[41]. La crise post-almoravide et les "secondes taifas" (1145-1147)
p. 175-177
Texte intégral
1L'un des textes qui nous apporte le plus d'informations sur les événements qui accompagnent la chute du régime almoravide dans la péninsule, en 1144-1145, est le recueil de notices historiques consacrées à des personnages marquants de l'Occident musulman, principalement andalous, rédigé par le grand secrétaire valencien du XIIIe siècle Ibn al-Abbar (m. à Tunis en 1260), et intitulé Hullat al-siyara'.
2Ibn al-Abbar est particulièrement bien informé sur les troubles qui se produisirent à Valence et à Murcie, auxquels il consacre de longues pages. On trouvera ci-dessous le début de la notice consacrée au cadi Marwan b. 'Abd al-'Aziz, membre d'une importante famille Valencienne (un vizir Ibn 'Abd al-'Aziz avait exercé le gouvernement de Valence de 1065 à 1075, lorsque le souverain de Tolède al-Ma'mun avait réuni la ville à ses Etats), qui accède à la direction des affaires en mars 1145, dans les circonstances compliquées qu'expose Ibn al-Abbar.
3Le texte évoque les événements qui se déroulent durant les derniers mois de 1144 et au début de l'année suivante. La première révolte anti-almoravide avait été celle du mystique Ibn Qasi dans l'Algarve, en août 1144 (52*). Le gouverneur almoravide de Séville, Yahya b. Ghaniya, avait alors tenté d'aller réprimer le soulèvement, qui s'était étendu à la ville de Niebla, en allant assiéger celle-ci à la fin de Tannée 1144. Mais au printemps suivant les événements de Cordoue, où le cadi Hamdin b. Muhammad b. Hamdin (cité supra 30* et 40* B) a été reconnu comme ra'is ou chef de la ville par ses concitoyens, l'obligent à abandonner cette entreprise. Alors que Yahya b. Ghaniya lutte péniblement-et sans succès-pour restaurer l'autorité almoravide en Andalousie (une garnison almoravide tiendra cependant Grenade jusqu'en 1155), son frère Muhammad, qui est le père du gouverneur de Valence mentionné dans le texte, parvient au contraire à affermir son autorité sur les Baléares (qu'il gouvernait déjà depuis près de vingt ans), constituant ainsi l'émirat almoravide de Majorque qui dure ensuite jusqu'aux premières années du XIIIe siècle (43*).
4Le gouvernement de Valence par le cadi Marwan b. 'Abd al-'Aziz ne dure que quelques mois. Dès novembre 1145, il est chassé du pouvoir par les éléments militaires qui mettent à sa place le général (qa'id) Ibn 'lyad (36*A). Mais ce dernier meurt en août 1147, et c'est son lieutenant Muhammad b. Mardanish qui va imposer après lui, pour près d'un quart de siècle, son autorité au Sharq al-Andalus (42*).
5Sur cette période particulièrement troublée, la seule bibliographie d'ensemble est en espagnol (F. CODERA, Decadencia y desaparición de los almorávides en España, Saragosse, 1899 ; M. GASPAR REM1RO, Historia de Murcia musulmana, Saragosse, 1905 ; A. HUICI MIRANDA, Historia musulmana de Valencia, Valence, 1970, III, pp. 101-142). J'ai essayé de résumer les principaux aspects de cette crise " post-almoravide" en al-Andalus dans le premier volume de ma thèse sur Les Musulmans de Valence et la Reconquête, 1, Institut Français d'Etudes Arabes de Damas, 1990, pp. 101-124.
6Marwan b. 'Abd Allah b. Marwan b. Muhammad b. Marwan b. 'Abd al-'Aziz, Abu 'Abd al-Malik :
7Lorsqu'arriva à Valence la nouvelle du soulèvement d'Abu Dja'far Hamdin b. Muhammad b. Hamdin et de la bay'a qu'on lui avait prêtée à Cordoue dans la Grande Mosquée le samedi 5 du mois de ramadan de l'année 539 (1er mars 1145), et celle de l'abandon du siège de Niebla par Ibn Ghaniya-c’était en effet une entreprise qui le dépassait et sa conquête lui était impossible-les habitants furent troublés. Le gouverneur (wali) de Valence était alors Abu Muhammad 'Abd Allah b. Muhammad b. 'Ali, neveu d'Abu Zakariya' b. Ghaniya, et le cadi était cet Abu 'Abd al-Malik (indiqué au début), que Tashfin b. 'Ali b. Yusuf avait nommé le 24 de dhu'l-hidjdja de l'année 538. Tous les deux se réunirent immédiatement, malgré la rivalité qui existait entre eux dans leur for intérieur, et convinrent de s’entendre et de laisser de côté leurs différends. Les gens s'étant réunis à la grande mosquée, Marwan prit la parole et les haranga en leur rappelant le djihad que les Lamtuniens (Almoravides) avaient mené contre les chrétiens, le secours qu'ils avaient apporté à la péninsule, et le fait qu'ils avaient sauvé Valence en l'arrachant de leurs mains ; il les incita à rester fidèles à leur régime. Puis le gouverneur 'Abd Allah b. Muhammad parla à son tour dans le même sens à ceux qui étaient présents ; il rappela aux assistants les liens d'amitié qui s'étaient établis entre eux et son oncle, puis ils se dispersèrent.
8On rapporta ensuite à 'Abd Allah, des propos qui l'inquiétèrent, attribués au cadi et à d'autres (Valenciens). La nuit du mercredi 18 de Ramadan, il envoya tous les siens et ses effets à Játiva, lui-même se trouvant au matin à la Waladja [lieu du bord du Turia situé près de la ville]. Il y eut alors des heurts entre lui et le djund [les éléments militaires andalous] (..), et il s’enfuit sur le champ avec ses hommes (qawm). Lorsqu’ils furent installés à Játiva, sa cavalerie fit des raids contre la zone Valencienne en pillant tout ce qu'elle trouvait. Les gens se plaignirent à Ibn 'Abd al-'Aziz, et l'armée (djund), les Arabes et les notables de la ville le prièrent d’accepter de les gouverner. Il refusa en disant : "Choisissez l'un de vos notables (shuyukh) pour le mettre à votre tête". Ils s'accordèrent alors sur l'un des Lamtuniens qui était resté à Valence après la fuite de 'Abd Allah b. Muhammad, et les choses allèrent ainsi quelques jours.
9Mais le Lamtunien sur lequel on s'était mis d'accord voulut se saisir d'Ibn 'Abd al-'Aziz, sans y parvenir. Puis il fut envahi par la crainte et gagna Játiva avec ceux de son parti qui étaient restés avec lui (à Valence). C'est alors que l'accord se fit sur Ibn 'Abd al-'Aziz, qui se cacha jusqu'à ce qu'Abu Muhamma d'Abd Allah b. lyad, chef militaire de la Marche, et'Abd Allah b. Mardanish le prennent à part et lui disent : "Dans cette affaire, tu ne peux pas te dérober, et le bon sens conseille de faire vite”. Il accepta cela, son affaire se conclut, et on lui prêta la bay'a le lundi 3 shawwal (539 : 29 mars 1145) ; il investit 'Abd Allah b. lyad du commandement de la Marche et de ses abords ( ?), et il rattacha à son ressort les zones gouvernées par ses parents par alliance les Banu Mardanish avant qu'ils n'accèdent à la notoriété. Quant aux Almoravides (al-Mulaththimun, les "Voilés"), ils faisaient des incursions de toutes parts, ravageant les localités de plaine et de hauteur environnantes. Ibn 'Abd al-'Aziz fit alors appel aux troupes de la Marche, et alla avec eux attaquer Játiva. Les Almoravides descendirent alors de la citadelle (qasaba) vers la ville, pillant les maisons et enlevant les femmes, et c'est dans cette situation qu'arriva Ibn 'Abd al-'Aziz, le vendredi 18 shawwal. Il y eut entre lui et eux des combats où il eut l'avantage, jusqu'à ce que (les Almoravides), vaincus, se réfugient dans la citadelle.
10C'est alors qu'arriva, à la fin de shawwal, Abu Dja'far Muhammad b. 'Abd Allah b. Abi Dja'far à la tête de l'armée de Murcie ; tous deux [Ibn 'Abd al'Aziz et Ibn Abi Dja'far] poursuivirent le siège de Játiva, d'accord en apparence mais divisés en secret, chacun d'entre eux ayant l'intention de dominer la ville.
11Il y eut sur ces entrefaites des troubles à Murcie, et Ibn Abi Dja'far dut y retourner pour les apaiser, puis il revint au siège de Játiva, où arriva (aussi), avec les gens de la Marche, Ibn lyad venu à l'aide de son émir Ibn 'Abd al-'Aziz. 'Abd Allah b. Muhammad ne trouva pas d'autre échappatoire que la fuite, et, après de multiples péripéties, il gagna Almería, et s’embarqua de là pour rejoindre son père Muhammad b. 'Ali qui se trouvait à Majorque. Ce dernier s'était en effet rendu maître de l'île et s'y était établi sur le conseil de son frère Abu Zakariya' Yahya b. 'Ali lors de la révolte populaire qui avait eu lieu à Séville alors qu’il (Yahya b. 'Ali) s'était absenté de la ville pour aller assiéger Niebla.
IBN AL-ABBAR, Hullat al-siyara', éd. Husayn Mu'nis, Le Caire, 1963, II, pp. 218-220.
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