Le palais des doges et Venise : les problématiques d’un effet de représentation
p. 231-248
Texte intégral
1Des Alpes à Rome, les espaces urbains italiens offrent à l’étude une gamme étonnament riche et variée de palais publics. Il y a comme une véritable filmographie, avec toutes les nuances temporelles qui peuvent intervenir, de ce qu’a pu être l’autorité publique, et peut-être de ce qu’a été la conceptualisation d’un premier « espace public ». Et sur cette filmographie, je proposerai d’abord quelques remarques.
2Dans certaines villes, en un véritable feuilletage, il est possible de suivre la quête d’une symbolique, dont ces pierres investies de fonctions et d’un décorum témoignent, puisque les pierres sont à appréhender comme les mots même d’une rhétorique politique. Mais la phase communale est celle qui laisse, dans ce feuilletage, une première forte empreinte, un premier et fort discours.
3Qui l’étudie découvre d’abord qu’il n’y a pas coïncidence chronologique automatique entre l’institution d’une nouvelle forme du pouvoir et la construction d’un lieu, siège de ce pouvoir. L’Italie du Nord fait montre d’une certaine précocité puisque les premiers palais communaux s’élèvent après la paix de Constance. Ils traduisent alors au plan monumental, de façon presque trop parfaite parce que quasi mécanique, la consolidation des institutions communales, puis la mise en place du régime des podestats1. En outre, assez vite dans ces mêmes villes, de premières places civiques sont dégagées, de premiers textes réglementaires sont votés, quelques magistrats en charge du domaine public ou de la voirie apparaissent. Tout paraît concorder, tout paraît montrer que la première commune impose ses marques ou sa géographie dans la ville mais prend aussi plus largement en charge la gestion de l’organisme urbain. Par ses opérations édilitaires, le pouvoir, affermi au terme de sa lutte avec l’empereur, entend se symboliser. Et, intervenant dans la ville, il s’énonce autant comme une logique de la domination que comme un ordre naturel, qui suppose bien sûr, comme tout ordre naturel, un principe actif, une vie et donc une régulation.
4A la clarté de l’exemple lombard, il faut aussitôt apporter le contrepoint de la situation génoise. L’autorité, attentive dans cette cité à favoriser l’activité commerciale, à dégager et à protéger les espaces nécessaires aux échanges, fondements de la puissance génoise, ne crée pas le lieu de son propre pouvoir. Ce n’est que tard dans le XIIIe siècle que la commune renonce à se réunir dans le palais archiépiscopal ou des palais privés pour édifier un bâtiment spécifique. Le palais est alors significativement construit au centre de faire portuaire. Dernière mutation, au début du XIVe siècle, le siège du pouvoir public s’excentre. Une nouvelle construction est élevée à proximité de la cathédrale San Lorenzo. Le pouvoir politique n’organise donc ici que tard et mal sa mise en scène dans l’espace citadin. Et qu’on n’invoque pas, pour expliquer cette singularité, une indifférence de l’autorité communale à l’égard du champ de la représentation. Seule en Italie par exemple, elle contrôle, depuis Caffaro, avec la rédaction des Annali, le discours historique, un discours qui, véritable récitatif de la geste communale et de ses entreprises maritimes, a pour première fin de la justifier, de la faire exister2.
5Et c’est encore une autre chronologie qui se dégage en Italie centrale. Les premiers palais avaient été ici souvent tardifs, dans tous les cas modestes. Il en va tout autrement avec la deuxième génération des palais communaux, celle des palais du Popolo, qui s’élèvent en Italie centrale à la fin du XIIIe siècle, dans les termes d’une séquence très ramassée. De 1284 date le palais de Prato, de 1287 celui de San Gimignano ; les travaux sont menés à Florence et à Pistoia en 1294, à Sienne en 12973. C’est dire que ces monuments sont bâtis en ces années où les jeunes régimes populaires4 trouvent, dans une très active politique de l’aménagement urbain, un des plus sûrs moyens de contrôle physique et symbolique de leur espace d’exercice5. Par des chantiers multiples et des transformations qui sont autant fonctionnelles qu’esthétiques, ils modifient, fortement et durablement, le paysage de la ville, ils facilitent l’établissement et la pratique de leur pouvoir ; ils engrangent enfin les bénéfices idéologiques de ces réalisations. A Orvieto par exemple, le chantier du Dôme et celui de l’aqueduc, tous deux spectaculaires, tous deux menés à un rythme rapide, contribuèrent, dit-on, au moins autant que les conquêtes dans le contado, à l’affirmation et au prestige du jeune régime des Sept6. Ajoutons qu’au plan le plus matériel, l’exercice du pouvoir était également rendu plus aisé par la construction de ces nouveaux sièges du pouvoir. Les premiers palais, déjà, avaient servi à abriter la suite nombreuse de juges, de notaires et d’hommes d’armes qui entourait les podestats et les nouveaux organes administratifs et judiciaires qui étaient alors institués. Les palais du popolo ne sont pas seulement plus grands, plus beaux et plus ornés pour mieux exprimer les idéaux d’une nouvelle classe de gouvernement. Ils sont aussi destinés à abriter une administration en croissance rapide, des offices nombreux, leur personnel et leurs archives.
6En somme, selon les aires géo-politiques de l’Italie, l’épisode de la construction du palais communal s’insère dans des chronologies quelque peu différentes. Partie prenante d’un plus général processus de transformation et d’embellissement, il marque le plus profondément la ville au gré des périodes de stabilisation, de consolidation, même provisoire, du régime communal, au gré encore des phases de tentative de règlement des conflits et de recherche du consensus7. Et ces variations, ces décalages invitent à ne pas avoir une approche trop univoque des modalités d’expression du politique. Il est évident que le jeu de significations du politique fonctionne aussi dans des rituels, des discours, des procédures démonstratives diverses. Dans cet univers pluriel, on peut toutefois avancer que, face à des affirmations qui sont relativement instables, soumises pour beaucoup d’entre elles au temps calendaire (fêtes, discours ou processions...) et donc à une certaine précarité, l’espace public du palais traduit une permanence à travers laquelle l’ensemble des significations corrélatives trouve sa cohésion. D’où la nécessité ressentie de bâtir, ou de rebâtir un palais, signe de la puissance publique, d’où la volonté de mettre en place, au cœur de l’espace urbain un monument qui résiste au temps, de créer, grâce aux pierres, de la durée, et donc d’énoncer que l’ordre politique veut être un ordre de la durée.
7Il s’ensuit que ces opérations de construction des palais communaux, et d’aménagement des places qui leur étaient attachées, furent souvent d’une réelle brutalité. Il n’est pas besoin d’attendre les princes pour détecter, dans l’espace de la ville, viols et blessures. Le processus de conquête ou de reconquête de l’espace public fut partout systématique et violent. L’ampleur des bouleversements provoqués en quelques décennies dans le tissu urbain et la morphologie des cités italiennes équivalut bien souvent à une véritable révolution socio-topographique. Et au centre de la ville, où les opérations d’urbanisme étaient évidemment compliquées par la densité du bâti, expropriations, destructions, confiscations judiciaires permirent seules de dégager de vastes espaces et de mettre en place leur nécessaire desserte. A Bologne ou à Florence, les places s’élargirent ainsi. Ailleurs, même sans accaparements factieux et guasti, c’est à coups d’expropriations que les communes procédèrent pour percer voies et places, aérer un bâti urbain à l’effrayante compacité et réussir à installer leur siège.
8Mais, à l’instar, sur les façades des monuments publics, du feuilletage des armoiries et des blasons, le feuilletage de la rhétorique des pierres, dans un certain nombre d’agglomérations italiennes, se poursuit au-delà de la complexe séquence communale. Des villes voient en effet surgir la figure singulière du Prince parlant de son autorité à travers l’édification d’un palais qui a sa spécificité.
9On peut alors traquer dans ces milieux urbains, avec des nuances et des variations nombreuses, les phases successives qui voient l’ancien centre palatial être d’abord réutilisé, tout comme le sont, au temps des seigneuries, les préexistantes institutions communales, avant d’être progressivement privé de vie et de sens lorsqu’un nouveau palais sort de terre et s’impose. Et ce sont toutes ces études consacrées aux grands travaux princiers et particulièrement aux palais des princes : Urbino, Mantoue, Ferrare mais aussi Pienza, Sabionnetta ou Vigevano... La liste est longue ; il s’y mêle en effet les villes-palais, les villes réelles et idéales, les utopies et les entreprises avortées8. Le nombre et la richesse des cas expliquent la diversité des analyses qui, tantôt privilégient le versant esthétique et idéologique de l’œuvre, tantôt plus fonctionnellement favorisent la dimension politique et le processus de construction de l’Etat princier. Mais toutes s’attachent, en premier lieu, à comprendre les solutions urbaines élaborées, les articulations projetées et comment, plus ou moins facilement et pacifiquement, fut ou non greffé sur la ville un nouveau centre palatial.
10Cependant, toutes les cités ne furent pas capitales, ou résidences princières, quand advint le temps de la simplification de la carte politique et de la constitution des grands états régionaux. Souvent donc, dans ces villes qui avaient été des communes puissantes, et qui ne sont plus, dans les nouveaux états territoriaux, que des villes moyennes, l’ancien complexe monumental survit même s’il n’abrite plus que les organes de la vie politique locale. Et j’emploie à dessein le terme de « complexe » mieux apte à évoquer la réalité italienne et ces centres où étaient associés un, deux, trois bâtiments publics. Il serait donc erroné de distinguer l’espace et le volume même du palais public comme une constante. Le symbole de l’autorité publique qu’il figure est investi de significations évolutives, toujours plurielles et qui répondent à des exigences souvent conjoncturelles. Il n’est pas seulement la mémoire d’un passé qui a eu sa grandeur dans le fait historique d’un pouvoir autonome ; il est aussi la traduction de l’émergence d’une conception renouvelée de l’ordre public. Et la ville est alors peuplée d’une, deux, trois silhouettes de palais qui sont comme les monuments fossiles d’un stade de l’organisation du pouvoir, mais qui n’en sont pas pour autant privés d’une pertinence politique.
11Venise, au regard de ces situations urbaines et de ces glissements temporels et spatiaux, fait montre d’une étonnante stabilité et d’une apparente simplicité. La confédération insulaire des origines s’était organisée autour de deux capitales successives : Héraclée-Cittanova, puis Malamocco. En 810, la capitale du duché est transférée sur des îlots moins proches de la mer, à Rialto-Venise. Et une nouvelle histoire commence, celle de l’invention d’une ville là où s’étendaient l’eau et les marais, celle de la formation, autour du palais, d’un premier espace public. Car l’espace public se forme ici en même temps que la civitas. Sur cette île qui ne s’appelle pas encore San Marco, dans la seconde décennie du IXe siècle, le palais ducal, siège de l’autorité, habitation publique et privée du doge, se dresse face au bassin lagunaire, abrité par des défenses. En prolongement de ce premier édifice, la basilique est bientôt construite vers l’intérieur. Venise abandonne en effet son premier patron grec pour le latin Marc. Et les reliques de l’Evangéliste seraient, selon la tradition, solennement transportées en 828, depuis Alexandrie, jusque dans la lagune9. Le doge Giustiniano Partecipazio réserve dans son testament, toujours selon la tradition, un vaste terrain pour l’édification d’une église qui abriterait le corps saint. Avec éclat et précocité, l’exemple vénitien nous montre donc qu’il ne faut pas isoler le palais public, le dissocier, non seulement de l’espace urbain qui l’entoure et l’enchâsse, mais aussi des autres monuments symboles.
12L’espace proche s’organise donc autour de ces deux monuments, le palais et la basilique, chapelle du doge10. Dès lors, et les chroniques qui racontent l’histoire des premiers siècles en témoignent, l'insula Sancii Marci manifeste certains caractères originaux : une ouverture à l’ensemble de la communauté naissante, des fonctions et des usages qui, vite, se surimposent sur ceux des différents campi paroissiaux11. En somme, le palais n’est pas à Venise, avec plus ou moins de difficultés, enchâssé dans un tissu urbain déjà fortement structuré. Il n’est pas nécessaire que la greffe, douloureuse souvent, d’abord fragile, prenne, il n’est pas besoin d’attendre que le réseau des voies organise peu à peu la desserte de ce monument avant que les pratiques et les pas reconnaissent la gravitation mise en place. Ici, aucun rejet ne peut s’observer. La boue est asséchée, les arbres sont abattus12. Et, malgré les caractères d’une croissance urbaine qui fut, sur cet archipel, longtemps polynucléaire, les hommes tendent à se rassembler autour de ce centre attractif. En 976, une violente émeute, sait-on, met fin au règne du quatrième doge Candiano. Le doge est tué, son jeune fils avec lui tandis qu’un incendie ravage la ville. Le premier palais ducal est en flammes, la basilique San Marco et l’église San Teodoro aussi. Avec ces monuments sacrés, plus de trois cents maisons, dénombrent les chroniqueurs, sont touchées par l’incendie. Autour de San Marco, déjà, le tissu urbain était continu.
13Il y a donc une précocité vénitienne qui tient, inutile d’y insister, aux particularités de la situation politique et à l’héritage byzantin. Il y a encore une formidable longévité vénitienne puisque le palais ducal, immuablement dressé face au bassin lagunaire, abrite toujours les organes souverains de la République lorsque la République tombe. Il y a en fait une étonnante constance vénitienne. Le même monument, toujours palais des doges, devient à certaines époques davantage le palais de la commune ou celui de la Seigneurie. Centre du pouvoir urbain, il est aussi le lieu à partir duquel le pouvoir rayonne sur l’empire, puis sur l’état territorial. Et comme tel, il dure.
14En outre, la constance, et la continuité, ne sont pas au cours des siècles seulement topographiques. Elles concernent autant l’architecture et le décor, les pierres et leur organisation. Les lieux et leur mémoire servent à symboliser une République qui se veut « constante » et, dans ce souci de la continuité, s’exprime une véritable idéologie de gouvernement. La durée, revendiquée, la volonté affichée de gouverner dans le respect de ce qui a été fait disent l’attachement à la tradition et à la culture des origines13. Aucun organe politique ne put jamais prétendre à exercer ici, en matière d’art ou d’urbanisme, une influence décisive. Il appartint, toujours, à la principale assemblée de gouvernement, le Sénat après le Grand Conseil, de faire exécuter, parmi les projets architecturaux proposés, celui que la majorité avait retenu. Et la majorité décida souvent que mieux valait conserver, refaire et restaurer.
15Le premier palais était fortifié, muni de plusieurs tours défensives dont l’une protégeait le trésor de San Marco. Cette première structure, malgré diverses vissicitudes et reconstructions, demeure en place jusqu’au dogat de Sebastiano Ziani14. Entre 1172 et 1178, un nouveau palazzo comune est construit. Dans le même temps, des travaux précipitent l’aménagement de la place San Marco. Assèchements et démolitions s’enchaînent et permettent d’élargir une surface déjà considérable. Ces travaux confèrent à la place ses dimensions quasi définitives. Mais ils fixent aussi pour des siècles le décor et l’organisation du périmètre, la structure de la place dans son existence propre comme dans les relations qu’elle entretient avec l’espace bâti et non bâti. La place, arrimée à la ville et au tissu urbain, est également située à la convergence des voies d’eau principales, au lieu de leur rencontre dans le bassin de San Marco sur lequel elle s’ouvre et respire. Ainsi bénéficie-t-elle d’un double ancrage, significatif du milieu et des rapports constitutifs de la terre et de l’eau. Ses frontières connaissent, au temps du doge Ziani, une redéfinition matérielle et symbolique. Aux confins de la Piazzetta, au-dessus de la rive et de l’eau, deux immenses colonnes sont levées tandis que, sur le flanc nord, les maisons des procurateurs de Saint-Marc, alignées en construction continue, tracent une nouvelle et ferme limite. Au terme de ces opérations, il a donc été dégagé à San Marco une place à la taille et à la structure inouïes dans la cité occidentale du temps. D’ailleurs, l’image de Constantinople et l’organisation des espaces centraux dans cette capitale impériale inspirent très certainement l’entreprise15.
16Sans doute le palais devient-il au XIIIe siècle, à mesure que la commune s’organise et que s’affine la machinerie administrative, insuffisant. L’espace manque même si tous les offices n’ont pas leur siège à San Marco, puisqu’au nom de la dualité des centres et du partage des fonctions, les magistratures économiques ont été installées sur l’autre rive du Grand Canal, au marché du Rialto. Il faut, pour comprendre quelle était dans ces décennies la vie du palais, évoquer le foisonnement des corps d’officiers, la complexité d’une bureaucratie communale qui a, dans la seconde moitié du XIIIe siècle, investi les divers secteurs de la vie publique. Partout, dans l’Italie du temps, les magistrats deviennent plus nombreux et les archives, tenues par une multitude de notaires, enflent. Mais à Venise, agglomération de près de 100 000 habitants, centre économique dominant, capitale d’un empire, cette inflation s’avère plus forte encore. D’où, dans le même bâtiment, la juxtaposition des salles de conseil et des bureaux, la presse des gardes et des notaires, des juges, des tribunaux et des prisons, des cohortes de scribes et de commis, la foule des nobles qui vont et viennent avec leurs serviteurs et leurs escortes, et puis dans les escaliers, ou la cour, tous ceux qui attendent, jouent, malgré les interdits, aux cartes ou aux dés, se battent ou font de la musique. Les actes qui, à partir de 1296, suivent, pas à pas, l’agrandissement de la salle du Grand Conseil décrivent bien le manque de place et les solutions palliatives qu’il faut imaginer pour loger cette assemblée, alors formidablement dilatée. D’ailleurs, ces successives interventions ne suffisent pas. Et en 1340, décision est finalement prise de construire une nouvelle salle, au-dessus de l’ancienne.
17Il en résulte des travaux continus, juste interrompus dans les années qui suivent la peste noire. Et, en 1419, le Grand Conseil se réunit enfin dans la nouvelle salle. Le palais est alors transformé dans sa structure et son style, puisque, depuis les premières décennies du XIVe siècle, la façade dresse face à la lagune ses arcatures gothiques. Mais quoiqu’en mauvais état, la partie byzantine n’est pas démolie et c’est un incendie qui explique qu’elle disparaisse au XVe siècle. Une unité architecturale peut alors être élaborée. Elle est volontairement préservée malgré les pressions du style nouveau. Les travaux, menés à la fin du XVe siècle, prolongent le style gothique, gothique comme la façade aux larges baies ogivales ou la très ornée et très ciselée Porta della Carta (1438-1443)16. Le feu n’autorise donc pas toujours à faire table rase de ce qui fut. Ecoutons les conseils nous expliquer pourquoi. Après l’incendie de 1514 qui avait détruit le marché du Rialto, un véritable concours avait été organisé parmi les architectes. Une raison puissante conduisit à retenir le projet de Scarpagnino : il tenait compte de l’histoire et des réalités « du lieu ».
18Parce que le pouvoir vénitien, tel qu’il est à la fin du Moyen Âge ou au début de l’époque moderne globalement institué, trouve, dans la durée et la conservation, la première de ses légimités, grand est son respect de la sédimentation historique propre à chaque lieu. Les nécessaires réformes, les adaptations s’accomodent toujours de ce qui existe et de ce qui demeure. Les liens, la cohérence avec le passé architectural sont délibérément privilégiés, l’héritage est assumé, la continuité préservée. Et le parallèle s’impose entre les institutions vénitiennes et le lieu même de la puissance publique. Qui dresse, à la fin du Moyen Âge, le tableau de ces institutions est d’abord frappé par la continuité. Ailleurs, la géographie politique et les systèmes de domination se sont transformés. Dans une lagune frappée en apparence d’immobilité, rien ne semble avoir bougé. Un doge est élu, qui siège, entouré de ses conseillers. Le Grand Conseil est convoqué tous les dimanche après-midi ; le Sénat se réunit trois à quatre fois par semaine. Et la République, sereine et constante, se gouverne selon la sagesse de ses anciennes lois. Toutefois, sous cette apparente immuabilité, on découvre une conjonction surprenante de l’empirisme et de l’efficacité et la réalité constante du provisoire qui devient définitif. Rien n’est supprimé, tout est associé, ajusté, adapté, enrichi et remodelé au cours des temps. Rien ne paraît changer même si le mouvement est présent. Et il en va, me semble-t-il, dans l’architecture comme dans le système institutionnel.
19On remarquera enfin qu’une même sensible permanence concerne le décor qui, au sein du palais ducal, exalte les caractéristiques et les mérites de Venise. J’en déduis la nécessité méthodologique, pour ces époques, de ne pas dissocier l’extérieur et l’intérieur : le palais n’est pas alors, à Venise comme à Sienne, un lieu secret et clos17 ; son langage décoratif s’intègre dans un plus large dispositif pédagogique. La salle du Grand Conseil avait été, à partir de 1365, ornée de scènes qui illustraient la paix de Venise et le rôle, légendaire, qu’aurait joué la ville dans le conflit opposant le pape et de l’empereur18. Or, dès le début du XVe siècle, un peintre, sorte de conservateur, est nommé qui veille officiellement à la restauration des tableaux endommagés. Plus tard dans le siècle, les plus grands noms de la peinture vénitienne refont, au cours de deux programmes successifs, les scènes abîmées19. L’entreprise se poursuit au cours du siècle suivant, selon une lutte jamais interrompue contre l’eau et l’humidité. Elle est alors commissionnée au Titien, au Tintoret, à Veronèse ou au Pordenone. Les styles et les manières changent. Mais le décor demeure pérenne grâce à cette succession de talents au service de l'autocélébration de Venise. Le grand incendie de 1577 dévaste tout. La nouvelle décoration choisie pour la salle laisse place à l’illustration d’autres épisodes historiques comme la Quatrième Croisade et la guerre de Chioggia. Mais tout un cycle est encore réservé à la paix de Venise comme si toujours le passé devait être lié au présent, comme si toujours importait la continuité de l’histoire et du pouvoir.
20Bien des lectures peuvent être faites du palais ducal. Mais retenons d’abord le saisissant rapport au temps qui est, dans ce monument, exprimé. Le palais naît en même temps que la ville et il croît à mesure qu’elle se développe. Toujours, il emprisonne l’épaisseur de la durée historique et des transformations architecturales et stylistiques successives. Gothique, il affiche des éléments mauresques et s’adosse à une basilique, construite et reconstruite sur le modèle des Saints-Apôtres de Constantinople, parée d’or et surmontée de coupoles. Le décor, comme la cité entière, joue entre l’Orient et l’Occident. Il remémore le passé byzantin, les liens séculaires avec le Levant comme une tradition occidentale réinterprétée. Élevé sur la grande place de la ville, à la jonction de la terre et de l’eau, il est, comme la basilique qui lui est irréductiblement associée, le monument identitaire. Rien d’étonnant en conséquence à ce que la représentation urbaine, dès qu’elle existe, privilégie ce point de vue. La simple figuration du palais des doges, dressé au dessus du bassin de San Marco, acquiert le pouvoir de signifier Venise toute entière20.
21Ainsi se forme une sorte d’idéogramme. Et cet idéogramme, répétons-le, associe, au-delà du nécessaire avant-plan aquatique, la silhouette du palais, les coupoles de la basilique et le vaste dégagement de la place.
22Le centre de San Marco est donc progressivement présenté comme l’espace où le groupe trouve son identité, le lieu de la référence qui fonde la communauté. Et, dans un tel milieu, le problème de l’articulation fonctionnelle du palais à la ville s’avère vite résolu. La place s’affirme d’abord comme le lieu métaphorique du pouvoir vénitien. Les figures, les symboles, les vertus de la République y sont en effet, grâce à toute une série de rituels, montrés et animés en un spectacle rejoué à intervalles rapprochés, et dont la répétition est comme le signe de l’immuabilité sereine des institutions et de la chose politique21. Mais la place abrite également, je l’ai dit, la basilique qui s’affirme comme le véritable épicentre de l’espace sacré vénitien. Sur le territoire urbain, que sacralisent tant d’édifices religieux et de précieuses reliques et qu’est venu quadriller le réseau des grands couvents mendiants, la basilique rayonne. Pour mieux saisir comment le cœur de la communauté pouvait battre à San Marco, il faut insister sur l’importance de la dévotion rendue au saint patron.
23On sait que, dans la ville ancienne, la figure tutélaire du saint patron servait à la construction identitaire, même si cette construction fut, au fil des crises et des conflits, souvent plus complexe et moins consensuelle qu’on ne le croit. On sait aussi que la beauté des édifices sacrés n’était pas destinée à célébrer la seule gloire de Dieu22. Elle servait aussi l’honneur ombrageux de la commune et de la collectivité ; elle pouvait être mobilisée dans cette guerre des vanités qui opposait les cités entre elles23. Bien des chantiers d’églises et de cathédrales furent accomplis au nom même de cette « religion civique » caractéristique des cités italiennes. Ces églises, ces Dômes n’étaient pas voués qu’à symboliser avec éclat le pacte que la communauté urbaine qui les construisait disait renouveler avec Dieu. Ils devaient traduire, comme le faisaient à leur échelle d’autres réalisations architecturales ou d’autres succès politiques, la puissance et le prestige de la cité, le besoin d’affirmation et de reconnaissance de sa classe de gouvernement24.
24Mais à Venise, l’appropriation, précoce et victorieuse, par le pouvoir, des valeurs de célébration et de légitimation inhérentes au culte du saint patron fut portée jusqu’à un point extrême25. C’est une véritable identification qui s’établit entre l’Évangéliste et la communauté lagunaire, entre Marc et la Seigneurie des Vénitiens. Sur la basilique, sur le palais de gouvernement, sur le campanile et la tour de l’horloge, le lion de saint Marc, diversement représenté, servait de symbole quasi exclusif et éclipsait toutes les autres figurations26. Sur son livre ouvert, il donnait à lire les mots fondateurs de la praedestinatio. Au centre même de la cité, l’élection divine qui fut, pensaient les Vénitiens, conférée à leur ville, était ainsi infiniment répétée et mise en image.
25L’alliance, en un même lieu, du politique et du religieux compte donc pour beaucoup dans le rayonnement originel de la place et explique pourquoi cette dernière capte très tôt une large part des occasions cérémonielles et devient l’espace quasi obligé vers lequel confluent pratiques, fêtes et représentations, les manifestations multiples de l’identification et de l’unification27. Mais, sans même l’aide des rituels, sans qu’elle serve de scène à la mise en représentation de la culture officielle, la place d’abord et avant tout représente Venise puisqu’il lui a été dévolu la mission de traduire la perfection urbaine, de révéler la ville dans son essence et sa beauté28. Comme l’écrivent les textes, la piazza est, à elle seule, spectacle. Elle est el piu bello spectaculo de questa città. Il en découle que la mise en scène des rituels s’avère ici quasi redondante.
26On ne peut donc, dans ce milieu, dissocier les espaces. Cortèges et processions ne se contentent pas de tourner autour de la Piazza selon la scénographie tromphante que la peinture de Bellini a fixée. Ils vont de la basilique à la Piazza, du palais à la basilique. Commencé sur la Piazzetta, le rituel peut s’achever dans la cour ou sur l’escalier monumental du palais des doges. Il y a là comme une scène complexe, un vaste théâtre où les monuments et le décor, autant que les hommes, disent leur texte.
27Enfin, et me contentant toujours de mettre en place la simple ossature d’une réflexion, je mesure maintenant comment la centralité de la place pouvait être perçue par les contemporains. Il ne suffit en effet pas de décrire les rituels officiels et de souligner leurs rapports à cette topographie prestigieuse, délimitée par les marques du public. Encore faut-il, dans le cadre d’une étude sociale, parvenir à saisir la part du groupe dans ces manifestations, mesurer leur degré de réception et d’appropriation. Il est alors d’usage d’ausculter les processions et leur spectacle d’harmonie et de cohésion. Le défilé des métiers et des confréries est dépeint, la hiérarchie des « états » est recomposée. Et l’unité du corps urbain, grâce à la participation de tous ces groupes, paraît ainsi affirmée. Mais, pour qui ne se limite pas aux analyses classiques du cortège et de sa composition, gage, dit-on, d’un unanimisme, les indications deviennent plus ténues. Elles affleurent pourtant, éclatées en notations fragmentaires, dispersées dans des sources disparates et elles prouvent que les espaces civiques, principalement la place San Marco, sont bien, pour un temps au moins, les espaces de tous les citoyens, ou presque29.
28En outre, hors de ces spectaculaires moments rituels, la centralité de ces lieux continuait à s’avérer forte. Il apparaît que le périmètre de San Marco, pourtant largement investi par le pouvoir et ses signes, jouait aussi à la convergence des grands itinéraires, un rôle d’espace communautaire familier. Dans leurs trajets et leurs usages, les Vénitiens reconnaissaient explicitement l’attraction des centres qui animaient l’organisme urbain. Et il n’y avait pas que les dominants à développer de telles pratiques. Souvent pour des affaires sans relief, simplement parce qu’ils espéraient y trouver une embauche, ou parce qu’ils aimaient à fréquenter, lorsqu’ils en avaient le loisir, ces lieux de rencontre, les hommes, et pas seulement les hommes30, avaient à faire dans l’espace public. Les exemples pourraient être multipliés, montrant que le caractère central de la place était, de différentes manières, sanctionné par les pratiques. Ce qui revient à dire que cet espace public était également reconnu et accepté par le groupe.
29Tous les usages sociaux de la place San Marco n’étaient évidemment pas aussi pacifiques que ceux qui viennent d’être décrits. En bien des occasions qui valaient, de manière plus ou moins explicite, comme des contestations, ce sont des tentatives de réappropriation qui peuvent être identifiées. Ainsi lorsque placards ou graffiti injurieux pour le pouvoir étaient délibérément fixés ou inscrits dans cet espace de l’ordre établi, sur les arcades du palais ducal ou sur les colonnes des Procuratie. Ainsi quand l’exercice de la vengeance privée choisissait à dessein le périmètre de San Marco pour se manifester et devenir plus encore publique et exemplaire31. Ainsi encore quand les rituels publics dégénéraient, engendrant troubles, désordres, revendications et nouvelles ritualisations...
30Dans tous les cas cependant, un fait demeurait, capital pour notre démonstration : dans cette dispute, l’ordre spatial n’était, lui, pas contesté ; bien au contraire, la force symbolique du lieu, sa charge esthétique et émotionnelle étaient captées par le privé comme si, mécaniquement et inéluctablement, l’effet de représentation faisait apparaître d’autres formes, multiples et surtout concurrentes, de mise en représentation.
31Il ne s’agit pas de se laisser séduire, sans résistance aucune, par cette vision d’une cité unifiée et d’une grammaire spatiale univoque et dominante. Il se manifeste bien sûr de rigoureux contrepoints. Il est incontestable qu’existaient des comportements de refus d’une telle organisation de l’espace. Des rituels déviants, contestataires, antagonistes prenaient alors place dans des espaces qui étaient également déviants par rapport à cette scène publique officielle. Il demeure, me semble-t-il, que le mirage du centre exerçait pleinement ses effets. Et c’était sans doute le désir du plus grand nombre que de partager les expériences communes, que d’être concerné par cette culture de la ville qui venait comme naturellement, en certaines occasions, se superposer pour la plupart, sur celle du voisinage et du quartier32.
32Que conclure ? Faut-il, de ces analyses, déduire, une fois encore, la preuve d’une absolue, et bien commode, singularité vénitienne ? Certainement pas. Je ne prétends certes pas que le système de relations que j’ai tenté de restituer entre le pouvoir, le palais et la ville, entendue dans ses pierres comme dans ses hommes, dure aussi longtemps que durent le pouvoir, le palais et la ville. Sans doute ces rapports, complexes et mobiles, doivent-ils être pensés historiquement. La permanence du monument et ici, cas plus complexe, la permanence du pouvoir au sein de ce monument n’induisent pas une identique permanence de la signification et surtout de la réception du palais. Il reste que, durant la séquence considérée, l’effet de représentation me paraît se décliner sous une forme triplement parfaite et absolue : représentation du pouvoir, pouvoir en représentation et pouvoir de la représentation33... Le palais des doges semble alors constituer comme le code qui permet de comprendre ce qu’avec d’autres palais les autres pouvoirs tentèrent de faire. Et sans doute sa silhouette dressée au-dessus de l’eau se comprend-elle, dès le XIIIe siècle, lorsque le régime politique vénitien commence à susciter un étonnement admiratif, comme la figure, à imiter ou à envier, d’une maîtrise réussie du temps, de l’espace mais aussi du faire-savoir. C’est-à-dire que la situation vénitienne démontre certes la force de l’image qui lui est corrélative, mais permet aussi de comprendre, plus en profondeur, le sens du jeu politique projeté dans des pierres par d’autres pouvoirs. A Venise, se découvre le langage d’une forme d’utopie de la permanence du politique, vers laquelle tendaient, sans y parvenir, les autres cités italiennes...
Notes de bas de page
1 Pour le cas de Plaisance où la place publique résulte d’un élargissement de la place de l’église cathédrale, P. Racine, « Naissance de la place civique en Italie », Fortifications, portes de villes, places publiques dans le monde méditerranéen, J. Heers éd., Paris, s. d., p. 301-322. Sur les palais publics et leur construction à partir de la paix de Constance : P. Racine, « Les palais publics dans les communes italiennes XIIe-XIIIe siècles », Le paysage urbain au Moyen Age, Actes du XIe Congrès des historiens médiévistes, Lyon, 1981, P· 133-155 ; et pour des études directement centrées sur la Lombardie, la première génération des palais lombards et la diffusion de modèles urbaurbanistiques : G. Soldi Rondinini, « Evoluzione politico-sociale e forme urbanistiche nella Padania dei secoli XII-XIII : i palazzi pubblici », in La pace di Costanza, 1183, Un difficile equilibrio di poteri fra società italiana ed impero (Milano-Piacenza, 1983), Bologne, 1984, p. 85-98 ; E. Guidoni, « Appunti per la storia dell’urbanistica nella Lombardia tardomedievale », La Lombardia. Il territorio, op. cit., p. 109-162 ainsi que la synthèse de G. Andenna, « La simbologia del potere nelle città communali lombarde : i palazzi pubblici », Le forme della propaganda politica nel Due e nel Trecento, P. Cammarosano éd., Rome, EFR, 1994, p. 369-393.
2 E. Crouzet-Pavan, « Gênes et Venise : écritures historiques et imaginaires de la cité », Le forme della propaganda, op. cit., p. 427-453 repris in E. Crouzet-Pavan, Venise, une invention de la ville XIIIe-XVe siècle, Seyssel, 1997 ; G. Petti Balbi, Una città e il suo mare. Genova nel Medioevo, Bologne, 1991.
3 N. Rodolico-G. Marchini, I palazzi del Popolo nei comuni toscani del medioevo, Florence, 1962 ; l’exemple de Pérouse a été bien étudié par M. R. Silvestrelli, « L’edilizia pubblica del Comune di Perugia : dal « palatium Comunis » al « palatium novum populi », Società e istituzioni dell’Italia comunale : l’esempio di Perugia (secoli XII-XIV), Pérouse, 1988, vol. 2, p. 482-604 ; voir aussi A. Grohmann, Le città nella storia d’Italia. Perugia, Bari, 2ème éd., 1985, p. 51-52.
4 Une étude met bien l’accent sur les réalisations des régimes populaires : J. C. Maire Vigueur, « L’essor urbain dans l’Italie médiévale : aspects et modalités de la croissance », Europa en los umbrales de la crisis (1250-1350), XXI semana de estudios medievales, Estella 1994, Pampelune, 1995, p. 171-204.
5 Contrôle qui s’exerce bien sûr aussi sur le contado, même si l’étude ne peut pas prendre en compte ici les travaux de voirie réalisés, par exemple, dans ces contadi. Une analyse de ces formes d’appropriation du territoire est menée dans O. Redon, L’espace d’une cité. Sienne et le pays siennois, Rome, EFR, 1994, et particulièrement les p. 192-208.
6 L. Riccetti, La città costruita. Lavori pubblici e immagine in Orvieto medievale, Florence, 1992.
7 Pour une analyse de ces problèmes : E. Crouzet-Pavan, « ‘Pour le bien commun’ ». Apropos des politiques urbaines dans l’Italie communale », Les grands chantiers. Pouvoir et édilité dans l’Italie communale et seigneuriale, EFR, Rome ; EAD., Enfers et paradis. L’Italie de Dante et de Giotto, Paris, 2001, p. 66-76.
8 Quelques titres dans une immense bibliographie : B. Zevi, Biagio Rossetti, architetto ferrarese, il primo urbanista moderno europeo, Turin, 1960 ; E. Carli, Pienza. La città di Pio II, Rome, 1966 ; L. Benevolo, Storia dell’architettura del Rinascimento, Bari, 1968 ; G. Simoncini, Città e società nel Rinascimento, Turin, 1974, 2 vol. ; Mantova e i Gonzaga nella civiltà del Rinascimento, Mantoue, 1977 ; V. Franchetti Pardo, Storia dell’urbanistica dal Trecento al Quattrocento, Bari, 1982 ; Ludovico il Moro, la sua città e la sua corte (1480-1499), Milan, 1983 ; E. Guidoni, La città dal Medioevo al Rinascimento, Rome-Bari, 1989 ; G. Cherubini et G. Fanelli éd., Il palazzo Medici Riccardi di Firenze, Florence, 1990 ; G. Cerboni Baiardi, G. Chittolini et P. Floriani éd., Federico di Montefeltro, Rome, 1986.
9 Le problème de la translatio des reliques de saint Marc (828) a alimenté une littérature d’une extraordinaire abondance. Depuis un siècle, tous les aspects de cette séquence majeure de l’histoire vénitienne ont été examinés. Pour expliquer l’événement et son sens, le nouveau patronage sous lequel le duché se plaça, plusieurs interprétations ont été avancées qui lient, toutes, le transfert du corps saint à un élément ou à un autre d’un contexte politique complexe. Contre l’influence carolingienne, l’adoption de ce patronage devait servir plutôt à la lutte qui opposait les deux patriarcats d’Aquilée et de Grado. Selon une deuxième analyse, le culte rendu à saint Marc s’expliquerait plus généralement par la volonté des anciennes cités sujettes de l’empire d’Orient d’asseoir leur indépendance face à Byzance ; P. J. Geary, Furta Sacra. Thefts of Relics in the Central Middle Ages, Princeton, 1978, p. 108-111 ; E. Crouzet-Pavan, Venise triomphante. Les horizons d'un mythe, Paris, 1999, p. 83-84. Sur la translatio même, les analyses divergent davantage, selon qu’elles nient ou acceptent la réalité des faits.
10 E. Crouzet-Pavan, Sopra le acque salse. Espaces, pouvoir et société à Venise à la fin du Moyen Age, EFR, Rome, 1992, t. 1, p. 165-173.
11 Les places paroissiales portent à Venise le nom de campo, le terme de platea, piazza, étant réservé à la seule place San Marco. Il s’agit à l’origine d’étendues herbeuses, allongées entre l’église paroissiale et les maisons de la famille ou des familles fondatrices de l’église.
12 Le broglio du monastère de San Zaccaria, planté d’arbres fruitiers, entre l’actuel rio di palazzo et le rio plus tard comblé de l'Ascensione servit partiellement à la construction du palais, E. Crouzet-Pavan, Sopra le acque salse, op. cit., t. 1, p. 165.
13 E. Crouzet-Pavan, Venise triomphante, op. cit., p. 76-78 ; pour une analyse du rapport au passé : P. Fortini Brown, Venice and Antiquity : the Venetian Sense of the Past, New-Haven-Londres, 1996.
14 R. Cattaneo, La basilica di San Marco, Venise, 1888.
15 Il faut ici renvoyer aux analyses très convainquantes de M. Agazzi, Platea Sancii Marci. I luoghi marciani dall’XI al XII secolo e la formazione della piazza, Venise, 1991, p. 149-152 pour les très significatives opérations décoratives du XIIIe siècle (chevaux sur la basilique, ajout des sculptures sur les deux colonnes de la Piazzetta, groupe des tétrarques) ainsi qu’à celles de J. Schulz, « Urbanism in Medieval Venice », in City-States in Classical Antiquity and medieval Italy. Athens and Rome, Florence and Venice, A. Molho, K. Raaflaub, J. Emlen éd., Stuttgart, 1991, p. 419-441, p. 438-440 ; cet auteur examine plus précisément ce que les Vénitiens pouvaient connaître des différents fori de Constantinople. Il est exact que la formation de la place San Marco anticipe de beaucoup sur la chronologie des différentes places communales. Ces dernières sont, dans l’ensemble, aménagées plus tardivement et plus malaisément. Elles ne rejoignent pas non plus des dimensions comparables. Le saisissement des voyageurs devant l’ampleur et le décor de la place San Marco sont d’ailleurs à noter.
16 Pour une histoire de ce monument qui ne sera pas traitée ici, quelques titres significatifs dans une imposante bibliographie : L. Cicognara, A. Diedo, G. A. Selva, Le fabbriche più cospicue di Venezia misurate, illustrate e intagliate, Venise, 1840 ; F. Zanotto, Il Palazzo Ducale di Venezia, 4 vol., Venise, 1853 ; A. dall’Acqua Giusti, Il Palazzo Ducale di Venezia, Venise, 1864 ; G. B. Lorenzetti, Monumenti per servire alla storia del Palazzo Ducale di Venezia, Venise, 1869 ; P. Paoletti , L’architettura e la scultura del Rinascimento in Venezia. Ricerche storico-artistiche, 2 vol., Venise, 1893 (tr. fr. L’architecture et la sculpture de la Renaissance à Venise, recherches historico-artistiques, Venise, 1897-1899) ; V. Lazzarini, « L’architetto della tradizione del palazzo ducale », in N. A. V, 7, 1897, p. 429-446 ; M. Ongaro, Il Palazzo Ducale di Venezia, Venise, 1927 ; G. Mariacher, Il Palazzo Ducale di Venezia, Florence, 1950 ; E. Bassi, Il Palazzo Ducale nella storia e nel’arte di Venezia, Milan, 1960 ; id., « Appunti per la storia del Palazzo ducale di Venezia », Critica d’arte, 54, 1962 a, p. 25-38, 1962 b, p. 45-53 ; E. Bassi, E. R. Trincanato, « Il Palazzo Ducale nel ‘400 », Bolletino del Centro Internationale dì studi di architettura Andrea Palladio (Bolletino del CISAI), 6, 1964, p. 181-187 ; T. Pignatti, Palazzo Ducale, Novare, 1964 ; N. Ivanoff, « I cicli allegorici della Libreria e del Palazzo ducale di Venezia », Rinascimento Europeo e Rinascimento veneziano, V. Branca éd., Civiltà europea e civiltà veneziana, 3, Florence, 1967, p. 281-299 ; G. Samonà, U. Franzoi, E. R. Trincanato..., Piazza san Marco L’architettura, la storia, le funzioni, Venise, 1970.
17 P. Cammarosano, « Il comune di Siena dalla solidarietà imperiale al guelfismo : celebrazione e propaganda », in Le forme della propaganda, op. cit., p. 455-467.
18 W. Wolters, Der Bilderschmuck des Dogenpalastes, Stuttgart, 1983, tr. it., Storia e politica nei dipinti di Palazzo ducale. Aspetti dell’autocelebrazione della Repubblica di Venezia nel Cinquecento, Venise, 1987, p. 162-165.
19 W. Wolters, op. cit., p. 166-167 : Antonio Veneziano, Pisanello et Gentile da Fabriano en 1422, Gentile et Giovanni Bellini, Alvise Vivarini, Vittore Carpaccio, Pietro Perugino à la fin du XVe siècle et au début du XVIe siècle.
20 Catalogue Venezia, Piante e vedute, S. Biadene éd., Venise, 1982, p. 21.
21 E. Crouzet-Pavan, Venise triomphante, op. cit., p. 261-265.
22 On peut se référer ici à l’exemple significatif d’Orvieto : E. Crouzet-Pavan, « Entre collaboration et affrontement : le public et le privé in les grands travaux urbains », XXII Semana de Estudios medievales, Estella 1995, Tecnologia y sociedad : Las grandes obras publicas en la Europa Medieval, Pampelune, 1996, p. 363-380 ; G. Della Valle, La storia del Duomo di Orvieto, Rome, 1791 ; L. Luzi, Il Duomo di Orvieto descritto ed illustrato, Florence, 1866 ; L. Fumi, Il Duomo di Orvieto e i suoi restauri, Rome, 1891 ; R. Bonelli, Il Duomo di Orvieto e l'architettura italiana del Duecento-Trecento, Rome, 1972 ; Il Duomo di Orvieto, L. Riccetti éd., Rome-Bari, 1988. Cette fondation illustre le paradigme italien. Par sa date d’abord, 1290, l’événement prend place dans cette séquence longue de quelques décennies qui bouleversa les villes italiennes que l’on considère l’ordonnancement du tissu urbain, le cadre monumental ou les infrastructures collectives. Par son dynamisme ensuite, la fabrique traduit au cœur de la cité, au centre même de l’espace bâti, quels furent la taille et l’impact de nombre de ces entreprises édilitaires.
23 Les épisodes des chantiers des Dômes de Florence, Orvieto, Sienne sont à cet égard significatifs.
24 Les mosaïques furent ainsi préférées aux fresques pour le décor de la façade du Dôme d’Orvieto ; on a pu calculer les répercussions financières de ce choix esthétique et politique : le coût des mosaïques était plus élevé de 418 % : C. D. Harding, « I mosaici della facciata », Il Duomo, op. cit., p. 123-138, p. 124. Voir également, Opera, carattere e ruolo delle fabbriche cittadine fini all’inizio dell’età moderna, M. Haines, L. Riccetti, Florence, 1996 ; La piazza del Duomo nella città medievale (nord e media Italia, secoli XII-XVI), L. Riccetti éd., Orvieto, 1997.
25 Sur les phénomènes de religion civique, on citera de manière générale G. De Rosa, T. Gregory, A. Vauchez éd., Storia dell’Italia religiosa, 1, L’Antichità e il Medioevo, Bari, 1993 ; A. Vauchez, Ordini Mendicanti e società italiana, XIII-XVsecolo, Milan, 1990 ; on se reportera aussi aux actes du colloque La coscienza cittadina nei comuni italiani del Duecento, Todi, 1972 (Convegni del Centro di studi sulla spiritualità medeviale, XI) et à A. Vauchez éd., La religion civique à l’époque médiévale et moderne, Rome, EFR,1995.
26 Si l’on excepte la personnification de Venise due, à la moitié du XIVe siècle, à Filippo Calendario. Voir ici W. Wolters, op. cit.
27 Dans le cadre de cette brève étude, je retiendrai surtout l’exemple de la place San Marco, même si je n’oublie pas l’importance du pôle de Rialto et des grands itinéraires terrestre et aquatique tendus entre ces centres (les Mercerie, le Grand Canal) ; E. Crouzetpavan, Sopra le acque salse, op. cit., t. 2, p. 902 et suiv.
28 Une série de travaux toucha ainsi, dans les premières décennies du XIVe siècle, la rive et les abords de la place San Marco. Or, que disaient les actes publics qui commandaient ces réalisations ? Clairement, ils imputaient à la vocation esthétique de San Marco la nécessité de ces bouleversements. Les étrangers, en effet, abordaient par cette rive et la ville se montrait à eux à travers la trouée de la Piazzetta. L’importance de l’esthétique urbaine, de celle principalement des espaces centraux, était donc, dans un tel texte, formellement identifiée.
29 E. Crouzet Pavan, Venise triomphante, op. cit., p. 354-361.
30 Pour une confrontation avec l’exemple florentin et les rapports des femmes à l’espace public : L. Martines, « Séduction, espace familial et autorité in la Renaissance italienne », Annales, Histoire, sciences sociales, 1998, 2, 255-287 ; voir aussi E. Crouzetpavan, « Femmes et jeunes : sur les liaisons dangereuses in l’Italie de la fin du Moyen Age », à paraître dans M. Rouche éd., Le mariage au Moyen Age, actes du colloque de Conques, PUPS.
31 E. Crouzet-Pavan, Sopra le acque salse, op. cit., t. 2, p. 949-950.
32 Ead., Venise triomphante, op. cit., p. 354-362.
33 L. Marin, Le portrait du roi, Paris, 1981 ; G. Sabatier, Versailles ou la figure du roi, Paris, 1999.
Auteur
Université de Paris-Sorbonne
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