4. Groupes et clivages sociaux
p. 131-157
Texte intégral
1 - Fonctions et privilèges des milites en Emilie
1Considérés longtemps comme des chevaliers, les membres de ce groupe social relativement ouvert sont depuis quelques années l’objet d’une reconsidération. Les fonctions politiques qu’ils détiennent presque exclusivement jusque dans les premières décennies du XIIIe siècle, leur maîtrise technique du combat assurent leur contrôle sur une activité guerrière, qu’ils structurent au travers d’institutions singulières. Ils disposent en outre de privilèges économiques et juridiques que les régimes populaires leur confirment.
2Giovanni Codagnello, notaire de Plaisance, probablement mort peu après 1235, est issu d’une famille noble, vassale de l’église de Plaisance, qui recouvra durant le gouvernement de l’évêque-comte (996 - 1026) des charges administratives de quelque relief. Dans la deuxième moitié du XIIe siècle, elle participa à la vie publique et au gouvernement de la commune, sans atteindre toutefois les charges les plus importantes. A travers une narration événementielle très précise, l’auteur dévoile dans ses Annales Placentini, qui à partir de 1189 sont considérées comme entièrement siennes, une expérience personnelle des luttes entre milites et populares, des connivences entre factions citadines voisines et de l’exil.
3Orientation bibliographique : Zaninoni A., « Aspetti poco noti e singolari di una societas piacentina : la societas Luporum (sec. XIII) », Memorie dell’Accademia Lunigianese di Scienze G. Capellini, 42, 1972, p. 81-117 ; Racine P., Plaisance du Xe à la fin du XIIIe siècle, 3 vol., Paris-Lille, 1979 ; id., « Le chevalier des armées communales italiennes », dans Le combattant au Moyen Age, Montpellier, 1991, p. 187-197 ; Gasparri S., I milites cittadini. Studi sulla cavalleria in Italia, Rome, 1992 (ISIME, Nuovi Studi Storici, 19) ; Bulla G. P., « Famiglie dirigenti nella Piacenza del XII secolo », Nuova Rivista Storica, 79, 1995, p. 505-586 ; Magnati e popolani nell'Italia comunale (Pistoia, 15-18 mai 1995), Pistoia, 1997 (Centra italiano di studi di storia e d’arte) ; Maire Vigueur J.-C., Cavaliers et citoyens. Guerre, conflits et société dans l'Italie communale XIIe-XIIIe siècles, Paris, 2003.
1. Une élection problématique
4An 1223. En février, les Placentins et les populaires de la même cité jurèrent d’obéir aux mandats de la commune de Crémone au sujet des discordes qui existaient entre eux. Le samedi 18 mars, le podestat de Crémone [Girardo da Cornazzano de Parme] se rendant à Plaisance, ordonna à Girardo da Dovaria, podestat de cette cité, de renoncer sous serment à ses fonctions et de revenir à Crémone. Le mercredi suivant, il abandonna la podestatie et retourna à Crémone.
5Le dimanche 19 mars, le podestat de Crémone se rendit à Potenzano. Là, il ordonna à Jacobo di Borgo, podestat de la société des milites, de renoncer à ses fonctions et de revenir à Crémone. Le jeudi 23 mars, le podestat de Crémone fit venir dans la cité cent milites de ladite société. Puis, il demanda aux consuls de la société d’en désigner quatre pour élire le podestat de la commune et autant aux populaires. Lesdits consuls lui donnèrent Palmerio Brachio, Baiamonte Visconti, Alberto Rossi et Folco d’Iniquitati, qui demeurèrent dans la salle communale pour élire le podestat jusqu’au samedi suivant, sans manger, ni boire ; mais ils ne purent s’accorder avec ceux qui étaient là pour le peuple. Comme ils ne pouvaient pas s’entendre avec les populaires pour élire un podestat, le dimanche suivant, ledit podestat de Crémone ordonna aux consuls des milites de lui donner soixante milites, et du peuple, il en eut autant. Parmi ces milites, trois furent rapidement élus et autant parmi les populaires, le même jour, ils furent enfermés dans la salle communale pour élire le podestat. Les trois représentants des milites furent Giovanni Sordi, Gandolfo Fulgosi, Enrico di Arena. Ils restèrent avec les populaires dans ladite salle jusqu’au vendredi suivant qui fut le 31 mars. Ce jour, par la divine miséricorde, dans la concorde, ils élirent podestat de la commune de Plaisance le seigneur Nigrino Mariani, un homme noble et sage de la cité de Crémone, qui avait alors le gouvernement de la cité de Modène (...). Le podestat envoya aussitôt à la cité ses juge et chevalier. Le dimanche 7 mai, le seigneur Niger Mariani, podestat de Plaisance, fit son entrée dans la cité pour en assurer son gouvernement.
6Source : Codagnelli J., Annales Placentini, éd. O. Holder-Egger, MGH. Scriptores Rerum germanicarum ad usum scholarum, XXIII, Hanovre-Leipzig, 1901, p. 72-73. Traduit du latin.
2. Actes de la Société des Loups (1243-1244)
a. Garantie apportée à Guglielmo Scalferio
7Le mercredi 7 des calendes de septembre, dans la salle de la commune de Plaisance, présents Alderico di Carrario, Oberto di Tramonte, Sucibedusco di Fesusta, témoins. Oberto di Lavezola, confessant etc., renonçant à la prescription du for etc., spontanément, de certaine science et de sa propre volonté promit à Guglielmo Scalferio, podestat de la société des Loups, au nom de ladite société, de donner, délivrer et conserver indemne ledit Guglielmo, au nom de ladite société, de tout dommage et charge, qui pourrait lui advenir au nom de ladite société, du fait de la jument qu’il tua à Ugone Alevato dans la chevauchée faite à Pollexno, quand furent faits prisonniers ceux de Pollexno, au nombre de vingt et un, jument que ledit Guglielmo avec sa société devait racheter en partie, à ce qu’on disait, puisque ceux qui furent à ladite chevauchée le furent à leur avantage et dommage. Ce que fera ledit Oberto di Lavezola au susdit Ugone sera tenu pour établi à perpétuité et nul ne pourra y contrevenir, que ce soit lui ou quelqu’un d’autre qui aurait raison sur ladite jument ou son remboursement. Et s’il va contre cela et qu’il n’observe pas tout ce qui a été dit, qu’il compose avec la foi de l’autre partie en versant 100 sols de Plaisance à titre de peine etc.
b. Sasomino di Sansone prisonnier de la société
8Jeudi 12 des calendes de février, sous le portique de la maison qui est à moi, Rufino di Rizardo, présents Oberto di Montejardino, Romano Verdelli, Petraccio di Lazarello, témoins. Azzo degli Arcelli, administrateur (supertans) de la société des Loups, dit avoir donné à Sasomino di Sansoni de Crémone, prisonnier des Loups, comme terme pour être revenu à ladite prison dans leur pouvoir (fortia et virtute) jusqu’au dimanche 8 des calendes de février. Ainsi ledit Azzo, par la permission et volonté de ses associés comme il dit, sur demande dudit Sasomino, prolongea le terme et la permission dudit Sasomino d’être et demeurer à la maison, sans inquiétude ni peine jusqu’aux calendes de février prochainement venant ; et avant ce terme il devra être revenu dans ladite prison en leur pouvoir, sous peine convenue entre les administrateurs et ledit Sasomino ; et de cela ledit Azzo me demanda à moi, Rufino di Rizardo, d’en faire un instrument public.
9Source : Zaninoni A., Il primo registro di imbrevviature di Rufino di Rizardo, 1237-1244, Milan, 1983, no 540 et 598, p. 435, 481. Traduit du latin.
3. Extrait des statuts de Parme (1255)
10Ce que le podestat ou la commune sont tenus de faire aux consuls des milites et ce que les consuls peuvent exiger de ceux de la terre des milites et de la cour (curte) de Raygosia pour la houe et la paire de bœufs.
11Que les consuls des milites puissent avoir et exiger de ceux de la Terre des milites 3 sous parmesans par paire de bœufs et 9 sous parmesans par houe (zappa), c’est-à-dire de ces terres qui jurèrent d’être sous eux et leur payèrent la taxe des bœufs (bovataria), que les hommes soldent seulement aux milites, comme ils ont coutume de payer depuis longtemps. Dans lesdites terres, dans lesquelles ils eurent la bovataria, les milites ont pleine juridiction, sauf pour ce qui relève de la cour de Raygosia et tous les droits (banna) qu’ils ont imposés dans lesdites terres, le podestat est tenu d’en prendre soin et d’y faire veiller. Et si une offense ou une quelconque injustice étaient faites dans les terres des milites, le podestat et la commune de Parme seront tenus de donner leur autorité aux consuls des milites pour que ladite injustice soit punie ; ils seront tenus de ne pas empêcher les consuls des milites de punir lesdits torts et méfaits. Et si ces derniers placent quelques personnes au ban de ceux qui sont sous eux, consuls des milites, qu’ils soient considérés comme bannis par la commune de Parme.
12Source : Ronchini A., Statuta communis Parmae digesta anno MCCLV, Monumenta historica ad provincias Parmensem et Placentinam pertinentia, I, Parme, 1856, p. 187. Traduit du latin.
13Présenté et traduit par A. Jamme
2 - Hérésie et société urbaine au cœur de l’Etat pontifical : le cas d’Orvieto
14Dans les années 1170, à Orvieto, dont l’évêque est alors Rustico, la prédication publique de quelques hommes venus de la plaine du Pô et de Florence a fait surgir un mouvement de dissidence, propagé ensuite par certains habitants de la ville. Puis une nouvelle vague de tensions survient avec le passage à Orvieto d’un hérétique venu de Viterbe. Les progrès fulgurants de l’hérésie, y compris au sein de l’élite dirigeante, se déploient alors sur fond de luttes partisanes, les uns soutenant le pape, les autres se tournant vers l’empereur, au moment même où Innocent III, pape depuis 1198, affirme ses prétentions à la souveraineté dans l’Eglise universelle, assimilant l’hérésie au crime de lèse-majesté dans la décrétale Vergentis in senium (1199) et affirmant concrètement sa volonté de maîtriser l’Etat pontifical autour de Rome par la mainmise sur les principales forteresses de la région. La mort tragique de Pietro Parenzi, noble romain envoyé par le pape en 1199 pour reprendre en mains la ville rebelle d’Orvieto, a suscité la naissance immédiate d’un culte local envers le « martyr ». Le clerc Jean, probablement chanoine de la cathédrale, a laissé un témoignage contemporain précieux de ces événements, entre histoire et hagiographie, dans la Vita écrite en vue de soutenir ce culte, et pour cette raison découpée en leçons qui attestent sa destination liturgique.
15Orientation bibliographique : Maccarrone M., Studi su Innocenzo III, Padoue, 1972 (Italia sacra, 17) ; Maire Vigueur J.-C., Comuni e signorie in Umbria, Marche e Lazio, Turin, 1987 ; Merlo G. G., Eretici ed eresie medievali, Bologne, 1989 ; I podestà dell’Italia comunale, sous la dir. de J.-C. Maire Vigueur, Paris-Rome, 2000 (Coll, de l'EFR, 268).
16Dans l’ombre, toutes les sectes s’efforcent de blesser vivement de leurs flèches l’Eglise catholique ; mais tout spécialement l’hérésie des Manichéens, installée sur son dos, produisant de toutes ses forces et portant sous ses lèvres le venin de l’aspic [Ps 128, 3 ; Ps 13, 3], ne manque pas de la frapper tous les jours du marteau [Is 41, 7] de la doctrine damnée. Un Florentin de cette secte, fils de perdition [Jn 17, 12], nommé Diotisalvi, se transformant comme Satan en ange de lumière [2 Cor 11, 14], d’apparence vénérable, d’allure honnête, mais menteur dans sa façon d’être extérieure, fut le premier, après Hermann de Parme, et avec Gotardo de Marzano, à propager à Orvieto cette très mauvaise doctrine des Manichéens, au temps de l’évêque Rustico, affirmant que le sacrement du corps et du sang du Christ n’est rien, que le baptême conféré par l’Eglise catholique n’est aucunement salutaire, que les prières et les aumônes ne sont d’aucune utilité dans l’absolution des défunts, que saint Sylvestre et tous ses successeurs sont liés par les supplices de la peine éternelle ; que le diable a créé et soumis à sa puissance tout ce qui est visible, que tout homme bon équivaut, par les mérites et les récompenses, à saint Pierre, premier des apôtres, et que tout homme mauvais supporte une peine semblable à celle du traître Judas. A quoi il ajoutait d’autres assertions criminelles que l’on peut à l’évidence retrouver dans un petit livre écrit contre les hérétiques.
17Le vénérable père Richard, évêque d’Orvieto, expulsa avec vigueur ces deux hérétiques, selon la sollicitude pastorale qui lui incombait. Deux femmes, Milita de Montemeato et Julitta de Florence, filles d’iniquité [2 Rois 3, 34], leur succédèrent. Apparemment, elles avaient fait le choix de la religion de l’Eglise : elles fréquentaient les lieux de culte et elles avaient l’air ferventes quand elles suivaient l’office. Sous le déguisement des agneaux, elles ressemblaient intérieurement à des loups [cf Matth 7, 14], Trompé par l’apparence de la religion, l’évêque les autorisa à faire partie de la confrérie des clercs chargée de la prière.
18Milita, telle une autre Marthe, paraissait soucieuse de réparer le toit de l’église principale ; Julitta, telle une autre Marie, semblait vouloir embrasser la vie contemplative de toutes ses forces [cf Le 10, 41], La plupart des matrones de notre ville et quelques-uns de leurs amis se mirent à les vénérer comme de très saintes femmes. Et elles, tels des ennemis familiers et des maladies redoutables d’efficacité, et tel le froid serpent dissimulé dans l’herbe, sous le prétexte de la religion, elles attirèrent beaucoup d’hommes et de femmes dans le labyrinthe de l’hérésie. L’évêque se rendit compte qu’elles l’avaient trompé, il prit conseil de ses chanoines, de juges et d’autres hommes prudents, puis il les affronta, s’opposant à elles comme un mur pour défendre l’Eglise du Christ. Il poursuivit tant les hérétiques que les uns furent pendus, les autres décapités, d’autres encore livrés aux flammes, d’autres, endurant la suprême diminution de pouvoir (diminutio capitis), durent subir la peine perpétuelle de l’exil hors de la ville, d’autres enfin, concluant leur vie de mauvaise manière dans l’erreur, reçurent une sépulture honteuse hors du cimetière de l’Eglise.
19Sur ces entrefaites, une grave dispute éclata entre le seigneur pape Innocent III et les habitants d’Orvieto, à propos du bourg d’Acquapendente, dont le pape revendiquait la juridiction. Il lia donc les habitants d’Orvieto par l’anathème, et il retint à Rome leur évêque pendant près de neuf mois, contre son gré, pour faire peser l’opprobre [Ez 5, 14] sur leur cité. En l’absence de leur pasteur les brebis errantes du troupeau [1 Pierre 2, 25] coururent le risque d’être lacérées par les morsures des loups, car là où il n’y a pas de chef aux aguets, le peuple tombe facilement dans le péché [cf Prov 11, 14].
20Tandis que la ville d’Orvieto se trouvait ainsi privée du gouvernement de son pasteur, un certain Pierre le Lombard, docteur des Manichéens, quitta Viterbe et se mit à tenir des conciliabules secrets à Orvieto, avec quelques docteurs de mauvais aloi. La parole de sa prédication faisait se rassembler en foule les nobles et le peuple ; séduits, pour ainsi dire, par le chant des sirènes, ils abandonnaient la barque de Pierre et commençaient à subir le péril du naufrage. L’homme sema sa détestable doctrine dans l’esprit de ses auditeurs, tant et si bien qu’il accrut énormément le nombre des hérétiques. Ceux-ci prêchaient publiquement contre les catholiques, assurant qu’ils contraindraient ceux qui les menaceraient de guerre à s’exiler misérablement, loin de la cité. Dans leur conspiration, ils avaient même imaginé, au cas où ils ne pourraient faire pencher les catholiques vers la perfidie de leur iniquité, de confisquer leurs biens et de les chasser ou de les soumettre au supplice de la mort, puis de faire de cette ville inexpugnable dans ses remparts le refuge des hérétiques, venus de toutes les parties du monde pour assiéger l’Eglise catholique.
21Afin que la tunique du Christ ne soit irrémédiablement déchirée [Jn 19, 24], par l’inspiration de Dieu les catholiques se réunirent tous ensemble, dépêchant aussitôt à Rome des hommes catholiques pour y trouver un recteur capable de faire revenir les habitants d’Orvieto en grâce auprès du souverain pontife, d’obtenir le bénéfice de la paix et de la grâce des Romains, et d’extirper totalement de la ville la racine de la perversité hérétique. Le cœur joyeux, ces envoyés d’Orvieto reçurent donc du peuple romain Pietro Parenzi comme maître et recteur. Le souverain pontife appuya ce choix, lui ordonnant, pour la rémission de ses péchés, de purifier la ville d’Orvieto du ferment de l’hérésie, en lui assurant, s’il se soumettait pour cela au péril de mort, qu’il acquerrait les récompenses étemelles du royaume des deux.
22Source : Natalini V., San Pietro Parenzo. La leggenda scritta del maestro Giovanni canonico di Orvieto, Rome, 1936, leçons 1 et 2, p. 153-156. Traduit du latin.
23Présenté et traduit par N. Bériou
3 - Autour du puits : le voisinage à Bologne d’après les statuts de 1288
24Les grandes communes italiennes sont ordinairement administrées à deux niveaux : celui du quartier (ou tercier, ou sestier) et celui de la paroisse. La paroisse est l’unité administrative, ecclésiastique et laïque, de base, cadre de la vie religieuse comme de la perception de l’impôt ou de la participation à la défense de la ville. A Bologne, la paroisse est désignée par deux termes, contrata et capella. Dans la seconde moitié du XIIIe siècle, capella s’impose au détriment de contrata qui désigne de plus en plus souvent la rue et ses environs immédiats. La vicinantia évoquée dans ce statut de 1288 n’est donc pas une circonscription proprement dite. Elle ne s’insère pas dans le réseau de la centaine de paroisses que compte Bologne à la fin du XIIIe siècle, certaines minuscules en centre-ville, d’autres assez étendues, au-delà des remparts du XIIe siècle. Il arrive pourtant que la commune s’appuie sur ces liens de voisinage, et les renforce en édictant des règles de comportement, lorsque est en jeu le « bien commun ». C’est l’occasion — donnée dans cet exemple par l’accès à l’eau potable — d’appréhender une réalité intermédaire entre l’espace domestique et l’espace public.
25Orientation bibliographique : Pini A. I., « Le ripartizioni territoriali urbane di Bologna medievale. Quartiere, contrada, borgo, morello e quartirolo », Quaderni culturali bolognesi, 1, 1977, p. 5-50 ; Ricci G., Bologna, Bari, 1980 (Le città nella storia d’italia) ; Giansante M., « L’età comunale a Bologna. Strutture sociali, vita economica e terni urbanistico-demografici : orientamenti e problemi », Bullettino dell’Istituto storico italiano per il Medio Evo e Archivio muratoriano, 92, 1985/86, p. 103-222 ; Bocchi F. Bologna, IL Il Duecento, Bologne, 1995 (Atlante storico delle città italiane. Emilia-Romagna, 2, II).
26Des puits de la cité et des faubourgs.
27Nous ordonnons que chaque paroisse de la ville et des faubourgs qui possède un puits commun (puteum vicinalem) est tenue de le faire nettoyer deux fois par an et de faire et d’avoir près de ce puits un bassin en pierre ou en bois, ou bien un lavoir s’il y a assez de place, qui soit d’une capacité d’au moins sept corbes [environ 5 hl]. Et que chacun de ces puits, qu’il soit dans la rue ou près d’une voie publique [soit équipé] aux frais des voisins (vicini), d’une manivelle, d’une roue ou d’une fourche munie d’une chaîne en fer avec un seau en fer attaché à cette chaîne de sorte qu’on ne puisse pas l’en détacher ; et si cela advenait, il faudrait le réparer aux frais des voisins. Si les habitants du voisinage (vicinantia) projetaient de faire un puits là où ils habitent et qu’une majorité de voisins était d’accord pour faire ce puits, qu’il soit construit où il plaira à la majorité des voisins, aux frais des voisins, de telle sorte, cependant, que celui qui possède un puits privé ne soit pas obligé de contribuer aux dépenses de construction du nouveau puits, ou d’un puits construit après celui qu’il a dans sa maison.
28Si un puits ancien a été comblé ou détruit, qu’il soit remis en état et réparé, si la majorité des voisins en est d’accord, et que les dépenses soient faites en fonction du nombre de maisons du voisinage, et qu’à cette dépense soient contraints aussi ceux qui possèdent des puits dans leur propre demeure ; ceux-ci cependant ne sont pas tenus de contribuer aux dépenses relatives à la chaîne, à la manivelle, aux seaux et aux autres instruments nécessaires pour puiser l’eau ou pour nettoyer le puits, sauf s’ils ont chez eux des hôtes ou des locataires qui puisent l’eau au puits du quartier.
29Que tout ce qui vient d’être dit soit fait et mis en pratique par les représentants (ministeriales) de la paroisse ou du voisinage, qui pourront élire deux hommes ou plus par voisinage parmi ceux qu’ils jugeront les plus aptes, quand il sera nécessaire de réaliser les choses susdites (...). En outre nous déclarons que personne ne devra laver des draps, tanner des peaux ou battre de la laine ou faire ou apporter des immondices à proximité d’un puits, que personne n’ait, à moins de 20 pieds [env. 8 m] d’un puits, de latrines ou de fosse dans lequel s’écoulent des immondices. Qu’aucun barbier ou autre ne puisse, à proximité d’un puits, raser, tondre ou saigner une personne ou un animal, hors de sa maison, à moins de 20 pieds d’un puits. Nous voulons en outre que tous les puits des quartiers soient surélevés d’au moins 2 pieds à partir du sol. Que toutes ces dispositions et tous les articles de ce statut soient appliqués et observés dans toutes les paroisses par chacun, sous peine de 100 sous d’amende, infligés à celui qui agira contrairement à ce qui est dit ou n’observera pas ce qui précède, et que le podestat puisse alléger ou agraver cette peine en fonction du délit.
30Source : Statuti di Bologna dell’anno 1288, éd. G. Fasoli et P. Sella, Cité du Vatican, 1939, X, XXIX, vol. 2, p. 149-150.
31Présenté et traduit par J.-L. Gaulin
4 - Les juifs et la monarchie : lettres de Jacques II, roi d’Aragon et de Sicile (1294) et de Frédéric III (1311)
32La présence en Sicile d’une communauté juive plus nombreuse en pourcentage que dans tout autre pays européen du XIIIe et du XIVe siècle conduit les rois de la dynastie aragonaise à lui assurer la protection due au nom d’un pacte centenaire entre la monarchie à vocation œcuménique et les minorités religieuses reconnues. Les juifs sont en effet à la fois citoyens des villes où ils résident, avec l’ensemble des droits civils, et « serfs de la Chambre royale », sous la protection directe de la monarchie, contre des services recognitifs, et la monarchie refuse tout intermédiaire, tout protecteur intéressé. La coexistence est alors troublée par la prédication des franciscains à la recherche de conversions. Frédéric III est cependant sensible à l’argumentation d’Arnaud de Villeneuve, qui entend isoler les minorités pour éviter le prosélytisme en sens contraire.
33Orientation bibliographique : Gli Ebrei in Sicilia dal tardoantico al medioevo. Studi in onore di Monsignor Benedetto Rocco, sous la dir. de N. Bucaria, Palerme, 1998 ; Bresc H., Arabes de langue, Juifs de religion. L’évolution du judaïsme sicilien dans l’environnement latin, XIIe-XVe siècles, Paris, 2001.
1. Lettres de Jacques II (1294)
34Adame Constance, reine d’Aragon et de Sicile etc. Comme nous sommes tenu de protéger et de défendre les droits des juifs qui sont les serfs de notre Chambre royale en raison de leur faiblesse, nous vous prions, mère, de prendre sous votre protection spéciale les juifs de la cité de Messine et de ne pas tolérer qu’il leur soit fait offense.
35Barcelone, le 18 des calendes de juillet de l’an 94 [14 juin 1294]
36Même lettre à l’infant Frédéric.
37Au maître justicier du royaume de Sicile, notre conseiller et familier, au stratigot et aux juges de la cité de Messine. La communauté des juifs (universitas judeorum) de Messine, serfs de notre Chambre royale, a adressé à notre majesté cette pétition : les juifs de cette communauté craignent que les religieux, tant de l’ordre des Mineurs que d’autres, qui veulent leur prêcher et leur exposer la foi catholique pour les convertir, ne les appellent et ne les traînent en des lieux différents de leur synagogue et qu’à cette occasion des chrétiens insensés ou des malandrins qui viendraient à cette prédication ou sermon multiplient les injures et les insultes à leurs personnes. Ils nous ont donc humblement supplié de ne pas admettre qu’ils soient appelés et emmenés en d’autres lieux que leur synagogue par les religieux qui entendent leur prêcher ; d’autant qu’ils sont prêts à écouter volontiers les prédications et les sermons de ces religieux dans leur synagogue. Acceptant avec bienveillance leur requête, considérant la faiblesse des juifs, nous vous ordonnons de ne pas permettre qu’à l’avenir, les juifs de Messine soient appelés et emmenés, pour écouter leur sermon, en d’autres lieux que leur synagogue par les religieux qui entendent leur prêcher, mais de le permettre seulement dans leur synagogue. De plus, nous ordonnons que le stratigot et les juges prennent les mesures pour interdire que des insensés ou des malandrins qui viendraient le jour de cette prédication infligent des injures et des insultes à leurs personnes.
38Barcelone, 14 des calendes de juillet [18 juin 1294], Au maître justicier du royaume de Sicile, notre conseiller et familier, au stratigot, aux juges et aux autres officiers de la cité de Messine. La communauté des juifs de Messine, serfs de notre Chambre royale, a adressé à notre majesté cette humble supplique : comme les juifs de cette communauté sont prêts à comparaître devant vous face aux plaignants qui veulent les accuser ou leur faire des procès jusqu’à complément de justice, que nous ne les laissions pas convoquer et juger par d’autres tribunaux quels qu’ils soient, car les juifs ne sont pas enclins à préférer d’autres juridictions [à la nôtre] ; nous vous disons et ordonnons de le vérifier et de ne pas permettre que les juifs de cette communauté soient convoqués devant d’autres juridictions, s’ils sont prêts à répondre aux plaignants, sauf si une juste cause vous est présentée qui justifie qu’ils soient appelés devant un autre tribunal que celui de notre cour.
39Barcelone, 14 des calendes de juillet année 94 [18 juin 1294].
40Source : Documenti sulla luogotenenza di Federico d’Aragona, 1294-1295 (Acta siculo-aragonensia, II), éd. M. Scarlata et L. Sciascia, Palerme, 1978, p. 44-46. Traduit du latin.
2. Mandement de Frédéric III (10 janvier 1311)
41Sur quelques points concernant l’habitation des juifs.
42Frédéric III roi par la grâce de Dieu aux jurats de la cité de Syracuse ses sujets fidèles, sa grâce et sa bonne volonté. Nous avons reçu avec bienveillance vos lettres récemment expédiées et en avons pris connaissance avec diligence. Vous nous écrivez que les juifs de cette cité de Syracuse ne veulent pas fermer la porte de leur quartier (Rabathi) du côté de l’ouest comme vous l’avez décidé et ordonné : les objets volés par des esclaves de nos sujets et d’autres malfaiteurs dans la ville sont en effet introduits dans ce quartier par cette porte. Et les juifs ne veulent pas installer leur abattoir dans le fossé de ce quartier comme vous le leur avez enjoint en notre nom, pour éviter que des animaux soient introduits clandestinement dans la ville et tués dans cet abattoir. Voici notre réponse : comme il est convenable que les juifs aient une habitation séparée de celle des chrétiens, et que nous avons déjà décidé que leur abattoir soit totalement séparé de celui des chrétiens, nous décidons que cette porte sera fermée et que l’abattoir des juifs sera installé dans un lieu convenable près dudit quartier ; les juifs devront fermer cette porte et transférer leur abattoir dans le fossé ou en un autre lieu convenable. Exigez instamment qu’ils le fassent aussitôt et usez de contrainte. Quant à Bartolomeo Mancino de Syracuse, notre sujet fidèle, que les juifs affirment avoir choisi pour leur magistrat (protum), comme vous le dites dans vos lettres, nous avons déjà décidé et nous ne voulons pas qu’ici, ou ailleurs en Sicile, les juifs aient un magistrat chrétien. Quant aux terres de la presqu’île de la Madeleine [qui fait face à la ville], nous vous répondons que nous avons écrit à l’évêque de Syracuse pour qu’il procède en sorte que votre communauté n’ait plus à se plaindre.
43Messine, sous notre petit sceau secret, le 10 janvier, Xe indiction.
44Source : Scandaliato A. et Mule N., La Sinagoga e il bagno rituale degli ebrei di Siracusa, Florence, 2002, p. 137. Traduit du latin.
45Présenté et traduit par H. Bresc
5 - Les statuts romains de 1305 et la politique communale contre les barons
46Du milieu du XIIIe siècle à celui du siècle suivant, une dizaine de lignages de la noblesse féodale, les barones Urbis (Orsini, Annibaldi, Colonna, Conti, Savelli...) exercent une totale hégémonie politique sur la ville et accaparent la charge sénatoriale. Mais des révoltes populaires aboutissent parfois à l’instauration de régimes du popolo dont l’institution la plus caractéristique est celle du capitaine du peuple. Ces tentatives, généralement sans lendemains, visent toutes à réduire la capacité d’actions des barons et à les soumettre autant que possible aux nouvelles autorités capitolines auxquelles ils devaient prêter serment, mettant en pratique une politique antimagnatizia, « contre les grands, les magnats ». 1305 fut l’une des rares années du XIVe siècle pendant laquelle la commune fut guidée par un capitaine du peuple, le bolonais Giovanni da Ignano, secondé par un sénateur, le milanais Paganino della Torre. La législation fut alors renouvelée, un recueil de statuts, articulé de manière rationnelle en livres et en rubriques, fut rédigé mais n’a pas été conservé. On en connaît de rares chapitres par des copies modernes dont l’authenticité a été parfois discutée. C’est le cas pour la rubrique présentée ici. La copie figure dans un manuscrit qui contient un recueil de notices et de documents relatifs à la famille Boccamazza, manuscrit composé au XVIe siècle par un célèbre faussaire de la Rome du XVIe siècle, Alfonso Ceccarelli, ou dans son entourage. Agostino Paravicini Bagliani tenait naguère la rubrique pour fausse mais son authenticité est aujourd’hui admise grâce aux travaux de Sandro Carocci. L’existence de cette rubrique statutaire est attestée par exemple en 1337 quand des Orsini, des Colonna et des Savelli prêtèrent serment aux sénateurs « selon la forme des statuts ». Le document montre qu’une disposition du même ordre, comportant peut-être une liste de familles, fut promulguée par les sénateurs Pandolfo Savelli et Annibaldo Annibaldi en 1284-1285. Les premiers statuts conservés intégralement, datant de 1360, contiennent également une rubrique imposant le serment aux barons (L. II, r. 201).
47Orientation bibliographique : Cencetti G., « Giovanni da Ignano ‘capitaneus populi et urbis Romae' », ASRSP, 63, 1940, p. 145-172 ; Paravicini Bagliani A., « Alfonso Ceccarelli, gli ‘Statuta Urbis’del 1305 e la famiglia Boccamazza. A proposito del codice vat. lat. 14064 », dans Xenia Medii Aevi historiam illustrantia oblata Thomae Kaeppeli O.P., Rome, 1978, p. 317-350 ; Carocci S., « Una nobiltà bipartita. Rappresentazioni sociali e lignaggi preminenti a Roma nel Duecento e nella prima metà del Trecento », Bullettino dell’Istituto Storico Italiano per il Medio Evo e Archivio Muratoriano, 95, 1989, p. 1-52 ; Id., Baroni di Roma. Dominazioni signorili e lignaggi aristocratici nel Duecento e nel primo Trecento, Rome, 1993 (Coll, de l’EFR, 181 ; ISIME, Nuovi Studi Storici, 23) ; Id., « Baroni in città. Considerazioni sull’insediamento e i diritti urbani della grande nobiltà », dans Rome aux XIIIe et XIVe siècles, cinq études réunies par E. Hubert, Rome, 1993 (Coll, de l’EFR, 170), p. 137-173 ; Maire Vigueur J.-C., « Il comune romano », dans Storia di Roma dall’antichità a oggi. 2. Roma medievale, sous la dir. d’A. Vauchez, Rome-Bari, 2001, p. 117-157 : p. 132-146.
48Livre premier. Du serment des nobles hommes de la Ville.
49De même nous décrétons et ordonnons que tous les membres des deux maisons des Orsini et des Colonna, ceux de la maison de seigneur Oddone Sant’Eustachio et de la maison de seigneur Pietro da Genazzano, ceux de la maison d’Alberto Normanni et de seigneur Pietro Romani, ceux de la maison des Savelli, ceux de la maison du comte Giovanni Poli, ceux de la maison des Capocci, tous les Boccamazza, le seigneur Pietro Gaetani et son fils, et les autres, tels qu’ils sont inventoriés dans la Chambre [de la Ville], prêtent serment au Conseil général, en présence du sénateur et du seigneur capitaine et dans les quinze jours qui suivent l’entrée en vigueur du présent statut, de ne jamais receler aucun parjure, homicide, faussaire, failli, banni ni autre malfaiteur dans leurs demeures ou forteresses et de veiller et faire en sorte qu’en aucune manière les personnes susdites ni quelque criminel ne se trouvent ni ne soient jamais présents dans leurs résidences et forteresses, dans leurs bourgs fortifiés ni dans leurs loggias ; et de verser en outre à la Chambre de la Ville une caution de mille marcs d’argent, que le sénateur peut diminuer toutefois selon la qualité des personnes, garantissant qu’ils n’agiront pas contre cette décision.
50S’ils agissaient contre tout ou partie de ce qui vient d’être établi, avant le serment ou après, qu’on punisse le contrevenant de l’amende susdite ; ou qu’on le punisse d’une amende de 500 livres de [deniers] provinois si la caution n’a pas été versée au préalable. La rumeur publique suffira à prouver la contravention, que celle-ci survienne avant le serment ou après. Les amendes contenues dans la disposition établie du temps des nobles seigneurs Pandolfo Savelli et Annibaldo [fils] de seigneur Trasmondo [Annibaldi], autrefois sénateurs de la Ville, contre les personnes susdites et les autres n’en restent pas moins en vigueur et ladite disposition applicable en tout point. Le sénateur et le seigneur capitaine sont tenus d’effectuer une enquête générale à ce sujet tous les trois mois. S’ils ne le font pas, ils perdront, chacun et à chaque fois, 200 livres de [deniers] provinois de leur salaire. Que tout ceci soit appliqué si le recel se produit dans la Ville ; qu’on recoure au chapitre précédent si le recel se produit hors de la Ville, dans les bourgs fortifiés ou en d’autres lieux.
51Source : Rota A., « Il codice degli « Statuta Urbis » del 1305 e i caratteri politici della sua riforma », ASRSP, 70, 1947, p. 147-162 : p. 159-162. Traduit du latin.
52Présenté et traduit par E. Hubert
6 - Les chevaliers dans les villes méridionales : apogée et crise
53Le débat porte autour du caractère « féodal » de la commune méridionale et de ses protagonistes. Les chevaliers urbains, en réalité très imparfaitement féodalisés, ont porté l’institution communale dans ses langes, en particulier pendant la révolution des Vêpres. Leur place reste forte en dignité, mais les nouveaux organismes communaux et la monarchie s’accordent pour craindre les clientélismes et pour écarter leur influence tout en conservant le décor politique que leur présence assure dans les cas exceptionnels. La rage des hommes nouveaux, ici un notaire d’origine corléonaise et maître du guet, contre l’arrogance des chevaliers apporte aux philologues une riche moisson de mots siciliens, à la limite cependant de l’honnêteté.
54Orientation bibliographique : Vitale G., « La nobiltà di Seggio a Napoli nel Basso Medioevo. Aspetti della dinamica interna », Archivio storico per le provincie napoletane, 106, 1988, p. 151-169 ; Martino F., Messana nobilis Siciliæ caput. Istituzioni municipali e gestione del potere in un emporio del Mediterraneo, Rome, 1994 ; Salvo C., Una realtà urbana nella Sicilia medievale. La società messinese dal Vespro ai Martini, Rome, 1997.
1. Exclusion des chevaliers des affaires de la commune de Palerme (1321)
55Que les chevaliers ne se mêlent pas des affaires de la communauté. Mercredi 17 juin IVe indiction.
56Frédéric par la grâce de Dieu roi de Sicile, au préteur, aux juges et aux jurats de la cité de Palerme, ses sujets fidèles, sa grâce et sa bonne volonté. Sur le rapport de personnes dignes de foi, notre sérénité a su que vous permettez que les chevaliers de cette cité soient appelés et consultés sur les affaires et aux conseils de la communauté, contre la teneur des chapitres envoyés sur ce sujet par notre excellence. Cela nous déplaît beaucoup, car les chevaliers ne sont pas poussés par le souci du commun profit et du bon régime de la communauté, mais s’en mêlent tout au contraire contre le bien de la république, faisant naître zizanies et dissensions entre eux et les citoyens. Pour cela, nous commandons à votre fidélité fermement et rigoureusement que vous n’invitiez pas les chevaliers aux conseils de votre communauté, sous peine de perdre notre grâce, et que vous ne leur permettiez en rien de s’en mêler (...). Messine, 12 juin IVe indiction.
57Le 22 juin ces lettres furent lues et exposées au nom du préteur, des juges et des jurats et injonction fut faite aux chevaliers de ne plus se mêler des affaires de la communauté, sous peine de perdre la grâce royale, selon le contenu du mandement royal. Ces chevaliers sont : messires Simone de Esculo, Nicola Pipitone, Giovanni de Cosmerio, Tabeni de Scriba, Guido Filangieri, Guglielmo de Milite, Rinaldo de Milite, Riccardo Filangieri, Guglielmo de Puigvert, Bertola de Cosmerio, Giovanni de Traina, Riccardo Tagliavia, Goffredo de Pulieto, Bartolomeo Jardo, Giovanni Maletta, Manfredi Maletta, Antonio de Amato, Giovanni de Calvellis, Nicilo Tagliavia, Giovanni de Caltagirone, Federico Tagliavia, Andrea de Murra, Giovanni de Bonagrazia, Ruggero de Piazza.
58Source : Acta Curie Felicis Urbis Panormi, 3, Registri di lettere (1321-1326), éd. L. Citarda, Palerme, 1984, p. 3-4. Traduit du latin.
2. Conflit à Palerme (1328)
59Pour le noble Messire Giovanni d’Ayello, contre le maître du guet. 12 septembre 1328, XIIe indiction.
60A la majesté royale sacrée, le préteur, les juges et les jurats de son heureuse cité de Palerme (Felix urbs Panormi), présentent le baisement de mains et le service de leur fidélité. Que votre majesté sacrée sache que le 6 de ce mois de septembre, le noble messire Giovanni d’Ayello, chevalier, citoyen de cette ville, est venu en notre présence se plaindre qu’en ce mois, alors qu’il était sous la sécurité de votre majesté devant sa maison dans le quartier de l’Albergheria, le soir, à savoir de nuit, le notaire Giovanni de Sizario de Corleone, maître du guet de ce quartier, passant avec ses compagnons, a lancé de nombreuses insultes contre ce chevalier, l’injuriant, de sorte qu’il en est résulté entre les gens de ce quartier, ce maître et ses compagnons, un tumulte et une rixe (brigam) et qu’on en est arrivé aux mains, aux armes et aux coups. Pour cela, il a recours à votre cour et il demande qu’elle pourvoie sur ces incidents et que l’on consulte votre majesté (...).
61Témoins du noble messire Giovanni d’Ayello reçus pour l’information de la cour :
62Perna, femme de Pietro de Scalea, ayant prêté serment et interrogée, dit qu’elle était assise devant sa maison avec ledit messire Giovanni et beaucoup d’autres voisins qui demeurent dans la rue des Balate de l’Albergheria de Palerme où habitent ledit messire Giovanni et elle-même. Beaucoup d’hommes armés passèrent sans rien dire dans cette rue. Une femme dit à messire Giovanni : « Je ne sais ce que ces hommes armés vont disant. Entrons à l’intérieur ». Et messire Giovanni : « Ils vont parlant de mon compagnon (famulus) » ; et quand ces hommes revinrent dans la rue, messire Giovanni dit au notaire Giovanni de Sizaro : « Mon compagnon est dans la maison. Veux-tu l’arrêter dans la maison ? » Il répondit : « Tu as l’habitude de tenir des malandrins avec toi, mais bientôt je te tiendrai le pied sur la gorge ! » Messire Giovanni répondit : « Tu mens par ta gorge, comme un fils de prêtre bâtard que tu es, parce que je n’ai pas coutume de tenir des malandrins, mais de bonnes gens ! » et le notaire alors l’injuria, disant : « Tu as menti par ta gorge [suite en sicilien] comme un sale, mauvais, ruffian, salaud, traître que tu es, car je suis aussi bon homme dans la terre de Palerme que toi ». A ces mots messire Giovanni répondit : « Va avec Dieu, frère » et le notaire s’en alla avec ses compagnons ; puis ils revinrent une deuxième fois par la même rue tandis que messire Giovanni était assis et parlait avec ses voisins.
63Interrogée sur la cause de son savoir, elle dit qu’elle y était, qu’elle a vu et entendu, sur le lieu, dans la rue de messire Giovanni et du témoin, sur le temps, le dimanche 4 septembre de cette XIIe indiction, de nuit après la sonnerie de la cloche du guet.
64Donadeo Carpinteri, ayant prêté serment, dit que comme il sortait de sa maison dans le voisinage, il trouva le notaire Giovanni et ses compagnons armés. Le notaire tenait une masse à la main et insultait messire Giovanni, disant : [en sicilien] Sale, mauvais, ribaud, ruffian, traître, jambes pourries, bouche puante ! » et messire Giovanni disait : « Tu mens [en sicilien] comme un fils de prêtre que tu es ! » Il ajoute que le notaire Giovanni dit au chevalier : « [en sicilien] Maintenant que je suis officier, je te tuerai ! » Et comme Giovanna, femme du chevalier, disait : « [en sicilien] Va avec Dieu, frère ! Une autre année tu seras justicier ; et pour l’amour de messire Giovanni de Cosmerio qui est notre cousin tu devrais nous respecter ! » Et le notaire Giovanni répondit : « [en sicilien] Sale, vile, putain, chienne, qu’ai-je à faire de messire Giovanni de Cosmerio ! » Et elle dit : « [en sicilien] C’est notre parent ».
65[Dix-huit autres témoins rapportent les mêmes faits, ajoutant que les compagnons du guet avaient tiré leurs épées et des injures colorées].
66Le 6 septembre, la cour a décidé pour une cause juste et raisonnable que le notaire soit appelé pour présenter sa défense sur les insultes lancées à messire Giovanni d’Ayello et qu’en sa présence avec l’accord des autres prudhommes du quartier de l’Albergheria, il soit suspendu de son office de maître du guet et qu’un autre soit nommé à sa place jusqu’à ce que l’affaire soit jugée.
67Source : Acta Curie Felicis Urbis Panormi, 5, Registri di lettere ed atti (1328-1333), éd. P. Corrao, Palerme, 1986, p. 9-17. Traduit du latin et du sicilien.
68Présenté et traduit par H. Bresc
7 - Débats et dialogues en thème de noblesse (1260-1340 environ)
69En relation avec les transformations politiques du XIIIe siècle italien et citadin, la question de la noblesse, et en particulier le problème de la définition des nobles urbains, se pose toujours plus aux intellectuels, aux chroniqueurs et aux juristes urbains. Ce débat, au départ, n’est pas limité au monde des communes, comme le rappelle la production, dans les années 1240 et à la cour de Frédéric II, d’une dispute de style universitaire qui confronte les tenants de la noblesse de sang et les défenseurs de la vertu individuelle qui, seule, peut anoblir. Cependant, le thème nobiliaire prend toute son importance en relation avec la culture rhétorique et politique d’un monde communal souvent régi, à partir du milieu du XIIIe siècle, par des gouvernements de popolo. C’est ainsi que, dans les années 1260, Brunetto Latini, notaire, chevalier, poète et magistrat florentin, exprime une théorie pratique de la noblesse qui entend concilier le sang et la vertu (texte 1). Pour bon nombre d’intellectuels communaux aux sympathies fortement ‘populaires’, l’un des problèmes les plus pressants en matière de noblesse concerne la place qu’il faudrait attribuer aux magnats, à ceux parmi les nobles qui sont, du moins partiellement, exclus de l’arène politique. En fait, il s’agit d’un problème à double face. D’une part, il n’est pas toujours aisé de distinguer les nobles magnats, dangereux et arrogants, des plus puissantes parmi les familles de popolo dont les comportements et les systèmes de valeur acquièrent une tonalité éminemment aristocratique ; c’est ce que nous laisse entendre le double portrait des Cerchi (popolani grassi) et des Donati (magnats) réalisé par Dino Compagni au début du XIVe siècle (texte 2). D’autre part, l’ambiguïté d’une noblesse urbaine qui apparaît à la fois comme un modèle partagé et un danger réel pour les communes populaires, favorise une première systématisation juridique de la matière nobiliaire. Ecrit dans les années 1340 pour commenter le XIIe livre du Code Justinien concernant les dignités, le traité de Bartole de Sassoferrato (texte 3) s’impose, alors, comme un point de départ obligé pour toute réflexion approfondie en thème de noblesse.
70Orientation bibliographique : Tabacco G., « Nobili e cavalieri a Bologna e a Firenze tra XII e XIII secolo », Studi Medievali, 17, 1976, p. 41-79 ; Quaglioni D., Politica e diritto nel Trecento italiano : il ‘De Tyranno’di Bartolo da Sassoferrato (1315-1357), Florence, 1983 ; Davis C. T., Dante's Italy and other Essays, Philadelphie, 1984, en part. p. 166-197 ; Ascheri M., La nobiltà dell’Università medievale : nella Glossa e in Bartolo da Sassoferrato, dans Sapere e/è potere. Discipline, dispute e professioni nell’Università medievale e moderna. Il caso bolognese a confronto, Atti del 4° convegno (Bologne, 13-15 avril 1989), III/l, Dalle discipline ai ruoli sociali, sous la dir. de A. De Benedictis, Bologne, 1990, p. 239-268 (rééd. sans notes, dans Id., Diritto medievale e moderno, Rimini, 1991, p. 55-80) ; Cavallar O., Degenring S., Kirshner J., A Grammar of Signs. Bartolo da Sassoferrato’s Tract on Insigna and Coats of Arms, Berkeley, 1994 ; Pispisa E., « Lotte sociali e concetto di nobiltà a Firenze nella seconda metà del Duecento », Studi medievali, 38, 1997, p. 439-463 ; Gilli P., La noblesse du droit. Débats et controverses sur la culture juridique et le rôle des juristes dans l’Italie médiévale (XIIe-XVe siècles), Paris, 2003 ; Bordone R., Castelnuovo G., Varanini G. M., Le aristocrazie dai signori rurali al patriziato, Rome-Bari 2004 (Manuali Laterza 196).
1. Noblesse et vertu dans Li Livres dou Tresor de Brunetto Latini (années 1260)
71Cet homme est appelé noble à cause de ses nobles œuvres de vertu, et c’est de cela que nacquit en premier la noblesse des gentilshommes (jentils gens) et non pas de leurs ancêtres ; car avoir un cœur mesquin tout en étant de noble lignée, c’est tout comme être un pot de terre couvert d’or fin par dehors. (...) Sénèque dit : « Qui est noble ? Celui qui par nature est poussé à la vertu ».
72Si ceux qui se complaisent dans la noblesse de haut lignage et se vantent de leurs grands ancêtres ne font pas d’œuvres vertueuses, ils verront leurs liens de parenté tourner plus à leur honte qu’à leur prix (...). C’est pour cela qu’Alexandre dit que noblesse n’est autre chose que le nom qui orne le courage et les bonnes mœurs. Ainsi, qui mène une vie malhonnête n’a, en lui, nulle noblesse.
73Source : Brunetto Latini, Li Livres dou Tresor, éd. S. Baldwin, P. Barrette, Tempe, Arizona, 2003 (Medieval and Renaissance Texts and Studies, 257), Livre II, § 54 et § 114, p. 208 et 273. Traduit de l’ancien français.
2. Popolani grassi et nobles magnats dans la Cronica de Dino Compagni
74Il arriva que certains membres du lignage appelé les Cerchi — hommes de basse condition, mais bons marchands et fort riches, qui s’habillaient bien, possédaient de nombreux familiers, chevaux et serviteurs, et avaient belle allure — achetèrent le palais des Conti [Guidi], Celui-ci jouxtait les maisons des Pazzi et des Donati, qui étaient toutes deux des familles plus anciennes par leur sang mais non pas si riches ; et voilà qu’en voyant les Cerchi accroître leur puissance et leur influence — ils avaient agrandi et entouré de murs le palais, et y menaient grand train — les Donati commencèrent à nourrir une grande haine envers les Cerchi.
75Un chevalier ressemblant au Romain Catilina, mais en plus cruel ; noble de sang, bien fait de corps, beau parleur et aux belles manières, d’une intelligence subtile mais l’esprit toujours prompt à médire ; s’entourant de nombreux partisans et s’accompagnant d’une aussi grande suite, il planifia plusieurs incendies et orchestra autant de rapines, en causant de grands dommages aux Cerchi et à leurs amis ; il en retira moult gains et acquis une très grande importance ainsi que les plus hautes fonctions : tel fut, en vérité, messire Corso Donati, qui, pour sa superbe, fut appelé le baron. En effet, lorsqu’il traversait la ville, nombreux étaient ceux qui criaient « Vive le baron ! », à tel point que la ville même semblait lui appartenir.
76Source : Dino Compagni, Cronica, I, 96 et II, 89, éd. D. Cappi, dans RIS3, 1, Rome, 2000, p. 31 et p. 98. Traduit de l’italien.
3. Les paradoxes de la noblesse citadine chez Bartole : extraits du De dignitatibus (1345-1353)
77Je conclus que les richesses ne sont point la noblesse et que, contrairement à ce qu’a dit le poète [Dante], elles ne peuvent immédiatement la concéder. Ces richesses peuvent, toutefois, être une cause lointaine de l’acquisition et de la conservation de la noblesse.
78Considère : un paysan commence à se comporter en homme puissant et vertueux en atteignant l’état de noblesse. Certes, lui-même ne sera pas noble car il n’a pu parfaitement se laver de son ancienne rusticité ; et pourtant, ses fils et ses petits-fils seront nobles, comme nous pouvons le voir chaque jour dès lors que des paysans parviennent à une quelconque position dans la cité.
79On a beau être prudent, juste et modéré dans ses propres affaires, si l’on ne sait dominer, on ne sera certainement pas noble.
80[Après la noblesse théologique et la noblesse naturelle, considérons] la troisième noblesse [qui] est politique ou civique, en ce que le noble se distingue du plébéien, selon ce que nous entendons par ces termes chez nous et dans nos tribunaux.
81[Dans ce contexte communal et urbain] un seul et même homme peut être noble en un lieu et ignoble ailleurs (...). Nous le voyons expressément dès lors que, si à Pérouse un populaire, adoubé chevalier, est considéré noble, tel n’est pas le cas de Florence où, même ceint du baudrier, le nouveau chevalier demeure populaire (...). De là résulte que toute chevalerie ne conduit pas à la noblesse. Les chevaliers nobles sont ceux qui sont reçus comme tels par le popolo.
82(...) Mais ici surgit un doute. En vérité, dans les cités régies par les gouvernements populaires, ceux qui sont appelés nobles sont souvent moins bien reçus ; c’est le cas, par exemple, en ce qui concerne les impositions pénales dès lors que l’on punit les nobles bien plus que les non nobles, alors même que divers nobles sont exclus de la jouissance de nombreux offices. Il semble donc que ces nobles-là ne soient pas mieux reçus mais, au contraire, moins bien traités [par rapport aux non nobles] ; ce qui fait que la définition de noblesse ne leur convient guère.
83Il est vrai que la noblesse porte en elle-même le bien ; toutefois, d’après ce que nous venons de dire, il est évident que la noblesse contient, parfois, en soi des désavantages ajoutés qui sont mauvais par eux-mêmes.
84[Enfin], il y a aussi des endroits dans lesquels ceux que j’ai tantôt nommés nobles sont appelés magnats, comme à Florence, alors qu’ailleurs, comme à Venise, ils sont qualifiés de grands (maiores) ; ainsi, en fonction de la diversité des lieux, il convient de différencier les noms et l’emploi de ces termes ; voilà pourquoi, proverbialement, il faut dire que celui-là est noble qui est réputé tel par le popolo.
85Source : Bartolus de Saxo Ferrato, Tractatus de dignitatibus, éd. M. Schnerb-Lièvre, G. Giordanengo, « Le Songe du Vergier et le traité des dignités de Bartole, source des chapitres sur la noblesse », Romania, 437-438, 1989, p. 181-232, § 34, 40, 48, 50, 60, 77, 81, 93. Traduit du latin.
86Présenté et traduit par G. Castelnuovo
8 - De la chevalerie et de ses usages au XIVe siècle
87La chevalerie, supposée en plein déclin dans les derniers siècles du Moyen Age, reçoit de toutes parts de vifs reproches. Généralement, ils se concentrent sur la pernicieuse tendance des membres de cet ordre à éviter tout combat et à s’adonner à une vie de plaisirs. Cino da Pistoia récuse ces chevaliers des villes qui se consacrent au développement de leur richesse par le commerce ou la banque, plutôt qu’à la pratique d’un art censé les résumer. Pourtant, même si les cérémonies aristocratiques d’entrée dans la chevalerie connaissent au XIVe siècle des fastes encore inégalés, elles n’évacuent pas tout caractère initiatique, tout engagement spirituel, toute promesse civique (texte 1). La pratique de l’adoubement en série, la démocratisation de l’accès à la chevalerie, fustigées par les moralistes qui voient dans ces actes autant de détournements des valeurs et des raisons d’un ordre intemporel, contribuèrent peut-être à la dépréciation relative dont la chevalerie fut l’objet (texte 2). Particulièrement dur, Franco Sacchetti, fils d’un marchand florentin, poète à ses heures, livre à plusieurs reprises, dans le recueil des Trois cents nouvelles — écrit à la fin du XIVe siècle dans un style et selon un modèle décaméroniens, mais sur le ton spontané d’un vagabondage mémoriel – ses récriminations contre les chevaliers de son temps, mettant en relief une contradiction croissante entre la grandeur d’un idéal et la bassesse de ceux qui en sont décorés (texte 3).
88Orientation bibliographique : Salvemini G., La dignità cavalleresca nel Comune di Firenze e altri scritti, rééd. Milan, 1972, p. 99-203 ; Ricciardi L., Col senno, col tesoro e colla lancia. Riti e giochi cavallereschi nella Firenze del Magnifico Lorenzo, Florence, 1992 ; Redon O., Sabban O., Serventi S., La gastronomie au Moyen Age :150 recettes de France et d’Italie, Paris, 1993 ; Cardini F., L’acciar dei cavalieri. Studi sulla cavalleria nel mondo toscano e italico (secc. XII-XV), Florence, 1997 ; Laurioux B., Manger au Moyen Age : pratiques et discours alimentaires en Europe aux XIVe et XVe siècles, Paris, 2002 ; Flandrin J.-L., L’ordre des mets, Paris, 2002.
1. L’adoubement : une cérémonie aristocratique à Sienne en 1326
89C’est un triomphe de la magnificence d’un vieux gentilhomme siennois, sage, riche et puissant, qui s’appelait messer Sozzo, fils de Bandinello, des Bandinelli, qui furent docteurs et chevaliers, et qui firent entrer en chevalerie, Francesco, fils de messer Sozzo, le 25 décembre 1326. Ils commencèrent à tenir cour ouverte huit jours avant. Le récit de cette magnificence est extrait et tiré d’une ancienne copie, où manquaient quelques mots, car certains feuillets étaient déchirés et détériorés ; mais nous l’utilisons et en tirerons le plus d’informations que nous pourrons et présenterons jour après jour, dans l’ordre, toute la noblesse, la gentillesse, le triomphe et la splendeur qui se firent durant ladite chevalerie et aussi les banquets, les dîners, les invités et les mets qui furent présentés, afin que l’on puisse comprendre, goûter et savoir tout le faste qui était à Sienne en ce temps-là.
90[Suit la liste des invités au repas du 18 décembre, soixante-trois au moins, qui furent régalés] par des pâtés, du veau bouilli, des chapons rôtis, du gibier, des poires confites avec des dragées, des épices confites (confetti) avant et après. [Le 21 décembre, les joutes, auxquelles participèrent les trois tiers de la ville, Cité, San Martino et Camollia, commencèrent. Les participants se vêtirent de soie, portant casaques et bannières avant de s’entre-déchirer. Les joutes durèrent jusqu’à la Noël. Au déjeuner du 23, les invités étaient au nombre de cinquante-cinq]. Ravioli blancs, veau bouilli, gibier, poulet en escabèche à l’ambrosine (pollastri ad anbrosina aschibeci), chapons rôtis, poires confites avec des dragées, épices confites avant et après [étaient au menu. La veille de Noël, invités et jouteurs, en plus grand nombre puisqu’il y avait soixante tailloirs, mangèrent] des pois chiches avec des tanches fumées (ceci con tenche affumate), des tanches marinées (tenche inconcie), de la tourte de San Galgano, des anguilles rôties, de la compote avec des dragées, des poires confites au sucre, des épices confites avant et après. [Le matin de Noël, les invités furent plus de quatre cents. Ils se régalèrent] de gingembre, de blancmanger servi en écuelles (framangieri in scudella), de veau bouilli, de gibier, plus exactement sangliers, chevreuils, cerfs, lièvres, en grandes quantités, de chapons rôtis, d’échines (schiene), de calissons (calcioni), deux perdrix par tranchoir, deux faisans par tranchoir, épices confites avant et après le repas, de plusieurs sortes.
91Messire Sozzo de messire Bandinello Bandinelli, avant de conférer la chevalerie à son fils messire Francesco, se rendit à la cathédrale pour entendre la messe le matin de la fête de Noël. C’est là que [Francesco] fut fait chevalier sur l’ambon (pergolo) de marbre dans la cathédrale. Tommaso di Nello porta l’épée, le chapeau et les éperons devant le cheval. Et ledit messire Sozzo ceignit l’épée audit messire Francesco, son fils. Messire Pietro Andolfi de Rome, le premier vicaire qui fut envoyé à Sienne par le duc [de Calabre], lui chaussa l’éperon droit. Le capitaine du peuple de Sienne lui chaussa l’éperon gauche. Le comte Simone di Battifolle [capitaine de guerre] se ceignit de l’épée, puis la posa dans les mains de messire Giovanni, fils de messire Bartolo de Fi’benzi da Rodi [sénateur, c’est-à-dire capitaine de justice], qui la remit dans les mains de messire Sozzo, épée qui avait été ceinte par ledit messire Sozzo audit messire Francesco, comme il a été dit.
92Et sachez que le duc de Calabre, fils du roi Robert, était à Florence avec messire Giovanni Gaetani Orsini de Rome, qui y était légat pour l’Eglise de Rome. Ils quittèrent Florence. Le duc arriva à Sienne au début des banquets dudit messire Francesco, c’est-à-dire le jeudi avant Noël ; il était venu à Sienne pour ceindre l’épée audit messire Francesco, nouveau chevalier. Mais ledit messire Francesco ne voulut pas que le duc la lui ceignît. Messire Jean, frère du roi Robert, entra à Sienne le jour qui suivit l’arrivée du duc, c’est-à-dire le vendredi, pour ceindre l’épée audit messire Francesco, puisqu’il ne voulait pas que le duc la lui remît. Mais ledit messire Francesco ne voulut pas la recevoir dudit messire Jean. Tous les deux partirent le samedi suivant et retournèrent à Florence, pleins d’indignation parce qu’il n’avait accepté l’épée d’aucun d’eux.
93Source : Agnolo di Tura, Cronica, éd. C. Mazzi, « Descrizione della festa in Siena per la cavalleria di Francesco Bandinelli nel 1326 », Bullettino Senese di Storia Patria, 18, 1911, p. 336-363 et A. Lisini, F. Jacometti, Cronaca Senese, dans RIS2, XV, VI, Bologne, p. 442-451. Traduit de l’italien (toscan) avec le concours d’O. Redon.
2. L’adoubement : une foire à Sienne en 1355
94Le 19 avril [l’empereur Charles IV] arriva à Sienne. Avant qu’il n’entre dans la cité, à l’heure de vêpres, alors que les habitants étaient allés à sa rencontre et lui faisaient fête, huit citoyens, pompeux et trop avares pour céder à la dépense nécessaire à la chevalerie, se firent faire par lui chevaliers. Ensuite, une fois qu’il fut entré dans la cité, il en accourut vers lui un grand nombre, sans ordre, ni apprêt. Ayant saisi la vaine et futile agitation de ces gens, il ordonna au patriarche de les faire en son nom. Lui ne pouvait refuser d’en faire autant qu’on lui en présentait sur le chemin.
95En voyant un tel marché, beaucoup, qui avant cette heure n’avaient jamais pensé à se faire chevalier, ni pourvu à ce que requiert la réception de la chevalerie, s’en faisaient décorer. Avec légèreté, ils se faisaient porter sur les bras vers ceux qui se trouvaient autour du patriarche ; et quand ils étaient à lui, sur le chemin, ils les levaient haut et, leur tirant leur capuchon usagé et une fois reçu le soufflet (guandata) en signe de chevalerie, ils leur mettaient un capuchon d’emprunt, avec garniture d’or, qu’ils tiraient de la foule ; et ils étaient faits chevaliers ! De cette manière, on en fit trente-quatre, pendant cette soirée, entre grands et populaires.
96Une fois l’empereur conduit à son auberge (ostiere), la soirée fut faite : chacun rentra chez lui. Les nouveaux chevaliers, sans aucun apprêt ou dépense, célébrèrent, cette nuit-là, avec leur famille, la fête de leur chevalerie. Qui considère, avec un esprit non soumis à la vile cupidité, l’entrée d’un nouvel empereur dans une si fameuse ville et tant de nobles et riches promus à cet honneur au sein de leur patrie, hommes pompeux par nature, n’ayant fait aucune solennité, en commun ou par groupe, en honneur de la chevalerie, peut juger que cette gent était peu digne de recevoir un tel honneur.
97Source : Matteo Villani, Cronica, III, XIV, éd. G. Porta, Parme, vol. 1, 1995, p. 26-27. Traduit de l’italien (toscan).
3. L’adoubement ? Mais La chevalerie est morte ! (fin du XIVe siècle)
98Avait été fait, à Florence, un chevalier qui toujours avait prêté à usure, était d’une richesse étincelante, goutteux et vieux, en honte et pour le déshonneur de la chevalerie, qui se voit conduite dans les stalles et les porcheries. Et je dis la vérité ! Que pense celui qui ne me croit pas à ce qu’on a vu, il y a peu d’années, avec les gens mécaniques (meccanici), les gens des arts, jusqu’aux boulangers et encore plus bas, les cardeurs, les usuriers, les ribauds et escrocs. Pour cette raison, déplorable, on peut l’appeler cacaleria et non cavalleria d’après ce qu’il me semble. Comment se peut-il qu’un juge, pour pouvoir devenir recteur, se fasse chevalier ? Je ne dis pas que la science ne va pas bien au chevalier, mais la science réelle, sans le lucre, sans demeurer au pupitre à donner des conseils, sans aller avocasser au palais des recteurs. Voilà un bel exercice chevaleresque ! Mais il y a pire : que les notaires se fassent chevaliers et plus haut, et le scribouillard se couvre d’une aura d’épéiste ! Mais il y a pire que ce pire-là : car celui qui fait quelque chose de bas, ou commet une perfide traîtrise, est fait chevalier. Ô aventureux ordres de chevalerie, comme vous êtes allés au fond !
99Les chevaliers sont faits de quatre manières ou plus exactement, c’est ainsi qu’on les faisait ; je ne peux dire mieux : les chevaliers baignés, les chevaliers d’effets (di corredo), les chevaliers d’écu et les chevaliers d’armes. Les chevaliers baignés se font avec de grandes cérémonies et il convient qu’ils soient baignés et lavés de tout vice. Les chevaliers d’effets sont ceux qui demandent la chevalerie avec la veste vert-brun et la ceinture dorée. Les chevaliers d’écu sont ceux qui sont faits chevaliers par les peuples ou par les seigneurs et vont demander la chevalerie, armés et avec la barbute en tête. Les chevaliers d’armes sont ceux qui au début des batailles ou dans les batailles sont faits chevaliers. Et tous sont obligés, dans leur vie, de faire de nombreuses choses, qui seraient trop longues à exposer. Mais ils font tout le contraire.
100Je veux, pour avoir abordé ce sujet, que les lecteurs de ces lignes comprennent bien que la chevalerie est défunte. Ne voit-on pas des morts être faits chevaliers ? Quelle méchante, quelle fétide chevalerie est-ce là ? De la même manière, on pourrait faire chevalier un homme de bois ou un de marbre, qui ont autant de sentiments qu’un homme mort. Ceux-là ne se décomposent pas. Tandis que l’homme mort est aussitôt corrompu et putréfié. Et puisque cette chevalerie est valable, pourquoi ne peut-on faire chevalier un bœuf, un âne ou une autre bête, qui éprouve des sentiments, bien que de manière irrationnelle ? Le mort, lui, n’a ni les uns ni les autres. Un tel chevalier a la bière pour cheval, l’épée, les armes et les bannières en avant, comme s’il allait combattre avec Satanas.
101Source : Franco Sacchetti, Il Trecentonovelle, nov. 153, éd. A. Lanza, Florence, 1993, 4e éd., p. 325-326. Traduit de l’italien (toscan).
102Présenté et traduit par A. Jamme
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Séjourner au bain
Le thermalisme entre médecine et société (xive-XVIe siècle)
Didier Boisseuil et Marilyn Nicoud (dir.)
2010
Le Livre de saint Jacques et la tradition du Pseudo-Turpin
Sacralité et littérature
Jean-Claude Vallecalle (dir.)
2011
Lyon vu/e d’ailleurs (1245-1800)
Échanges, compétitions et perceptions
Jean-Louis Gaulin et Susanne Rau (dir.)
2009
Papauté, monachisme et théories politiques. Volume I
Le pouvoir et l'institution ecclésiale
Pierre Guichard, Marie-Thérèse Lorcin, Jean-Michel Poisson et al. (dir.)
1994
Papauté, monachisme et théories politiques. Volume II
Les Églises locales
Pierre Guichard, Marie-Thérèse Lorcin, Jean-Michel Poisson et al. (dir.)
1994
Le Sol et l'immeuble
Les formes dissociées de propriété immobilière dans les villes de France et d'Italie (xiie-xixe siècle)
Oliver Faron et Étienne Hubert (dir.)
1995