1. Présentation
p. 9-83
Texte intégral
Du cloître à l’itinérance
1Lorsqu’il est arrivé à Genève en 1430, peu après Pâques, qui tombait cette année-là le 16 avril, Baptiste de Mantoue était depuis longtemps un prédicateur habitué à prendre la parole en présence d’une foule nombreuse, et capable par ses sermons de susciter l’adhésion des auditeurs et parfois l’admiration des puissants qui étaient présents à ses prêches. Le bénédictin n’imaginait sûrement pas que l’étape genevoise allait bientôt se révéler pour lui fort dangereuse et que le contenu de ses sermons, sans doute déjà proposé à maintes reprises à d’autres endroits et à d’autres publics, allait faire l’objet de critiques virulentes susceptibles même de le conduire devant un tribunal inquisitorial. Tout avait pourtant commencé de la meilleure manière. Arrivé à Chambéry vers la fin du mois de janvier, il avait prêché chez les frères Mineurs, entre autres pour la fête de la Chandeleur (2 février), ainsi que deux ou trois fois au couvent des dominicains. Les sermons qu’il avait proposés dans la capitale administrative de la Savoie avaient été écoutés par du beau monde et personne n’avait émis de soupçons au sujet de l’orthodoxie de l’enseignement que le moine bénédictin avait dispensé. Bien au contraire. Aux dires de Michel de Fer, le trésorier ducal, presque tous les meilleurs clercs de Chambéry s’étaient rendus à ses sermons et le chancelier de Savoie Jean de Beaufort avait publiquement loué les prédications de Baptiste5. Une juive de la ville, une certaine Gueyta, avait même été mise à l’amende par le châtelain car, émue jusqu’aux larmes par les mots du bénédictin, elle avait dérangé l’assistance tout au long d’un sermon6. De Chambéry, Baptiste était reparti en direction de Genève. Il avait probablement prêché sur le chemin à Aix-les-Bains7 et par la suite donné ses premiers sermons dans le diocèse genevois à Rumilly (fig. 1). L’évêque François de Metz, informé de la présence du prédicateur, avait chargé son official Henri Favre d’aller s’informer sur place pour savoir en vertu de quelle licence le moine bénédictin se permettait de prêcher dans le diocèse et s’assurer que l’enseignement de celui-ci était conforme à la doctrine de l’Église. Henri Favre avait rencontré Baptiste à Sallenôves, sur la route qui menait à Genève. Il l’avait accompagné jusqu’à la ville épiscopale et avait ainsi eu l’occasion de discuter longuement avec son compagnon de route. Les propos que celui-ci avait tenus avaient impressionné très favorablement l’official8.
Moine et prédicateur
2Quelle avait été la vie de ce moine avant sa venue à Genève ? Le premier document connu qui mentionne Baptiste de Mantoue date du 15 août 1411. Ce jour-là, dans l’église du monastère de Santa Giustina de Padoue, Baptiste fit sa profession et rejoignit la communauté que dirigeait l’abbé Ludovico Barbo9. À cette date, il avait peut-être déjà reçu l’ordination sacerdotale, car quelques mois plus tard, le 9 novembre, il est mentionné parmi les moines in sacris10. Sa profession à Santa Giustina avait sans doute été provoquée par le désir d’adhérer au mouvement de réforme initié depuis 1409 par Ludovico Barbo et qui se proposait de revenir à une observance plus stricte de la règle bénédictine. La communauté monastique que Baptiste intégra en 1411 était encore bien modeste, car à cette époque seuls quelques moines avaient fait le choix de s’engager dans la voie du monachisme austère que prônait l’abbé de Santa Giustina11. Au cours des années suivantes, le monastère de Padoue devint certes le centre d’une congrégation dont l’essor fut rapide et considérable, d’abord en Italie du nord et du centre et ensuite dans toute la Péninsule, à tel point que vers la fin du xve siècle la grande majorité des bénédictins italiens se réclamait d’elle. Lorsque Baptiste décida de devenir profès de Santa Giustina, le succès des idées réformatrices de Ludovico Barbo était toutefois loin d’être acquis, malgré l’afflux de nouveaux adeptes au cours des années 1410 et 1411, un afflux qui avait permis de pallier la défection de quelques-uns des moines qui avaient été parmi les premiers à rejoindre l’abbé12.
3La rencontre de Ludovico Barbo a sans doute représenté pour Baptiste de Mantoue un des tournants les plus importants de sa vie. Non seulement parce que c’est à la suite d’une décision de son abbé que Baptiste a vraisemblablement commencé sa carrière de prédicateur, mais surtout parce que, comme nous le verrons, son supérieur ne l’abandonnera jamais à son destin. Lorsque, désormais évêque de Trévise, l’ancien abbé entreprit trois ans avant sa mort survenue en 1443 la rédaction d’une lettre destinée à faire connaître aux membres de la congrégation l’histoire des premiers temps du mouvement de réforme qu’il avait initié et dirigé, Ludovico Barbo n’oublia pas de mentionner celui qui avait été parmi les premiers à le rejoindre13. Les lignes qu’il lui consacra révèlent l’affection qu’il nourrissait encore à cette époque pour Baptiste, une affection qui le poussa d’ailleurs à passer sous silence certains épisodes qu’il connaissait parfaitement. Il préféra rappeler que lorsqu’il souhaita étendre son mouvement à d’autres monastères, il chargea un certain nombre de ses moines de se rendre à Milan pour réformer l’abbaye de San Dionigi. L’abbé de celle-ci, Antoine de Restis, avait auparavant résidé à Santa Giustina pendant plusieurs mois14. C’est donc en toute logique qu’il s’était tourné vers les moines de Padoue lorsqu’il avait décidé de réformer sa maison. D’après Ludovico Barbo, les habitants de la puissante ville de Milan réservèrent aux moines de Santa Giustina un accueil très favorable. Les fidèles vinrent en masse écouter le verbum Dei dispensé par les moines réformateurs et San Dionigi bénéficia de riches aumônes. Celui qui brilla le plus par ses sermons et la vigueur avec laquelle il combattait les vices fut Baptiste de Mantoue, le seul parmi tous ceux qui avaient été envoyés à Milan qui est nommément cité par l’ancien abbé de Santa Giustina. D’après le récit de celui-ci, les sermons de Baptiste attiraient une foule nombreuse, à tel point qu’aucune église de la ville n’était suffisamment grande pour l’accueillir et qu’il fallut construire une chaire dans les champs pour permettre à tout le monde d’assister à ses prédications. Grâce à celles-ci, de nombreux jeunes empruntèrent la voie de la conversion et choisirent de rejoindre la communauté monastique.
4La réforme de San Dionigi doit être située selon toute vraisemblance aux environs de l’année 1415, puisque Ludovico Barbo paraît la considérer comme étant contemporaine de celle du monastère de Santo Spirito de Pavie15. Nous ignorons cependant combien de temps a duré le séjour de Baptiste de Mantoue à Milan, tout comme la date à laquelle il a prêché à Pavie et à Gênes. Dans la ville lombarde, les sermons qu’il a donnés paraissent avoir été accueillis favorablement : son supérieur raconte que l’abbesse du monastère de Sangro, maison où la discipline religieuse était tombée au plus bas, éprouva pendant un prêche de Baptiste une telle componction qu’elle se leva et se déclara publiquement coupable et en danger de damnation éternelle. Elle décida alors de se ‘convertir’ et de cloîtrer son monastère, vers lequel affluèrent par la suite de nombreuses moniales. À Gênes aussi la prédication de Baptiste ne laissa pas indifférents les auditeurs : les sermons qu’il donna contre la mode des faux cheveux et les ornements superflus des femmes auraient convaincu plusieurs d’entre elles de les brûler publiquement16. Pendant ces années, Baptiste ne prêcha pas uniquement en Lombardie et en Ligurie. Grâce à la déposition du peintre piémontais Giacomo Jaquerio, nous savons qu’il fut également actif dans le Piémont occidental. Jaquerio déclare en effet l’avoir entendu prêcher plusieurs fois dans cette région et plus précisément dans le cloître du couvent franciscain de Pignerol, où quelques années auparavant Vincent Ferrier avait également pris la parole. Il l’avait également vu célébrer la messe dans la chapelle du palais de Louis d’Achaïe de Pignerol environ une année avant le décès de celui-ci, survenu le 11 décembre 1418. Le prince d’Achaïe paraît même avoir noué avec Baptiste des relations assez étroites, car le peintre piémontais rappelle que le bénédictin n’hésita pas à lui adresser de nombreuses réprimandes et à lui donner des instructions ‘secrètes’, ce qui pourrait laisser penser qu’il en était devenu le confesseur pendant quelque temps.
Lombardie et Piémont, terres de tension
5Les régions de la Lombardie et du Piémont dans lesquelles Baptiste de Mantoue a été actif en tant que prédicateur étaient depuis au moins la fin du xive siècle traversées par des tensions et des inquiétudes religieuses profondes, dont il est cependant difficile de brosser un portrait précis. La division de la Chrétienté en deux obédiences qui s’opposaient depuis 1378, les difficultés économiques et sociales récurrentes depuis au moins le milieu du xive siècle ainsi que l’instabilité politique et les conflits plus ou moins importants et fréquents qui en découlaient, ont certainement contribué à créer un climat favorable à la diffusion d’expériences religieuses les plus diverses, allant de la contestation explicite et radicale de l’Église, de ses institutions, de ses rites et de sa doctrine, aux tentatives de promouvoir la régénération de la Chrétienté par le biais d’une réforme en profondeur non seulement de l’institution ecclésiastique elle-même mais de la vie des fidèles aussi17. Ce n’est sans doute pas par hasard qu’en 1403 le dominicain aragonais Vincent Ferrier, rendant compte depuis Genève à son supérieur Jean de Puynoix de son action au Piémont et dans les proches vallées, avait insisté sur le fait que ses interventions avaient été orientées vers la lutte contre l’hérésie d’une part et la pacification des communautés de l’autre18. Quelques années plus tard, toujours en Italie du Nord, Vincent Ferrier avait pris connaissance de quelques récits concernant la naissance de l’Antéchrist qui circulaient dans cette région19. Sans nécessairement se superposer, les tensions religieuses et celles de nature politico-sociale ont constitué selon toute vraisemblance un terrain favorable à la diffusion dans Faire subalpine et lombarde de thèmes et de réflexions qui alimentaient les attentes eschatologiques, que ce soit celles des fraticelli et des communautés hérétiques qui se réclamaient des doctrines joachimites ou celles des fidèles qui avaient adhéré au mouvement des Bianchi, dont le relais fut pris quelques années plus tard par les flagellants apparus à la suite du passage de Vincent Ferrier20. En l’absence de sources suffisamment explicites, et en particulier de sermons recueillis à l’audition, il est impossible de connaître avec une certaine précision les thèmes et les réflexions que les prédicateurs itinérants qui parcouraient la Lombardie et le Piémont proposaient à leurs auditeurs. Mais il semble bien que la plupart de ceux-ci, avec des modalités et des finalités qui pouvaient être très variables d’un individu à l’autre, adoptaient volontiers une perspective eschatologique dans leurs prédications aux laïcs, ce qui leur permettait entre autres de souligner l’urgence de la pénitence et d’une vraie conversion.
6C’est surtout grâce à deux écrits du frère augustin Andrea Biglia qu’il est possible d’entrevoir l’action de certains prédicateurs itinérants en Lombardie et dans le Piémont occidental ainsi que leur influence sur une partie du laïcat aussi bien urbain que rural. Originaire de Milan, dont il écrivit une histoire qui couvre les années 1401-1430, Andrea Biglia était entré dans l’ordre des Ermites de Saint Augustin en 1412 et avait étudié à Padoue, au studium generale de l’ordre, de 1413 à 141821. Devenu lector du couvent de Santo Spirito de Florence sans doute en septembre 1418, il occupa cette charge jusqu’en juin 1423. Il poursuivit par la suite son activité à Bologne, Pavie et Sienne, où il décéda en 1435. Auteur très prolifique, l’humaniste Andrea Biglia a pu pendant son séjour florentin observer de près les agissements du frère dominicain Manfred de Verceil, présent à Florence de mai 1419 à octobre 1423 et initiateur d’un mouvement pénitentiel réunissant des hommes et des femmes qui avait vu le jour en Italie du Nord quelques années auparavant. Andrea Biglia paraît avoir pris position contre Manfred de Verceil au moins dès Carême 1420 dans un sermon qui réfutait les affirmations eschatologiques du dominicain. Quelques années plus tard, en 1423-24 ou en 1426-2722, il rédigea une Admonitio adressée à Manfred de Verceil, qui est en réalité un sévère réquisitoire contre le prédicateur dominicain. D’après ce que l’on peut déduire du récit de F augustin, Manfred de Verceil aurait commencé à prêcher à Milan et dans les environs de la ville vers 1417 ou 1418. Aux dires du Biglia, les sermons du dominicain avaient trouvé un écho très favorable surtout auprès des hommes et des femmes incultes de la campagne, dont plusieurs avaient choisi de le suivre tout au long de ses déplacements23. Lorsqu’il prêchait, Manfred de Verceil n’hésitait sans doute pas à adopter une perspective eschatologique assez marquée, s’inspirant peut-être de son désormais célèbre confrère Vincent Ferrier, qu’il louait publiquement et dont il reprenait peut-être les idées lorsqu’il annonçait comme imminente la venue de l’Antéchrist24. Certes, à Florence Manfred avait eu l’occasion d’expliquer personnellement à Andrea Biglia que son discours à caractère eschatologique était au service de l’appel à la conversion, car il visait à susciter la crainte salutaire des pécheurs25. L’augustinien était cependant peu enclin à accepter ce type d’explication, d’autant plus qu’il avait pu observer de près les retombées négatives pour son ordre du succès des prédicateurs qui diffusaient des idées de cette nature. 11 remarque en effet que la prédication de Vincent Ferrier en 1416 à Toulouse avait provoqué une telle haine à l’égard des frères mendiants qui s’adonnaient à l’étude de la philosophie et de la théologie que ses confrères de la ville n’avaient plus bénéficié d’aucune aumône, si bien que plusieurs frères du couvent qui abritait le studium autrefois florissant des augustins, faute de ressources suffisantes, avaient dû se déplacer à Padoue où lui-même les avait vus arriver26.
7Il n’est malheureusement pas possible de préciser à partir de quelle année Manfred de Verceil a commencé ses prédications en Lombardie et au Piémont. On sait cependant, grâce au récit de l’augustin, que les enseignements du dominicain n’ont pas suscité l’adhésion uniquement des auditeurs laïcs, mais aussi celle de quelques clercs. Biglia rappelle ainsi qu’un certain Galvano, un dominicain originaire de Pavie, s’était fait le propagateur des idées de Manfred et n’hésitait pas à déclarer dans les sermons qu’il donnait à Milan que le dominicain était son maître, son père et son précepteur, tout en invitant ses propres auditeurs à le tenir pour un homme d’une très grande piété et sagesse27. Sans doute parce qu’à l’époque où il écrivait Galvano de Pavie s’était éloigné du mouvement de Manfred et était semble-t-il devenu maître de théologie à Rome, Biglia paraît faire preuve d’une certaine indulgence vis-à-vis de celui-ci. Il n’en va pas de même d’un autre prédicateur qui lui aussi avait contribué au succès de Manfred de Verceil : Baptiste de Mantoue. Qualifié de très ignorant, inepte et stupide, Baptiste est accusé par l’humaniste cultivé qu’était Biglia d’avoir en quelque sorte préparé le terrain à Manfred de Verceil, et par la suite d’avoir enseigné que celui-ci était un homme saint et que le mouvement auquel il avait donné naissance était d’une beauté et d’une sainteté incontestables. En dépit de l’aversion profonde qu’Andrea Biglia exprime pour ce que Baptiste de Mantoue représentait et sans doute aussi pour sa personne – il ne se prive d’ailleurs pas de le décrire comme un moine au triste culte, au triste visage et s’adonnant à des prédications misérables –, l'Admonitio permet de constater que le moine de Santa Giustina a exercé une intense activité de prédicateur itinérant et que ses prêches ont été écoutés par des foules énormes, aussi bien dans les bourgs que dans les villes28. Avait-il, à l’instar de Manfred de Verceil, annoncé lui aussi la fin du monde pour l’année 142329 ? Rien ne permet de l’affirmer. Ce qui est certain, c’est que son action et ses sermons n’étaient pas du goût de tout le monde. De passage à Milan en octobre 1418, le pape Martin V, qui avait auparavant résidé pendant trois mois à Genève d’où il était parti au début du mois de septembre en direction du Piémont30, lui interdit de prêcher, mesure qui frappa peu après également Manfred de Verceil31. Selon toute vraisemblance, l’interdiction fut prononcée peu après le milieu du mois, car on sait que le 19 le pape était à Milan32.
8Alors qu’il résidait à Bologne, Andrea Biglia intervint à nouveau contre un prédicateur qui jouissait désormais d’une grande réputation, le franciscain de l’Observance Bernardin de Sienne33. Le traité qu’il lui adressa et qu’on peut dater du printemps 142734, visait pour l’essentiel à critiquer et à condamner le culte du monogramme du nom de Jésus que le franciscain toscan avait initié et diffusé dans une bonne partie de l’Italie du Nord. Malgré son ton polémique, il constitue un des rares témoignages permettant de retracer les premières années de la prédication de Bernardin. C’est en partie grâce à lui que nous savons que les sermons de Bernardin de Sienne n’ont de loin pas suscité dès le début l’engouement des auditeurs. L’augustin, présent à Padoue en 1413 lorsque Bernardin prêcha sur l’Apocalypse, se plaît à relever que les fidèles qui se rendirent à ses sermons ne furent pas très nombreux. Il en alla de même quelques années plus tard, en 1416, à Mantoue et de nouveau à Padoue35. D’après Andrea Biglia, le succès ne serait arrivé qu’avec l’apparition de la célèbre tablette sur laquelle était représenté le monogramme du nom de Jésus, nouveauté qui aurait été introduite lors des sermons que le franciscain donna à Milan au cours de l’année 1417. Ce succès, selon l’avis de l’augustin, aurait d’ailleurs été aisé à obtenir, puisque « aucune province, de toutes celles d’Italie, n’était davantage apte [que la Lombardie] à accueillir ce genre d’excitations »36. À tel point que même un prédicateur ignorant comme Baptiste de Mantoue avait réussi à susciter l’admiration des foules. Une fois encore, Andrea Biglia se sert de la figure de Baptiste – à laquelle il associe à nouveau Galvano de Pavie, Manfred de Verceil ainsi qu’un Albert et un Antoine que rien ne permet d’identifier pour formuler des critiques virulentes contre une manière de prêcher qui, à ses yeux, ne se proposait pas de transmettre un enseignement doctrinal et moral susceptible de permettre aux fidèles d’améliorer leurs connaissances religieuses, mais qui faisait au contraire volontairement appel à des thèmes et à des artifices qui avaient pour seul objectif de provoquer des réactions émotives de la part des auditeurs. Se donnant à voir comme s’il était presque lui-même le Christ, Baptiste de Mantoue aurait ainsi diffusé parmi les nombreuses femmes qui le tenaient en grande vénération des rumeurs ‘insensées’, qui concernaient peut-être la venue prochaine de l’Antéchrist. Son enseignement aurait rencontré une telle adhésion auprès des milanais que, lorsque le vicaire de l’archevêque essaya de le faire taire, il faillit se faire lapider. D’après le récit de l’augustin, ce n’est que grâce au pouvoir ducal que l’insolence de Baptiste put enfin être jugulée37, ce qui pourrait laisser supposer que c’est Philippe Marie Visconti qui demanda l’intervention de Martin V.
Un prédicateur reconnu mais contesté
9Au-delà de l’image négative du moine de Santa Giustina que les deux pamphlets d’Andrea Biglia s’efforcent d’élaborer et de transmettre – image qui insiste en particulier sur le caractère ignorant et superstitieux de ses enseignements ainsi que sur la prédisposition des muliercule et des agrestes à se laisser facilement entraîner par certains arguments trompeurs – il convient de rappeler qu’à l’instar de quelques autres prédicateurs itinérants actifs pendant ces années qui avaient su conquérir par leurs sermons une audience populaire considérable, Baptiste de Mantoue était sans aucun doute apprécié également par une partie des membres des élites urbaines et, comme en témoignent ses relations avec Louis d’Achaïe, par certains grands seigneurs laïcs. À Florence, Manfred de Verceil avait lui aussi réussi à impressionner par sa vie et ses paroles les membres de quelques grandes familles de la ville. Lorsqu’il fut convoqué à Rome en 1423 pour qu’il se justifie devant le pape, la Seigneurie de Florence n’hésita d’ailleurs pas à écrire à son orateur à la cour pontificale pour lui demander d’intervenir en faveur du frère dominicain38.
10Aucun document ne permet de savoir ce qui s’est passé après l’interdiction pontificale de prêcher qui fut signifiée à Baptiste de Mantoue en 1418. Ce n’est qu’en mai 1421 qu’on retrouve la trace de celui-ci à Venise, où il avait cette fois-ci été incarcéré dans la prison épiscopale. Le 5 mai de cette année Martin V ordonna à Ludovico Barbo de ramener à Padoue sous bonne escorte Baptiste, qualifié d’élève de l’iniquité, et de veiller à ce qu’il ne puisse ni sortir du monastère de Santa Giustina ni s’adonner d’une quelconque façon à la prédication. À Venise, Baptiste n’avait manifestement pas respecté l’interdiction de prendre la parole en public, si bien que le pape avait ordonné au vicaire de l’évêque de Castello (Venise) de l’emprisonner dans l’attente d’une décision. Martin V avait par la suite mandé l’évêque de Castello, Marco Lando, pour qu’il procède à l’application des peines dont Baptiste avait été menacé en cas de non respect de l’interdiction de prêcher. L’évêque de Castello avait cependant intercédé en faveur du bénédictin, et c’est sans doute cette intervention qui avait amené le pape à accepter que celui-ci soit placé sous la responsabilité de l’abbé de Santa Giustina39. Un mois plus tard, le 5 juillet, Martin V était à nouveau intervenu pour cette fois-ci atténuer l’interdiction de prêcher qu’il avait réitérée : avec la licence de Ludovico Barbo, Baptiste était à nouveau autorisé à donner des sermons. Le même jour, le pape expédia une autre lettre par laquelle il ordonnait de libérer Baptiste de la cellule dans laquelle il avait été enfermé à Santa Giustina afin qu’il puisse réintégrer la vie normale de la communauté bénédictine. Il précisa cependant que, si l’abbé devait décider d’accorder la licence de prêcher à Baptiste, celle-ci devait être confirmée par une licence officielle délivrée par le Saint-Siège40.
11Combien de temps Baptiste de Mantoue est-il resté à Santa Giustina ? S’il est impossible de répondre avec précision à cette question, tout comme de savoir quand Ludovico Barbo l’autorisa à reprendre son activité de prédicateur, le témoignage du peintre Giacomo Jaquerio, qui paraît l’avoir bien connu et rencontré à plusieurs occasions, suggère que lorsque le bénédictin arriva à Genève il était sur la route depuis déjà un certain temps. Le périple qu’il avait entamé depuis la Vénétie l’avait amené jusqu’au sud de la France et au-delà des Pyrénées. En décembre 1428, il avait prêché au couvent dominicain de Chieri et peu après à Turin, où il avait sévèrement réprimandé une dame de la noblesse, la femme du seigneur de La Chautagne, localité savoyarde située sur la route menant de Seyssel à Aix-les-Bains, qui s’était présentée au sermon avec un couvre-chef à cornes élevées, ornement certes à la mode mais que les moralistes regardaient comme l’expression de la vanité et de la luxure féminines et que Baptiste avait déjà combattu une dizaine d’années auparavant à Gênes. À cette époque, selon le peintre piémontais, le bénédictin avait la réputation d’être un bon prédicateur et sa vie et sa doctrine faisaient l’objet d’appréciations très positives dans toute la ‘patrie’, ce qui paraît indiquer que Baptiste était resté assez longtemps au Piémont.
12Au cours de ses déplacements, Baptiste de Mantoue était allé prêcher jusqu’en Catalogne. C’est sans doute lors de ce voyage qu’il avait été amené à donner des sermons à Montpellier, dans le Dauphiné et en Avignon. Il n’est pas impossible que le bénédictin soit arrivé à Chambéry en janvier 1430 depuis Avignon, car trois témoins de l’enquête font état du succès des sermons que Baptiste avait donnés dans cette ville et de la bonne réputation dans laquelle le tenaient ceux qui l’avaient écouté41.
Baptiste de Mantoue à Genève
13Le lendemain de son arrivée à Genève, Baptiste dut se présenter à la maison épiscopale, où l’évêque François de Metz avait convoqué un certain nombre de frères dominicains et franciscains, plusieurs juristes et sans doute aussi quelques membres du chapitre afin de déterminer si on allait donner au bénédictin la licence de prononcer des sermons en ville. L’examen permit d’établir que le moine italien était un bon clerc et que la doctrine qu’il professait était tout à fait conforme à celle de l’Église. L’évêque lui accorda donc l’autorisation de prêcher. Tous les témoins confirment que pendant environ deux mois, depuis la dernière ou l’avant-dernière semaine d’avril jusqu’au 29 juin, Baptiste de Mantoue a beaucoup prêché. Selon toute vraisemblance il a prêché uniquement chez les dominicains du couvent de Palais et les franciscains du couvent de Rive.
Les couvents mendiants
14Le couvent des frères prêcheurs était situé au sud de la ville, en dehors des fortifications (fig. 2). C’est au cours des années soixante du xiiie siècle que les dominicains s’étaient installés à Genève, sans doute grâce à l’appui du comte de Savoie et à celui de certains bourgeois de la ville42. Détruit au cours de la première moitié du xvie siècle, le couvent occupait une surface assez importante et comprenait plusieurs bâtiments protégés par une enceinte43. Dans l’église, de dimensions semble-t-il assez considérables, les autels et les chapelles étaient nombreux, tout comme les pierres tombales des membres des familles les plus en vue de la ville. Le complexe conventuel comportait plusieurs bâtiments ainsi qu’une hôtellerie et des logements pour les personnages importants de passage. Les frères disposaient d’un cloître qui leur était réservé, alors qu’un deuxième cloître, beaucoup plus grand, était utilisé aussi bien pour des activités à caractère religieux telles que la prédication – c’est dans ce cloître que Vincent Ferrier avait prêché en décembre 1403 et janvier 1404 que pour réunir la communauté des bourgeois de la ville lorsque les conditions météorologiques étaient mauvaises. Baptiste de Mantoue a certainement prêché chez les dominicains au moins à deux reprises, dont l’une le 11 juin, jour de la fête de la Trinité.
15C’est cependant chez les franciscains que le bénédictin paraît avoir prononcé le plus grand nombre de sermons. Situé à l’autre extrémité de la ville par rapport à celui des dominicains, le couvent des franciscains se trouvait dans la paroisse de la Madeleine, juste à côté de la porte de Rive par où entraient les voyageurs qui rejoignaient Genève depuis Thonon (fig. 2). Les franciscains s’étaient établis à Genève dans le courant du xiiie siècle, pratiquement en même temps que les frères prêcheurs44. L’église des frères Mineurs abritait elle aussi de nombreuses chapelles ; le cloître, situé au sud de celle-ci était fermé par des bâtiments conventuels dans lesquels se trouvaient le réfectoire, la salle capitulaire, les dortoirs, etc. (fig. 3). Devant l’entrée de l’église une vaste esplanade que le lecteur du couvent Louis Salomon désigne par les mots de platea gallilea45, peut-être parce que sa disposition rappelait celle des galilées des églises clunisiennes46, permettait d’accueillir une foule nombreuse. Vers la fin du xve siècle cet espace fit l’objet de travaux d’aménagement assez importants afin de pouvoir mieux accueillir les prédicateurs et leurs auditeurs47. À cette époque elle était désormais appelée la platea predicationis (fig. 4). Baptiste a certainement prêché au couvent de Rive le 4 juin (dimanche de la Pentecôte), le 15 juin (Fête-Dieu) ainsi que le jeudi 29 juin (fête de Pierre et Paul). Les témoins mentionnent parfois l’endroit précis où il a pris la parole : chez les dominicains dans le grand cloître et chez les franciscains dans le cloître intérieur, dans le verger, dans l’église conventuelle, dans la chapelle capitulaire et surtout à l’extérieur des bâtiments, sur la place située devant l’église48. D’après le frère mineur Pierre Crotet, du couvent de Dijon, la place située devant l’église de Rive était l’endroit où Baptiste aurait prêché le plus souvent. Jean de Vernier, le gardien du couvent, précise que pendant son séjour le bénédictin prit la parole chaque jour, ce qui suggère qu’au total Baptiste aurait prononcé à Genève une bonne soixantaine de sermons49.
Le message religieux
16Quel a été le message religieux que le moine italien a proposé aux habitants de la ville ? Aucun de ses sermons n’ayant été conservé50, il faut se contenter d’essayer de répondre à cette question en faisant appel aux déclarations des témoins de l’enquête. Il convient cependant de rappeler au préalable que ces derniers ont été interrogés sur la base d’un questionnaire qui visait uniquement à réfuter les affirmations des adversaires de Baptiste, et non pas à décrire l’ensemble de son activité de prédicateur. C’est donc pour l’essentiel sur les points controversés que l’enquête fournit quelques renseignements. Il faut de même noter que les témoins censés s’exprimer en faveur de Baptiste n’ont pas tous entendu la totalité des sermons. Seuls huit d’entre eux ont été présents tous les jours ou presque tous les jours. Six témoins déclarent sans autre précision avoir écouté plusieurs sermons, six autres entre quatre et dix sermons, alors que Pierre Chantaduci n’a été présent que deux fois et Jacques Avelli une seule fois. Les trois auditeurs les plus assidus sont trois laïcs : le notaire Jean Jacel, le marchand François de Versonnex et le peintre Giacomo Jaquerio. En revanche, un seul religieux affirme avoir été présent à presque tous les sermons, le franciscain Jean de Vernier. Enfin, bien qu’aidés par le questionnaire que les notaires chargés de l’enquête leur ont soumis, les témoins semblent avoir eu quelque difficulté à se souvenir avec précision de ce qu’ils avaient entendu. Leurs réponses, qui nous sont accessibles uniquement par le biais de la version en latin qu’en ont donnée les commissaires de l’évêque, sont bien souvent imprécises et plutôt vagues. Presque tous les témoins sont en effet incapables de mentionner ne serait-ce qu’un seul des versets thématiques à partir desquels Baptiste a construit ses sermons, exception faite des frères Mineurs Louis Salomon et Jean Gay – le premier a retenu un des themata et le second trois – et du marchand François de Versonnex, qui se souvient du verset liminaire du sermon donné le 29 juin. Plus que l’enseignement doctrinal ou les explications ponctuelles proposés par le prédicateur, ce qui est resté dans la mémoire de la majorité des auditeurs deux mois après avoir écouté les dernières prédications du bénédictin est en définitive une impression générale : celle que Baptiste a très bien prêché, qu’il a dit de bons mots sur les vertus et combattu avec vigueur les vices et les péchés, qu’il a su indiquer à chacun la voie du salut et que ses paroles témoignaient d’une foi profonde et d’une charité sincère. Clercs ou laïcs, les témoins semblent ainsi avoir été frappés surtout par le charisme du moine prédicateur, par sa capacité à faire partager à son public le sentiment que la présence aux sermons pouvait leur procurer de grands bienfaits spirituels, supérieurs à ceux qu’ils pouvaient espérer de leurs pratiques religieuses ordinaires. Si nous ne savons rien de la manière dont Baptiste de Mantoue mettait en scène et interprétait ses allocutions – l’enquête ne fournit aucun renseignement au sujet de l’apparence, des gestes ou de la voix du bénédictin – la plupart des témoignages montrent que son arrivée en ville à été ressentie comme un événement important, parfois même comme une chance assez extraordinaire qu’il fallait saisir, quitte à réorganiser sa vie quotidienne en fonction de cette présence51. À l’instar d’autres prédicateurs célèbres de son époque, Baptiste de Mantoue était conscient du fait que là où il prenait la parole il allait se retrouver au centre de l’attention des communautés qui l’avaient accueilli. Il savait sans doute aussi comment entretenir et cultiver cette attention.
Les sujets ‘sensibles’
17Au cours de ses prédications genevoises, le bénédictin a certainement abordé plusieurs sujets ‘sensibles’, aussi bien d’un point de vue doctrinal qu’ecclésiologique. Pour la fête de la Trinité, Baptiste a certainement traité du Père, du Fils et du Saint-Esprit ainsi que de la Résurrection. Parmi les auditeurs étaient présents également des juifs et une partie du sermon a été consacrée à la personne du Christ afin de leur montrer que le Messie qu’ils attendaient s’était déjà manifesté52. Il est vraisemblable que le bénédictin a traité de la double nature du Christ, d’où l’allusion à l’amour de Dieu qui aurait contribué à la génération du Fils pour rendre possible la Rédemption et la Résurrection53. La fête de la Trinité offrait bien entendu une occasion propice aux prédicateurs qui souhaitaient mettre en évidence l’aveuglement du peuple juif qui leur avait empêché de reconnaître le vrai Messie. Ils pouvaient d’ailleurs compter sur une abondante littérature qui nourrissait la polémique anti-juive depuis bien longtemps. Baptiste de Mantoue paraît cependant avoir voulu œuvrer à la conversion des juifs principalement par le biais de la persuasion, se disant même prêt à renoncer à la foi chrétienne et à se convertir au judaïsme si quelqu’un était capable de lui prouver par des arguments bibliques que ce qu’il venait d’affirmer était faux54. Tout au long du sermon, il paraît s’être adressé aux juifs sur un ton dénué d’agressivité, ce qui lui sera plus tard reproché, même si la présence des juifs de la ville dans le cloître des dominicains n’était probablement pas tout à fait volontaire. Le climat général, aussi bien dans le duché de Savoie qu’en ville, était cependant peu propice aux attitudes bienveillantes à l’égard des juifs55. En 1428, après plusieurs interventions56, la communauté juive de la ville avait en effet été confinée dans un ghetto. L’année suivante, un certain Moïse de Narbonne avait été condamné par la commune à la pendaison pour des raisons inconnues57. Pendu vivant et par les pieds aux fourches de Champel, il avait été tué à coups de bâton par un maître lainier qui dut par la suite verser une composition au duc de Savoie parce qu’il avait agi « au-delà de ce que prévoyait la sentence »58.
18Dans le sermon donné pour la Fête-Dieu, Baptiste a une fois encore profité de l’occasion liturgique pour développer un enseignement doctrinal portant sur le sacrement de l’eucharistie. D’après ce que l’on peut savoir, le bénédictin aurait abordé aussi bien le problème de la double nature du Christ que celui de sa présence sacramentelle à plusieurs endroits au moment de la célébration eucharistique. Le sujet était sans doute assez difficile pour l’auditoire devant lequel il a été développé, car seuls deux témoins semblent avoir saisi l’importance doctrinale qu’il fallait accorder à l’adverbe sacramentaliter. Si ce que son procureur déclare correspond à la vérité, le bénédictin se serait en fait limité à proposer à son auditoire un enseignement qui reposait sur celui de Thomas d’Aquin59. Un des arguments qu’il aurait développé est d’ailleurs présent dans certains traités concernant le sacrement de l’eucharistie60.
L’enseignement à caractère moral
19Plusieurs sermons semblent en revanche avoir eu une orientation davantage morale. La charité et l’amour pour le prochain ont certainement fait l’objet d’un enseignement assez développé, et c’est peut-être en relation avec ces deux thèmes que Baptiste de Mantoue, dans un prêche donné chez les franciscains61, se serait aventuré dans des explications concernant la propriété privée qui l’auraient amené à remarquer qu’en cas de nécessité, selon le droit naturel, tous les biens étaient communs, idée elle aussi largement présente dans la pensée juridique médiévale. De même, Baptiste paraît avoir abordé à plusieurs reprises le problème du péché, en distinguant entre péchés véniels et péchés capitaux et en détaillant sans doute aussi les différents types de péchés, tels que la luxure, l’avarice, etc. Une fois encore on retrouve dans les dépositions des témoins l’écho de thèmes qui étaient largement présents dans la prédication de la fin du Moyen Âge : celui de la légitimité ou non du mensonge permettant d’éviter un péché ou un crime sujet amplement traité par saint Augustin et qui grâce aux Sentences de Pierre Lombard était devenu un passage obligé de l’enseignement scolastique celui du statut de la fornication simple, c’est-à-dire en gros du concubinage-, et enfin celui de l’accumulation des péchés véniels, susceptible de transformer ces derniers en péché mortel. Le bénédictin paraît avoir défendu le plus souvent des positions rigoristes même si, une fois encore, il n’est guère possible de reconstituer le détail des enseignements qu’il a proposés. On peut tout de même estimer que c’est dans le cadre des sermons consacrés aux sujets de cette nature qu’il a également traité de la pénitence et de la confession. Baptiste a sans doute insisté sur l’idée que chaque fidèle était tenu de posséder un certain nombre de connaissances afin de pouvoir accéder au sacrement de la pénitence. Mais il a aussi mis en garde ses auditeurs du danger que représentaient les confesseurs dépourvus de la scientia indispensable à l’administration de ce sacrement. En cas de doute au sujet des compétences de leur confesseur, il leur aurait même suggéré de réitérer la confession et de veiller à choisir, selon les dires du notaire Berthet du Carre, « des confesseurs scientifiques »62. Le bénédictin aurait-il volontairement remis en discussion l’idée que l’ordination sacerdotale conférait à quiconque, même aux plus démunis culturellement, aussi bien le pouvoir de lier et de délier que la scientia ? Nous ne le savons pas. On peut juste noter que si les sermons donnés pendant les derniers siècles du Moyen Âge comportent assez souvent des critiques virulentes contre le bas niveau moral d’une partie du clergé séculier ou son ignorance, le sujet était très sensible, surtout lorsqu’il était traité en présence d’auditeurs laïcs, car il pouvait être interprété comme une remise en discussion du pouvoir sacerdotal lui-même. D’où le conseil assez fréquent d’éviter de l’aborder dans les sermons destinés aux simples fidèles. Ce qui est certain, c’est que Baptiste n’a pas hésité, dans un sermon donné à Rive, à critiquer sévèrement les défauts et les excès de certains prélats de son temps, entre autres leur faible engagement dans l’exercice de la prédication63.
20Le bénédictin a sans aucun doute prêché aussi sur la prédestination, mais l’enquête ne paraît fournir aucun élément concernant le sermon donné sur ce sujet. En revanche, plusieurs témoins se souviennent que Baptiste de Mantoue a condamné avec dureté la ‘secte’ des Hussites, autre sujet fort sensible depuis au moins le concile de Constance. 11 n’est pas invraisemblable que le bénédictin ait évoqué les Hussites en relation avec le problème des richesses et du pouvoir temporel de l’Église et que ses positions rigoristes l’aient amené à formuler des jugements qui n’étaient peut-être pas très éloignés de ceux des disciples de Jean Hus. Lui-même paraît d’ailleurs en avoir été conscient. Sinon pourquoi aurait-il jugé nécessaire de préciser, comme le rappelle Pierre Chapuis, que s’il avait été un partisan des Hussites il ne se trouverait pas à Genève mais dans leur ‘patrie’64 ?
21Enfin, sans doute conscient de prendre la parole dans une ville qui grâce à ses foires connaissait un développement considérable depuis quelques décennies et abritait désormais une population nombreuse liée plus ou moins directement aux activités d’échange65, Baptiste a également proposé quelques réflexions au sujet des gains licites et illicites des marchands. Son analyse, qui n’a rien de vraiment original, a probablement été développée en relation avec le péché d’avarice et l’usure. Elle ne visait pas à condamner toute forme de profit ou d’enrichissement personnel, mais uniquement à souligner l’importance de l'intentio – notion qui depuis la fin du xiie siècle avait pris une importance centrale dans la réflexion sur le péché et la pénitence – avec laquelle les marchands exerçaient leur activité.
22D’après ce qu’il est possible d’entrevoir, la prédication de Baptiste ne paraît guère s’écarter de manière significative de celle des nombreux autres prédicateurs qui sillonnaient les routes de la Chrétienté à cette époque et qui ont contribué à diffuser auprès des fidèles qui vivaient dans des régions parfois très éloignées les unes des autres à peu près les mêmes idées et les mêmes enseignements. On notera au passage qu’en 1430 le bénédictin paraît avoir renoncé à aborder des thèmes de nature eschatologique dans ses sermons. Peut-être parce qu’il avait pu constater que les prédictions au sujet de la fin du monde de celui qu’il avait soutenu en Lombardie douze ans auparavant ne s’étaient pas réalisées. Ou peut-être parce ses mésaventures antérieures l’avaient incité à une certaine prudence et notamment à limiter ses incursions dans le domaine de l’eschatologie lorsqu’il prenait la parole en public. L’idée qu’il est possible de se faire des enseignements qu’il a dispensés demeure toutefois très lacunaire, d’autant plus que l’enquête, pour des raisons sur lesquelles il nous faudra revenir, ne fournit aucun renseignement concernant de manière explicite les sujets qui avaient été traités dans les sermons prononcés pendant la deuxième moitié du mois d’avril et tout au long du mois de mai.
La pratique rhétorique
23Rares sont également les informations relatives à la forme et aux aspects rhétoriques des sermons du bénédictin. Plusieurs témoins se souviennent qu’il introduisait ses prêches par une salutation para-liturgique suivie par la récitation de l’Ave Maria et l’énonciation du verset thématique. Comme la plupart des prédicateurs de la fin du Moyen Age, Baptiste construisait sans doute ses sermons en divisant le verset scripturaire liminaire en trois ou quatre parties, qui formaient la charpente de son discours et faisaient à leur tour l’objet de subdivisions généralement introduites par le biais d’une ou de plusieurs distinctiones, outil intellectuel que tous les clercs qui avaient reçu une formation scolaire savaient manier avec beaucoup d’adresse. Pour confirmer la pertinence et l’orthodoxie des enseignements proposés par le sermon, les prédicateurs faisaient le plus souvent appel aux rationes, aux arguments s’appuyant sur des raisonnements, et aux auctoritates, qui se présentent sous la forme de courtes citations le plus souvent tirées du texte biblique lui-même, mais qui pouvaient également être empruntées aux écrits des Pères de l’Église, aux œuvres des auteurs païens et des théologiens anciens ou contemporains, au Décret de Gratien et aux collections de Décrétales, etc. Baptiste de Mantoue paraît avoir abondamment farci ses sermons de raisonnements et de citations. Les auditeurs, tout au moins ceux dont nous connaissons l’avis grâce à l’enquête, semblent avoir beaucoup admiré la capacité du bénédictin à proposer de bonnes distinctions et à développer son argumentation avec rigueur et pertinence. Ils soulignent également l’abondance des autorités qu’il a proposées, tirées de l’Ancien ou du Nouveau Testament et semble-t-il assez souvent empruntées au droit canonique. L’official de l’évêque déclare ainsi qu’il n’a jamais entendu aucun prédicateur faire référence aux écrits des docteurs en théologie et en droit avec autant de maîtrise. Pierre du Nant – qui se plaît à rappeler qu’il a étudié le droit à Avignon et à Montpellier pendant six ou sept ans et qu’il l’a enseigné pendant trois ans et demi affirme qu’il n’a jamais entendu aucun licencié ou docteur en droit faire preuve d’une aussi grande compétence dans ce domaine. Berthet du Carre, tout comme Amédée de Charansonnex, relèvent la qualité des distinctions et des conclusions proposées par le moine. Quant à Pierre Chapuis, il se souvient que celui-ci a cité saint Thomas d’Aquin à propos de la distinction entre péchés véniels et mortels. Baptiste de Mantoue paraît aussi avoir fait état des débats qui se tenaient en milieu scolaire pour déterminer si l’enfant d’une femme enceinte tuée à cause de sa foi avait droit au salut même sans avoir reçu le baptême66. L’enquête ne permet en revanche pas de savoir si le bénédictin aimait, comme la plupart de ses contemporains, introduire dans ses sermons des éléments narratifs censés à la fois corroborer un enseignement moral ou doctrinal et raviver l’attention du public.
La langue des sermons
24Ce qui est certain, c’est que les prédications de Baptiste ont été écoutées par une foule nombreuse. Et cela même si le bénédictin a donné ses sermons en latin et « in romancio », sans doute le plus souvent en mélangeant les deux idiomes. Il est difficile de savoir quelle langue romane précise désigne cette expression. Au cours de ses déplacements, qui l’avaient mené de Venise jusqu’en Catalogne, Baptiste avait probablement eu l’occasion d’apprendre quelques rudiments de franco-provençal. Il avait aussi appris à s’exprimer devant des auditeurs dont il maîtrisait peu, ou pas du tout, la langue. Le romancius qu’il utilisait doit cependant être distingué du franco-provençal utilisé à cette époque à Genève, car l’enquête précise qu’il ne comprenait pas la « linguam sabaudigniam », autrement dit le franco-provençal tel qu’il était parlé en Savoie67. On sait qu’au cours des derniers siècles du Moyen Âge il n’était pas rare qu’un prédicateur prononce ses sermons dans une langue autre que celle de son auditoire. Sans remonter jusqu’à un saint Bernard ou à un Jacques de Vitry, le succès extraordinaire de la prédication de Vincent Ferrier aussi bien en Italie du Nord qu’en Bretagne montre que la langue ne constituait pas un obstacle insurmontable pour les prédicateurs68. D’une part parce que le recours à des traducteurs est une pratique bien attestée au bas Moyen Âge69, de l’autre parce que la réussite d’un sermon ne dépendait pas uniquement de ce que les auditeurs pouvaient comprendre, mais également du charisme personnel du prédicateur, de sa manière de s’offrir au public, de ses gestes, de son élocution, du ton de sa voix, bref de tout un ensemble d’éléments qui échappent le plus souvent à l’observation de l’historien mais qui jouaient certainement un rôle très important70. Si le niveau social et culturel des témoins de l’enquête n’est certainement pas représentatif de celui de la population de Genève au xve siècle – par leur formation scolaire et leur profession ils étaient en effet tous en mesure de se servir du latin – il faut malgré tout renoncer à l’idée que la plupart des habitants de la ville étaient totalement incapables de comprendre, ne serait-ce que de manière très fragmentaire, une langue comme le latin, qui était celle de la liturgie et que les fidèles pouvaient régulièrement entendre à l’église. La structure du latin des sermons de la fin du Moyen Âge était de plus relativement simple, puisqu’elle était en grande partie empruntée à celle des langues vernaculaires. Dans une ville où se tenaient quatre fois par an des foires internationales qui attiraient des individus en provenance de régions linguistiques très différentes et qui avait vu sa population croître de manière significative depuis le début du xve siècle grâce à l’arrivée de nombreux immigrants, il n’est par ailleurs pas déraisonnable d’estimer qu’une partie des habitants de Genève avait acquis l’habitude d’entendre des langues vernaculaires très variées et de communiquer tant bien que mal avec les personnes qui s’exprimaient dans l’une ou l’autre de ces langues. C’est peut-être pour cette raison que les sermons de Baptiste de Mantoue donnés en latin et in romancio n’ont semble-t-il pas trop surpris les auditeurs.
Les auditeurs et la réception des sermons
25Lorsque le bénédictin est arrivé en ville, sa renommée auprès des Genevois était déjà bien établie. On a vu que certains étaient au courant du succès rencontré par les prédications qui avaient été tenues en Avignon et à Chambéry. Plusieurs marchands, parmi les plus notables, n’avaient d’ailleurs pas hésité à dire tout le bien qu’ils pensaient de celui qui allait bientôt prendre la parole dans la cité71. D’après le témoignage du notaire Jean Jacel, il y avait en ville beaucoup de personnes qui louaient la doctrine et la vie de Baptiste et qui souhaitaient vivement que celui-ci vienne y prêcher72. Dès le début du mois de juin, sa présence à Genève et la réputation des sermons qu’il y donnait étaient connues à Lausanne et dans plusieurs autres localités du Pays de Vaud, à tel point que le franciscain Jacques Avelli, à l’époque bachelier au couvent de Lausanne, décida de venir à Genève pour avoir la possibilité d’écouter au moins une fois Baptiste de Mantoue prêcher. À ses dires, il aurait été heureux de prolonger son séjour à Genève, mais il dut rentrer à Lausanne, ce qui l’attrista beaucoup73. C’est ce même sentiment que le prieur des clunisiens de Saint-Victor déclare avoir ressenti lorsque, à cause de son emploi du temps, il n’avait le plus souvent la possibilité que d’écouter le début des prêches. L’intérêt que la prédication du bénédictin a suscité auprès de certains fidèles est confirmé entre autres par le témoignage de Girard Féat, qui explique avoir fait en sorte de s’absenter le moins possible de la ville afin de pourvoir écouter le plus grand nombre possible de sermons, et celui de Jean Jacel, qui a voulu être présent à toutes les prédications et qui relate son souci d’être sur place suffisamment tôt afin de pouvoir trouver un endroit lui permettant de bien voir et bien entendre le bénédictin. La foule qui venait écouter Baptiste de Mantoue était en effet importante. Tous les témoins qui s’expriment sur cet aspect le soulignent74. Mermet Lombard remarque qu’à l’occasion d’un sermon donné au couvent de Rive, les auditeurs étaient tellement nombreux qu’il était incapable de dire combien de centaines de personnes étaient présentes75. Le succès du bénédictin à Genève est également confirmé par le sermon qu’il a prononcé un dimanche dans l’église des franciscains de Rive en prenant comme thema le verset XVI, 28 de l’évangile de Jean76. Ce jour-là, en effet, Baptiste prêcha devant le duc de Savoie Amédée VIII, les membres de son conseil, le comte de Genève, plusieurs nobles du duché, l’archevêque de Tarentaise, les évêques de Genève, Lausanne, Belley, Maurienne et Aoste, ainsi qu’en présence d’un grand nombre d’abbés, de prieurs et de savants aussi bien clercs que laïcs77. D’après plusieurs témoignages, Baptiste choisit à cette occasion de prononcer un sermon adapté à son auditoire de prestige, car il se livra à une critique sévère des comportements répréhensibles des prélats, des grands seigneurs laïcs et de leurs officiers. Ses paroles furent néanmoins reçues très favorablement par l’assistance, personne ne trouvant quoi que ce soit à redire à ses affirmations78 et certains faisant même état de leur impression d’avoir entendu un sermon inspiré directement par Dieu ou l’Esprit Saint79. D’une manière plus générale, les témoins rappellent parfois les effets bénéfiques des prêches de Baptiste sur les habitants de la ville. Le notaire Jean Jacel considère ainsi que les prédications du moine italien ont permis à beaucoup de personnes d’améliorer leur manière de vivre, car elles ont davantage craint Dieu et aimé leur prochain80.
26En dehors de son activité de prédicateur, le bénédictin paraît avoir mené une vie retirée. Pendant tout son séjour il a logé chez les franciscains du couvent de Rive. C’est là qu’il célébrait régulièrement la messe et c’est sans doute avec les frères Mineurs qu’il a noué les relations les plus amicales. Ceux qui l’ont côtoyé et dont nous connaissons l’avis soulignent tous ses qualités et sa vertu. Louis Salomon, le lecteur du couvent, qui a également été son confesseur, n’hésite pas à déclarer que Baptiste aurait préféré mourir plutôt que de commettre le moindre péché81. Jean de Vernier, le gardien, n’est pas loin de partager la même opinion. Ayant eu plusieurs fois l’occasion de s’entretenir en aparté avec Baptiste – aussi bien dans la chambre et le bureau de celui-ci qu’à d’autres endroits isolés du couvent-, il qualifie le bénédictin d’homme de bonne vie et de bonne conscience82. Quant au peintre Giacomo Jaquerio, qui connaissait Baptiste depuis longtemps, il n’hésite pas à faire état de son souhait de voir son âme aller là où irait celle du bénédictin, où qu’elle aille, précisa-t-il83.
27Les autorités de la ville ont elles aussi apprécié la prédication du moine italien et sa capacité à instruire de manière efficace la population. Ayant appris qu’il souhaitait quitter Genève pour aller poursuivre son activité ailleurs, elles le prièrent, sans doute peu avant ou juste après la fête de la Trinité, de rester encore quelques jours, afin de prêcher pour la Fête-Dieu et sur la prédestination. Pour le remercier d’avoir accepté leur proposition, ils demandèrent à François de Versonnex de lui verser douze florins de petit poids, somme destinée également à l’entretien des moines qui accompagnaient Baptiste. Ces derniers ne sont mentionnés que par un mandat daté du 19 juin par lequel les syndics ordonnèrent au receveur général de la ville de rembourser au marchand genevois la somme qu’il avait avancée, mais il est vraisemblable qu’ils séjournaient eux aussi à Genève depuis le mois d’avril. Dans leur lettre, les quatre syndics qualifient Baptiste de prédicateur fameux et soulignent qu’il a semé la parole de Dieu en ville de manière très louable et profonde (laudabiliter et profundissime), tout en relevant que le bénédictin et ses compagnons n’avaient pas d’autres moyens de subsistance que les aumônes qui leur étaient faites84. On notera au passage que Baptiste de Mantoue est le premier prédicateur connu à avoir été rémunéré par la commune. La somme qu’il reçut est d’ailleurs assez importante, tout au moins eu égard au salaire annuel des syndics qui était à cette époque de cinq florins85.
28En prenant l’initiative de retenir en ville le moine italien pendant quelques jours de plus, les autorités de la commune pensaient sans doute œuvrer pour le bien spirituel de la communauté qu’elles avaient en charge. Elles ne se doutaient certainement pas de rendre un bien mauvais service au bénédictin.
Le scandale
29Le jeudi 29 juin, fête de Pierre et Paul, de nombreux auditeurs s’étaient rassemblés dans la place proche de la grande porte de l’église des franciscains pour écouter un nouveau sermon de Baptiste de Mantoue86. Dès que le bénédictin monta en chaire, le dominicain Raphaël de Cardona, venu en compagnie de plusieurs autres frères et de quelques autres personnes, vint s’asseoir devant le prédicateur. Avant même la récitation de l'Ave Maria, il se mit debout et menaça une première fois le bénédictin par ces mots : « Ô Baptiste, prends garde à ce que tu vas dire ; moi, je t’ai déjà vu autrefois87 ». Sans réagir, le moine énonça le verset thématique emprunté à la première épître de saint Jean sur lequel il se proposait de prêcher et poursuivit son sermon, sans doute en annonçant les sujets qu’il allait développer et qui, aux dires de Jean Jacel, étaient d’un grand intérêt. Raphaël de Cardona, cependant, n’avait pas l’intention de laisser prêcher le moine. Il essaya d’ameuter les auditeurs en exclamant : « Où est la justice ? Où est-elle ? Pourquoi le laissez-vous prêcher88 ? » Malgré ces gesticulations, les auditeurs ne réagirent pas. Raphaël se mit alors à nouveau debout et proféra des mots plus durs : « Que Dieu maudisse celui qui t’a placé sur cette chaire89 ! » Voulait-il intimider les syndics qui avaient retenu Baptiste en ville ? On ne saurait le dire. Toujours est-il qu’il s’adressa aussi à un des quatre syndics de la commune, Jean Maruglier, en lui demandant d’intervenir : « N’entendez-vous pas ce qu’il dit ? Pourquoi ne le chassez-vous pas de la chaire90 ? » Mais les efforts du dominicain furent vains. Les auditeurs, si l’on fait confiance aux témoins de l’enquête, n’appréciaient guère les tentatives de Raphaël pour interrompre le sermon et Baptiste, semble-t-il, réussit tout de même à terminer son allocution91. Dépité, le dominicain proféra alors, à voix basse, une menace bien plus explicite à l’encontre du bénédictin : « Sois sans crainte ! Avant que tu n’aies quitté le duché de Savoie, je te ferai avaler la fumée du feu ou la vapeur de l’eau92 ! »
30Si les témoignages dont nous disposons sont relativement concordants et circonstanciés – au moins quatre témoins étaient assis près du dominicain, ce qui leur permit de bien entendre ce que Raphaël disait-, ils restent cependant plutôt discrets à la fois sur l’identité des individus qui accompagnaient Raphaël de Cardona, parmi lesquels il y avait au moins un dominicain qui est intervenu lui aussi pendant le sermon et apparemment quelques autres clercs ou laïcs de la ville, et sur les antécédents de cet incident, qui a vraisemblablement mûri quelques jours avant d’éclater. Certes, l’enquête évoque ici ou là le fait que certaines personnes étaient mécontentes de la prédication de Baptiste, sans doute parce que ce dernier, comme le déclare joliment François de Versonnex, « non ongit sed pongit peccatores93 ». Elle ne permet cependant pas d’établir avec certitude les raisons qui ont amené les frères prêcheurs genevois à adopter, semble-t-il de manière unanime, une attitude très hostile à l’égard du bénédictin, alors même qu’une quinzaine de jours auparavant celui-ci avait été admis à prêcher dans le grand cloître du couvent de Palais. Quelques éléments incitent à penser que c’est bel et bien l’arrivée à Genève de Raphaël de Cardona, sans doute peu avant la fête de la Trinité, qui a provoqué le changement d’attitude des dominicains et de quelques autres personnes à l’égard de Baptiste de Mantoue94. Comme on l’a vu, Raphaël avait déjà eu l’occasion de croiser le parcours du bénédictin et il paraît avoir été au courant, tout au moins en partie, des péripéties que le moine italien avait connues. Qui était donc ce frère dominicain qui prétendait faire taire un prédicateur que beaucoup, à commencer par les grands seigneurs laïcs et les dignitaires ecclésiastiques du duché de Savoie, avaient apprécié et admiré ?
Raphaël de Cardona et Vincent Ferrier
31C’est au couvent des Jacobins de Toulouse qu’on trouve les premières traces de frère Raphaël. Originaire de la petite ville catalane de Cardona, située au nord de Barcelone, le jeune dominicain, rattaché à la province de Valence, enseignait au studium du couvent toulousain lorsque, le 10 avril 1416, le vendredi des Rameaux, Vincent Ferrier fit son entrée dans la ville accompagné par quelques milliers d’hommes et de femmes qui étaient venus l’accueillir. Au faîte de sa célébrité, le prédicateur aragonais, qui était sur les routes depuis désormais dix-sept ans, avait prêché au cours des mois précédents dans plusieurs localités de la France méridionale. Il resta à Toulouse jusqu’au 4 mai, prenant la parole comme à son habitude tous les jours. On sait, grâce aux témoignages recueillis au procès de canonisation, que dans la ville, lorsqu’il prêchait, toute activité était suspendue. Des centaines de personnes passaient d’ailleurs la nuit sur la place de la cathédrale Saint-Étienne dans l’espoir de pouvoir mieux l’entendre95.
32Vincent Ferrier a passé une partie de la Semaine sainte au couvent des Jacobins, où il a également prêché en public les six premiers jours de son séjour. C’est là, selon toute vraisemblance, que Raphaël de Cardona a eu la possibilité d’approcher et de côtoyer son confrère plus âgé. D’après la déposition que fit en 1454 son camarade d’études Louis Cardona lors du procès de canonisation de Vincent Ferrier, Raphaël et un autre jeune dominicain, Jean de Pulchro Prato, furent très impressionnés par la doctrine et la sainteté du prédicateur aragonais. Ils décidèrent alors de quitter le studium toulousain afin de pouvoir suivre le Valencien partout où celui-ci aurait décidé d’aller96. Raphaël intégra donc la ‘compagnie’ de Vincent Ferrier. Il fut sans doute chargé, comme d’autres frères dominicains et clercs séculiers qui faisaient partie de l’équipe du prédicateur, d’enseigner aux enfants et aux adultes qui venaient écouter les sermons les gestes et les prières élémentaires, et de confesser ceux qui le souhaitaient. De Toulouse Vincent Ferrier repartit en direction d’Albi – où il prêcha du 5 au 12 juin – et de Rodez97. Le vendredi 10 juillet, quelques membres du consulat de Millau informèrent leurs collègues qu’un dominicain était arrivé en ville. Ils proposèrent d’aller lui rendre visite pour lui demander de prononcer quelques sermons. Le dominicain était maître en théologie, mais ce n’était pas sa culture qui avait retenu l’attention des consuls. Il était surtout – ou passait pour l’être – le neveu de Vincent Ferrier. Les consuls apprirent qu’il s’appelait Raphaël. S’il est presque certain que le frère que mentionnent les registres de Millau était bel et bien le futur accusateur de Baptiste de Mantoue, rien ne permet en revanche de confirmer – ou d’infirmer – les liens de parenté qui l’auraient uni au futur saint. Quoi qu’il en soit, frère Raphaël prêcha le dimanche et le lundi à Millau. Il fallut acheter à son intention des poissons, car il ne consommait pas de viande98.
33Vincent Ferrier gagna par la suite la Bourgogne en remontant la vallée du Rhône. En avril et juin 1417, il était à Lyon, où il donna son dernier sermon le 21 juin99. Raphaël de Cardona l’avait certainement suivi. On le trouve en effet à Mâcon en juin de la même année en train lui aussi de prêcher. Le registre de l’échevinage le qualifié de « disciple et de la compagnie de mestre Vincent Ferrier » et de maître en théologie, ce qui confirme qu’à cette date il avait déjà parfait sa formation100. Raphaël était arrivé à Mâcon le mardi 22 juin. Du 23 juin au 2 juillet il célébra chaque jour la messe et prononça un sermon au couvent des dominicains, exception faite de celui pour la fête de saint Pierre et Paul qui fut donné sur la place qui se trouvait devant la maison du prieur de Saint-Pierre, sans doute parce que l’assistance était trop nombreuse. D’après les échevins, beaucoup d’habitants ainsi que de nombreux étrangers auraient assisté aux prêches de Raphaël de Cardona, qui enseignait « la forme de la predicacion du dit mestre Vincent101 ». Selon toute vraisemblance, le dominicain aurait ainsi commencé sa carrière de prédicateur en prononçant des sermons qui rappelaient, par leur forme et leur contenu, ceux de son maître. Et si les échevins ont cru pouvoir faire un rapprochement entre les sermons des deux frères prêcheurs, c’est sans doute parce que Raphaël aussi insistait sur des thèmes tels que la naissance de l’Antéchrist ou l’imminence du Jugement dernier, autrement dit parce que sa prédication avait un accent eschatologique très perceptible.
34Partis de Dijon en août 1417, Vincent Ferrier et sa compagnie prirent la route qui allait les conduire jusqu’en Bretagne. Après s’être arrêté à Angers pendant le mois de janvier de l’année 1418, le prédicateur aragonais arriva à Nantes par le fleuve le 8 février et prêcha Carême à Vannes en mars. C’est dans cette même localité qu’un an plus tard, le 5 avril 1419, prit fin son périple breton. La dépouille de celui qui allait accéder à la sainteté en 1458 fut ensevelie dans la cathédrale, car la ville ne possédait pas de couvent dominicain102. Raphaël de Cardona était probablement présent à Vannes en avril 1419, car d’après le procès de canonisation il aurait accompagné Vincent Ferrier jusqu’au décès de celui-ci103. Il décida par la suite de rester en France pour continuer son activité de prédicateur. En 1421, au chapitre général de Metz, il fut envoyé au couvent de Barcelonnette pour y exercer la fonction de lecteur104. On le trouve deux ans plus tard actif pour la première fois dans le diocèse de Genève. Il avait peut-être rejoint entre temps le couvent dominicain de Lyon. Si son affectation à la maison lyonnaise est attestée seulement dès octobre 1430, sa présence régulière dans Factuelle Suisse romande pendant les années vingt du xve siècle paraît suggérer qu’il résidait depuis déjà quelques années non loin de cette région105.
Raphaël de Cardona en Suisse Romande
35En avril 1423, les autorités d’Aubonne confièrent à deux charpentiers la tâche de réparer la loge106 qui avait été construite en 1404 lorsque Vincent Ferrier avait prêché dans la ville. La raison de ces travaux était que le frère Raphaël devait bientôt arriver, lui aussi pour y prononcer quelques sermons. Le dominicain arriva le samedi 15 mai. Tl était accompagné par au moins deux autres frères prêcheurs, quelques autres personnes ainsi qu’un chevalier avec son serviteur et deux montures. Logé chez le curé, Raphaël resta en ville jusqu’au lundi après-midi et reprit ensuite la route vers Lausanne et Vevey. C’est dans cette dernière localité que les autorités de Fribourg envoyèrent un émissaire pour connaître la date à laquelle le dominicain pensait arriver en ville. Vers la fin du mois de mai, ou au début de celui de juin, Raphaël fit son entrée à Fribourg. Il était toujours accompagné par le chevalier et un certain nombre de personnes, parmi lesquelles figuraient au moins trois religieux et deux chapelains. On sait qu’il prêcha dans la ville pendant quatre jours. Avant son arrivée la commune avait fait construire une loge et Raphaël prit la parole à l’extérieur de l’enceinte urbaine, à l’endroit dit ‘la planche de saint Jean’107. Ses sermons attirèrent une foule nombreuse. Pour assurer la surveillance des portes de la ville pendant les prêches, il fallut même engager des gardes, car presque tous les habitants quittaient leurs maisons pour se rendre au sermon. Le dominicain fut accueilli par les responsables de la ville de manière très digne. On lui offrit des tissus et du vin et le séjour de ses accompagnateurs fut prit en charge par la commune108. De Fribourg, Raphaël partit en direction de Payerne et de Montagny et arriva enfin à Romont, où il prêcha le 6 juin, fête de saint Barnabé109. L’itinéraire qu’il avait emprunté coïncidait en grande partie avec celui que Vincent Ferrier avait parcouru au début du siècle. À Aubonne et à Romont, Raphaël prononça même ses sermons depuis les chapelles en bois construites lors du passage de son ancien maître. Il eut sans doute aussi l’occasion de raconter à ceux qui voulaient l’entendre ce qu’il avait vu et vécu à côté du prédicateur aragonais désormais en odeur de sainteté.
36De toute évidence, la tournée de Raphaël de Cardona avait été organisée à l’avance. Les autorités locales étaient au courant de la prochaine venue de celui-ci et eurent le temps de prendre les dispositions nécessaires pour organiser un événement qui, tout au moins à Fribourg, paraît avoir eu un certain retentissement. La présence parmi ceux qui l’accompagnaient d’un chevalier avec son serviteur, tout comme celle de plusieurs frères mendiants et clercs séculiers, semble également suggérer que ces déplacements n’ont pas été effectués dans le cadre d’une prédication ordinaire, et que le dominicain avait peut-être été chargé d’une mission officielle. En l’absence de toute information concernant le contenu des sermons qui furent proposés par Raphaël au cours de son périple, il faut cependant se contenter de remarquer que l’hypothèse selon laquelle il aurait pu prêcher la croisade contre les Hussites que le pape Martin V avait proclamée et à laquelle l’empereur Sigismond venait d’associer le duc de Savoie n’est pas totalement invraisemblable110.
37Le dominicain revint prêcher à Fribourg l’année suivante, au mois de novembre. Il reçut en cadeau de la ville, pour lui et son socius, quelques aunes de drap blanc et se dirigea par la suite vers Romont, où sa présence est attestée vers la mi-novembre. De là il repartit vers Rue111 et ensuite Aubonne, où il donna des sermons le vendredi 7 et le samedi 8 décembre, fête de la Conception de la Vierge. En 1426, il prêcha de nouveau à Aubonne le mercredi 5 et le jeudi 6 septembre. L’année d’après, vers la fête de la Nativité de la Vierge (8 septembre), la commune fit réparer une fois encore la chapelle en chêne ‘de frère Vincent’ car Raphaël souhaitait prêcher, ce qu’il fit sans doute aussi quelques mois plus tard lorsque, en compagnie de deux autres frères, il s’arrêta à Aubonne peu après la Marie Madeleine (22 juillet)112.
38Si l’on considère que l’enquête de 1430 souligne que Raphaël de Cardona a prêché plusieurs fois en présence de l’évêque François de Metz et d’Amédée VIII, il apparaît que le dominicain connaissait bien les diocèses de Genève et de Lausanne. Il avait sans doute eu la possibilité de nouer des relations étroites avec d’autres dominicains et ecclésiastiques actifs dans ces régions, et peut-être aussi de croiser un autre frère de son ordre, Bertrand Borgonyon, originaire de Tarascon, dont on sait qu’il prêcha à Fribourg en 1427 et en 1430, année au cours de laquelle il prit la parole aussi à Estavayer, à Romont et à Moudon113. On le trouve également à Aubonne en janvier 1429114, son passage dans la ville ayant même amené la commune à financer la construction d’une chaire dans l’église. En août 1430, maître Bertrand était à Genève. Il était malade et les autorités de Fribourg lui firent verser 10 florins d’Allemagne à la foire de la Saint-Barthélemy115. Il logeait vraisemblablement au couvent de Palais.
Les premières tentatives de pacification
39Le jour même du scandale provoqué par le dominicain, l’évêque François de Metz réunit les deux protagonistes de l’affaire au palais épiscopal en présence de plusieurs dignitaires ecclésiastiques et de notables de la ville, parmi lesquels les seuls nommément mentionnés sont Louis Paris, qui occupera par la suite la charge de vicaire général et deviendra le confesseur de Félix V, maître Guerbin, qualifié de médecin116, Aymon Malliet, juriste de la ville117, ainsi que le témoin de l’enquête Mermet Lombard118. D’après la déposition de ce dernier, Raphaël de Cardona aurait fini par admettre au cours de la discussion que ce que Baptiste avait affirmé à propos du mensonge n’était pas contraire à la doctrine. Le conflit ne fut cependant pas apaisé, car peu après une deuxième réunion eut lieu en présence de plusieurs frères dominicains et de Pierre Barre, ministre de la province dominicaine de France. Pierre Barre, qui occupait cette charge depuis au moins 1418, connaissait bien Genève, car il avait résidé pendant quelque temps au couvent de Palais. En 1407, il fut assigné au couvent de Paris en tant que lecteur des Sentences119. Il profita de son séjour dans la capitale du royaume de France pour obtenir trois ans plus tard une licence en théologie. En avril 1410, afin de lui permettre de se rendre à nouveau à Paris « pro magistrando », la commune lui avait fait don de six francs d’or120. Au cours de cette deuxième rencontre, Raphaël de Cardona formula un certain nombre d’accusations contre Baptiste. Ce dernier les refusa en bloc et déclara que tout ce qu’il avait prêché était conforme à l’orthodoxie. Il demanda aussi au dominicain de mettre par écrit ses reproches et s’engagea à y répondre lui aussi par écrit, tout en demandant à l’évêque de lui rendre justice. François de Metz accepta cette proposition et ordonna aux deux religieux de lui remettre leurs textes afin de pouvoir se prononcer sur l’affaire, mais Raphaël de Cardona refusa121.
40Il est possible que l’évêque ait réuni les deux parties plusieurs fois pendant les jours qui ont suivi l’incident. Jean Gay déclare en effet s’être rendu souvent au palais épiscopal et avoir assisté à de nombreux débats122. Baptiste paraît même avoir défendu ses déclarations en s’appuyant sur quelques écrits théologiques, car Berthet du Carre se souvient que pour prouver le bien-fondé de ce qu’il avait affirmé au sujet de la Trinité, le bénédictin avait lu des passages d’un traité de Thomas d’Aquin123.
41Selon toute vraisemblance, c’est à la suite de l’échec de ces premières tentatives de conciliation qu’Amédée VIII, qui suivait de près l’évolution de la situation, décida à son tour d’intervenir124. Attristé par ce qui s’était passé, du moins si Ton fait confiance aux dires du procureur du bénédictin, et soucieux d’éviter que dans les territoires placés sous sa domination de telles confrontations ne se produisent, il convoqua Baptiste et Raphaël et réussit à rétablir la concorde entre les deux religieux qui, après avoir échangé le baiser de la paix, se quittèrent en toute amitié125. Bien qu’informelle, l’intervention ducale n’était pas anodine, d’une part parce que l’incident avait eu lieu à l’intérieur de la principauté épiscopale, sur laquelle le duc de Savoie n’avait en principe aucune autorité, et de l’autre parce que l’affaire relevait de toute manière du for ecclésiastique. Nous verrons plus loin que cette tentative de conciliation n’était peut-être pas dépourvue d’arrière-pensées. Quoi qu’il en soit, l’affaire était loin d’être résolue, car l’inquisiteur Ulric de Torrenté arriva à Genève dans le courant du mois de juillet, sans doute appelé par Raphaël de Cardona126.
Les frères Ulric de Torrenté et Nicole Serrurier
42C’est sans doute vers 1421 qu’Ulric de Torrenté127, frère du couvent dominicain lausannois de la Madeleine, fut choisi par le prieur de la province de France – ce même Pierre Barre que nous avons déjà rencontré pour succéder en tant qu’inquisiteur à Jean Grutelli128. Si Ton fait confiance à ce que déclare Ulric de Torrenté en 1424, il aurait été chargé d’exercer sa mission dans un territoire très vaste, qui comprenait les diocèses de Besançon, Genève, Lausanne, Sion, Toul, Metz et Verdun129. Nous verrons cependant que les choses étaient peut-être moins claires que ne le prétendait le dominicain130.
43Ulric de Torrenté apparaît pour la première fois dans les sources en tant qu’inquisiteur en relation avec une affaire concernant un prédicateur considéré comme hétérodoxe. De passage à Lausanne en 1423 avec l’intention, prétendait-il, de se rendre au concile de Pavie, Nicole Serrurier, maître en théologie et frère de l’ordre des Ermites de saint Augustin, avait pris publiquement la parole en ville131. L’évêque Guillaume de Challant, pour des raisons qui restent inconnues mais qui selon toute vraisemblance concernent ce que Nicole avait prêché, l’avait fait arrêter et enfermer dans la prison épiscopale. Une enquête avait été diligentée et le prédicateur, ainsi que quelques témoins, avait été interrogés devant notaire. Nicole Serrurier avait fini par souscrire une profession de foi et l’ensemble des pièces du dossier fut transmis au pape accompagné d’une lettre dans laquelle le prélat et l’inquisiteur décrivaient ce qui s’était passé à Lausanne et demandaient conseil au sujet de la suite à donner à cette procédure.
44Rattaché au couvent de Tournai, Nicole Serrurier avait pris une part active aux querelles qui opposaient les ordres mendiants au clergé séculier au début du xve siècle. Avec d’autres frères de son couvent, il avait prêché contre le clergé concubinaire, nié la validité des sacrements administrés par les curés en état de péché, prétendu qu’il suffisait de se confesser aux frères mendiants pour être admis à la communion pascale et attaqué avec beaucoup de violence également la dévotion des fidèles à saint Antoine et à son cochon. L’évêque et l’inquisiteur de Tournai avaient fini par intervenir. L’augustin fut arrêté en mai 1416 et probablement jugé par un tribunal ecclésiastique, dont les actes n’ont cependant pas été conservés. Dans le climat tendu qui caractérise les années pendant lesquelles s’est tenu le concile de Constance, la virulence des attaques proférées contre le clergé par Nicole Serrurier était susceptible de lui valoir l’accusation d’être un partisan de Jean Hus, que les membres du concile avaient condamné à périr sur le bûcher en juin 1415. Nicole Serrurier dut effectivement se présenter devant une commission conciliaire chargée d’examiner les cas d’hérésie. Le jugement de condamnation fut prononcé en avril 1418 mais, puisque le frère augustin reconnut ses fautes et abjura ses erreurs, il fut réconcilié lors d’une cérémonie solennelle et on lui épargna la prison perpétuelle. Il dut cependant s’engager à rester enfermé dans le couvent des augustins de Metz pendant deux ans, à ne plus jamais pénétrer dans les limites du diocèse de Tournai et à ne pas se rendre dans la ville et le diocèse de Paris pendant dix ans. La décision du concile fut cependant attaquée par les ordres mendiants, qui estimaient que certains articles condamnés par la sentence étaient susceptibles de remettre en discussion leurs privilèges en matière d'administration des sacrements. Les actes du procès furent transmis à la cour pontificale et Martin V chargea successivement trois cardinaux d’examiner la sentence. En janvier 1420, alors qu’il résidait à Florence, le pape confirma la condamnation et ordonna de la publier solennellement, ce qui, dans le diocèse de Tournai, fut fait en janvier 1422. Dans sa bulle Martin V demandait aussi aux prélats et aux inquisiteurs de faire exécuter le jugement prononcé contre Nicole Serrurier. C’est sans doute parce qu’ils étaient au courant de l’existence de cette bulle que l’évêque de Lausanne et Ulric de Torrenté avaient décidé d’écrire au pape.
45Martin V répondit le 12 novembre 1423. Il souligna d’abord que, d’après les pièces qui lui avaient été transmises, il apparaissait que l’interrogatoire de Nicole Serrurier avait été incomplet, car ceux qui l’avaient mené ne connaissaient pas les articles sur la base desquels l’augustin avait été condamné à Constance. Il fit donc parvenir à l’évêque et à l’inquisiteur le texte de la sentence qui énumérait les vingt-six articles qui avaient été établis contre Nicole et demanda à ses correspondants de procéder à un nouvel interrogatoire et, le cas échéant, de le condamner comme relaps. Quelque temps après, il transmit également une copie de la sentence pontificale qui avait été prononcée a la suite de l’intervention des ordres mendiants, rappelant par la même occasion que l’augustin avait été reconnu coupable d’avoir contribué à diffuser les erreurs de Jean Wyclif et de Jean Hus. L’évêque Guillaume de Challant paraît cependant avoir beaucoup hésité à procéder contre Nicole Serrurier. Le pape essaya alors d’obtenir le soutien d’Amédée VIII et, le 16 mars 1424, il écrivit à Ulric de Torrenté en l’autorisant à procéder tout seul si l’évêque, prétextant des excuses de procédure, devait persister dans son attitude dilatoire pour éviter de prononcer le jugement. Cependant, craignant que l’inquisiteur aussi ne se montre réticent à terminer la procédure, Martin V écrivit le même jour à l’archevêque de Besançon lui demandant de se tenir prêt à assumer le rôle de promoteur de la cause132. Les réticences de l’évêque de Lausanne étaient dues principalement au soutien qu’une partie non négligeable des habitants de la ville manifestait à l’égard de Nicole Serrurier, dont les sermons avaient sans doute été très appréciés. Le prélat n’avait pas manqué d’informer le pape des désordres qu’une condamnation du frère augustin aurait pu provoquer, car Martin V évoque ce problème dans la lettre qu’il adressa au duc de Savoie, et dans celle destinée à l’inquisiteur il mentionne explicitement les craintes de l’évêque au sujet d’une possible émeute dans la ville
46Dans l’affaire concernant le prédicateur augustin, Ulric de Torrenté paraît avoir disposé d’une marge de manœuvre plutôt limitée. L’ensemble de la correspondance pontificale montre qu’à cette époque la procédure contre les accusés d'hérésie était encore sous l’entière responsabilité de l’évêque, tout au moins dans le diocèse de Lausanne. Le peu de confiance que Martin V semble avoir manifesté à l’égard de la possibilité que l’inquisiteur se décide à mener au terme tout seul la procédure, montre que le pape était parfaitement conscient de cette situation. Il est néanmoins probable que la relative impuissance d’Ulric de Torrenté face à Nicole Serrurier avait aussi d’autres raisons. Le 18 mars 1424, Martin V approuva une proposition qui lui avait été soumise par l'inquisiteur, lequel, après avoir rappelé qu’il était intervenu fidèlement et en faisant preuve de diligence contre le frère augustin, demandait à relever directement du pape, et plus précisément à empêcher que le prieur provincial de son ordre ne puisse le révoquer de sa charge sans en référer à Rome133. Pourquoi Ulric de Torrenté essayait-il de se soustraire à l’autorité de son supérieur, autrement dit à celle de Pierre Barre, afin, écrivait-il, « de pouvoir exercer son office avec une plus grande liberté » ? Rien ne permet de répondre à cette question avec certitude. Le ministre provincial avait-il exercé des pressions sur l’inquisiteur pour qu’il ne se montre pas trop zélé à l’égard de Nicole Serrurier ? L’attention avec laquelle les ordres mendiants avaient suivi les poursuites contre l’augustin et les démarches entreprises par le biais de leurs quatre procureurs pour essayer de faire modifier par le pape la sentence du concile de Constance rendent cette hypothèse tout au moins plausible.
Ulric de Torrentè et la lutte contre l’hérésie
47On ignore comment s’est terminé le volet lausannois de l’affaire Serrurier et quel a été le sort du frère augustin. Quant à Ulric de Torrenté, il faut attendre 1428 pour le retrouver à l’œuvre en qualité d’inquisiteur. Son domaine d’action était cette fois-ci le Valais occidental, où il procéda à la condamnation de quelques individus jugés coupables d’hérésie et de rébellion. L’année suivante, en mai, il participa avec l’ancien official de l’évêque de Lausanne et des représentants de la ville de Fribourg, au tribunal qui jugea des individus accusés d’être des vaudois. Il prononça également quelques sermons en ville et revint un peu plus tard pour assister à l’exécution des condamnés134. On le trouve à nouveau à Fribourg en 1430, à partir du 28 mars, engagé dans le procès instruit contre plusieurs habitants de la ville soupçonnés d’appartenir à la ‘secte’ des vaudois. Parmi les membres du tribunal figuraient Jean de Colonnes, l’ancien official de l’évêque de Lausanne, et maître Bertrand Borgonyon135. Le prieur du couvent dominicain de Chambéry, Guy Flamochetti, fut lui aussi présent à Fribourg pendant la première phase du procès. Il assista au moins aux séances du 23 et du 27 mars e : repartit le1er avril136. En dépit des tentatives de l’inquisiteur pour affirmer son rôle, c’est Jean de Colonnes qui paraît avoir été considéré comme le vrai responsable de la procédure137.
48La présence d’Ulric de Torrenté à Fribourg est attestée pour la dernière fois le vendredi 30 juin. Il est cependant peu probable que l’inquisiteur soit arrivé à Genève déjà au tout début du mois de juillet, car les tentatives de conciliation de l’évêque et du duc ont certainement pris plusieurs jours et la réunion au cours de laquelle Raphaël de Cardona refusa de mettre par écrit ses reproches eut lieu, selon un témoin, peu avant qu’Ulric de Torrenté ne soit présent en ville138. Il paraît donc raisonnable de situer l’arrivée de celui-ci dans le courant de la deuxième ou de la troisième semaine de juillet.
La deuxième tentative de conciliation de l’évêque
49Après l’échec des premières réunions, François de Metz n’avait pas renoncé à l’idée de trouver une solution acceptable au conflit. La présence de l’inquisiteur rendait cependant sa tâche plus difficile. Après des discussions dont le détail nous échappe, le prélat décida d’organiser une nouvelle réunion, au caractère davantage solennel, par laquelle il comptait sans doute mettre un terme à l’affaire. Baptiste de Mantoue présenta quatorze ‘conclusions’ par lesquelles il entendait préciser et compléter certains des propos qu’il avait tenus dans ses sermons, afin bien sûr d’écarter tout soupçon d’hétérodoxie. Mais Raphaël et l’inquisiteur l’agressèrent verbalement en insistant lourdement sur leur supériorité culturelle attestée par le titre de maîtres en théologie dont tous les deux pouvaient se targuer : « nous l’Inquisiteur et nous Raphaël, maîtres en théologie sacrée, nous qui comprenons les Écritures Saintes, nous sommes là ! Que ce Baptiste nous réponde ! Il ne sait rien dire ni répondre ! Qu’il parle donc maintenant et nous verrons ce qu'il sait ! » Ils finirent cependant par reconnaître que les ‘conclusions’ du bénédictin étaient vraies mais, prétextant l’ignorance de l'idiome local de celui-ci, ils exigèrent de pouvoir ajouter un certain nombre de déclarations de leur cru et de prêcher eux-mêmes le tout aux habitants de la ville. L’évêque, qui exprima sa satisfaction de voir les deux dominicains prêts à trouver un compromis acceptable pour les deux parties, ordonna aux deux frères de mettre par écrit leurs adjonctions et de souscrire le texte de leur propre main. Il ajouta aussi que les deux dominicains agissaient sub pena tallionis, sous la loi du talion139. La précision de François de Metz était habile et de taille. L’évêque soulignait en effet qu’il tenait l’inquisiteur pour un simple co-accusateur et qu’il ne lui reconnaissait donc aucune autre attribution dans une procédure qui relevait uniquement de son autorité d’ordinaire. Il signifiait en même temps à Raphaël de Cardona et à Ulric de Torrenté que si leurs accusations devaient se révéler infondées ou insuffisamment prouvées, ils risquaient de passer du rôle d’accusateurs à celui d’accusés. Contrairement à ce que demandaient les deux frères mendiants, l’évêque précisa aussi qu’il se réservait le droit de choisir à qui serait confiée la tâche de prêcher publiquement les ‘conclusions’ de Baptiste et les adjonctions des dominicains.
50D’après la déposition de Jean Gay, Raphaël de Cardona et ses confrères examinèrent les ‘conclusions’ de Baptiste depuis neuf heures du matin jusqu’à cinq heures de l’après-midi140. Lorsqu’ils revinrent dans la salle de la nouvelle tour du palais épiscopal, ils présentèrent les adjonctions qu’ils avaient rédigées. L’assemblée que l’évêque avait réunie était composée d’au moins vingt personnes. Elles avaient certainement été choisies avec beaucoup de soin.
51Le chapitre était représenté par l’officiai épiscopal et par quatre des chanoines parmi les plus influents : Anselme de Cheney, qui avait été vicaire général pendant l’épiscopat de Jean de Rochetaillée141, Louis Paris, qui occupera cette même charge quelques années plus tard142, Jean de Lentonay, qui avait été collecteur pontifical143 et official sous l’épiscopat de Jean de Bertrand144, et enfin Jean Moine, official entre autres en 1423 et 1424 et qui occupera lui aussi la charge de vicaire général en 1432145. Tous avaient une formation juridique et obtenu des grades universitaires à Bologne ou à Avignon146. L’ordre des frères prêcheurs était représenté par le prieur de la province de France Pierre Barre, Guy Flamochetti, prieur des dominicains de Chambéry, le prieur de Palais, peut-être Raoul Pinguini, le lecteur de Palais, dont l’identité n’est pas connue, et enfin par Amédée Gorgetaz, qui avait été prieur du couvent genevois au début des années vingt147. Pour les franciscains assistèrent à la séance quatre des témoins de l’enquête – Pierre Crotet, le vicaire du gardien Jacques Avelli, le lecteur Louis Salomon, Jean Gay – ainsi que Pierre Pachodi. Étaient présents également quatre juristes de la ville – Aymon Malliet, François d’Avrilly, Raymond d’Orsières et Pierre Chapuis – ainsi que le notaire Pierre de la Combe. Il n’est pas clair si ces personnes représentaient également la commune. Il est en revanche certain que tous ces personnages entretenaient des rapports étroits avec les autorités urbaines. Aymon Malliet, comme on l’a vu, avait été syndic en 1418 et Raymond d’Orsières le deviendra un peu plus tard148. Si l’on exclut François de Metz et les deux parties, les personnes qui étaient présentes à la réunion et dont nous connaissons l’identité peuvent être réparties en quatre groupes de cinq individus chacun. S’agissait-il d’un choix délibéré de l’évêque afin d’assurer une représentation équilibrée des différentes parties concernées directement ou indirectement par l’affaire, ou bien cet équilibre n’est-il dû qu’au hasard des renseignements fournis par l’enquête ? Quoi qu’il en soit, l’assemblée approuva après examen aussi bien les conclusions du bénédictin que les adjonctions des dominicains. Le premier qui exprima son accord de les faire prêcher en public au peuple fut le prieur provincial Pierre Barre. L’évêque demanda alors au franciscain Jean Gay d’assumer cette tâche et de faire part aux habitants de la ville des excuses des deux parties afin de faire cesser le mécontentement des Genevois149. La solution satisfaisait apparemment tout le monde, et en particulier la population de la ville qui espérait pouvoir assister à nouveau aux sermons de Baptiste de Mantoue150.
52Le sermon qui aurait dû mettre un terme au conflit entre le bénédictin et le dominicain ne fût cependant jamais prononcé. Dans sa déposition, Jean Gay déclare ne pas connaître les raisons précises qui ont empêché cette prédication, mais il ajoute que Raphaël de Cardona et Ulric de Torrenté s’étaient vantés d’avoir su corriger Baptiste de Mantoue en matière doctrinale, et que c’est pour ce motif que celui-ci refusa que les adjonctions des deux dominicains fussent prêchées au peuple. Il est possible que les deux frères prêcheurs avaient essayé de présenter le compromis laborieusement élaboré au cours des réunions organisées par l’évêque comme une défaite de Baptiste et peut-être même comme une sorte de jugement défavorable au bénédictin et par lequel le bien-fondé de leurs accusations avait été reconnu.
L’intervention de l’inquisiteur
53Est-ce le refus de Baptiste de laisser prêcher les adjonctions des dominicains qui a poussé Ulric de Torrenté à entamer une procédure inquisitoriale ? Ou bien celui-ci s’était-il mis au travail dès son arrivée à Genève, tout en participant aux réunions présidées par François de Metz ? Nous ne le savons pas. Les dépositions sont trop floues sur ce point pour trancher dans un sens ou dans l’autre. La mémoire des témoins paraît avoir été bien peu sensible aux dates. À chaque fois que les notaires chargés de l’enquête ont essayé d’avoir des réponses précises sur le jour ou le mois de telle ou telle autre réunion, ils ont dû se contenter de vagues approximations. Ce qui est certain, c’est que plusieurs habitants de la ville ont été convoqués au couvent de Palais par Ulric de Torrenté et interrogés sur ce qu’ils avaient entendu prêcher par Baptiste de Mantoue. L’examen des témoins se déroulait en présence de l’inquisiteur et de son clerc, mais parfois quelques autres frères dominicains étaient également présents. Le notaire Pierre Brunet raconte avoir lui aussi assisté à l’interrogatoire d’un témoin en compagnie de Jacques Madée, juge du Pays de Gex, qui prit place à côté de l’inquisiteur151. Les trois témoins de l’enquête qui ont été convoqués eurent tous l’impression que ce dernier n’était attentif qu’aux éléments susceptibles de conforter la culpabilité du prévenu. Pierre Chapuis se souvient que lorsqu’il fit état de la bonne réputation dont jouissait le bénédictin, l’inquisiteur lui signifia que cet aspect ne l’intéressait pas, le priant de passer à autre chose152. Jean Jacel, dont on a vu l’admiration qu’il vouait à Baptiste de Mantoue, pourrait même avoir choisi de mettre par écrit lui-même sa déposition parce qu’il doutait de la bonne foi de ses interlocuteurs153. Le procureur du bénédictin remarque d'ailleurs de manière assez pittoresque que lorsque les témoins commençaient à déposer en faveur de celui-ci, l’inquisiteur les interrompait et les invitait à boire un pot ensemble154. Les méthodes d’Ulric de Torrenté n’ont pas manqué de susciter des discussions en ville. François de Versonnex déclare avoir reçu les confidences ‘secrètes’ de plusieurs personnes qui avaient été interrogées. Il dut au moins en parler avec Mermet Lombard, car celui-ci le cite comme une des sources grâce auxquelles il était au courant des agissements de l’inquisiteur.
54Face à la détermination d’Ulric de Torrenté, Baptiste de Mantoue essaya de réagir en l’accusant de partialité, accusation qui était partagée par une partie des habitants de Genève. Le bénédictin demanda à l’évêque de désigner un inquisiteur ‘non suspect’, se disant prêt à se soumettre à un procès instruit aussi bien contre lui-même que contre Raphaël de Cardona. François de Metz ne donna pas suite à cette requête, sans doute parce qu’il estimait toujours pouvoir régler l’affaire autrement.
55L’inquisiteur et Raphaël de Cardona ont sans aucun doute travaillé de concert. La liste des erreurs imputées au bénédictin qui a servi pour l’interrogatoire des témoins reprenait pour l’essentiel celle que Raphaël avait oralement présentée dès les premières réunions chez l’évêque. Elle a aussi permis à Ulric de Torrenté d’élaborer les vingt et un articles d’accusation qui, une fois les auditions des témoins terminées, furent présentés à Baptiste au cours d’une réunion qui eut lieu comme d’habitude au palais épiscopal en présence de plusieurs personnes, réunion dont la date reste une fois encore impossible à déterminer, mais qui pourrait avoir eu lieu vers la fin du mois de juillet ou le début du mois d’août.
Les ‘erreurs’ de Baptiste de Mantoue
56En l’absence du texte rédigé par l’inquisiteur, il est difficile de savoir si le catalogue des erreurs reprochées à Baptiste de Mantoue essayait de rattacher celui-ci à l’un ou à l’autre des nombreux courants dissidents auxquels devait faire face la Papauté au début du XVe siècle. D’après ce que l’on peut entrevoir, les dominicains se proposaient de prouver que le bénédictin avait proféré des affirmations contraires à la doctrine au sujet de la Trinité, de la résurrection et de la Vierge155. Quelques articles semblent vouloir reprocher à Baptiste d’avoir nié l’utilité du baptême dans certaines circonstances, l’efficacité de la pénitence administrée par les curés ignorants ou encore d’avoir proposé un enseignement douteux au sujet de l’eucharistie156. D’autres semblent condamner le rigorisme excessif du bénédictin au sujet du jeûne de Carême, des péchés véniels ou du mensonge et donc, tout au moins implicitement, pouvoir être eux aussi mis en relation avec le problème de l’efficacité des sacrements157. Si l’accusation d’avoir exprimé au sujet des biens temporels de l’Église et de la propriété privée des positions proches de celles des Hussites est davantage explicite, les reproches d’avoir honoré les juifs et défendu l’idée que les moines qui entretenaient des rapports sexuels en cachette avec une jeune femme ne commettaient qu’un péché véniel paraissent davantage viser à discréditer la personne même du bénédictin. Certes, quelques articles sont proches de ceux qu’on trouve dans la sentence de condamnation de Nicole Serrurier que le pape avait fait parvenir à Ulric de Torrenté158. D’autres pourraient aisément être mis en relation avec certaines affirmations des Spirituels. D’autres encore pourraient indiquer que Baptiste de Mantoue avait été lui aussi influencé par la lecture du Miroir des simples âmes de Marguerite Porete, ouvrage que la congrégation de Santa Giustina décidera de mettre au ban en avril 1433 au chapitre général de Padoue, sans doute parce qu’elle craignait l’attrait que ce texte continuait d’exercer sur une partie des bénédictins de l’Observance159. De même, l’accusation d’avoir minimisé les péchés commis par les moines qui ne se privaient pas de la compagnie des jeunes femmes pourrait avoir été suggérée par Raphaël de Cardona qui, comme on l’a vu, connaissait le passé de Baptiste de Mantoue et sans doute aussi le soutien que le bénédictin avait offert au mouvement de Manfred de Verceil, mouvement où la présence féminine était importante, ce qui n’avait pas manqué de susciter des critiques au sujet des comportements sexuels de ses membres. Il est cependant préférable de renoncer à l’idée que les accusations formulées contre le bénédictin répondaient à un p an cohérent qui visait à prouver qu’il appartenait à tel ou à tel autre courant de pensée hétérodoxe. D’une part car les inquisiteurs eux-mêmes n’étaient sans doute pas totalement au clair sur ce que les différents mouvements dissidents prônaient. Ce constat s’applique d’ailleurs aussi à une partie des individus qui se réclamaient de ces mêmes mouvements, comme le prouve la déposition d’un témoin faite en présence d’Ulric de Torrenté en juin 1430 selon laquelle certains Vaudois fribourgeois considéraient que leur croyance était identique à celle des Hussites160. De l’autre parce que la procédure inquisitoriale fonctionnait en définitive sur le principe de l’accumulation des accusations et n’essayait donc pas toujours d’inscrire celles-ci dans un cadre parfaitement logique et cohérent. Comme le remarque le procureur de Baptiste de Mantoue, il était illogique d’accuser le moine d’avoir amplifié la gravité de certains péchés véniels au point de les présenter comme s’il s’agissait de péchés mortels et tout de suite après de lui reprocher d’avoir fait exactement le contraire, c’est-à-dire traité certains péchés mortels comme des péchés véniels161. Du point de vue des inquisiteurs le principe de l’accumulation était cependant très efficace. Le but n’étant pas de prouver que toutes les accusations étaient pertinentes, il suffisait d’en démontrer le bien-fondé de quelques-unes pour pouvoir prononcer la condamnation.
La deuxième intervention ducale
57Toujours attentif à ce qui passait à Genève, Amédée VIII intervint une deuxième fois. Il convoqua Ulric de Torrenté et, au dire du procureur du bénédictin, lui signifia que grâce à sa première intervention il avait rétabli la paix entre Raphaël de Cardona et Baptiste de Mantoue, ce dont l’inquisiteur se réjouit162. Celui-ci refusa cependant de brûler les actes du procès qu’il avait instruit, si bien que le duc ordonna de procéder à l’enquête dont le texte nous est parvenu afin de prouver l’innocence du moine et lui permettre de disposer, au cas où des accusations semblables seraient portées contre lui dans le futur, d’un document prouvant son innocence163. S’il n’est pas tout à fait certain que la version du procureur corresponde exactement à ce qui s’est passé – l’attitude de l’inquisiteur paraît plutôt suggérer que celui-ci a considéré d’emblée, et peut-être signifié à son interlocuteur, que le rétablissement de la paix entre son confrère et le bénédictin n’avait aucune incidence sur la procédure qu’il menait – la volonté d’Amédée VIII d’essayer une fois encore de trouver une solution extrajudiciaire à l’affaire est évidente.
58Tant le duc de Savoie que l’évêque de Genève ont ainsi œuvré pendant plus d’un mois pour tenter d’apaiser le conflit entre Baptiste de Mantoue et Raphaël de Cardona. Comment expliquer leur engagement en faveur d’une réconciliation à l’amiable qui, en dépit de toutes les précisions que frère Jean Gay aurait dû publiquement annoncer, allait sans doute être perçue comme un désaveu des accusations formulées par le dominicain ? La majorité des habitants de la ville et leurs représentants avaient certes pris parti en faveur de Baptiste, qui pouvait également compter sur l’appui des franciscains de Rive et de quelques chanoines de la cathédrale. Mais d’autres enjeux semblent aussi avoir influencé la conduite d’Amédée VIII et de François de Metz et leur avoir suggéré une attitude très prudente.
Amédée VIII et la réforme du duché
59Pendant que Baptiste de Mantoue donnait chaque jour son sermon, un grand nombre de dignitaires laïcs et ecclésiastiques du duché de Savoie avaient été convoqués à Genève pour examiner et approuver celle qui est à juste titre considérée comme une des œuvres législatives parmi les plus intéressantes de la fin du Moyen Âge, les Statuts de Savoie. Divisés en cinq livres dans lesquels ont été regroupés plus de 350 articles, les Statuts reprennent les dispositions qu’Amédée VIII avait promulguées en 1403 et en 1423 en matière de police des mœurs et de fonctionnement de la justice et les intègrent dans un recueil plus imposant et cohérent qui réserve une place de choix aux mesures réglementant l’administration du duché et son organisation judiciaire. La dernière : partie propose une législation minutieuse et systématique au sujet des dépenses somptuaires consenties aux membres de chaque catégorie sociale. Si la répression du blasphème, de la prostitution, du luxe excessif, ainsi que l’aggravation des mesures de ségrégation prises à l’encontre des communautés juives, reflètent la volonté du duc et de son entourage de contribuer à la construction d’une société davantage chrétienne, les Statuts dans leur ensemble essaient de concrétiser un modèle d’organisation sociale très hiérarchisée et ordonnée164. Afin de préparer la réunion prévue à Genève, Amédée VIII avait convoqué à Thonon au début du mois de mai le chancelier Jean Beaufort et plusieurs membres du conseil ducal et du conseil résident de Chambéry, dont le président de celui-ci, le docteur en droit Lambert Oddinet165. La mise au point du texte que le duc souhaitait présenter à l’assemblée qu’il avait convoquée demanda environ deux semaines. Le lundi 15 mai, en fin d’après-midi, Amédée VIII arriva à Genève et selon toute vraisemblance les travaux commencèrent dès le lendemain. La plupart des grands personnages du duché étaient présents : Louis, comte de Genève, Humbert le Bâtard, le chancelier Jean Beaufort, plusieurs conseillers ducaux, le président et les membres du conseil résident de Chambéry, l’avocat fiscal, le procureur fiscal, les secrétaires ducaux, le trésorier général Michel de Fer, etc. Aux travaux participèrent également l’archevêque de Tarentaise Jean de Bertrand – qui avait été évêque de Genève de 1408 à 1418166 – les évêques de Maurienne, d’Aoste, de Belley, de Lausanne et de Genève. Le clergé régulier était représenté par plusieurs abbés cisterciens et clunisiens, les prieurs des communautés de chanoines soumis à la règle de saint Augustin, le prieur des chartreux de Pierre Châtel, etc. Le prieur des dominicains de Chambéry Guy Flamochetti avait lui aussi été convoqué167. S’il n’est guère possible d’établir la liste complète de tous ceux qui ont participé aux discussions, il est certain qu’Amédée VIII avait voulu soumettre son projet à une assemblée fort nombreuse.
60En marge des travaux pour mettre au point le texte définitif des Statuts, le duc et ses conseillers profitèrent également de la présence à Genève de l’archevêque et de plusieurs évêques pour tenter de faire aboutir un autre dossier important, celui des relations entre les juridictions ecclésiastiques et les juridictions séculières. Du point de vue ducal, il s’agissait en fait d’essayer d’étendre les compétences juridictionnelles des cours séculières en définissant de manière plus précise celles des cours ecclésiastiques, l’objectif étant de limiter autant que possible le nombre de causes impliquant des laïcs et ne relevant pas directement du domaine spirituel dont la justice ecclésiastique pouvait se saisir. Le mardi 6 juin, au couvent de Rive, Jean de Bertrand et les évêques de Maurienne, d’Aoste et de Belley acceptèrent un concordat qui limitait, à vrai dire de manière peu significative, quelques-unes des compétences que les cours ecclésiastiques exerçaient en matière temporelle168. Ni l’évêque de Genève ni celui de Lausanne n’étaient présents à la réunion. L’un et l’autre ont vraisemblablement estimé que l’acceptation de l’accord aurait entraîné une atteinte excessive à la souveraineté qu’ils exerçaient sur leurs villes respectives. Mais l’absence de François de Metz n’a sans doute pas trop préoccupé le duc, qui à ce moment nourrissait encore bien d’autres espoirs au sujet de la cité épiscopale.
61Pendant son séjour à Genève, qui s’est prolongé jusqu’au 7 juin, Amédée VIII a résidé au couvent de Rive. C’est également chez les franciscains que les Statuts de Savoie ont été examinés par le conseil réuni par le duc. D’après le témoignage d’Amédée de Charansonnex, qui participa aux travaux, les réunions commençaient tôt le matin et se prolongeaient sans doute jusqu’au soir. Le choix d’Amédée VIII de loger au couvent des Mineurs était relativement inhabituel, et nous verrons qu’il n’était peut-être pas sans arrière-pensées. Lorsqu’il venait à Genève, le comte puis duc de Savoie avait en effet l’habitude de résider au couvent de Palais, qui était sensiblement mieux équipé pour accueillir les personnages importants. Contrairement à Martin V, qui pendant son long séjour genevois avait pris ses quartiers chez les franciscains, Amédée VIII, lorsqu’il devint pape sous le nom de Félix V, choisit d’ailleurs de s’installer au couvent des frères prêcheurs pour attendre la fin des travaux de réfection et d’agrandissement du palais épiscopal qu’il avait ordonnés169. Pendant plus de trois semaines le duc avait ainsi logé au même endroit où se trouvait Baptiste de Mantoue, ce qui permet de penser que les deux hommes eurent à plusieurs reprises la possibilité de se rencontrer et que le duc avait pu personnellement constater le grand succès des prédications que le bénédictin avait tenues devant l’église des franciscains. Il n’est pas exclu que soit Amédée VIII lui-même qui ait souhaité entendre Baptiste prêcher solennellement dans l’église des franciscains en présence de tous les grands de son conseil. Ce sermon pourrait avoir été prononcé le 4 juin, dimanche de la Pentecôte, et avoir en quelque sorte marqué la fin des travaux consacrés aux Statuts. Le thème que le bénédictin a traité, les excès et les abus des seigneurs ecclésiastiques et laïcs, semble à bien des égards pouvoir être mis en relation avec le projet de moralisation et d’organisation du duché que les Statuts de Savoie se proposaient de concrétiser.
62Faut-il dès lors imaginer que les dominicains avaient ressenti comme un affront le fait que le duc avait en quelque sorte privilégié les franciscains et accordé autant d’importance à un prédicateur que ces derniers avaient accueilli et à l’égard duquel ils avaient manifesté une admiration partagée non seulement par les habitants de la ville mais également par les grands seigneurs laïcs et ecclésiastiques qui s’y trouvaient ? C’est en tout cas l’avis de plusieurs des témoins de l’enquête, qui n’ont pas hésité à déclarer que les accusations formulées contre le bénédictin avaient été dictées par la jalousie170. Explication qu’il convient cependant de relativiser, car Baptiste de Mantoue a été admis à prêcher au couvent de Palais le 11 juin, c’est-à-dire quelques jours après le départ du duc et de son entourage.
63La neutralité bienveillante dont a fait preuve Amédée VIII dans le conflit qui a opposé le bénédictin à Raphaël de Cardona et à l’inquisiteur pendant les premières semaines suscite elle aussi quelques interrogations. Était-elle due au fait qu’une éventuelle condamnation de Baptiste aurait pu se révéler embarrassante pour le duc lui-même ? Amédée VIII n’avait-il pas, en effet, apprécié le sermon du bénédictin qu’il avait écouté en compagnie d’un grand nombre de dignitaires laïcs et ecclésiastiques chargés de préparer la promulgation des Statuts de Savoie, dont le préambule souligne longuement le devoir et la volonté du prince de promouvoir et défendre la foi chrétienne ? Il est possible que des considérations de cette nature aient incité le duc à faire preuve d’esprit de conciliation. L’attitude d’Amédée VIII paraît néanmoins s’expliquer avant tout par son désir de montrer qu’il soutenait les efforts de l’évêque François de Metz lequel, comme on l’a vu, souhaitait régler lui-même le conflit entre le bénédictin et le dominicain, si possible de manière consensuelle. Pour le prélat et le duc l’affaire Baptiste de Mantoue avait en réalité des implications qui allaient bien au-delà de la seule sphère religieuse. Engagés dans une partie subtile – à défaut d’être toujours très transparente – qui avait pour enjeu l’exercice de la souveraineté sur Genève, l’évêque et le duc avaient tout intérêt à ne pas commettre de faux pas l’un à l’égard de l’autre et les deux à l’égard de tous ceux qui d’une quelconque manière auraient pu influencer l’issue de la partie, le pape en premier lieu, le chapitre cathédral et la commune ensuite.
Genève, une ville à acheter ?
64Pourquoi Amédée VIII avait-il choisi de réunir dans la cité épiscopale, autrement dit dans une ville qui ne faisait pas partie des territoires placés sous son autorité, le conseil qui devait examiner l’œuvre législative grâce à laquelle il souhait réformer en profondeur son duché ? Pourquoi avait-il opté pour Genève alors que Chambéry fonctionnait désormais comme capitale administrative du duché, ce dont témoigne aussi le fait que le duc, avec toute sa suite, fit le déplacement de Genève à Chambéry afin de procéder, le 17 juin, à la promulgation officielle des Statuts de Savoie ?
65Certes, depuis le xiiie siècle Genève entretenait des relations nombreuses et complexes avec la Maison de Savoie et Amédée VIII, ainsi que les membres de sa famille, connaissaient bien la ville. Ils y séjournaient fréquemment et y dépensaient aussi des sommes importantes, car c’est à Genève que les acheteurs ducaux trouvaient une bonne partie des marchandises de luxe et des biens courants destinés aux différents hôtels savoyards. Plusieurs marchands de la ville étaient des fournisseurs réguliers de la maison ducale, à l’instar d’un des témoins de l’enquête, François de Versonnex, ou de Jacques de Pesme171. L’influence des Savoie sur Genève s’exerçait depuis la fin du xiiie siècle principalement par le biais du vidomne, dont la charge avait été remise en fief par l’évêque Guillaume de Conflans à Amédée V. Le vidomne – qui était également châtelain de l’île – avait la responsabilité de la basse justice et exerçait pendant la journée les tâches de police. Il jugeait aussi certaines causes civiles et instruisait les causes criminelles pour le compte de la commune. En 1401, Amédée VIII avait finalisé l’achat du comté de Genève, si bien que la cité épiscopale était désormais officiellement une enclave du duché172. Même si les habitants de la ville étaient mis assez régulièrement à contribution par le duc pour renflouer ses caisses à titre gracieux, il n’en demeure pas moins que juridiquement l’évêque de Genève ne reconnaissait aucun supérieur en matière temporelle – ou tout au plus l’empereur, si cela l’arrangeait173 et qu’en s’installant pendant trois semaines à Rive avec toute sa suite le duc de Savoie s’établissait en quelque sorte à l’étranger. D’autant plus que le couvent des franciscains, contrairement à celui des dominicains, était à l’intérieur de l’enceinte qui protégeait la ville, près des rues marchandes où se tenaient les foires. En fait, ce sont justement ces deux caractéristiques qui avaient sans doute incité le duc à opter pour Genève et à élire sa résidence temporaire chez les Cordeliers. Au printemps 1430, tout donnait en effet à penser que le projet qui visait à intégrer la ville au duché pour en faire la nouvelle capitale de celui-ci était en train de se concrétiser. En faisant de Genève la ville où les grands seigneurs du duché avaient accepté la promulgation des Statuts, Amédée VIII souhaitait sans doute signifier aux habitants et aux autorités de celle-ci que l’acceptation de son projet allait permettre à Genève d’accroître encore plus son importance, déjà considérable sur le plan économique grâce au succès de ses foires, tout en montrant, pour le moment de manière encore symbolique, qu’il était prêt à en devenir le souverain. Une dizaine d’années auparavant, n’avait-il pas résidé avec toute sa cour à Rumilly pendant plusieurs mois pour bien souligner que désormais la ville relevait de son autorité ?
66En 1430, le projet de mettre juridiquement la main sur une bonne partie de la cité épiscopale avait désormais une assez longue histoire. Les premières démarches du duc et de son entourage remontent en effet au pontificat de Benoît XIII. Elles n’avaient rien donné parce que le pape avait été destitué174. Mais dès l’arrivée de Martin V à Genève en juin 1418, Amédée VIII était revenu à la charge. Tout en contribuant généreusement au financement du séjour pontifical dans la ville, le duc s’employa à souligner les avantages qu’aurait comporté le passage de la majeure partie de la ville sous domination savoyarde, aussi bien pour ce qui était de la sécurité des marchands qui fréquentaient les foires que du maintien de Tordre publique en général. En mars 1419, le pape avait accepté l’idée d’un transfert de la juridiction de Genève, moyennant une compensation à l’évêque, et s’était dit prêt à accepter qu’un ou deux commissaires soient chargés de l’affaire. Amédée VIII avait alors essayé d’obtenir l’expédition de lettres apostoliques nommant un commissaire unique, mais son initiative avait été contestée par Jean de Rochetaillée, administrateur de l’évêché, qui avait soumis à la Curie vingt-trois articles dans lesquels il présentait les raisons pour lesquelles le transfert ne devait pas être réalisé et qui, prétextant le fait qu’il n’était en charge que depuis trop peu de temps pour bien connaître la situation de la ville, où par ailleurs il ne résidait pas, décida de s’en remettre à l’avis du chapitre et de la commune175. Le 29 février 1420, en présence d’Amédée VIII et de Jean de Rochetaillée, les bourgeois de la ville refusèrent à l’unanimité le projet de cession des droits de l’évêque au duc. Ils jugèrent même pareille éventualité fort dommageable et très dangereuse et s’engagèrent à combattre toute tentative future visant à les soustraire à la seigneurie de l’Église de Genève sous laquelle, déclarèrent-ils, ils souhaitaient vivre et mourir176.
67Le duc de Savoie encaissa l’échec mais ne renonça pas à l’idée de réussir un jour à concrétiser son objectif. Pour ce faire, il essaya d’intervenir aussi bien en 1423 qu’en 1426-27 pour faire élire au siège épiscopal de Genève un de ses proches, Guigue d’Albi177. Il échoua à deux reprises. Martin V décida en effet en décembre 1423 de transférer d’Arles à Genève Jean de Brogny, qu’il nomma administrateur de l’évêché178, et de nommer en 1426 le neveu de celui-ci, François de Metz, qui ne put cependant s’installer à Genève qu’en juin 1428179. À dire vrai, rien ne prouve que les agissements du duc pour imposer son candidat étaient dictés par la volonté de pouvoir à nouveau remettre à l’ordre du jour la question du transfert de la juridiction de Genève. Les nombreux adversaires de Guigue d’Albi avaient cependant pu faire parvenir jusqu’à Rome, jusqu’aux oreilles du pape et des cardinaux, la rumeur selon laquelle les interventions ducales n’avaient en réalité qu’un seul but, celui de faire nommer un évêque disposé à accepter son projet. Le 21 octobre 1427, depuis Rumilly, Amédée VIII se sentit même obligé d’écrire à Martin V une lettre dans laquelle il dénonçait le caractère calomnieux de ces allégations et affirmait sa détermination à ne plus jamais entreprendre de démarches pour obtenir le transfert de la juridiction de l’évêque, sauf si le pape actuel ou futur devaient le lui demander180.
Les manœuvres à la cour pontificale
68Le duc et son entourage n’avaient en réalité nullement renoncé à leur projet181. Sans doute au cours de l’année 1428, ils avaient réussi à trouver à Rome un interlocuteur disposé à les aider : Jean de Rochetaillée, devenu en 1423 archevêque de Rouen et trois ans plus tard promu cardinal, ce qui lui permettait de porter le titre de cardinal de Rouen. C’est par l’intermédiaire de Guy de Ruppe, docteur en droit civil et canonique, familier de Jean de Rochetaillée mais également procureur du duc de Savoie à la Curie, que les nouvelles négociations auraient dû aboutir. Dans une lettre du 20 janvier 1429, le secrétaire ducal Guillaume Bolomier182 demanda au procureur d’accélérer les démarches et de soumettre au cardinal la proposition du duc tout en gardant le secret le plus strict183. D’après la réponse de Guy de Ruppe, datée elle aussi de janvier, Amédée VIII souhaitait toujours entrer en possession de la totalité de la seigneurie épiscopale sur Genève. Jean de Rochetaillée trouva cependant le projet du duc excessif et impossible à réaliser. Il proposa un partage de la ville qui aurait permis au duc de contrôler les quartiers qui l’intéressaient le plus, à savoir ceux à vocation marchande et artisanale et le pont sur le Rhône, le château de l’Ile, le quartier de Saint-Gervais, les péages sur le Rhône et l’Arve ainsi qu’un certain nombre d’autres droits. L’évêque aurait gardé la partie supérieure de la ville, celle allant du couvent des franciscains jusqu’à la porte conduisant au couvent des frères prêcheurs, y compris l’église de la Madeleine. Les deux parties de la ville auraient dû être séparées par la construction d’un mur pourvu de portes doubles, c’est-à-dire pouvant être fermées aussi bien du côté épiscopal que du côté ducal. La proposition du cardinal prévoyait aussi quelques dispositions concernant les droits des habitants qui seraient restés sous la juridiction épiscopale, le statut des juifs, l’éventuelle reconstruction du château de Bourg-de-Four ainsi que l’accès des laïcs et des clercs aux cours spirituelles. Jean de Rochetaillée recommandait enfin de prévoir des compensations adéquates en faveur de l’évêque, si possible sous la forme de rentes et de revenus et non de possessions foncières ou de châteaux184.
69Guillaume Bolomier répondit le dernier jour de février depuis Morges qu’il avait examiné attentivement et avec le duc la proposition du cardinal. Si Amédée VIII et ses conseillers acceptaient l’idée de maintenir une partie de Genève sous la juridiction de l’évêque, ils estimaient que le partage suggéré par le cardinal aurait entraîné l’appauvrissement et le dépeuplement de la ville. Ils proposaient par conséquent de réduire considérablement la surface laissée à l’évêque, qui n’aurait dû englober que la cathédrale, le cloître Saint-Pierre et quelques ruelles situées tout autour185. Dans sa réponse du 22 mars, le procureur Guy de Ruppe fit d’abord remarquer qu’il avait beaucoup hésité avant de soumettre la nouvelle proposition d’Amédée VIII au cardinal de Rouen, car il était certain qu’elle aurait suscité l’indignation du prélat. Il avait quand même fini par lui en parler et le cardinal avait effectivement réagi de manière irritée. Il fit remarquer que mêmes les abbayes les plus pauvres disposaient d’un territoire plus grand que celui qu’aurait eu l’évêque et menaça de tout arrêter si ce qu’il avait suggéré ne convenait pas au duc. Pour tenter de débloquer la situation, le procureur conseilla à Guillaume Bolomier d’intervenir auprès d’Amédée VIII pour qu’il désigne quelqu’un ayant le pouvoir de négocier en son nom directement avec le cardinal, se disant convaincu que dans ce cas Jean de Rochetaillée aurait accepté de demander une bulle pontificale désignant un ou deux commissaires chargés de déterminer les conditions précises du partage et la nature des compensations. Tout en se déclarant prêt à assumer lui-même la charge de négociateur – et sans oublier de rappeler au passage qu’il n’avait pas encore reçu son salaire Guy de Ruppe souligna aussi qu’en cas d’échec il espérait que le duc ne lui en tienne pas rigueur, car il avait toujours fait son possible pour faire aboutir l’affaire186.
70Comment se faisait-il que Jean de Rochetaillée, qui s’était opposé quelques années auparavant à la cession de la seigneurie épiscopale au duc, ait changé d’avis ? Et comment Amédée VIII pensait-il être en mesure de convaincre François de Metz à accepter le partage de la ville alors même qu’il avait essayé d’empêcher son élection ? D’après la correspondance entre la cour savoyarde et Rome qui nous est parvenue, le duc avait en fait réussi à obtenir, peut-être grâce au cardinal de Rouen lui-même, que François de Metz soit assez rapidement transféré sur un autre siège épiscopal. En février 1429, ce transfert paraissait presque certain, puisque Guillaume Bolomier demandait de le différer jusqu’au dernier dimanche du mois d’août afin d’avoir le temps de préciser toutes les conditions du partage187. La lettre du 22 mars de Guy de Ruppe confirme elle aussi que le transfert de François de Metz était imminent, le procureur précisant toutefois qu’il n’avait rien dit au cardinal d’un report éventuel de celui-ci car il y avait le risque que la cour pontificale ne comprenne pas très bien pourquoi le duc de Savoie intervenait maintenant en faveur de celui qui était toujours considéré comme un de ses adversaires. Quelques mois plus tard, le 9 mai, ayant appris que l’évêché d’Autun allait bientôt être vacant, Guillaume Bolomier écrivit à nouveau à Guy de Ruppe pour lui demander de faire en sorte que ce siège épiscopal ne fut pas repourvu avant la conclusion de l’affaire genevoise, afin bien sûr de le garder en réserve pour François de Metz188.
71Quant à Jean de Rochetaillée, il avait un intérêt bien précis à soutenir les plans du duc de Savoie : il envisageait tout simplement de devenir lui-même évêque de Genève, sans doute en reprenant son ancien rôle d’administrateur de l’évêché. Dans sa lettre du 22 mars, Guy de Ruppe rappelle en effet que, lorsqu’il avait présenté la proposition d’Amédée VIIII de limiter la juridiction de l’évêque à l’espace autour de la cathédrale, le cardinal avait manifesté son irritation en soulignant que l’évêché de Genève était considérablement moins riche que l’archevêché de Rouen et que, s’il le souhaitait, il pouvait garder ce dernier tant qu’il resterait en vie, ou trouver facilement un autre siège épiscopal plus riche que celui de Genève189.
72C’est donc à la suite du souhait de Jean de Rochetaillée de renoncer à l’archevêché de Rouen, probablement pour des raisons liées à l’évolution de la guerre de Cent ans, que le duc de Savoie avait eu la possibilité de reprendre ses manœuvres en vue d’intégrer Genève au duché. La persévérance avec laquelle Amédée VIII a tenté pendant plus de dix ans de mener à terme son projet révèle toute l’importance qu’il attachait à l’acquisition de Genève. L’intégration de la ville aurait permis à la fois de donner une plus grande cohérence à l’assise territoriale du duché et de contrôler un des centres économiques parmi les plus dynamiques de l’Occident. Si la stratégie ducale pour concrétiser ce projet était habile – elle prévoyait en définitive d’utiliser l’influence du cardinal de Rouen auprès de l’entourage pontifical pour obtenir l’approbation de partager la juridiction et, une fois celle-ci obtenue, d’éliminer l’opposition prévisible de François de Metz en le faisant déplacer sur un autre siège épiscopal elle était aussi risquée, car il fallait à tout prix agir en secret et éviter que les intentions de Jean de Rochetaillée au sujet de l’évêché genevois ne soient connues avant l’acceptation définitive de l’accord par le pape190.
73En mai 1429, Guillaume Bolomier annonça à Guy de Ruppe sa prochaine venue à Rome, prévue dans le courant du mois de juin. Avec Claude de Saix (de Saxo), président de la chambre des comptes191, il avait été chargé par le duc de régler les derniers détails directement avec le cardinal. Pour tenter de garder le secret, le secrétaire ducal aurait fait semblant de participer à une ambassade chargée de rencontrer un prélat normand192. Il est cependant possible que le voyage n’ait pas eu lieu. Entre le mois de mai et le mois d’octobre la situation paraît en effet être devenue plus compliquée à la suite de la mort du procureur Guy de Ruppe. En octobre, Guillaume Bolomier écrivit deux lettres au cardinal de Rouen pour lui faire part de l’inquiétude du duc qui, depuis le décès de son procureur, était sans nouvelles de l’affaire genevoise. La démarche paraît avoir permis à l’entourage ducal d’envisager l’organisation d’un nouveau déplacement à Rome pour discuter directement avec Jean de Rochetaillée. C’est probablement pour préparer cette rencontre que fut rédigé le 12 décembre 1429 un mémoire dans lequel le secrétaire ducal prit note des éventuelles concessions que le duc était prêt à faire pour mener à terme l’affaire193. De manière très pragmatique, Guillaume Bolomier, aidé par Claude de Saix, Pierre de Menthon et le trésorier général, élabora treize requêtes que son futur interlocuteur aurait pu être amené à formuler. Celles-ci furent ensuite soumises au duc qui indiqua à son secrétaire les réponses que les membres de l’ambassade étaient autorisés à donner en son nom. D’après ce que le document laisse entrevoir, Amédée VIII était d’accord d’aller assez loin pour obtenir ce qu’il voulait. Il était disposé à prendre en charge les frais pour faire ‘louer’ le transfert de la juridiction par l’empereur, à accepter de remettre à son interlocuteur une dette importante et à lui verser 500 ducats, à permettre à celui-ci de recevoir des bénéfices dans le duché jusqu’à un montant de 1300 florins par an, etc. Ces concessions étaient prévues au cas où le cardinal n’aurait plus souhaité remplacer François de Metz sur le siège épiscopal de Genève194. L’entourage ducal était sans doute au courant du fait que Jean de Rochetaillée venait d’obtenir la charge d’administrateur de l’archevêché de Besançon195.
74Les travaux de préparation de l’ambassade amenèrent aussi Guillaume Bolomier à estimer le montant des revenus que l’évêque de Genève encaissait chaque année sur la partie de la ville qui aurait dû être cédée, soit environ 1300 florins196. Pour mieux visualiser comment aurait dû être réalisé le partage de la juridiction, le secrétaire ducal dessina aussi un plan de la ville, le plus ancien à avoir été conservé (fig. 6). Guillaume Bolomier rédigea également une supplique au pape dans laquelle le duc demandait à Martin V de désigner les membres d’une commission chargée de définir tous les points de l’accord197. Aux yeux d’Amédée VIII, la nomination de deux ou plusieurs commissaires aurait été un grand succès, car cela aurait signifié non seulement que le pape acceptait l’idée de lui céder une partie de la juridiction épiscopale, mais également que l’évêque de Genève était désormais dans l’obligation de se soumettre aux décisions d’une commission dont le duc avait bon espoir de pouvoir influencer la composition.
75C’est peut-être au début de l’année 1430 que l’ambassade ducale prit connaissance de la première version du texte qui précisait les modalités de la cession en trente-deux articles. Les représentants du duc eurent la possibilité de formuler leurs observations qui, pour l’essentiel, visaient à limiter autant que possible la portion de la ville et les droits laissés à l’évêque198. Selon toute vraisemblance, l’ambassade réussit également à obtenir l’assurance que Martin V était d’accord de publier la bulle de nomination des commissaires. Une fois encore c’est Guillaume Bolomier qui prit en charge la tâche de rédiger le texte pontifical, dont quatre versions préparatoires ont été conservées. Elles ne comportent aucune date et les noms des commissaires n’y figurent pas, sans doute parce que l’entourage ducal ne les connaissait pas encore. Amédée VIII, à cette époque, était presque certainement convaincu que le partage de Genève était pratiquement chose faite. Au printemps 1430, avant la fin du mois de mars, le texte de l’accord élaboré auparavant fut soumis à l’évêque François de Metz. Même si officiellement aucun commissaire n’avait encore été nommé, lorsqu’il prit connaissance du texte le prélat était certainement au courant de la prochaine désignation d’une commission, car dans les chapitres qu’il présenta au duc, et qu’il transmit également au pape, il y fait explicitement référence199. Par ses remarques, l’évêque de Genève essaya de limiter autant que possible la portion de la ville et les droits qu’il aurait dû céder au duc et à obtenir un certain nombre de privilèges pour les habitants qui seraient restés sous sa juridiction. Il est certain que la réponse de l’évêque fut examinée avec la plus grande attention par le duc et ses conseillers. Ils la commentèrent en effet article par article. Certaines propositions, comme celle qui demandait que toute personne voulant se réfugier dans la partie épiscopale devait bénéficier de l’immunité, furent jugées très sévèrement par le duc, qui accusa même l’évêque de vouloir faire de sa partie de la ville un « antre de voleurs »200. Amédée VIII demeurait cependant confiant. Il savait que les commissaires auraient le dernier mot et il était sans doute persuadé de pouvoir les convaincre du bien-fondé de ses positions. En guise de conclusion aux remarques concernant le texte de François de Metz, il fit d’ailleurs écrire : « 11 convient que les commissaires modèrent beaucoup de points, et aussi qu’ils en suppriment201. »
76La bulle pontificale désignant la commission chargée de finaliser l’échange fut publiée le 29 mars202. Comme membres de la commission Martin V choisit Aymon Gerbais, évêque de Saint-Jean-de-Maurienne, l’abbé de Filly et Jean Moine, sacristain de l’Église de Sion et membre du chapitre de Genève203. De toutes les personnes que le duc avait suggérées comme membres possibles de la commission dans le mémorial rédigé en décembre 1429, seul l’abbé de Filly avait été retenu. Le même jour le pontife transmit aux commissaires également les trente-deux propositions de François de Metz204.
77Selon toute vraisemblance, le choix de Genève pour réunir les dignitaires chargés de discuter et peaufiner les Statuts de Savoie s’explique par la conviction d’Amédée VIII que la ville allait bientôt devenir partie intégrante de ses possessions. Pendant le séjour de la cour ducale, quelques conseillers furent chargés de visiter quelques-uns des biens que le duc acceptait de céder à l’évêque en échange de la juridiction, et il est probable que le duc eut également l’occasion de discuter de vive voix avec François de Metz de l’affaire en cours. C’est sans doute parce que la cession de la ville paraissait désormais inéluctable, que l’évêque de Genève ne fut pas présent au concordat concernant les juridictions ecclésiastiques qui fut discuté le 6 juin205. Le 7 juin, le jour même où le duc quittait Genève, Pierre de Menthon se présenta devant les membres de la commission. Après avoir montré les bulles pontificales qui avaient été transmises au duc, il demanda aux commissaires de sommer l’évêque de Genève de se présenter le 8 août au soir afin de procéder à l’application de ce que prévoyaient les lettres pontificales. La commission, estimant que la requête était juridiquement fondée, convoqua l’évêque à la date indiquée. Amédée VIII et ses conseillers avaient donc décidé d’agir le plus rapidement possible, sans doute parce qu’ils estimaient être en position de force vis-à-vis de François de Metz206.
L’échec du projet ducal
78L’évêque de Genève et quelques chanoines opposés au partage de la juridiction n’étaient cependant pas restés inactifs. Si le détail de leurs démarches nous échappe, il est certain qu’ils avaient pu intervenir auprès de la cour pontificale pour faire entendre leurs raisons. Il semblerait même que le parti épiscopal ait su agir avec beaucoup d’adresse et dans la plus grande discrétion. Le 10 juillet 1430, le pape publia une nouvelle bulle par laquelle, suite aux protestations de l’Église de Genève, il ordonnait à la commission de suspendre immédiatement ses travaux et annulait toutes les décisions qui auraient été prises par celle-ci après cette date. François de Metz eut connaissance de la bulle pontificale assez rapidement. Amédée VIII, en revanche, était encore convaincu au début du mois d’août de pouvoir faire valoir son point de vue devant les commissaires. En compagnie de son conseiller Pierre de Voyron, il avait visité, du 3 au 10 juillet, la châtellenie de Versoix, le village d’Hermance ainsi que les péages de Nyon et du Pont d’Arve afin de déterminer la valeur de ces biens en vue de l’échange, biens que le même Pierre de Voyron avait de nouveau visité au début du mois suivant, avant de se rendre le 6 août à Genève auprès des commissaires pontificaux207. Le 8 août, le secrétaire Jean de Ravorée208, le conseiller et docteur en droit Urbain Curserii, ainsi que Claude de Saix et Pierre de Menthon209 étaient à Genève pour participer à la réunion à laquelle aurait dû se présenter l’évêque de Genève. C’est ce jour-là seulement qu’ils apprirent l’existence de la bulle du 10 juillet, grâce aux représentants envoyés par l’évêque et le chapitre qui la leur montrèrent.
79La surprise et la déception du duc de Savoie furent grandes. En témoignent les lettres qu’il écrivit au pape, au collège des cardinaux, au cardinal de Rouen et au cardinal d’Arles. Dans une lettre adressée à Martin V et datée du 16 août, Amédée VIII exprima toute son incompréhension face à une décision qui le ridiculisait et dont il n’avait eu connaissance que bien après François de Metz210. Le duc eut droit le 1er octobre à une réponse lénifiante de la part du pape et du collège des cardinaux. Sur le fond, cependant, Martin V confirmait sa décision et restait d’avis que l’affaire n’était pas encore assez mûre pour qu’on puisse envisager une issue à court terme. Il pria donc son correspondant de faire preuve de patience, mais se garda bien d’indiquer un quelconque délai ou de suggérer une quelconque démarche susceptible de faire avancer le dossier. Tenace, Amédée VIII ne perdit toutefois pas tout espoir. Le 22 novembre il écrivit une longue lettre à Jean de Rochetaillée pour lui expliquer son point de vue et pour demander à nouveau son aide. Selon le duc, l’échec de l’échange était dû uniquement à l’évêque et à quelques chanoines intrigants. Des chanoines, écrivait-il, ignorants et idiots, dépourvus de toute dévotion et entretenant publiquement leurs maîtresses et leurs enfants illégitimes tout en s’adonnant à l’usure et à la chasse. Quant à l’évêque, ajoutait le duc, si on ne pouvait rien dire sur sa conduite morale, il était en revanche certain qu’il était incapable de gérer le patrimoine de l’Église de Genève. D’après Amédée VIII, une des raisons qui avaient poussé François de Metz à refuser l’échange était la crainte de voir le duc de Savoie réussir à enrichir et à embellir la ville ainsi que l’avait souhaité l’oncle de l’évêque, le cardinal Jean de Brogny, qui avait laissé à son neveu une somme très importante qui aurait dû entre autres servir à rebâtir le pont de l’île pour le rendre semblable au Grand Pont de Paris. Le prélat avait en revanche préféré garder cet argent dans ses poches211. Amédée VIII voulut aussi faire savoir à son correspondant qu’il souhaitait mener à bien également un projet que celui-ci avait essayé de concrétiser lorsqu’il occupait le siège épiscopal de Genève : celui de fonder une université pourvue de toutes les facultés212. Manifestement le duc de Savoie avait nourri de grands projets pour la ville qu’il souhaitait transformer en capitale du duché.
80Les démarches d’Amédée VIII pour rouvrir le dossier ne donnèrent cependant aucun résultat. L’envoi au cardinal de Rouen de la liste détaillée des revenus que l’évêque aurait perdus en cédant une partie du territoire de la ville et celle des compensations que le duc était prêt à verser et qui était censée prouver la générosité de l’offre ducale et convaincre le pape et les cardinaux de revenir sur leur décision n’eurent aucun effet213. Entre-temps, au mois d’octobre, François de Metz, le chapitre et les bourgeois de la ville avaient accepté de faire appliquer les Statuts de Savoie à Genève aussi, moyennant cependant toute une série de modifications qui permettaient aux uns et aux autres de ne renoncer à aucune de leurs prérogatives214. Pour le duc il s’agissait d’une bien maigre consolation, susceptible néanmoins de représenter un argument supplémentaire au cas où le pape devait changer d’avis.
81L’affaire Baptiste de Mantoue avait donc éclaté dans un contexte plutôt compliqué. Certes, face à l’importance que le problème du partage de la ville revêtait pour le duc et l’évêque, elle était à bien des égards mineure. Mais pas complètement anodine et sans risque, ni pour l’un ni pour l’autre. François de Metz avait en effet intérêt à montrer qu’il était capable d’intervenir avec autorité et efficacité pour rétablir la concorde et donc un climat pacifique dans la ville. Un des arguments qu’Amédée VIII n’avait de cesse d’invoquer pour souligner le caractère indispensable de la cession d’une partie de la juridiction épiscopale n’était-il pas que l’évêque était incapable de garantir la paix publique, au point que la sécurité et la punition des malfaiteurs n’étaient plus garanties à Genève215 ? Et Raphaël de Cardona n’avait-il pas assuré au bénédictin qu’il allait le faire punir avant qu’il ne quitte « le duché de Savoie », comme si l’affaire était du ressort de l’autorité ducale ? Cela explique sans doute le souci de François de Metz d’essayer de régler le problème en évitant toute intervention extérieure, et plus précisément celle de l’inquisiteur qui aurait pu être amené à demander l’aide du bras séculier, autrement dit du pouvoir ducal.
82Quant au duc de Savoie, il avait lui aussi intérêt à faire preuve de discrétion. Non seulement parce qu’il avait écouté les prédications de Baptiste et savait que parmi ses conseillers les plus influents plusieurs avaient publiquement loué le bénédictin. Mais aussi parce que tout au long du mois de juillet il avait encore la conviction de pouvoir bientôt acquérir une partie de la ville. Il aurait donc été imprudent de prendre le risque d’irriter l’évêque et le chapitre en se mêlant trop directement d’une affaire qui relevait de la sphère religieuse. Ce d’autant plus que la majorité des habitants de la ville, à commencer par les syndics et les bourgeois les plus en vue, s’était rangée du côté de Baptiste. Or, si rien ne permet de connaître la position de la commune au sujet des projets de partage de la juridiction, Amédée VIII n’avait certainement pas oublié qu’en 1420 les bourgeois avaient résolument refusé toute idée de changer de seigneurie. Peut-être le duc espérait-il que cette fois-ci la commune n’aurait pas eu grand-chose à dire puisque la décision aurait été prise par des commissaires agissant au nom du pape. Les promesses d’embellissement et d’enrichissement de la ville que le duc avait formulées montrent néanmoins qu’il n’avait pas été insensible à la nécessité de faire savoir à l’opinion publique qu’elle avait beaucoup à gagner à passer sous l’autorité de la Savoie. On comprend dès lors pourquoi Amédée VIII a opté lui aussi pour une attitude de pacification, laquelle présentait également l’avantage de lui permettre de ne pas devoir prendre position de manière trop explicite en faveur des dominicains ou des franciscains.
La défense
83Pour tenter de faire face aux offensives tenaces de l’inquisiteur, Baptiste de Mantoue choisit de suivre le conseil du duc et nomma le 11 août 1430 un procureur en la personne de Jean Chauvin. L’acte fut levé par le notaire et secrétaire de l’évêque Raoul Sage. Frère des Ermites de saint Augustin, rattaché au couvent d’Avignon, Jean Chauvin portait le titre de maître. Il était probablement au bénéfice d’une formation universitaire en droit, comme le suggèrent les formules juridiques qu’il inséra dans la requête qu’il adressa à François de Metz. On ignore pour quelles raisons Baptiste choisit Jean Chauvin pour le représenter. Il l’avait peut-être rencontré lorsqu’il avait prêché à Avignon, ou bien son nom lui avait-il été suggéré par quelqu’un qui savait que le maître de la province de Narbonne et de Bourgogne des augustins, Pierre Robin, était à cette époque quelqu’un de très écouté à la cour ducale216. Quoi qu’il en soit, Jean Chauvin est sans doute arrivé à Genève seulement au début du mois d’août. Vers le 20 de ce mois, il soumit à l’évêque un mémoire par lequel il demandait l’ouverture d’une enquête visant à prouver que les accusations formulées contre Baptiste étaient fausses et invitait François de Metz ou son lieutenant, au terme de celle-ci, à reconnaître officiellement l’innocence du bénédictin. L’évêque donna suite à la requête par un acte rédigé par Raoul Sage le 23 août au château épiscopal de Peney. Il confia aux commissaires Pierre Baud et Pierre de Vège la tâche d’interroger sous serment tous les témoins indiqués par le procureur et annonça qu’une fois les déclarations recueillies lui ou son official se prononceraient « selon ce que la justice conseillera »217.
84Deux jours plus tard, cependant, le secrétaire épiscopal rédigea un nouvel acte dans lequel le passage concernant l’intention de l’évêque de prononcer un jugement ne figurait plus218. Que s’était-il passé ? La version du 23 août n’était-elle qu’une simple minute et François de Metz, lorsqu’il en avait pris connaissance, avait demandé à son secrétaire de supprimer le passage car il ne souhaitait toujours pas traiter l’affaire dans une perspective strictement juridique ? Raphaël de Cardona et Ulric de Torrenté étaient-ils intervenus pour contester le droit de l’évêque de se prononcer dans une procédure initiée par l’inquisiteur ? Nous ne le savons pas. Ce qui est certain, c’est que désormais le but de l’enquête confiée aux commissaires n’était plus précisé officiellement. Le statut juridique de celle-ci devenait par conséquent davantage ambigu.
85Pour démontrer l’innocence de Baptiste de Mantoue, Jean Chauvin utilisa dans son mémoire plusieurs types d’arguments. Il essaya tout d’abord de montrer, en retraçant le déroulement des événements, que Raphaël de Cardona avait agi de manière peu charitable, car il avait d’emblée proféré ses accusations en public alors que, selon le précepte du Christ, il aurait dû avoir recours dans un premier temps à la correction fraternelle219. Le récit des faits proposé par l’augustin avignonnais visait pour l’essentiel à souligner que le dominicain et son confrère inquisiteur avaient refusé avec obstination toutes les tentatives de pacification et que par conséquent leurs agissements n’étaient pas guidés par la recherche de la vérité et de la justice mais par la jalousie, l’esprit de vengeance et la mauvaise foi. Jean Chauvin essaya ensuite de prouver la bona fama de Baptiste en rappelant que partout où celui-ci avait exercé ses talents de prédicateur, y compris à Genève, ses sermons avaient encouragé beaucoup de fidèles à amender leur vie et à davantage se soucier du salut de leurs âmes. Personne n’avait d’ailleurs contesté les intentions pieuses et parfaitement orthodoxes qui animaient l’action du bénédictin, si bien que sa bonne réputation était parfaitement établie. Le procureur de Baptiste, s’appuyant sans doute en partie sur les ‘conclusions’ que celui-ci avait déjà présentées lors des réunions convoquées par François de Metz, se livra également à une analyse minutieuse des vingt et un articles d’accusation formulés par l’inquisiteur pour tenter de démontrer soit que les propos du bénédictin avaient été mal interprétés soit que les reproches qu’on lui avait adressés étaient sans fondement et parfois contradictoires.
86Jean Chauvin ne se limita cependant pas à contester la véracité des accusations portées par l’inquisiteur. Assez habilement, il s’efforça aussi de mettre en évidence le caractère arbitraire et partial du procès que celui-ci avait instruit, tout en essayant de prouver que l’inquisiteur n’avait pas le droit de se saisir de cette affaire et que de toute manière il n’avait pas respecté la procédure inquisitoriale. Pour asseoir sa démonstration, le procureur demanda, et obtint de François de Metz le 20 septembre, l’autorisation d’ajouter à son mémoire trois autres articles qui visaient à faire confirmer par les témoins interrogés à leur sujet qu’Ulric de Torrenté avait poursuivi l’instruction du procès malgré le compromis qui avait été accepté par les deux parties en présence de l’évêque220.
87Pendant son séjour en ville, le procureur avait sans doute eu l’occasion de prendre connaissance des différends qui avaient opposé quelques années auparavant les dominicains et les franciscains à propos de la charge d’inquisiteur dans le diocèse de Genève. Celui-ci relevait de la province ecclésiastique de Vienne et par conséquent l’inquisition aurait dû être confiée aux franciscains. C’est peut-être pour cette raison qu’en février 1418, lorsque le pape Martin V renouvela le mandat d’inquisiteur de Ponce Feugeyron, il mentionna le diocèse de Genève parmi ceux qui étaient placés sous l’autorité du franciscain221. Les dominicains genevois réagirent cependant avec virulence, en invoquant des arguments qui demeurent peu clairs mais qui semblent avoir réussi l’année suivante à convaincre le pape de leur confier l’exercice de l’inquisition dans le diocèse222. Dans la supplique qu’Ulric de Torrenté adressa au pape en mars 1424, le dominicain déclare en effet que lorsque Jean Grutelli fut destitué par le provincial de l’ordre des frères prêcheurs de sa charge, on lui confia un ressort qui comprenait plusieurs diocèses, dont celui de Genève223. Il n’en demeure pas moins que le statut de l’inquisiteur dans le diocèse genevois, mais également dans celui de Sion, paraît être resté assez flou pendant un certain nombre d’années, car en février 1435 le pape Eugène IV confia à nouveau le diocèse de Genève à Ponce Feugeyron224. Dans les lettres expédiées par Martin V au moment de l’affaire Serrurier, Ulric de Torrenté n’est par ailleurs jamais désigné de manière explicite en tant qu’inquisiteur de Genève. Il est possible que vers 1430 son droit à exercer cet office dans le diocèse était encore contesté par une partie des religieux de la ville et plus particulièrement par les franciscains. C’est sans doute pour ces raisons que dans son mémoire le procureur de Baptiste de Mantoue souligna avec insistance le statut ambigu d’Ulric de Torrenté, qu’il qualifia systématiquement d'assertus inquisitor, de prétendu inquisiteur. Trois ans plus tard, le cardinal Jean Cervantes, dans une intervention en faveur d’un habitant du Valais savoyard accusé de rébellion et dépossédé de ses biens par Ulric de Torrenté, utilisa à peu près les mêmes mots pour mettre en doute la légitimité de la procédure menée par celui-ci225.
88Comme le montrent les articles additionnels et le soin avec lequel Jean Chauvin s’efforça de reconstituer le déroulement de l’affaire, et en particulier de relever les différentes interventions de François de Metz, le procureur de Baptiste essaya également de montrer que l’inquisiteur avait décidé de l’ouverture d’une enquête inquisitoriale sans avoir été auparavant requis par l’ordinaire. Il semble bien qu’à cette époque les inquisiteurs agissant à l’intérieur des diocèses romands n’avaient pas encore le droit de se saisir directement d’une affaire. C’est à l’évêque de Lausanne que les autorités de Fribourg avaient ainsi demandé l’ouverture du procès contre les Vaudois arrêtés dans la ville auquel fut associé Ulric de Torrenté en 1430226. L’argument selon lequel l’inquisiteur n’avait pas le droit d’agir sans l’approbation de l’évêque fut utilisé également en 1433 par le cardinal Jean Cervantes pour contester la validité de la sentence prononcée par Ulric de Torrenté227.
89Jean Chauvin insista enfin sur les irrégularités commises par l’inquisiteur afin de montrer que le procès, ainsi que les accusations, devaient être tenus pour nuis. Contrairement à ce que prévoyait la procédure inquisitoriale, le procureur souligna qu’Ulric de Torrenté avait interrogé plusieurs témoins en présence d’autres frères du couvent de Palais et parfois même de quelques habitants de la ville, si bien que le caractère secret de l’instruction n’avait pas été respecté. L’inquisiteur n’avait de plus retenu que les dépositions à charge et, contrairement à ce qu’il prétendait, n’avait jamais personnellement et en privé présenté ses accusations à Baptiste de Mantoue.
Épilogue
90Le mardi 3 octobre, au château de Peney et en présence de Jean Chauvin, François de Metz publia officiellement les dépositions recueillies et transcrites par les commissaires et ordonna de remettre une copie de l’ensemble du dossier, qui comportait quarante-cinq feuillets, au procureur de Baptiste. Une fois encore l’évêque évita de préciser quelle était la nature exacte de la démarche qu’il avait approuvée. Il évita aussi de se prononcer sur la valeur et le bien-fondé des déclarations des témoins et ne formula aucune remarque au sujet des allégations du procureur. François de Metz était pourtant parfaitement au courant de tout ce qui s’était passé, surtout après le 29 juin. Il avait certainement une connaissance précise des événements qui avaient eu lieu après le scandale provoqué par Raphaël de Cardona, car il en avait été un des principaux protagonistes. Pourquoi choisit-il de ne pas se prononcer et se limita-t-il à publier l’enquête ? Estimait-il pouvoir mettre un terme à l’affaire simplement en remettant un document officiel censé permettre à Baptiste de Mantoue de prouver à l’avenir qu’à Genève il n’avait pas été condamné ? Craignait-il de trop affaiblir sa position en prenant position en faveur d’une des deux parties alors même qu’il était en délicatesse avec le duc de Savoie et qu’il venait d’obtenir l’appui du pape dans une affaire autrement importante ? Faute de sources, il n’est malheureusement pas possible de répondre à ces questions. Tout laisse cependant penser qu’au début du mois d’octobre François de Metz croyait toujours à la possibilité de clore le conflit sans devoir se prononcer de manière officielle au sujet de l’innocence ou de la culpabilité de Baptiste de Mantoue.
91Entre-temps le duc Amédée VIII n’avait pas renoncé à suivre de près les événements genevois. Du 23 au 27 octobre le notaire Pierre Baud se rendit à Morges, où le duc avait réuni les États de Vaud, pour lui amener et expédier « certains procès »228. Selon toute vraisemblance le notaire transmit à cette occasion une copie du dossier publié par l’évêque au début du mois, peut-être même celle qui a été conservée. Le même jour le trésorier ducal versa une somme d’argent à un messager destinée à couvrir les frais du déplacement que celui-ci allait entreprendre depuis Morges jusqu’à Lyon auprès de « frère Raphaël »229.
92Pendant que les commissaires épiscopaux recueillaient les dépositions des témoins indiqués par le procureur de Baptiste de Mantoue, Ulric de Torrenté et son confrère n’étaient cependant pas restés inactifs. Craignant sans doute que François de Metz n’étouffe définitivement l’affaire, ils s’étaient adressés au Saint-Siège pour l’informer de ce qui s’était passé à Genève et surtout pour tenter d’obtenir le soutien du pape. Ni la date ni les modalités de ces démarches ne sont connues. Le 4 novembre, cependant, Martin V adressa une lettre au duc de Savoie dans laquelle il déclarait avoir entendu et également avoir été informé par écrit que frère Baptiste avait prêché beaucoup d’erreurs à Genève, qu’il avait suscité plusieurs scandales et même semé la discorde parmi les laïcs de la ville230. Le pontife demandait à Amédée VIII de prêter assistance à l’évêque de Genève, à celui de Lausanne et à l’inquisiteur Ulric de Torrenté – « dont on dit qu’il a formé un procès inquisitorial », précisait-il – au cas où ils auraient eu besoin de l’aide du bras séculier. Martin V n’avait sans doute pas oublié qu’il avait déjà dû intervenir pour tenter de faire taire Baptiste de Mantoue. Sa lettre, toutefois, n’est pas dépourvue d’ambiguïté. Si le pape semble en effet avoir tenu pour vraisemblables les accusations formulées contre le bénédictin, il évite de préciser si l’affaire relevait des compétences de l’évêque de Genève ou de celles de l’inquisiteur, alors même qu’il était probablement au courant des divergences qui avaient opposé François de Metz à Ulric de Torrenté. Quant aux raisons qui ont poussé le pape à mentionner dans sa lettre également l’évêque de Lausanne, elles demeurent obscures. Avait-il décidé de confier à Guillaume de Challant la tâche d’arbitrer le différent qui existait entre l’évêque et l’inquisiteur ? C’est possible, mais ce n’est qu’une simple conjecture.
93L’intervention pontificale ne resta pas sans effet, car la procédure contre le bénédictin paraît avoir été poursuivie. Le 8 et le 9 décembre le secrétaire ducal Jean de Ravorée fut envoyé depuis Thonon à Genève pour rencontrer l’inquisiteur. Un mois plus tard, Jean de Aveneriis se rendit à nouveau à Genève où il remit à l’inquisiteur et au prieur de Pierre Châtel Jean Placentie quelques lettres ayant trait à l’affaire de Baptiste de Mantoue et attendit leur réponse231. Aucun document ne permet de savoir ce qui s’est passé au cours des mois suivants. Raphaël de Cardona était toujours à Lyon en mai 1431, lorsque fut célébré le chapitre général de l’ordre en présence de Barthélemy Texier. Il fut même remercié pour avoir été le principal organisateur de la réunion232. Il est à nouveau mentionné dans un acte levé à Lyon le 24 avril 1432, où il figure avec le titre de « lecteur de l’église de Lyon »233. Ulric de Torrenté, présent à Genève en janvier 1431, ne réapparaît dans les sources que dans le courant de la deuxième partie de l’année 1432, lorsqu’il assista à Fribourg à la libération anticipée de quelques femmes vaudoises234. Quant à Baptiste de Mantoue, on ignore jusqu’à quand il est resté à Genève. Il semblerait toutefois qu’une sentence de condamnation contre le bénédictin fut prononcée en 1431 ou en 1432. Accusé par un dominicain d’avoir partagé les erreurs du moine italien, le franciscain dijonnais Pierre Crotet obtint en février 1433 une lettre testimoniale confirmant qu’aucun élément ne permettait de douter de son orthodoxie. La lettre mentionnait aussi « frère Baptiste, qui a été condamné à Genève il y a quelque temps235 ».
94Le 20 février 1431 Martin V mourut. Il avait convoqué par une bulle datée du 1er février un grand concile qui devait se tenir à Bâle. Son successeur, le vénitien Gabriele Condulmer, fut élu le 3 mars et prit le nom d’Eugène IV. Malgré les réticences du nouveau pape et ses différentes tentatives de dissoudre l’assemblée conciliaire, pendant quelques années la ville de Bâle fut sans aucun doute le principal lieu de rencontre de l’élite ecclésiastique chrétienne. Plusieurs des personnages qui ont été mêlés de près ou de loin à l’affaire Baptiste de Mantoue s’y sont d’ailleurs rendus. Le prieur des dominicains de Chambéry Guy Flamochetti y fut envoyé au mois d’août 1431 par le duc de Savoie en compagnie du prieur de la chartreuse de Pierre Châtel236. François de Metz s’y rendit dès le mois de novembre de la même année. Il y retourna par la suite à plusieurs reprises237. Raphaël de Cardona était présent à l’assemblée générale qui se tint le 8 août 14322238. Sur le chemin qui le conduisait à la cité rhénane, il s’était arrêté au début du mois de juillet à Aubonne, où il avait peut-être prêché une nouvelle fois239. Au printemps 1433, le cardinal Jean de Rochetaillée arriva lui aussi au concile240. Entre-temps le pape Eugène IV s’était résigné à faire quelques concessions et avait accepté d’envoyer son légat à Bâle. Vers la mi-janvier 1433, la nouvelle de la prochaine venue de celui-ci circulait déjà parmi les prélats présents dans la ville rhénane. Le légat arriva peu après, sans doute vers la fin du mois de février ou au tout début du mois de mars. Pour le représenter, Eugène IV avait choisi un ami en qui il avait la plus totale confiance, Ludovico Barbo241. L’abbé de Santa Giustina eut-il la possibilité de rencontrer à Bâle quelques-uns des protagonistes de l’affaire Baptiste de Mantoue et de se renseigner sur ce qui s’était passé à Genève ? Ou bien était-il déjà au courant des péripéties de son ancien moine et avait-il pu intercéder une nouvelle fois en faveur de celui-ci grâce à ses relations privilégiées avec le pape ? Nous ne le savons pas. Ce qui est certain, c’est que lorsqu’il rédigea vers 1440 le passage relatant l’engagement de Baptiste en tant que prédicateur, son admiration et son affection pour le bénédictin étaient toujours intactes. Baptiste de Mantoue était sans doute déjà décédé à cette date. Il semblerait toutefois que la sentence de condamnation que lui avaient value ses prédications genevoises n’avait en rien altéré la bonne réputation dont il bénéficiait dans les milieux de l’observance bénédictine. C’est en effet le souvenir d’un moine zélé et intrépide que Ludovico Barbo livra aux membres de la congrégation qu’il avait fondée et à la postérité : « En prêchant avec une très grande ferveur dans beaucoup de régions du monde, [Baptiste] convertit plusieurs milliers de personnes des deux sexes à une vie meilleure. Et pour prouver sa vertu également au milieu des persécutions, il supporta avec patience les chaînes, les prisons et les dangers mortels que lui infligèrent ceux qui n’acceptaient pas que leurs vices et leurs propres délits fussent réprimandés. Fortifié toutefois par la protection divine, il réussit toujours à sortir indemne et avec la louange de Dieu de tous les périls242. »
Notes de bas de page
5 Voir infra, p. 174-175.
6 AD Savoie, SA 7754 ; cf. Th. Bardelle, Juden in einem Transit-und Brückenland, p. 107, n. 137.
7 Voir infra, p. 130.
8 Voir infra, p. 190-193. Sur Henri Favre, qui avait été également vicaire général en 1427, cf. L. Binz, « Le diocèse de Genève », p. 153 et p. 207-208.
9 F. Trolese, « Ricerche sui primordi », p. 115, n. 43 ; F. Trolese, Ludovico Barbo e S. Giustina, p. 206, n. 44.
10 I. Tasso, Ludovico Barbo, p. 50, n. 112.
11 Sur les origines et les premières années du mouvement de réforme, cf. F. Trolese, « Ricerche sui primordi », p. 109-133.
12 F. Trolese, « Ricerche sui primordi », p. 114-115.
13 G. Cracco a contesté l'attribution à Ludovico Barbo de l'Epistola ad monachos, connue aussi sous le titre De initiis, sur la base d’éléments qui ne sont de loin pas définitifs et prêtent à leur tour à discussion (C. Cracco, « Fu davvero Ludovico Barbo l’autore del ‘De initiis’ ? » p. 420-430). Même si l’on accepte l’inauthenticité de l’œuvre et la datation proposée par G. Cracco (vers 1457), le texte témoigne de toute manière de l’excellente réputation que Baptiste de Mantoue avait auprès des moines de Santa Giustina au milieu du XVe siècle. Francesco Trolese, qui prépare une édition scientifique des œuvres de Ludovico Barbo, considère que l'Epistola ad monachos est certainement une œuvre authentique de l’abbé de Santa Giustina. Je le remercie de m’avoir fait part de son opinion.
14 F. Trolese, « Ricerche sui primordi », p. 119.
15 F. Trolese, « Ricerche sui primordi », p. 120, n. 70. V. Cattana situe en revanche la tentative de réforme vers 1410 (cf. « L’introduzione di Cistercensi », p. 234).
16 Epistola ad monachos, col. 288.
17 Cf. R. Rusconi, L’attesa della fine, p. 185-195.
18 La lettre vient d’être réditée par B. Hodel, « D’une édition à l’autre », p. 200-203. Sur la vie de Vincent Ferrier l’ouvrage de Μ. M. Gorce, Saint Vincent Ferrier, est toutjours utile ; pour la prédication de l’aragonais dans la péninsule ibérique voir P. M. Catedra, Sermon, literatura y sociedad.
19 Dans un sermon donné à Montpellier le 5 décembre 1408, Vincent Ferrier raconte avoir entendu en Lombardie un démon sorti du corps d’un démoniaque déclarer que l’Antéchrist était déjà né depuis cinq ans (éd. F. Morenzoni, « La prédication de Vincent Ferrier », p. 233). Au cours des années suivantes, le prédicateur aragonais racontera à plusieurs reprises ce qu’il a vu et entendu, entre autres dans la célèbre lettre envoyée au pape Benoît XIII en 1412 (éd. H. D. Fages, Notes et documents, p. 213-224).
20 Sur la prédication de Vincent Ferrier dans les régions subalpines voir en dernier lieu L. Gaffuri, « In partibus illis ultramontanis ».
21 Sur la vie et les œuvres d’Andrea Biglia, cf. « Biglia, Andrea », dans Dizionario biografico degli italiani, t. 10, Rome, 1968, p. 413-415 ; J. C. Schnaubelt, « Andrea Biglia (c. 1394 - 1435) : his life and writings », p. 103-159 ; R. Creytens, « Manfred de Verceil O.P. et son traité contre les Fraticelles », p. 173-190 ; R. Rusconi, « Note sulla predicazione di Manffedi da Vercelli », p. 93-135.
22 Pour la datation de l'Admonitio, cf. R. Rusconi, « Fond e documenti su Manfredi da Vercelli », p. 62.
23 L’argument avancé par Andrea Biglia vise sans doute à discréditer le dominicain, car on sait qu’à Florence la prédication de celui-ci fut accueillie avec faveur également par plusieurs membres de l’élite de la ville.
24 Aucun sermon de Manfred de Verceil n’ayant été à ce jour signalé, il est difficile de reconstituer le contenu de ses prédications. À l’égard de Vincent Ferrier, Andrea Biglia adopte une position assez prudente. Tout en rappelant que le passage du dominicain aragonais en France avait contribué à faire circuler de plus en plus de ‘fables’ au sujet de la naissance de l’Antéchrist, il précise qu’il n’a pas l’intention de formuler une quelconque accusation contre Vincent Ferrier. Il remarque par ailleurs que certains ont déjà commencé à représenter le prédicateur aragonais sur des tableaux et des fresques comme s’il s’agissait d’un saint (Admonitio, éd. R. Rusconi, « Fonti e documenti su Manfredi da Vercelli », p. 94). Le rapprochement entre Manfred de Verceil et Vincent Ferrier est proposé aussi par la lettre envoyée depuis Milan le 19 octobre 1418 par Georges D’Ornos à Martin V : « Seyor, en aquest partz ha un frare prehicador, apellat frare Manfre, semblant en predicacio a mestre Vincent » (cité d’après R. Creytens, « Manfred de Verceil O.P. », p. 177 ; cf. aussi R. Rusconi, « Note sulla predicazione di Manfredi da Vercelli », p. 97).
25 « Non tamen id placet, quod tu michi dixisti, prodesse has res populo predicari, ut malorum ac viciorum suorum terrore concutiantur » (Admonitio, éd. R. Rusconi, « Fonti e documenti su Manfredi da Vercelli », p. 93).
26 Admonitio, éd. R. Rusconi, « Fonti e documenti su Manfredi da Vercelli », p. 89.
27 Admonitio, éd. R. Rusconi, « Fonti e documenti su Manfredi da Vercelli », p. 80.
28 « Id enim sepe fieri vidimus etiam ad hos, qui passim per villas declamitant, incredibilem turbarum numero convenire. [...] Quippe monachus [...] per omnes illas civitates incredibilem turbam concitabat » (Admonitio, éd. R. Rusconi, « Fonti e documenti su Manfredi da Vercelli », p. 78-79).
29 Cf. R. Creytens, « Manfred de Verceil O.R », p. 178 ; R. Rusconi, L’attesa della fine, p. 237.
30 Le pape Martin V est resté à Genève du 11 juin au 3 septembre (cf. L. Micheli, « Les institutions municipales de Genève au xve siècle », p. 151).
31 Admonitio, éd. R. Rusconi, « Fonti e documenti su Manfredi da Vercelli », p. 79.
32 Sur l’itinéraire de Martin V depuis son départ de Constance, cf. F. Miltenberger, « Das Itinerarium Martins V », p. 661-664.
33 Sur Bernardin de Sienne voir en dernier lieu N. B.-A. Debby, Renaissance Florence : C. L. Polecritti, Preaching Peace, ainsi que l’introduction de C. Delcorno à Bernardino da Siena. Prediche volgari sul Campo di Siena, 1427. Sur l’importance de la prédication de Vincent Ferrier et Bernardin de Sienne voir en dernier lieu C. Delcorno, « Da Vicent Ferrer a Bernardino da Siena ».
34 Cf. B. De Gaiffier, « Le mémoire d’André Biglia », p. 311.
35 Liber de instituas, éd. B. de Gaiffier, p. 320 ; R. Rusconi, L'attesa della fine, p. 248.
36 « Ac mihi videor hoc vere iudicare nullam esse ex omni Ytalia provinciam huiuscemodi excitationibus aptiorem » (Liber de instituas, éd. B. de Gaiffier, p. 325).
37 Andrea Biglia, issu d’une famille proche des Visconti, accuse Baptiste de Mantoue d’avoir proféré des insanités et fait preuve d’arrogance et d'insolence, mais sans préciser ce que Baptiste aurait fait ou dit pour mériter ces reproches (Liber de institutis, éd. B. de Gaiffier, p. 323). Faudrait-il en déduire que cette réticence vient du fait que Baptiste avait critiqué - peut-être publiquement le duc Philippe Marie Visconti qui, le 13 septembre 1418, avait fait décapiter sa femme, Béatrice Lascaris ? Rien ne permet de l’affirmer. Comme nous l’avons vu à propos de Louis d’Achaïe, et comme nous le reverrons à propos de sa prédication à Turin et à Genève, Baptiste n’hésitait pas à critiquer ouvertement et sévèrement le comportement de certains puissants.
38 La lettre a été éditée par R. Rusconi, « Fonti e documenti su Manfredi da Vercelli », p 70.
39 La lettre pontificale indique que Baptiste portait auparavant le nom de Perinus.
40 Les trois lettres pontificales ont été éditées par I. Tasso, Ludovico Barbo, p. 157-158.
41 Infra, p. 130-131, 136-137 et 166-167.
42 C. Santschi, « Genève », p. 352-353 ; F. Morenzoni, « Pierre II de Savoie et Genève », p. 155-166. C’est au chapitre général tenu à Londres en 1263 que l’ouverture d’un couvent à Genève a été autorisée (Acta capitulorum, éd. B. Reichert, MOPH 3, p. 121).
43 Cf. L. Blondel, Les faubourgs de Genève, p. 34-39 ; C. Santschi, « Genève », p. 357-361.
44 J.-É. Genequand, « Couvent des franciscains de Genève », p. 370.
45 Voir infra, p. 182-183.
46 Sur le passage galilée de Cluny, voir A. Baud, Cluny, un grand chantier médiéval, p. 167-168 ; sur les galilées de Suisse romande, voir K. Krüger, « La fonction liturgique des galilées clunisiennes : les exemples de Romainmôtier et Payerne », p. 169-190.
47 RCG, t. 4, p. 180.
48 Sur le couvent de Rive et ses locaux, cf. J. Terrier, « Découvertes archéologiques », p. 175-183 ; J. Terrier, I. Plan, « Le couvent des cordeliers de Rive », p. 14-21.
49 Voir infra, p. 160.
50 M. Armellini signale l’existence dans la bibliothèque du couvent de Santa Giustina d’un volume dans lequel avaient été réunis les sermons de Baptiste, dont on a par la suite perdu la trace (cf. Bibliotheca benedictino-casinensis, I, p. 70). Le volume avait déjà disparu au moment de la compilation de la Matricula monachorum, qui écrit à propos de Baptiste : « ... concionator eximius qui scripsit librum sacrarum concionum qui ubinam extet ignoratur » (p. 58). Je remercie Carlo Delcorno de m’avoir confirmé qu’aucun sermon pouvant être attribué à Baptiste de Mantoue n’a pu à ce jour être retrouvé.
51 Sur cet aspect voir infra, p. 35.
52 Voir infra, p. 148-149.
53 Voir infra, p. 170-171.
54 Voir infra, p. 148-149.
55 Sur les juifs de Genève, cf. A. Nordmann, « Histoire des Juifs de Genève ». Sur la campagne menée contre le Talmud par Ponce Feugeyron en Savoie en 1426, cf. M. Ostorero, « Itinéraire d’un inquisiteur gâté », p. 113 ; Th. Bardelle, Juden in einem Transit-und Brückenland, p. 284-294. La campagne contre les ‘erreurs’ colportées par les écrits des juifs paraît s’être poursuivie au cours des années suivantes, car le 18 décembre 1431, le trésorier général versa 100 florins au juif converti Amédée de Chambéry « in recompensacionem laboris et expensarum per ipsum magistrum Amedeum sustentorum circa prossequcionem falsarum et erronearum conclusionum sonancium in contemptum fidei Christiane blasfemias et malediciones continentes in libros ebraycis judeorum, ob quas dicti libri fuerunt combusti » (AST, SR, Comptes du trésorier général de Savoie, inv. 16, reg. 76, fol. 246v).
56 En février 1422, l’évêque Jean de Rochetaillée s’était plaint auprès du pape du fait qu’à Genève on permettait toujours aux juifs de vivre dans des maisons habitées par les chrétiens (le texte de la pétition a été publié par S. Simonsohn The Apostolic See and the Jews, p. 713-714). Des plaintes analogues avaient déjà été formulées en 1408 par le recteur de l’église de Saint-Germain (cf. É. Rivoire, V. Van Berchem, Les sources du droit du canton de Genève, t. 1, n. 118, p. 266 ; L. Binz, « Le Moyen Âge genevois », p. 111).
57 RCG, t. l, p. 120.
58 AST, SR, Comptes du trésorier général de Savoie, inv. 16, reg. 76, fol. 120r ; l’extrait du compte a été publié par M. Bruchet, Le château de Ripaille, p. 383. C’est un officier savoyard, le châtelain de Gaillard, qui était chargé de l’exécution des sentences capitales prononcées par la commune.
59 Le procureur a essayé de prouver l’orthodoxie de Baptiste par une citation tirée de La Trinité de saint Augustin également à propos du problème de la génération du Fils (infra, p. 110).
60 L’auteur anonyme du De venerabili Sacramento altaris, texte souvent attribué à Thomas d’Aquin, écrit : « Filius ergo Dei, in quantum purus est homo, et verus Deus, est ubique sine dubio : in quantum est caro, est solum in uno loco ; sed in quantum est Deus et homo, tenet medium locum utriusque esse, scilicet in pluribus locis. Et hujus ratio quamvis posita est a doctoribus magnis, et licet verum concludat, potius tamen quaedam adaptatio, quam similitudo dici debet » (Thomas D’aquin, Opera omnia, t. 16, Opuscula, chap. 8, Parmae, 1864).
61 Voir infra, p. 134-135.
62 Voir infra, p. 142-143.
63 Voir infra, p. 192-193.
64 Voir infra, p. 196-197.
65 Sur le développement et l'importance des foires de Genève, cf. J.-F. Bergier, Genève et l’économie européenne. Entre 1407 et 1449, la population de la ville a presque doublé, si l’on juge d'après les feux fiscaux qui passent de 858 à 1 651 (cf. L. Binz, Vie religieuse, p. 73). On peut estimer le nombre des individus qui résidaient en ville vers 1430 entre 6 000 et 8 000. Pendant les quatre foires principales - celle de l’Épiphanie, de Pâques, de Saint-Pierre-aux-Liens au mois d’août et de la Toussaint la population de la ville augmentait certainement de manière importante.
66 Voir infra, p. 144-145.
67 Voir infra, p. 200-201.
68 Sur le problème des langues utilisées par Vincent Ferrier voir A. Ferrando Frances, « Vicent Ferrer (1350-1419), predicator poliglota ».
69 H. Martin, Le métier de prédicateur, p. 564-565.
70 Sur le problème du latin et des langues vernaculaires dans les sermons voir L. Lazzerini « Per latinos grossos » ; S. Wenzel, Macaronic Sermons ; C. Delcorno, « La lingua dei predicatori ».
71 Voir infra, p. 136-137, 166-167 et 184-185.
72 Voir infra, p. 162-163.
73 Voir infra, p. 176-177.
74 Voir par exemple infra, p. 148-149 et 168-169.
75 Voir infra, p. 134-135.
76 « Je suis sorti du Père et venu dans le monde ; à présent je quitte le monde et retourne au Père. »
77 Louis Salomon déclare que le sermon fut donné un dimanche avant la fête de saint Paul et Pierre, soit avant le jeudi 29 juin. Il est cependant peu probable que le sermon ait été prononcé le 25 juin, car le duc de Savoie et une partie de son entourage ont quitté Genève le 7 juin (cf. infra, p. 59).
78 Voir infra, p. 182-183.
79 Voir infra, p. 164-165.
80 Voir infra, p. 164-165.
81 Voir infra, p. 180-181.
82 Voir infra, p. 160-161.
83 Voir infra, p. 176-177.
84 Voici l’essentiel du mandat adressé à Jean de Leaval : « Cum ille famosus frater Baptista monachus ordinis Sancti Benedicti certo tempore proxime fluxo in hac civitate laudabiliter et profundissime verbum Dei predicando annunciaverit, et ibidem circa premissa vacando ad nostri requisitionem ad opus Dei publice ultra quam ex se proposuisset certis diebus permanserit, dictusque frater verborum Dei seminator et eius sequaces etiam monachi non habeant unde vivere nisi de elemosinis que sibi Dei amore erogantur, ea propter, habita deliberatione cum nostris et dicte communitatis consiliariis hic nobiscum adstantibus, tibi mandamus quatenus tradas nomine dicte communitatis, libresque et expédias Francisco Versonay, mercatori contint nostro, duodecim florenos p.p. per eundem ad nostri requestam dicto fratri Baptiste nomine dicte communitatis traditos » (AEG, Finances, P 1, n. 8).
85 Sur le problème de la rémunération des prédicateurs à Genève cf. F. Morenzoni, « Vincent Ferrier et la prédication mendiante à Genève ».
86 Un des témoins, Pierre de la Combe, affirme que le sermon a été donné à l’intérieur du couvent, ce qui semble suggérer que la place qui servait à la prédication était considérée comme faisant partie intégrante de celui-ci (voir infra, p. 168-169).
87 Voir infra, p. 184-185.
88 Voir infra, p. 184-185.
89 Voir infra, p. 184-185.
90 Voir infra, p. 132-133.
91 Les témoignages sur ce point divergent. Selon Jean Jacel, Baptiste ne put finir son prêche (voir infra, p. 164-165), alors que d’après la déposition de Jean Gay, le bénédictin réussit malgré tout à développer son thema (voir infra, p. 178-179).
92 Voir infra, p. 184-185.
93 Voir infra, p. 184-185.
94 Sur ces aspects voir infra, p. 60.
95 Sur le séjour du prédicateur aragonais à Toulouse, voir les articles de B. Montagnes, « La prédication de Vincent Ferrier à Toulouse en 1416 », p. 22-29, et « Prophétisme et eschatologie », p. 331-349.
96 H. D. Fages, Procès de lα canonisation de saint Vincent Ferrier, Paris, 1904, p. 426-427. L’épisode est raconté aussi par P. Ranzano, Vita Auctore Petro Ranzano Ordinis Praedicatorum (Acta Sanctorum, V Aprilis, col. 493) et F. Diago, Historia de la Vida, p. 531.
97 B. Montagnes, « Prophétisme et eschatologie », p. 333.
98 « Item dimengue [il faut sans doute lire ‘divernes’] a x de julh venc en esta viala I Me Reveren de l'orde des Predicadors lo cal dizian que era botz de Me Vinsens, e dizeron alcus seniors del cosselh que per onor de Diou a de son bon honcle nos hanassem vezitar e far la reverensia, e per pregar a lui que li plagues de predicar lo poble desta viela ; e fesem ho, e lo bon mestre nos regrasiet fort nostra vezitatio, e dis nos che per onor de Diou e per amor de nos el ho fera, e fes ho ; prediquet lo dimergue e lo dilhus ; e enformem nos que sapelava Me Rafaël ; e non mangava pong de cam ; e volgro los seniors del cosselh alcus que tramezesem pescar, fesem ho... » (éd. H. Fages, Notes et documents, p. 337).
99 J. D. Levesque, Les frères frères prêcheurs de Lyon. Notre Dame de Confort, 1218-1789, Lyon, 1978, p. 158.
100 Archives communales de Mâcon, BB 12, fol. 37. L’extrait a été publié par H. Martin, Le métier de prédicateur, p. 685.
101 Ibid.
102 Sur la prédication de Vincent Ferrier en Bretagne et son itinéraire, voir en dernier lieu J.-C. Cassard, « Le légat catéchiste », p. 323-342.
103 Dans son ouvrage sur la réforme de l’ordre des dominicains, le frère observant zurichois Jean Meyer, mort en 1485, mentionne lui aussi les relations entre Raphaël de Cardona et Vincent Ferrier : « Raphael Cardona... waz des obgenamten sant Vincentius gesell und junger » (Iohannes Meyer OP, Buck der Reformatio Predigerordens, p. 6).
104 Acta capitulorum, éd. B. Reichert, MOPH 8, p. 171 ; B. Hodel, « Saint Vincent à Aubonne ? », p. 189. Il est qualifié de « sacre théologie magist[er] ».
105 AST, SR, Comptes du trésorier général de Savoie, inv. 16, reg. 75, fol. 184r ; voir aussi infra, p. 80.
106 Le terme logia désigne une construction en bois pourvue d’un toit. Le mot est parfois utilisé comme synonyme de ‘chapelle’. Comme le montrent les comptes d’Aubonne - mais également ceux d’autres villes romandes - ces constructions pouvaient avoir une durée de vie assez longue.
107 L’endroit est actuellement appelé Planche supérieure.
108 Les extraits des comptes de la ville concernant le séjour de Raphaël ont été publiés par K. Utz Tremp, Quellen, p. 20-21, n. 61.
109 Trois personnes ont été chargées par la commune d’accompagner Raphaël depuis Montagny jusqu’à Romont (P. Jaggi, Untersuchungen zum Klerus, p. 434 et n. 1).
110 Sur ce problème, cf. K. Utz Tremp, Quellen, p. 21, n. 64.
111 P. Jaggi, Untersuchungen zum Klerus, p. 434, n. 2.
112 Les extraits des comptes de la ville d’Aubonne où est mentionné Raphaël ont été publiés par B. Hodel, « Saint Vincent à Aubonne ? », p. 192-197.
113 K. Utz Tremp, Quellen, p. 110-111 ; B. Andenmatten, K. Utz Tremp, « De l’hérésie à la sorcellerie », p. 86 ; P. JAGGI, Untersuchungen zum Klerus, p. 429 et 434. La prédication à Moudon n’est pas attestée, mais on sait qu’on alla chercher le dominicain à Estavayer et que par la suite on l’accompagna jusqu’à Moudon (ibid. p. 435, n. 4.).
114 Nous corrigeons ici la date de 1428 proposée par B. Hodel, « Saint Vincent à Aubonne ? », p. 189, car c’est en 1429 que le 20 janvier tombe un jeudi.
115 Comptes des clavaires de Fribourg de 1430, extrait édité par K. Utz Tremp, Quellen, p. 677.
116 Il s’agit selon toute vraisemblance de Guerbin Cruse, originaire de Cologne, dont l’activité est attestée surtout à Chambéry (E. Wickersheimer, Dictionnaire biographique des médecins en France, p. 163).
117 Aymon Malliet apparaît comme juriste en 1409. Il a été syndic de Genève entre autres en 1418 (cf. Les sources du droit du canton de Genève, t. l, p. 119, p. 270 et n. 135, p. 278).
118 Voir infra, p. 134-135.
119 Il est assigné à Paris le 15 mai 1407 (Chartularium, t. 4, p. 145, n. 1837).
120 RCG, t. 1, p. 16 (15 avril 1410). Il reçoit sa licence en théologie peu après Pâques, qui tombe en 1410 le 23 mars (Chartularium, t. 4, p. 195, n. 1906).
121 Voir infra, p. 140-141-000.
122 Voir infra, p. 180-181. Pierre du Nant aussi se souvient d’avoir entendu un jour Baptiste disputare contre le dominicain (voir infra, p. 152-153).
123 Voir infra, p. 142-143.
124 Les différentes pièces qui nous sont parvenues ne permettent pas d’établir une chronologie précise de ce qui s’est passé après le 29 juin.
125 Aucun élément ne permet de savoir où s’est déroulée la réunion avec Amédée VIII. D’après les registres du trésorier général, le duc se trouvait à Thonon pendant la première quinzaine du mois de juillet.
126 C’est du moins l’avis de Pierre Chapuis (voir infra, p. 194-195).
127 Sur Ulric de Torrenté, voir l’article de B. Andenmatten et K. Utz Tremp, « De l’hérésie à la sorcellerie », dans lequel sont également publiés en annexe cinq documents inédits le concernant.
128 Ulric de Torrenté déclara, dans une supplique qu’il adressa en 1440 à Félix V et dont on connaît l’existence seulement grâce à la réponse de ce dernier, qu’il occupait la charge d’inquisiteur depuis dix-neuf ans (B. Andenmatten, K. Utz Tremp, « De l’hérésie à la sorcellerie », p. 118). Dans une lettre adressée au pape Martin V en 1424, Ulric rappelle rapidement comment il est devenu inquisiteur.
129 Comme le remarquent B. Andenmatten et K. Utz Tremp, il s’agit des diocèses de langue française situés en terre d’empire qui faisaient partie de la province dominicaine de France (ibid. p. 72).
130 Voir infra, p. 78.
131 Sur cet épisode, voir A. Cauchie, « Nicole Serrurier, hérétique du xve siècle », p. 241-336 ; P. Fredericq, Corpus documenlorum inquisitionis, t. 2, p. 204 et suiv.
132 Les documents concernant l’épisode lausannois ont été publiés par A. Cauchie (« Nicole Serrurier, hérétique du xve siècle », p. 324-335) et réédités. ensuite par P. Fredericq.
133 B. Andenmatten, K. Utz Tremp, « De l’hérésie à la sorcellerie », annexe 1, p. 106-107. Ulric de Torrenté avait probablement écrit au pape avant le 16 mars en faisant état des difficultés auxquelles il était confronté, ce qui explique peut-être le peu de ‘confiance’ que le pontife manifeste à son égard dans la lettre à l’archevêque de Besançon.
134 Cf. B. Andenmatten, K. Utz Tremp, « De l'hérésie à la sorcellerie », p. 78-79.
135 La présence à Fribourg de Bernard Borgonyon n’est plus attestée après le 5 mai (K. Utz Tremp, Quellen, p. 107).
136 Ibid., p. 659, n. 20. Le couvent de Chambéry avait été fondé en 1418 par Amédée VIII.
137 Sur la rivalité entre les différents protagonistes, cf. B. Andenmatten, K. Utz Tremp, « De l’hérésie à la sorcellerie », p. 85.
138 Voir infra, p. 140-141.
139 Voir infra, p. 200-201.
140 Il n’est pas exclu que les réunions furent en réalité deux, mais les dépositions des témoins ne permettent pas d’être davantage précis sur ce point.
141 Cf. L. Binz, Vie religieuse, p. 480 ; « Le diocèse de Genève », p. 150-151. Il l’est peut-être encore à cette date, puisqu’il est le premier à être mentionné.
142 Il deviendra vicaire général avant mai 1437 (cf. L. Binz, « Le diocèse de Genève », p. 154).
143 Il a été nommé à cette charge par Martin V en décembre 1417 (Città del Vaticano, Archivio segreto, Reg. Vat. 348, fol. 7r-9v).
144 Il est attesté en tant qu’official en 1410, 1418 et 1420 (cf. L. Binz, « Le diocèse de Genève », p. 207).
145 Cf. ibid., p. 153-154.
146 Henri Favre était bachelier en droit canon et licencié en droit civil ; Anselme de Cheney bachelier en droit civil ; Louis Paris licencié en droit canon ; Jean de Lentonay licencié en droit civil ; Jean Moine docteur en droit civil.
147 Cf. C. Santschi, « Genève », p. 378-380.
148 François d’Avrilly est quant à lui qualifié de docteur en droit civil dans les comptes de la ville de 1429 (éd. M. Piguet Pasquier, Le registre de compte, t. 2, p. 92, 94, 96, etc.).
149 Voir infra, p. 180-181 et p. 188-189.
150 Voir infra, p. 204-205.
151 Voir infra, p. 150-151.
152 Voir infra, p. 196-197.
153 Voir infra, p. 164-165.
154 Voir infra, p. 106-107.
155 Voir les articles rédigés par l’inquisiteur 2, 6, 7 et 9 (infra, p. 108-111).
156 Articles 15, 1, 20 (infra, p. 112-113, 108 et 109 et 116-117).
157 Articles 10, 11, 17, 18 et peut-être 3 (infra, p. 110-111, 114-115 et 108-109).
158 Nicole Serrurier avait lui aussi été accusé d’avoir nié l’efficacité des sacrements administrés par les prêtres indignes. Il avait également soutenu que la rémission des péchés n’était pas possible sans contrition, idée qui est reprochée également à Baptiste, de manière moins explicite, dans l'article 12. Le même article semble aussi accuser Baptiste d’avoir suggéré aux fidèles de ne pas aller se confesser chez les mauvais confesseurs. Or, dans l’article qui accuse Nicole Serrurier d’avoir diffusé les erreurs de Jean Wyclif et de Jean Hus, le seul reproche qui apparaît est justement celui d’avoir conseillé aux fidèles de ne pas se rendre aux offices divins célébrés par les prêtres indignes (cf. A. Cauchie, « Nicole Serrurier », p. 289-290).
159 F. Trolese, Ludovico Barbo, p. 180-181.
160 Il s’agit de Conrad Wasen qui, à la question d’un de ses voisins qui lui demande : « Que est fides vestra ? », répond : « Fides nostra est idem sicut fides Hussitarum » (K. Utz Tremp, Quellen, p. 531).
161 Article 19 (infra, p. 114-117).
162 Voir infra, p. 98-101-000.
163 Voir infra, p. 100-101.
164 Cf., en dernier lieu, R. Comba, « Les Decreta Sabaudie », p. 179-190 ; J.-D. Morerod, D. Tappy, « L’introduction des Statuts de Savoie de 1430 », p. 29-32.
165 Jean Beaufort est arrivé à Thonon le soir du 2 mai (AST, SR, Comptes du trésorier général de Savoie, inv. 16, reg. 76, fol. 195v).
166 Sur Jean de Bertrand, cf L. Binz, « Le diocèse de Genève », p. 95.
167 Le 7 juin 1430, le trésorier ducal lui versa 3 florins et 7 deniers gros de petit poids comme dédommagement pour avoir été présent à Genève (AST, SR, Comptes du trésorier général de Savoie, inv. 16, reg. 75, fol. 204r).
168 L’accord de 1430 ne fut pas scellé. Ce n’est qu’en janvier 1432 qu’un nouvel accord, modifiant sur certains points celui de 1430, fut accepté par les prélats (cf. J.-F. Poudret, « Un concordat », p. 158).
169 En 1452 et 1465 Anne de Chypre et son mari Louis de Savoie choisiront cependant de se faire ensevelir dans la chapelle Notre-Dame de Bethléem du couvent de Rive. Sur les tentatives savoyardes de fonder une ‘nécropole genevoise’, voir B. Andenmatten, L. Ripart, « Ultimes itinérances », p. 214-219.
170 Par exemple Pierre Chapuis, qui affirme ouvertement que Raphaël était mû par « le zèle de la jalousie » (voir infra, p. 194-195).
171 Cf., par exemple, AST, SR, Comptes du trésorier général de Savoie, inv. 16, reg. 75, fol. 204v et reg. 76, fol. 157r. Le 20 octobre 1430, le trésorier ducal verse 20 deniers de gros à Jacques de Pesme pour régler l’achat effectué par Nicod Festi d'une rame de papier « pro scribendo unum librum refformacionis per dominum nostrum novissime facte » (ibid., reg. 76, fol. 280r).
172 À la suite de l’acquisition du comté de Genève, Amédée VIII était devenu vassal de l’évêque de Genève en 1405.
173 Le problème de la dépendance de l’évêque de Genève à l’empire est très complexe. Depuis la tentative d’Amédée VI d’entrer en possession du vicariat impérial, échouée à la suite de l’opposition de l’évêque de Genève, le problème est resté le plus souvent à l’arrière-plan des relations entre le comte puis duc de Savoie et les évêques. Il a resurgi de manière explicite à certains moments, comme en 1420 lorsque Sigismond est intervenu pour protéger l’évêque des agissements du duc de Savoie, et de nouveau en 1487, cette fois-ci soulevé par la commune qui voulait démontrer l’absence de tout droit impérial sur la ville (sur ce dernier aspect, voir C. Thévenaz Modestin, « L’évêque de Genève est-il soumis à l’Empire ? », p. 201-225). En 1429 et 1430, ce problème n’a apparemment pas été considéré d’une très grande importance, puisque dans le dossier qui nous est parvenu il n’est mentionné qu’une seule fois (cf. infra, p. 68).
174 Sur cette tentative, cf. F. Cognasso, Amedeo VIII, t. 1, p. 187-188.
175 Sur Jean de Rochetaillée et son épiscopat, cf. L. Binz, Vie religieuse, p. 122-125 ; « Le diocèse de Genève », p. 96-97.
176 De longs extraits du procès-verbal de la réunion du 29 février 1420 ont été publiés par É. Rivoire, V. Van Berchem, Les sources du droit du canton de Genève, t. 1, n. 137, p. 283-300.
177 Sur Guigue d’Albi, cf. L. Binz, « Le diocèse de Genève », p. 148-149.
178 Sur Jean de Brogny, vice-chancelier de l’Église romaine, cf. L. Binz, « Le diocèse de Genève », p. 98-101.
179 Sur ces aspects, cf. L. Binz, Vie religieuse, p. 117-118 ; « Le diocèse de Genève », p. 101-102.
180 « ... nisi si et in quantum de ipsius sanctitatis vestre aut aliorum Romanorum pontifficum( !) qui fuerint pro tempore processerit voluntate » (AST, Corte, Ginevra, cat. 1, paq. 7, n. 21, fol. 30r).
181 Le dossier concernant les démarches entreprises à partir de 1428 pour entrer en possession de Genève est conservé à Turin (cf la note précédente). Il contient de nombreuses pièces d’un grand intérêt pour comprendre comment travaillait l’entourage ducal et de quelle manière étaient prises les décisions de nature politique ou diplomatique. Dans les pages suivantes nous nous limiterons à résumer assez rapidement quelques-unes des pièces présentes dans le dossier, car nous comptons pouvoir consacrer bientôt une étude spécifique à cet ensemble documentaire.
182 Sur la carrière de Guillaume Bolomier, qui sera condamné à mort en 1446 à la suite d’un complot, cf. S. Sigot, Cancellieri e cancelleria, t. 2, p. 109-112.
183 AST, Corte, Ginevra, cat. 1, paq. 7, n. 21, fol. 14r.
184 Ibid., fol. 15r-16r. La lettre précise que « circa factum ecclesie gebennensis, non videtur sibi [au cardinal] aliquomodo honorabile pro eodem domino nostro duce nec eciam pro papa et quocumque alio sit, ut totam civitatem gebennensem sive ipsius juridicionem temporalem in ipsum dominum nostrum ducem transferre [...]. Videtur enim sibi quod domino nostro duci sufficeret habere de dicta civitate quod est melius, scilicet totum vicum inferiorem qui ripparia dicitur, pontem, insulam et castrum insuie, sanctum gervasium et quidquid est ultra pontem, unacum alis et pedagio ac ipsorum omnibus emolumentis » (ibid., fol. 15r).
185 Ibid., fol. 17r-20v. Dans cette longue lettre, le secrétaire ducal proposait en fait un projet de partage de la juridiction déjà assez élaboré et détaillé.
186 Ibid., fol. 21r-22v.
187 Ibid., fol. 20r.
188 « ... et quia coniecturatur de proxima vacacione episcopatus eduensis, si forte contingat, liane vel aliam, provisio differatur, adeo quod materia translacionis quam nostis dum aderunt prompcius et commodius fieri possit » (ibid., fol. 24v).
189 « ... subiungendo quod ad ea que michi super hac materia dum de partibus reversus fui dixit, motus fuerat et inclinatus prout in dictis meis litteris cernebatur pocius propter servire et complacere domino nostro duci, quam pro sua particulari utilitate. Notorium est enim quod sua ecclesia rothomagensis est longe honorabilior et utilior quam ecclesia gebennensis quam certus est posse si vult tenere quamdiu vixerit. Et si vult aliam loco ipsius recipere, habet in promptu etiam in patria paciffica similiter honorabiliorem et pinguiorem dicta ecclesia gebennensi » (ibid., fol. 21 r). Plus loin, Guy de Ruppe essaye de rassurer le secrétaire ducal par ces mots : « Ymmo credo et verisimiliter spero quod negocium habebit bonum exitum et non debet dominus noster timere decipi, quia si negocium concludatur cum domino meo cardinale, ymmo ipse conabitur cum compleri antequam recipiat ipsam ecclesiam » (ibid., fol. 22r).
190 Le souci de bien garder le secret des discussions est évoqué à plusieurs reprises dans la correspondance entre Guy de Ruppe et Guillaume Bolomier, que ce soit au sujet du courrier à qui les lettres étaient confiées ou des personnes autorisées à les lire. Dans trois lettres, celles du 20 janvier, du 25 avril et du 1er mai 1429, les noms de personne ainsi que le sujet dont elles traitent ont d’ailleurs été remplacés par des carrés, des triangles, etc.
191 Il avait été auparavant maître de l’hôtel ducal. Sur la composition et l’évolution de l’entourage du duc de Savoie, voir d’une manière générale G. Castelnuovo, Ufficiali e gentiluomini.
192 En réalité, des rumeurs sur un prochain voyage de Guillaume Bolomier circulaient déjà à Rome en avril (cf. ibid., fol. 23v, lettre du 1er mai 1429).
193 Ibid., fol. 26r-27v.
194 « Queritur se le promoteur ne vouloit pour soy, se pour fere la besoigne monseigneur serait content d’aultre. Respondetur que faisant le fait monseigneur sera content de tout aultre homme ydoine » (ibid., fol. 26v).
195 Jean de Rochetaillée est devenu administrateur de l’archevêché de Besançon le 14 octobre 1429 (cf. L. Binz, « Le diocèse de Genève », p. 96).
196 L’évêque encaissait entre autres, bon an mal an, 150 florins de droits de justice, 400 florins de la vieille halle et du poids et 350 florins de la nouvelle halle (AST, Corte, Ginevra, cat. 1, paq. 7, n. 21, fol. 28r).
197 Le secrétaire ducal rédigea quatre versions de la supplique, dont aucune n’est malheureusement datée (ibid., fol. 31r-34r). Il est probable que la supplique fut rédigée avant le départ de l'ambassade pour Rome, qui fut chargée de la remettre directement à la Curie.
198 Ibid., fol. 31r-34r.
199 S’il n’a pas été rédigé par François de Metz, le texte qui se trouve aux fol. 2r-10r exprime tout au moins le point de vue de l’Église de Genève et de l’évêque, car au fol. 35r une autre version de celui-ci, qui comporte cependant quelques différences, est introduite par les mots : « forma primorum articulorum pro parte ecclesie datorum et per ambaxiatores correctorum. » Il commenced’ailleurs par les mots biffes : « Si contingat dari et assignari illustrissimo principi duci Sabaudie in civitate Gebennensi porcionem aliquam... »
200 L’article par lequel l’évêque exigeait que la partie épiscopale de la ville devienne une ville de refuge (« civitas refugii ») eut droit au commentaire suivant : « Civitas episcopalis erit spelunca latronum. Unde hoc capitulum est iniquissimum et contra jus » (ibid., fol. 9r).
201 « Expedit quod commissarii multa moderent et etiam tollant » (ibid., fol. l0r).
202 Ibid., fol. 52r-53v. La copie de la bulle conservée à Turin n’est pas datée. Le même jour le pape a envoyé une lettre aux commissaires, dont une copie elle aussi non datée est présente dans le dossier turinois, qui a été partiellement publiée par S. Simonsohn d’après les registres du Vatican, où la date est indiquée (The Apostolic See and the Jews, p. 786-787). La bulle fut peut-être ramenée d’Italie au duc vers la fin du mois de mai, comme semblent le suggérer les comptes du trésorier général (versement le 31 mai de 38 florins à un courrier qui s’était rendu à Rome et dans la région de Naples auprès du pape, du cardinal de Rouen et d’Arles pour ensuite revenir à Genève, AST, SR, Comptes du trésorier général de Savoie, inv. 16, reg. 75, fol. 204r).
203 Il s’agit du même personnage qui sera présent à la réunion au cours de laquelle seront discutées les conclusions présentées par Baptiste de Mantoue (cf. supra, p. 52).
204 Ibid., fol. 53v-58r.
205 J.-F. Poudret estime que l’évêque de Genève ne voulut pas souscrire l’accord car il prévoyait l’interdiction pour les usuriers de transmettre leur héritage, ce qui était contraire aux franchises de la ville acceptées par l’évêque (cf. « Un concordat », p. 160-161). En fait, il se pourrait que l’évêque de Genève n’ait même pas été convoqué à la réunion, le duc étant convaincu que le transfert de la juridiction allait bientôt être effectif.
206 Le ton de la requête adressée aux commissaires est très péremptoire, comme si le duc était désormais convaincu de pouvoir faire plier François de Metz : « ... requisiti quatenus ad execucionem dictarum licterarum apostolicarum et contentorum in eis procedere et processum suum incohare, nec non citacionem contra prefatum reverendum in Christo patrem et dominum dominum Franciscum miseracione divina Gebennensem episcopum omnesque alios et singulos sua communiter vel divisim interesse putantes juxta vim, formant et tenorem litterarum predictarum... sibi decemere et concedere dignaremur » (AST, Corte, Ginevra, cat. 1, paq. 7, n. 21, fol. 59v).
207 AST, SR, Comptes du trésorier général de Savoie, inv. 16, reg. 76bis, fol. 51v et 56r. D’autres dépenses sont indiquées.
208 Ibid., reg. 75, fol. 156r.
209 Ibid., reg. 76, fol. 198r-v.
210 « ... non sine mentis acerba consideracione atque displicencia dissimulare possum inhibicionem a vestra sanctitate nuper emissam commissariis. » Plus loin, après avoir rappelé que c’est seulement le 8 août que ses conseillers ont appris l’existence de la bulle du 10 juillet, il ajoute : « Cum videam ex hoc honoris et juris mei lesionem ex derisu subsecuto qui, salva vestre sanctitatis reverencia, mihi inferri non debuit » (AST, Corte, Ginevra, cat. 1, paq. 7, n. 21, fol. 62r).
211 « Ipse episcopus... dubitans ne ipsa permutacione facta nos ipsam [civitatem] ditari faceremus ad redigendum pontem ipsius civitatis ad instar magni pontis parisiensis, prout per eius avunculum bone memorie dominum cardinalem ostiensem sibi strictissime fuit iniunctum, tenens ipse episcopus amplas pecunias sibi per ipsum cardinalem ad hoc relictas, non in tam laudedignopere exponere, sed in suis marsupiis constipare » (ibid., fol. 69v).
212 « ... ut in augmentum rei publiée ipsam civitatem... in spiritualibus et temporalibus amplifficare in ea uti centrali nostre dicionis laudedignam universitatem quarumcumque facultatum ad erudicionem omnium circonstancium perpetuo ( !) stabilire valeremus » (ibid., fol. 69r). Jean de Rochetaillée avait obtenu en 1419, ou 1420, une bulle pontificale accordant la création d’un « artium saltern liberalium stadium », mais son départ de la ville en août 1420 avait sans doute été à l’origine de l’échec de cette tentative. La traduction française de la bulle a été publiée par Ch. Borgeaud, Histoire de l’Université de Genève, t. 1, p. 3-13.
213 AST, Corte, Ginevra, cat. 1, paq. 7, n. 21, fol. 73r-77r.
214 L’ordonnance d’Amédée VIII concernant la promulgation des Statuts à Genève et l’acte par lequel l’évêque y consent, ont été publiés par É. Rivoire, V. Van Berchem, Les sources du droit du canton de Genève, t. 1, n. 163, p. 321-324 et n. 164, p. 324-326. Le 24 novembre 1430, Jean de Ravorée fut remboursé des dépenses qu’il avait effectuées pour se rendre de Morges à Genève auprès de l’évêque, des syndics et des bourgeois pour publier les Statuts « refformacionis universalis patrie domini » (AST, SR, Comptes du trésorier général de Savoie, inv. 16, reg. 76bis, fol. 32v).
215 L’argument fut d’ailleurs repris par Martin V dans la bulle de mars 1430.
216 Il était d’ailleurs parmi les commissaires pressentis par le duc en décembre 1429 pour régler au nom du pape la vente de la juridiction de Genève (AST, Corte, Ginevra, cat. 1, paq. 7, n. 21, fol. 26r).
217 Voir infra, p. 122-125.
218 Voir infra, p. 120-123.
219 Sur l’importance de la correction fraternelle dans la pensée chrétienne, cf. M. Nepper, « Correction fraternelle », dans Dictionnaire de spiritualité, t. 2, Paris, 1953, col. 2404-2414.
220 Infra, p. 124-127.
221 Sur Ponce Feugeyron et sa carrière, cf. M. Ostorero, « Itinéraire d’un inquisiteur gâté », p. 103-117.
222 Il est vrai qu’en 1290 le pape Nicolas IV avait confié l’inquisition dans le diocèse de Genève aux dominicains.
223 Voir supra, p. 46-47.
224 Sur ces problèmes, cf. J.-M. Vidal, Bullaire, p. V et XIV ; B. Andenmatten, K. Utz Tremp, « De l’hérésie à la sorcellerie », p. 72 ; H. C. Lea, Histoire de l’inquisition au Moyen Âge, t. 2, Montbonnot St-Martin, 1988 (New York, 1888), p. 169. Les bulles pontificales ont été éditées par S. Simonsohn, The Apostolic See and the Jews, p. 667-669 et p. 824-827.
225 « ... olim quidam frater Hudricus de Torrente ordinis Predicatorum heretice pravitatis inquisitorem se in dicta diocesi se asserens... » (Paris, BnF, nouv. acq. lat. 2408, n. 7, cité par B. Andenmatten, K. Utz Tremp, « De l’hérésie à la sorcellerie », p. 80, n. 36).
226 Cf. K. Utz Tremp, Quellen, p. 638-639. Sur ce problème voir aussi E. Maier, M. Ostorero, K. Utz Tremp, « Le pouvoir de l’inquisition », p. 250-251.
227 Le prélat souligna en effet que l’inquisiteur avait instruit le procès « ordinario loci minime ad hoc consulto vel requisito » (Paris, BnF, nouv. acq. lat. 2408, n. 7, cité par B. Andenmatten, K. Utz Tremp, « De l’hérésie à la sorcellerie », p. 80, n. 36).
228 « Libravit dicta die [27 octobre] Petro Balli de Gebennis, notario, pro expensis factis Morgie et veniendo a Gebennis Morgiam et redeundo Gebennas die vicesima tercia, XXIIII, vicesima quinta, XXVI et vicesima septima dicti mensis pro certis processibus domino apportandis et expediendis, xx denarios grossos » (AST, SR, Comptes du trésorier général de Savoie, inv. 16, reg. 75, fol. 184r).
229 Ibid., fol. 184r. Il n’est pas exclu que Raphaël ait rencontré le duc au début du mois d’octobre. Le 8 de ce mois, Michel de Fer enregistre en effet une dépense pour un don remis à « maître Raphaël » (« Libravit die viii octobris, manu magistri hospicii, magistro Raphaeli dono per dominum sibi facto pro suis expensis fiendis », ibid., fol. 187r).
230 « Intelleximus et etiam per literas habuimus, quod quidam Frater Baptista in Civitate Gebennarum, et in locis aliis illarum partium, ab aliquo tempore citra predicans, seminavit multos errores et scandala inter fideles, plurima dogmatisans adversa fidei Catholicae et sanctis institutis Ecclesiae Dei, ex quibus suscitatae sunt divisiones etiam inter laicos (AST, Corte, Materie ecclesiastiche, cat. 38, mazzo 1 (non inventorié) ; la lettre a été publiée par S. Guichenon, Histoire généalogique de la royale maison de Savoie, t. 2, p. 274, d’après qui nous citons).
231 Les extraits du compte du trésorier général qui mentionnent ces déplacements ont été publiés par F. Gabotto, « Dissidents religieux », p. 4.
232 « Item. Pro reverendissimo magistro Rafaele Cardona, qui pro magna parte recepit capitulum, et pro quibus intendit, quilibet sacerdos unam missam » (Acta capitulorum, éd. B. Reichert, MOPH 8, p. 223 ; B. Hodel, « Saint Vincent à Aubonne ? », p. 189, n. 35).
233 J.-D. Levesque, Les frères Prêcheurs de Lyon, p. 164 ; B. Hodel, « Saint Vincent à Aubonne ? », p. 190, n. 36.
234 B. Andenmatten, K. Utz Tremp, « De l’hérésie à la sorcellerie », p. 92 ; K. Utz Tremp, Quellen, p. 689.
235 Nous citons ce document d’après L. Binz ; « Les prédications ‘hérétiques’ », p. 33-34. À la suite d’un changement des cotes archivistiques, il n’est apparemment plus possible de le retrouver.
236 Guy Flamochetti reçut une somme d’argent le 26 août pour son déplacement (AST, SR, Comptes du trésorier général de Savoie, inv. 16, reg. 76, fol. 241r).
237 L. Binz, Vie religieuse, p. 126 ; L. Binz, « Le diocèse de Genève », p. 102.
238 J. Haller, Concilium Basiliense, p. 188.
239 L’extrait des comptes de la ville d’Aubonne qui indique les dépenses pour la nourriture offerte au dominicain et à ses socii a été édité par B. Hodel, « Saint Vincent à Aubonne ? », p. 197.
240 L. Binz, « Le diocèse de Genève », p. 96.
241 F. Trolese, Ludovico Barbo e S. Giustina, p. 95.
242 « Hic per diverses mundi partes ferventissime praedicando multa millia hominum utriusque sexus ad bene vivendum convertit, et ut ejus virtus etiam in persecutionibus probaretur, in pluribus locis ab hiis, qui vitia, et propria scelera redargui non ferebant vincula, carceres et mortis pericula sustinuit patienter. Quae omnia tamen divino munitus praesidio semper cum Dei laude illaesus evasit » (Epistola ad monachos, col. 288).
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