Conclusion
p. 167-168
Texte intégral
1Ce survol des clauses pieuses inspire trois sortes de réflexions.
2En premier lieu, englober le Forez dans la confrontation entre Lyon et les campagnes fait paraître encore plus grand le contraste entre les deux mondes. Le Forez en effet évolue plus lentement, il n’est pas touché par les migrations qui affectent les pays du sillon rhodanien. De plus, comme l’a montré une thèse récente1, la noblesse forézienne n’a abandonné ni ses terres ni ses hommes, elle dirige elle-même la remise en valeur qu’opèrent les descendants des familles paysannes d’avant les crises du xive siècle. Une manifestation parmi d’autres de l’attachement à la coutume est la longue résistance du testament oral, qui nous plonge dans l’intimité des familles. Or la famille reste l’organisme le plus solide, le plus efficace, et sa charge non seulement de tout ce qu’ordonne le testament mais de tout ce qu’il ne dit pas. Les rites de l’enterrement et les commémorations évoluent peu, ils restent modestes du début à la fin de la période.
3À Lyon en revanche, et dans quelques autres villes à un moindre degré, il y a des modes qui s’installent, qui règnent un temps, puis s’étiolent et sont remplacées par d’autres. Faire suivre le cortège funèbre par le clergé des paroisses, par celui des collégiales, par les Frères mendiants, voire par le clergé du chapitre cathédral... Vouloir être enterré chez les Prêcheurs ou les Mineurs, combler ceux-ci d’aumônes puis de commandes de messes... En même temps déferle la vague des messes au détail, qui se brisera un jour contre la Réforme, quitte à renaître plus tard... Du village à la grande ville, l’écart culturel est extraordinaire.
4En second lieu, le salut escompté s’acquiert à des prix variables. Au village, la coutume locale entraîne peu de frais en rites funéraires et commémoratifs. À Lyon, l’espoir d’abréger le temps passé au purgatoire peut coûter des centaines de livres tournois. « L’égalité devant la mort n’est qu’un thème de danse macabre2. » Certes, mais qu’en est-il de l’au-delà et comment les fidèles, en majorité illettrés, se représentent-ils le paradis ? Un paradis égalitaire, cela paraît douteux. Un paradis organisé selon les normes de la cour céleste des images peintes, où les élus se tiennent rangés en bon ordre, plus ou moins proches du Christ et de sa mère, est plus vraisemblable. Quant au purgatoire, il est sous-entendu dans les testaments (le terme est quasi absent) puisque messes et autres suffrages sont censés être efficaces après la mort. Mais peut-être l’au-delà reste-t-il pour beaucoup partagé en deux étages seulement, comme pour la mère de François Villon, dont les vers sont trop beaux pour ne pas être cités une fois de plus, d’autant qu’ils sont puisés dans le Testament.
« Femme je suis pourette et ancienne,
Qui rien ne sçay ; oncques lettre ne leus.
Au moustier voy dont suis paroissienne
Paradis paint, ou sont harpes et lus,
Et ung enfer ou dampnez sont boullus.
L’ung me fait paour, l’autre joye et liesse...
En ceste foy je vueil vivre et mourir3. »
5En troisième lieu, il y a un point commun entre les deux mondes qui se côtoient, la grande ville et le village. Dans les deux, il y a évidemment des testateurs qui sont plus riches que d’autres. Or on ne rencontre dans le corpus que fort peu de manifestations d’humilité évangélique. Celle-ci ne fait pas plus recette qu’à Douai. Celui qui est riche dépense davantage pour son enterrement, mais le citadin dépense autrement que le campagnard. À Lyon, la dépense, en dehors des commandes de messes, se porte sur le spectaculaire : un clergé nombreux, un luminaire éblouissant, des couleurs choisies, des sonneries de cloches, un défilé impressionnant. Le bel enterrement suscite, comme nous l’avons vu, des imitations dans certaines localités comme Saint-Symphorien-le-Château.
6À la campagne, le riche paysan n’aura pas beaucoup plus de prêtres ni d’anniversaires que les autres. Mais sa famille mettra un point d’honneur à nourrir et abreuver « tous ceux qui viendront », connus et inconnus, riches et pauvres. Ce sera un banquet énorme où il y aura pléthore de viandes fraîches, du vin « autant que nécessaire », de la soupe de fèves et du lard, voire du pain blanc, pour une fois. Pour un seul repas, on sacrifie plusieurs vaches et génisses, sans compter les porcs. Le lecteur contemporain aurait du mal à croire ce qu’il lit dans les testaments de certains paysans des Monts du Forez si l’archéologie n’enseignait que les bestiaux étaient alors plus petits4.
7Au village, la mort reste socialisée, alors qu’en ville elle est théâtralisée, comme l’a qualifiée J. Chiffoleau dans le Comtat Venaissin5.
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