Une étape négligée de la réception d’Aristote en Occident : Averroès, le Liber Nicomachie et la science politique*
p. 265-273
Texte intégral
1Le commentaire moyen (talkhis) sur l’Éthique à Nicomaque, qu’Averroès avait terminé de rédiger le 27 mai 1177, peut-être à Cordoue, ne nous est parvenu que dans la traduction latine de Hermann l’Allemand, connue sous le titre Liber Nicomachie, et dans la traduction hébraïque plus tardive de Samuel ben Jehuda de Marseille1. Hermann avait achevé cette version latine le 3 juin 1240, à Tolède2 ; il y a joint peu après sa traduction d’un abrégé d’origine grecque ou arabe de l’Éthique, la Summa Alexandrinorum, qu’il avait terminée le 8 avril 1243, ou 12443. Ces deux traductions faites par Hermann l’Allemand constituent une phase particulière de la réception de la science politique du Stagirite au Moyen Âge. En effet, elles ont précédé, et la traduction de l’Éthique complète, que Robert Grosseteste et ses collaborateurs firent sur l’original grec, y ajoutant la traduction d’une série de commentaires grecs, vers 1246-12474, et celle de la Politique effectuée par Guillaume de Moerbeke en deux temps, et disponible progressivement au cours des années 12605. Muni des deux versions de l’Éthique dans ses bagages, Hermann a fait un voyage à Paris, où il a rencontré Roger Bacon6, et peut-être d’autres artiens. Puis, de retour en Espagne, il a poursuivi ses traductions. Après avoir travaillé sur un résumé de la Rhétorique et sur le début d’un commentaire de la même œuvre, tous deux faits par al-Fârâbî7, il a commencé à préparer la version arabo-latine de la Rhétorique entre 1240 et 1246, à la demande de Jean de Burgos8. Il a aussi traduit le commentaire d’Averroès sur la Poétique, achevant ce travail le 17 mars 1256, à Tolède ; enfin, il est devenu l’évêque d’Astorga (León) six ans avant sa mort, survenue en 12729.
2Même si Hermann a dû constater, dans le prologue de sa traduction de la Rhétorique10, que ses interprétations arabo-latines de l’Éthique étaient devenues superflues à cause de la parution de la traduction de Grosseteste, faite sur l’original, les douze exemplaires manuscrits du Liber Nicomachie connus11 (dont huit sont complets) témoignent de l’attrait que la version latine de la paraphrase d’Averroès a exercée sur les lecteurs du Moyen Âge. Elle a été consultée, entre autres, par Albert le Grand12, et surtout par Roger Bacon qui, selon René-Antoine Gauthier13, ne semble pas avoir utilisé d’autres versions de l’Éthique que celles données dans les traductions de Hermann l’Allemand. Il reste néanmoins que l’influence du Liber Nicomachie a été assez limitée. Elle fut en tout cas un peu inférieure à celle de la Summa Alexandrinorum14 : outre les quatorze manuscrits connus de cet abrégé, on sait que Richard de Fournival, chancelier de l’Université à Paris (m. 1259/1260) l’a mentionné dans sa Biblionomia ; le florentin Brunetto Latini (m. 1294) l’a inséré en français, avec des coupures et d’autres modifications, dans son encyclopédie, Le livre dou Trésor ; le maître de médecine de l’Université de Bologne, florentin aussi de naissance, Taddeo Alderotti (m. 1303) en a peut-être fait une traduction italienne15 ; enfin, des traces de cette Summa Alexandrinorum ont pu être repérées dans l’œuvre du poète Guittone d’Arezzo (m. 1294) et dans les commentaires sur l’Éthique écrits autour de 130016.
3Pour déceler les informations que le Tiber Nicomachie a fournies aux lecteurs vers le milieu du XIIIe siècle sur la science politique et sur la Politique d’Aristote, nous nous contenterons d’examiner ici deux passages de la paraphrase d’Averroès : d’une part, celui (livre X, chapitre 9, selon l’édition de Venise) qui lie l’Éthique à la Politique, et d’autre part, celui dans lequel le Stagirite esquisse sa classification des régimes politiques (livre VIII, chapitre 10). La traduction littéraire que fait Hermann du texte arabe rend sa version latine parfois opaque, et de plus, la paraphrase du Commentateur n’indique que le début des citations d’Aristote. Les lecteurs qui n’ont pu se procurer la traduction du traité original du Stagirite n’étaient pas capables de séparer les citations de celui-ci et l’interprétation d’Averroès. Malgré ces inconvénients, les lecteurs de l’époque ont pu saisir la teneur générale des passages de l’Ethique d’après la traduction de Hermann l’Allemand.
4Loin de se limiter à un simple résumé, Averroès avait ajouté quelques termes importants aux textes d’Aristote. Il insère par exemple dans le dernier chapitre du Liber Nicomachie la notion de servitude naturelle qui, selon lui, caractérise les êtres humains dominés par leurs instincts bestiaux17. Cette conception rapproche d’ailleurs la servitude antique des idées concernant l’origine de l’inégalité sociale et du gouvernement dominantes au Moyen Âge avant la redécouverte d’Aristote18. Un autre apport, servi par la traduction, concerne le pouvoir absolu du roi. Dans l’Ethique, Aristote oppose simplement le pouvoir du père et celui du roi, le souverain ayant plus de force de contraindre que le père. Le Commentateur, lui, caractérise le roi et son pouvoir en des termes ainsi rendus par Hermann : rex tamquam rex absolutus : intendo virtuosum bonum19. Le roi en tant qu’il incarne la raison d’être de l’acte législatif20 possède le plein pouvoir. On trouve ici l’utilisation particulièrement précoce de l’adjectif absolutus pour qualifier le pouvoir royal dans l’Occident latin : attesté dans les années 1220 pour expliciter l’une des formes du pouvoir divin, la potestas absoluta, en opposition à la potestas ordinata, cet adjectif devait plutôt servir, à partir du milieu du XIIIe siècle, à décrire le pouvoir pontifical, dans une assimilation de la potestas absoluta à la plenitudo potestatis bien attestée sous la plume du cardinal Hostiensis21 (m. 1271).
5À la fin de l’Éthique, Aristote définit le sujet double de la politique. Cette science s’occupe d’une part du problème de la loi et de la législation, et d’autre part des régimes politiques. La paraphrase d’Averroès dans sa version latine reflète clairement la première de ces deux problématiques, la perscrutatio, dont l’objectif porte sur la positio legum, mais elle donne également une définition de la seconde, le regimen civitatum, dans laquelle un des éléments principaux de la pensée politique d’Aristote, la perspective de la multiplicité des régimes (égaux en principe), s’obscurcit. Il est même douteux qu’un lecteur, qui se heurte pour la première fois à la problématique des régimes antiques dans le Liber Nicomachie, puisse comprendre que les civitates ou les modi viuendi mentionnés dans le texte aient été des régimes politiques, dont le nombre figure d’ailleurs de façon incorrecte (quatuor aut quinque) dans ce passage22. On trouve cependant des informations intéressantes dans l’épilogue qu’Averroès a joint à sa paraphrase. Le Commentateur écrit au début de cet épilogue que le Philosophe a consacré une œuvre à la sdentici ciuilis23 (c’est-à-dire la politique), le Liber de regimine vitae ; mais lui-même, avoue-t-il, n’en connaît que certaines parties, et l’existence et le sujet de ce livre lui ont été révélés par al-Fârâbî24. Il ajoute que Platon a écrit un traité du même titre (la République ?) dans lequel ce dernier n’examine que deux composantes de la république (conseruatores et sapientes) et le changement des régimes25 (ciuitates), tandis que le Stagirite s’occupe aussi des lois et de la stabilité des régimes (aggregationes), thèmes dont l’analyse fait partie des tâches de cette science26 (perscrutatio artificialis).
6Si la fin du Liber Nicomachie ne dévoile guère la perspective de la multiplicité des régimes politiques, ce n’est pas le cas dans un autre passage de cette œuvre d’Averroès. Dans ce qui suit, nous nous proposons d’examiner brièvement ce passage (notamment le chapitre 10 du livre VIII). En s’occupant de l’amitié, Aristote insère dans l’Ethique un excursus dans lequel il développe sa classification des régimes politiques pour pouvoir envisager les formes sous lesquelles cette vertu est présente dans les communautés politiques tout comme dans les relations de famille. Dans la traduction de Hermann l’Allemand on retrouve clairement ces régimes (species habitudinum ciuilium ou principatus) : les trois régimes corrects (principatus regis,principatus bonorum,principatus honoris) et les trois mauvais (principatus tyrannidis, principatus paucorum diuitum, principatus communitatis/congregationum), et chacune des trois paires avec leurs différences spécifiques (differentia specifica) respectives27. Conformément aux positions de l’Ethique, le passage cité du Liber Nicomachie affirme que le meilleur des régimes est bien sûr la monarchie28, le pire étant la tyrannie29, et que la plus supportable des mauvaises formes de gouvernement est la démocratie, tandis que la politie est le moins favorable des bons régimes30. Néanmoins, dans d’autres passages, Averroès mentionne soit l’oligarchie31, soit la démocratie32 comme le pire des gouvernements. La position du Commentateur diverge aussi de celle du Stagirite sur la question du changement possible d’un régime à l’autre. Aristote écrit simplement que le changement entre la politie et la démocratie est très fréquent. De son côté, Averroès généralise sa conclusion : ce changement est très rare, sauf entre les membres des trois paires respectives33. Il y mentionne la paire monarchie-tyrannie, et il reprend cet exemple un peu plus loin tout en ajoutant que pour la mutation entre les deux membres de cette paire il suffit de changer le seul prince (remplacement du monarque par une autre personne, peut-être un usurpateur ? ou changement de l’attitude du prince envers ses sujets et son office ?), et c’est ce qui se produit le plus facilement34.
7C’est grâce à Averroès et au Liber Nicomachie que les lecteurs de l’Occident latin ont pu accéder pour la première fois à la conception pessimiste de Platon sur l’enchaînement des changements des régimes politiques, ce qui témoigne d’ailleurs de la familiarité du Commentateur avec de telles idées politiques, auxquelles il a préféré cependant celles d’Aristote35.
8Pour mieux mesurer l’importance de la version latine de cette paraphrase d’Averroès dans la réception médiévale des idées politiques d’Aristote, on peut finalement jeter un coup d’œil sur la Summa Alexandrinorum. Le bref épilogue qui la conclut attire l’attention, par la description assez particulière que l’auteur y donne de la relation qui existe entre l’éthique et la politique. Cette description, en effet, se distingue de la classification ternaire habituelle des sciences pratiques en ethica-economica-politica, en inscrivant l’Ethique dans le champ des sciences théoriques : Explicit summa prima [pars] Nykomachie Arystotelis que se habet per modum theorice, et restat secunda pars que se habet per modum practice36. Quant au corps du texte, deux passages y correspondent à ceux que nous avons déjà envisagés dans le Uber Nicomachie. En résumant le contenu et l’objectif de la science politique37, l’abrégé alexandrin ne consacre qu’une brève allusion aux lois, tandis que la présentation de la problématique des régimes politiques (modi vivendi) est tout aussi opaque ici que dans la paraphrase d’Averroès38. Cette dernière problématique se débrouille un peu dans le passage qui devrait résumer la classification aristotélicienne des régimes. La Summa Alexandrinorum énumère les trois régimes corrects39 (principatus regum, principatus bonorum sive magnatum, principatus comitantium), affirme que le meilleur d’eux c’est la monarchie40, énonce respectivement la differentia specifica de la monarchie et de l’aristocratie, mais elle désigne la politie comme l’homologue négatif du principatus bonorum – de l’aristocratie, donc. Quant à la politie, elle ne forme paire qu’avec l’anarchie, ou avec le règne des lois arbitraires41. Le schéma antique des six régimes (regroupés en deux formations symétriques) ne se révèle donc pas dans le résumé alexandrin. Dans ce passage, tout comme dans celui qui lie l’éthique à la politique, l’interprétation que donne la Summa Alexandrinorum des remarques politiques de l’Éthique, est bien plus maigre et confuse que celle du Liber Nicomachie.
Notes de bas de page
1 La version hébraïque a été terminée le 9 février 1321. Sur cette tradition du texte, voir R.-A. Gauthier, Introduction, dans R.-A. Gauthier & J.-Y. Jolif (éds), Aristote, L’Éthique à Nicomaque, Louvain-Paris, 19702, vol. I/1, p. 110-111 et note 86.
2 Texte édité dans Aristotelis, Opera Omnia cum Averrois Cordubensis Commentariis, Venise, 1550, f. 1rb-79rb, vol. III. Sur Hermann, voir avant tout S. Luquet, « Hermann l’Allemand (m. 1272) », Revue de l’histoire des religions, 44, 1901, p. 407-422 ; sur l’homme et son œuvre, voir aussi M.Th. d’Alverny, « Remarques sur la tradition manuscrite de la Summa Alexandrinorum », Archives d’histoire doctrinale et littéraire du Moyen Âge, 49, 1982, p. 267-270 ; A. Pelzer, « Les versions latines des ouvrages de morale conservés sous le nom d’Aristote », dans A. Pelzer (éd.), Études d’histoire littéraire sur la scolastique médiévale, Louvain - Paris, 1964, p. 142-147, et R.A. Gauthier, Introduction citée à la note précédente, p. 114.
3 Édition dans C. Marchesi, L’Etica Nicomachea nella tradizione latina medievale, Messine, 1904, p. XLI-LXXXVI. Faute d’avoir pu accéder à cette édition, nous utilisons ici la version de cet abrégé, faite par Engelbert d’Admont (m. 1331) pour son cahier d’études : G. B. Fowler, « Manuscript Admont 608 and Engelbert of Admont », Archives d’histoire doctrinale et littéraire du Moyen Âge, 49, 1982, p. 195-252.
4 H. P. F. Mercken, « Introduction », dans The Greek Commentaries on the Nicomachean Ethics of Aristotle in the translations of Robert Grosseteste, Bishop of Lincoln (m. 1253), Eustratius on Book I and the Anonymous Scholia on Books II, III and IV, Leyde, 1973, vol. I, p. 45. Selon R.-A. Gauthier, les phrases ou parfois les mots latins de l'Éthique, retrouvés dans deux manuscrits différents, sont des fragments d’une autre traduction complète de ce traité qui aurait pu précéder celle de Grosseteste. L’édition de ces fragments est donnée dans Aristoteles, Ethica Nicomachea. Translatio Antiquissima libr. II-III sive “Ethica Vetus” et Translationes Antiquiores quae supersunt sive “Ethica Nova”, “Hoferiana”, “Borghesiana”, dans R.-A. Gauthier (éd.), Aristoteles Latinus”, XXVI/2, Leyde - Bruxelles, 1972, p. 99124. Les recherches récentes confirment cette hypothèse, et nous révèlent le nom du traducteur : il s’agit de Burgundio de Pise, qui travaillait sans doute sur cette traduction complète avant 1151, voire dans les années 1135-1140 environ ; voir G. Vuillemin-diehm & M. Rashed, « Burgundio de Pise et ses manuscrits grecs d’Aristote : Laur. 87.7 et Laur. 81.18 », Recherches de théologie et de philosophie médiévales, 64, 1997, p. 136-198, en particulier p. 178-198.
5 La translatio imperfecta de cette œuvre, qui s’achève par le chapitre 11 du livre II, aurait été prête vers 1260, selon F. Bossier, et en 1266, selon J. Brams ; la translatio completa aurait été terminée dans la première moitié de l’année 1265, selon Bossier, et seulement en 1270, selon Brams. Voir respectivement F. Bossier, « Méthode de traduction et problèmes de chronologie », dans J. Brams & W. Vanhamel (éds.), Guillaume de Moerbeke. Recueil d'études à l'occasion du 700e anniversaire de sa mort (1286), Louvain, 1989, p. 288-289 et 292 ; J. Brams, « Guillaume de Moerbeke et Aristote », dans J. Hamesse & M. Fattori (éds.), Rencontres de cultures dans la philosophie médiévale. Traductions et traducteurs de l’antiquité tardive au XIVe siècle, Louvain-la-Neuve - Monte Cassino, 1990, p. 320.
6 Voir M.Th. d’Alverny, « Remarques sur la tradition manuscrite... », p. 269-270. Roger Bacon a mentionné parmi les traducteurs de son époque magister Hermannus dans J. H. Bridges (éd.), The ‘Opus Majus’ofRoger Bacon, Oxford, 1897, vol. I, p. 73. Cf. Compendium studii philosophiae, c. 8. dans J. S. Brewer (éd.), Rogeri Baconis, Opera quaedam hactenus inedita. Opus tertium, Opus minus, Compendium studii philosophiae, Londres (coll. Rolls’Series, XV), 1859, p. 467-468. Le philosophe anglais a utilisé largement les versions latines de l’Éthique et de son abrégé, dans la traduction de Hermann. Et c’est sans doute sous l’effet de sa lecture du Liber Nicomachie qu’il a considéré Averroès, avec Aristote et Avicenne, comme une autorité dans le domaine de la moralis scientia : voir Roger Bacon, Moralis Philosophia, éd. E. Massa, Turin, 1953, p. 5.
7 Didascalia in Rhetoricam Aristotelis ex glosa Alpharabii. Traduction latine de Hermann l’Allemand, éd. M. Grignaschi, dans J. Langhade & M. Grignaschi (éds.), Al-Fârâbî, Deux ouvrages inédits sur la Rhétorique, Beyrouth, 1971, p. 123-252. Voir aussi la note suivante, et la note 31.
8 Hermann a dédié cette traduction à Jean, évêque de Burgos et chancelier du royaume de Castille, qui cumulait ces deux fonctions entre 1240 et 1246 ; voir W. Bogges, « Hermannus Alemannus’s Rhetorical Translations », Viator, 2, 1971, p. 227-250 ; Bogges y réfute la thèse selon laquelle ce texte serait la traduction du commentaire sur la Rhétorique d’Averroès.
9 D’après le Compendium studii philosophiae de R. Bacon (c. 8, éd. citée, p. 471-472), datable de 1271-1272, il apparaît que ce dernier était alors au courant de la promotion de Hermann à l’épiscopat, et qu’il le savait encore vivant. Cependant, les contacts entre les deux savants, après la rencontre parisienne des années 1240, semblent avoir été occasionnels. Si Roger Bacon signale l’existence de la traduction par Hermann de la Rhétorique et des gloses d’al-Fârâbî, il ignore celle du commentaire d’Averroès sur la Poétique (éd. citée, p. 267). Et lors de l’élaboration de son Opus Majus (dont la Moralis Philosophia constitue la VIIe partie), c’est-à-dire en 1267, onze ans après que Hermann avait achevé sa traduction de la paraphrase d’Averroès sur la Poétique, Bacon ne connaissait que les textes de Hermann qui circulaient depuis la deuxième moitié des années 1240 (voir Opus Majus, vol. I, éd. citée, p. 101). Sur les dates de ces oeuvres de R. Bacon, voir S. C. Easton, Roger Bacon and his Search fora Universal Science, Oxford, 1952, p. 157-166 et 187-188.
10 W. Bogges, « Hermannus... », p. 250.
11 Il s’agit essentiellement des manuscrits des xiiie et xive siècles. Pour les manuscrits du Liber Nicomachie voir G. Lacombe, A. Birkenmajer, M. Dulong & A. Franceschini, Aristoteles Latinus. Codices : Pars Prior, Bruges - Paris, 1939, Pars Posterior, Cambridge, 1955, Supplementa altera, éd. L. Minio-Paluello, Bruges - Paris, 1961.
12 A. Pelzer, « Le cours inédit d’Albert le Grand sur la Morale à Nicomaque, recueilli et rédigé par S. Thomas d’Aquin », dans A. Pelzer (éd.), Études d’histoire littéraire..., p. 287, note 34 et p. 290, note 46.
13 R.-A. Gauthier, Introduction..., p. 115, et note 100.
14 M.-Th. D’alverny, « Remarques... », p. 265-267 et 271-272.
15 Cf. Dante, Convivio, I, 10, à moins qu’il ne s’agisse d’une version italienne des chapitres concernés de l’encyclopédie de Brunetto Latini, comme l’affirme F. J. Carmody, l’éditeur du Trésor.
16 Voir R.-A. Gauthier, Introduction..., p. 115, note 101-102.
17 Fo 78rb : Et etiam indigent legibus in tota vita : plures enim ducuntur necessitate et coactione plus quam sermone, et malo plus quam bono. Et propter hoc vident quidam homines, quod oportet vt legislatores constringant homines ad recipiendum virtutem : et vt hoc ponant pro lege non propter suos tantum, sed et propter eos, qui sentis similantur in natura sua. Et (ibid.) : Malus enim concupiscens delectationes oportet vt affligatur tormentis, quasi bestia.
18 Sur ces idées dans l'exégèse des xiie - xiiie siècles, voir Ph. Buc, L’ambiguïté du Livre. Prince, pouvoir, et le peuple dans les commentaires de la Bible au Moyen Âge, Paris, 1994, p. 70-111. Sur la réinsertion de la conception antique du servitus, voir Ch. Flüeler, Rezeption und Interpretation der Aristotelischen Politika im späten Mittelalter, Amsterdam - Philadelphie, 1992, I, p. 35-85.
19 F° 78rb : Non inuenitur autem potentia coactiua ad huiusmodi in mandato viri unius, nisi sit rex tamquam rex absolutus : intendo virtuosum bonum. Lex autem habens potentiam coactiuam, quando fuerit sermo procedens a scientia et intellectu (ibid. V, 6, fo 36va et V, 10, fo 9va).
20 Même idée chez le contemporain de Hermann, Robert Grosseteste : Rex in quantum talis non praeficitur hominibus in quantum ipsi homines sunt rationales recte ratione utentes, sed in quantum sunt animales, ut quod est in eis animale rationi subiiciat et rationis ductu dirigat (...), sic in uno regno rex naturaliter est populi principativus (The Greek Commentaries on the Nicomachean Ethics of Aristotle in the translations of Robert Grosseteste, Bishop of Lincoln (m. 1253), vol. III, The Anonymous Commentator on Book VII, Aspasius on Book VIII, and Michael of Ephesus on Books IX and X, Louvain, 1991, p. 166). Sur l’utilisation du même topos dans un traité de la fin du xiiie siècle : E. J. Buschmann, « Rex inquantum rex. Versuch über den Singehalt und geschichtlichen Stellenwert eines Topos in De regimine principum des Engelbert von Admont », dans A. Zimmermann (éd.), Methoden in Wissenschaft und Kunst des Mittelalter, Miscellanea Mediaevalia, VII, Berlin, 1970, p. 303-333.
21 C’est à ce moment-là que le sens actuel de cette expression s’est formé. Voir W.C. Courtenay, Capacity and volition. A history of the distinction of absolute and ordained power, Bergame (coll. “Quodlibet. Ricerche e strumenti di filosofia medievale”, 8), 1990, p. 72 et 92-95. Sur le xiiie siècle, voir J. Marrone, « The absolute and ordained powers of the pope. An unedited text of Henry of Ghent », Mediaeval Studies, 36, 1974, p. 7-27.
22 Fo 79ra : Et cum iam dimiserint antiqui perscrutationem et inquisitionem de positione legum, tunc fortassis erit melior consyderatio in hac consyderatione in ciuitate per modum vniuersalem. Et quoniam propositum nostrum estperfectio speculationis secundum mensuram posse Philosophiae in rebus humanis, tunc conabimurprimitus perscrutari de omni parte nobili bona legum quod dixerunt antiqui de hoc, intendo de regimine ciuitatum : deinde videbimus de modis viuendi inuentis, quis eorum corrumpit quasdam ciuitates et rectificat quasdam, et quis eorum rectificat omnem : intendit ex ciuitatibus quatuor simplicibus aut quinque, et propter quam causam efficitur ma quarundam ciuitatum bona, et quarundam econtrario.
23 Au début du Liber Nicomachie, la science politique s’appelle ars gubernandi ciuitates et ars regitiua ciuitatum (Ibid., I, 2, f.° 1va).
24 Ibid, f° 79ra : Et est ea que habet se in scientia ciuili habitudine notitiae (...), et est in libro eius [scil. Aristotelis], qui nominatur liber de regimine vitae. Et nondum peruenit ad nos, qui sumus in bac insula : quemadmodum non peruenerant ad nos primitus de isto libro, nisi primi quatuor tractatus (...). Apparet autem ex sermone Abyn arrim Alfarabij, quod inuentus est in illis villis. S’agit-il ici des quatre premiers livres de la Politique ? Non, si on suit S. Pines : d’après lui, les philosophes arabes du Moyen Âge n’ont connu qu’un abrégé, ou une paraphrase (d’origine hellénistique ?) du livre I de ce traité d’Aristote, et peut-être certains passages du livre IL Voir S. Pines, « Aristode’s Politics in Arabie philosophy », Israel Oriental Studies, 5, 1975, p. 150-160. Le traité d’al-Fârâbî, mentionné par Averroès, est le De sdentiti ou Catalogue scientiarum (Ihsâ ‘al-’ulûm) dont deux versions latines ont vu le jour pendant la deuxième moitié du XIIe siècle à Tolède : la version courte traduite par Domingo Gundissalvi (dont les activités sont attestées par les actes datés entre 1162 et 1190) et la version complète traduite par Gérard de Crémone (m. 1187). Ces deux textes contiennent le titre exact du traité d’Aristote (Politica) avec une description du sujet qui nous fait plutôt penser à un miroir de prince : al-Fârâbî, Catàlogo de las ciencias, éd. Á. Gonzâlez Palencia, Madrid, 1953, 2e éd., p. 113-114 (version de Gundissalvi) et p. 169-171 (version de Gérard de Crémone). Ecrivant sur les sdentiae practicae, Gundissalvi a intégré ce passage in extenso dans son œuvre d’introduction : Dominicus Gundissalinus, De diuisione philosophiae, éd. L. Baur, Münster, 1903, p. 135-136. Sur les traductions arabo-latines des œuvres philosophiques au Moyen Âge, voir avant tout M.-Th. D’alverny, « Translations and Translators », dans R. L. Benson, G. Constable & C. L. Lanham (éds), Renaissance and Renewal in the Twelfth Century, Cambridge/Mass., 1982, p. 421-462 et H. Daiber, « Lateinische Übersetzungen arabischer Texte zur Philosophie ind ihre Bedeutung für die Scholastik des Mittelalters. Stand und Aufgaben der Forschung », Rencontres de cultures..., p. 203-250. Notre attention a été attirée sur ces passages d’Averroès et de Gundissalvi par Ch. Flüeler, Rezeption und Interpretation..., I, p. 3-4 et 10 ; nous lui devons aussi la référence à l’article de S. Pines.
25 Fo 79rb : Nam ex sermone Philosophé apparet in hoc loco, quod quod est in libro Platonis de regimine vitae, incompletum est. Et videtur quod sic se habeat res in seipsa. Nam in illo libro perscrutatur Plato duobus modis hominum tantum, et sunt conseruatores et sapientes. Deinde ostendit quomodo permutantur ciuitates simplices ad se inuicem. Nous ignorons la source de ce résumé. Ce n’est sûrement pas le livre II de la Politique, dans lequel Aristote critique, entre autres, Platon.
26 Ibid. : Sed perscrutatio artificialis exigit vt rememorentur leges, et fori communes ciuitatibus simplicibus : deinde rememorentur post hoc, quod appropriatur singulis ciuitatibus ex eis, intendo quod appropriatur aggregationi nobili honorabili [l’aristocratie], et aliis aggregationibus. Et similiter rememorentur quod impedit vniuersas aggregationes, et quod impedit modo singulos ex ipsis : et inquirantur exempta huius in vita inuenta in illo tempore, et hoc est illud, ad quod innuit Aristoteles hic, et est res, quae non completar in libris Plato.
27 Fo 59va-vb : Et spedes habitudinum ciuilium tres sunt : et oppositae eis tres. Prima est principatus regis : intendit regem vnum virtuosum. Secunda prindpatus bonorum : intendit reges multos coadiutores in gubernationem virtuosam nobilem, et illudfit per hoc, vt vnusquisque ipsorum adducatpartem gubemationis aliam ab ea, quam adducit alter : cum non contingit aggregalipartes gubemationis duilis in vno. Dixit. Et tertia est prindpatus honoris : intendit ciuitatem, cuiusfinis est honor. (...) Et prindpatus tyrannidis et regni vnus et idem estper formam : et inter vtrumque diuersitas est multa : eo quod intendo tyranni est bonum suum : et intendo regis est bonum eorum, quibus praeest, non bonum sui (...). Sed prindpatus bonorum propter multitudinem prindpum mutatur ad principatum paucorum : intendit principatum diuitum, qui ponuntfinem gubemationis diuitias : et istud est oppositum huius prindpatus (...). Prindpatus autem honoris mutatur ad prindpatum communitatis intendo congregationalem : et est qui nominatur secundum libertatem. Un peu plus loin, Averroès rend encore plus clair que le prindpatus honoris est l’un des régimes dans lesquels plusieurs personnes constituent le gouvernement (fo 59vb) : Etenim isti duo prindpatus [scil. honoris et communitatis] compropinquos valde habent terminos : eo quod prindpatus honoris requirit etiam vt sint prindpes in ipso multi, et vt omnes coaequales sint in honore. Dans le livre V, chapitre 3 du Liber Nicomachie, la politie s’appelle ciuitas communalis, l’oligarchie principatus paucitatis, et l’aristocratie prindpatus nobilis : voir fo 34ra. Sur la différence entre princeps et tyrannus, voir aussi V, 6, fo 36va.
28 Fo 59va : Et melior omnium istarum [sdl. specierum habitudinum duilium] est prindpatus regis. Cf. dans le chapitre suivant (VIII, 11, P 60rb) : Dilectio quidem regis erga subditos abundans est (...) Et istud regimen nobilius est regiminum. Voir aussi la note suivante.
29 Fo 59vb : Et istud oppositum est peius oppositorum et magis patens, quoniam malum : et est in seipso tale, eo quod contrarium est bono absolute, quod est prindpatus regis : et contrarium bono absoluto est malum absolutum.
30 Ibid. : Et principatus libertatis paucae est malitiae : eo quod oppositio eius ex specie principatus honoris panca.
31 Ibid. : Et est [principatus diuitum] deterior principatuum : ideo quod principes diuidunt bona ciuitatis non secundum merita.
32 Fo 59va-vb : Et vehementior oppositionum est oppositio, quae nominaturprincipatus congregationum.
33 Fo 59vb : Ad ista namque opposita permutantur isti principatus vtplurimum, et festina est pemutatio quorundam adinuicem. Quod autem est extra istas compermutationes, vt quodpermutetur regnum ad aliud quam tyrannidem, parum est et graue.
34 Ibid. : Fit mutatio istius principatus ex regno ad tyrannidem mutatione principis tantum : et hoc est facilium. Une autre traduction de Hermann l’Allemand, celle du Commentaire sur la Rhétorique d’al-Fârâbî, aurait dû contenir une autre classification aristotélicienne des régimes politiques ; mais le texte conservé s’arrête avant le passage en question (Rhétorique, livre I, chapitre 8, 1365 b 29 à 1366 a 8). Dans la traduction du prologue de ce Commentaire, les régimes politiques apparaissent sous l’appellation : maneries legum seu ciuitatum, M. Grignaschi (éd), Al-Fârâbî..., p. 228.
35 Fo 59vb : Et est diuersum viae vel semitae Platonis, qui videi quod principatus regni primo permutatur ad principatum honoris, et principatus honoris ad principatum diuitiarum, et principatus diuitiarum ad principatum congregationum, et principatus congregationis ad principatum tyrannidis. Et versimile est (...), vt dixit Aristoteles non vt dicit Plato. Dans ce résumé du livre VIII de la République le régime des philosophes a été remplacé par la monarchie et par l’aristocratie.
36 Dans le cahier d’études d’Engelbert d’Admont et dans un seul des autres manuscrits de ce résumé alexandrin la dernière phrase se poursuit ainsi : Et est in libro polyticorum Arystotelis. Ignorant la date de cet autre manuscrit (Oxford, Bodleian Library, Can. class. lat. 271), nous ne pouvons que supposer que ce passage a été écrit après la redécouverte de la Politique.
37 La Summa Alexandrinorum ne mentionne qu’à son début le nom de cette science, l'ars regitiva et direction civitatum.
38 Ibid., p. 252 : Quoniam ergo ita proponimus speculari in rebus humanis modo phisice et scientiali suponamus in hocprimitus dicta antiquorum, deinde considerabimus modos rivendi qui extant aut extare possunt, qui ipsorum sint corruptivi consortii avilis in ciritatibus quibusdam et qui rectificativi et salvativi quorundam in quibusdam. Et qui salvativi et corruptiri in omnibus. Et que sit causa quarundam se habentium e contrario et quare leges consuetudinibus similantur.
39 Ibid., p. 234 : Principatus autem civiles tres sunt, scilicet principatus regum et principatus bonorum sive magnatum, et principatus comitantium.
40 Ibid. : Omnium vero optimatus est principatus regum. Brunetto Latini cependant, en fier citadin et politicien de la république de Florence, n’hésite pas inverser cette préférence de l’Éthique, dans son encyclopédie écrite pendant son exil de France (entre 1260 et 1266). Voir F. J. Carmody (éd.), Li Livres dou Trésor, Berkeley - Los Angeles, 1948, p. 211 : « Seignouries sont de iii manieres, l’une est des rois, la seconde est des bons, la tierce est des communes, laquele est la très millour entre ces autres. »
41 Regni principatus enim contrarium habet tyrannorum pricipatum, nam intentio regis non ipsius est utilitas sed subiecti sibi gregis intendit utilitari. Similiter quoque boni sive magnates quando dimiserint bona conferentia communitati et intendunt bona sibi ipsis (...) transferetur iste principatus ad communitatis principatum. Principatus vero communitatis tollitur a sua forma per derelictionem usuum et legum laudabilium.
Notes de fin
* Je tiens à remercier Madame Nicole Bériou pour m’avoir proposé d’accueillir ici cet article, qui reprend les éléments de l’un des chapitres de ma thèse, Politikatudomány a középkorban az ariszotelészi Politika újrafelfedezése elott [Science politique au Moyen Âge avant la redécouverte de la Politique d’Aristote], soutenue à Budapest en 1998, et pour en avoir relu attentivement le texte français.
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