification de Berriat Saint-Bruno est étroitement liée à cette stratégie municipale. Ainsi, à partir de la fin des années 1980, le quartier regagne des habitants, dans l’ensemble plutôt jeunes, et le nombre de logements vacants baisse. Même si les groupes visés n’entretiennent pas le même rapport à l’ancien, au passé ouvrier et au marquage populaire, ils ont en commun d’appartenir majoritairement aux catégories moyennes et supérieures. Berriat, dont près de la moitié de la population active est ouvrière, reste en effet un quartier populaire jusqu’au milieu des années 1970. À partir de 1975, la part des ouvriers dans cette population décroît de manière constante, passant de 33 % en 1982 à 12,4 % en 1999. Inversement, sur la même période, la part des cadres et des professions intellectuelles supérieures ne cesse d’augmenter, passant de 9,5 % à 22 %.
8Si la gentrification résidentielle apparaît comme relativement avancée, sa fréquentation, et donc la transformation de la scène commerciale – dimension importante du phénomène de gentrification –, est plus limitée. Certes, l’aménagement du quartier d’affaires Europole a attiré de nouveaux usagers, appartenant en majorité aux classes moyennes ou supérieures, mais ces derniers, qui viennent en train ou en tramway, s’attardent assez peu dans les alentours du site rénové (Giroud, 2007 a ; 2010). Leur présence est ponctuelle et éphémère, et elle n’affecte ni les rythmes quotidiens ni les marquages sociaux du quartier. De fait, la structure commerciale du quartier Berriat comprend en définitive assez peu de commerces spécifiquement destinés aux « gentrifieurs », qu’ils soient résidents ou de passage4. À l’instar de ce qui a été observé dans d’autres contextes urbains (Chabrol, 2011), le quartier se caractérise par un fort décalage entre les transformations de son espace résidentiel et celles de son espace commercial. Les commerces « maghrébins », pour certains installés dès la fin des années 1960 (Giroud, 2007 b), restent nombreux. L’offre proposée par ces entrepreneurs apparaît en réalité très variée, s’adressant tantôt à une clientèle relativement large (bars PMU, boulangeries, épiceries, kebabs, cafés-restaurants), tantôt à une clientèle plus spécifique, mais surtout populaire. Les boucheries hallal, les épiceries spécialisées, les salons de coiffure ou autres magasins de vêtements orientaux contribuent à faire du quartier l’une des principales centralités commerciales immigrées de la ville.
9À l’image de nombreux autres quartiers en gentrification, Berriat Saint-Bruno est parcouru de dynamiques urbaines et sociales complexes. La gentrification de l’espace résidentiel est loin d’être uniforme et ne concerne pas tous les segments du parc de logements. Certains secteurs concentrent des signes de précarité monétaire et de précarité liée à l’emploi caractéristiques de « populations plutôt sans enfant, avec de faibles ressources : personnes isolées, couples jeunes ou couples n’ayant plus d’enfant à charge » (Berthelot, 2008, p. 4), tandis que la surreprésentation de salariés à temps partiel laisse supposer la présence de travailleurs pauvres, notamment des anciens ouvriers immigrés. Se côtoient ainsi, à Berriat, des formes variées de différenciation sociale pouvant s’observer à des échelles fines. Comme nous allons le voir, cette pluralité des formes de division sociale trouve un certain écho dans les représentations des habitants « déjà-là ». Cette diversité de représentations s’explique aussi par celle des trajectoires et des positions (résidentielles, familiales, socioprofessionnelles, etc.) des habitants en question.
L’image persistante d’un quartier populaire et immigré
10Il existe une certaine inertie dans les représentations de Berriat Saint-Bruno. Une partie de ses habitants le considère en effet toujours comme un quartier populaire, ce qui l’identifie par rapport aux autres quartiers centraux de la ville. Dès lors, la perception du changement social diffère de celle à laquelle le chercheur pourrait s’attendre : l’attention se porte non pas tant sur le processus de gentrification et de « montée en gamme » du quartier que sur la permanence et la visibilité des populations immigrées. Cela révèle l’existence de luttes d’appropriation du quartier autres que celles qui pourraient opposer les habitants « déjà-là » aux « gentrifieurs ».
Un quartier vécu comme populaire par les classes populaires
11L’image d’un quartier populaire peu affecté par le changement social porté par la gentrification, qu’elle soit résidentielle ou de fréquentation, reste prédominante chez nos enquêtés. Ces derniers insistent sur l’homogénéité sociale des habitants, décrivant le quartier comme « populaire », « ouvrier », « immigré », occupé par « les personnes qui sont nées ici », des « personnes âgées », etc. La dynamique d’embourgeoisement est parfois évoquée, mais passe au second plan derrière la capacité des habitants « déjà-là » à se maintenir en tant que résidents et usagers du quartier. Ce sont surtout les habitants présents de longue date qui insistent le plus sur cette homogénéité sociale et les formes de continuités populaires dans l’espace résidentiel et dans les espaces publics.
12Les arguments mobilisés pour expliquer ces continuités populaires diffèrent cependant selon les individus. Le rôle de la structure commerciale et le dynamisme des stratégies commerciales mises en œuvre par les entrepreneurs maghrébins apparaissent comme déterminantes aux yeux de ces habitants. Ces entrepreneurs ont, il est vrai, développé très tôt une stratégie d’acquisition de locaux commerciaux mais aussi de logements, qui assurent une fonction d’accueil à des compatriotes. La structure commerciale attire de nombreux usagers d’origine algérienne ou tunisienne, dont certains ont pu résider dans le quartier.
13L’insistance sur le caractère populaire du quartier se retrouve chez d’autres habitants, engagés dans d’autres trajectoires et stratégies résidentielles, comme certains dont la gestion avisée d’un patrimoine immobilier hérité leur a permis, dans ce contexte de changement urbain, de réaliser des plus-values. Tout en se maintenant sur place, ces habitants parviennent à accumuler un capital inattendu du fait de la réhabilitation et de la vente d’un logement ou d’un ancien entrepôt ayant appartenu à leurs parents. En s’adressant à une clientèle ciblée, un tel processus de réhabilitation-vente montre que certains habitants « déjà-là » peuvent très bien participer à la transformation du quartier et spécifiquement à sa gentrification. C’est le cas d’Éric, 33 ans, fils d’ouvrier, lui-même ouvrier du bâtiment, résident du quartier depuis sa naissance, et qui est en train de réaliser une opération semblable (réhabilitation et vente d’un ancien atelier) :
Le changement ne se fera pas du jour au lendemain, c’est pas Europole où, en cinq ans, hop, on vire tout et on recommence ! Saint-Bruno, ils ne pourront pas faire ça. Mais bon, y a Carignon qui revient [...] Mais les gens ne partent pas vraiment du quartier. C’est pas vrai... Les gens que je connaissais, qui ont vendu leur maison, ils ont racheté un appartement à Saint-Bruno, par du bouche-à-oreille... Ils ont mis le prix aussi, parce que ça montait, ça montait ; mais ils ont racheté quelque chose à Saint-Bruno et ils ont gagné de l’argent. Ils sont restés dans le quartier. [...] Tu changeras pas le quartier, il restera comme il est. Avant qu’ils arrivent à prendre le quartier, il va falloir au moins vingt ans.
14L’insistance sur le caractère populaire de Saint-Bruno n’est pas sans contradiction. Elle s’explique sans doute par le fait qu’Éric, à l’image des autres personnes qu’il évoque, parvient à se maintenir dans le quartier. Or il ne se perçoit pas comme un acteur de la gentrification du quartier, mais bien au contraire comme un de ses habitants de longue date, issu des classes populaires. Il a ainsi le sentiment de se servir du changement urbain en cours et d’une certaine connaissance du marché immobilier pour améliorer sa situation économique tout en ayant la possibilité de rester sur place. Il existe aussi peut-être malgré tout un certain sentiment de culpabilité de sa part. Plus tard, il explique :
Comme j’avais les murs, j’ai demandé un permis de construire pour faire une résidence principale. J’ai pas eu envie de faire des appartements. J’aurais pu. J’ai 300 m2... mais je ne suis pas un capitaliste. Je voulais faire qu’une seule maison. Un loft en bas, les chambres en haut [...] Et l’appartement que je vais m’acheter, je peux aussi le louer parce que j’irai quand même bien aussi un peu à la campagne, avant de revenir pour mes vieux jours ; mais je veux le louer à petit prix parce que je trouve le prix des loyers aberrant. Je préfère mettre quelqu’un du quartier, louer pas cher, et voilà. Ici, j’ai trop de souvenirs. J’ai fait le marché, j’avais huit ans, je vidais les cageots, j’ai trop de souvenirs.
La peur de l’afflux d’immigrés
15L’absence de discours sur l’embourgeoisement du quartier renvoie à une autre perception de ses transformations : loin de se focaliser sur l’arrivée de ménages plus aisés, nombre d’habitants insistent sur l’augmentation du nombre d’immigrés. Plus précisément, le renouvellement et la consolidation des populations maghrébines sont mis en avant et présentés comme problématiques. Cette vision du quartier se retrouve chez deux types d’habitants « déjà-là ». Il s’agit d’abord de Blancs fortement ancrés dans le quartier et présents de longue date. Leur rapport quotidien au quartier révèle une forte dépendance à l’égard des ressources de proximité, notamment commerciales. Ils se retrouvent dans la critique virulente, souvent à relents racistes, des Maghrébins du quartier. Ainsi, pour une résidente installée depuis plus de soixante ans à Berriat l’évolution est significative : « Tout le quartier est envahi d’Arabes ! Les magasins sont tous achetés par les Arabes. Les Français ne veulent plus acheter. C’est une grande évolution ! Le quartier change, c’est ce qu’il faut retenir ! » Un commerçant implanté depuis le début des années 1990 dans le quartier abonde dans ce sens :
Combien on croise d’Européens le matin ? Des Arabes, il y en a de plus en plus... Mon erreur a été d’acheter ce fonds de commerce en 1993. Ça a bien changé, et ça a mal changé ! Le quartier se dévalorise au lieu de se revaloriser ! Mais il faut distinguer ceux qui sont là depuis longtemps, chez les commerçants, et ceux qui s’étalent, comme les kebabs.
16La présence maghrébine dans l’espace commercial sur laquelle se focalisent les commentaires est tenue pour responsable de la transformation du quartier. La fermeture des commerces traditionnels de bouche (boucherie, charcuterie, poissonnerie, boulangerie) qu’ils déplorent n’est pas attribuée à la concurrence des grandes surfaces, mais à la mobilisation des entrepreneurs maghrébins, implantés dans des réseaux locaux particulièrement puissants.
17Un second type d’habitants relaient cette vision critique des changements : il s’agit d’anciens migrants, surtout d’origine tunisienne, qui fréquentent le quartier depuis parfois plus de trente ans ; qu’ils y résident encore ou qu’ils en soient partis, ils y viennent quotidiennement pour ses ressources commerciales, sociales et symboliques. Berriat Saint-Bruno est devenu, selon leurs expressions, un quartier de « bledards » et de « clandos ». Le migrant d’aujourd’hui (« des Algériens », « des Africains ») est distingué de celui d’hier, à la fois par son statut administratif précaire ou inexistant, mais aussi par son attitude. Ainsi pour Rachid, 70 ans, ancien routier, présent dans le quartier depuis 1970, les nouveaux migrants sont assimilés à des délinquants :
Aujourd’hui, y a des bagarres, des coups de couteau, des morts, tout. Ils boivent et se cassent la gueule entre eux. Avant, c’était un quartier comme ça, maintenant c’est un quartier de clandos. Ils ont eu un laissez-passer, mais ils n’ont pas le droit de travailler... Ils dorment à droite à gauche, ils vont casser des voitures et vont voler... c’est n’importe quoi !
18Ce témoignage est corroboré par celui de Khaled, 42 ans, plaquiste dans le bâtiment, ayant résidé dans le quartier à son arrivée de Tunisie il y a une vingtaine d’années, et qui continue de venir à Berriat tous les jours :
Le changement, c’est Saint-Bruno... [C’est] plus compliqué... Les gens qui se plantent là-bas... c’est un peu compliqué pour eux aussi... Des demandeurs d’asile, ils n’ont pas le droit de travailler alors ils vont voler, casser des voitures et ils se plantent tous là-bas. Tu passes le matin, tu les vois, tu passes le soir, tu les vois... Des gens d’Algérie, des Noirs... Ils vendent du shit, ils vont salir le quartier... Avant, on travaillait le matin, on allait au parc l’après-midi, on était connu par tout le monde, même par les flics... Tranquilles, sans ces problèmes... Maintenant, on te regarde, faut marcher les mains sur les poches... C’[était] la belle vie avant ! C’est dommage. C’est pour ça qu’on s’est éloignés... Mais moi, je l’adore le quartier Saint-Bruno... J’ai commencé à faire ma vie à Saint-Bruno...
19On a bien affaire ici à des formes de compétition sociale et territoriale, mais elles se jouent entre des « établis » et des « outsiders » (Elias & Scotson, 1997) qui ne sont pas les gentrifieurs mais les vagues nouvelles de migrants. On comprend alors l’absence de référence à l’embourgeoisement ou à la gentrification du quartier. Le ressentiment est d’autant plus vif que ces anciens migrants tunisiens ont en réalité été délogés par ceux qu’ils qualifient de « clandos » algériens ou africains de la place du marché, qui représente la centralité économique, mémorielle et donc stratégique du quartier. Pour ces Tunisiens, cette place du marché a joué un rôle important dès leur arrivée en tant qu’espace d’intégration non seulement dans le quartier mais aussi à l’échelle de la ville. C’est le lieu des rencontres entre amis et connaissances, celui où on se donne rendez-vous pour discuter. C’est ainsi le lieu où circulent les informations sur des opportunités de logement, d’investissement et surtout de travail, que ce soit dans les commerces ou les chantiers de l’agglomération. L’arrivée de nouvelles générations et de nouveaux profils de migrants a profondément bouleversé ce fonctionnement, notamment en imposant une certaine concurrence sur le marché du travail informel. L’occupation des emplacements stratégiques pour obtenir des informations ou de ceux traditionnellement appropriés par les anciens migrants, comme les terrasses de café ou certains coins de rue, a aussi donné lieu à des frictions et à des conflits, parfois assez violents (insultes, bagarres), entre les différents groupes. Ces luttes pour l’appropriation de la place du marché ont alors conduit au déplacement d’une partie des anciens migrants, qui se sont repliés sur d’autres emplacements plus excentrés.
L’image émergente d’un quartier qui s’embourgeoise
20Toutefois, les représentations des habitants « déjà-là » ne peuvent se caractériser uniquement par leur inertie. Le quartier n’est en effet pas pour tout le monde « populaire » ou « immigré », et la gentrification n’est pas toujours occultée ou reléguée comme une forme secondaire de changement social. D’autres habitants insistent au contraire sur la requalification du quartier, portée et rendue visible par les opérations urbaines de rénovation, de réhabilitation ou d’aménagement des espaces publics depuis près de trente ans. Émerge ainsi dans les discours une autre figure : celle des classes moyennes et supérieures, qui donne toutefois lieu à des appréciations contrastées.
Un quartier menacé
21Dans plusieurs entretiens, la requalification du quartier est associée à l’embourgeoisement de sa population résidente. Le changement social en cours est souvent présenté sur un mode binaire, opposant un groupe social à un autre dans la compétition pour l’accès et l’appropriation aux ressources, notamment résidentielles, du quartier. La requalification et l’embourgeoisement du quartier sont qualifiés de « menace » et de « perte » pour le quartier. On retrouve ici les processus et les argumentaires qui constituent l’essentiel du schème de la « gentrification-déportation » (voir l’encadré), montrant une certaine convergence entre discours ordinaires et discours savants. La persistance au sein des classes populaires de la distinction entre le « eux » et le « nous » décrite par Richard Hoggart dans son étude sur les classes populaires dans les villes industrielles du nord de l’Angleterre au milieu du xxe siècle (1970) croise ainsi la grille néomarxiste insistant sur les effets sociaux de la gentrification, en particulier en matière d’évictions et d’exclusions.
22Une première catégorie d’habitants « déjà-là » critiques correspond à ceux dont la présence, dans l’espace résidentiel ou dans l’espace public, est directement menacée, ou ressentie comme telle, par les opérations de requalification en cours ou programmées. Ces personnes âgées, des ménages d’origine immigrée présents de longue date, ou leurs descendants, ont en commun de n’être que locataires de leur logement. Que leur position dans l’espace résidentiel soit en danger ou non, la transformation du quartier représente pour tous ces individus un enjeu important, notamment symbolique, tant leur attachement et leur ancrage local sont forts. Ils sont là depuis leur naissance ou depuis leur arrivée en France et le quartier constitue l’espace où non seulement se cristallise un grand nombre de souvenirs, mais où se joue aussi l’essentiel des sociabilités quotidiennes.
23Des résidents moins fragiles socialement et économiquement mais tout de même menacés par les transformations en cours car non protégés par un statut de propriétaire peuvent partager le même discours critique. Bernard, 44 ans, technicien à la régie des eaux de Grenoble, est locataire de son logement depuis 1995. Au moment de la réalisation de l’entretien, il est directement menacé par le projet d’une opération de rénovation d’un promoteur immobilier privé :
Un jour, cette baraque va être rasée. On était six locataires... Mon propriétaire m’a dit qu’il voulait la vendre... Un promoteur va se mettre là-dessus et on fera la même chose qu’à côté. Faire du pognon... C’est abordable pour personne... Ils vont arriver à raser tout le quartier si ça continue... Ils peuvent faire plein de tours. À très long terme, je le vois comme ça. C’est la course au fric.
24Un dernier groupe, qui partage l’attachement au quartier de la première catégorie de résidents, apparaît moins directement menacé. Il s’agit ici de résidents de longue date, ayant grandi dans le quartier, aujourd’hui âgés de 30 à 45 ans. Enfants d’ouvriers qui ont travaillé dans les usines du quartier, ils sont pour la plupart ouvriers eux-mêmes ou ont connu de petites ascensions sociales vers des occupations d’employés ou d’artisans. À la différence de ceux, comme Éric évoqué plus haut, qui ont hérité d’un patrimoine immobilier qu’ils ont réussi à valoriser, ces habitants ont rarement accumulé un capital important. Ils sont souvent locataires, mais peuvent aussi être, certes plus rarement, propriétaires de leur logement. Ce statut de propriétaire, tout en les protégeant, ne les conduit toutefois pas à tenir un discours sur le potentiel immobilier et économique de leur bien ; ce qui s’explique en partie par une faible maîtrise du marché immobilier et une piètre connaissance des projets urbains en cours, mais aussi par l’absence de formulation de projets – résidentiel, professionnel ou familial – qui les mèneraient en dehors du quartier.
Un quartier valorisé
25À l’inverse, l’embourgeoisement du quartier peut être appréhendé comme une forme positive de changement. L’installation ou la fréquentation des classes moyennes et supérieures n’est dépeinte ni comme un danger ni même comme un enjeu pour le quartier : au contraire, en étant associés à la requalification urbaine en cours, ses effets sociaux sont minorés et, plus que cela, acceptés et valorisés. Cette représentation est celle d’habitants qui expriment un certain intérêt à voir leur quartier évoluer ainsi. Dans ce sens, cette catégorie se distingue de celle évoquée précédemment de résidents ayant réalisé une opération immobilière avantageuse mais qui en conçoivent une certaine culpabilité. Cet intérêt peut être en premier lieu d’ordre immobilier et foncier. On retrouve en effet plusieurs ménages installés de longue date dans le quartier et ayant pu, à un moment de leur trajectoire, acquérir leur logement. C’est le cas de Grazia (technicienne de surface dans une école du quartier) et Aldo (plombier retraité), qui ont investi dans le quartier au moment où il était dévalué et en crise : ce couple d’immigrés italiens est parvenu à acheter son logement en 1969, en premier lieu parce que les prix étaient à l’époque très bas, mais aussi parce qu’il a su mobiliser son réseau social (incluant le voisinage) pour emprunter de manière informelle l’argent nécessaire pour l’opération. Pour Aldo, 59 ans, les changements du quartier sont positifs, en particulier parce qu’ils apportent de la jeunesse à un quartier perçu comme vieillissant : « Maintenant, cela a apporté beaucoup de jeunesse ! À midi, on voit toujours les jeunes avec des sandwichs dans les mains. Avant, c’était plus vieux, cours Berriat. Europole, c’est un quartier très moderne, donc y a beaucoup d’étudiants. Ça a amené la jeunesse ! »
26Grazia et Aldo n’avouent toutefois pas que leur logement a pris une valeur inespérée du simple fait de la requalification des espaces publics alentours, de la réalisation d’opérations récentes dont certaines d’envergure, de la présence de nouveaux usagers et du changement de l’image du quartier. La plus-value effective ou potentielle, produite par simple effet de « mobilité passive » (Lévy, 2002 b), représente une aubaine financière qui permet au couple de réévaluer sa position sociale et résidentielle. Comme l’explique Aldo, « j’ai payé l’appartement 73 000 francs à ce moment-là, et même un peu moins car le propriétaire nous connaissait, alors il a baissé le prix quand il a su que c’était pour moi et pour le mariage. Le prix est passé à 69 000 francs, et il vaut facilement 1 million aujourd’hui ». Cette situation est source de satisfaction pour Aldo et Grazia, précisément parce que leurs revenus n’ont, au cours de leur existence, jamais été très élevés. Originaires du même village du sud de l’Italie, ils se sont connus en 1968. Si la venue de Grazia à Grenoble date de 1969, année de mariage du couple, Aldo y est installé depuis 1946. Il a suivi ses parents venus travailler dans les usines grenobloises (fonderie Merlin Gerin), celles-ci étant alors à la recherche d’une main-d’œuvre bon marché, mais aussi parce que certains membres de sa famille y étaient présents depuis les années 1920. Après avoir vécu « dans des conditions insalubres » dans le quartier italien de Grenoble (Saint-Laurent), les parents d’Aldo ont acheté en 1958 un petit appartement dans un immeuble alors en construction à Berriat. Grazia, après avoir élevé ses deux filles, âgées de 30 et 33 ans au moment de l’enquête, est devenue technicienne de surface, emploi qu’elle exerce depuis vingt-deux ans, et Aldo, après avoir enchaîné les petits boulots, a suivi une formation pour devenir plombier. Au-delà de la satisfaction affichée par Aldo au sujet de son bien immobilier, deux éléments sont pour lui source de « grande fierté » : le fait que leur fille aînée soit devenue professeure de collège et qu’elle ait été récemment titularisée ; le rachat par leur fille cadette de l’appartement de ses parents à Berriat. La valorisation de la requalification du quartier et de son embourgeoisement s’explique donc en ce que ces dynamiques constituent pour le couple un levier financier et qu’elles ne représentent ni une menace ni un obstacle pour les projets de leurs enfants.
27L’intérêt pour l’embourgeoisement du quartier peut aussi être d’ordre symbolique. C’est ce que révèlent plusieurs entretiens réalisés avec d’anciens résidents du quartier, d’origine maghrébine, qui continuent de le fréquenter au quotidien. Pour Mounir, 31 ans, peintre d’intérieur, ayant déménagé de Berriat en 2005 :
ce sont des gens qui sont tranquilles, ils sont propres, des intellectuels, des gens qui travaillent pour gagner de l’argent, des cadres, des privés. [...] Les populations aisées, c’est pas la peine de résister... Ces gens-là, ils sont bien dans leur vie, ils respectent, ils sont propres... T’auras pas de problème avec eux...
28Dans le même sens, pour Morad, 28 ans, ouvrier du bâtiment, résident du quartier jusqu’en 2000 : « Les riches ne vont pas envahir ! De toute manière, c’est comme ça partout, à Grenoble. Les personnes riches... C’est pas un problème ! Ils vivent dans les beaux bâtiments propres et nickel... C’est bien, on avance !! »
29La propreté et la modernité des lieux comme des personnes ainsi mises en avant ne peuvent qu’interroger sur leur négatif, la saleté et l’atonie implicitement visées d’autres lieux et d’autres personnes. La critique renvoie ici autant à la compétition pour le contrôle des emplacements que se livrent ces habitués du quartier avec les nouveaux migrants précarisés qu’à certaines situations propres aux grands ensembles dans lesquels ils vivent désormais. Bien évidemment, de telles positions ne peuvent se comprendre sans rappeler que les changements à l’œuvre ne remettent pas véritablement en cause le rapport que ces habitants entretiennent avec le quartier, parce qu’ils ne modifient profondément ni la structure commerciale ni la vocation mémorielle de certains lieux, le fonctionnement des réseaux sociaux associés à cette structure ou à cette vocation, et donc les raisons de venir.
30Enfin, loin d’être perçue comme une relégation spatiale et symbolique, la coprésence, notamment dans les quelques commerces gentrifiés du quartier, avec les nouveaux résidents ou les usagers issus des classes moyennes et supérieures peut en effet être valorisée et recherchée. Ces situations de coprésence sont en effet présentées comme autant d’opportunités d’avoir des interactions sociales, même minimales, par exemple sous la forme de ce qu’Isaac Joseph, inspiré de Erving Goffman, appelle l’inattention civile : « L’inattention civile est une forme minimale de l’interaction qui demande qu’on sache atténuer l’observation. Précisément parce qu’elle commande de ne pas fixer le regard, c’est, avant tout échange verbal, la première étape de la rencontre. » L’auteur insiste particulièrement sur l’importance socialisante de « cette forme “pauvre” d’interaction, à la limite de l’évitement et de la rencontre » (Joseph, 1998, p. 100). C’est exactement ce qu’expriment Fayçal (manœuvre dans le bâtiment) et Amed (conducteur d’engins), deux Tunisiens arrivés en France au début des années 2000, qui ne résident pas dans le quartier mais le fréquentent régulièrement (notamment parce qu’ils connaissent bien certains résidents de longue date, comme Rachid, cité plus haut) :
Avant, on était dans un restaurant tunisien situé à cent mètres, et puis on s’est dit, mais « qu’est-ce qu’on fait là ? Il n’y a que des hommes ! » Alors on est venus dans ce café, parce qu’il y a les étudiantes de l’école de commerce, les mères de famille, les avocates, et tout. On aime bien venir ici.
31Ce témoignage souligne que la fréquentation de ce café est fortement liée à la recherche d’interactions avec « l’autre différent » (Remy, 2002), ici défini dans un double rapport, de genre et de classe. L’attirance bien connue des gentrifieurs pour une mythologie ouvrière et une identité populaire à des fins de distinction trouve ainsi, en certains lieux et moments, un contrechamp puisque le rapport à l’altérité apparaît inversé.
Un quartier sans « bobos » ?
32Même parmi ceux qui perçoivent les changements, que ce soit pour les déplorer ou pour s’en féliciter, les catégories « gentrifieur » et « bobo » ne sont pas utilisées pour qualifier les nouveaux habitants. Si le non-usage du terme « gentrifieurs » s’explique par son origine scientifique, celui de la catégorie des « bobos », plus médiatique et intégrée au langage courant, surprend davantage. En réalité, les catégories désignant des inégalités sociodémographiques mais faisant partie du langage ordinaire prédominent chez des enquêtés en majorité issus des classes populaires. On peut distinguer cinq principaux critères énoncés ici par ordre décroissant, du plus au moins utilisé : le critère de classe (« des bourgeois », « des classes moyennes et des classes élevées », « des classes sociales très élevées », « des gens qui travaillent pour gagner de l’argent », « des riches [versus] des pauvres », « les populations aisées », etc.) ; l’âge (« les vieux meurent, les jeunes, qu’on connaît pas, arrivent ») ; le niveau de qualification (« des intellectuels, des cadres, des privés », « des personnes qui ont fait des études », « des étudiants », « des avocats », etc.) ; le critère de l’apparence (« des gens en costume », « gens branchés », « des gens tranquilles, propres », « des gens bien », etc.) ; enfin, le sexe (« de jeunes mères de familles », « des étudiantes », etc.).
33Tandis que le critère de classe et celui de l’âge ont tendance à être mobilisés pour évoquer les nouveaux résidents, ceux relatifs à la qualification, à l’apparence ou au sexe renvoient plutôt aux nouveaux usagers du quartier. Il apparaît cependant difficile, étant donné le matériau dont nous disposons, d’aller plus loin dans l’analyse des logiques de catégorisation. Les critères de classe, de qualification et d’apparence sont autant utilisés par des habitants de longue date que par ceux qui se sont installés plus récemment dans le quartier, par des résidents comme par des usagers. On peut toutefois souligner que les membres des classes populaires en ascension sociale semblent moins s’appuyer sur le critère de classe que ceux dont la situation sociale apparaît comme plus fragile ou précaire. Le critère de l’âge apparaît aussi, assez logiquement, plus présent dans les représentations des personnes âgées que dans celles des plus jeunes. Quant au critère du sexe, ce sont essentiellement des hommes, usagers réguliers du quartier, anciens résidents ou non, qui s’y réfèrent.
34Dans ce processus de catégorisation, aucun des habitants « déjà-là » n’a évoqué les valeurs que l’on associe généralement aux choix résidentiels ou de fréquentation des gentrifieurs ou des « bobos », à savoir, entre autres, la recherche du quartier-village, de l’animation de quartier, des sociabilités de voisinage, l’attrait de l’ancien, de l’authentique, du cosmopolitisme, etc. Plus globalement, la gentrification comme processus n’est pas vraiment identifiée comme tel. C’est d’ailleurs en partie pour cela que nous avons préféré jusqu’à maintenant l’emploi du terme d’« embourgeoisement », dynamique fortement ressentie et exprimée par les enquêtés, plutôt que celui de « gentrification » pour qualifier l’arrivée de nouveaux habitants issus des classes moyennes et supérieures. Ce résultat soulève dès lors la question de la manière dont le processus est rendu visible, non pas pour le chercheur, mais pour les populations qui sont censées l’expérimenter au quotidien. Si la transformation du paysage urbain, due à des opérations de rénovation ou de réaménagement des espaces publics et associée à des dynamiques de recomposition sociale, est souvent évoquée dans les entretiens, rien n’est vraiment dit sur les transformations moins visibles du parc de logements, à savoir sur les réhabilitations, nombreuses dans le parc ancien, centrales dans la définition même du processus de gentrification. Les seules fois où la transformation du bâti ancien est évoquée, c’est par des enquêtés qui en sont, sans le savoir, des acteurs décisifs, comme c’est le cas des natifs du quartier, propriétaires héritiers d’anciens logements ou entrepôts, qui revendent leur bien pour faire une plus-value et réinvestir ailleurs dans le quartier – et qui engendrent de fait une offre résidentielle spécialisée dans l’ancien.
35L’absence de référence aux « bobos » résulte sans doute aussi du fait que la gentrification et les gentrifieurs sont peu perceptibles dans les espaces collectifs, publics ou privés. Ceci est à l’évidence lié à la forme de gentrification de Berriat, qui a peu affecté la structure commerciale du quartier. Mais cela renvoie également au fait que beaucoup des habitants « déjà-là » interrogés ont en définitive une expérience concrète assez limitée ou du moins diluée de la présence des gentrifieurs. Les occasions sont en effet plutôt rares pour les populations « déjà-là » d’identifier les gentrifieurs, mais aussi d’expérimenter le ton qu’ils peuvent collectivement réellement donner en matière de marquage social des lieux. Certains événements définis comme caractéristiques de la gentrification, tels que les repas de quartier ou les vide-greniers, pourraient en être l’occasion. Mais ces événements sont très souvent des moments d’entre-soi, soit parce que les gentrifieurs les envisagent ainsi et mettent en place des dispositifs de filtrage, soit parce que les habitants « déjà-là », par manque d’intérêt, d’identification à la démarche ou par effet d’autocensure, ne les fréquentent pas. Ce fut par exemple le cas lors de la Fête de la couleur, au printemps 2003, qui s’est déroulée dans deux rues du quartier, fermées à la circulation pour l’occasion. Il s’agissait de célébrer ce qui constitue une des caractéristiques premières du quartier aux yeux des organisateurs, tous issus des classes moyennes, récemment installés dans le quartier et qui ne sont pas sans rappeler ceux que Patrick Simon appelle les « militants (associatifs) du cadre de vie » (1998) : les couleurs symbolisaient la mixité sociale et culturelle de Berriat, élément fondateur de leurs représentations individuelles et donc de la représentation collective issue de leur réunion. Or, force a été de constater que les couleurs célébrées se sont trouvées davantage inscrites dans les décorations, les tissus et les peintures mis en scène pour l’occasion que sur les visages des participants, non pas du fait d’une clôture physique ou de dispositifs de contrôle des espaces de la fête, mais plutôt d’un mélange d’indifférence et d’autocensure sociale de la part des habitants « déjà-là » d’origine immigrée.
36D’autres occasions renvoient aux moments de coprésences quotidiennes dans les espaces publics, les commerces ou les écoles du quartier. Or, dans de telles situations d’interactions potentielles ou effectives, il n’est pas toujours évident de repérer qui est gentrifieur et qui ne l’est pas. Comment en effet savoir que l’on côtoie ou non des gentrifieurs ? Tous ne correspondent pas aux clichés que les sphères politiques, médiatiques, voire parfois scientifiques, s’attellent à produire en se fondant essentiellement sur un descriptif de canons vestimentaires ou physiques, de comportements publics ou de pratiques urbaines. L’origine sociale, les trajectoires biographiques, les modes d’habiter et donc le fait d’être potentiellement un gentrifieur ne sont pas visibles a priori et ne peuvent être véritablement évalués par la seule observation réalisée de l’extérieur. Dès lors, puisque les gentrifieurs « ne se voient pas » toujours, qu’ils sont « là sans être là » car ils ne constituent pas un collectif visible, clairement identifiable et envahissant, on comprend mieux pourquoi la référence péjorative aux « bobos » n’est pas plus mobilisée et pourquoi, plus globalement, les représentations critiques à l’égard des effets sociaux de l’embourgeoisement ne sont pas plus nombreuses.
*
37Le premier apport de cette analyse réside dans la démonstration que les quartiers en gentrification sont parcourus de dynamiques sociales multiples et que l’embourgeoisement ou la gentrification ne sont pas automatiquement ressentis en tant que tels par tous les habitants « déjà-là ». D’autres processus, comme ceux liés aux dynamiques migratoires, aux relations interethniques ou à la paupérisation, peuvent être considérés par certains comme dominants ou plus marquants. En outre, quand l’embourgeoisement est perçu – à défaut de saisir la gentrification stricto sensu –, il n’est pas non plus appréhendé par tout le monde comme une menace ou une évolution condamnable. Ceci prouve encore une fois toute la diversité interne aux populations « déjà-là » qui, pour une grande part, appartiennent aux classes populaires. Ce sont bien le positionnement des habitants « déjà-là » par rapport à la gentrification et, plus précisément, les intérêts engagés (patrimoniaux, immobiliers, symboliques, sociaux) par un tel positionnement qui dessinent les contours d’une critique possible à l’égard du processus et de ses acteurs. On peut aussi émettre l’hypothèse que l’absence de critique dissimule chez certains habitants une forme de fatalité face à la gentrification qui peut elle-même s’interpréter en termes d’intériorisation de rapports de domination sociale et économique. Tout en gardant à distance le spectre du misérabilisme et de la surinterprétation surplombante, on peut en effet s’interroger, en mobilisant tout particulièrement les réflexions de Michel Foucault sur la discipline et l’autogouvernement (1975), sur le sens chez certains de leur déni du processus, chez d’autres de la propension à le défendre et à le promouvoir. Éric Le Breton parle même d’aliénation pour évoquer ces « mécanismes invisibles qui opèrent dans le champ vague de la vie quotidienne » et qui « fondés sur la persuasion » ont pour « objectif d’enrôler les personnes dans le fonctionnement des dispositifs dont elles sont victimes » (2012, p. 33). Mais à ce stade, une investigation plus approfondie et des entretiens plus poussés s’avèrent indispensables pour pouvoir véritablement percevoir derrière l’absence de critique à l’égard de la gentrification et des gentrifieurs l’expression d’une quelconque forme de domination ou, pire, d’aliénation.
38Quoi qu’il en soit, dans le cadre de ce travail, la représentation de la gentrification et la qualification des gentrifieurs n’engagent presque jamais la catégorie des « bobos ». Pour être plus précis, c’est la composante « bohème » de la catégorie qui n’est jamais ressortie des entretiens. En revanche, le premier terme, celui de « bourgeois », a été cité plusieurs fois et on peut interpréter certaines expressions (« riches », « gens avec de l’argent », etc.) comme autant de ses déclinaisons. Ceci étant dit, très peu d’enquêtés s’attardent véritablement sur les modes de vie de ces nouveaux habitants ou sur les rapports de domination sous-jacents, c’est-à-dire sur ce qui fait qu’ils appartiennent à une certaine « bourgeoisie », et on peut considérer que la référence au « bourgeois » relève davantage de la rhétorique que d’une description contextualisée et fine d’une catégorie sociale. Le « bourgeois » est plus évoqué pour son argent et son capital économique que pour son capital culturel, ses valeurs, son mode de vie, son investissement dans les enjeux locaux ou son héritage, ce qui apparaît contradictoire avec les conclusions les plus récentes sur l’appartenance ou non des gentrifieurs à la bourgeoisie (Collet, 2015). Mais le « bourgeois » est aussi évoqué pour son altérité et son extériorité, ce qui rappelle certains aspects de l’opposition entre le « eux » et le « nous » décrite par Richard Hoggart (1970). L’antagonisme, s’il peut être considéré comme un facteur de cohésion de la catégorie « populations déjà-là » en dépit de sa diversité intrinsèque, apparaît toutefois plus ou moins tranché selon les individus. Il n’engage en tout cas presque jamais un discours teinté de crainte, de méfiance, ni même d’hostilité ou de mépris.
39En définitive, on peut penser que le recours abusif à la catégorie des « bobos » dans la sphère politico-médiatique a été à ce point erratique et stigmatisant qu’il la rend sans doute peu opératoire pour retranscrire le vécu quotidien des individus. Le « bobo » ne renvoie-t-il pas au fond à une catégorie médiatiquement construite qui ne circule que dans certains espaces et dont le contenu apparaît trop éloigné des gens et de leur perception des réalités sociales ? Et que dire de catégories récemment médiatisées comme celle, pourtant ancienne, du « hipster » ou celle, plus contemporaine, du « bonobo » (bourgeois non bohème) ? Autant d’interrogations qui laissent songeur quant à la pertinence du passage dans le monde social et dans la réalité quotidienne de catégories médiatiques produites très souvent rapidement pour attirer l’attention du lecteur et « créer le buzz ».
Bibliographie
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10.4324/9781315889092 :Notes de bas de page
1 C’est pour cette raison que nous parlons d’« habitants » et non uniquement de « résidents », en référence au concept d’habiter, qui définit les manières dont les individus habitent un ensemble de lieux mis en réseau, soit « une manière de synthétiser un ensemble de pratiques des lieux » (Stock, 2004, p. 7), quels que soient ces lieux.
2 C’est, au passage, selon une telle acception que nous mobilisons la notion de « continuités populaires » (Giroud, 2007 a ; 2011), en référence aux présences, usages, signes et représentations qui perdurent dans l’espace (géographique, social, symbolique) en dépit de ces opérations urbaines et du processus conjoint de gentrification.
3 C’est ainsi que Berriat Saint-Bruno a été présenté au public grenoblois par la municipalité, dans le cadre d’une exposition intitulée Comment Grenoble change... De Berriat à Villeneuve, qui s’est tenue du 26 janvier au 6 avril 2006.
4 La littérature sur les formes commerciales de la gentrification est abondante (voir par exemple Chabrol, Fleury & Van Criekingen, 2014).
Auteur
Matthieu Giroud était maître de conférences en géographie à l’Université Paris-Est Marne-la-Vallée et membre du laboratoire Analyse comparée des pouvoirs (EA 3350). Ses recherches portaient en particulier sur les effets sociaux de la gentrification (résistances, évictions), il est d’ailleurs l’un des coauteurs de Gentrifications (Éditions Amsterdam, 2016). Il contribuait plus largement à l’épistémologie de la géographie par un travail d’édition critique et avait ainsi coordonné la traduction de l’ouvrage de David Harvey Paris, capitale de la modernité (Prairies ordinaires, 2012) et, avec Cécile Gintrac, le recueil de textes Villes contestées : pour une géographie critique de l’urbain (Prairies ordinaires, 2014).
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La Jeune sociologie urbaine francophone
Retour sur la tradition et exploration de nouveaux champs
Jean-Yves Authier, Alain Bourdin et Marie-Pierre Lefeuvre (dir.)
2014